D'Un Commun Accord: Sacrifice

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Volume 4, numéro 4

CONTENU

ÉDITORIAL

Lucinda M. Vardey

LE SENS ET LA PRATIQUE DU SACRIFICE

John Dalla Costa

L’AMOUR EUCHARISTIQUE : LE SACRIFICE POUR L’AMITIÉ

Mary Madeline Todd O.P.

L’AMOUR PLUS GRANDE QUE TOUT

L’histoire de quatre personnes ayant donné leur vie pour les autres

LUMIÈRE DANS LES TÉNÈBRES : LA PAIX, LE DON DES FEMMES EN TEMPS DE GUERRE

Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz

JETER DES FLEURS DANS LE CLOÎTRE : LE PETITS SACRIFICES DE SAINTE THÉRÈSE

Lucinda M. Vardey

Lors du planning des séminaires sur la théologie féminine parrainés par Magdala à Rome, l’historienne Lucetta Scaraffia a déclaré que les catholiques d’aujourd’hui avaient perdu le sens et l’expérience du sacrificiel. J’ai eu l’impression qu’elle énonçait une vérité certaine. Dans mon enfance, lorsque j’avais mal à la tête, que j’échouais à un examen ou que mon bulletin scolaire était décevant, on me demandait de « l’offrir.» « L’offrir » signifiait partager, ne pas laisser ma peine se replier sur elle-même, mais l’offrir à Dieu. Cela ne m’a certainement pas faite sentir mieux mais, avec le recul, j’ai appris que quoiqu’il arrive, c’est là une occasion de s’unir au sacrifice du Christ par la prière.

Le sacrifice comme offrande peut également inclure le « don » et l’« abandon.» Dans l’expression de notre amour envers Dieu et les autres, ce peut être parfois difficile de toujours donner joyeusement de notre temps, de notre générosité ou de nos ressources. Pareil pour « l’effort supplémentaire » qui peut nous être demandé. Nous ne pouvons qu’accepter avec confiance que le chemin sera transformateur à la fois pour celui qui donne et pour celui qui reçoit.

Parfois, nous sommes appelés à sacrifier le passé, à sacrifier de vieilles relations, à sacrifier nos talents. Un jour, une religieuse m’a raconté comment elle a dû renoncer avec difficultés, à ses dons musicaux pour le bien de la communauté. Excellente chanteuse, et après des années passées à diriger sa congrégation, on l’accusa de chanter trop fort. Incapable de chanter différemment, elle fut réduite à bouger les lèvres en silence afin de ne déranger personne. Ces sacrifices personnels du quotidien ne doivent pas être sous-estimés car bien que faits de bon cœur dans la vulnérabilité afin de ne pas nuire aux autres, ils détiennent un pouvoir dépassant notre compréhension. Sainte Thérèse de Lisieux appelait ses nombreux sacrifices au couvent des «jets de fleurs, » dont certains sont mentionnés dans ce numéro.

Les oblations ne sont pas seulement des «offrandes,» elles impliquent aussi de «se passer de,» sacrifier son confort personnel pour être solidaire des moins fortunés. Simone Weil, philosophe française, a choisi de travailler en usine pour comprendre la souffrance des autres. Elle a également refusé de manger plus que la ration alimentaire imposée par les nazis à la France au début des années 1940. Dorothy Day ne possédait que le strict nécessaire car elle vivait au milieu de ceux à qui elle offrait un abri. Les Missionnaires de la Charité de Mère Teresa se privent de tout confort matériel, y compris pour leur prière (il n’y a ni tapis, ni sièges, ni bancs dans leurs chapelles) pour demeurer en relation étroite et aimante avec les sans-abri, les malades et ceux qui n’ont rien.

Quelque soit l’importance du sacrifice petit ou grand, ce sont des actes héroïques. Ils requièrent non seulement du courage, mais aussi de la foi, de l’amour et de la confiance en la promesse de Jésus. Nous pouvons reconnaître ces éléments à l’œuvre chez ceux qui

ont non seulement sacrifié leur sécurité au nom de l’Évangile, mais qui, dans l’intention de coopérer à l’œuvre de salut de Jésus, ont porté de lourdes croix pour alléger le fardeau et l’endettement des autres. Cette forme de sacrifice est appelée « expiation». Dans son article, Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz souligne que l’expiation est une réponse féminine spécifique à la menace et à la terreur. La demande que fait Edith Stein (Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix) à sa supérieure au couvent d’Echt en Hollande, témoigne d’un degré supplémentaire de sacrifice. Sous la menace d’emprisonnement et d’une mort imminente, elle obtient la permission de s’offrir « en sacrifice de propitiation pour la vraie paix», afin que le mal qui l’entoure s’effondre sans qu’une « nouvelle guerre mondiale » ne se produise. Elle exprime le désir au sein de ce vœu « qu’un nouvel ordre soit établi.» Ce type de sacrifice est un sacrifice intérieur, celui d’offrir sa vie de souffrance à Dieu afin d’expier les injustices commises. Sœur Mary Madeline Todd nous donne un aperçu de ce type de « sacrifice vivant» qui transcende le moi « afin d’engager la liberté humaine.»

« Le Grand Amour » dresse le portrait de quatre personnes héroïques qui ont laissé l’amour vaincre la peur en donnant leur vie pour leurs amis : Gianna Molla pour son bébé, Sainte Veronica Giuliani pour les âmes perdues, Sœur Dorothy Stang pour la forêt amazonienne et Saint Maximilien Kolbe pour un codétenu.

Ce numéro commence par un aperçu de John Dalla Costa sur les raisons pour lesquelles nous avons aujourd’hui perdu l’art du sacrifice et sur l’importance de le retrouver.

Le sens et la pratique du sacrifice

John Dalla Costa un auteur et théologien, spécialiste des questions éthiques et morales, il a rédigé cinq livres. Pour en savoir plus sur son parcours, veuillez consulter notre site web.

