Magazine L'Écran - Back as Usual

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3 PRENEZ PLACE Sommaire . Actu : 4 Dune Par Bagheera . Actu : 19 First Cow Par Estelle . Actu : 28 Les Sorcières d’Akelarre Par Bagheera . Le retour non désiré d’American Nightmare Par Lilith - Carnet de bord 22 de la rentrée ciné’ Par Dolores . Les pépites de la rédaction 36 12 rencontre 0 4 5 1 2 7 LA Photo couverture : Demonios de Dolores Maquettiste : Lola Canales Rédacteurs : Bagheera, Dolores, Lilith, Estelle Correcteur : Rillettes les pépites Jeux 39

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CRITIQuE actu
© Warner Bros. Entertainment Inc &Legendary Pictures

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Trigger warning : cet article ne sera clairement pas objectif. Point de mauvaise foi intellectuelle cependant. Plusieurs semaines après la sortie du film de Denis Villeneuve, petit retour sur un gros blockbuster ayant eu le mérite de déchaîner des débats passionnés et de poser le doigt sur un certain nombre de points clivants dans la vision du cinéma américain aujourd’hui.

Inutile de s’attarder trop longtemps sur la genèse du projet : Dune, trésor littéraire pharaonique de Frank Herbert et pilier fondamental en matière de science-fiction, a plusieurs fois été soumis aux tentatives d’adaptation, que ce soit en films ou en mini-série. L’annonce d’un nouvel essai avait de quoi affoler les fans de la première comme de la dernière heure, et ce dès l’année 2017,

on pouvait se réconforter d’une chose : Dune serait beau. Autant dire que la déception fut à la hauteur des attentes, pour certains.

marquant l’arrivée de Denis Villeneuve aux commandes. Habitué à modeler des films dont la beauté esthétique est souvent soulignée par la critique (Blade Runner 2049, Premier Contact et Enemy, jusqu’à la mise en scène plus discrète mais élégante d’un Prisoners), l’on pouvait se réconforter d’une chose : Dune serait beau. Dune verrait probablement ses paysages désertiques, ses architectures d’un autre monde et ses personnages contemplatifs merveilleusement mis en valeur par une caméra attentive et prompte à s’attarder quand il le faudrait.

Autant dire que la déception fut à la hauteur des attentes, pour certains. La liste des désenchantements est longue, et commence par la vision forcément étriquée du cinéma contemporain d’une

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« MES CHERS CONTEMPORAINS»
DENIS VILLENEUVE - 2021
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œuvre comme celle d’Herbert. Dune n’est pas uniquement une histoire se déroulant dans un futur lointain nous plongeant dans un royaume galactique aux frontières infinies. Dune est à la fois un récit initiatique, un traité de théologie, de philosophie, un constat sur les dérives des politiques d’influence et les rivalités qu’implique forcément la détention du pouvoir, mais aussi une analyse géopolitique brassant une centaine d’années d’Histoire humaine sous couvert de fiction ainsi qu’une encyclopédie géologique couronnée de fable écologique et d’un message d’alerte sur un modèle économique périlleux et mortifère. Difficile d’imaginer Hollywood et son puritanisme 2.0 parvenir à

Dune par Denis Villeneuve, c'est un catalogue Maison du Monde, Ikéa ou Alinéa aux cadres merveilleusement bien présentés.

retranscrire avec une justesse suffisante l’intensité du propos, et encore moins de rendre honneur à des personnages en béton armé construits avec une minutie impressionnante. De là à accuser Denis Villeneuve de “Disneyifier” son propos, il n’y a qu’un pas que l’on peut franchir aisément. Le rendu visuel est parfaitement raccord avec les attentes d’un public en quête d’une forme d’esthétique absolue mais totalement dénuée d’émotions. Dune par Denis Villeneuve, c’est un catalogue Maison du Monde, Ikéa ou Alinéa aux cadres merveilleusement bien présentés. Rien ne dépasse, la symétrie est parfaite et le chaos savamment orchestré pour rendre l’ensemble plus crédible, mais personne n’est dupe : derrière les plans

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travaillés, les assiettes et les couverts bien disposés, aucune vie ne se ressent réellement. Il se produit ce que l’on ne pouvait que redouter : la persistance d’une superficialité, d’une artificialité permanente qui empêche toute plongée et sentiment d’implication depuis les premières secondes jusqu’au générique de fin. Si la notion de grandiose inhérente à une telle œuvre a été comprise et appliquée avec une rigueur de premier de la classe par Villeneuve, le résultat reste insuffisant, et à bien des égards.

Un peu de nuance : la direction d’acteurs reste correcte. Le choix d’acteurs et leur interprétation en revanche reste à débattre. Timothée Chalamet en Paul Atréides a été une douche froide pour bon nombre d’adeptes ayant imaginé un profil plus rugueux et moins fade pour un personnage d’une telle envergure,

et surtout pas un visage propulsé par une vague de succès qu’on pourrait parfois questionner. Si la caméra s’éprend toutefois suffisamment de lui pour mettre en relief ses traits de façon intéressante et assez percutante pour dissoudre une partie du malaise à chacune de ses apparitions, ce n’est toutefois pas suffisant pour calmer les aigreurs. Le parcours du personnage est respecté, mais sans plus. La copie est parfaite, mais manque cruellement de substance, et le traitement accordé aux autres protagonistes ne vaut pas mieux. On passera sur une Lady Jessica incarnée par une Rebecca Ferguson larmoyante à souhait, bien loin de la froide et déterminée Bene Gesserit dont le charisme suffisait à faire oublier ses origines inquiétantes. On déplorera un Oscar Isaac qui continue de faire

