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Génétique
Les limites des tests ADN
Les possibilités d’en apprendre plus sur soi grâce à un peu de salive semblent presque infinies. Attention toutefois: toutes les attentes ne sont pas réalistes et tout n’est pas autorisé.
Texte: Ariane Gigon
Que peuton tester?
Bon en judo ou plutôt en sprint? Un régime protéiné ou au contraire dissocié? Toutankhamon comme ancêtre ou Brad Pitt parmi ses cousins du 28e degré? Aujourd’hui, des tests génétiques promettent monts et merveilles pour «tout savoir sur soi-même». Grâce à des bonds technologiques, il est possible de tester davantage de caractéristiques inscrites dans notre acide désoxyribonucléique (ADN), plus rapidement et pour des sommes plus modiques qu’il y a dix ans. Les tests ADN sont aussi omniprésents en médecine, pour déceler des intolérances à des médicaments ou de possibles modifications des gènes liées à l’apparition, présente ou future, d’une maladie.
À quoi faut-il faire attention?
Mais «un test ADN, ce n’est pas une radiographie pour un bras cassé», souligne Simon Zurich, vice-président de la section romande de la Fédération suisse des patients. Recevoir un catalogue d’analyses indiquant que l’on a telle ou telle prédisposition pour une maladie peut faire peur, sans que cela soit fondé, ou, à l’inverse, rassurer, tout aussi faussement. Beaucoup d’autres éléments, que les sociétés qui analysent les échantillons ne connaissent pas, entrent en ligne de compte dans un diagnostic. Cela peut être l’environnement, le mode de vie ou des antécédents familiaux. Pour les tests généalogiques aussi, «prenez le temps de la réflexion, conseille Jacques Fellay, professeur associé en génomique humaine et maladies infectieuses à l’EPFL, à l’UNIL et au CHUV, membre de la Commission fédérale pour l’analyse génétique humaine (CFAGH). Nous ne sommes pas seuls impliqués par les conséquences d’un test, nos proches le sont aussi.»
Autre problème potentiel posé par les tests ADN facilement accessibles sur internet (appelés aussi «direct-to-consumer, ou test génétique DTC, ou autotests): ils suscitent parfois de trop grandes attentes. «Il faut démystifier les capacités prédictives du génome, explique Jacques Fellay. Connaître les multiples variations présentes dans son ADN ne signifie pas que l’on peut connaître sa destinée! Les analyses génétiques peuvent donner des indications utiles, mais ce sont des éléments parmi d’autres.» Beaucoup de rêves ou de craintes relèvent même de la science-fiction: «Il n’est que rarement possible d’établir des prédictions à l’échelle d’un individu sur la base d’un résultat génétique isolé.»
En outre, la fiabilité des tests commandés sur internet «est limitée», avertit l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). La Confédération conseille de regarder où la société à qui l’on envisage d’envoyer un échantillon a son siège, même lorsque l’adresse internet est suisse. L’OFSP rappelle aussi qu’avec les tests généalogiques, les réponses reçues vont rarement au-delà de «xx% de Scandinavie et xx% d’Afrique du Nord». Ne pas nourrir trop d’espoirs sur des révélations étonnantes permettra d’éviter les déceptions.


«Il faut démystifier les capacités prédictives du génome. Connaître les variations de son ADN ne signifie pas que l’on peut connaître sa destinée»
Jacques Fellay, professeur en génomique humaine et maladies infectieuses
Et les tests entourant la naissance?
Les tests prénataux et néonataux sont strictement réglementés. Ils ne sont autorisés que si la santé du nouveauné est concernée. Pratiqués depuis longtemps et comptant parmi les plus demandés, les tests de paternité – ou de filiation au sens large, pour identifier la mère, les frères et sœurs ou d’autres parents – sont aussi très encadrés: il faut le consentement écrit des deux personnes. Dans le cas d’un enfant, la mère est appelée à signer. En plus du consentement, l’identité des personnes testées doit être vérifiée avant que l’analyse ne soit faite.
Un test ADN salivaire tel qu’on peut le faire chez soi.
Que dit la loi suisse?
Face à l’explosion des tests sur le marché, la Confédération a décidé de mettre de l’ordre. Depuis le 1er décembre et l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, «presque tous les tests génétiques doivent être prescrits par un professionnel et ne peuvent pas être vendus en tant que tests DTC», indique l’OFSP. Une mesure qui permet le conseil et l’accompagnement. «Mais la limite entre médical et non médical n’est pas claire, nuance Simon Zurich. On pourrait par exemple imaginer que des diététiciens se lancent dans un business juteux avec des tests liés au risque de surpoids. Dans ce cas, un test peut être considéré comme non médical, même si les actions qui seront entreprises à sa suite peuvent avoir des conséquences médicales.»
Il est aussi interdit de commander des tests DTC pour quelqu’un d’autre, «surtout pour des enfants en bas âge ou des personnes incapables de discernement», explique l’OFSP. Il n’est donc pas permis de prélever de la salive de son enfant et de l’envoyer «pour en savoir plus sur son intelligence, ses aptitudes sportives ou les risques de maladie», précise la Confédération. Or, c’est exactement ce que proposent des prestataires de tests sur internet, souvent basés à l’étranger, qui vendent des «kits familiaux».
Pour David Raedler, avocat spécialisé dans la protection de la sphère privée, le Conseil fédéral «a en partie raté le coche» en ne sanctionnant pas directement la commande d’autotests ADN à l’étranger. «L’ADN permet d’apprendre énormément de choses sur une personne, explique-t-il. Donner son consentement explicite n’est pas une protection suffisante si votre ADN part à l’étranger. Or, si votre test est fait aux États-Unis, les risques sont très grands que vos données soient vendues à des tiers, car cela n’y est pas interdit. On peut changer de numéro de téléphone, mais pas de profil ADN…» MM