La Gazette de la Lucarne n° 52 - 15 novembre 2012

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La gazette de la

lucarne

15 novembre 2012 2 €

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La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris – tél. : 01 40 05 91 29 – http://lucarnedesecrivains.free.fr

d e r u u e révei l h ’ l À « Debout les gars, réveillez-vous, il va falloir en mettre un coup... on va au bout du monde » Enfin, tout le monde n’y va pas… Quand pour les uns, il s’agit d’abord d’assouvir un besoin naturel pressant avant de songer à d’autres délices, pour les autres, il faut aller régler des urgences, nécessités municipales obligent, alors que leurs pensées, elles, s’appliquaient déjà à orchestrer la nouvelle journée. Pour certains, trouver les mots pour effacer les maux d’un bonheur perdu est une nécessité. Capturer les empreintes laissées par l’œuvre des autres… Quant à ceux qui cherchent leur rythme, il y a ceux qui s’éveillent à l’heure où d’autres rêvent encore, en proie à leurs chimères ou refusant la tyranie d’un rythme imposé. Il y a aussi ceux qui, à l’époque des frimats et de l’âpreté de l’existence, penchent plutôt pour la plume. Quand d’autres affrontent cette rigueur sans savoir qu’il pourrait en être tout autrement. Quoi qu’on en dise, le rêve veille à notre éveil… Emmanuelle Sellal

L’heure où on s’abade Paul Desalmand

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ous les matins, je me réveille tôt, après quoi je traîne au lit au durant une période qui peut durer dix minutes ou cinq heures. Une question se pose qui me paraît être d’ordre philosophique  : pourquoi est-ce que je me lève à telle heure plutôt qu’à telle autre ? Ainsi, ce matin, je me suis réveillé à cinq heures et je me suis extirpé du lit à huit heures dix. Et non à huit heures dix-sept ou à onze heures. L’heure du réveil ne semble pas être du ressort de la ­ volonté puisqu’elle a été liée à un ­besoin pressant d’aller pisser ma goutte après quoi je suis revenu entre mes draps. Mais l’heure du vrai lever, après quoi commence la journée d’activité ? Il m’arrive, pour me décider à m’abader (mot savoyard), que j’évoque le petit-déjeuner pris à la cuisine ou dans un café proche. Ce matin, la volonté de mettre cette interrogation par écrit paraît avoir été l’élément

ANDREI NIEMIMÄKI

ÉDITORIAL

déterminant. La question reste cependant entière. Pourquoi huit heures dix et non huit heures douze ? J’ai l’impression qu’une personne souhaitant s’adonner à la philosophie pourrait s’arrêter sur cette question, par exemple, justement, durant cette période de latence qui se situe entre le moment où l’on sort du sommeil et celui où l’on sort du lit. Le philosophe rigoureux d ­ evrait d’ailleurs commencer par une question plus fondamentale  : pourquoi est-ce que je sors du lit ? Pourquoi est-ce que je n’y reste pas ? Sartre a plus ou moins répondu avec son idée d’une analyse régressive qui, d’étape en étape, conduit à un choix fondamental, non effectué en toute conscience (du moins une

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« Un rien-fait n’est jamais perdu » Jacques Prévert cité par Philippe Lemaire par

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hilippe Lemaire, dont une trentaine de collages sont visibles à La Lucarne des écrivains jusqu’au 30 novembre 2012, est un collageur qui nous colle des rêves plein la vue. Il se qualifie lui-même de « colleur de rêves » dans un livre de 220 pages qui juxtapose rêves imaginés (c’est-à-dire mis avec une grande précision en images) et rêves remémorés, c’est-à-dire mis en mots, avec l’incertitude et l’ambiguïté qui caractérisent ce que nous parvenons parfois, au petit matin, à arracher à la nuit et au sommeil. En images, il répond clairement à la difficile question : « Rêvons-nous en noir ou en couleur ? » Il y rêve en noir et blanc, comme le monde des gravures anciennes qu’il pille pour les détourner et leur faire raconter d’invraisemblables mais intrigantes histoires. Et le sens de la gravité, celui des proportions, et de la bienséance en prennent un grand coup dans l’aile. De vieux ­ navires partent à la pêche à la sirène et suspendent au bout d’un treuil de belles cariatides aux seins nus ; les v­ agues de l’océan viennent caresser le lit d’une belle endormie entourée de pieuvres et 2

