Perdue dans la musique

Perdue dans la musique Laurence Saquer Septembre 2021 Consultable sur https://thecamerabehind.wordpress.com/2021/10/06/p erdue-dans-la-musique/ Article paru dans le numéro 17 de la revue Persona.

-----Anita Lane s’est éteinte le 28 avril 2021. Membre fondateur des Bad Seeds, sa disparition a généré une vague de mots d’amour et beaucoup de larmes si l’on en croit ceux qui les ont écrits. Sublime et éphémère, Anita Lane a eu pour mission d’être une inspiration profonde pour quiconque entend ses murmures.

La rouquine de Birthday Party, des Bad Seeds, la voix des reprises de Serge Gainsbourg par Mick Harvey, l’amoureuse sulfureuse et partenaire de création de Nick Cave s’en est allée un mercredi du mois d’avril 2021. « Vous croyez que le chagrin ne peut plus vous atteindre, que vous avez atteint cette étape dans votre vie où le chagrin peut ne plus vous mettre par terre. Vous êtes sûr de vous, sûr de cela.

Puis, Anita meurt », a alors déclaré, en substance, seulement quelques heures après l’annonce de cette mort, Nick Cave, le plus grand amoureux d’Anita Lane, pour ce que l’on sait de la vie de cette discrète et fulgurante figure de la musique de ces quarante dernières années.

Moi aussi, je me suis surprise à arrêter de réfléchir lorsque j’ai appris la disparation d’Anita Lane. Il a fallu peu de temps aussi à Alexis, mon ex-mari, pour me déclarer à son tour : « Mince, Anita. Je sais à peu près combien elle comptait pour toi... Je pense à toi ».

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Après Londres, Berlin et des années de furie, Anita Lane était retournée vivre sur la côte ouest australienne, à Byron Bay. Elle y a élevé ses fils, retirée de la scène musicale dès 2001, date de sortie de son dernier album solo, appelé Sex O’clock (Mute Records). Peu connue en France, adoubée avec élégance par Bertrand Burgalat qui sélectionnait parfois quelques-unes de ses chansons pour les défilés de sa compagne Vanessa Seward, adulée par quelques passionnés obsessionnels, comme moi, des artistes à la destinée cachée, Anita était une artiste sans plan de carrière qui semble n’avoir jamais suivi que ses émotions.

Agitation Il ne fallait pas avoir froid aux yeux pour s’incruster dans une bande de copains à la fin des années 1970 et donner une leçon à chacun de ses membres en co-écrivant avec le chef de la bande deux chansons qui marqueront en quelques sortes la fin de cette décennie et le début de la suivante.

De From her to eternity à Stranger to kindness, c’est toute une vie folle et furieuse qui se déroule de Melbourne à Londres en passant par Berlin, passée à sentir autour de sa taille le bras de son chanteur préféré, qui n’a jamais cessé d’évoquer son souvenir, encore jusqu’à aujourd’hui. Cela me fait repenser à cette photo volée du couple dans les rues de Berlin : lui, sapé en bleu des pieds à la tête, elle, portant une robe à fond noir et reconnaissable derrière une voiture par ses longs cheveux roux. Une balade agitée dans le printemps berlinois.

On imagine une ronde sans fin au son de Stranger than kindness, cette chanson qui ne laisse aucun répit à la joie et teinte l’amour d’une sonorité tragique. C’est la chanson des Bad Seeds que Nick Cave préfère.

Exclusivité Il parait que tous se l’arrachaient. Rare en studio, elle n’apparaissait que pour de courtes collaborations essentielles : Bonnie & Clide pour Mick Harvey, jouant à Nancy Sinatra, bébé dans les bras, pour Barry Adamson, duo en fleur avec Blixa Bargeld… Elle a beaucoup donné 2

et seuls deux albums portent son nom : Dirty Pearl (1993, Mute Records), où l’on retrouve Mick Harvey en production qui la fait danser sous le soleil couchant de Tanger et d’Essaouira et Sex O’Clock où elle déclare qu’elle fera l’amour au prochain homme qu’elle croisera… sans rougir.

Elle a beaucoup donné, oui, sûrement, mais la vérité est qu’elle a aussi beaucoup reçu. Dirty Pearl est un album des Bad Seeds qui ne dit pas son nom : ils sont tous là. Elle leur a donné leur premier succès et ils sont tous là. Nick Cave et Mick Harvey composent des musiques, tout comme Blixa Bargeld et Alexander Hacke – le très grand bassiste d’Einstuerzende Neubauten ; Barry Adamson et Thomas Wydler ont aussi apporté leur aide et c’est ensemble, qu’ils font humblement les chœurs sur Lost in Music, reprise des Sister Sledge, qui surpasse l’original. Si vous ne saviez pas quoi écouter aujourd’hui, voilà qui vous aiguillera. « Perdue dans la musique ».