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du Oscar Isaac, ses épaules elles aussi trop frêles pour incarner avec efficacité le duc Leto Atréides (avec un clin d’œil ridicule à la troisième trilogie Star Wars dont tout le monde se serait bien passé). Gurney Halleck, guerrier mais surtout artiste, musicien faisant presque office de barde et de conseiller avisé à la cour des Atréides se transforme en un Josh Brolin dont la seule expression se résume à tirer la tronche et à jouer au bourrin décérébré. Duncan Idaho, bien que défendu par un Jason Momoa aussi félin et puissant qu’à son habitude, est condamné à n’articuler qu’une dizaine de répliques dont la moitié consistent à rappeler qu’il aime Paul Atréides. Le baron Harkonnen ne sera pas sauvé par la performance en pilote automatique de Stellan Skarsgård, tout l’aspect immonde, malsain et sordide retiré aux Harkonnen (sans doute pour ne pas

déniaiser les pré-adolescents visés par les commerciaux), nous laissant en guise de consolation une peau blafarde, son obésité morbide ainsi que des dialogues de « méchant » clichés et navrants. Liet Kynes, planétologiste impérial, devait forcément devenir un personnage féminin et POC (ndlr : people of color) de surcroît, ce afin de garantir les quotas devenus indispensables à la bonne figure d’Hollywood nous pointant du doigt ses efforts d’inclusions forcés et grossiers au point de nous l’enfoncer dans l’œil. C’est bien l’un des nombreux problèmes trop fréquemment rencontrés dans les grosses productions récentes : faire du politiquement correct sans même tenter de servir en parallèle un propos démontrant l’intérêt d’un tel choix idéologique. Liet Kynes, femme et noire, il y aurait de quoi s’étonner de la pertinence de travestir l’origine fondamentale d’un personnage lorsque

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Villeneuve lui-même se contente de le justifier par un « manque de personnages féminins ». Inutile également de revenir sur la vacuité du rôle accordé au pauvre Chang Chen (le docteur Yueh), ou sur la transparence de Zendaya qui se voit accorder le rôle inédit de narratrice en la personne de Chani (quid d’Irulan ?). Même Charlotte Rampling ne nous évite pas le naufrage. Interchangeables, dénués de tout ce qui faisait leur richesse dans les livres et présentés au spectateur de façon calamiteuse, difficile de ne pas rester amer face au gâchis de ces personnages sabordés.

Au fil des minutes de visionnage, on aurait pu s’attendre à un réconfort nonnégligeable. Le nom de Hans Zimmer pour la composition de la bande-son avait de quoi faire rêver ceux qu’il avait bercé par son œuvre musicale primordiale depuis plusieurs décennies, à la hauteur des autres

L'ambiance sonore de Dune est paresseuse, et peut-être l'une des plus grandes déceptions suscitées par le film.

James Newton Howard, Howard Shore et John Williams. Les lettres de noblesse attendues ne seront toutefois là encore pas à la hauteur, puisque ce dernier signe une B.O. d’une platitude rarement dépassée (seul le thème des Bene Gesserit se distingue un tant soit peu ainsi que le morceau Herald of the Change). L’ambiance sonore de Dune est paresseuse, et peut-être l’une des plus

grandes déceptions suscitées par le film. On se souvient de TOTO et du somptueux prologue instrumental accompagnant l’introduction contée par Irulan Corrino dans le film de Lynch. Rien d’original, ici. Zimmer tisse une succession de gimmicks attendus, de variations pseudo-orientales qui n’auraient pas déméritées dans un téléfilm RTL9, et passe totalement à côté de la mission qui lui était conférée. Plutôt que de proposer un travail innovant, audacieux et au souffle épique, c’est dans un confort vieillissant que les morceaux se suivent et se ressemblent (l’écoute de l’album dans son entièreté ne fait que conforter l’impression de digérer une bouillie informe, parsemée de chœurs rarement efficaces quand il ne s’agit pas de créer un thème propre aux Atréides aux accents écossais totalement à côté de la plaque). À ce stade, il devient même difficile de parler de tentatives. Zimmer n’essaie pas. Là encore, le bât comme la comparaison blessent, si l’on regarde du côté des adaptations en mini-série du début des années 2000. Brian Tyler, compositeur à la popularité discrète mais qui s’est taillé un nom solide, notamment en matière de jeux vidéo (Assassin’s Creed : Black Flag, Far Cry 3, Call of Duty…) avait marqué les mémoires par une production intrigante, humble mais dantesque et émouvante lorsqu’il le fallait. Au vu de

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l’autopromotion faite par Zimmer sur ses réseaux sociaux personnels, on peine à comprendre comment le créateur des BO de Gladiator, Interstellar, Twelve years a slave et autres Da Vinci Code croit réellement en la réussite et la profondeur de ce nouvel acte.

Les décors et autres effets de mise en scène ne sont pas non plus à laisser de côté. Si la représentation d’Arrakis était attendue (le nom de la planète n’étant jamais réellement précisé au cours du film, à l’image de la présentation bâclée des personnages), on tombe de haut une fois de plus. La photographie de l’image pâtit d’une froideur terrible. On ne ressent pas la chaleur de Dune. On ne ressent pas la beauté d’un terrain sauvage et surexploité pour son épice par les grandes maisons. On pourra seulement souligner l’effort accordé aux détails architecturaux pour l’intérieur des bâtiments. La chambre de Paul en est un exemple magnifique, et on retrouve enfin un peu de cette atmosphère chaleureuse capable de nous faire croire que l’on ne regarde pas un film aux décors de plâtre, mais bien une vraie demeure avec ses chambres, son intimité crédible chère aux protagonistes, etc. C’est sans compter néanmoins sur les efforts ahurissants de Villeneuve de gâcher ces quelques bons points en faisant appel à une symbolique vide et incompréhensible. En effet,

l’intronisation des Atréides restant aussi laborieuse que le reste, leur planète Caladan (ode au monde aquatique censé provoquer un contraste cruel avec leur déracinement vers Arrakis) dispose d’un décor pouvant laisser perplexe. C’est tout juste si l’on n’imagine pas les caméras posées quelque part au bord d’une falaise normande un jeudi soir un jour de pluie. Les couleurs ont beau être d’une fadeur à pleurer, les dialogues entre Leto et Paul être prévisibles cinq minutes avant que les personnages ne parlent, rien à faire. Plutôt que de créer un attachement palpable pour ces figures essentielles à l’histoire, Villeneuve préférera s’attarder sur des références à la tauromachie hors-sujet, sur une succession de ralentis et de poses insupportables que n’auraient pas renié les pires opus de Twilight, et coupe son spectateur de toute envie de tisser des liens avec quiconque à l’écran. Quant aux scènes d’action et de bataille présentes dans le film, certaines en deviennent proprement illisibles car trop sombres, et il y aurait à redire sur l’efficacité d’un montage anarchique qui peine à convaincre et à proposer des scènes véritablement cultes et prenantes.