Zéglobo Zéraphim

de ­méduses ; l’homme qui lit, dans son journal au café, « la pensée du jour » a un cocon et une chenille à la place de la tête ; des têtes de tigres, d’éléphants, d’évêques, et des têtes de mort, des tombes, et des squelettes surgissent aux endroits les plus inattendus. L’omniprésence délicieuse des seins féminins, et même de seins en flammes, est là pour conforter les théories de feu docteur Freud, tout comme un rêve parlé intitulé « Je t’aime Maman ». L’œuvre de Philippe Lemaire est une charade littéraire qu’on a plaisir à ne jamais pouvoir totalement déchiffrer. Elle s’inscrit dans la famille de Max Ernst (dans l’un de ses rêves écrits, Philippe Lemaire essaie d’obtenir l’adresse de la femme d’Ernst pour avoir l’autorisation de l’exposer). Et il rejoint aussi, bien sûr, la famille d’André Breton, chercheur de « l’or du temps », et de sa fille Aube Ellouët, elle aussi, collagiste talentueuse. Ayant choisi de vivre à Lille, peut-être pour se rapprocher des grands surréalistes belges, Philippe Lemaire est aussi cofondateur de la Nouvelle Revue Moderne, accessible sur le net. On y voit que, parfois, sous le pseudonyme de Phil Fax, il y a signé de beaux textes sur Edgar Morin et Roland Topor, entre autres. Sans oublier Jacques Prévert dont on ne sait pas assez qu’il fut lui aussi un grand maître, comme Hans Christian Andersen, du découpage d’images poétiques.


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SOMMAIRE

Suite de la page 1. conscience réflexive) mais libre. Je me lève, par exemple, parce que je dois me rendre au travail ; je me rends au travail parce que je veux gagner ma vie, et cela parce que j’ai choisi de m’intégrer dans la société ; j’ai choisi de m’intégrer de telle façon dans telle société parce que… parce que j’ai choisi de vivre. Et donc de ne pas me suicider. Mais pourquoi à telle heure ? Et pourquoi, ce matin, n’ai-je pas fait ma promenade habituelle qui commence par

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l’achat d’une viennoise au chocolat ­auprès d’Annetta, la plus gentille boulangère de la Butte Montmartre (je parle en connaissance, je les ai toutes testées, je parle des boulangeries). C’est au crépuscule que s’envole l’oiseau de Minerve disait Hegel. La philosophie est peut­ être fille de l’aube.

P. Desalmand

Édito, E. Sellal. et L’heure où on s’abade, P. Desalmand. page 2-3

Extrait de Le promeneur de la Butte Montmartre.

page 1

Un rien-fait n’est amais perdu, Z. Zéraphim. page 4

Jusqu’à l’effleurement de l'aube, S. Mostrel. ●

page 5

La solution, M. Villacampa. page 6

Le nid de l’aigle, Chaque nuit, réveil à 4 heures, J’émerge lentement, M. Bérard. page 7

Les soirées de La Lucarne.

Suite de la page 2.

Les fées de Philippe Lemaire … La fée Inspiration est une demi-folle sur laquelle je ne compte guère. Elle passe à ses heures, imprévisible, et, sans lui fermer la porte, j’ai cessé de l’attendre. Je n’ai qu’à me louer de la fée Disponibilité, mais j’ai remarqué qu’elle souhaite être accueillie pour une certaine durée avant de transformer des instants privilégiés en heures fertiles. La fée Changement est très séduisante ; je lui dois de belles surprises et d’agréables moments. À côté d’elle, la fée Routine a peu ­d’attraits. Au fil du temps, j’ai pourtant fini par t­rouver en elle une a­uxiliaire

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Levant,

­ p récieuse. Routines de création  : moments, lieux (« l’atelier »), papiers, ­ ciseaux, bâtons de colle, crayons, techniques, balayer et rebalayer du regard ce qui naît sous les yeux… Rituels d’écriture : heures, lieux, cahiers, stylos, ordinateur, techniques, relectures… Les vingt lignes ou le poème par jour… La fée Obstination est des plus précieuses, nous rappelant aux moments opportuns que l’inachevé n’est rien. Quant à la fée Contrainte aux bienfaits si vantés, je lui reconnais le pouvoir de faire lever de belles pousses, mais ses charmes ne m’attirent guère. Je leur préfère ceux de la magie naturelle du temps perdu, de la paresse créative, que Jacques Prévert résumait d’une pirouette : « Un rien-fait n’est jamais perdu. » 3

F. Schmitt. et Poésie d’E. Oberlé. ●

page 9

Cette musique appelée Jazz… M. Albert-Levin. ●

page 10

Ce matin au réveil, M. Carron de la Carrière. ●

page 11

Au chant du coq, H. Tayon. page 12

Une femme jour après jour, M. Albert-Levin.


