La Gazette de la Lucarne n° 67 - 15 février 2014

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La gazette de la

lucarne

15 février 2014 2 €

n  67 o

La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris – tél. : 01 40 05 91 29 – http://lalucarnedesecrivains.wordpress.com

L a r i m , à q u o i ç a r i m e  ? e Éditorial

Chère lectrice, cher lecteur, Cherchant ce qui rime avec le hasard, cette providence de la poésie, je ne trouve que bazar et bizarre. Je m’égare dans un bar à Zanzibar, et comprends que, sous peine de rester ignare…, je dois avoir recours à un outil que n’avaient peut-être pas nos grands auteurs classiques : Le Dictionnaire des rimes et assonances, illustré par 3000 citations de poèmes et de chansons, dans la collection « Les usuels » du Robert, d’Armel Louis. Votre libraire ? L’inventeur de La Lucarne des Écrivains ? Oui. Il y avait travaillé avec l’aide invisible de John Gelder et c’est en pensant à eux deux et à Jacques Grieu qui rime on ne peut mieux que j’avais proposé ce thème de la rime pour la Gazette de février. Dès ma rencontre avec Armel, il y a déjà une bonne dizaine d’années, j’avais compris que seul un écrivain déguisé en libraire pouvait avoir autant de culot pour parler à d’autres écrivains. Mille merci, en tout cas, aux précieux amis qui ont bien voulu jouer le jeu de cette Gazette, Mazette ! Et à vous qui prenez le temps de la lire, la lyre ! Marc Albert-Levin

La rime de A à Z Patrick Le Divenah

M

orte la rime ? Alors dans ce cas, mort l’alphabet ! Car la rime est déjà dans notre outil premier, il suffit de l’écouter. Cela commence en a, entre a et k, en assonance avec h. Et ça va continuer en é, avec la flopée des b c d g p t v w. Et voici qu’on enchaîne entre m et n, qui assonent avec l. Cela se poursuit entre i et j, assonant avec x. Et ça continue entre u et q. Ça assone assez clair entre f, r, s, z et même y (il suffit de prêter l’oreille). Mais voilà que le e et le o, eux, le prennent de haut et refusent la rime avec leurs partenaires. Tant pis pour ces réfractaires.


Drew Coffman / CC

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GustaveS

ylvain Josserand

T

u connais certainement Gustave, ce poète salarié qui a pris une retraite bien méritée ­ après 165 trimestres de sonnets, de ­quatrains, de ballades, de rondeaux, de madrigaux et de compliments poétiques pour les anniversaires, les promotions, les départs à la retraite et les réunions patrio­tiques. Il n’a manqué aucune manifestation de rimailleurs, a reçu de nombreux prix et distinctions de sociétés aussi savantes qu’obscures et publié de nombreux recueils distribués ou vendus à ses proches. Je ne sais s’il est toi ? Certainement pas. Il est au moins une partie de moi…