Sans identité forte, sans aucun des thèmes exploités correctement et abordés par les romans, sans personnage à la hauteur et sans frisson à la clef,

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L'émotion est la grande absente de dune par denis villeneuve

l’ennui se fait terriblement ressentir, et l’on pourrait à plusieurs reprises se surprendre à se contempler en train de regarder le métrage plutôt que de s’abîmer véritablement dans ce qui aurait dû constituer un chef-d’œuvre. À la place, on observera cette succession de scènes lisses, sans âme, et dont il ne restera pas grand-chose, plusieurs jours après l’avoir découvert.

L’émotion est la grande absente de Dune par Denis Villeneuve. C’est là son seul et unique défaut, se répercutant malheureusement sur absolument l’ensemble des composantes de cette œuvre facilement consommable. On attend avec impatience la montagne de produits dérivés en tout genre censée alimenter la machine à fric (série, jeux vidéo, merchandising divers et variés) d’une production tous publics, et surtout dépossédée de la violence intrinsèque et nécessaire présente dans le discours de Herbert. L’échec a de quoi mettre en colère, et surtout révolter ceux qui espéraient sortir de leur discours de vieux con, du « c’était mieux avant », et qui regardent vingt ans en arrière avec nostalgie les derniers monuments cinématographiques leur ayant remué les tripes en salles. L’échec, c’est aussi une Marvelisation du cinéma populaire qui a bien compris quels codes, quels thèmes, quels acteurs seraient les plus susceptibles de rentabiliser un projet monstrueux, économiquement réussi, mais ignoble sur le plan artistique. La complexité de l’œuvre originale est

bien morte, aspirée comme l’épice par le simplisme cher aux producteurs américains, mais aussi à la foule d’innombrables bouffeurs de fast-food visuel du dimanche venus pour « ne pas se prendre la tête ». Qu’ils se rassurent. La dernière ligne de dialogue du film (plus qu’honteuse et attendue : profondément débile et hallucinante) résume à elle seule la catastrophe, et en annonce d’autres. Bien d’autres.

« It’s just the beginning. »

- Bagheera -

DUNE

De Denis Villeneuve - 2021

Avec Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac ...

Scénario Jon Spaihts Denis

Villeneuve Eric Roth

D’après l’oeuvre de Frank Herbert

Musique Hans Zimmer

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© Universal Pictures International France Chronique

LE RETOUR

NON DÉSIRÉ D’AMERICAN NIGHTMARE

Quand on parle de back to business on peut difficilement passer à côté de ces suites de films inter-minables qui sont créées à 100 % pour l’industrie cinématographique.

Et une série de film bien connue pour ça a fait son comeback en cette rentrée 2021. Je parle d’American nightmare (The Purge en VO). C’était en effet le cinquième opus d’une série prisée -surtout par les ados à mon humble avis- mais qui à mon goût devrait s’arrêter, voire n’aurait peut-être même jamais dû commencer.

Dans une dystopie qui prend place aux États-Unis, le gouvernement décide pour lutter contre la criminalité d’instaurer une nuit dans l’année où pendant 12h tous les crimes sont légalisés. La police et les secours n’interviennent pas durant ce laps de temps où tout est permis.

C'était en effet le cinquième opus d'une série prisée mais qui à mon goût devrait s'arrêter, voire n'aurait peut-être même jamais dû commencer.

Pour les personnes ne connaissant pas cette franchise, le scénario global est assez simple à résumer.

Voilà ! Simple, court, efficace ! Le concept tient en deux lignes mais laisse une infinité de possibilités scénaristiques. Je vous gâche tout dès le départ, soyez bien sûr que cette infinité de possibilités scénaristique ne sera pas exploitée dans les cinq opus. Ou en tous cas très mal.

Attention ! Je déconseille les critiques

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Allociné de ces films aux personnes engagées dans la lutte antiraciste, car c’est un florilège de bêtises et de commentaires tous moins éclairés sur ce sujet les uns que les autres. Les films sont certes mauvais, mais ce qu’en retient le public c’est que c’est bourré de racisme anti-blanc et que certains films sont uniquement destinés à un public de Noirs. Bref ne débattons pas sur le fait que le racisme anti-blanc existe ou pas, mais franchement soyons sérieux, le problème de ces films n’est pas là.

Les dialogues sont plats et vides de sens, les scénarios sont insipides et extrêmement redondants film après film. Apporter un détail de nouveauté dans le script à chaque opus n’en fait pas des films originaux. Que ce soit le quatrième opus qui décrit les origines de la purge ou le cinquième qui se contente

de faire durer la purge à l’infini, rien n’est réellement nouveau dans la globalité de l’histoire, ils auraient peut-être à la limite dû s’en tenir au premier opus et terminé ! Car soyons honnête, voir les bandes annonces c’est bien assez, pas la peine de s’infliger le supplice de visionner les films dans leur entièreté.

Je ne doute pas qu’au début, American Nightmare voulait dans le fond bien faire et dénoncer clairement des faits de société: la législation du port d’armes aux États-Unis qui entraîne régulièrement des tueries de masse. Sur les derniers opus on peut entrevoir une critique de la politique de Trump notamment l’attaque du Capitole par les pro Trump qui laissait penser que son mandat ne prendrait jamais fin, tout

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cette purge qui dans le cinquième opus ne se termine plus. Mais tout ça est mal amené et c’est mauvais sur la forme.

