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Quand les idées trouvent les mots
Afin de séduire et gagner le cœur du public, l’éloquence va de pair avec le choix des mots. Dans les débats d’opinion, les plaidoiries ou les discours improvisés, les orateur. rices que nous avons rencontré.e.s, tâchent de captiver leur auditoire, chacun à leur manière.
La parole est assurée, le ton est clair. Les mots ne s’entrechoquent pas. Ces compétences, Roxane Couaillier les a acquises ces dernières années,
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lorsqu’elle a rejoint les rendez-vous du club Toastmaster de l’Université Laval.
Ancienne timide et «renfermée dans sa coquille», l’étudiante en sciences politiques a su tirer profit de ces rencontres. L’objectif des séances: développer les compétences pour s’exprimer en public efficacement et dans n’importe quelle situation. Au programme: des exercices de discours préparés, mais aussi de l’impro. «On improvise sur différents thèmes dans une soirée, explique Roxane Couaillier. Plus on fait de l’impro, plus on est prêt à affronter les surprises. Tu n’as pas le temps de réfléchir, tu dois réagir. Toutes les méninges sont en action», souligne-t-elle. Aujourd’hui présidente du club, elle soutient que convaincre est un exercice complexe. «On a souvent beaucoup d’idées, mais il faut savoir les agencer pour trouver les mots justes». C’est aussi le constat que fait
Djavan Habel-Thurton, gagnant des championnats du monde de Débat Francophone à Paris en 2017. Dans ce concours, deux camps s’affrontent sur des thèmes connus une heure à l’avance (deux heures pour la finale). Sur le sujet Ce gouvernement pense qu’il faut pardonner, mais pas oublier, le montréalais d’origine a décroché la première place en duo. «Les juges s’attendent à une certaine structure, mais à l’intérieur de ça, c’est l’originalité qui va te faire gagner, renverser la logique de ce que l’adversaire attend», rapporte HabelThurton.
DANS LE CADRE DU DÉBAT
Désormais journaliste à Radio-Canada sur la Côte-Nord, celui qui aime se présenter comme débatteur compétitif à la retraite tient à relativiser: malgré la plus grande habileté à jouer avec les mots, un débatteur est avant tout persuasif… En débat! «Le débat est une technique assez spéci-
fique. Comme un bon escrimeur, on ne peut pas se défendre dans la rue», avance-t-il.
Cette capacité à persuader, quand elle est utilisée à mauvais escient, peut prendre des airs de côté obscur de la force. «Beaucoup de politiciens sont d’anciens débatteurs, constate le journaliste, mais utiliser la rhétorique [l’art du discours] à mauvais escient peut amener les gens à croire des choses fausses ou dangereuses. Alors c’est à chacun d’être responsable», défend l’ancien débatteur.
Dans un autre art oratoire, la plaidoirie, Louisa Heniche avertit: «Il ne
Du charisme à la manière de bouger sur scène jusqu’aux silences dans le discours, les liens entre le non verbal et l’éloquence sont très parlants. Pour transmettre ces connaissances, Djavan Habel-Thurton a notamment donné des ateliers d’art oratoire et de débat destiné aux élèves de secondaire.
«Le débat est une technique assez spécifique. Comme un bon escrimeur, on ne peut pas se défendre dans la rue.» Djavan Habel-Thurton
faut pas oublier qu’en droit, le choix des mots est primordial, chacun à une signification, il faut toujours faire attention à la terminologie». L’étudiante en droit à l’UQAM a préparé une plaidoirie en 2020 dans le cadre du concours Charles Rousseau (un concours international de plaidoirie en droit international) annulé cette année-là pour cause de COVID-19. Sur des sujets sensibles, l’actualité rappelle souvent brusquement la longue portée de certains qualificatifs à utiliser avec précaution. En 2019, le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées parlait de génocide à leur encontre. «C’est un terme fort qui avait enflammé énormément de juristes. Pour beaucoup, le terme de génocide n’était juridiquement pas approprié pour qualifier ce crime», se souvient l’étudiante.
CONVAINCRE UN PEU, SÉDUIRE BEAUCOUP
Huit mois de préparation pour monter les arguments et deux mémoires plus tard (pour la défense et la demande), l’étudiante en droit à l’UQAM a voulu présenter un argumentaire sans faille. Pour capter l’attention du jury, les participants peuvent titiller la corde sensible. «En droit, on s’appuie sur les textes [de loi], mais le style séduit! Ça attache les idées à la mémoire des gens. Les idées seules ne permettent pas de convaincre», avance l’étudiante. Elle relativise tout de même: «Une plaidoirie, ça ne peut pas être que de l’émotion au risque d’être décrédibilisé. C’est un savant mélange entre les deux.» Un orateur sachant captiver en parlant est avant tout un orateur qui s’adapte. Djavan Habel-Thurton confirme, amusé, «si je parlais comme dans les débats dans la vie de tous les jours, j’aurais l’air un peu pompeux»,
PLAIDONS EN RYTHME
Quand Louisa Heniche rédige, elle s’attarde à la mélodie et au son des mots. «Je lis souvent mes textes à voix haute, confie l’étudiante en droit. Je cherche à ce que ce soit fluide et rythmé», ajoute-t-elle. «Je suis convaincue que, lorsqu’on présente l’argumentaire de façon mélodieuse, fluide et sans anicroche, ça donne l’impression que l’idée va de soi, qu’elle est évidente et naturelle! À l’inverse, une idée présentée difficilement avec des mots qui ne se marient pas forcément donne l’impression
que l’argument est forcé, mal ficelé, voire pas suffisamment réfléchi», renchérit-elle. «Une plaidoirie, ça ne peut pas Le rythme et l’éloquence se retrouvent être que de l’émotion au risque aussi dans le rap. Alors, concluons d’être décrédibilisé…» en musique avec le rappeur Orelsan - Louisa Heniche qui chante dans son titre La famille, la famille: «J’aimerais faire un discours parce que j’ai bu, levez tous vos verres j’aimerais dire un truc…». Lors des soupers en famille aussi, donner un discours est une chevauchée oratoire hors de sa zone de confort… Après tout, on dit que c’est en tombant qu’on apprend.
VICTOR LHOEST
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