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MIKE WRIGHT

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Jusqu’à l’effleurement de l’aube Sarah Mostrel

L

à-bas soupirait le silence. Un vent froid venait soulever l’âtre des chimères. Il était temps de revenir à la réalité. Le rêve d’Abelle l’avait emportée loin dans un brouhaha de sonorités stridentes, sous couvert de métaphores ambulantes. Mais elle ne voyait plus rien. La sueur l’avait envahie jusqu’à embuer ses yeux qu’elle ne pouvait plus ouvrir. L’étrangeté du lieu assombrit en elle toute velléité de se réveiller. Le jour avait pointé son nez. Le souffle coupé, elle parvint à e­xtirper de son corps une ultime bouffée. Elle était morte. Une renaissance, ainsi elle le décrivit. Le passé s’estompait peu à peu. Une autre vie se profilait, ou peut-être était-ce l’apparition de l’aube ? Oubliées les quêtes éperdues, effacées les sombres images d’antan, ­voguent les galères ­anciennes…

Dans l’inconnu et l’espoir, l’entrevue d’une surprise. Et si celle-ci n’arrivait pas ?

Établir une vérité. Étudier celle de soi puis se pencher sur celle du nombre. Comprendre ce ­domaine du possible. Envisager Une toile de lin se dépose, la non-réflexion, le non-désir, comme de la soie. Ephémère l’abstraction de soi. Dérision, reconduction intemporelle des indifférence... Si tout ce qui ­moments insensés. existe a un sens, tout ce qui Les cicatrices sont l’apanage nuit à autrui est condamnable... des sensations galvaudées par Opposer le bien au mal, estle pseudo pouvoir des rampes. ce aussi simple que cela ? Ou Brouillard automatisé, appa- appréhender la « nuisance » qui raissant à chaque i­ nstant de vient de l’incapacité, des mécapluie. L’approfondissement de nismes de défense, des protecla connaissance devient une tions bien cossues destinées nécessité absolue. Absolue  ? à éviter l’affrontement… avec Terme pourtant banni par l’anti- soi-même. idéaliste forcené, pour cause L’âme divague le long de la chair de pathologie supposée. Gloire sans pouvoir la pénétrer. La déchue des intellectuels balbu- matière s’envole, impalpable, in­ tiant quelques théories instables. contrôlable, fuyante. Elle se déNon-concordance d’avec le réel. lie. Paroxysme du ­détachement. Expression néanmoins indispen- Se recoucher, avant que le prosable au salut de l’humanité et chain sujet ne l’emporte... au rétablissement de la vérité. Les dimensions des artistes sont ­indubitablement si grandes ! 4


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E

n quelque sorte – et non pas en fin de compte, expression honnie souverainement calculatrice, ce fut une semaine ­exploratoire. La première veille au soir, je l’avais posé entre les pattes de mon lapin peluche pour que la douceur des poils amortisse le choc de la sonnerie barbare. Bien vu, mal vécu. Mon bras atteignit le bouton OFF, je mis mon lapin contre ma joue et me rendormis. La seconde veille au soir, me souvenant d’une tradition orale toujours vivace, je tentai l’expérience commune. Dans une soucoupe en fine porcelaine d’héritage, je répandis la menue monnaie de pièces jaunes conservées dans une boîte chinoise et je fis trôner la chose en son milieu, telle un objet surréaliste auquel j’imaginai coller des ailes en plumes de palombe pour qu’il aille un jour rejoindre les migrations si prisées des chasseurs lorsqu’elles survolent les Pyrénées. Ce projet pacifia ma nuit, me fit tourner dans plusieurs ciels et mit mon corps tellement hors de portée que je crus à quelque perceuse de plafond quand la chose se déclencha. Un geste malheureux de ma main ­tâtonnante fit basculer la soucoupe et comme dans certains cauchemars, la chute des pièces sembla se répercuter dans des espaces infinis. Stress sans nom. La troisième veille au soir, je pris la peine de terminer un roman âpre dont je savais qu’il aboutissait à une renaissance, me disant qu’il est toujours bon, avant de s’en aller dans le sommeil, de conserver quelque espérance. Puis je pris une corde à linge en Nylon, résidu d’une droguerie familiale, et je suspendis la chose au plafonnier en grimpant sur une échelle de ménage (non pas de celles destinées à peindre les plafonds, justement). Je crois bien m’être endormie en souriant. C’est quand la chose se mit à vibrillonner sans