Ce que je peux aussi reprocher à ces films c’est le fait qu’ils soient si manichéens. Ok, on parle de sujets de société importants, mais déjà faut-il bien les aborder, car là on est dans une caricature. Sous couvert d’un discours politique anti arme, qui pourrait être intéressant, on se retrouve face à des discours si peu profonds qu’on finit par se demander si les pro armes n’auraient pas raison (j’exagère à peine). On aborde aussi le racisme et la lutte des classes avec les pauvres qui s’entre-tuent et les riches qui les regardent, toujours dans

Ce que je peux aussi reprocher à ces films c’est le fait qu’ils soient si manichéens. Ok, on parle de sujets de société importants, mais déjà faut-il bien les aborder, car là on est dans une caricature.

la caricature. On ressort ainsi les pires incels du monde (incel= misogynes qui n’arrivent pas à trouver de partenaires et qui reprochent leurs conditions à la gente féminine), on se déguise, on viole, on tue et on trouve plein de belles idées pour tuer de la façon la plus classique à la plus originale. En gros rien de nouveau sous le soleil des films horrifiques. Par contre, ce qui aurait pu être intéressant, à être dans un univers malsain, ça aurait été de parler de la psychologie de ceux qui participent à cette purge. Les personnages sont globalement tous traités en surface. Dans le second opus l’un des personnage veut participer à la purge pour se venger de la mort de son

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fils, c’est tout ce qu’on sait (ce qu’il ne fera pas au final, déso pas déso pour le spoil, vous me remercierez les films sont nazes de toute manière). On ne développe aucune empathie pour ces personnages. C’est tellement plat et froid qu’on se fout totalement de ce qui peut bien leur arriver…

La question que l’on se pose : pourquoi continuer cette série de films ? La réponse est évidente, c’est pour la thune. Eh oui, parce que le problème c’est que c’est une série de films qui globalement à coûté très peu cher mais dont le retour sur investissement est énorme. Le premier opus qui est un huisclos a coûté seulement 3 millions de dollars. Le concept ayant extrêmement bien fonctionné et le public, ayant envie de voir ce qui pouvait se passer dans un second

opus hors d’un huis-clos et avec un plus gros budget, est revenu pour le second opus. Alors autant je peux comprendre l’engouement malsain qu’aurait pu susciter le premier opus, ok pour le second aussi. Parce qu’au départ les spectateur.ice.s avaient peut-être espoir de voir quelque chose d’intéressant, c’était une curiosité. Mais aujourd’hui, après déjà 4 volets qui étalent un concept mal exploité et qui épuise la même recette de manière redondante, qu’est-ce qui peut encore attirer du monde dans les salles pour voir ces films ? La seule réponse que j’ai, c’est le fait que ce soit divertissant. On entre dans la salle, en prenant soin de déposer son cerveau à l’entrée et on profite d’un spectacle malsain, peut-être cathartique pour certains.

Pour ma part je voulais quand même laisser une chance à ces films, mais

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© Universal Pictures International France

voilà, après avoir vu les deux premiers sans vraiment avoir apprécié j’ai eu du mal à être indulgente avec les autres.

Je vais quand même vous parler plus précisément de mon impression sur le cinquième opus. Désolé d’annoncer qu’il ne sauve pas les quatres premiers, voire qu’il enfonce définitivement la franchise. Certes c’est divertissant (quand on en a pas vu les quatres précédents juste avant je précise), mais si peu intéressant. Bourrés de lieux communs et de clichés, les personnages et leurs liens sont mal amenés. On ne s’attache toujours pas à eux, peu importe qui meurt puisqu’on ne

Mais qu'est-ce qui peut encore attirer du monde dans les salles pour voir ces films ? La seule réponse que j'ai, c'est le fait que ce soit divertissant. On entre dans la salle, en prenant soin de déposer son cerveau à l'entrée et on profite d'un spectacle malsain, peut-être cathartique pour certains.

parle quasiment jamais d’eux, seulement de la situation qu’on connaît déjà puisque quatre films sont passés avant pour nous en parler. Mais attention, cette fois-ci, pour amener un peu de piment, la purge ne dure plus qu’un seul jour puisque la population assoiffée de sang se dit qu’il est préférable que ça dure pour toujours. Quel retournement de situation inattendu et original !

Est-ce qu’il me tarde le prochain volet ? Vous l’aurez compris non ! C’était déjà assez pour moi, car, attention jeu de mots facile: ces films sont des purges à regarder !

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critique actu

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Allyson Riggs / A24

FIRST COW

G Y H UM

une amitié invisible

Kelly Reichardt s’est toujours intéressée aux personnages relégués au second plan. Dans l’Oregon d’hier et aujourd’hui, elle filme ceux (et souvent celles) qui écoutent les autres parler, qui errent loin de chez eux, à qui il n’arrive rien de spectaculaire, mais qui sont traversés par des bouleversements invisibles.

cachée. De nos jours, le chien d’une promeneuse déterre les ossements de deux personnes, que la jeune femme ne peut interpréter.

First cow propose une expérience de cinéma magnifique qui s'emploie à restituer au spectateur deux existences qui étaient tombées dans l'oubli

First Cow s’emploie alors à restituer au spectateur deux existences qui étaient tombées dans l’oubli.

Avec First Cow, que le confinement a relégué sur Mubi mais qui bénéficie d’une sortie en salles française cet automne, elle propose une expérience cinéma magnifique, car elle donne l’impression de voir une histoire

Le film part d’un cadre de western pour les détourner de ses conflits virils. Dans La Dernière Piste, elle filmait les femmes de pionniers en train d’écouter les hommes décider de leur destin. Avec First Cow, situé en 1820, elle suit un groupe de trappeurs

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agressifs qu’elle délaisse bien vite pour s’intéresser à une amitié entre deux hommes, le cuisinier Cookie et le fugitif King-Lu. Deux personnages discrets qui n’auraient pas leur place sur les devant de la scène dans un western classique, et qui fondent une alliance hors du système économique local : ils détournent la production laitière de l’unique vache de la région, détenue par un riche propriétaire anglais, pour cuisiner des gâteaux. Une vache étonnamment belle, justement parce qu’elle devient devant la caméra de Reichardt un véritable personnage et plus seulement du bétail utilitaire.

le film est profondément touchant, parce qu’il nous montre les fragments d’une histoire dont on n’aura jamais totalement accès et qui pourrait disparaître à tout moment.

Comme les ossements retrouvés par la promeneuse, First Cow donne l’impression de redécouvrir une histoire enfouie qui serait restée dans l’oubli sans le pouvoir de restitution du cinéma. L’économie formelle du film fait qu’il ne nous dit pas tout. C’est dans cette fragilité que le film est profondément touchant, parce qu’il nous montre les fragments d’une histoire dont on n’aura jamais totalement accès et qui pourrait disparaître à tout moment. Le film joue avec les ellipses, le format 4:3 qui ne dévoile qu’une partie de l’image, les mouvements à peine perceptibles au sein de vastes cadres. Parfois, les personnages ne sont que des silhouettes à peine distinguables de la pénombre.

