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Expressions d,hier et d,aujourd,hui
HRONIQUE
C ourtoi sie: Martine Corrivault
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EXPRESSIONS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI
Les langues vivantes s’adaptent aux temps et au rythme de ceux qui les utilisent: si elles adoptent rapidement les nouveaux mots et expressions de la réalité moderne, leur capacité à retenir et parfois même utiliser les locutions anciennes constitue encore une richesse inestimable.
Il n’y a pas si longtemps, au Québec, on reliait langage châtié et bonne éducation. Heureusement, la réalité a fait tomber les masques, mais il reste amusant de connaître l’origine ancienne des mots qu’on utilise. Dans une grammaire québécoise plus que centenaire, j’ai découvert une liste de ce que les puristes appelaient des «locutions vicieuses», accompagnées de leurs corrections. Aucun mystère sur les origines du livre qui porte fièrement en première couverture la note rassurante (pour les gens de l’époque): «Ouvrage approuvé par le Comité catholique du Conseil de l’instruction publique, le 23 septembre 1912, pour le cours académique.» C’est même le premier linguiste québécois, Adjutor Rivard, aussi auteur d’une vingtaine de livres sur la langue parlée et les traditions québécoises, qui signe une préface où il distingue grammairiens et grammatistes. Et il reproche à ces derniers de fabriquer des livres qui se vendent, ce qui n’est pas le cas de l’auteur dont il présente l’ouvrage, l’abbé A. Aubert; qui n’est «pas plus l’esclave de la routine que de la manie d’innover». En introduction, M. Aubert précise que le mot langage désigne l’ensemble des sons et des signes écrits à l’aide desquels s’expriment pensées et sentiments. La langue est l’ensemble des mots dont un peuple fait usage pour exprimer ses idées. Il se résume en écrivant que «toute langue est un langage, mais tout langage ne saurait être appelé une langue». Le survol des quelque 900 articles de ce vieux livre scolaire, souvent annotés d’éléments historiques, m’a rappelé les écoliers d’aujourd’hui captifs d’autres outils qui accéléreront leur apprentissage sans insister sur la connaissance qui l’enrichirait. En conclusion, des leçons grammaticales arrive le dessert: le chapitre des mots et expressions à dire et ne pas dire, ces fameuses «locutions vicieuses» qui réunissent néologismes bons et vicieux (!), anglicismes, solécismes, incorrections de langage et archaïsmes parfois utilisés par les contemporains des héros de nos téléséries historiques. Ignorant tout de la télévision, le grammairien de 1912 écrit: «La plupart des fautes contre la langue commises par les gens de nos campagnes sont des archaïsmes». Affirmation qu’il aurait du mal à prouver avec le… parler moderne du Québec rural d’aujourd’hui.
LES MOTS D’HIER
Plusieurs des mots et expressions du tableau des locutions de l’époque ont survécu aux tentatives de correction, mais leur sens a pu s’élargir à l’usage ou, carrément, en arriver à signifier autre chose. Ainsi, on entend toujours des verbes comme achaler, acter, adonner, déparler, renchausser, râcler, gosser, galféter, charger, brasser, checker et ses variables.
Par contre, les mots grafignure, gravois, galipote, fricot, graine de pain, gaspil, peau grillée, niaiseux, ramancheux, nichoir, racoin, frissonneux, gesteux, brise-fer, boucane et combien d’autres tendent à disparaître même s’ils nous restent encore familiers.
Le temps laisse mieux sa marque du côté des expressions «genre» (ça c’est contemporain!): la revire est en pique (aux cartes: la retourne est en pique..); faire le renard (sécher les cours ou faire l’école buissonnière, mais aussi, ruser), les quotations de la bourse (les cotes…), ou celleci que j’ai entendu dire par ma grand-mère: un quart de fleur (un baril de farine); pour rentrer à la maison, nous prenions parfois un raccourci (chemin de traverse) et les gars sautaient la pagée de clôture (travée) en terrain planche (plan, égal), avant que le temps se chagrine ou se graisse (se couvre). Comme de bonne (assurément), vous avez entendu qu’Untel est sur les planches (exposé), bien gréyé (habillé) dans son butin du dimanche (habit), qu’une bronchite qui le gavagnait (l’épuisait), qu’il avait gaspillé ses enfants (gâté) et que le dernier, malin comme une grippette (diable) garrochait des roches (lançait des pierres) pendant qu’on faisait la gargotte (cuisinait). Au bout de ma lecture, je me dis que notre langage n’a pas changé tant que ça, mais que les réalités de la vie d’aujourd’hui sont perçues comme une menace quand on oublie les premiers mots qu’on a entendus, répétés et chantés et lus et écrits. Aucune législation ne saura les préserver autant que l’amour qu’on leur conservera dans un coin de notre mémoire.