On suppose souvent que le devoir de travail imposé dans la Bible provient de la désobéissance pécheresse de l’humanité à l’égard de Dieu. En fait, l’obligation de créer avec diligence, soin et travail était un don de Dieu aux humains dès leur création. (cf. Genèse 1,27-28). Ces créatures à l’image de leur Créateur étaient destinées à avoir les mêmes dispositions en matière d’amour,

d’imagination ou pour œuvrer pour autrui. Suite à la désobéissance du couple originel, tout est devenu plus pénible, d’abord la punition, mais le lien de confiance avec Dieu s’est rompu, les créatures ont succombé aux tentations de l’intérêt personnel et de l’autosuffisance. Il y a toujours des conséquences à la convoitise ou à vouloir accumuler pour soi-même ce qui est un don de Dieu ; il y a des conséquences à la tromperie, au vol ou à léser autrui pour son propre avantage ou son propre confort. Comme l’a appris le couple du jardin d’Eden, il est vain d’essayer de cacher nos transgressions, car les blessures infligées aux autres nuisent à notre âme propre,

notamment en raison de l’éloignement préjudiciable d’avec Dieu (voir le numéro d’Adam et Ève d’Un commun accord).

Il est important de ne pas déifier le sacrifice, ce qui au fil du temps à impliquer justifier la souffrance des autres. Cependant, la dimension sacrificielle de la vie ne doit pas non plus être sous-évaluée. Le sacrifice, avec les souffrances qu’il implique, s’enracine étrangement dans le don. L’essentiel de la vie humaine, l’amour, la beauté, le sentiment d’appartenance et le vivre en communauté ne peuvent exister ou fructifier sans une certaine dose de sacrifice.

Jésus incarne le don du sacrifice. Par son incarnation kénotique, l’offrande complète et totale de lui-même, il a façonné à la fois la nature de Dieu qui est amour et l’accomplissement de la dignité humaine désireuse de recevoir et de partager cet amour. Le salut apporté par Jésus sur la croix n’a pas éliminé le sacrifice. Au contraire, il a rétabli le sens originel de participation à l’œuvre d’amour de Dieu qui consiste à construire des liens et servir la création. C’est l’une des raisons pour lesquelles Jésus insiste sur le fait que son « joug est facile à porter » et son « fardeau léger » (cf. Mt 11:30). Par sa grâce, et avec la présence sacramentelle permanente de Jésus, tout ce labeur essentiel et inévitable est désormais absorbé dans la bénédiction originelle, qui est de collaborer à l’édification du règne de Dieu.

Par définition, se sacrifier signifie accepter d’être vulnérable pour le bien d’autrui ou pour une cause plus grande que soi. Il se trouve que cette vulnérabilité est au cœur des mots sens et joie. Saint François de Sales l’exprime de façon poignante en écrivant : « Rien n’est si fort que la douceur, rien n’est si doux que la vraie force.

Car ce que le Christ nous demande est souvent difficile, mais plus on aime, plus cela devient facile. »1 D’où la grâce des Béatitudes ; d’où la grâce des sacrifices personnels pour conforter ceux qui sont en deuil, sacrifices pour satisfaire les exigences de la justice, ou sacrifices pour briser la logique de guerre et instaurer une paix véritable.

UNE CULTURE DE LA COMMODITÉ

Il y a plusieurs décennies, des sociologues ont déclaré que « la culture sacrificielle était morte.» Non pas que les gens avaient cessé d’admettre les douleurs causées par la violence, les inégalités, les exclusions sociales ou la dégradation de l’environnement. C’est plutôt, comme l’a expliqué le sociologue polonais/britannique Zygmunt Bauman, que les «manifestations de dévouement à ce “quelque chose” (ou quelqu’un) d’autre que soi, aussi sincères, ardentes et intenses soient-elles, s’arrêtent à l’autosacrifice. »2 En effet, l’un des principes fondamentaux de notre culture de consommation omniprésente est que tout sacrifice peut être évité, ou facilement résolu, et qu’il est possible « d’avoir le beurre et l’argent du beurre.» Le confort supplante la conscience, les liens au sein de la société et ses

institutions, y compris l’Église, se distendent à mesure que les individus optent pour l’illusion auto-satisfaisante d’une « morale indolore »3 Le pape François a reconnu les dangers de cette fuite, de ce mépris du sacrifice. Il écrit que « La culture de la prospérité nous endort ; nous sommes ravis si le marché nous offre quelque chose de nouveau à acheter ; pendant ce temps, toutes ces vies rabougries par manque d’opportunités semblent n’être qu’un simple spectacle. »4

L’étourdissement est partout autour de nous, et souvent, en nous. Concentrés sur notre carrière, nous sacrifions le temps consacré à l’art, au jeu ou à la famille. Scintillants sous la stimulation incessante des réseaux sociaux, nous sacrifions la réflexion nécessaire pour comprendre les événements et leur donner un sens. En allant toujours vers la facilité nous choisissons dans notre propre intérêt le prix le plus bas, nous éloignant de ceux qui travaillent dur, parfois au-dessous du salaire minimum, pour cueillir nos fruits ou livrer nos colis. Toute cette fuite du sacrificiel a paradoxalement augmenté la souffrance, car les gens succombent à l’épuisement et à la solitude, vivant dans la peur au sein d’une société impersonnelle et violente.

RENOUVEAU ET ESPOIR

Cette fixation sur l’intérêt personnel ne tient pas compte du fait que les êtres humains sont conçus pour le sacrifice, non pas parce que nous sommes condamnés ou incomplets, mais parce que le cœur humain s’offre par amour, « je te célébrerai pour tes terribles merveilles; merveilles que tes œuvres ! » (Psaume 139,14-16). Le sacrifice est le don par lequel nous retenons intentionnellement notre propre intérêt ou par lequel nous acceptons de souffrir pour le bien ou les besoins d’autrui. Dans son livre New Seeds of Contemplation, Thomas Merton écrit que « le véritable secret du sacrifice n’est pas la destruction mais la croissance. Il ne s’agit pas de se perdre dans l’anéantissement, mais de se trouver en se donnant » (p. 45).

