Gazette rentrée 2012 - Librairie le Square

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La Gazette

Septembre 2012

du Square mail : libsquar@club-internet.fr - site : www.librairielesquare.fr

SPECIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE

Inauguration du Méliès les 21, 22, 23 septembre. Des séances exceptionnelles en présence de Nicolas Philibert, Gilles Perret, Michel Ocelot...Des cinéastes que vous pourrez retrouver à cette occasion dans notre librairie Cinesquare !

Gros plans Mathias Enard, Elsa Osorio Lionel Duroy, Juan Gabriel Vasquez Coups de coeur littérature romans français, romans étrangers, premiers romans Rencontres Elisabeth Hamidane et Yann Liotard, Antoine Choplin,Gwenaëlle Aubry, Julia Deck et Yassaman Montazami, Lionel Duroy, Dominique Bourgois et Linda Lê, Sabine Wespieser et Michèle Lesbre, Irène Lindon et Hélène Lenoir,Liana Levi et Lucile Bordes Mathias Enard, Elsa Osorio, Jean-Philippe Stassen,Jacques Lamalle, Nasser Djemaï, Johann Chapoutot et Aurélien Lignereux

LIBRAIRIE LE SQUARE


GROS

PLAN N.Trigeassou “Qu’est-ce qu’on cherche dans les déplacements, que veut-on dans les voyages […] ?” L’alcool et la nostalgie. “Il faut accepter les voyages qui sont l’autre nom du destin.” Rue des voleurs. Se penchant sur sa (courte) vie, Lakhdar, le personnage principal de son dernier roman, Rue des voleurs, nous dit : “Je suis ce que j’ai lu, je suis ce que j’ai vu”. Pour Mathias Enard aussi la lecture a pu précéder l’expérience. On peut imaginer que seuls les livres permettaient l’accès à l’ailleurs au cours d’une enfance passée dans les années 80 au milieu d’une plaine niortaise, bien dépourvue de rivage. Et peut-être l’esprit échauffé par Bourlinguer, le jeune homme a vu dans l’étude de l’arabe et du persan à Langues O le moyen du départ. Iran, Beyrouth, Syrie…les séjours se sont ensuite multipliés. Puis il s’installe, il y a plus de dix ans, à Barcelone, où il enseigne à l’université. Une métropole, mais aussi un port, autrement dit un lieu de transit, d’où il ne cesse d’arpenter cette Méditerranée dont il s’est fait le chantre. Avec une littérature qu’il conçoit comme un miroir pour embrasser (embraser ?) le monde.

Chez lui, l’espace se lit dans la littérature et la littérature doit dire l’espace, c’est pourquoi il est toujours question de voyage. Prenons son roman le plus spectaculaire, Zone, un long chant (près de 500 pages) sans ponctuation (mais avec des majuscules permettant des suspensions) qui fait du voyage en train d’un homme le lieu d’où raconter un siècle de guerres autour de la Méditerranée. Pour écrire ce monument, Enard a d’abord, selon la méthode qui est toujours la sienne, été recueillir des récits, multipliant les entretiens. Des récits qui montrent à quel point en Méditerranée, tout est lié, relié par la magie d’une Histoire en commun. Parce qu’un récit appelle nécessairement l’autre, le roman doit prendre la forme d’un voyage, en se glissant dans celle du texte fondateur, l’Odyssée et son oralité. Et on peut ainsi lire l’oeuvre d’Enard comme des voyages suscités par la littérature pour faire, dans une relecture, l’expérience du monde. Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, avec son titre emprunté à Kipling, est né de la lecture d’une page de Vasari : Michel-Ange aurait pu être invité par le sultan de Constantinople pour construire un pont. Ou encore refaire, en reprenant sa violence et même ses vers, le voyage de la Prose du Transsibérien, dans l’Alcool et la nostalgie,un titre par ailleurs dû à Tchekhov. La Méditerranée, c’est aussi un espace de frontières, de conflits. Il est souvent question de guerre (son premier livre auscultait la déshumanisation d’un sniper) mais l’affrontement peut également se jouer dans l’expérience de l’Autre. Le voyage de Michel-Ange n’est-il pas un saut dans l’inconnu barbare musulman par un génie de l’occident chrétien ? Et bien souvent chez Enard, ces écarts se vivent dans l’amour et la rencontre des corps. Et ce voyage dans la géographie se fait aussi dans les mots. Si les formes varient d’un livre à l’autre, une écriture s’identifie de suite. Une narration à la première personne, un recours au présent pour faire éprouver au lecteur le cheminement. Et surtout, cette langue, une langue des sens, incantatoire, répétitive, et qui dans son dernier roman se fond dans toutes ces circulations, faite de français, d’espagnol, d’arabe… Rue des voleurs a été écrit dans l’urgence. Né d’une nécessité, réagir à la violence du suicide de Mohamed Bouazizi, il a été écrit avec la conviction, que seule la fiction pouvait dire le très contemporain. Pour faire la chronique d’une année de tumultes, les révolutions arabes, les révoltes de la jeunesse en Europe, Enard reprend la forme du voyage. Des siècles après Ibn Battûta, un jeune Marocain traverse un espace en crise. Et ce cheminement nous est raconté du futur, à rebours, avec la sagesse de celui qui a vu. Lakhdar est un jeune de Tanger, cette fenêtre vers l’Europe, dont l’ennui n’est troué que par les livres et la recherche de l’amour. Surpris nu avec sa cousine, il est chassé par sa famille, et il se retrouve, seul, perdu, chien parmi les chiens. Commence alors une errance au cours de laquelle il croise des islamistes, l’entre-monde du détroit, le commerce de cadavres de migrants et une révolte molle en Espagne… Mais surtout il affirmera au cours de cette odyssée son refus d’une destruction d’un monde et sa liberté de s’y opposer. Et avec toute sa puissance, Enard réussit dans ce voyage Au coeur des ténèbres à l’envers, à renverser les perspectives et faire d’un héros complexe, le défenseur d’un humanisme arabe. Espoir nécessaire car rarement la domination et le désarroi d’un jeune arabe n’avait été dit avec une telle violence. Eblouissant.

