Chapitre Entreprises, travail du Rapport Vigie FUTURIBLES 2016

RAPPORT VIGIE 2016. FUTURS POSSIBLES À L’HORIZON 2030-2050

Entreprises, travail Introduction

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tendances lourdes L’économie du court terme Par André Yves Portnoff Taylorique contre managements créatifs Par Yves Portnoff

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ÉMERGENCE L’essor du management collaboratif et créatif Par Laurence Debavelaere

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tendance lourde La production à l’ère numérique Par André Yves Portnoff

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ÉMERGENCE L’essor de l’autoproduction Par Cécile Désaunay

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tendances lourdes Puissance croissante des grandes entreprises du numérique : Google, Amazon, Facebook, Apple (Microsoft) Par Nicolas Mazzucchi 00 Les relations clients bouleversées par le numérique : Big data, marketing et e-reputation Par Bernard Doullé 00 Des attentes fortes (et des déceptions) de la part des Français vis-à-vis du travail Par Hubert Landier 00 ÉMERGENCEs Des organisations syndicales de moins en moins représentatives Par Hubert Landier Un accent croissant mis sur le bien-être au travail Par Hubert Landier

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tendance lourde La transformation des risques professionnels Par Michel Héry, Catherine Levert, Stéphanie Devel (Mission Veille et prospective — INRS)

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incertitude majeure Les législations du travail : cap sur la protection des salariés ou sur la dérégulation ?

Par Nawel Louzari

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tendance lourde Réorganisation du temps de travail et articulations des temps sociaux en France Par Jean-Yves Boulin 00

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© Futuribles International / Rapport Vigie 2016

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ENTREPRISES, TRAVAIL

PERSPECTIVES Alain d’Iribarne affirme que le modèle « autoritariste », largement responsable selon lui de la désindustrialisation en France, est une conséquence de la formation reçue par les cadres dirigeants. Le taylorisme s’appuie sur des modèles mentaux associant efficacité et sécurité à une direction musclée et centralisée, pyramidale et cloisonnée. L’ordre impliquerait que chacun reste à sa place, applique les règlements, les programmes planifiés et obéisse aveuglement à la hiérarchie. Le taylorisme est basé sur un contrôle permanent méfiant et sur des valeurs exaltant la discipline, l’obéissance, la fidélité aux puissants. Il se développe plus facilement dans des pays où règne un centralisme politico-administratif comme en France, ou un centralisme religieux comme dans les pays fortement catholiques. La taylorique se développera donc si l’École continue à véhiculer largement ces valeurs et modèles mentaux, et n’enseigne pas d’avantage le réussir ensemble.

Les nouvelles générations sont cependant marquées par la logique pair à pair d’Internet, favorable à un management encourageant les initiatives. Et la souffrance au travail va apparaître de plus en plus en contradiction avec la montée d’aspirations au libre arbitre et à l’épanouissement personnel, qui poussent les entreprises à accepter d’être, au moins formellement, « socialement et écologiquement responsables ». La diffusion d’entreprises nées du numérique va faire progresser ce modèle « humaniste ».

L’équilibre entre la tendance court-termiste et le capitalisme de long terme déterminera largement celui entre taylorique et management, liant compétitivité et épanouissement des hommes (voir la tendance lourde « L’économie du court terme »).

implications Depuis longtemps, des études démontrent le caractère généralement provisoire de l’effet positif des « rationalisations d’entreprises » sur les résultats financiers, et l’échec de la majorité des fusions effectuées au nom de l’effet d’échelle 17. Gary Hamel et C.K. Prahalad accusaient de médiocrité 18 les dirigeants responsables des grandes vagues de licenciements des années 1990.

Henry Mintzberg annonçait que le downsizing (allègement des organisations par compression des effectifs), en « jetant des êtres humains comme des os aux chiens affamés de la finance », allait « détruire l’entreprise américaine » et, pire, l’esprit d’entreprise 19.