Maïté Villacampa

que je la repère tout de suite que mon cœur faillit rejoindre ma mauvaise étoile. L’échelle rangée, je dus aller la rechercher pour dépendre la chose. Impossible de me recoucher. Stress puissance stress. La quatrième veille au soir, je pris un quart de xxxx (pas de pub). L’effet quasi instantané m’interdit toute stratégie. Je me trouvai soudain ridicule de faire tant de chichi pour me retrouver piégée chaque matin. Mon inconscient semblait avoir dompté quelque chose. Lorsque se déclencha la sonnerie, mon bras s’allongea comme il convient, ma main rencontra le verre d’eau pour la nuit et plongea IN. OUT le principe de précaution. Triste matin que de se noyer dans un verre d’eau. Il fallait éponger, la journée commençait par une réparation. Stress cuisant. La cinquième veille fut la dernière d’une semaine écourtée par la rage. J’avais appelé Nadine en la chargeant de me téléphoner dès qu’elle se réveillerait. Je connais Nadine depuis trente ans, c’est une lève-tôt couche-tôt, mon contraire. Sa vocation matinale est liée aux chants d’oiseaux, au ciel de Provence, à la lumière de ses aubes. Moi, citadine. Vue limitée. Bref, le téléphone sonna à 6 h 30. Je bondis jusqu’au salon, décrochai l’appareil et cela raccrocha instantanément. Mon cœur se mit en surrégime, j’eus un étourdissement et me réveillai sur le tapis. Je passai la journée au lit, cheek to cheek avec lapin peluche, l’échelle repliée contre l’armoire balinaise, le réveil réduit à l’expression de ses plus simples composants à la manière des chefs-d’œuvre de César. Je me pris à philosopher sur la nécessité stupide de vivre à contretemps, à contre-rythme et c’est ainsi que je devins noctambule. Paris by night n’a plus de ­secrets pour moi. Ville tanière, vie rêvée, enfin. EMSIPRODUCTION

La solution

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Michel Bérard

Le nid de l’aigle

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e ne savais plus si je dormais dans le nid de l’aigle ou si l’aigle habitait dans mon lit, mais dans notre repaire étroit, pattes et plumes jamais en repos alertaient mon sommeil, je pressentais le matin, l’envol, quand les brumes se lèvent sur l’ampleur des humeurs palpitantes de la terre, la proie.

Chaque nuit, réveil à 4 heures

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ourquoi 4 heures ? Le monde dort derrière sa fenêtre. Le réveil qui n’a pas sonné se cache sous les livres à mon chevêt. Les autres livres dorment debout sur les étagères. La lumière n’a rien fait que ce qu’on lui dit, elle éclaire l’absence muette, sauf moi, dedans avec mes chimères bavardes. Elles n’ont trouvé que moi, dernier café ouvert pour déballer les graves futilités qui me tiennent éveillé.

J’émerge lentement

J’

émerge lentement au milieu des pas tranquilles qui préparent sous la fenêtre entrouverte le bruissement d’un départ en voiture, léger comme l’envol furtif d’un oiseau, et débarrassé des brumes du sommeil, j’arrive à toi mais tu n’es pas là et là je suis tout à fait réveillé. C’est l’heure de la petite aube dont nous parlions hier dans la pleine nuit d’été. J’évoquais la profusion des moissons, tu disais l’hiver aussi, la neige immense. Quand tout est en dedans de soi. 6

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Soirées de la Lucarne 

Samedi 24 novembre à 19 h 30

Soirée littérature « D’une langue à l’autre » Avec Flavia Cosma, Denis Emorine, Nina Zivancevic, Geneviève Huttin, Ara Alexandre Shishmanian, Dana Shishmanian (qui animera la rencontre). Nous avions évoqué lors d’une précédente soirée « D’une langue à l’autre » l’expérience révélatrice de poètes de différentes origines ayant adopté le français comme langue d’écriture. Cette fois, nous interrogeons ensemble des poètes de langue étrangère et leurs traducteurs en français. Nous écoutons le chant d’origine et sa transposition. Nous tâchons de scruter le mystère de cette « trahison » fertile qu’est la traduction, qui, en disséminant des textes poétiques autrement inaccessibles ailleurs que dans leur propre jardin, les font germer et produire des fruits inattendus sur les terroirs de la langue d’accueil. 