“Je suis ce que j’ai lu, je suis ce que j’ai vu, j’ai en moi autant d’arabe que d’espagnol et de français, je me suis multiplié dans ces miroirs jusqu’à me perdre ou me construire, image fragile, image en mouvement”. Rue des voleurs.

Bibliographie La perfection du tir, Actes Sud, 2003, Babel, 2008 Remonter l’Orénoque, Actes Sud, 2005 Bréviaire des articiers, Verticales, 2007, Folio, 2010 Zone, Actes Sud, 2008, Babel, 2010, Prix Décembre, Prix du Livre Inter Parle-leur de batailles, de rois, d’éléphants, Actes Sud, 2010, Prix Goncourt des Lycéens Rue des Voleurs, Actes Sud, 2012


F.Folliot

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Elsa Osorio est née en 1953 à Buenos Aires. Après des études de littérature, elle devient journaliste, scénariste pour le cinéma et la télévision et romancière. Auteur de nombreux romans dans son pays, elle a reçu plusieurs prix en Argentine, notamment le prix national de littérature pour Luz ou le temps sauvage, publié par les éditions Métailié en 2000. Elle vit entre Madrid et l’Argentine. La littérature d’Elsa Osorio se nourrit à plusieurs sources. Celle tout d’abord bien réelle de l’histoire de son pays et plus précisément de la dictature qu’elle dissèque au scalpel, en quête de vérité pour dépasser l’horreur de la tragédie collective qui a frappé son pays et donner sens à des parcours individuels tournés vers une forme d’espoir. Ainsi dans Luz ou le temps sauvage, Elsa Osorio nous conte le cheminement de Luz, fille de disparus, enlevée à ses parents et donnée à un couple proche du pouvoir.

Le roman polyphonique de l’écrivain nous fait entendre dans une même progression, la voix de Luz, adulte, celle de Carlos, son père retrouvé mais aussi à travers le récit qu’elle lui fait de ce qu’elle a découvert, celle de Maria, la pute au grand coeur, celle de «la bête» exécuteur des basses oeuvres ou encore celle d’Eduardo, père adoptif naïf et tourmenté et de Mariana, mère de substitution soumise aux idées nauséabondes des militaires. C’est tout un univers qui se déploie, ouvert par Luz, dans une construction narrative éblouissante qui ne laisse au lecteur aucun répit. Restituant pensées intérieures et paroles des protagonistes les multiples voix donnent une épaisseur et une réalité insoutenable parfois à l’histoire sombre et douloureuse du peuple argentin. Cette veine historique et politique, bien qu’embrassant une période beaucoup plus vaste est à la source du dernier roman d’Elsa Osorio, La Capitana. Le personnage central du roman, Mika, ou plus précisément Micaela Feldman de Etchebéhère (1902-1992) a réellement vécu. Révolutionnaire magnifique, elle a vécu en Patagonie, à Berlin, en Espagne, suivant la révolution partout où elle s’embrasait. Femme au courage exemplaire, passionaria éperdument amoureuse de son mari, elle a vécu avec lui à Paris dans les années trente puis ils ont rejoint Berlin. Entre les désaccords des communistes staliniens et trotskistes qui s’étripent et la montée du nazisme, leur militantisme idéal est mis à mal. Ils rejoindront finalement les combattants du POUM dans la guerre civile espagnole. C’est là que Mika, novice dans la guerre réelle, va avec une rare intelligence et une générosité sans faille faire l’admiration des hommes qui l’entourent et devenir chef de miliciens. Courageuse, humaine, intègre, elle impose à une époque difficile et dans un milieu encore fermé aux femmes sa force et son courage. Ecrit à travers plusieurs voix, La capitana, outre le magnifique portrait de Mika est une traversée particulière du militantisme révolutionnaire du vingtième siècle. Il met en perspective toute une époque, revenant sur les compromissions

Bibliographie Aux éditions Métailié : Luz ou le temps sauvage, 2000, Suites, 2012 Tango, 2007 Sept nuits d’insomnie, 2010 La Capitana, 2012

des hommes et les manipulations politiques dans une époustouflante fresque habitée à la fois par le souffle épique d’un personnage hors du commun et l’amour puissant unissant mari et femme. Comme dans Sept nuits d’insomnie, La Capitana puise ainsi à la deuxième source d’inspiration d’Elsa Osorio, le souffle magique de l’amour, l’exaltation des rêves dans un monde où tout sera possible. Quête de vérité, exigence intellectuelle, engagement, beaucoup de ces traits pourraient s’appliquer autant à Mika qu’à Elsa Osorio qui avec ce dernier roman traduit chez Métailié par François Gaudry confirme un très grand talent d’écrivain et une maîtrise narrative remarquable.


GROS

PLAN L.Blondel Voila plus de vingt ans que Lionel Duroy écrit des livres. Cet écrivain discret né à Bizerte en 1949 s’est peu à peu imposé sur la scène littéraire jusqu'à l’énorme succès de son roman Le chagrin en 2010. Vingt années de publication mais probablement un peu plus d’écriture. Ecrire est d’ailleurs le titre d’un de ses livres où il raconte cette passion, addiction et surtout libération que lui procure l’acte d’écrire mais nous restons loin du poncif de l’écrivain sauvé par l’écriture, Duroy est humble et modeste. Toute sa vie il aura écrit sur le couple et la famille, la sienne notamment. De Priez pour nous à Chagrin ou encore dans Colères, la relation familiale est traitée, observée dans son ensemble, elle n’est jamais malsaine . Mais Lionel Duroy n’est pas qu’un écrivain de la famille. Reporter, il a aussi écrit sur des affaires criminelles ou encore couvert des conflits. Il a notamment consacré un très beau récit en 1994 à la guerre en Bosnie.Aujourd’hui Lionel Duroy publie L’hiver des hommes, un roman exceptionnel et stupéfiant sur les enfants de criminels de guerre.