De fait, le taylorisme a été efficace pour faire travailler des ouvriers peu formés dans un contexte peu mouvant, où il était possible de programmer longtemps à l’avance le fonctionnement d’une entreprise à tous les niveaux. Dans certains secteurs, où le coût du travail est déterminant et où peu de compétences sont requises de la majorité des employés, le taylorisme pourrait demeurer économiquement efficace. Mais dans le contexte de concurrence mondiale généralisée et de changements permanents, la taylorique semble sdevoir conduire à des échecs de plus en plus nombreux des entreprises qui lui resteront attachées.

Dans les administrations, la taylorique maintenue par les mêmes modèles mentaux pourrait subsister plus longtemps, les sanctions de l’inefficacité étant beaucoup plus lentes que dans le secteur privé. Mais cela entraînerait un affaiblissement des États et des réactions des citoyens.

L’essor du management collaboratif et créatif (émergence) | Laurence Debavelaere description Le management collaboratif s’inscrit dans la vague plus globale du mouvement collaboratif, aux côtés du travail, de l’économie, de la consommation. Cadre de travail de plus en plus valorisé par les entreprises, le management collaboratif est un ensemble d’outils de travail visant à faciliter les échanges entre les salariés, à faire émerger des innovations par des méthodes dites créatives (brainstorming, workshops, world café…), à mettre en circulation l’information et à capitaliser sur les expériences de chacun pour œuvrer au profit d’un objectif commun.

Parce qu’il remet en question la dimension hiérarchique de l’organisation (idéalement, chacun peut contribuer, quel que soit son niveau dans l’entreprise) et la notion d’espace (télétravail, nomadisme et coworking étant des options de travail à distance et de contribution de plus en plus plébiscitées par les salariés), le management collaboratif s’inscrit dans une tendance émergente de renouvellement des modes de travail dans les organisations où les outils de travail (réseau social d’entreprise, messagerie instantanée interne…) rencontrent des espaces favorisant l’intelligence collective (corporate coworking et fab labs …)

Inspiré des pratiques observées dans les start-ups, le management collaboratif s’expérimente dans de grandes entreprises mais aussi des petites et moyennes (PME), conscientes de l’impact de cette pratique sur l’engagement de leurs salariés (comme chez Poult, souvent cité en exemple pour incarner le concept de l’entreprise libérée). la biscuiterie poult La biscuiterie Poult fournit l’illustration la plus parlante du modèle de l’entreprise libérée formalisée par Isaac Getz. Avant d’autres, Poult a rendu ses salariés « libres et responsables d’entreprendre toutes les actions qu’ils estiment être les meilleures pour l’entreprise ». Ce parti pris s’est traduit, entre autres, par la suppression de lignes hiérarchiques pour assouplir la prise de décision, par l’adoption d’un management collaboratif et en réseau et par la valorisation de projets d’open innovation ou d’intrapreneuriat à l’image du « Poult Start-up Programme » qui permet à des volontaires (cadres et ouvriers) d’apprendre à concevoir un business plan, à calculer le prix de revient industriel, à communiquer sur les réseaux sociaux, etc. ; le but étant de faire émerger de nouvelles activités pour la société.

PERSPECTIVES 17 Pfeffer Jeffrey, The Human Equation: Building Profits by Putting People First, Boston : Harvard Business School Press, 1998. Voir également Appelbaum Steven H., Lavigne-Schmidt Suzanne, Peytchev Mihail et Shapiro Barbara, « Downsizing: measuring the costs of failure », Journal of Management Development, vol. 18, n° 5, 1999.

18 Hamel Gary et Prahalad Coimbatore K., La Conquête du futur. Construire l’avenir de son entreprise plutôt que le subir, Paris : Dunod, 2005.

19 Voir Mintzberg Henry, « How Productivity Killed American Enterprise », 2007. URL : http://minibiz.mcgill.ca/ppt/ lecture2_2007.pdf et « Productivity is Killing American Enterprise », Harvard Business Review, juillet-août 2007.

