le bon artisan
Texte Elise Monnier Photo Audrey Wnent
Estelle Lemaître ET LA LUMIÈRE EST Bien au dessus des pavés battus par mademoiselle
décorateurs ne s’y trompent pas, sa première com-
Poulain, la rue Lepic n’oublie pas de nous émerveiller
mande fut d’ailleurs des petits abat-jours avec say-
et compte parmi ses étoiles Estelle Lemaître, créa-
nète en ombres chinoises pour la Comédie Française
trice bien nommée pour éclairer nos nuits. Passons
et elle vient d’achever une série dorée à la feuille
la porte de son atelier boutique et laissons opérer le
pour le Théâtre de la Madeleine. Velours profond, or
charme de la fée électricité.
et lumière se répondent, les lampes d’Estelle entrent en scène et parlent un langage intemporel. Telle une
Il fait grand froid, le jour tombe, j’ai rendez-vous
alchimiste, elle joue sur les dosages, les volumes,
dans un havre de paix où flotte un léger parfum
mélange savamment les matières brutes comme
de papier d’Arménie, la morosité de l’hiver est vite
les étamines de lin et la préciosité des galons pour
oubliée car « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe,
atteindre l’équilibre parfait, le raffinement neutre.
calme et volupté. ». Bienvenue chez Estelle Lemaî-
C’est au prix de cette exigence que l’on accède au
tre, le charme à l’état lumière. Notre hôte baigne
vrai luxe qu’est la simplicité sans tape à l’œil, comme
dans la décoration depuis l’âge de 7 ans et grandit
un parfum rare à la séduction immédiate. Elle ne
au dessus de la boutique de sa maman, elle même
délaisse pas pour autant la fonctionnalité de l’objet
créatrice de luminaires. Plus qu’un métier, la lumière
en décentrant le point électrique. C’est ainsi qu’un
fut une évidence, elle cite d’ailleurs volontiers un
plafonnier devient, grâce à un système de poulie, une
film de Lelouch dans lequel il est dit que « vendre
lampe nomade qui se plie au désir de son utilisateur
de la lumière, c’est vendre du rêve ». Un rêve qu’elle
sans perdre son esthétique. « J’adore que les objets
alimente d’objets détournés, chinés et décapés par
aient plusieurs fonctions. Quand je vois un vase qui
son père antiquaire comme les très beaux anciens
peut aussi faire photophore, je suis très contente, il a
bocaux de pharmacie qui attendent sagement leur
une double utilité. »
réincarnation au fond de l’atelier. Perfectionniste,
Si vous voulez pimenter la conversation, parlez à
Estelle accorde une très grande attention au choix
notre créatrice de la disparition progressive de nos
de ses matériaux et recherche l’exception en tra-
chères ampoules à filament, « C’est du despotisme! »
vaillant avec un carcassier, des éditeurs de tissus et
s’anime Estelle « les gens vont déprimer à vivre sous
de galons, en faisant faire tous ses fils électriques
led ! » Pour autant, pas d’inquiétude car indépen-
par un artisan lyonnais, « puisqu’on ne peut cacher
damment de l’ampoule, comme le silence après
les fils, autant les valoriser! C’est cette somme de
Mozart est encore du Mozart, les luminaires d’Estelle
petites choses qui font un objet remarquable. » Et les
Lemaître, même éteints, conservent tout leur éclat.
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