Mercredi 28 novembre à 19 h 30

Paris mystère : l’Inconnue de la Seine et autres fantômes parisiens Avec Didier Blonde pour ses romans, récits et livres d’érudition. L’Inconnue de la Seine, Carnet d’adresses, Un amour sans paroles, Baudelaire en passant (Gallimard) et son Répertoire des domiciles parisiens de quelques personnages fictifs de la littérature (La Pionnière). 

Samedi 1er décembre à 19 h 30

Soirée littéraire

Avec les éditions du Quintelaud. Présentation du roman Tôle de Brigitte Feit et Les Querpéens (2 volumes)de Jean-Max Albert, en présence des auteurs et de l’éditeur. 

Mardi 4 décembre à partir de 18 h 30

Vernissage de l’exposition « Corps et âmes » Estampes, dessins et illustrations de Dana Radulescu. Exposition du 3 au 15 décembre. À 20 h 30 : présentation et lecture du livre Pierre Pierre le dragon, par Nathalie et l’auteur Miguel Angel Sevilla (illustré par Radulescu Dana, éd. de l’Amandier). 

Mercredi 5 décembre à 19 h 30

Soirée Femmes du monde arabe Maram al Masri invite des femmes et poètes arabes qui ont osé dire et écrire leurs sentiments comme leurs idées. Elle présentera son anthologie, Femmes poètes du monde arabe, reflet l’état de la société et la modernité de la pensée de 50 poètes dans le monde arabe.

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Lectures de la comédienne Sandrine Clarac. En présence de Nada Menzalji, poète syrienne qui vit à Londres, Heam Mustafa Kabalan, poète palestinienne qui vit en Israël et Kholoud Al Falah, poète libyenne qui vit en Libye. 

Jeudi 6 décembre à 19 h 30

Soirée chansons

Avec Marie-Claire Calmus pour son CD Passions et révoltes, et Françoise Mingot, dite FanFan, pour son CD Zone interdite. Marie-Claire Calmus a enregistré avec Christian Perez (son musicien et ami depuis trente ans) ces 17 chansons à partir de poèmes ou de textes inédits. Elles composent un itinéraire en boucle, depuis un « état des lieux » existentiel, jusqu’à la revendication libératoire, d’une vie différente, au travers les remous de la vie amoureuse et sociale. 

Samedi 8 décembre à 19 h 30

Soirée littéraire

Présentation et hommage à Thierry Metz (19561997), dont la trajectoire de vie est fulgurante, à travers la revue Diérèse dirigée par Daniel Martinez. Lectures des poèmes du Carnet d’Orphée et de textes de Diérèse par Isabelle Lévesque et Daniel Martinez. 

Jeudi 13 décembre à 19 h 30

Autoportraits croisés de deux artistes-modèles En préambule : une séance de croquis de poses d’une vingtaine de minutes ouverte à tous, dessinateurs et public. À vos crayons ! Une rencontre littéraire entre Laurence DugasFermon, photographe et Maria Clark, plasticienne et performeuse. Toutes deux écrivent et parallèlement à leurs activités de création, elles ont en commun d’être modèles vivants pour des artistes, des écoles d’art et pour elles-mêmes, dans leur travail artistique qui utilise couramment leur corps, leur présence, comme médium. Présentation de leurs derniers ouvrages : Une femme jour après jour, de Laurence Dugas-Fermon (éd. Les Cavaliers de l’orage) et À bras-le-corps, de Maria Clark (éd. de La plâtrière), une déambulation sous forme de témoignage, des croisements entre séances de poses et œuvres performatives… 

Vendredi 21 décembre à 19 h 30

Vernissage de l’exposition « Corps imaginaire, corps matière » Laurence Dugas-Fermon et Maria Clark proposeront des œuvres qui mettent en situation leur propre corps. (photos, dessins et installations). Exposition du 18 au 29 décembre 2012 http://www.mariaclark.net/ http://laurence-dugasfermon.com/

Plus de détails sur : http://lucarnedesecrivains.free.fr La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris - Tél. : 01 40 05 91 51. 7


