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Insolite

La version humoristique des Prix Nobel

Les Ig Nobel, qui récompensent chaque année les études scientifiques aux thématiques loufoques, ont été décernés à la mi-septembre à Harvard. Des chercheurs suisses y sont régulièrement distingués.

Texte: Thomas Piffaretti

En quoi la constipation des scorpions affecte leur vie amoureuse? Comment se fait-il que quand deux âmes sœurs se rencontrent, leurs cœurs se mettent à battre à l’unisson? Quelle est la manière la plus efficace d’ouvrir une porte? Ces trois recherches comptent parmi les dix lauréats des prix Ig Nobel 2022, décernés le 15 septembre dernier.

Depuis 1991, ces récompenses distinguent des travaux à la valeur hautement scientifique, mais au libellé ou à l’objet d’étude saugrenus. «Ig Nobel» est ainsi un jeu de mots entre le terme anglais ignoble – dans le sens «non noble» – et le nom du prestigieux prix remis chaque année par l’Académie suédoise. La devise de leurs fondateurs finit de résumer leur intention: «Honorer des travaux qui font rire, puis réfléchir.»

Un gage de crédibilité Si ces Nobel de l’absurde peuvent prêter à sourire – le prix 2006 de mathématiques a consacré une étude australienne visant à définir le nombre de photos nécessaires à réaliser pour que tous les membres d’un groupe aient assurément les yeux ouverts –, ils n’en sont pas moins sérieux. Gage de leur crédibilité, les récompenses sont remises au sein de la très respectable université Harvard (États-Unis), des mains de lauréats du vrai Prix Nobel.

Dans cette compétition, la Suisse peut s’enorgueillir d’un palmarès bien rempli, avec une quinzaine de prix à son actif. En 2021, Claudio Feliciani a ainsi été récompensé. Cet ingénieur tessinois, diplômé de l’École polytechnique fédérale de Zurich, aujourd’hui en poste à l’Université de Tokyo, a reçu les honneurs pour avoir participé activement à une étude visant à analyser les raisons pour lesquelles des passants en viennent à se percuter quand ils marchent dans une foule. Un titre que le physicien revendique, même si cette distinction ne fait pas toujours l’unanimité dans la communauté scientifique.

«Pour moi, cette récompense est un honneur»

Claudio Feliciani, physicien

Claudio Feliciani, un an après votre victoire, que vous a-t-elle apporté? Elle a donné un coup de projecteur indéniable sur mes travaux. Je n’ai pas démarré de nouvelles recherches grâce au prix. En revanche, il m’a permis de rencontrer des scientifiques travaillant dans des domaines de recherche totalement différents du mien. En termes de réseau, il m’a clairement offert de nouvelles opportunités. Aviez-vous fait acte de candidature? Non, pas du tout. Le mois avant ma victoire, je plaisantais avec un ami sur le fait que ma recherche en cours mériterait un Ig Nobel, tellement elle s’éloigne de ce que je fais habituellement. Je crois que le comité choisit parmi 2000 études présélectionnées. C’est donc une grande chance de pouvoir l’emporter. Avant de nous désigner vainqueurs, un membre de l’organisation nous a appelés pour savoir si on acceptait le prix, parce que certains chercheurs refusent d’être associés à cette démarche. Nous, on était très contents. Ces prix ne font donc pas l’unanimité parmi les chercheurs? Ça varie grandement selon les cultures. Au Japon, ils sont connus et reconnus. Une grande chaîne d’information a fait l’ouverture de son journal sur notre victoire et une immense photo de nous a été affichée à l’université. Ailleurs, ils sont généralement moins bien considérés. J’ai récemment publié un livre sur mes recherches. L’éditeur anglais a essayé de me dissuader d’y mentionner mon Ig Nobel. J’ai vraiment dû insister pour le convaincre; pour moi, cette récompense est un honneur.

D’autant que votre recherche n’est pas si farfelue que ça… Nos travaux aident à comprendre comment les gens se comportent dans une foule. Quels sont les signaux que l’on donne à l’autre pour éviter, ou non, de nous rentrer dedans. Est-ce que ça passe par le regard, par la position du corps? D’un point de vue pratique, ça permet d’anticiper la manière dont un grand nombre de personnes se déplacent. Dans le cadre de manifestations, comme la Street Parade de Zurich, ces informations sont précieuses en termes de sécurité. De même, avec le développement des voitures autonomes, pouvoir prévoir les intentions d’un piéton par l’ordinateur embarqué doit limiter les accidents. Où conservez-vous le prix que vous avez reçu? Il est dans mon bureau. À cause du Covid, on n’a pas pu participer à la cérémonie. Le comité nous a envoyé un kit à imprimer pour construire nous-mêmes la récompense. Elle ressemble à un levier de vitesse. J’ai aussi reçu un billet de dix trillons de dollars zimbabwéens, qui ne vaut pratiquement rien, mais que je conserve précieusement dans mon porte-monnaie. MM

1997

L’hôpital universitaire de Zurich a été récompensé pour avoir mesuré les différences d’activité du cerveau selon le parfum de chewing-gum que l’on mâche.