Chaque aspect de la vie de disciple est, en soi, un sacrifice, car elle implique de réfléchir sur soi, de se vider de ses intérêts personnels, afin de pouvoir dire « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Galates 2,20). Ce renouveau de la vie de disciple sacrificiel est au cœur du Jubilé de l’espoir 2025. Rejetant les faux espoirs issus des idéologies de la société de consommation, le pape François a défini l’espérance authentique comme étant un ensemble de possibilités soutenues dans le partage des sacrifices. Il appelle tous les chrétiens à s’engager dans des actions concrètes de compassion ; à travailler pour défaire les injustices systémiques ; à accompagner les pauvres dans la solidarité face à face, et à exercer la miséricorde malgré la dure réalité de l’indifférence d’aujourd’hui. Toutes ces actions impliquent des sacrifices personnels et collectifs importants. Se sacrifier pour l’espoir sous-tend une double bénédiction. Comme l’écrit Sainte Thérèse d’Avila, « L’âme qui est unie à Lui dans la souffrance trouve que ses plus grandes joies viennent à travers ces souffrances. Car c’est en les supportant pour l’amour du Christ que nous nous rapprochons le plus de lui. »5

Mary Madeline Todd O.P. est une sœur dominicaine de la Congrégation de Sainte-Cécile. Depuis trois décennies elle vit joyeusement sa vie consacrée partageant le ministère d’enseignement du Christ aux élèves de l’école primaire à l’université. Après une maîtrise en théologie à l’Université franciscaine de Steubenville, aux États-Unis, elle va étudier à Rome et obtient un doctorat en théologie sacrée à l’Université Pontificale Saint-Thomas d’Aquin. Spécialiste en théologie de la femme au travers des écrits de Saint Jean-Paul II, elle est investie d’une sainte mission, celle de venir en aide aux femmes, en leur faisant découvrir et embrasser leur dignité et leur vocation uniques. Sœur Mary Madeline parle et écrit sur les deux branches de la théologie, spirituelle et morale. Elle enseigne actuellement à l’Aquinas College à Nashville, où elle fait découvrir avec joie à la prochaine génération, ce qu’est la liberté émancipatrice de leur être profond dans le Christ.

L’amour eucharistique : Le sacrifice pour l’amitié

Nous savons intuitivement que si quelqu’un prétend nous aimer, cette affirmation inclut la volonté de se sacrifier pour notre bien. Si quelqu’un dit « Je t’aime comme un ami cher,» mais que cette personne ne donne jamais de son temps, de sa compagnie ou de sa compassion, ces paroles semblent fausses.

Saint Jean-Paul II a souvent écrit sur la nécessité de se transcender afin d’engager pleinement sa liberté humaine et connaître la joie libératrice d’aimer. Le dépassement de soi remet en question le principe culturel acquis selon lequel nous sommes plus libres, lorsque nous évitons tout sacrifice. Cependant si le sacrifice est, comme l’affirme Louis Veuillot, « la grande joie de l’amour,» alors la volonté de souffrir pour l’amour n’est pas une négation mais plutôt l’un des engagements les plus sublimes de notre liberté.

La nuit précédant sa mort, Jésus rassemble ses amis proches pour se confier à eux de façon mystérieuse mais tangible. Il prononce des paroles poignantes renforcées par sa présence même et par l’immanence

de sa mort : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13). Le fait qu’il se soit livré sur la croix est l’incarnation de l’amour sacrificiel parfait, rendu présent dans chaque Eucharistie. C’est le don de sa présence permanente dans l’amitié eucharistique.

Le mot sacrifice est dérivé du latin sacer et facere, qui signifie littéralement rendre saint ou mettre à part, pour le surnaturel. La célébration de l’Eucharistie a été appelée entre autres le Saint Sacrifice de la Messe. Le sacrifice du Christ est ce qui nous attire dans sa sainteté et sa louange éternelle au Père.

La quatrième prière eucharistique du Missel romain souligne que l’Eucharistie est un sacrifice, évoquant non seulement l’événement passé du sacrifice parfait du Christ au Père, mais aussi le sacrifice d’amour permanent par lequel nous partageons le don de soi du Christ. Après avoir rappelé les événements du mystère pascal, la prière s’adresse au Père : « Nous t’offrons son corps et son sang, le sacrifice qui est digne de toi et qui sauve le monde. Regarde, Seigneur, cette

offrande que tu as donnée toi-même à ton Eglise; accorde à tous ceux qui vont partager ce pain et boire cette coupe d’être rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps, pour qu’ils soient eux-mêmes dans le Christ une vivante offrande à la louange de ta gloire.» Cette belle prière établit un lien entre l’effusion totale de l’amour sacrificiel du Christ sur la Croix et le SaintSacrifice de la messe. Elle intercède en outre pour que tous ceux qui participent à la messe « deviennent un sacrifice vivant » à la louange de la gloire de Dieu.

Le Catéchisme de l’Église catholique, en parlant de l’Eucharistie comme étant un sacrifice, préfigure la théologie de l’unité des sacrifices, celui du Christ et le nôtre : « Dans l’Eucharistie, le sacrifice du Christ devient aussi le sacrifice des membres de son Corps. La vie des fidèles, leurs louanges, leurs souffrances, leurs prières et leur travail sont unis à ceux du Christ et à son offrande totale, et par là, acquièrent une valeur nouvelle. Le sacrifice du Christ présent sur l’autel permet à toutes les générations de chrétiens de s’unir à son offrande » (n° 1368).

L’OFFRANDE DE SOI D’EDITH STEIN

L’offrande de soi en sacrifice vivant de louange, fondé et soutenu par la grâce de Jésus, est incarnée de manière unique dans la vie et le don de soi de Sainte Edith Stein. Née en 1891 le jour de le Jour du Grand Pardon, l’une des fêtes sacrificielles les plus sacrées du judaïsme (cf. Lévitique 16), sa vie est marquée par le sacrifice dès le début. De la mort précoce de son père à l’éloignement de sa mère en raison de sa conversion au Christianisme, elle apprend que l’amour a un prix. Edith a déjà parcouru un long chemin, entre la découverte de Dieu et la reconnaissance de soi en Dieu, du judaïsme à l’athéisme puis au catholicisme, elle est dotée d’un profond esprit d’empathie qui la sensibilise à l’amour sacrificiel.

Après le début de la Première Guerre mondiale, alors qu’Edith est à l’apogée de ses années d’études, elle est témoin de l’appel au sacrifice lancé aux étudiants pour qu’ils servent dans l’armée. Elle se sent poussée à s’inscrire comme infirmière, mettant ses études en suspens, pour se mettre au service des

autres. À ce poste, elle pose des actes concrets d’amour sacrificiel. Malgré le rationnement qui rendait l’accès aux friandises rare, elle donne des chocolats Lindt reçus en cadeau, à un soldat mourant de pleurésie et incapable de digérer la plupart des aliments. Elle raconte dans son autobiographie qu’il « les a acceptés quand je les lui ai offerts et les a appréciés aussi... Cela lui a probablement donné confiance en moi, »1 notant ainsi que le sacrifice peut porter le germe de la communion interpersonnelle.

