Gazette square été 2014

Page 1

La Gazette du Square un été 2014

©Vivian Maier, Untitled (Woman Reading on Beach), late 1960s

Une sélection proposée par l’équipe du Square Des romans, des policiers, des textes de voyage, des essais, des bandes dessinées et des livres pour enfants…


Littérature Fiona Kidman, Le livre des secrets, Sabine Wespieser, 25 euros Surnommée la « sorcière de Waipu », à 75 ans, Maria McClure vit recluse dans sa maison de famille délabrée. Elle entend des voix, fait des rêves et se plonge dans le journal de sa grand-mère, Isabella. Femme capricieuse, mais téméraire, libertine voyageuse aux décisions assumées et ambivalentes, elle parcourut le monde à la suite de « l’Homme » tant abhorré qu’admiré. Seul son journal pouvait révéler une telle héroïne. Dans la lignée de Conrad, Fiona Kidman nous entraîne dans un voyage nébuleux, où l’homme se mue en prédicateur face à des femmes aux caractères inouïs. Son écriture viscérale se heurte aux murmures, sa langue badine avec la vénération et dérobe la crainte, les secrets les plus enfouis sont alors sublimés. Alessandro Baricco, Mr Gwyn, Gallimard, 18,50 euros Jasper Gwyn, solitaire et méticuleux, a soudain la lumineuse intuition de devoir quitter son habit d’écrivain adulé. Si son éditeur et unique ami, Tom, ne croit qu’à un caprice puéril, Jasper reste tenace : pour retrouver un certain équilibre, il fera des « portraits écrits », il sera « copiste ». Dans un roman cristallin, tout en légèreté et transparence, Baricco sonde l’essence au-delà des apparences. Les mots effleurent et les impressions se font rémanentes. A travers son énigmatique personnage, il affronte l’inconnu dans une démarche audacieuse et poétique, tentant de transformer sa folie en refuge. Mr Gwyn, un roman à l’image de son héros : « irrémédiablement délicieux ».

Antonin Varenne, Trois mille chevaux-vapeur, Albin Michel, 22,90 euros Immense coup de cœur pour ce roman d’Antonin Varenne qui renoue avec le meilleur du roman d’aventure. Hugo, Conrad, Verne, Stevenson, Melville pourraient être les mentors qui ont inspiré ce livre incroyable. En 1852, le sergent Bowman est chargé d’accomplir une mission secrète pendant la guerre anglo-birmane. Rien ne se passe comme prévu et Bowman et ses hommes se font capturer, torturer pendant des mois. Six ans plus tard, à Londres, Bowman tente d’oublier ce passé à l’aide d’opium et d’alcool. Mais c’est dans les égouts de la ville qu’il découvre un cadavre qui porte les mêmes traces de torture qu’il a connue jadis. Persuadé de la culpabilité d’un de ses anciens camarades, il décide de partir à sa recherche. Traque ou quête existentielle, nous suivons Bowman dans une expédition redoutable et fascinante. Roman impossible à lâcher, hors du temps, hors norme.