2017

Prix pour la Paix toujours: un universitaire a participé à des recherches permettant de vérifier l’effet positif d’un morceau de didgeridoo sur les apnées du sommeil et les ronflements.

La Suisse au firmament de l’improbable

2005

L’entreprise genevoise Firmenich, spécialisée dans les parfums et les arômes, a reçu le prix de chimie pour avoir catalogué les odeurs sécrétées par 131 espèces de grenouilles quand elles sont stressées.

2009

Les travaux d’un groupe de chercheurs de l’Université de Berne ont été distingués dans la catégorie Prix pour la Paix. Ils s’étaient posé la question de savoir s’il vaut mieux être frappé à la tête avec une bouteille de bière pleine ou vide. Essais à l’appui.

2020

Un chercheur suisse est cité comme colauréat du prix d’économie. Son équipe a démontré que le niveau d’obésité des politiciens d’un pays était un bon indicateur de son niveau de corruption.

Les superrésistants

Comment les papillons passent-ils l’hiver?

L’été, on les voit un peu partout dans la nature. Mais vous êtes-vous déjà demandé ce qu’ils font lorsque les températures chutent? Un indice: certaines espèces font preuve de créativité.

Texte: Jeanette Kuster

Ces insectes délicats sont généralement bien plus robustes qu’on ne le pense. Le Citron est le plus coriace: il passe l’hiver sur les branches près du sol, se laissant même recouvrir de neige. Comment survit-il à cela? Dès qu’il a trouvé sa position de repos, il élimine le plus possible de liquide présent dans son corps. Son seuil de congélation en est ainsi réduit. De plus, comme son corps contient naturellement de la glycérine, il peut résister à des températures allant jusqu’à moins 20 degrés.

Les minuscules

Les troglodytes

Le Paon du jour ainsi que la Petite et la Grande Tortue passent également l’hiver à l’état de papillons adultes, mais uniquement dans des endroits protégés, à l’abri de la lumière et de l’humidité. Il peut s’agir de grottes, mais aussi de garages, de greniers ou d’abris de jardin. Si vous découvrez un papillon figé dans votre garage froid, ne le ramenez surtout pas dans votre appartement au chaud, sinon il se réveillera trop tôt de sa torpeur hivernale et mourra de faim.

C’est sous sa forme la plus petite que le Thécla du bouleau passe la saison hivernale: un minuscule œuf (voir photo). À partir de la mi-août, les femelles pondent leurs œufs sur les arbres fruitiers à noyau. Contrairement aux chenilles et aux chrysalides bien camouflées, les œufs d’un blanc éclatant sont bien visibles sur les branches des arbres.

Les domestiques

En installant un abri à papillons dans votre jardin ou sur votre balcon, vous offrez à des espèces comme la Petite Tortue une possibilité de refuge supplémentaire en hiver. Remplissez-le d’un peu de brindilles sèches ou d’écorces d’arbre pour que les insectes puissent s’y accrocher plus facilement. Ensuite, placez-le dans un endroit couvert, semi-ombragé ou ensoleillé. Veillez également à ce qu’il soit suspendu hors de portée des chats. Vous pouvez rendre l’abri à papillons encore plus attrayant en le plaçant à proximité de plantes favorables aux papillons, comme le lierre.

Les rampants

Le Grand Mars changeant survit à la saison froide sous forme de chenille. Celle-ci se nourrit de préférence des feuilles du saule et passe l’hiver sur cette plante. Pour cela, elle se construit un petit coussin sur la fourche d’une branche. Pendant l’hiver, les chenilles, normalement vert clair, prennent une couleur brune ou vert olive et se fondent ainsi dans le paysage.

Les timides

La chenille vert-orange du Machaon se transforme en chrysalide dès le mois d’août. Sous cette forme, le papillon passe l’hiver bien camouflé sur des restes de plantes sèches, près du sol. Vous lui rendrez donc service en ne nettoyant pas complètement le jardin à la fin de l’automne et en laissant des branches sèches.

Les voyageurs

Contrairement à ses congénères, le Vulcain ne connaît pas de véritable hibernation. C’est pourquoi cette espèce peut théoriquement passer l’hiver sous n’importe quelle forme. En tant que chenille, elle n’est toutefois présente que dans les régions où l’ortie reste verte toute l’année, car elle s’en nourrit. À l’origine, ce papillon migrateur arrivait chez nous au printemps en traversant les Alpes, y assurait sa descendance et repartait en automne vers les régions méditerranéennes plus chaudes, tout comme les oiseaux migrateurs. Entre-temps, une population propre au centre de l’Europe s’est formée, qui passe l’hiver chez nous et vole plus au nord en direction de la Scandinavie en été.