Marc, le personnage principal, écrivain part à Belgrade pour enquêter sur la mort d’Ana Mladic, fille de Rathko Mladic responsable du massacre de Srebrenica. En allant en république Serbe de Bosnie, Marc aborde non seulement certains acteurs de l’horreur mais il écoute aussi une population d’une part meurtrie, d’autre part farouchement nationaliste.Il rencontre notamment Ljiljana Bulatovic, biographe et admiratrice de Mladic qui l’emmène voir une parodie ridicule de procès où Bosa et Darko Mladic, femme et fils du « bourreau des Balkans » sont accusés de détention d’armes. Ce « procès » tourne court, les protagonistes, qui ont l’habitude de se rendre au tribunal, sont relâchés, la salle composée de militants et d’anciens généraux sont en joie, l’absurde de la situation est à l’image de ce que verra Marc tout au long de son périple. Mais c’est Ana Mladic qui hante Marc. Pourquoi cette jeune femme de 23 ans décide t’elle de se suicider avec l’arme favorite de son père, a-t-elle réalisé à ce moment là l’atrocité commise par son père ? La réponse est difficile a trouver mais Marc se souvient du témoignage de Michael Frank, second fils de Hans Frank ministre du Troisième Reich surnommé « le bourreau de la Pologne ». Michael Frank prend véritablement conscience des actes orchestrés par son père le jour où il voit des photos d’Auschwitz. Il sait que ce n’est pas de la propagande, la réalité est là, insupportable mais bien réelle. C’est peut-être aussi pour Ana Mladic la découverte du massacre de Markale, marché couvert de Sarajevo, organisé par son père, qui la pousse au suicide. Se souvenant encore d’un mot de Michael Frank à propos du suicide de son frère : « Il est mort du père, aucun de nous n’arrive à s’en débarrasser ». L’hiver des hommes restera comme un des grands romans sur la guerre et l’illusion idéologique et Duroy, tout discret soitil, continue une oeuvre forte. “Ce soir-là, de retour à mon hôtel, je relis les témoignages des enfants d’autres criminels de guerre pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer dans l’esprit d’Ana Mladic. Ainsi je constate que ce n’est qu’après l’arrestation de leur père, au mois de mai 1945, que les enfants Frank ont soudain pris conscience du double visage de celui-ci : un homme aimant d’un côté, attentif aux siens, sensible et cultivé ; un criminel épouvantable de l’autre.” L’hiver des hommes

Bibliographie sélective Priez-pour nous, Barrault, 1990, J’ai Lu, 2011 Il ne m’est rien arrivé, Mercure de France, 1994 Un jour, je te tuerai, Julliard, 1999, J’ai Lu, 20111 Trois couples en quête d’orage, Julliard, 2000, J’ai Lu, 2011 Méfiez-vous des écrivains, Julliard, 2002, J’ai Lu, 2011 Le cahier de Turin, Julliard, 2003, J’ai Lu, 2012 Ecrire, Julliard, 2005 Le chagrin, Julliard, 2010, J’ai Lu, 2011 Colères, Julliard, 2010 L’hiver des hommes, Julliard, 2012