2


Ferdinand von Shirach, L’affaire Collini, Gallimard, 16,90 euros Suite à l’assassinat de Hans Meyer, grande personnalité allemande, Fabrizio Collini se fait arrêter. Son avocat commis d’office, le jeune Caspar Leinen est troublé par son client. Il se demande comment cet ancien ouvrier est passé au meurtre sans raison apparente, et son silence total pousse l’avocat à s’intéresser davantage à cette affaire passionnante mais terrible. Du suspense mais aussi une belle humanité parcourt ce court roman assez incroyable. Selva Almada, Après l’orage, Métailié, 16 euros Au milieu d’une plaine désolée du Nord de l’Argentine, la voiture du révérend Pearson et de sa fi lle Léni vient s’échouer dans le garage d’El Gringo Brauer et du jeune Tapioca. Alors que l’orage gronde au loin, le croyant prosélyte et l’athée pragmatique se scrutent, chacun occupé à accomplir des miracles. Dans ce lieu saturé de tensions, les souvenirs sourdent et emplissent les silences. Le passé prend consistance et le présent craquelle. Avec une économie de mots et des phrases simples, Selva Almada transforme alors une rencontre improbable en moment hypnotique. Après l’orage, un premier roman lent, pénétrant, à la force évocatrice incommensurable. François-Guillaume Lorrain, L’année des volcans, Flammarion, 20 euros C’est une histoire de cinéma qui nous est racontée ici. Une comédie dramatique à l’italienne qui a véritablement eu lieu. Tandis qu’Ingrid Bergman fuit le tout Hollywood qu’elle ne supporte plus, le cinéaste Roberto Rossellini fait face à sa capricieuse maîtresse, l’actrice Anna Magnani. Rossellini tombe amoureux de Bergman, lui offre le rôletitre de son nouveau fi lm « Stromboli », à l’origine destiné à Magnani. Cette dernière folle de rage tourne « Vulcano » sous la direction de Dieterle sur l’île d’en face avec une trame et un scénario quasi identiques. Les deux tournages sont catastrophiques, tendus, volcaniques à tout niveau. François-Guillaume Lorrain nous plonge dans le grand cinéma italien mais aussi dans l’ambiance de l’Italie d’après-guerre. Un roman magique et terrifiant dont on ne peut absolument pas stopper la lecture. Paul Lynch, Un ciel rouge le matin, Albin Michel, 20 euros Irlande, XIXe. Un geste trop rageur contre son propriétaire injuste, Coyle le tue accidentellement et tout bascule. S’engage alors une chasse à l’homme terrible. Faller, le second du propriétaire, véritable incarnation du mal, va le traquer sans relâche, sous la pluie incessante de l’Irlande jusqu’aux chantiers ferroviaires poussiéreux de Pensylvanie. Un rythme effréné, une nature chantée, un roman fascinant et impitoyable.

3


Littérature en poche Louise Erdrich, Le jeu des ombres, Livre de Poche, 6,10 euros Gil est un peintre reconnu pour ses portraits obsessionnels de sa femme Irène. Cette dernière, mère de ses trois enfants, étudie l’œuvre de George Catlin. Quand elle découvre que son mari lit son carnet rouge, elle décide d’en commencer un deuxième, bleu, et de monter un plan machiavélique. Enchevêtrant culture ojibwée et réflexion ciselée sur l’image et sa représentation, alternant journaux intimes et voix omnisciente, Louise Erdrich dissèque un amour « kitsch », hypocrite. Sous sa plume, l’image n’est qu’anamorphose. La perfection se fissure, l’extraordinaire charmant et lisse se transcende en douleur pernicieuse : Le Jeu des ombres est devenu divin.

Yves Ravey, Un notaire peu ordinaire, Minuit Double, 7 euros Ce qui fascine chez Yves Ravey, c’est cet art d’interroger le trouble, de le toucher du doigt, tout en construisant une narration extérieure qui accentue l’inéluctable de l’affaire. Une mère courage qui tente tout pour protéger sa fi lle, impétueuse, du retour d’un oncle un peu louche. Mais le notaire si aimable est-il la personne à qui la confier ?

Alan Duff, Un père pour mes rêves, Actes Sud Babel, 8,70 euros Il y a quatre ans, nous avions défendu ce livre bouleversant. Il sort aujourd’hui en collection de poche, l’occasion de le conseiller à nouveau. Nous suivons la vie de Yank, fruit d’une liaison entre une jeune maori et un GI pendant la seconde guerre mondiale. Bouc émissaire de sa communauté, Yank est de plus maltraité par son beau-père. Devenu adulte, il décide de partir aux Etats-Unis à la recherche de son véritable père : figure paternelle qu’il imagine volontiers sous les traits d’un John Wayne ou d’un Elvis Presley. Ses désillusions seront grandes mais pas définitives. Un livre tout simplement exceptionnel. Patrick Modiano, L’herbe des nuits, Folio, 6,20 euros Un carnet rempli de notes : des patronymes, des numéros de téléphone, des rendez-vous, et des textes courts « qui ont peut-être quelque chose à voir avec la littérature ». Et, Dannie, celle qui pourrait être sa Jeanne Duval ou rester une intrigante... Autant d’indices que Jean, enquêteur du soi, compile à l’infini, donnant une phosphorescence inattendue à sa vie. Le mystère s’immisce insidieusement entre les souvenirs, ourle les certitudes. Modiano, alors happé dans ces brèches du temps, déploie une écriture de la parenthèse où tout est en suspension et fortuit. Fantasmagorique. 4


