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Y a les mots
HRONIQUE L'ESPOIR AU CUBE
«Y A LES MOTS… »
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«Y a les mots qui amusent et ceux qui abusent, Les mots qui blessent comme autant de morsures…» Oui! Y a les mots, comme le chante si bien Francine Raymond, cette grande auteure-compositrice-interprète québécoise qu’on n’entend malheureusement pas assez souvent, à cause notamment de la musique commerciale mainstream qui pollue nos ondes. Bon… Et de tous ces mots «qui ont longtemps blessé comme autant de morsures», il y a le fameux mot en F **… Eh non, bande de petits vilains, je ne parle pas du mot Fuck (bien que…), mais plutôt du mot Fou! Eh oui, ce mot si terrible à entendre parfois, avec toute la constellation de synonymes et d’équivalents l’entourant : aliéné, barjo, branque, capoté, chaviré, cinglé, foldingue, siphonné, timbré, toqué… Autant de mots qui frappent et qui fessent qui jappent et qui mordent qui égratignent et cisaillent, surtout quand on a l’âme qui vogue à vau-l’eau, qu’on a fait de la dépression ou qu’on endure stoïquement un trouble mental quelconque.
UNE ÉPOQUE «MERVEILLEUSE»
Cela dit, si j’ai utilisé ici l’expression «mot en F», c’est que rectitude politique et parcellisation des souffrances obligent, j’ai voulu faire un clin d’œil ironique à cette ère «merveilleuse» où l’on ne prononce plus certains mots litigieux, de peur de blesser l’autre ou de passer pour raciste, sexiste, voire homophobe et autres. Une époque «sublime» où journalistes, professeurs(e)s et auteurs(e)s s’autocensurent et marchent sur des œufs en utilisant les mots en N (nègre), en S (Sauvage) en ceci ou en cela, de peur de s’enfarger dans les exigences woke» (bienpensance) de la race, du genre, du sexe, du féminisme, du capacitisme et tutti quanti. On a beau répéter que le mot «chien» ne mord pas, rien n’y fait; des légions de SJW (Social Justice Warrior) sont aux aguets, et tout le monde (ou presque) est aux abois. Ce qui fait que, non seulement on n’a plus les mots qu’on avait, mais pas un jour ne passe sans que toute cette purée langagière ne fasse débat, que ce soit à propos d’un livre, d’un film, d’une œuvre picturale, d’une campagne de pub et ainsi de suite dans les particularismes des nouvelles générations offensées jusqu’à l’infini. Une époque «extraordinaire», on l’aura compris, mais qui aurait rendu très malheureuse cette grande auteure féministe qu’a été Marie Cardinal, elle dont l’œuvre majeure, Les mots pour le dire, insistait tellement sur le besoin d’employer les vrais mots pour guérir les maux de l’âme. Elle qui, une bonne partie de sa vie, fut incapable de nommer ses maux de bonne façon, et qui parlait de la «chose», en évoquant ses propres névroses obsessionnelles. Dans la foulée, je ne suis pas certain non plus que le livre de Jean-Charles Pagé Les fous crient au secours (1961), une œuvre majeure, passerait aujourd’hui le test du politiquement correct. Et cela, même si l’auteure, Sadia Messaili, a pu repiquer son titre, il y a quelques années, pour son livre Les fous crient toujours au secours (Éd Écosociété).
APPRENDRE À RIRE DE SOI
Pour un, particulièrement au sortir de mes séjours en psychiatrie dans les années 1970, j’ai profondément souffert d’entendre décliner le mot fou à toutes les sauces; mais de là à en réclamer maintenant un usage exclusif, voire même leur abolition, il y a des limites au délire! Incidemment, avec le temps, l’usage et un minimum de rétablissement, je me suis aperçu que nombre de ces expressions-là, en F… ou autrement, non seulement ne m’offusquaient plus du tout, mais m’avaient forcé à pratiquer une salutaire pratique de l’autodérision et du deuxième degré, surtout en constatant que l’intention derrière n’était ni gratuite ni méchante. Tiens! Ça fait en sorte que maintenant mon film préféré est encore et toujours Vol au-dessus d’un nid de coucou, et ce malgré tous les stéréotypes et les clichés dont il est rempli et dont je pourrais parler pendant longtemps. Apprendre à rire de soi pour mieux se rétablir?! Et comment!