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Levant Fabienne Schmitt

À nos points du jour Et nos cernes bleues ✬

Odeurs de l’amour Au fond de nos yeux ✬

Ouvre les volets Éternel matin ! ✬

Garde nous lovés Au creux de tes reins ✬

Arrête le temps Laisse-nous encore ✬

Jouer les enfants Du cœur et du corps ✬

Comme au premier jour Comme au premier monde ✬

Instants de toujours Qu’un soleil inonde ✬

Elodie Oberlé

« Dormi… J’ai dormi jusqu’à « plus soif »… Dormi jusqu’à épuisement total de mes rêves. Dormi à en avoir une migraine violente. Saoulée de sommeil ! Parce que le ciel était encore clair, il a fallu se résigner, se lever. Le visage tiède, les yeux gonflés, le corps frissonnant face à ce changement de température, ce passage du coton rembourré chaud et douillet à la réalité froide des giboulées de mars. Un peu peur je crois. Non, carrément effrayée ! Si seulement je cessais de tout idéaliser, de toujours chercher une herbe plus fraîche et plus verte ailleurs… Mais quel ailleurs ? Celui du passé ou un nouvel inconnu ? Mon cœur sonde le ciel, prie les étoiles de bien vouloir éclairer mon chemin. Mais la boussole reste désorientée… Une maison. Douce, calme, paisible. Ma maison. Un endroit à partager avec une âme amie, une âme amour. Qui le premier m’ouvrira la porte ? Une solitude retrouvée ou un sentiment partagé ? Pour patienter, je retourne espérer dans l’univers imaginaire de mes nuits protégées. »

Nos corps fatigués Pour l’éternité ✬

Oh... Le bel été !

Se réveiller, c’est se mettre à la recherche du monde. Alain, Vigiles de l’esprit, Gallimard, 1942.

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Cette musique appelée Jazz… Marc Albert-Levin

Un projet fou, un rêve : arriver à suggérer de la musique avec de simples mots écrits sur une page ou un écran. Pourquoi faire ? Pour partager une forme d’entrain particulier, cette musique qu’on appelle toujours du jazz. En sortant de la salle Pleyel, l’autre soir je me suis souvenu que l’oreille n’était pas seulement l’organe qui perçoit les sons, mais aussi celui qui permet de garder l’équilibre. Or, quand c’est la musique de Wayne Shorter qui vient ­ tinter dans vos oreilles, on dirait qu’elle prend un malin plaisir à vous faire perdre l’équilibre, à vous

en surprise, et dont les interprètes jouent à se faire rebondir les uns les autres comme des catcheurs dans les cordes d’un ring. Wayne a en commun avec son ancien patron, l’inoubliable Miles Davis, que son phrasé est ponctué de silences. Chez lui, la profusion des notes semble n’être là que pour mieux faire entendre le silence. Il donne parfois l’impression de ne jouer qu’en hachures et en pointillés, sur une grille harmonique volontairement ouverte aux ­improvisations de ses complices, les membres de son quartet. Il possède la meilleure des sections rythmiques imaginables : la pulsation de John Patitucci à la basse, tricote et fricote avec la batterie de Brian Blade ou sursaute après chacune des explosions rythmiques qu’il déchaîne en rafales. Et Danilo Perez au piano sait le suivre et lui faire écho aussi bien dans ses grimpées vertigineuses que dans ses dégringolades en glissando, au saxophone ténor ou soprano. Cela tient du tour de magie : ils font sortir de leurs instruments acoustiques des sons aussi inouïs et inattendus que le mouchoir rouge ou le lapin blanc qu’un prestidigitateur tire de son chapeau. Ils dansent un quadrille sur la corde raide de l’improvisation. Comment estce possible ? Chapeau ! KATHELINE GOOSSENS, IMPRESSIONS D’UN CONCERT, 2012.

J

e me réveille souvent avec le projet d’écrire quelque chose qui parvienne à capturer avec des mots, un concert entendu la veille ou une exposition qui m’en a mis plein la vue. Les réapparitions saisonnières des musiciens et des peintres que j’aime sont le décor et la bande sonore d’une vie sans cesse menacée par la grisaille du quotidien. N’ayant pas le bonheur d’être moi-même peintre ou musicien, j’ai envie d’exprimer ma gratitude pour la joie qu’ils me donnent en écrivant sur la peinture et la musique. L’ancien adage latin scripta manent (les écrits restent) est inscrit dans ma mémoire, et il n’est pas faux puisque certains écrivains vous entraînent ­ encore dans les méandres de leurs pensées plusieurs siècles après avoir disparu.