Littérature en poche Jean-Paul Kauffmann, Remonter la Marne, Livre de Poche, 7,10 euros Jean-Paul Kauffmann partage avec Simenon le goût du banal, ce quotidien qui dans ses permanences cache des vérités enfouies. Remonter seul à pied un fleuve sans prétention, c’est laisser peu à peu naître les impressions, ouvrir la voie aux remémorations. Dans une langue qui accueille les émotions plus qu’elle ne les déclame, J.P. Kauffmann révèle un paysage, la disposition de ses habitants – le refus des contraints, des exclus. Accord des lumières, des odeurs et des liquides, ce livre qui aurait pu être un retour en mélancolie, est un voyage dans la grâce. Sofi Oksanen, Quand les colombes disparurent, Livre de Poche, 7,90 euros 1941. Deux cousins, Roland et Edgar, ont déserté l’Armée Rouge pour rejoindre les rangs des « frères de la forêt » afin de lutter avec la résistance estonienne. Si, le premier, brave et dévoué a cet idéal d’indépendance, quels que soient l’époque et l’assaillant de l’Estonie, le second, opportuniste, revêtira un costume de caméléon, façonnant son identité au gré des vainqueurs. Chez Sofi Oksanen, la frontière entre les bourreaux et les victimes est toujours perméable. N’épargnant ni les hommes, ni les femmes, elle leur intime simplement de choisir entre être vivant ou amoureux. Mais, sous sa plume à la fois sensible et sauvage, les silences prennent voix, les recoins des caves et des forêts s’illuminent et la faiblesse jaillit de tous. Un roman implacable.

Policiers Francisco Gonzalez Ledesma, Des morts bien pires, Rivages, 21,50 euros L’inspecteur Mendez est vieillissant, son caractère ne s’améliore pas davantage. Relégué aux affaires de seconde catégorie et méprisé de ses collègues, il ne s’en offusque pas plus que ça, il a fait son temps. Le Barcelone qu’il a tant aimé, par contre, semble disparaître et c’est avec tristesse qu’il constate que sa ville change de mal en pis. C’est dans ce contexte qu’il est amené à résoudre le meurtre d’une prostituée et d’une petite fi lle. C’est un monde en pleine mutation auquel doit faire face notre inspecteur atrabilaire qui n’aime pas le changement. Ledesma propose un roman plus sombre que d’habitude mais Mendez demeure unique et émouvant. Moussa Konaté, Meurtre à Tombouctou, Métailié, 16 euros En novembre dernier s’éteignait Moussa Konaté. C’est donc son dernier et remarquable roman qui est édité ici, l’ultime enquête du commissaire Habib de Bamako. Notre commissaire s’intéresse au meurtre d’Ibrahim, assassiné sur la route qui mène à Tombouctou. Qui peut bien en vouloir à ce jeune homme si paisible ? En cette même journée à Tombouctou, on tire sur la fenêtre de la chambre d’hôtel occupée par un français. Les deux affaires ont-elles un lien ? C’est ici toute la tâche de Habib. Roman policier singulier nourri de culture touareg ancestrale et de modernité, rythme haletant, ambiance unique, Meurtre à Tombouctou est à lire absolument cet été. Moussa Konaté peut se targuer d’être parti avec classe et brio. 5