F.Calmettes

PLAN

GROS

Né en 1973 à Bogota, Juan Gabriel Vásquez est l'un des romanciers les plus prometteurs de la nouvelle littérature colombienne. Exilé de Colombie depuis ses vingt-trois ans, il vit aujourd’hui à Barcelone où il s'est installé après des études de lettres à la Sorbonne et trois années passées dans les Ardennes entre France et Belgique. Son premier roman, Les dénonciateurs, paru aux éditions Actes-Sud en 2008, lui a valu une reconnaissance internationale. Ce roman était une plongée bouleversante dans la Colombie des années quarante, lorsque ce pays dressa une liste noire de tous les exilés allemands pouvant nuire. Déjà, Juan Gabriel Vásquez cherchait à interroger les fondements mêmes de la Colombie d'aujourd'hui. Puis, en 2010 paraissait aux éditions du Seuil Histoire secrète du Costaguana avec lequel il obtient le prix Querty du meilleur roman en langue espagnole ainsi que le prix Fundacion libros y letras de la meilleure oeuvre de fiction. Dans Les amants de la toussaint, publié en 2011 aux éditions du Seuil, Juan Gabriel Vásquez s’est livré avec élégance à l'écriture de nouvelles. Ces nouvelles abordaient les thèmes de la solitude, la culpabilité et l'amitié,et cette fois,elles se déroulaient à Paris et en Belgique. A n'en pas douter, Juan Gabriel Vásquez est doué pour l'écriture, capable de changer de forme et de rythme, pour mieux nous embarquer dans ses questionnements et son univers. Pour son dernier roman qui parait à la rentrée, intitulé Le bruit des choses qui tombent, il a reçu en Espagne le prestigieux prix Alfaguara. Ce roman évoque les cicatrices laissées sur le corps par la violence et par la corruption. Des cicatrices autant métaphoriques que littérales. On plonge ainsi au coeur de la violence, malgré les deux histoires d'amour racontées, et ceci dans un va et vient constant entre passé et présent. Se dégage de ce roman de violents contrastes alors même que la forme stylistique semble d'une grande maîtrise et d'une profonde rationalité. Il en découle l'expression d'une myriade d'obsessions et de peurs que les masques de la fiction parent à merveille. Tout commence lorsqu'un hippopotame échappé de l’ Hacienda Nápoles, qui n'est autre que l'ancien zoo de Pablo Escobar, est tué par des hommes lancés à sa recherche. Il revient alors à l'esprit d'Antonio Yammara l'image de son partenaire de billard, Ricardo Laverde, un homme secret qui s'est fait descendre sous ses yeux. Antonio, lui, a continué sa vie avec une cicatrice enfouie mais tenace. Il est devenu, depuis, un homme apathique et taciturne, incapable de trouver sa place dans le monde. Pourquoi moi, se demande-t-il ? Qu'a t-il bien pu se passer dans ce pays pour que le seul fait de sortir de chez soi représente un danger ? Antonio éprouve alors le besoin de s'immiscer dans la vie de Ricardo Laverde pour tenter de comprendre la sienne. Ainsi débute une enquête qui nous entraîne aux racines du narcotrafic colombien et seule cette recherche des origines du conflit permettra à Yammara d'assumer sa douleur. Antonio retourne donc dans le passé de son compagnon de billard, dans celui de sa femme et de sa fille, mais tout autant dans celui de tout un peuple. En explorant les ressorts de la cupidité, de l'ambition et de la peur, Juan Gabriel Vásquez, pénètre dans le territoire de l'irrationalité de la violence sans jamais lâcher une écriture fine et précise. Le bruit des choses qui tombent n'est pas un sermon facile sur le narcotrafic. Il s'agit plutôt d'une manière méticuleuse d'observer sans préjugés les causes et les effets tout autant que les dilemmes. Les vies croisées de Yammara et de Laverde dressent le portrait d'une Colombie gangrenée par le fléau de la violence. Ces vies croisées sont aussi, à l'image de la couverture, comme les trajectoires des boules de billard, qui percutées donnent un effet, un principe d’engrenage modifiant toute la lecture d’une table. Toute la vie peut être alors perçue comme un jeu de billard ou chacun développe sa propre méthode pour rester dans la partie. Avec ce roman, Juan Gabriel Vásquez, nous offre une fiction à la tonalité subtile qui met en mots la violence ordinaire de son pays. D'une bouleversante maîtrise.

Bibliographie Les dénonciateurs,Actes Sud, 2008 Histoire secrète du Costaguana, Seuil, 2010, Points, 2012 Les amants de la Toussaint, Seuil, 2011 Le bruit des choses qui tombent, Seuil, 2012


COUPS

DE COEUR Partages, Gwenaëlle Aubry, Mercure de France, 17,50 € Le roman se déroule pendant la seconde intifada. Tout divise et tout réunit à la fois Leila, née et grandie dans un camp en Cisjordanie et Sarah, jeune juive née à New-York et revenue en Israël avec sa mère après le 11 septembre. Elles ont reçu en partage le lourd héritage d’une communauté qui souffre. Chacune porte la mémoire d’un peuple et d’une histoire tragique, chacune cherche sa voie dans un monde déchiré. Héroïnes d’une histoire qui les dépasse, ces deux toutes jeunes-filles iront au bout de ce qui les oppose, dans une traversée terrible alors qu’elles éprouvent une même présence à la vie dans les instants fragiles et lumineux du quotidien. Construit admirablement sur cette ligne de partage, le roman de Gwenaëlle Aubry fait alterner deux voix qui en même temps qu’elles marquent un peu plus l’éloignement des deux cheminements sensitifs et intellectuels vont dans le cours de la narration se rapprocher dans des chapitres de plus en plus courts. Elles vont se mêler ces voies d’une page à l’autre pour finalement se rejoindre géographiquement dans la ville de Jérusalem qu’ arpentent Leila et Sarah. Deux visages qui se superposent, des évènements qui s’accélèrent jusqu’à un dénouement inéluctable ; le destin de Leila et Sarah raconté de l’intérieur des têtes et des corps par une écrivaine comme habitée par ses personnages nous frappe violemment. C’est une tragédie antique qui nous est contée où toute chose prend une dimension essentielle. F.F.

14, Jean Echenoz, Minuit, 12,50 € A propos de l’oeuvre d’Echenoz, on parle souvent de cycles. Après les variations sur les genres, policier, roman d’aventures… Echenoz s’est consacré aux “ vies imaginaires “, réussissant à faire des vies réelles dont il s’emparait des personnages de son propre univers, à savoir autant d’avatars d’une même solitude. 14 marque une rupture. Echenoz s’affronte au réel, à l’Histoire (la Grande Guerre) et aux exigences d’une mise en scène, le romanesque. Il s’agit de raconter la vie et le destin de cinq hommes livrés au combat et d’une jeune femme laissée à l’arrière. Et comment ? en se jouant des contraintes du romanesque ! Il faut monter des scènes de batailles, se faire confronter des personnages, le maître magicien peut tout faire. Il appuie sur toutes les touches de l’orgue pour faire exploser en d’incroyables scènes de combat le cataclysme, il sait mobiliser tous les ressorts sociaux, sentimentaux, pour développer des destins. Couper, monter, couper, et réussir à recueillir ce qui fait le chaos : le quotidien de la peur, l’éternité des fêlures et in fine le triomphe de la vie sur la cicatrice. 14 a désormais son Quatre-Vingt Treize, il ne fait lui que 120 pages, c’est l’essence du génie. N.T.