15 février 2014

Il est au moins cette partie de moi qui essaye non sans mal d’écrire de la poésie. Et de publier, chaque ­année que Dieu fait, un spicilège pour le Printemps des poètes. À chaque fois, j’hésite, je ­recule et je ­reporte à l’année suivante, car je ne suis pas satisfait du résultat obtenu. J’ai beau me consoler en me disant que le poète o­ fficiel de l’École laïque, obligatuite et gratoire, et au nom prédestiné, a écrit : L’amiral Larima Larima quoi la rime à rien l’amiral Larima l’amiral Rien. Et me dire qu’après tout la rime, c’est comme la rimaye du glacier en montagne, si on si aventure de trop près, on risque de tomber au fond du trou et d’y perdre la vie. Gustave, m’a-t-on dit, n’arriverait plus à versifier ­depuis qu’il n’est plus un poète salarié. Il produit des trucs bizarres avec des rimes en ouille, ul, ite, ob, êt… C’est tellement nauséabond qu’on l’a viré des émissions de la France courtoise, des comités d’organisation du Printemps français et de Jour de colère… Dépité, au bord du nervous breakdown, il aurait tout vendu : sa maison, sa bibliothèque, sa collection de tableaux, sa plume Sergent-Major, son encrier, son buste de Victor Hugo et celui de Charles Péguy. Il serait parti sur les chemins avec son baluchon et pour tout impédimenta, un carnet, un stylo et un dictionnaire de poche. Il serait à la recherche du premier mot, du premier vers du poème qu’il aurait toujours voulu écrire. Du seul de ces poèmes qui serait un objet littéraire et créatif. Le rêve de tout artiste, non ? Si je ne partage pas du tout ses idées politiques, j’ai une grande empathie pour lui. Sa quête et son graal pourraient être miens. Alors, si par hasard, tu le rencontres sur les sentiers de France, de Navarre, de Suisse ou d’Autriche, donne-lui le mot suivant pour qu’il puisse avancer sur la voie qu’il s’est tracée…

Rimera bien qui rimera le dernier… Bruno Testa

À

la manière d’une comptine qui rime avec ­enfantine, on ne peut pas exclure que la rime soit d’abord une satisfaction liée à l’enfance. Plaisir magique en quelque sorte que cet éternel ­retour du même son. Plus tard, on ne peut pas exclure non plus que rimer rime à quelque chose, justement pour combattre le désordre qui nous assiège. Rimer pour ne pas dé(p)rimer. Mais attention, entre rime et 2

frime il n’y a parfois qu’une lettre. Comme entre rime et crime qui signe l’amour parfait. Rimer est-il sans danger ? Non, à trop rimer, on risque de s’enrhumer si l’on en croit le poète Clément Marot (1496-1544) : « Et en rimant bien souvent je m’enrime ». Bref, que l’on rime bien ou mal, que l’on soit rimailleur ou que l’on trouve rime ailleurs, rimera bien qui rimera le dernier.


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SOMMAIRE

Déprime

Jacques Grieu

15 février 2014

J’en deviens obsédé : des vers, j’écris partout, J’en fais la nuit, le jour, en vers et contre tout. De mon verbe grisé, je brandis haut les rimes En grandes envolées qui dépassent les cimes. J’en envoie, j’en reçois, partout le vers est mis, Et ces vers de contact enchantent mes amis. Donc, si la vérité est bien au fond du vers, Du commun ordinaire, alors je me libère… Mais des esprits chagrins me montrent fine bouche, Qui de mon euphorie me font la froide douche. Le doute s’insinue, le vers est dans le fruit, Sans rime ni raison, l’inspiration me fuit. De rage, je suis vert, me tance vertement : Tempête en verre d’eau serait vers grossissant ? Tout au fond de mon vers, le vrai est-il si sûr ? Le ver n’est dans le fruit que quand le fruit est mûr ! Mes vers sont à l’envers ? Je les prends à revers ? Mais s’ils ne vont pas droit, c’est qu’ils sont de travers ! « Vers bouteille, vos yeux », m’ont dit des gens sévères, Voulant me mettre au vert, soucieux de mes artères. « Ceux qui riment le plus n’ont pas toujours raison ; La raison du rimeur est souvent trahison ». Je les envoie au diable, à celui de vauvert, Et leur lancerais bien ma volée de bois vers… Les vers les plus discrets percent les plus grands trous, Certains petits sous-vers amènent grands remous. En berne est mon moral, ma verve devient louche : Vers à pied ou à dent, tous deux vont à la bouche, Alors tous mes efforts ne rimeraient à rien ? Le vers à moitié vide est encore trop plein ? Mon « rimage » peut-être, est loin de mon plumage, Et sa douce euphonie ne vaut pas un fromage ? Je vais tout supprimer, j’abandonne la rime, Et c’est dans le vers d’eau que se noie ma déprime. Tout vers est relatif, fait de jaune et de bleu : Il suffit bien qu’il soit le moins véreux qu’on peut… Les vers des grands poètes, on les connait déjà : Sont-ils aussi trop verts et bons pour des goujats ? Infime vers de terre et rimant dans la peine, Sur mon papier de vers, j’ai rêvé de Verlaine… 3