Edith est naturellement bonne, une sagesse qu’elle verrait plus tard sous un jour christologique en étudiant les écrits de Sainte Thérèse d’Avila, qui parlait de la valeur des sacrifices, même les plus humbles. Sainte Thérèse, dont l’autobiographie jouera un rôle déterminant dans l’adhésion d’Edith à la foi catholique, avait compris que les simples actes d’amour acquièrent une valeur infinie lorsqu’ils sont unis à l’offrande du Christ. Elle exhortait ses sœurs dans le cloître : « ...pendant le peu de temps que dure cette vie... offrons au Seigneur intérieurement et extérieurement le sacrifice que nous pouvons. Sa Majesté le joindra à celui qu’il a lui-même offert pour nous sur la croix à son Père. Ainsi, même si nos œuvres sont petites, elles auront la valeur que notre amour pour Lui aurait méritée si elles avaient été grandes.»2

Si Edith était naturellement consciente de la nécessité du sacrifice pour vivre dans l’amour, elle l’est devenue encore plus en se faisant baptiser et en suivant l’appel de Dieu au cloître des carmélites. Le nom religieux qu’elle reçut, Thérèse Bénédicte de la Croix, souligne l’amour sacrificiel et l’adoration eucharistique. De la croix du Christ découle toute bénédiction, en particulier la bénédiction du Christ lui-même qui soutient notre capacité à donner par sa grâce présente en nous.

Edith n’a pas seulement écrit sur la science de la croix, elle a aussi vécu cette théologie de l’amour sacrificiel. Lorsque sa propre sécurité est menacée dans un cloître allemand, elle est transférée dans un couvent de carmélites en Hollande. Au cours de la période précédant la Seconde Guerre mondiale, elle demande à sa supérieure, dans une lettre écrite le 26 mars 1939, dimanche de la Passion, de lui permettre d’offrir ce jourlà « au Cœur de Jésus comme sacrifice de propitiation pour une paix véritable, afin que la domination de l’Antéchrist s’effondre, si possible, sans une nouvelle guerre mondiale, et qu’un nouvel ordre soit établi. »3 Sa demande est acceptée. Lorsqu’il devient évident que même les juifs convertis sont en danger, elle demande l’autorisation de partir en Suisse avec sa sœur Rosa la portière du couvent. Deux couvents de carmélites les acceptent mais la Gestapo arrive alors qu’elles

sont en attente de leurs visas. Des voisins ont rapporté les derniers mots entendus avant que la Gestapo n’emmène Edith et Rosa dans les camps : « Viens Rosa. Nous allons chercher notre peuple. » Dans la dernière lettre à sa supérieure, écrite depuis la caserne de Westerbork, Edith demande pour elle et pour Rosa, des articles de base tels que des bas de laine et des couvertures. Elle demande aussi le prochain volume de son bréviaire, ajoutant que « jusqu’à présent, j’ai pu prier glorieusement.»4

La vie sacrificielle d’Edith n’était pas une fin en soi, mais plutôt un moyen de communier avec Celui qui a tout donné pour nous. Comme elle l’écrit dans La science de la croix, « Ainsi, l’union nuptiale de l’âme avec Dieu est le but pour lequel elle a été créée, achetée par la croix, consommée sur la croix et scellée pour l’éternité à la croix. »5 En vérité, Edith Stein, conforme au Christ crucifié, vécut une vie d’amour sacrificiel. En recevant le Seigneur eucharistique et en suivant la voie qui lui est donnée, elle embrasse l’état de sainteté. En tant que sainte, elle intercède pour que nous devenions, par le Christ, avec lui et en lui, un sacrifice vivant à la louange de la gloire de Dieu.

Tout au long de sa vie, Edith Stein a chéri l’amitié, comme en témoignent ses actes et ses lettres. Elle croyait que l’amour sacrificiel du Christ n’était pas seulement une offrande de louanges au Père, mais aussi un don d’amitié à ceux qui reçoivent et adorent le Seigneur eucharistique. Dans une lettre à une amie, Edith a déclaré qu’après de l’exposition du SaintSacrement, elle voulait apporter « les salutations de notre Sauveur eucharistique. » Elle a ajouté plus tard : « Il n’est pas présent pour lui-même mais pour nous... nous avons besoin de sa proximité personnelle. »6 Cette proximité personnelle de notre Sauveur eucharistique est le don de l’amitié divine qui soutient chacun d’entre nous alors que nous marchons nous aussi sur le chemin de l’amour sacrificiel.

L’Amour plus grand que tout : L’histoire de quatre personnes ayant donné leur vie pour les autres.

POUR SA FILLE

Sainte Gianna Beretta Molla (1922-1962)

Née à Magenta, Milan en Italie, Gianna Beretta est l’illustration même d’une vie de prière et de service, ceci dès son plus jeune âge. Membre de l’Action catholique et de la Société Saint-Vincent-de-Paul, elle étudie la médecine à l’université de Milan se spécialisant en pédiatrie. Pendant son temps libre, elle aime faire du ski, de la randonnée, elle est aussi amoureuse des arts, en particulier l’opéra et le théâtre

Elle épouse Pietro Molla en 1955. Les lettres qu’ils échangent témoignent d’un amour profond pour Dieu et l’un pour l’autre. Dans les quatre premières années de leur mariage, ils ont trois enfants, un

fils et deux filles. Gianna poursuit son travail de médecin et ils mènent une vie heureuse et comblée.

Alors enceinte de deux mois de son quatrième enfant, Gianna souffre de fortes douleurs. Le diagnostic établit un fybroïde à l’utérus, présentant un risque pour elle et l’enfant à naître. Lors de l’intervention chirurgicale, elle supplie le chirurgien de sauver l’enfant, consciente que la poursuite de sa grossesse pouvait également mettre en péril sa propre vie.