La nuit tombée, Antoine Choplin, La Fosse aux ours, 16 € La nuit tombée, selon Antoine Choplin, est cette nuit d'épouvante tombée sur l'Ukraine en 1986, transformant la région en no man's land radioactif. Deux ans plus tard, Gouri, écrivain public à Kiev retourne à Pripiatt, son village, devenu ville morte. Voyage dans un espace de désolation, villages vidés de leurs habitants mais où la nature magnifique semble prendre le dessus sur les horreurs faites par l'homme. Voyage dans le temps également, où Gouri se souvient de ses jours heureux passés dans son appartement avec sa femme et sa fille malade pour qui il fait le trajet sur sa moto attelée d'une remorque brinquebalante. Antoine Choplin, avec une économie de moyen témoigne de la gravité de l'évènement sans jamais le nommer, de l'horreur des vies anéanties et de l'absurdité de la nécessité "d'enterrer la terre", un travail patriotique effectué par des ouvriers condamnés à l'avance. Mais l'auteur n'oublie ni l'amitié indéfectible entre les personnages ( des retrouvailles qui s'arrosent à la vodka), ni la beauté de la campagne ukrainienne sous l'éclat de la lune, à la nuit tombée. Une beauté à la simplicité crépusculaire. C.M.


Peste & choléra, Patrick Deville, Seuil, 18 € Une scène d’ouverture géniale. Juin 1940, au Bourget, un vieil homme, Alexandre Yersin monte dans le dernier avion qui s’envolera de France, destination Saïgon et plus loin son refuge, Nha Trang. Crépuscule d’une vie, fin d’un monde, celui qui jeune chercheur de l’Institut Pasteur découvrit le bacille de la peste revient sur sa vie, alors que le monde est en train de succomber à la peste brune. Les livres de Patrick Deville sont écrits de l’entremêlement de destins qu’il révèle (sauve ?) et met en échos. Et de certains, on a l’impression que Deville ne donne à voir qu’une infime partie de ce qu’il a recueilli. Cette fois, il déploie un parcours et Peste & Choléra ne raconte pas des Vies parallèles mais une vie et ses parallèles. Alexandre Yersin avait le génie pour accumuler les découvertes au sein des Pasteuriens mais l’ailleurs était un appel bien plus fort. Comme chez le Tesla d’Echenoz, l’altruisme le dispute à une confiance boursouflée en son ego. Mais lui cherche à se fuir, dans une curiosité encyclopédique et un départ toujours renouvelé. Une fuite, voyage inversé, qui à rebours de Rimbaud, le fera finir par se consumer dans ses derniers jours dans la littérature. Il devient alors difficile de ne pas lire dans ce magnifique récit une confession autobiographique. N.T.

DE COEUR

COUPS

A quoi jouent les hommes, Christophe Donner, Grasset,22 € Avec A quoi jouent les hommes, Christophe Donner aborde cette rentrée avec un roman dont le thème principal est le jeu, la course hippique. Sur cinq cent pages ce pari ci était plus que dangereux et pourtant amateurs ou non de courses et de chevaux trouveront leur compte dans ce génial roman qui ne se repose jamais. On apprendra que le petit Christophe va aux courses avec son pépé qui ne touchera jamais un quarté même dans le désordre et comme un bel hommage il se mettra à jouer luimême. Puis habilement Donner nous plonge en plein XIXème siècle où l’on rencontre Joseph Oller et Albert Chauvin, deux hommes d’affaires passionnés de courses. Autour d’eux gravitent des anonymes mais aussi des personnages célèbres comme Toulouse Lautrec, les frères Rothschild, Zola…C’est une société en pleine mutation que l’on retrouve sur les terrains de jeu. De l’arrivée du trot à l’hippodrome de Vincennes qui fit grand bruit au travail des bookmakers, l’écrivain raconte sans jamais nous lasser dans son style si classique et si beau. L.B.

L’ardeur des pierres, Céline Curiol, Actes Sud, 19 € Trois personnages : Sidonie, Kanto et Yone. Deux objets : des pierres interdites. Une ville : Kyoto. Vu sous cet angle voici un roman simple. Sidonie, jeune femme française et noire, part au Japon pour faire un voyage dont elle rêve depuis longtemps. Kanto et Yone sont voisins d’immeuble. Le premier est jardinier, métier très noble au Japon. Le second, fils d’un grand sculpteur, se voudrait écrivain mais se contente pour l’instant de lire sans fin sa première phrase de moins en moins prometteuse. Difficile d’écrire la vie d’un meurtrier quand on n’a jamais tué soi même… Kanto s’échappe au bord d’une rivière et déterre deux pierres. Deux pierres qu’il ne devrait pas toucher. Deux pierres qui se déforment étrangement au grè du hasard. Deux pierres qui vont plonger Kanto dans un flou total. Ces deux hommes ont chacun leur tour aperçu Sidonie dans un café. Sa peau noire les fait fantasmer. Ils s’imaginent une chanteuse noire américaine issue de Brooklyn. Là où la parole et la connaissance font défaut les fabulations prennent place et ne sont pas sans faire sourire. Céline Curiol crée des ponts et des liens, des méandres et des culs-de-sac sans fin, des fils et des barrières qu’elle manie telle une magicienne pour nous perdre et nous laisser rêveur. Un roman écrit à la façon japonaise avec cette poésie et ce goût de l’étrange, par une jeune française très talentueuse qui sait façonner des personnages profonds et s’imprégner d’une culture aussi lointaine que la japonaise. Un roman mêlé d’influences tel que Murakami ou Ogawa sur l’héritage et l’acceptation des différences. A.G.