Policiers Massimo Carlotto, Le souffl e court, Métailié, 17,50 euros Ils sont quatre, italien, russe, indien et suisse. Ils sont les enfants issus des plus grandes familles mafieuses. Ils ont décidé de pratiquer le « métier » de leurs parents mais pas avec les mêmes méthodes. Fini le code d’honneur des aïeux, « l’éthique » du Milieu, ils veulent tout, tout de suite. Arrogants, violents, cyniques mais brillants, ils aiment l’argent. Ils ont choisi la ville de Marseille pour s’imposer. Face à eux B.B, non pas Brigitte Bardot, mais Bernadette Bourdet, commissaire aux méthodes plus que limite qui a décidé de rentrer en guerre avec cette jeunesse corrompue et malsaine. Massimo Carlotto signe là un très grand roman sur les nouvelles mafias et leurs protagonistes. Et c’est non sans humour que nous entrons dans un univers terrifiant mais passionnant. James Lee Burke, Creole belle, Rivages, 22 euros Retrouver Dave Robicheaux, c’est retrouver un bon ami ou écouter pour la énième fois une chanson qui nous tient à cœur. Et c’est justement avec une chanson que débute cette nouvelle enquête. Alors que Robicheaux se remet de quelques blessures à l’hôpital de la Nouvelle-Orléans, il reçoit la visite d’une jeune fi lle, Tee Jolie Melton. Encore malade et bien éprouvé, notre héros ne sait s’il a rêvé cette rencontre d’autant plus que la jeune femme est portée disparue depuis des mois. Mais lorsque la sœur de cette dernière est retrouvée morte, Dave Robicheaux entame l’enquête, obsédé de plus en plus par la chanson traditionnelle Creole belle laissée par Tee sur un ipod. Au-delà d’une intrigue policière bien classique mais efficace, Burke n’a jamais n’a jamais été aussi mélancolique et bouleversant avec ses personnages. C’est un grand polar que signe une fois encore l’écrivain de la Louisiane. Pieter Aspe, Dernier tango à Bruges, Albin Michel, 18 euros Pieter Aspe est très fort, lorsqu’on lit les enquêtes du commissaire Van In, on se croirait dans une grande ville comme New York ou Chicago. Pourtant nous sommes à Bruges. Après un voyage en Argentine, Hannelore Van In, épouse du commissaire, se prend de passion pour le tango et souhaite que son mari prenne quelques cours. Mais la danse passe après le travail car Van In doit enquêter sur la disparition d’un homme croulant sous les dettes de jeu. Pieter Aspe fait évoluer son commissaire dans le milieu des jeux, des scandales financiers et autres sphères d’argent sale. Humour omniprésent et personnages intrigants dans ces enquêtes belges qui se bonifient avec le temps. Bruges aussi exotique que l’Argentine toute entière ? 6


Textes de voyage Gerald Durrell, Trilogie de Corfou, 3 volumes, La Table ronde, 14 euros Gerald est le dernier des frères Durrell. La Trilogie de Corfou met en scène les cinq années passées à Corfou, en Grèce, suite à son départ d’Angleterre en 1935. De ces années partagées avec la fratrie, Gerald Durrell rapportera ce classique de la littérature anglaise. Un récit enchantant par son excentricité, un magnifique portrait de la Grèce, mais surtout un humour et une langue sans pareil.

Alexandre Bergamini, Nue India, Arléa, 16 euros En partant en Inde, le vagabond de Nue India est heureux de réaliser son rêve. Dès que ses pieds foulent ce pays qu’il a tant imaginé, la vie le saisit. Il a l’impression d’être « jeté dans la matrice d’un chardon brûlant ». L’odeur de l’Inde l’oppresse, putréfactions, excréments, épices, son corps imprègne toutes les brûlures. S’ensuivent le vacarme de la ville, les mains affamées, les corps estropiés, les culs-de-jatte mendiant, l’effroi de la survie et l’envie de repartir illico. Notre vagabond n’a pas d’autre choix que de désamorcer sa peur et de se laisser conduire comme un aveugle. Peu à peu sa peau se fraye un passage au milieu des regards noirs de curiosité et tout commence à advenir dans la douceur et la confiance. La rencontre peut alors avoir lieu. Ce journal n’est pas le récit d’un voyage, il est bien plus, une révélation de l’autre.