Gianna mène sa grossesse à terme. Quelques jours avant la naissance de l’enfant, elle insiste sur le fait que s’il fallait prendre une décision entre sa vie et celle de l’enfant, il fallait sauver celle de sa fille plutôt que la sienne. Gianna Emanuela naît le 21 avril. Malgré les tentatives faites pour sauver la mère, celle-ci décède sept jours plus tard. Ses derniers mots auront été « Jésus, je t’aime. »

Gianna Beretta Molla a été canonisée en 2004 par le Pape Saint Jean-Paul II. Son mari et sa fille étaient présents à la cérémonie. Aujourd’hui médecin elle-même, Gianna Emanuela voyage beaucoup pour témoigner de la sainteté de sa mère. Elle a ouvert aux États-Unis plusieurs centres de soins pour les femmes sous son patronage.

POUR LES ÂMES PERDUES

Sainte Véronique

Giuliani (1660-1727)

Véronique Giuliani est souvent appelée « une vraie fille de Sainte Claire. » Elle est clarisse capucine et devient abbesse de son monastère d’adoption de Città di Castello en Ombrie, Italie. Sa vocation est particulièrement unique. Elle vit une vie

tournée vers soi, vers son monde intérieur, où elle connaît constamment la douleur et le chagrin et se complaît dans cet état profond.

Après 20 ans de vie religieuse, elle choisit de devenir « victime pour les pécheurs », servant de médiatrice auprès de Dieu pour les âmes destinées à se perdre à jamais dans le gouffre de l’enfer. Son œuvre de salut consiste à prier pour ceux qui ont besoin d’une expiation médiatrice. Elle choisit d’assumer leurs souffrances afin de les soulager et de les ramener à Dieu. « Mon Seigneur, je m’offre pour me tenir ici comme une porte, afin que personne ne puisse descendre en enfer et te perdre.»

À l’âge de 37 ans, elle reçoit les stigmates alors qu’elle prie devant le crucifix dans le cloître. « Cinq rayons brillants » se transforment en petites flammes contenant des clous qui lui transpercent les mains et les pieds et l’un d’entre eux « une lance, dorée et toute enflammée » lui transperce le cœur.

Plus tard au cours de sa vie, elle va vivre quatre étapes de pénitence dans ce qu’elle appelle le « purgatoire de l’amour ». Elle a dessiné une image de son cœur dans l’un de ses nombreux journaux intimes, une ébauche des contours des instruments de la Passion du Christ, ainsi que les sept épées de Marie. Après sa mort, un examen des tissus a révélé de mystérieuses incisions sur son cœur, similaires au dessin. Ses derniers mots ont été : « L’amour s’est laissé trouver.»

POUR LA FORÊT

AMAZONIENNE

Sœur Dorothy Stang, SND (1931-2005)

Dorothy Stang est née à Dayton, dans l’Ohio aux États-Unis. Elle passe la plus grande partie de sa

vie religieuse à travailler pour les populations indigènes de la forêt amazonienne de l’État du Para, au Brésil. Elle aide à la création de micros entreprises pour les pauvres et contribue à éduquer les habitants sur le sujet des cultures nutritionnelles à cultiver dans la forêt.

Son engagement en faveur de l’agriculture durable, de l’aide aux familles et l’établissement de communautés, l’amène à ouvrir des écoles en forêt tropicale. Par vocation, elle prend la parole au nom des habitants, contre les menaces que font peser les bûcherons et les propriétaires terriens sur les agriculteurs locaux. On pouvait lire sur son tee-shirt le slogan: « La mort de la forêt est la fin de nos vies.»

Lors d’une visite aux États-Unis, on l’avertie du danger croissant pour sa vie si elle retourne au Brésil. Mais la forêt m’appelle, disait-elle. Elle fait campagne auprès des responsables des droits de l’homme du pays, au nom de l’environnement et de ses habitants. Se rendant à l’une des réunions, seule sur un chemin de campagne, elle est abattue de plusieurs balles par deux hommes et laissée pour morte citant les Béatitudes.

Nommée « Femme de l’année » par l’État du Para pour son travail en Amazonie, elle reçoit également le titre d’« Humanitaire de l’année » décerné par l’Association du barreau brésilien. Les Nations Unies lui rendent hommage à titre posthume, en lui décernant en 2008, un prix lié aux Droits de l’Homme. Son héritage se poursuit et grandit au sein du ministère des sœurs de Notre-Dame et leurs collaborateurs dans la région.

POUR UN CODÉTENU

Saint Maximilien Kolbe OFM Conv. (1894-1941)

Maximilien Kolbe est un prêtre franciscain polonais. Élève doué, il excelle à l’école et souhaite poursuivre une carrière militaire pour défendre sa Pologne natale, mais devient religieux.

Sa vie religieuse n’est pas conventionnelle pour l’époque. Pour évangéliser et distribuer ses écrits et documents, il utilise les techniques d’impression modernes. Il lance aussi une station de radio. Passionné de culture japonaise, il fonde une communauté à Nagasaki. Il pense aussi que le futur de la prédication impliquera des voyages en avion.

Après l’invasion de la Pologne par les nazis, le père Kolbe dénonce publiquement la politique d’Hitler, affirmant que Dieu est « le maître et le dirigeant de tous les peuples, de toutes les races et de toutes les nations. » Il est arrêté et emprisonné au camp de concentration d’Auschwitz.

Au camp, la règle en cas d’évasion d’un prisonnier, implique l’exécution de 10 détenus pris au hasard. L’un de ces hommes est un père de famille qui, espérant être sauvé hurle qu’il a femme et enfants. Le père Kolbe s’avance et propose de prendre sa place. Tous condamnés à mourir de faim, il s’est dit que les prisonniers enfermés en compagnie du prêtre, ont chanté des hymnes et prié jusqu’à la fin. Deux semaines après, lorsque les gardiens ouvrent la cellule, ils trouvent Kolbe encore en vie. Ils l’exécutent par injection. Le père Kolbe a été canonisé par le Pape Saint Jean-Paul II en 1982. L’homme à qui il a sauvé la vie était présent lors de sa canonisation, il vécut jusqu’à l’âge de 93 ans.

Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz est philosophe et théologienne. Elle a publié des ouvrages d’anthropologie culturelle, sur le féminisme et le genre, de philosophie des religions (la philosophie des 19e et 20e siècles), ainsi que des textes sur la phénoménologie, une branche de la philosophie. Ses travaux portent notamment sur le théologien Romano Guardini et Edith Stein (Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix). Depuis 12 ans elle dirige l’Institut de philosophie et religions d’Europe, à la Hochschule Benedikt XVI de Heiligenkreuz, à Vienne, en Autriche. Elle a reçu récemment le prix Ratzinger 2021 de théologie, remis par le pape François à Rome.

