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Jean-Jacques Goldman, la star discrète

La philosophie de Goldman pourrait-elle se résumer ainsi : “à coup de livres, je franchirai tous ces murs”? Autrement dit, aura-t-il incarné les moins que rien, l’armée de simples gens ?

génocide ». Et pourtant, tout est là ! Cette chanson est d’autant plus courageuse que Goldman démarre à peine sa carrière, en 1982, et qu’il la chante dans des émissions grand public, au moment même où il est critiqué comme un « chanteur à minettes ». Il a ce talent d’aborder des questions graves de manière poétique. Né en 17 à Leidenstadt nous envoie dans une autre direction. C’est évidemment une réflexion sur le judaïsme, dans laquelle il se met à la place d’un Allemand en se demandant ce qu’il aurait fait sous le nazisme. Qu’un Juif se pose une telle question est audacieux, d’autant que son demifrère, Pierre Goldman, assassiné en 1979, se fantasmait comme un combattant du ghetto de Varsovie. Goldman se demande non pas ce qu’est un Juif, mais si, en tant que Juif, il serait capable de se mettre à la place d’autrui. C’est sans équivalent dans la chanson française.

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Jean-Jacques Goldman a-t-il changé la vie ?

IJ : Goldman a réussi à unir une œuvre, une éthique et un engagement. Il se projette dans les valeurs de la social-démocratie, la justice sociale, la fraternité, la réciprocité, ainsi que la gratitude vis-à-vis du pays d’accueil de ses parents. Il a voulu « changer la vie » à travers des thèmes de la gauche libérale et pragmatique, laquelle a été plus efficace que les maoïstes, léninistes et autres trotskistes de Mai 68. Ces derniers ont prôné la révolution, mais ils n’ont pas changé grand-chose.

IJ : Les deux à la fois. Chez Goldman, il existe une mythologie de l’individu, homme ou femme, qui se fait tout seul, comme son père s’est exilé du shtetl pour émigrer en France, avant de participer à la Résistance et de s’établir comme commerçant en banlieue parisienne. Il a cette volonté de changer son destin, de s’arracher au confort d’une vie toute écrite. On le retrouve dans ses nombreuses chansons sur l’exil ou « Galout ». Mais le parcours de l’immigré serait incomplet sans les institutions qui l’aident à se réaliser, notamment l’école. Envolemoi est un hommage aux livres et à l’école. Énergie individuelle et accompagnement des institutions républicaines, voilà toute l’histoire des Goldman.

Comme toi , la Shoah chantée pour la 1 ère fois à la télévision à une heure de grande écoute.

Je te donne , l'un des plus grands succès du chanteur, un hymne à l'amitié tout simplement.

Il changeait la vie , une chanson pour les petits et les humbles qui changent le monde, devient l'hymne de la campagne de Jospin en 1995.

Rouge , en plein effondrement du communisme, le trio le bonheur d'avoir ses dimanches, d'aller voir la mer et de faire la paix, accompagné des Choeurs de l'ex-Armée rouge.

Dans les années 1980, au moment où il devient une star, a-t-il effacé le chacun pour soi ?

IJ : Il me paraît évident que la chanson des Restos du Cœur et l’aventure des Enfoirés sont un hymne aux valeurs de solidarité et à la capacité d’entraide de la société civile. Cela vient de son parcours familial, du monde des petits commerçants-artisans où il a grandi et où l’on est toujours à la merci d’un déclassement. Goldman en a conçu une philosophie de la réciprocité. Comme le dit Yves Montand dans l’hymne des Restos « Demain nos noms peut-être grossiront la liste ».

Pour que tu m'aimes encore , succès planétaire pour cette chanson de Céline Dion, écrite par Goldman.

Les murailles , époque du désenchantement et des désillusions, politiques et personnelles.

Ensemble , alors que Le Pen est au 2 ème tour des élections en 2002, Goldman continue à croire au vivreensemble. Dans son dernier album, Chansons pour les pieds , il rend hommage aux artistes de bal et à ses débuts, c'est sa dernière tournée.

Les années 1990, celles de ses immenses succès, sont-elles aussi celles de ce qu’il a nommé “nos actes manqués”?

IJ : Dans les années 1990, on entre pour Goldman dans une période d’introspection où il est question – au-delà de son divorce – de nos échecs, de nos failles et de nos errances. Cela peut être entendu comme une introspection collective au moment où la gauche est en difficulté et se remet mal du second septennat de Mitterrand. Ses chansons désabusées sont peutêtre le reflet de la crise personnelle d’un homme de gauche qui se sent trahi.