Page 1 

Édito de M. Albert-Levin

La rime de A à Z, P. Le Divenah

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Gustave, S. Josserand

R imera bien qui rimera le dernier…, B. Testa

Page 3 Déprime, J. Grieu Page 4 

D u bon usage de la rime, C. Rimet

U ne poésie de R. G. Cadou

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P rophéties jubilatoires, J. Gelder

L a rime en 2014, M. Albert-Levin

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À ma rime…, F. Schmitt L

 a

rime, ça rime à quoi ?, Annabelle

Page 7 Les soirées de la lucarne Page 8 

S acrée poésie !, S. Mostrel

U n petit vers, P. Le Divenah

Page 9 

Des rimes de M. Bérard

Quelques vers de L. Mondovi

Rimes sans raison…, M. Perret

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L a rime, à quoi ça rime ?, Z. Zéraphim

L a comptine d'Elodie, E. Oberlé

Page 12 Merci Charlie !, H. Tayon


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Du bon usage de la rime Caroline Rimet

TMAB2003 / CC

Peut-être alors pourrait-on se poser la question  : la rime est-elle élitiste ? Se justifie-t-elle seulement lorsqu’elle est au service de la beauté ? Personnellement, je pense qu’il faudrait engager la responsabilité pénale de ceux qui s’en servent à des fins mercantiles ou faciles (je n’aime pas, vous l’aurez compris, les chansons de Johnny Hallyday, que ses fans me pardonnent…)

N’

importe qui peut s’approprier le procédé. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter certains slogans publicitaires aussi débiles que trompeurs : « Avec Sabena, vous y seriez déjà » ou, plus récent « Un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts. » J’avoue que, ne regardant plus les chaînes qui vivent de la publicité depuis fort longtemps, je suis bien incapable d’en citer d’autres. Dans un autre ordre d’idée, si l’on passe en revue les chansons françaises qui font partie de la mémoire collective, certaines riment avec sublime : « Que c’est abominable d’avoir à choisir entre deux innocences, que c’est abominable d’avoir pour ennemis les rires de l’enfance ! 1», tandis que d’autres riment avec simplissime : « Quand tes cheveux s’étalent comme un soleil d’été et que ton oreiller ressemble aux champs de blé…2 »

À quelques exceptions près, la rime est indissociable des plus belles ­paroles de chansons, des plus beaux poèmes et des plus belles déclarations d’amour. Certains courants littéraires comme celui des Parnassiens, ont décidé que la beauté formelle des strophes était aussi importante que ce qu’elles racontent : Comme un vol de gerfauts, hors du charnier natal Fatigués de porter leurs misères hautaines De Palos de Moguer, routiers et capitaines Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal 3 Et quand j’écris à mon amant, je souhaite que mon texte en rimes lui apporte une preuve d’amour supplé­ mentaire… 1. Perlimpinpin, Barbara ; 2. Que je t’aime, Jean Renard/Gilles Thibaut ; 3. Les Conquérants, José Maria de Heredia.