Lumière dans les ténèbres : La Paix, le

Don

des femmes en temps de guerre

Pendant la Seconde Guerre mondiale, nombreuses sont les femmes ayant porté de lourdes croix pour expier les vices et les crimes de la terreur nazie. La plus connue des femmes allemandes est sans aucun doute Edith Stein, Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix. Entrée au Carmel en 1933 elle choisit de vivre à sa manière la pensée paulinienne selon laquelle il existe une vocation à souffrir avec le Christ et à coopérer avec lui à son œuvre de salut. Elle écrit : « Toute souffrance que nous portons en union avec le Seigneur est sa souffrance, féconde pour le salut » (Lettre 26.12.1932). Deux laïques catholiques ayant survécu à la guerre ont fait de même : l’assistante sociale Marianne Hapig (18941973) et l’écrivaine Nanda Herbermann (1903-1979).

Durant les dernières années de guerre, alors que Berlin dévasté souffrait, Marianne Hapig organise secrètement un réseau d’entre-aide pour les personnes emprisonnées par la Gestapo et les familles des conspirateurs ayant prévu d’assassiner Hitler (ils ont été exécutés par la suite). Elle offre sa vie à Dieu en expiation des « crimes terribles » commis par les humains contre d’autres humains, et aussi pour les jeunes hommes sans pitié ni compassion. Elle sert d’intermédiaire, transporte des nouvelles, de la nourriture, du papier et des hosties aux prêtres incarcérés. Elle coût de petits sacs pour cacher l’Eucharistie, que les prêtres pouvaient porter sur leur poitrine dans la souffrance des interrogatoires et les jugements. L’un de ces prêtres est Alfred Delp, un jésuite membre de la résistance catholique au nazisme, régulièrement torturé. Marianne a nettoyé ses vêtements maculés de sang et a fait passer clandestinement ses réflexions spirituelles aujourd’hui publiées dans le monde entier. Alfred Delp a été exécuté le 2 février 1945 à l’âge de 38 ans.

De l’expiation, Marianne Hapig note que c’était une croix lourde à porter, « Mais je l’ai voulu ainsi... » Après la fin de la guerre, elle écrit dans son journal : « Nous avons souvent eu le sentiment que nous ne serions jamais joyeux ni libres, que nous ne nous remettrions jamais de tout ce qui se trouvait derrière nous. » Cependant, cette réflexion d’Alfred Delp sur la Pentecôte la console : « Personne ne traverse le feu sans être changé. » Elle écrit : « Lorsque

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cent portes se referment sur nous, nous pouvons alors percevoir le vaste royaume auquel nous appartenons, avec le nom de Dieu sur les lèvres. L’Esprit qui donne la vie nous aidera à sortir des ruines, non pas ruinés nous-mêmes, mais avec une vision nouvelle et un courage renouvelé. »

Nanda Herbermann travaille comme secrétaire pour le célèbre père jésuite

Friedrich Muckermann, rédacteur du journal littéraire catholique Der Gral (Le Graal) entre 1926 et 1931, un résistant de la première heure au mouvement antireligieux nationalsocialisme. Considéré comme une menace pour le nazisme, il est contraint de déménager en Hollande où il lance une autre revue anti-nazie. Nanda reste en Allemagne pour poursuivre la publication de Der Gral. Soupçonnée d’avoir fait passer des messages entre le père Muckermann et l’évêque von Galen (plus tard béatifié par le Pape JeanPaul II), Nanda est emprisonnée à l’isolement et subit d’intenses interrogatoires de février à août 1941. « Les semaines après Pâques,» écrit-elle, « sont devenues pour moi une véritable passion, souffrant le martyre des longs interrogatoires de la Gestapo... Je me levais souvent pour prier, allongée sur le sol pendant un long moment. L’idée d’expiation me remplissait totalement » (Ms 12).

Incapable de rompre le silence, Nanda est envoyée à Ravensbrück, un camp de concentration situé dans le nord de l’Allemagne, où elle est chargée de surveiller une caserne de 400 prostituées. Elle vit dans ce camp durant un an et demi et, grâce à l’intervention de sa famille, elle est libérée en mars 1943. Dans ses mémoires, des écrits déchirants publiés après la guerre (aujourd’hui disponibles en anglais sous

le titre The Blessed Abyss), elle raconte l’horreur de cette époque. Elle y décrit la vie d’un prisonnier « cette vie d’enfer», et les souffrances que tout un chacun devait endurer sous le Troisième Reich. Elle écrit aussi combien il est injuste pour une femme allemande d’être considérée comme «responsable des terribles actes commis dans les camps de concentration.» Elle plaide pour que les survivants de la guerre, réparent le mal fait par des Allemands à d’autres Allemands et à des centaines de milliers d’étrangers innocents « dans un meurtre et une injustice qui crient vers le ciel» ; qu’ils assument « ce devoir sacré, le devoir d’expiation, aux yeux de Dieu et du monde.» Elle affirme que le monde comprendra «après notre temps d’expiation», que personne ne peut identifier l’ensemble de la race allemande à des criminels nazis » (Ms 74f).

Nanda Herbermann a dit qu’elle ne pouvait plus pleurer ou verser de larmes, qu’elle n’avait plus d’énergie pour pleurer. Elle gardait cependant en elle une minuscule flamme contenant toute la douleur et la souffrance indicible qu’elle déposait aux pieds de Jésus, qu’elle laissait tomber là pour qu’Il en dispose partout où c’était nécessaire.

Au cours des dernières décennies, le débat théologique sur l’« expiation » a fait rage. Est-il vraiment opportun de se charger de la dette des autres pour tenter d’alléger leur tribulation ? L’expiation signifie spécifiquement faire pénitence à la place de quelqu’un. Selon saint Paul, c’est le motif central de l’incarnation du Christ. C’est une pensée impénétrable et nous appartenons à son mystère. Non seulement nous sommes rachetés en tant que pécheurs, mais nous pouvons également nous offrir pour le rachat d’autrui et être plus étroitement unis au Christ.

Jeter des fleurs dans le cloître : Les petits sacrifices de Sainte Thérèse

Lucinda M. Vardey rédactrice en chef de la revue D’un Commun Accord. Pour en savoir plus sur son parcours, veuillez consulter notre site.