a­rracher à l’immobilité : vous faire taper du pied, dodeliner de la tête, ou pire encore, à vous entraîner dans une danse de derviches où comme une toupie, il faut tournoyer sans cesse sur soi-même pour ne pas tomber. Wayne a une façon bien à lui de nous chatouiller les tympans : ce sont les trilles suraigus d’oiseaux siffleurs, la soyeuse caresse de pétales de plumes contrastant avec des notes basses qui vibrent et résonnent comme la sirène d’un paquebot annonçant son départ dans la brume. Et dans ses mélodies, il n’est ­ jamais là où on l’attend. Certaines phrases musicales vous laissent prévoir leur chute plusieurs mesures à l’avance : elles retombent sur leurs pattes et font le dos rond comme des matous bien nourris. Mais certainement pas les compositions de Wayne Shorter, qui vous baladent de Charybde en Scylla, qui vous bousculent de surprise 9


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Ce matin au réveil

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Mathieu Carron de la Carrière

D’après une parabole du Sûtra du Lotus.

YONI LERNER

E

mpêtré dans les draps du matin, mon pied droit, éclaireur en quête du monde éveillé, trouve une sortie au bord du lit. Mes orteils sont instantanément saisis par le froid, l’information envoyée directement à ma conscience embrumée se mêle harmonieusement au tacatac d’une rame de métro aérien. J’ai mal aux ­cheveux. Hier soir mon ami fortuné m’a ­invité dans son bel appartement. Nous avons dîné et bu jusque tard dans la nuit. Engourdi par l’alcool et peu habitué à manger aussi copieusement je me suis éffondré d’une seule pièce. Et me voici dans ce lit immaculé, un pied dehors, un pied dedans. Cette nuit, mon ami a dû me mettre au lit alors que je me carapatais au pays des rêves. Et maintenant, impossible de me rendormir. Les beaux draps de coton blanc c’est pas pour quelqu’un comme moi. L’appartement est vide, je me rhabille, prends mes quelques affaires et repart, toute ma vie rangée dans des sacs plastiques. La rue c’est mon terrain, ma maison, mon horizon. Je vis au hasard des rencontres, des bouts de sandwichs récupérés au fond d’une poubelle ou des bouteilles vite bues. La nuit, pas de draps immaculés, juste des journaux froissés dans lesquels je me blottis comme un hamster endormi au fond de sa cage. Passent les jours, les mois, les années et ma vie d’homme courbé qui se ratatine en bordure de trottoir, acceptant le peu que l’on vient me proposer.

Un soir, alors que je faisais rouler mon chariot remplis de vieux sacs usés, un homme m’aborde. Il me reconnaît. « Mais que fais-tu là ? » me demande-t-il. « C’est vraiment ­ absurde que tu aies été contraint à de tels expédients pour te nourrir et te vêtir ! Te souviens-tu de notre dernier dîner ? Après que tu te sois endormi, afin de m’assurer que tu puisses désormais vivre 10

à ton aise, j’ai glissé dans la doublure de ton vêtement une pierre de grande valeur. Elle doit encore s’y trouver mais tu l’ignorais, et t’épuisais dans une vie pénible. Quel dommage ! » Je retourne alors mon vêtement et découvre le joyau. Une impression de sortir d’un long sommeil. Maintenant, je sais que je ne connaîtrai plus jamais le manque ni la misère.


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Au chant du coq

Hélène Tayon

emplois à la clé, si ça foire, je risque de pas être réélu, moi ! Je lui parlerai aussi du lavoir, je voudrais en faire une aire de jeux, de quoi attirer le touriste, faut vivre avec son temps. Pas comme ce con de la ferme du Mas ! C’est la vieille école, il n’a rien modernisé, il a même refusé une parcelle pour la quatre voies ! Il est dans la merde, c’est sûr, mais la farce de la ­ficelle à rôti, ha ha, elle est bonne ! Faudra que je la raconte à Mireille avant de la baiser, ce coup-ci ! Allez, zou, je me lève, il est grand temps ! Donc, la déchetterie, le rond-point et le lavoir ! Et roule, ma poule ! On ne se tue pas avec de la ficelle à rôti ! — « Allô ? Quoi ? Non ! Une décharge de chevrotines en pleine tête ? Ce matin devant la grange du Mas ? Non ! Dites au géomètre que j’aurai du retard. Qu’il m’attende, surtout ! » KEVAN DAVIS