Raymond Maufrais, Aventures en Guyane, Points, 7,80 euros Raymond Maufrais s’embarque en 1946 pour le Brésil. Âgé de 20 ans à peine, il est admis dans une mission de pacification auprès des Chavantes, indiens réputés féroces. En 1949, il part seul à travers la jungle guyanaise vers des lieux encore inconnus. Il doit lutter contre la dysenterie, les pièges de la forêt et la faim. Affamé, il abat son chien et le dévore. Puis, il décide de rejoindre à la nage le premier village à plus de 70 kilomètres. On ne le reverra plus jamais. Son père, avec qui il s’est autrefois engagé dans la résistance, n’aura de cesse de le chercher jusqu’à sa mort. C’est un indien qui retrouvera par hasard les carnets de Maufrais au bord de la rivière. Aujourd’hui, ils nous sont livrés à l’état brut, ce qui donne à ce récit une force incroyable.

7


Essais Antoine De Baecque, La traversée des Alpes, Gallimard, 24,50 euros Le GR5 traverse les Alpes rejoignant le lac Léman à Nice. Depuis un siècle il est le symbole de la marche en montagne. Mais ce chemin ne fait qu’emprunter, se superposer à des traces multiséculaires, des voies de passages, qu’ont empruntées les marchands, les soldats, les exilés, les croyants, les proscrits... Pour écrire l’histoire de ce chemin, Antoine De Baecque a voulu l’éprouver avant, dans son corps. Lors d’une marche d’un mois, c’est pas à pas que le paysage et les questions qu’il soulève, se sont donnés à lui. Mêlant le récit de ce voyage et la synthèse historique, La traversée des Alpes offre une expérience fascinante au lecteur : faire se déployer au rythme de la marche, col après col, toutes les dimensions de la montagne. Céline Lafontaine, Le corps-marché, Seuil, 21,50 euros Aujourd’hui le monde vivant est devenu « une mine à exploiter », une bio-économie dont Cécile Lafontaine dresse un tableau inquiétant. Pour elle, l’industrialisation des processus vitaux consiste à mettre sur le marché le corps humain en pièces détachées. Ainsi, derrière les dons de tissus, d’ovules, de cellules, d’échantillons d’ADN se met en place une logique d’appropriation et de brevetage. Logique qui repose notamment sur l’exploitation du corps des femmes et des plus pauvres en une forme de cannibalisme technoscientifique. En résulte une nouvelle productivité : « plutôt que d’utiliser la force de travail des ouvriers, la bio-économie est fondée sur l’exploitation du vivant, la manipulation des gênes et des processus cellulaires. La vie ellemême est devenue la source de la productivité économique ». Cet essai dévoile les enjeux épistémologiques, éthiques et politiques sur ce qui se dessine aujourd’hui. Maurizio Lazzarato, Gouverner par la dette, Les Prairies ordinaires, 16 euros L’essai du philosophe italien Maurizio Lazzarato, Gouverner par la dette, est la suite d’un travail entamé dans son ouvrage La Fabrique de l’homme endetté. Pour lui « la spécificité de la crise de la dette est que ses causes sont élevées au rang de remèdes ». Autrement dit, le capitalisme ne nous libère pas de la dette, il nous y enchaîne. « La dette est une promesse qu’on doit honorer afin d’en contracter d’autres sans jamais pouvoir interrompre la fuite en avant. » La dette est ainsi à la fois exploitation économique et pouvoir de contrôle et de contrainte. La dette apparaît de la sorte comme infinie et impayable. Dans cet essai brillamment mené, Maurizio Lazzarato nous invite à repenser les formes du pouvoir face aux injonctions perverses du système. 8