Pour Sainte Thérèse de Lisieux, les fleurs sont des métaphores utiles pour parvenir au discernement spirituel. Elle appelait son âme « petite fleur blanche. » Dans son autobiographie Histoire d’une âme , trois manuscrits écrits à la fin de sa vie à la demande de sa sœur Pauline (Mère Agnès de Jésus), les fleurs représentent non seulement la petitesse mais aussi des actes de charité généreux. Dans un poème intitulé Jeter des fleurs , elle explique que ses « petits sacrifices » sont aussi ses plus grandes souffrances, ses peines et ses joies, des fleurs qu’elle jette pour prouver son amour à Dieu. Répandre des fleurs était sa grande joie « dans cette vallée de larmes.» Elle désirait souffrir « pour l’amour de l’Amour et même se réjouir pour l’amour de l’Amour, c’est pourquoi je jetterai des fleurs.»

Thérèse raconte comment elle surmonte la tentation de juger les autres, lorsqu’elle n’apprécie pas la personnalité d’une sœur ou en s’éloignant d’une autre sœur désagréable. Elle se demande de quelle façon Jésus a aimé ses disciples « Vous pouvez être tout à fait sûr que leurs mérites n’avaient rien pour l’attirer... ils n’étaient que de pauvres pécheurs, si ignorants avec des pensées si terrestres ; et pourtant Jésus les appelle ses amis. » Méditant sur Jean 15,13 (« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner

sa vie pour ceux qu’on aime»), Thérèse reconnaît à quel point son amour est imparfait, qu’elle n’a manifestement pas aimé ses consœurs comme Dieu les aime. « Je réalise maintenant, » écrit-elle, «que l’amour parfait consiste à supporter les défauts des autres, à ne pas s’étonner de leurs faiblesses, à même encourager la plus petite de leurs qualités. » Elle en conclut que la charité ne saurait être « confinée dans les profondeurs de ton cœur. »

LA LAMPE ET LE LAMPADAIRE

« Vous êtes, vous, la lumière du monde. Une ville ne peut être cachée quand elle est située sur une montagne. On n’allume pas non plus une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le lampadaire ; et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison» (Matthieu 5,14-16).

Thérèse associe la lampe à un acte de charité, à étendre non seulement aux personnes qu’elle apprécie mais « à tout le monde dans la maison sans exception. » Il ne s’agit pas seulement d’aimer son prochain comme soi-même, suppose-t-elle, mais de l’aimer comme Jésus l’aime. Dans une de ses prières, elle a l’intuition que si elle doit aimer ses sœurs comme les aime Jésus, « cela doit vouloir dire que tu continues toi-même à les aimer en moi et à travers moi. » Cette inspiration, elle la voit comme une grâce; que seule la grâce permet de respecter le commandement de Jésus, de « l’accueillir [...]

comme preuve de ta volonté d’aimer, en moi et par moi, tous ceux que tu me dis d’aimer ! »

Dans l’action « la charité s’en mêle, » Thérèse sent que c’est Jésus qui la pousse à agir, alors elle se sent en union étroite avec lui. Et cet amour grandit à la mesure de l’amour qu’elle donne à toutes ses sœurs « sans distinction. ».

« TOUT DÉPEND DE L’INTENTION »

Le chemin est certainement cahoteux pour Thérèse, elle admet que le diable la pousse à se concentrer continuellement sur les défauts d’une sœur en particulier. Pour y remédier, vite elle se rappelle les qualités et les valeurs de la sœur. Elle affirme que peut-être ce qu’elle considère elle comme une erreur, est en fait un « acte louable.» Une sœur dans la communauté cependant, provoque chez elle un « tiraillement » incessant. Thérèse est frappée par le comportement et la façon de parler d’une des sœurs qu’elle considère comme impossible à aimer. Elle décide donc de changer d’attitude à son égard, en acceptant le fait que s’il s’agit d’une sainte religieuse, Dieu doit l’aimer tendrement. « La charité n’est pas une question de bons sentiments, » explique Thérèse, « elle consiste en des actes. J’ai donc décidé de traiter cette sœur comme si elle était la personne que j’aimais le plus au monde. » Thérèse choisit cette voie non seulement en priant, mais en essayant de jouer « un bon tour » à la sœur à chaque occasion. « Quand je me sentais tentée de la démolir par une réplique désobligeante, j’affichais à la place mon plus beau sourire et j’essayais de changer de sujet... » Cette religieuse, nous informe Thérèse, n’est pas du tout consciente des véritables sentiments ou de la raison pour laquelle Thérèse agit de manière si aimable envers elle. Elle demande même un jour à Thérèse, pourquoi elle lui sourit à chacune de leurs rencontres. Thérèse lui répond que juste la voir est un plaisir. Pour éviter un mensonge, Thérèse ajoute qu’elle ne lui a pas expliqué « que le plaisir était entièrement spirituel. » Elle se réfère à Matthieu 5,46 où Jésus dit « car si vous aimez ceux qui vous aiment, quel salaire aurez-vous? » et affirme qu’il ne suffit pas d’aimer une sœur que l’on préférerait éviter : « il faut le lui prouver. »

« POUR RÉJOUIR LE CŒUR DE NOTRE SEIGNEUR »

Pour Thérèse le sacrifice ne consiste pas uniquement à faire des choses aimables à ceux qu’elle n’apprécie pas ou qui l’irritent, elle refuse également de se défendre quand elle n’est pas comprise ou quand un mot dur lui est adressé. Alors qu’elle s’occupe d’une religieuse âgée et malade, se plaignant de Thérèse et de sa façon de faire les choses, la qualifiant de «trop jeune », Thérèse admet ressentir un grand bonheur spirituel. En lavant le linge, une autre sœur lui éclabousse le visage d’eau sale en soulevant les mouchoirs. Celle-ci au lieu de reculer et de s’essuyer le visage (attirant ainsi l’attention sur les gestes de la sœur), choisit d’y percevoir

«un goût pour l’eau sale » qu’elle qualifie avec humour de nouvelle sorte d’Aspertions (le rite de l’aspersion d’eau bénite au début de chaque messe).