Q

uelle nuit ! D’abord, hier soir, débandade, tout mou tout flapi, malgré les efforts de Mireille. Puis, cauchemars, palpitations, soif, pipi, pas sommeil. Pourquoi ? Hier, mon premier adjoint m’a appelé à midi pour un suicide, précisant que le type s’était raté. — On t’attend, tu es le maire, c’est ton boulot ! Et je me suis pointé à la ferme du Mas. La femme était furibarde : « Quand vous pensez qu’il a voulu se pendre avec de la ficelle à rôti ! » Le mari, écroulé sur la table de cuisine, ­répétait en se frottant le cou qu’il n’avait pas trouvé de corde, c’est pour ça qu’il avait fait trois tours mais cette saloperie avait pété. Je savais que l’exploitation était en liquidation, terres et bêtes allaient être saisies mais je lui ai dit : « haut les cœurs, tant qu’il y a de la vie ! » Comme il était torse nu, sa femme lui a donné un tee-shirt qu’il a enfilé à l’envers. Elle a hurlé : « Tu es fou, ça porte malheur ! Remets-le à l’endroit ! » Et le docteur est arrivé. Ce matin, j’ai rendez-vous avec le géomètre pour les plans de la déchetterie et du rond-point. Six

15 novembre 2012

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Hélène Tayon est romancière. Elle a été professeure de langue et de civilisation françaises, de latin et de grec ancien, à Ankara, Tunis, Izmir, ­Bagdad et Sofia (lycées et instituts français, universités étrangères). Elle a publié Alarga !, publié en 2009. Traduit en turc, il est sorti à Istanbul en 2011.

ISSN 2101-5201 La Gazette de La Lucarne mensuel de La Lucarne des Écrivains Rédaction et administration : 115 rue de L’Ourcq, 75019 Paris lalucarnedesecrivains@gmail.com Directeur de la publication : Armel Louis Coordination du numéro : Emmanuelle Sellal. Maquettiste : Emmanuelle Sellal.


no 53

15 novembre 2012

Une femme jour après jour

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n trouve à La Lucarne des Écrivains des livres peu courants, de beaux livres qui échappent aux réductions du marketing, du formatage, ou de l’exploitable à tout crin. C’est le cas d’un ouvrage de Laurence Dugas-Fermon intitulé Une femme jour après jour. On y découvre une jeune femme gracieuse qui se découvre ellemême au fil des pages (elle a été modèle pour des peintres) en mettant systématiquement en regard une photo d’elle et une photo de son environnement, le tout accompagné de ses réflexions du ­moment. Certaines des photos et des réflexions sont charmantes. Comme celles d’un 7 novembre : « Il était presque minuit et l’autoportrait manquait. Il ne me restait que dix minutes pour respecter la règle du jeu : un autoportrait et une photo chaque jour, entre zéro heure et minuit. Cette nuit-là, la lumière dorée du réverbère, derrière la porte, ressemblait à un coucher de soleil. » Se servir de leur corps féminin comme d’une œuvre d’art, c’est ce qu’ont déjà fait des artistes contemporaines comme Orlan, Cindy Sherman ou Sophie Calle. Mais le climat de Laurence Dugas-Fermon est assez loin des performances narcissiques d’Orlan, des travestissements de Cindy Sherman, ou même de ­l’approche conceptuelle de Sophie Calle, avec qui elle a quand même en commun de créer un rapport étroit entre texte et image. Dans le volume été-automne, le premier, que j’ai sous les yeux (de juin à juillet, publié en 2012), on se sent a­ bsous de son propre voyeurisme en lisant le conseil qu’elle donne dès le 7 juillet : « N’hésitez pas à placer votre œil dans le trou de la serrure ». Ainsi autorisé à la zieuter

Marc Albert-Levin

dans tous les états qu’elle choisit d’offrir à notre regard, on feuillette le livre avec la curiosité qu’on aurait pour le journal intime de sa sœur, de sa fille ou de sa chérie. On y retrouve des pensées irréfutables qu’il est presque impossible de ne pas avoir eues soi-même. Par exemple : « Les lieux se chargent de souvenirs en fonction de ce que l’on y a vécu. » Ainsi, peu à peu, on a fait connaissance avec une jeune femme qui pourrait vivre à la porte d’à côté, mais que distingue son désir farouche de ne pas laisser s’enfuir un seul jour sans essayer de lui donner un sens. Elle clôt son livre, un 20 ­décembre, sur cette belle pensée d’Aragon : « La vie est un voyageur qui laisse traîner son manteau derrière lui pour effacer ses traces. » Comme Aragon, Laurence a peur qu’on ne puisse plus la suivre à la trace. Ses photos et ses textes donnent envie de dire « à suivre… »

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Une femme, jour après jour, Saison 1 été-­automne, ­Laurence DugasFermon, Les Cavaliers de l’orage, 2012, 30 €.


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