Ciseaux, Stéphane Michaka, Fayard,19 € Formidable livre que ce Ciseaux de Stéphane Michaka qui met en scène l’écrivain Raymond Carver. Du fond de la clinique où il tente pour la énième fois de se débarrasser des démons de l’alcool, Carver écrit à sa femme et à son éditeur. Ce dernier surnommé ciseaux pour sa propension à faire de vives coupes sur les textes des auteurs, aura rendu Carver complètement ivre de colère. Leur correspondance est rude, violente, drôle aussi. C’est cette ambiance que restitue Michaka avec une économie de mots qui offre un roman limpide et passionnant. Il est aussi possible de lire toute l’oeuvre de Carver aux éditions de l’Olivier qui depuis quelques années réédite poèmes et nouvelles,sans ces fameuses coupes. L.B.


COUPS

DE COEUR Viviane Elisabeth Fauville, Julia Deck, Minuit, 13,50 € Comment peut-on avoir commis l’irréparable et pourtant demeurer invisible ? Une femme vient de tuer son psychanalyste dans un accès incontrôlé de colère. On la voit se balançant dans une pièce nue sur un rocking-chair son bébé dans les bras. Se ressaisir, “rassembler les débris”. Elle qui d’ordinaire subit, n’habite que par intermittences son corps, il va falloir agir. Alors qu’elle s’attend à être rapidement arrêtée, la police l’écarte de l’enquête et se concentre sur d’autres suspects. Elle entreprend alors de les suivre à son tour, les prenant en filature dans Paris. Tentative désespérée d’une remise en ordre contre les forces de l’ordre, ce roman raconte une femme qui perd pieds. Comment dire cette folie ? Non en la déversant mais en la convoquant. Viviane Elisabeth Fauville n’a pas qu’un prénom double, elle est multiple. Et Julia Deck nous la fait se débattre entre plusieurs pronoms. Au “vous” de la passivité, succède un “je” entreprenant. Et illusoire comme l’est cette obsession de mesurer temps et espace – elle planifie tous ses déplacements : car, quelle maîtrise a-t-elle de la réalité et n’en a-t-elle jamais eue ? Un roman fascinant par les détours et variations qu’il propose et surtout la certitude de découvrir avec cette perfection formelle et cette économie de la langue, un écrivain. N.T.

Le meilleur des jours, Yassaman Montazami, Sabine Wespieser, 15 € Le meilleur des jours, c’est la traduction en persan de Behrouz, prénom donné au père de Yassaman Montazani, incroyable personnalité évoquée par une fille admirative qui fut une enfant éblouie. Né en Iran, exilé à Paris où il poursuit une thèse monumentale qu’il ne finira jamais, Behrouz reçoit chez lui les exilés iraniens. Beau parleur, charmeur, n’ayant jamais travaillé de sa vie, idéaliste généreux, révolutionnaire en chambre, il inspire une sympathie quelquefois teintée d’agacement. L’écriture légère, précise, fine et parfumée de Montazani nous restitue un temps révolu où des réunions politiques réunissent autour de Behrouz toutes les composantes du marxisme et du communisme. Débats animés, cris, gaieté, c’est dans une joyeuse ambiance «foutraque» que Yassaman évolue sans parler des personnages totalement improbables comme la veuve d’un colonel ou un poète mystique qui l’entourent. Toute une époque que la langue de Yassaman convoque avec drôlerie et tendresse afin que vive encore ce diable de Behrouz. En filigrane, c’est aussi et plus gravement l’histoire de l’Iran qui se dessine, la chute du Sha mais l’avènement d’une révolution qui n’est pas celle que souhaitait Behrouz, mais celle d’Imams qui exigent que les femmes nouent un foulard sur leur tête avant d’être reçues. Enfin, infiniment présent, l’amour, filial, idéal ou improbable éclaire ces pages d’une lumière très douce. Un premier roman très réussi. F.F.

La vallée des masques, Tarun Tejpal, Albin Michel, 22,90 € Traduit de l’anglais (Inde) par Dominique Vitalyos Tarun Tejpal, né en 1963, est un écrivain et journaliste indien. Il est le célèbre fondateur du magazine Tehelka dont les enquêtes sur la corruption des hommes politiques lui ont valu des menaces de mort. Il a écrit son premier roman en 2005, Loin de Chandigarh, qui fut un best-seller mondial, puis Histoire de mes assassins en 2009. Pour cette rentrée, il nous offre un roman en forme de parabole sur l'inhumanité, La vallée des masques, véritable fable sur la pureté dangereuse. Une nuit en attendant ses assassins un homme raconte son histoire, celle de sa communauté, sorte de secte qui se voudrait une société idéale. L'enjeu de ceux qui la dirigent est de subsumer l'identité individuelle dans l'identité collective. Le narrateur prenant conscience que la perfection n'est pas à portée de l'humain et présentant les dangers d'une société qui se met à considérer que les idées sont plus importantes que l'homme, sait qu'il va être mis à mort par sa tribu. Ce roman a l'ambition de décrire les ressorts à l'oeuvre dans les mouvements religieux et politiques qui conduisent à la deshumanisation. Tarun Tejpal nous livre une profonde réflexion sur ce qui agite nos sociétés : la dictature de la pureté, les dangers de la rhétorique et la compromission. Son écriture poétique et philosophique fait résonner les maladies du pouvoir tout autant que ce qui nous sauve comme la musique, le rire et la beauté. La vallée des masques est un roman dont la charge ne peut laisser indifférent. F.C.