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Facteurs moteurs — Avec la montée aux postes de management des profils issus de la génération Y et, mécaniquement, le départ à la retraite du contingent de la génération antérieure, les méthodes et outils de travail visant à mobiliser le collectif ont une chance de se généraliser.

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— Le management collaboratif et les modèles ouverts de type innovation ouverte devront apporter les preuves de leur rentabilité pour s’étendre et transformer durablement l’entreprise, l’état actuel des choses étant que les projets d’open innovation se multiplient mais que leur retour sur investissement est encore incertain.

— L’ouverture progressive des organisations aux compétences atypiques, dans tous les cas celles qui n’entrent pas dans un organigramme classique, peut rendre concrètes les pratiques alternatives de management, comme celles qui sont expérimentées partout ailleurs que dans l’entreprise : designer, anthropologue, animateur de communautés, creative strategist…

Le design thinking, un management de l’innovation autour de l’humain Le design thinking est une forme du management de l’innovation dont l’approche pluridisciplinaire vise à concevoir un produit ou un service innovant en étant centré sur les humains. Démarche créative née à l’université de Stanford dans les années 1980 et générant aujourd’hui un intérêt très fort en lien avec un besoin d’innovation croissant pour les entreprises, le design thinking est une synthèse entre la pensée analytique et la pensée intuitive.

Il consiste plus précisément à appliquer les façons de voir et les méthodologies issues du monde des designers dans des domaines qui en sont a priori éloignés. À l’inverse des outils traditionnels de gestion de projet qui privilégient un processus linéaire et planifié, le design thinking est centré sur la créativité et se caractérise par des allers-retours permanents entre les différentes phases du processus (voir schéma ci-dessous).

Le design thinking s’applique à de nombreux secteurs : la banque pour recréer du lien avec

le client, les loisirs pour renforcer l’expérience des visiteurs de parcs d’attraction, l’agroalimentaire pour fidéliser des consommateurs désormais connectés, etc.

Le designer Tim Brown propose trois étapes générales dans le processus de design thinking : — L’inspiration : une phase de définition des besoins des utilisateurs finaux à travers l’observation et l’immersion, phase où sont mobilisées des techniques d’enquête des sciences humaines et sociales.

ENTREPRISES, TRAVAIL

prise et n’y être plus présent qu’un minimum de temps, avoir une amplitude horaire de travail permise par le télétravail, etc. (Voir la tendance lourde « Réorganisation du temps de travail et articulation des temps sociaux en France »).

— À ne plus travailler qu’en mode projet via des outils n’imposant pas la présence physique des membres de l’équipe, il serait possible d’observer un développement des besoins ponctuels pour les projets et une baisse des effectifs permanents des entreprises (voir encadré).

Le recrutement on-demand Le on-demand est une pratique de recrutement observée dans les secteurs créatifs où le recours à des ressources freelance est largement pratiqué. Suivant cet exemple, des entreprises de tous secteurs font appel à des profils spécialisés, des consultants, des experts dont la présence permanente n’est pas justifiée par l’activité de l’entreprise. Les projets de type collaboratif pourraient affecter cette tendance naissante et contraindre les organisations à repenser leur structure, leur culture, voire leur système de valeurs.

— Le risque d’hyperindividualisation pourrait se révéler, en particulier par le développement de moyens de travailler déconnectés du lieu physique qu’est l’entreprise, devenue un lieu de passage et non plus un lieu d’appartenance.

— L’« idéation » : une phase de brainstorming et d’expérimentation, où l’on cherche à produire un certain nombre d’idées avant d’en sélectionner les meilleures pour réaliser des prototypes.

— L’« implémentation » : une phase de test et d’amélioration des prototypes avant l’implantation de la solution finale.

Voir Brown Tim, L’Esprit design. Comment le design thinking change l’entreprise et la stratégie, Montreuil : Pearson, 2014.

Conséquences possibles — La relation au temps et l’espace pourrait se voir totalement décomposée et recomposée à partir des outils du management collaboratif. Exemples de cette tendance : être un nomade de l’entre-

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