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© Allyson Riggs / A24

La capacité de la photographie de Christopher Blauvelt à composer avec le peu et le manque de lumière (qui est d’abord due à une contrainte budgétaire) est admirable, et fait de First Cow un des plus beaux films que j’ai pu voir récemment. Faute de budget, le film a été tourné en numérique, mais des grains ont été générés en post production.

Très présents à l’image, ils refusent une expérience de simple immersion et donnent l’impression de contempler une restitution imparfaite.

C’est peut-être le plus beau film de Kelly Reichardt, et comme toute œuvre de la cinéaste, il s’apprécie si l’on accepte de se caler sur son rythme posé et sa narration non conventionnelle. Mais l’effort en vaut la peine.

- ESTELLE -

FIRST COW

De Kelly Reichardt - 2021

Avec John Magaro, Orion Lee, Toby Jones ...

Scénario Jonathan Raymond Kelly

Reichardt

D’après l’oeuvre de Jonathan

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Musique William Tyler

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© Allyson Riggs / A24 © Allyson Riggs / A24

CARNET DE BORD DE LA RENTRÉE

La rentrée cinéma cette année, c’était quelque chose. Après des mois sans écran et sans vie culturelle, on avait hâte que les choses reviennent à la normale. Petites chroniques de ce retour enthousiaste au cinéma, entre découvertes, déceptions et coup de coeurs.

DUNE / 15 SEPTEMBRE 2021

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Premier film de la reprise après la pause estivale et pandémique, et pas n’importe quel film ! Un Denis Villeneuve, ça s’accueille toujours en grande pompe et avec beaucoup d’enthousiasme. Et pourtant… Même si je suis moins véhémente que la collègue Bagheera, le résultat du Dune version 2021 m’a laissée de glace. Timothée Chalamet a le charisme d’une huitre, et clairement pas les épaules pour porter un rôle aussi profond et complexe. Denis Villeneuve a un style bien trop froid pour filmer la chaleur du désert, qu’il n’arrive jamais à retranscrire. Le film est inabouti narrativement, n’arrivant jamais à poser d’enjeux ou à les résoudre étant donné que ce n’est qu’une introduction. Les personnages ne sont jamais attachants. Aucune émotion ne ressort de cette production lisse, à l’image de la B.O d’Hans Zimmer caricaturale qui semble cocher les cases du cahier des charges de la parfaite musique orientale. C’est l’encéphalogramme plat au sortir de cette séance bien décevante pour marquer la nouvelle saison cinéma.

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chronique
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© IMDB

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PAR DOLORES

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Thriller français sans prétention, La Boîte noire se situe clairement dans la lignée du Chant de Loup, l’énorme surprise de 2018 sur les écrans. On y retrouve le même parti pris autour du son en mettant en scène Mathieu Vasseur, technicien au BEA et hyperacousique chargé d’écouter les bandes sonores de crashes d’avions et de déterminer les causes de l’accident. Certaines ficelles sont un peu grossières et la fin est hélas caricaturale, mais La Boîte noire reste un thriller honnête et plaisant pour les amateurs du genre. Pierre Niney est excellent dans son rôle et très convaincant dans sa manière d’appréhender l’hyperacousie au point que j’ai pensé qu’il en était lui-même atteint. Le film aurait gagné à se terminer sur une fin plus ouverte (le plan sur l’oreille aurait été parfait), mais en l’état c’est sympathique. Une bonne petite surprise, qui prouve que le cinéma français en matière de polars et de films noirs n’a pas perdu de sa superbe.

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A N CINÉ’ /
LA BOÎTE NOIRE / 15 SEPTEMBRE 2021

Mon premier James Bond au cinéma, et mon second James Bond tout court, ça se fête ! Le côté “grand spectacle” au cinéma a fonctionné sur moi : j’ai apprécié l’ensemble, passé un bon moment et en ai pris plein les yeux. Les décors italiens au début du film sont somptueux, et j’ai adoré l’introduction proche d’un film d’horreur, inattendue pour ce genre de film. Mais avec le recul, cet opus est loin d’être un chef d’œuvre. Les motivations de l’antagoniste sont incompréhensibles, voire risibles. Rami Malek n’est absolument pas convaincant dans son rôle caricatural. Le scénario est embrouillé, le rythme incroyablement confus au vu des enjeux finalement peu importants. La multiplication de personnages n’aide pas à l’identification, et certains personnages marquants de la saga sont expédiés dans des morts peu iconiques. Et pourtant, je suis loin d’être une fan, alors je comprends le sentiment de trahison que certains.e.s ont pu ressentir. Et employer Ana de Armas pour un quart d’heure de film seulement, c’est tout bonnement criminel. La saga aurait sans doute mérité un dernier opus avec Daniel Craig plus marquant que celui-ci.

/Un film passé inaperçu et qui est pourtant assez intéressant dans son message. Il raconte l’histoire de Simon, d’origine juive, qui vend sa cave à un homme qui finit par s’y installer pour vivre. Gêné par sa présence illégale, il finit par entamer des procédures pour le mettre dehors, et apprend au même moment qu’il est un négationniste notoire. Le film est donc une piqûre de rappel nécessaire sur l’antisémitisme qui est toujours présent et rampant dans la société, et sur la présence de plus en plus inquiétante des théories négationnistes sur Internet. Hélas le film vaut avant tout pour son message, car sur le reste… C’est un peu une catastrophe. Hormis François Cluzet, le casting est à la ramasse. Les acteurices sonnent faux et les moments d’émotion tombent à plat à cause de l’interprétation bancale. La mise en scène manque de personnalité et se contente du strict minimum. Au niveau narratif, on suit des pistes qui ne mènent nulle part : la peine amoureuse d’une adolescente par exemple, qui est pourtant assez développée mais n’a aucun intérêt ni pour l’intrigue ni pour le propos global. C’est un peu un flop, et c’est dommage au vu de son message plus que nécessaire.