L’un des sacrifices plus difficiles à accepter pour Thérèse fut celui de cette religieuse faisant crisser son doigt sur ses dents pendant la prière du soir. C’était un « curieux petit bruit», écrit Thérèse, « un peu comme celui que l’on ferait en frottant deux coquillages l’un contre l’autre. » Thérèse n’a qu’une envie, se retourner et décocher un regard irrité à cette sœur, au lieu de cela, elle décide de « le supporter pour l’amour de Dieu, et épargner tout embarras à la sœur,» non sans avoir essayé malgré le bruit, et au point de transpirer, de poursuivre sa prière en silence. Lui vint l’idée d’associer ce bruit exaspérant à « une musique délicieuse » qu’elle écouterait avec intensité et qu’elle offrirait ensuite à notre Seigneur.

Thérèse affirme que toutes les épreuves, ces « sacrifices insignifiants... sont comme une médecine amère qui mêle son goût à tout mon bonheur. » En dispersant ces fleurs, en les offrant dans l’amour, elle trouve la paix de l’âme. Elle conclut que Dieu « me donne toujours exactement ce que je veux ; ou plutôt me fait toujours désirer exactement ce qu’il va me donner. » Pour parvenir à ce niveau d’innocence grâce à la sagesse, Sainte Thérèse démontre que sur le chemin qui mène à la lumière et l’amour, il faut accepter les circonstances difficiles telles qu’elles sont, en choisissant d’y répondre comme Jésus l’a prescrit. Ainsi Thérèse a connu les sommets de la joie et du bonheur spirituels, tandis que son âme répandait sa lumière autour du couvent de Lisieux et, après sa mort, dans le monde entier.

« J’ai été si proche de l’amour
Que j’ai commencé à comprendre Comme est grand le gain de ceux Qui se donnent entièrement à l’Amour : Et quand je l’ai vu de mes propres yeux, Ce qui me manquait j’en ai eu de la peine. »
(Hadewijch de Brabant).

D’Un Commun Accord

O Dieu, notre créateur,

Vous, qui nous avez faits et faites à votre image, donnez-nous la grâce de l’inclusion au cœur de Votre Église.

R : D’un commun accord, nous prions.

Jésus, notre Sauveur, Vous, qui avez reçu l’amour des femmes et des hommes, guérissez ce qui nous divise, et bénissez ce qui nous unit.

R : D’un commun accord, nous prions.

Esprit Saint, notre Consolateur,

Vous, qui guidez ce travail, veillez sur nous qui espérons faire Votre volonté pour le bien de tous.

R : D’un commun accord, nous prions.

Marie, mère de Dieu, priez pour nous.

Saint Joseph, restez près de nous. Sagesse divine, éclairez-nous.

R : D’un commun accord, nous prions. Amen.

BIBLIOGRAPHIE

John Dalla Costa—Le sens et la pratique du sacrifice

1 Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, troisième partie, chapitre 233.

2 Zygmunt Bauman, The Art of Life, p. 41-42

3 Ibid

4 Evangelii Gaudium n. 56

5 Sainte Thérèse d’Avila, Le château intérieur, 6.9.3

Mary Madeline Todd, O.P.—L’amour eucharistique : Le sacrifice pour l’amitié

1 Edith Stein, Life in a Jewish Family (Washington, DC: ICS Publications, 1986), p. 344.

2 Teresa of Avila, Interior Castle (Washington, DC: ICS Publications, 1980), p. 450.

3 Edith Stein, “Letter to Mother Ottilia Thannisch, OCD, Echt, March 26, 1939” dans Edith Stein: Self-Portrait in Letters, (Washington, DC: ICS Publications, 1993), p. 305.

4 Edith Stein, “Letter to Mother Ambrosia Antonia Engelmann, OCD, Echt, August 6, 1942” dans Edith Stein: SelfPortrait in Letters, (Washington, DC: ICS Publications, 1993), p. 353.

5 Edith Stein, The Science of the Cross (Washington, DC: ICS Publications, 2002), p. 273.

6 Edith Stein, “Letter to Elly Dursy, Auderath, May 7, 1933” dans Edith Stein: Self-Portrait in Letters, (Washington, DC: ICS Publications, 1993), p. 140-141.

Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz—Lumière dans les ténèbres : La Paix, le Don des femmes en temps de guerre

Marianne Hapig, Tagebuch und Erinnerung. Edition Mooshausen, hg.v. Elisabeth Prégardier, Annweiler 2007, Plöger Medien, 140 S., 26 Photos, ISBN 978-3-89857-225-5.

Nanda Herbermann, Der gesegnete Abgrund: Schutzhäftling Nr. 6582 im Frauenkonzentrationslager Ravensbrück, Glock & Lutz, Nürnberg/Bamberg/Passau 1946, 42002; The Blessed Abyss, 2000.

Lucinda M. Vardey—Jeter des fleurs dans le cloître : Les petits sacrifices de Sainte Thérèse Citations traduites de l’édition anglaise du livre : Une histoire de l’âme,“Thérèse of Lisieux: Autobiography of a Saint” traduit par Ronald Knox (London, Fount Books 1977) pages 208, 209, 210, 211, 212, 214, 217, 218, 233, 236, 237.

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La revue D’un commun accord est publiée en italien, en anglais et en français. Pour accéder aux autres versions linguistiques, veuillez visiter notre site web.

Images utilisées dans ce numéro :

Couverture: « Madeleine à la flamme fumante » par Georges de La Tour (vers 1640).

Page 2 Détail de la peinture ci-dessus.

Page 4 La mosaïque « L’arbre de vie » de la basilique de San Clemente, à Rome.

Page 7 Détail de la « Cène » de Juan de Juanes (16e siècle).

Ce numéro

Copyright © 2024 Paroisse catholique de Saint-Basile, Toronto, Canada . Pour contacter la Rédactrice, écrivez: editor@magdalacolloquy.org

ISSN 2563-7932

ÉDITEUR

Morgan V. Rice CSB.

RÉDACTRICE EN CHEF

Lucinda M. Vardey

RÉDACTRICE ASSOCIÉE

Emily VanBerkum

ÉDITEUR CONTRIBUTEUR

Gregory Rupik

TRADUCTRICES

Véronique Viellerobe (Français) Elena Buia Rutt (Italien)

COORDONNATEUR DE LA PRODUCTION

Michael Pirri

ADMINISTRATRICE

Margaret D’Elia

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