J’aime Anita Lane parce qu’elle est hors du cadre, parce qu’elle plante la bande de copains quand leur groupe décolle, parce qu’elle ne fait que ce qu’elle veut. Parce qu’elle fonde une famille quand d’autres auraient encore pris le temps de profiter de la gloire.

Nick Cave et Anita Lane ont longtemps été ce couple réel et contrarié, jouant à quatre mains des ritournelles sur un piano, le premier insistant pour que les textes de sa femme soient crédités, cette dernière œuvrant pour l’art et balayant d’un geste de la main les précautions juridiques de son homme. Mais ils créaient ensemble, et je crois que c’est tout ce qui compte : créer ensemble.

Anita Lane a quitté Nick Cave, ou bien est-ce l’inverse mais les témoignages de leur histoire d’amour font état d’un lien difficile bien que profond. Elle est partie après avoir attendu 48 heures dans l’appartement où il vivait en colocation avec un ami, qu’elle ne connaissait pas, et lui, qui ne l’avait jamais vue et qui savait Nick Cave dans les bras d’une autre. A son retour, elle aurait pleuré et dit au revoir, avant de prendre un avion pour l’Australie et ne presque plus en revenir.

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Amour Qu’entend-on à travers la voix d’Anita Lane ? Je me le suis souvent demandé, depuis ma première écoute de Jesus almost got me, qui n’est pas une grande chanson mais qui plante le décor d’une lubie, ou d’un vrai plaisir d’une chanteuse qui pourrait n’avoir été formidable qu’en invitée de grande qualité de ses amis.

J’ai un début de réponse : il y a plus de quinze ans, lors d’un week-end pluvieux, j’ai créé sa page MySpace, un réseau social « clignotant » – pour ceux qui s’en souviennent. J’ai mis une photo de profil, rédigé une courte biographie et ai laissé opérer la magie de l’imitation à distance. Des personnes ont commencé à s’abonner, à partager des photos inédites, des vidéos, des paroles de chansons. Un jour, Mick Harvey a écrit un message. Nous avons alors dialogué et j’en ai profité pour lui demander ce qu’elle pensait de tout cela, de ses fans, de leurs trouvailles, ceci aussi pour m’assurer que ma démarche ne gênait pas. Il m’avait alors répondu qu’elle ne s’approchait jamais d’un ordinateur et que je pouvais continuer à faire vivre son souvenir d’artiste.

Peu après, je reproduisais la même démarche sur un autre réseau social, « bleu », et la page d’Anita Lane devint un repère de fans enamourés qui réagissent avec des cœurs de toutes tailles, s’adressant à la page comme ils s’adresseraient à elle : Où est-tu ? A quand un nouvel album ?

Pourquoi tant de discrétion, merde, Anita ? On veut de nouvelles chansons ! Sur son compte du réseau social dédié à l’image que j’ai créé il y a un an, les cœurs pleuvent tout autant.

Enamourés. Voilà ce que l’on peut entendre à travers la voix d’Anita Lane : la fusion de l’amour, élevé au rang de merveille du monde et d’une noirceur terrible, dérangeante mais supposée nécessaire. « How could something so luminous carry so much darkness?”, a écrit Nick Cave peu après sa mort.

Cette ambiguïté n’est pas ce que je préfère chez elle. Ce que je préfère chez Anita, c’est son chant assuré, souriant, fort, celui de Lost in Music, qui laisse présager l’indépendance prise presque dix ans plus tard lorsqu’elle assume une féminité plus franche, moins enfantine, dans Sex O’Clock, en blaser bleu ciel et chemisier à sequins. Ainsi nippée, elle évoque librement le Kamasutra, la possession, le foyer, 4

celui où l’on se sent bien, l’amour beau, l’amour adulte, l’amour serein en somme, celui qui se trouve loin des balades agitées dans les rues de Berlin… Ecoutez ! Elle ne parle que de cela.

Elle manquait déjà avant sa mort. Omniprésente dans les souvenirs d’une œuvre qu’elle a initiée en partie, Anita Lane crée une continuité avec sa désormais très réelle absence.

Parfois, je chante Lost in Music. J’aimerais chanter cette chanson, à voix pleine, plus fort encore. Et encore plus fort.

-----Perdue dans la musique Laurence Saquer Septembre 2021 Consultable sur https://thecamerabehind.wordpress.com/2021/10/06/p erdue-dans-la-musique/ Rejoindre les amoureux d’Anita Lane Instagram : www.instagram.com/anitalaneisadirtypearl/ Facebook : www.facebook.com/anitalaneforfans

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