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MOURIR PEUT ATTENDRE / 6 OCTOBRE 2021
L’HOMME DE LA CAVE / 20 OCTOBRE 2021 © IMDB © IMDB

Mesdamsieurs, on la tient la purge de l’année ! Et je parle pas d’American Nightmare, Lilith s’en est chargée pour moi, mais bien d’Halloween Kills, second volet de la dernière trilogie de notre cher Michel Meyer. Difficile de trouver des choses positives à en dire tant tout est raté. Allez, en grattant, le remake musical du thème originel est cool, et le nouveau design brûlé du masque de Michou aussi. Le reste est un enchaînement de péripéties ubuesques déclenchées par les décisions stupides de personnages qui ont vraisemblablement décidé de laisser leur cerveau dans l’opus de 1978. Le réalisateur décidé de diviser le film en deux parties distinctes : une partie à l’hôpital, où l’on suit Laurie Strode, blessée, qui tente avec sa fille de contenir une émeute pour lyncher Mickael Myers, et une seconde qui suit des survivant.es du tueur qui le traquent. Ces deux narrations s’imbriquent très mal l’une dans l’autre, l’histoire est d’une confusion incroyable : au milieu d’une scène tendue où les survivants pistent Michael est insérée une scène totalement aléatoire d’un dialogue quelconque à l’hôpital. Si vous abandonnez votre cerveau, quelques passages sont si ratés qu’ils peuvent être nanardesques. Sinon, vous subirez 1h46 qui en paraissent le double en vous disant que c’est finalement pas si mal, les comédies d’horreur à la con made in Blumhouse.

LE PEUPLE LOUP / 20 OCTOBRE 2021

Quel. Incroyable. Chef. D’oeuvre. Le Peuple Loup est une pépite du cinéma d’animation, une de ces raretés qui se déguste comme le plus délicieux des macarons. Le film est déjà formidable sur le plan visuel. L’animation ne ressemble à aucun des standards actuels. Le film est tout en 2D, avec des décors à l’aquarelle et au crayon de couleur, avec une perspective particulière où tout est représenté “à plat”, qui donne une esthétique “tapisserie médiévale” à l’ensemble qui colle parfaitement bien au récit. L’histoire est absolument saisissante et d’une telle richesse que plusieurs niveaux de lecture sont possibles. Les plus jeunes apprécieront la merveilleuse amitié de Robyn et Mev, ainsi que le message écologique fort. Les plus âgés apprécieront la métaphore sur la conquête de l’Irlande par l’Angleterre et les parallèles avec la situation actuelle, qui n’est toujours pas réglée entre les deux pays, ainsi que la magnifique illustration de l’amour parental. Je vous recommande d’ailleurs de le voir en VO afin d’avoir le jeu des accents, entre le British très marqué et classieux de Robin et l’Irish teinté de gaellique de Mev.

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HALLOWEEN KILLS /20 OCTOBRE 2021 /
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Un des “gros” films les plus attendus de l’année. Et comme Dune… Une déception. Alors bien sûr, Wes Anderson fait très bien ce qu’il sait faire : créer des décors fantastiques, proposer un film ingénieux sur le plan visuel, empli d’astuces héritées du théâtre, qui n’est pas sans rappeler les tableaux animés de Georges Méliès. Le film est incroyablement beau. Mais ça ne suffit pas, et une fois cette débauche d’effets, on s’ennuie bien vite. Pourtant, en plus d’être magnifique, le film est porté par un casting irréprochable. Même le moindre second rôle est porté par un.e acteurice de talent. Champagne, chantilly, cerise sur le gâteau ! Peut-être un peu trop ? Le film devient en effet un peu étouffant avec ce casting 5 étoiles où l’on a l’impression de voir des acteurs, et non des personnages. The French Dispatch est divisé en trois histoires qui n’ont pas de lien entre elles, et qui ne sont pas passionnantes. Trop courtes, on n’a pas le temps de profiter du casting et de s’attacher aux personnages. On ressort du film avec une sensation de vacuité, en se disant qu’il a beaucoup à montrer mais finalement pas grand chose à dire.

LAST NIGHT IN SOHO / 27 OCTOBRE 2021

Si vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à vous rendre sur le site Internet de l’asso : j’ai écrit une critique plus poussée sur le film ! Mais pour résumer, je suis agréablement surprise par cette première entrée sérieuse dans le cinéma de genre pour Edgar Wright. Le film a de la gueule et une classe visuelle incroyable, avec des jeux de lumière, de décors et de couleurs qui lui donnent une grande personnalité. L’histoire est bien menée et les personnages nous donnent envie de les suivre. Le rythme est soutenu et ponctué de scènes purement horrifiques qui fonctionnent terriblement rien. Ca fait même un moment que je n’avais pas eu autant viscéralement la trouille, avec l’envie de détourner le visage tant les scènes des hommes sans visage m’ont mise mal à l’aise. Le film est cependant loin d’être parfait. Quelques longueurs et des pistes narratives inutiles viennent empâter le récit, comme la fausse piste du flic. Et surtout j’ai des soucis avec la fin : la résolution est trop rapide et brutale, et surtout semble délivrer le message inverse de l’intégralité du film. On essaie d’un coup de nous rendre antipathique un personnage que l’on a appris à aimer, c’est assez déroutant. Mais en l”état, c’est une bonne surprise, et finira dans mon top de l’année pour sûr !

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DISPATCH / 27 OCTOBRE 2021
THE FRENCH
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© IMDB © IMDB © Sophie Dulac Productions
critique actu LES

SORCIÈRES D’AKELARRE LE RETOUR DE L’AUDACE ? b

PABLO AGÜERO - 2021

Reprise de la vraie vie (un peu) + rentrée cinématographique chargée = retour en salle bienvenu.

Il aura fallu un an pour que Les Sorcières d’Akelarre traversent les Pyrénées et atterrissent dans quelques salles d’Occitanie. L’attente en aura valu la peine. Si l’actualité culturelle est encore émaillée de commentaires incluant les mesures sanitaires, l’exploitation de blockbusters à la sortie mille fois repoussée, voire les rebondissements de l’affaire Disney (remettant en cause la diffusion de ses productions dans les cinémas français), il est toujours bon d’aller fourrer son nez du côté de pépites plus confidentielles et loin du tumulte. Le film de Pablo Agüero arrive à point nommé, véritable bouffée d’air

frais. Plongée dans une page d’Histoire à la fois méconnue et précieuse, terrible et inquiétante. Inquisitrice.

Coup de cœur. Un postulat rassurant

Plongée dans une page d'Histoire à la fois méconnue et précieuse, terrible et inquiétante. Inquisitrice. Coup de cœur.