Home, Toni Morrison, Bourgois, 17 € Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Laferrière Etats-Unis, années cinquante, Franck, jeune noir enrôlé de force, tout juste démobilisé après la guerre de Corée doit pour rejoindre sa soeur Cee traverser le pays jusqu’à Atlanta. En proie à des crises de panique, totalement traumatisé par ce qu’il a vécu il va devoir faire face au racisme encore profondément ancré dans la société américaine. Le danger guette à chaque coin de rue et la police n’en est pas un des moindres. Les souvenirs de Lily auprès de qui il a vécu, sa soif d’alcool contre laquelle il lutte, le passé en Géorgie, tout se mêle dans la tête de Franck qui poursuit son chemin porté par son désir de retrouver Cee qu’il sait en danger. Tous les thèmes de l’oeuvre de Toni Morrison sont ici réunis dans un texte percutant à la langue précise et forte. La solidarité qui entoure le jeune noir, cette entraide qui unit les opprimés l’aide à trouver les endroits conseillés par le guide de «Green», ce formidable opuscule édité par Victor Green qui recensait les lieux qui accueillaient les noirs, hôtels, chambres, restaurants...Toni Morrison nous livre un petit chef d’oeuvre où les voix des personnages, sombres et exaltées, naïves ou rebelles, fortes toujours, font de la société de ces années là, entre racisme violent et eugénisme, un portrait qui nous glace. Après la rage, c’est à une véritable rédemption que Franck saura parvenir, auprès de sa soeur retrouvée et sauvée du mal absolu. Un très beau et bouleversant roman. F.F.

DE COEUR

COUPS

Arrive un vagabond, Robert Goolrick, Anne Carrière, 21,50 € Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie de Prémonville Au cours de l’été 1948, Charlie Beale arrive à Brownsburg, petite ville de Virginie aux 538 âmes. C’est une ville calme avec son épicerie générale, son école, son église, son rythme de croisière. C’est justement ça que recherche Charlie Beale, du calme. Il possède peu de choses si ce n’est une valise remplie de couteaux et une autre remplie de billets. Il cherche du travail en tant que boucher parce que c’est son métier, il est même prêt à travailler gratuitement pendant un mois. Et puis un jour Beale rencontre Sylvan Glass, tombe amoureux et la destinée de la petite ville s’en trouve métamorphosée. Après l’exceptionnel Féroce, disponible en livre de poche aux éditions Pocket, Robert Goolrick réussit encore à nous raconter une histoire (vraie) en nous bluffant à chaque chapitre. Ce roman se lit d’une traite parce qu’il nous met dans l’incapacité la plus totale de le lâcher. L.B.

L’embellie, Audur Ava Olafsdottir, Zulma, 22 € Traduit de l’islandais par Catherine Eyjolfsson La narratrice est plutôt du genre femme libérée, un peu farfelue, qui ne voit pas pourquoi elle ne ferait pas de patin à glace, cuisinerait l’oie qu’elle vient d’écraser en voiture ou encore aller voir une voyante si ça la chante. Elle ne voit pas non plus pourquoi elle aurait un enfant qui l’empêcherait de lire son dictionnaire des synonymes à loisir ou savourer ses sels de bain. Son amant lui annonce qu’il la quitte, passe encore, mais son mari aussi. Sa meilleure amie, condamnée à rester à l’hôpital pour une longue durée lui confie son fils, un petit ange, sourd et muet. Et les voilà partis tels deux esseulés sur les routes d’Islande se nourrissant de frites et de surgelés. Direction ? La mer… Mais dans un voyage le plus important c’est la route et ses aventures. Olafsdottir nous entraîne encore une fois dans un petit cocon de douceur, de sincérité et de légèreté. Les expériences culinaires remplacent les jardins de Rosa Candida et donneront des idées délicieuses pour satisfaire les papilles de nos marmots. Un voyage autant intérieur que réel où cette jeune femme se cherche et se découvre, se révélant pleine de générosité et d’amour pour ce petit être qu’elle croyait indomptable. Un petit conte d’amour et d’amitié qui met du baume au coeur ! A.G.

Le jeu des ombres, Louise Erdrich, Albin Michel, 19 € Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez Louise Erdrich est sans nul doute une des plus grandes romancières américaines contemporaines. Le jeu des ombres, son dernier roman, publié chez Albin Michel, est un véritable tour de force. Erdrich nous conduit où elle veut, faisant surgir la grâce au milieu de la violence, la tendresse au coeur de rapports complexes et pervers. Car, si Irène, adulée par Gil,son mari peintre, est prise d’une rage puissante lorsqu’elle découvre qu’il lit son journal intime, si elle met au point une stratégie pour le faire souffrir, élaborant des mensonges pour lui dans son journal et réservant la vérité à son carnet caché, cependant, tout n’est pas si clair. Et c’est bien la force de Louise Erdrich que de dire la complexité du sentiment amoureux avec une telle lucidité. Naufrage d’une famille qui essaie de résister, le jeu des ombres nous envoûte par la description d’une finesse inouïe des sentiments d’un couple qui d’une certaine façon résiste à tout. Face à la guerre qui sourd des paroles et des lieux, les enfants Riel et Florian se positionnent et font front pour survivre. La narration de Louise Erdrich empruntant aux formes les plus réussies du thriller nous fait naviguer entre deux versions d’une vie et une voix à la troisième personne. La tension qui baigne chaque phrase, la force psychologique d’Irène et de Gil alliée à une sensualité presque agressive imprégnent le lecteur jusqu’à l’aspirer à son tour dans la tourmente d’une famille qui semble s’auto-détruire. L’Amérique indienne et un passé difficile encore vivant semblent résonner en écho aux difficultés du présent. Un roman sans concession au rythme hâletant qui ne laisse aucun répit au lecteur. Magnifique. F.F.


