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L’anti-séduction

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En mer, à la rame

En mer, à la rame

C ourtoi sie: Claude Cossette

Le médecin-sexologue Gérard Zwang juge ironiquement Jésus en mentionnant qu’il « vécut ascète et mourut puceau ». Est-ce à dire que le Nazaréen n’a jamais su séduire? Non pas, car il a bel et bien séduit: en trois ans, il a suscité l’engagement d’une douzaine d’associés dévoués, admiratifs, fidèles et, par la suite, la vénération de millions d’adeptes. Le dictionnaire Larousse définit « la séduction » par ces mots: « Qui attire irrésistiblement, charme par un pouvoir plus ou moins indéfinissable ». Tout le contraire de «l’authenticité » que le Petit Robert définit ainsi: « Qui exprime une vérité profonde de l’individu et non des habitudes superficielles, des conventions ».

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LA SÉDUCTION

Il semble bien que la séduction fasse partie de la nature humaine. Déjà, il y a 3000 ans, Moïse raconte, dans les tout premiers chapitres de la Bible, que le serpent séduisit Ève qui séduisit ensuite Adam avec son fruit défendu (3,13). La séduction emballe ou déçoit. Qui n’a jamais entendu une déclaration enthousiasme du genre: « J’ai été séduit », ou bien une exclamation offusquée du genre: « C’est un séducteur! » La séduction est une communication et, comme telle, elle peut parler franc ou la bouche de travers. Une société multiethnique comme le sont la plupart des villes contemporaines ne peut fonctionner que si chaque concitoyen convient de «parler franc» et se plie, sans afficher une «bouche de travers», à une foule de conventions qui facilitent le vivre ensemble. C’est à cet effet que servent la langue nationale, les fêtes populaires, la culture commune qui se construit sur le vécu collectif. La séduction agit quotidiennement de personne à personne. Elle commence avec le « bon matin! », se construit sur les échanges au sujet de la pluie et du beau temps, les commentaires louangeurs et, le cas échéant, sur les mensonges blancs, la flatterie ou la vraie tromperie. La séduction fonctionne également d’individu à foule. Le gourou, le marketeur, l’hypnotiseur, la pop star ou le leader politique séduisent. On dit qu’ils possèdent des qualités charismatiques: ils fascinent, envoûtent, ensorcellent. « Séduire » vient du latin se ducere qui signifie conduire à soi, donc captiver. La séduction serait un genre de tromperie nécessaire en société. Sans séduction réciproque, c’est la méfiance qui se répand puis la peur, le conflit. « Toute vérité n’est pas bonne à dire » rappelle l’adage populaire. C’est sans doute vrai, mais, dans les relations amicales ou amoureuses, si le mensonge est découvert, une cassure se produira à coup sûr.

L’ANTI-SÉDUCTION

La séduction existe parce que, pour la plupart des gens, certaines vérités sont difficiles à prendre. Ceux qui jouent constamment le jeu de la vérité, qui sont absolument et continuellement vrais, risquent fort de se retrouver isolés, fuis, seuls. Il serait impossible de vivre en société si chacun était parfaitement authentique. Imaginons un gars qui confie à une copine: « Je t’aime bien, mais quand nous sortons ensemble, tu me fais un peu honte, car tu es grosse ». Ou bien l’inverse: « J’aime bien faire l’amour avec toi, mais tu ne pourrais pas être mon chum, car tu n’es pas assez intelligent ». Ces réflexions peuvent être pensées, mais elles ne peuvent pas être dites. Les relations humaines se jouent entre authenticité et séduction, honnêteté et ruse, entre autres paramètres. Or, si la séduction n’est pas une qualité développée chez tous, l’honnêteté ne l’est pas davantage. Le problème avec les qualités humaines, c’est que chaque personne est quasiprisonnière de sa personnalité qui est profondément ancrée en elle. Les séducteurs le restent même quand ils sont décidés à se montrer honnêtes alors que regards entendus, sourires appuyés, paroles gentilles, euphémismes prudents, compliments racoleurs, touchers complices continuent de faire partie de leur arsenal. Quant aux personnes parfaitement authentiques, elles se révèlent incapables de recourir aux codes du charme et même parfois à ceux de la simple civilité même si c’est pour se dessiner une image plus sympathique ou pour se mouler plus harmonieusement à leur entourage professionnel, social ou même amoureux. L’authenticité a alors pris la forme d’une anti-séduction. Réflexion: La séduction semble efficace de prime abord, mais, sur le long terme, c’est l’authenticité qui produira les meilleurs fruits de la vie sociale — avec ses cousines la vérité, l’objectivité, la prudence et le fair-play.

CLAUDE COSSETTE

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