Les Sorcières d’Akelarre, c’est avant tout un décor bien installé. En 1609, six jeunes filles accusées de pratiquer la sorcellerie se voient soumises à l’interrogatoire forcément terrible d’un inquisiteur (incarné par un Àlex Brendemühl toujours aussi magnétique). Menacées de se voir brûlées vives, elles n’auront comme armes que leur courage, leur créativité et leur détermination pour retarder

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l’échéance et se voir sauvées par leurs hommes partis en mer.

Les extraits diffusés quelques semaines avant sa sortie en salles laissaient déjà planer un certain mystère. Pas de désillusion de ce côté-là. Si le film demeure une bonne partie du temps enfermé dans des pièces sombres, étouffantes, au travers de plans particulièrement réussis, il n’est pas non plus avare quand il s’agit de s’attarder sur les falaises de la Côte Basque, ses forêts denses et son cadre enchanteur. Dès les premières minutes, on respire le dix-septième siècle où que le regard se pose, et il faut saluer le travail exceptionnel réalisé sur les costumes et les nombreux détails servant la crédibilité du récit. Une certaine authenticité se dégage de l’atmosphère orageuse et tendue qui plane dans un pays ravagé par les accusations immondes et les bûchers noirâtres. In medias res, on se fait happer par une invitation trop rare : celle de pénétrer dans cette zone sombre du passé dénuée d’un romantisme excessif.

par la volonté de quelques hommes zélés, obsessionnels, malgré leur doute.

Dès les premières minutes, le film se départ du piège dans lequel il aurait pu tomber.

Loin de se transformer en un discours simpliste sur une opposition hommes/femmes, jeunes/vieux, liberté/autorité, Les Sorcières d’Akelarre brasse ces notions pour les teinter de très nombreuses nuances.

Des femmes meurent par centaines

Loin de se transformer en un discours simpliste sur une opposition hommes/ femmes, jeunes/vieux, liberté/autorité, Les Sorcières d’Akelarre brasse ces notions pour les teinter de très nombreuses nuances. Il s’agit alors de proposer un véritable questionnement sur l’affrontement du régionalisme face aux directives du pouvoir centralisé, l’existence ou non de la sorcellerie, la recherche de la connaissance mais jusqu’à quel prix ?, etc. Un jeu de miroirs habile Il devient rare que les films de ce genre prennent suffisamment le temps de projeter un regard rationnel collant au plus près du quotidien des gens de l’époque. Trop souvent, les messages politiques s’accumulent, plus ou moins adroitement, en oubliant de mettre en scène des personnages

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offrant une proximité intéressante et attachante pour ses spectateurs.

Agüero pour sa part préfère donc proposer une pluralité de regards, condamnant ou glorifiant tour à tour avec un recul laissant tout de même la part belle à une émotion et à une bienveillance surprenante pour les divers protagonistes.

En guise de figure de proue, Amaia Aberasturi : actrice méconnue dont l’aura piquante incarne le personnage d’Ana, paradoxale, comportant une part d’ombre et d’innocence mêlées en un portrait complexe et guère manichéen. L’inquisiteur Pierre de Rosteguy de Lancre n’est pas seulement le monstre qu’on se plairait pourtant à imaginer, diable incarné. Le prêtre officiant aux abords du village, servile vis-à-vis de l’enquête, présente un double-visage troublant et presque douloureux. Par leur épaisseur apparente, par

leur posture solidement ancrée, les personnages du film donnent le ton : s’il est évident de prendre parti pour la sauvegarde des jeunes filles accusées, le message distillé est bien plus subtil qu’il n’en a l’air. Agüero donne la part belle à la faiblesse humaine, se délecte de présenter la concupiscence masculine frustrée ne pouvant accoucher de rien d’autre que d’une violence vengeresse et stérile (de là à penser au Nom de la rose, il n’y a qu’un pas que l’imaginaire effectue aisément). Si en premier plan la masculinité est pointée du doigt (les hommes tuent ou se rendent complices par complaisance, leur lâcheté, leur paresse, voire même par leur absence), le problème posé est bien plus vaste, et résulte d’un manque de connaissances et d’une peur/fascination pour l’inconnu bien plus meurtriers à eux seuls.

En effet, au-delà

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© Sophie Dulac Productions

de désigner la gent masculine comme les seuls coupables, le film révèle les failles lacérant le tissu féminin. Si une certaine solidarité, familiarité et affection règnent entre elles (les vieilles transmettent aux jeunes en les protégeant à leur manière, les filles s’inquiètent du sort réservé aux autres et tentent de faire bloc...), la cruauté qui règne dans la nasse des sorcières accusées n’est jamais très loin. Soupçons, rancœurs, méfiance, violence ordinaire, restent des ennemis largement disséminés dans les rangs des femmes du village.

Un monde en transition

Brûler des sorcières ne serait finalement qu’un prétexte comme une autre, le symptôme d’une autorité

verticale, depuis Paris jusqu’aux confins d’une région souvent présentée comme en opposition avec le pouvoir central.

L’originalité des Sorcières d’Akelarre repose sur une recherche approfondie guidée par l’essai de Jules Michelet : Les Sorcières. Au-delà d’une intention de proposer un autre regard sur l’ésotérisme ancré dans les provinces françaises de l’époque, Agüero enrichit son propos d’une vision panoramique et pertinente sur le pourquoi des drames de l’Inquisition. Alors que les guerres de religion sévissent toujours en Europe (nous sommes moins de cinquante ans après la Saint-Barthélémy et le massacre des protestants considéré

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par certains historiens comme l’un des premiers génocides en France), le pays tout entier voit naître une foule de réflexions sur son identité, débat éternel et cyclique. La question de la langue est notamment très judicieusement abordée. Brûler des sorcières ne serait finalement qu’un prétexte comme une autre, le symptôme d’une autorité verticale, depuis Paris jusqu’aux confins d’une région souvent présentée comme en opposition avec le pouvoir central. En soulignant l’éradication des idiomes et autres dialectes, en révélant l’obéissance forcée

Agüero repousse subtilement les pans de la chasse aux wiccanes pour englober une plus large partie de leurs contemporains et signer un plaidoyer universel en faveur de la plèbe de l’époque sans distinction.