Portrait

rencontre Né à Liège en 1966, le talentueux auteur-illustrateur belge Jean-Philippe Stassen aime parcourir de lointains horizons et en particulier l’Afrique. Ses nombreux périples vont l’inspirer tout au long de son travail pour nous offrir d’indispensables bandes dessinées sombres et humanistes qui laisseront au lecteur une trace indélébile. Son trait stylisé, découpé comme un vitrail et presque naïf, agrémenté d’aplats lumineux, contraste avec des fictions aux sujets parfois terrifiants qui dérangent et fascinent. Après Bahamas et Bull white écrites par Denis Lapière aux éditions L’écho des savanes, il publie, toujours avec Denis Lapière, le Bar du vieux Français, une histoire d’amour épistolaire de deux adolescents fuyant leurs pays et leurs traditions et trouvant refuge dans un lieu improbable. Ce diptyque inspirée d’un pèlerinage au Maroc dans la collection Aire Libre aux éditions Dupuis offre à Jean-Philippe Stassen une reconnaissance nationale avec de nombreux prix dont l’Alph'Art du coup de coeur en 1993 au salon de la bande dessinée d'Angoulême. En 1996, parait l’album Louis le portugais qui relate la vie désenchantée d’immigrés trouvant refuge dans un bar miteux de Liège ou chacun survit en espérant une vie meilleure. Puis les éditions Dupuis éditent Thérèse une fable d’amour à sens unique qui échouera là encore en Afrique. En 2000 Stassen publie alors Déogratias, un album remarquable et terriblement réaliste qui sera récompensé par le prix Goscinny en 2000 et France Info en 2001, il signe là un récit sans concession sur le rôle des Français dans le génocide des Tutsi au Rwanda. L’album les Enfants toujours situé dans l’Afrique des Grands Lacs dépeindra le quotidien des enfants dans l’après génocide. Son roman graphique Pawa, distille sous forme de saynètes un autre témoignage du génocide et là encore décrit le rôle subversif des européens durant le conflit. En 2006 chez Futuropolis, il illustre Coeur des ténèbres, le texte de Joseph Conrad commenté par son complice Sylvain Venayre avec qui il vient de publier une « relecture » de l’Ile au trésor. Pour leur premier numéro la revue XXI fait appel à lui pour des reportages évoquant le portrait de migrants en quête d’un eldorado et quelques numéros plus tard on rencontrera Arnold, enfant-soldat devenu étudiant en politique. Stassen est un témoin exceptionnel de nos temps les plus sombres. V.S.

Dans les années 70-80, Le Seuil est la maison d’édition où s’écrit le renouveau historiographique, avec notamment des entreprises d’écriture collective. Parmi ces voies ouvertes, la Nouvelle Histoire de la France Contemporaine qui modifiera l’approche du contemporain, ce temps présent. Pourquoi 40 ans après la publication du premier tome, reprendre, chez le même éditeur, le chantier ? Le récit qu’elle portait, une marche vers la modernité républicaine, était à réviser, et ce, à la lumière des nouveaux champs historiographiques explorés ces dernières années. L’équipe de jeunes historiens, réunis par Johann Chapoutot (maître de conférences à l’UPMF et spécialiste par ailleurs du nazisme) a eu à coeur de relire cette histoire et d’en écrire une autre, en intégrant de nouvelles problématiques. Changer de regard avec les travaux sur le genre, les femmes, l’histoire de l’Empire colonial, les relations internationales, mais aussi changer les échelles, les approches territoriales, s’intéresser aux régions, faire des comparaisons internationales… Et ainsi, avec un remarquable travail fait sur l’écriture, donner aux lecteurs une approche historique complète permettant d’aborder autrement les débats contemporains. En octobre, sortent les trois premiers tomes d’une Histoire qui d’ici deux ans en comptera dix. Un véritable évènement. N.T.


Sauf indication contraire, toutes les animations ont lieu dans l’espace rencontre du Square, (entrée libre dans la limite des places disponibles) 20, rue de Sault. Vendredi 14 septembre à 18h30 Elisabeth Hamidane et Yann Liotard Dictionerfs (du collège commun et des colères universelles) Editions La Ville brûle

Jeudi 27 septembre à 18h30

Antoine Choplin La nuit tombée Editions La Fosse aux Ours voir page 6

Mardi 9 octobre à 18h30

Gwenaëlle Aubry Partages Editions Mercure de France voir page 6

Mercredi 17 octobre à 18h30 une soirée premiers romans

Julia Deck

et

Viviane Elisabeth Fauville Editions de Minuit

Yassaman Montazami Le meilleur des jours Editions Sabine Wespieser

voir page 8

Jeudi 25 octobre à 18h30

Lionel Duroy L’hiver des hommes Editions Julliard voir portrait page 4

TIONS

ANIMA


ANIMA

TIONS

Samedi 10 novembre à 16h30 rencontre exceptionnelle avec éditrices et écrivaines: Dominique Bourgois et Linda Lê, Sabine Wespieser et Michèle Lesbre, Irène Lindon et Hélène Lenoir, Liana Levi et Lucile Bordes. (Confirmation et précisions à venir)

Vendredi 16 novembre à 18h30 (sous réserves)

Elsa Osorio La capitana Editions Métailié voir portrait page 3

Mercredi 21 novembre à 18h30

Mathias Enard Rue des Voleurs Editions Actes Sud

Mercredi 28 novembre à 18h30

Jean-Philippe Stassen Grands reporters en BD Editions Les Arènes

Vendredi 7 décembre à 18h30 Nasser Djemaï rencontre autour de sa pièce Invisibles en partenariat avec la MC2

voir portrait page 2

Mercredi 5 décembre à 18h30 Jacques Lamalle et un dessinateur de presse

Le XXieme siècle en 200 dessins de presse Editions Les Arènes

Mercredi 12 décembre à 18h30 Johann Chapoutot et Aurélien Lignereux Histoire de la France contemporaine Editions du Seuil

directrice de publication et rédactrice en chef : F.Folliot Rédacteurs :F.Folliot, L.Blondel, F.Calmettes, A.Giraudeau, C.Meaudre, V. Salamand, N.Trigeassou

librairie

de l’Université

2, place Dr Léon Martin. Grenoble. Tel 0476466163


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