Puisque tu pars, ce tube de 1988, fut-il une chanson prémonitoire ?

IJ : Dès ses débuts, Goldman a expliqué qu’un jour il nous quitterait. D’autres chansons parlent de départ, de laisser les siens, la ville, la vie, pour partir vers d’autres rivages. Elles reflètent, avec une grande poésie, l’un des aspects les plus profonds du goldmanisme : être un enfant d’immigrés. Ce qui est intéressant, c’est que Puisque tu pars a aussitôt été interprétée comme une chanson de deuil, souvent passée

Bio express

l Né dans l'après-guerre d'une famille juive d'origine polonaise, la future star de la chanson française vit une adolescence calme à l'ombre de son frère, Pierre, le révolutionnaire juif, qui meurt assassiné. Il connaît la gloire à 30 ans et devient le patron de la scène française, enchaînant de 1981 à 2002 tubes et tournées.

l Il accompagne des générations en vantant tour à tour le collectif, le vivre-ensemble, l'amour, la féminité et l'école. En 2002, toujours au sommet, il se retire presque sans un bruit tout en restant l'une des personnalités les plus populaires de France.

lors des obsèques. Cela montre le profond écho que les chansons de Goldman ont dans la vie des gens. On trouve ses chansons à toutes les étapes de la vie : adolescence, jeunesse, amitié, amour, rupture, parentalité, vieillesse, deuil. Il est rare qu’un chanteur réussisse à ce point à entrer dans la vie des gens. De là provient une partie de sa popularité. Il a l’acuité d’un quasi-sociologue, à la manière de Norbert Elias, un Juif exilé capable de comprendre la société majoritaire parce qu’il a un pied dedans, un pied dehors. C’est la position des sociologues juifs allemands que l’on retrouve par exemple dans seul, Tout était dit, La pluie Elle a fait un bébé toute seule personnel, j’ai vraiment découvert ces chansons à l’âge adulte. Goldman m’a aidé à répondre aux questions que je me posais confusément sur la judéité, la masculinité, la gauche.

Comment quelqu’un qui a souhaité être minoritaire soit devenu majoritaire et mainstream ?

celle qui consiste à proposer aux enfants d’immigrés des injonctions contradictoires : « Réussis tout en restant discret », « Sois comme les autres, sans oublier d’où tu viens ». Cette contradiction se voit dans son répertoire, où il chante à la fois le fait d’être majoritaire et minoritaire. Goldman est l’auteur à la fois de Je marche seul et du canon Ensemble, soit un hymne à la solitude et l’autre au vivre-ensemble. Même chose pour Back to the City again, qui parle d’individualisme et de retour à la ville, en regard avec Famille, chanson sur la solidarité avec les humbles et les laissés-pour-compte. Ces chansons sont des paradoxes qui traversent le répertoire de Goldman et renvoient aux contradictions de l’intégration. Beaucoup, parmi elles, interrogent la place des minorités dans l’État-nation.

Finalement, n’a-t-il pas cherché, en disparaissant de la scène, à redevenir un petit bonhomme, “un peu loupé en somme, qui se croyait inutile” ?

IJ : Je n’ai pas été surpris par la sortie de Goldman sur mon livre. On sait tous qu’il veut redevenir anonyme, qu’il a renoncé à son personnage public. Je lui ai écrit pour lui demander ses archives, je n’ai pas eu de réponse. Je comprends qu’il n’ait pas eu envie que l’on se penche sur son œuvre et son parcours. Ce qui l’attriste, au fond, c’est sa popularité persistante, alors qu’il a disparu de la scène depuis vingt ans ! On continue à écrire des livres sur lui, à entendre des disques et des spectacles de lui, mais sans lui. En revanche, en tant qu’historien, j’ai souhaité raconter cinquante ans d’histoire culturelle française. Un chercheur peut et doit écrire sur le parcours de cet artiste unique, ainsi que sur les années Goldman, car elles appartiennent à tout le monde. Il me paraît difficile d’être à la fois un chanteur à succès et un inconnu, une légende vivante et monsieur Tout-le-monde. Pour ce qui me concerne, j’ai évoqué Goldman en laissant Jean-Jacques tranquille. Personne ne peut échapper à l’histoire. Nous, les Juifs, le savons plus que quiconque. n Propos recueillis par Ilan Levy

Ivan Jablonka

IJ : Je crois qu’on est dans une des contradictions de la diaspora,

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