d’une population analphabète et essentiellement rurale considérée comme ensauvagée, Agüero repousse subtilement les pans de la chasse aux wiccanes pour englober une plus large partie de leurs contemporains et signer un plaidoyer universel en faveur de la plèbe de l’époque sans distinction. Bien qu’incisif et s’autorisant quelques clichés nécessaires sur le tempérament rustre des hommes sans cesse ramenés à leurs besoins primaires ou à leurs appréhensions montrées comme ridicules, il brosse à sa manière le portrait d’une fascination éternelle pour le féminin sacré et leurs

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mystères qui, cinq siècles plus tard, ne semblent toujours pas élucidés. En outre, par l’affrontement symbolique opposant Ana et Pierre, le film nous offre une foule de scènes savoureuses et un duel sublime entre deux acteurs dont l’alchimie étrange et presque blasphématoire pose aussitôt le spectateur en voyeur, poussant jusqu’à certaines scènes osées à l’érotisme dosé et précieux. Une autre façon de rappeler l’inquiétude suscitée alors : en sapant le rapport au corps et au charnel, il ne s’agit que de saper la volonté et le désir d’un individu condamné pour simplement oser l’inavouable pourtant convoité par tous en secret.

La sorcellerie comme mirage.

Quid de la sorcellerie ? À plusieurs reprises, et notamment dans la première partie du film, Les Sorcières d’Akelarre laisse planer un doute très intéressant sur les dons potentiels ou non des jeunes filles accusées de pratiquer des rituels interdits. Agüero ne s’embarrasse pas d’un discours raide et linéaire. Il se contente de jouer avec les attentes forcément multiples de ses spectateurs : les profanes en la matière comme les plus passionnés. Peutêtre plus déterminé que The VVitch, l’œuvre place rapidement le Sabbat comme l’un des enjeux principaux de l’histoire, et la recherche de toute une vie menée par l’Inquisiteur n’ayant de cesse de vouloir en connaître les fondements et les us.

Là encore, l’attente en vaudra la peine, promesse d’une

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scène dantesque à la sensualité folle, respirant un paganisme célébré par la bande-son fantastique composée par Maite Arrotajauregi et Aránzazu Calleja. Jamais Agüero n’affirme, n’éradique ou n’impose ses propres opinions sur les traditions surnaturelles. Avec doigté, il se contente de semer les indices jusqu’au carrefour que chacun d’entre nous est libre d’emprunter vers une voie différente. Quelle qu’elle soit, l’issue du film n’en sera pas impactée, laissant peut-être comme seul regret celui de ne pas voir le film suffisamment long pour développer davantage sur ce point.

Les Sorcières d’Akelarre est un film important, rendant honneur au cinéma espagnol et à sa griffe si personnelle pour ce qui est de traiter le fantastique, l’horreur ou l’épouvante (Les Autres, Enemy, L’Orphelinat…). Il est la preuve qu’en dépit des débats hystériques entourant autant de points relatifs comme l’identité, les violences faites aux femmes ou les crimes commis par les idéologies dominantes de l’époque, un film sensible, brutal (presque cru) et pourtant raffiné dans son propos peut, heureusement pour nous, encore voir le jour. -

LES SORCIÈRES D'AKELARRE

De Pablo Agüero - 2021

Avec Alex Brendemühl, Amaia

Aberasturi, Daniel Fanego ...

Scénario Pablo Agüero Katell

Guillou

D’après l’oeuvre de Pierre de Lancre

Musique Maite Arrotajauregi

Aránzazu Calleja

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© Sophie Dulac Productions

Les pépites De la rédaction

Films inconnus, chef d’oeuvres oubliés, oeuvres mal aimées, découvertes récentes ou coup de coeur rétro... Voici les recommandations de la rédac’ pour occuper vos soirées d’hiver !

JUSTIN KURZEL 2021

DRAME, THRILLER

En Australie dans le milieu des années 90, Nitram vit chez ses parents, où le temps s’écoule entre solitude et frustration. Alors qu’il propose ses services comme jardinier, il rencontre Helen, une héritière marginale qui vit seule avec ses animaux. Ensemble, ils se construisent une vie à part. Quand Helen disparaît tragiquement, la colère et la solitude de Nitram ressurgissent. Commence alors une longue descente qui va le mener au pire.

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pépites
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nitram © IMDB

Variation de Roméo et Juliette de William Shakespeare. Dans le West Side, bas quartier de New York, deux bandes de jeunes s’affrontent, les Sharks de Bernardo et les Jets de Riff. Un ex des Jets, Tony, s’éprend de Maria, la soeur de Bernardo.

DRAME MUSICAL

DOLORES VOUS RECOMMANDE...

Elevée par sa mère célibataire, Wendy s’étiole dans un quotidien dénué de magie. Un soir, la fillette part à l’aventure en sautant dans un train en marche avec ses deux petits frères, les jumeaux James et Douglas. Au terme du voyage, ils débarquent sur une île mystérieuse, où les enfants ne semblent pas vieillir et où règne un garçon rebelle, nommé Peter Pan.

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STEVEN SPIELBERG 2021
BAGHEERA VOUS RECOMMANDE... west side story T T
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FANTASTIQUE wendy ©
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BENH ZEITLIN
DRAME,
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certaines femmes

Quatre femmes font face aux circonstances et aux challenges de leurs vies respectives dans une petite ville du Montana, chacune s’efforçant à sa façon de s’accomplir.

RILLETTES VOUS RECOMMANDE...

Theresa et Robert ont passé 26 ans à former leur fille unique, Old Dolio, à escroquer, arnaquer et voler à chaque occasion. Au cours d’un cambriolage conçu à la hâte, ils proposent à une jolie inconnue ingénue, Mélanie, de les rejoindre, bouleversant complètement la routine d’Old Dolio.

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DRAME
COMÉDIE,
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2017 DRAME ESTELLE VOUS RECOMMANDE... TT
KELLY REICHARDT
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- pitch imperfect -

Un film terriblement mal résumé : à toi de retrouver lequel !

C’EST L’HISTOIRE DE LA SEULE LINGUISTE SUR TERRE À AVOIR EU UNE EXPÉRIENCE PROFESSIONNELLE INTÉRESSANTE.

- émotiquiz -

Quel film se cache derrière ces émojis ?

- objet culte -

un objet important d’un film culte, mais lequel ?

Imperfect :

39 Jeux
Pitch Premier contact (Arrival) de Denis Villeneuve Emotiquiz : Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase Objet Culte : E.T Wl’Extraterrestre de Steven Spielberg
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