Bande dessinée Christian de Metter, Rouge comme la neige, Casterman, 18 euros Colorado, 1896. Une femme est prête à tout pour retrouver sa fi lle disparue quelques années plus tôt, même à s’associer avec l’homme soupçonné de l’avoir enlevée ainsi que plusieurs autres enfants. C’est alors une grande traversée des Rocheuses qui commence en plein hiver et chaque personnage va peu à peu se dévoiler. Bien sûr les apparences sont trompeuses et les rebondissements sont nombreux dans ce magnifique western mené de bout en bout par un Christian de Metter au sommet de son art, qui signe là l’un de ses plus beaux albums. Ibn al Rabin, Frederik Peeters, Les miettes, Atrabile, 18 euros Une équipée sauvage composée d’un baron, d’un comte, de frères siamois (réunis après leur naissance), d’un alchimiste (qui transforme le plomb en un liquide jaune qui n’est pas de l’or...) et de quelques autres trublions dont je vous laisse découvrir la teneur, tente de détourner un train vers le Lichtenstein pour faire la révolution. Bien sûr rien ne fonctionne comme prévu et le plan pourtant bien rôdé tourne au fiasco. Une aventure rocambolesque, hilarante et totalement déjantée, menée tambour battant par le duo Ibn Al Rabin et Frederik Peeters. A lire de toute urgence, c’est jubilatoire ! Riad Sattouf, L’Arabe du futur, Allary, 20,90 euros Petite séance de rattrapage pour ceux qui n’auraient pas allumé leur poste de radio ou lu le journal ces dernières semaines et donc manqué l’immanquable Sattouf. Né d’une mère bretonne et d’un père syrien, Riad Sattouf a vécu la majeure partie de sa jeunesse en Lybie et en Syrie, là où son père a obtenu des postes d’enseignant en Histoire. Le premier volet de L’Arabe du futur est le récit parfois tendre et souvent cruel, mais toujours teinté d’humour et de l’autodérision chère à l’auteur, de cette enfance passée dans les dictatures naissantes de Kadhafi et d’El-Assad aux côtés d’un père qui croyait au panarabisme et rêvait son fi ls en « Arabe du futur ». Posy Simmonds, Literary life, Denoël, 22,50 euros Literary Life c’est un peu comme un paquet de bonbons, on l’ouvre, on pioche au hasard sans trop savoir sur quoi on va tomber... Peut-être quelque chose de doux ou bien ce sera un peu plus piquant, ce qui est certain c’est que c’est toujours agréable et qu’on a bien envie de replonger la main dans le paquet. Trois ans des chroniques hebdomadaires de Posy Simmonds dans The Guardian Review sont ici réunies pour notre plus grand plaisir. Comme les friandises, c’est bon pour le moral mais avec l’auteure britannique, aucun risque d’indigestion. A consommer sans modération ! 9


Jeunesse Rose Lagercrantz, Eva Eriksson, Mon cœur ravi, Medium, 9 euros, 6-7 ans Dunne est mélancolique, sa meilleure amie Ella Frida a déménagé. Et les deux pestes de sa classe en profitent pour la molester. Mais quand Dunne décide de répliquer c’est la catastrophe… On trouve dans ce livre de charmantes scènes de la vie quotidienne, comme Rosa Lagercrantz sait si bien les raconter (voir Ma vie heureuse collection Mouche en poche). Un ton chaleureux, des personnages vivants, pleins de ressources et une amitié inébranlable qui s’étoffe à chaque opus.

Arnaud Alméras, Jacques Azam, Antonin contre le docteur Morceau, Nathan, 9,90 euros, 8-9 ans C’est en sortant de la bibliothèque où il venait d’emprunter Le comte de Monte Cristo qu’Antonin se fait kidnapper par un lutin. Celui-ci l’emmène sur l’île du terrible docteur Morceau. L’horrible personnage procède à d’épouvantables expérimentations sur les animaux mais ce n’est que le début… Une histoire loufoque et savoureuse racontée avec autant d’humour par le texte que par les illustrations façon bande-dessinée de Jacques Azam.

