Paris 18eme - Février 2012

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le bon artisan

Texte Elise Monnier Photo Audrey Wnent

Estelle Lemaître ET LA LUMIÈRE EST Bien au dessus des pavés battus par mademoiselle

décorateurs ne s’y trompent pas, sa première com-

Poulain, la rue Lepic n’oublie pas de nous émerveiller

mande fut d’ailleurs des petits abat-jours avec say-

et compte parmi ses étoiles Estelle Lemaître, créa-

nète en ombres chinoises pour la Comédie Française

trice bien nommée pour éclairer nos nuits. Passons

et elle vient d’achever une série dorée à la feuille

la porte de son atelier boutique et laissons opérer le

pour le Théâtre de la Madeleine. Velours profond, or

charme de la fée électricité.

et lumière se répondent, les lampes d’Estelle entrent en scène et parlent un langage intemporel. Telle une

Il fait grand froid, le jour tombe, j’ai rendez-vous

alchimiste, elle joue sur les dosages, les volumes,

dans un havre de paix où flotte un léger parfum

mélange savamment les matières brutes comme

de papier d’Arménie, la morosité de l’hiver est vite

les étamines de lin et la préciosité des galons pour

oubliée car « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe,

atteindre l’équilibre parfait, le raffinement neutre.

calme et volupté. ». Bienvenue chez Estelle Lemaî-

C’est au prix de cette exigence que l’on accède au

tre, le charme à l’état lumière. Notre hôte baigne

vrai luxe qu’est la simplicité sans tape à l’œil, comme

dans la décoration depuis l’âge de 7 ans et grandit

un parfum rare à la séduction immédiate. Elle ne

au dessus de la boutique de sa maman, elle même

délaisse pas pour autant la fonctionnalité de l’objet

créatrice de luminaires. Plus qu’un métier, la lumière

en décentrant le point électrique. C’est ainsi qu’un

fut une évidence, elle cite d’ailleurs volontiers un

plafonnier devient, grâce à un système de poulie, une

film de Lelouch dans lequel il est dit que « vendre

lampe nomade qui se plie au désir de son utilisateur

de la lumière, c’est vendre du rêve ». Un rêve qu’elle

sans perdre son esthétique. « J’adore que les objets

alimente d’objets détournés, chinés et décapés par

aient plusieurs fonctions. Quand je vois un vase qui

son père antiquaire comme les très beaux anciens

peut aussi faire photophore, je suis très contente, il a

bocaux de pharmacie qui attendent sagement leur

une double utilité. »

réincarnation au fond de l’atelier. Perfectionniste,

Si vous voulez pimenter la conversation, parlez à

Estelle accorde une très grande attention au choix

notre créatrice de la disparition progressive de nos

de ses matériaux et recherche l’exception en tra-

chères ampoules à filament, « C’est du despotisme! »

vaillant avec un carcassier, des éditeurs de tissus et

s’anime Estelle « les gens vont déprimer à vivre sous

de galons, en faisant faire tous ses fils électriques

led ! » Pour autant, pas d’inquiétude car indépen-

par un artisan lyonnais, « puisqu’on ne peut cacher

damment de l’ampoule, comme le silence après

les fils, autant les valoriser! C’est cette somme de

Mozart est encore du Mozart, les luminaires d’Estelle

petites choses qui font un objet remarquable. » Et les

Lemaître, même éteints, conservent tout leur éclat.

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