Marine Carteron, Les autodafeurs t1, Rouergue, 14 euros, 13-14 ans Auguste est un jeune adolescent de 14 ans qui vit avec ses parents et sa jeune sœur, Césarine, atteinte du syndrome d’Asperger. A la mort de leur père – un assassinat déguisé en accident ? - ils partent se réfugier chez leurs grands-parents. Mais l’antique bâtisse familiale n’est peut-être pas le havre de paix espéré. L’intrigue qui ne manque ni de relief ni d’humour est racontée soit par Auguste lui-même, soit par Césarine au travers de son journal intime, et emporte l’adhésion d’un lecteur aussi effrayé qu’amusé. Glaçant et jubilatoire.

Georges, la compil n1, Grains de sel, 13,90 euros, pour petits et grands Georges est une revue pas comme les autres. Une maquette éclatée aux petits textes disjoints, des dessins qui cohabitent avec des recettes de cuisine, des chapitres « ludiques » avec devinettes, jeux et bricolages. Le tout rehaussé par la crème des illustrateurs jeunesse. Votre enfant va sans aucun doute l’adopter et c’est tant mieux !

10


Jeunesse Isabelle Gil, Les vacances, Loulou et Cie, 9 euros, 0-3 ans Sur la page de droite, un texte court et rythmé, sur la page de gauche la photo d’une famille escargot partant en caravane réalisée en pâte à modeler. La récupération de matières et d’objets de consommation courante comme des rideaux en papier toilette ou les maisons en noix de coco est à la fois naïve et malicieuse. Le caractère enfantin du procédé sert un petit ouvrage dynamique et très amusant destiné aux tout-petits. Olivier Tallec, Qui quoi qui, Actes sud junior, 12 euros, à partir de 3 ans Qui est amoureux ? Qui est arrivé trop tard dans les toilettes ? Un petit album de devinettes au demeurant fort simples. L’audace des situations, la cocasserie des figures, amuseront les petits. La mise en page originale, le caractère fantaisiste séduiront les plus grands. Et en cas de panne petits et grands trouveront les solutions dans les dernières pages. Une belle réussite. Muriel Bloch, Aurélia Fronty, L’enfant, le jaguar et le feu, Magnard jeunesse, 16,90 euros, à partir de 7 ans Voici un magnifique conte brésilien raconté avec talent par Muriel Bloch, où on découvre comment le feu fut volé au jaguar par l’homme. La simplicité d’un texte poétique et la beauté grave des illustrations s’allient pour peindre l’exotisme de cette légende amazonienne. La relation du texte et de l’image devient parfaite, le résultat est éblouissant. Isabelle Simler, Des vagues, Courtes et longues, 22 euros, dès 3 ans Un album dont le charme repose principalement sur l’illustration : comment avec des crayonnés colorés contempler le calme et la lenteur des fonds marins turquoise. De beaux aplats de couleur, un texte minimaliste qui détaille avec précision l’espèce marine croisée et on plonge avec délice dans le silence de la mer à la recherche de sensations nouvelles.

11


© Jean-Pierre Bonfort, Valmy, Marne

Alors que la BNF présente son dernier travail, Sur les pas de Louis Barthas, Le Square offre ses murs au photographe Jean-Pierre Bonfort. Une sorte de rétrospective buissonnière où l’on appréciera son goût du paysage, son jeu sur les couleurs... « Cette alchimie entre la prise de vue et le tirage me permet d’obtenir une couleur approximative, voire imaginaire et un rendu particulier de telle sorte que l’on ne sait plus très bien si on a à faire à du pastel, de la gravure, de la photographie, du dessin ou de l’aquarelle. Ce qui fait aussi tout à fait mon affaire. » J.P. Bonfort L’exposition se tient du 2 juin au 30 août. Horaires d’été du 7 juillet au 30 août : du Mardi au Samedi : 10 h - 13 h/14 h - 19 h L’équipe du Square a rédigé toutes ces chroniques. La réalisation graphique est de Raphaële Bruyère – If if between. La Gazette du Square bénéficie du soutien de la Région Rhône-Alpes.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.