René Guy Cadou Celui qui entre par hasard dans la demeure d’un poète Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui Que chaque nœud du bois renferme davantage De cris d’oiseaux que tout le cœur de la forêt Il suffit qu’une lampe pose son cou de femme À la tombée du soir contre un angle verni Pour délivrer soudain mille peuples d’abeilles Et l’odeur de pain frais des cerisiers fleuris Car tel est le bonheur de cette solitude Qu’une caresse toute plate de la main Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes La légèreté d’un arbre dans le matin. 4


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John Gelder

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La rime en 2014 Marc Albert-Levin

1 Tandis qu’ils payent un lourd tribut Au sacre dynamique de la performance Pour laver nos fronts de leur numérique offense Je m’assoupis, Baudelaire, Blanchot, à leur insu La vitesse s’accélère la crise se modélise L’Ouragan fougueux de l’innovation se rue Férocement au jour le jour on active la mue Le scalpel de la volonté infâme l’incise Sans souci pour ce qui en route se perd Sans égard pour la faiblesse sous-jacente Celle qui puise sa vertu dans l’innocente Figure qui habite un coin obscur de l’Univers Là où se source ce qu’on nomme âme à défaut De formuler cet enchantement en son ampleur Laissons courir ces traîtres de la rancœur Ployeur de machines on écoute ton dernier mot D’ailleurs bêtement tu me donnes le tournis Trop vaste est la Nature trop secret son espace Vous pâtirez, zombies, défaits de vos interfaces À force de pondre dans n’importe quel nid À d’inédites maladies vous succomberez 2 Tout ce bric-à-brac de bric et de broc Terra Mater où s’embourbent nos pieds Un monde d’hurluberlus et d’escrocs Où êtes vous muses comment m’évader ? Janvier reprend ce que promet décembre M’extraire de ce corps trop gras trop lourd Ne plus voir ni parler ni entendre D’ailleurs leurs criailleries me rendent sourd Alors hors d’ici la meute rebelles de la horde Vos rires, plaisirs, et outrages ne me conviennent pas Tenez, je vous la tend, prenez donc cette corde Je vous offre l’ancienne façon d’avoir droit au trépas

Bernardo Le Challoux / CC

Prophéties jubilatoires

C’

est dans La rime en 1940, il n’y a pas moins de soixante quatorze ans, qu’Aragon exaltait, avec la rime, l’amour de la France et du français. Et ses poèmes, appris par cœur par les résistants, jouèrent bien ce rôle de trait d’union qu’il souhaitait. Il écrivait : Alors la rime cesse d’être dérision, parce qu’elle participe à la nécessité du monde réel, qu’elle est le chaînon qui lie les choses à la chanson, et qui fait que les choses chantent. Jamais peut-être faire chanter les choses n’a été plus urgente et noble mission à l’homme, qu’à cette heure où il est plus profondément humilié, plus entièrement dégradé que jamais. J’ai eu envie de revoir Pierre Daix, un très vieil ami, romancier, essayiste, et son biographe, comme celui de Picasso. Lundi 3 février 2014, je lui ai posé la question. « Aragon a-t-il écrit ailleurs sur la rime ? » Il m’a répondu : « Non. Même s’il s’en est servi par la suite, il n’avait plus besoin de s’en justifier. » Ce « par la suite », c’est notamment dans ce livre inclassable Le Fou d’Elsa, plus de 500 pages où prose et rimes se succèdent pour créer un véritable hymne au monde de l’Islam. Le poète, aux déchirements de la guerre d’Algérie, opposait la vision qu’il avait de la richesse spirituelle et artistique du monde musulman, approfondie par ses dialogues avec le grand islamologue Louis Massignon. Au cours de ma dernière visite, en 1981, il m’avait montré un très beau livre de photographies d’architectures du monde arabe, légendées dans cette langue calligraphiée pour moi d’une beauté mystérieuse. Je lui avais dit : « Cela donne envie d’apprendre ! » Et il m’avait répondu d’un ton fâché : «  Ah non, il ne faut pas le prendre ! » Ce qui prouve qu’apprendre rime avec prendre et que comme moi aujourd’hui, il n’entendait pas toujours très bien. 5

Ci-dessus, Louis Aragon, 1981


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À ma rime… Fabienne Schmitt Et voilà que ça recommence Ce soir encore sur mon cahier Elle est revenue, elle danse Je l’avais un peu délaissée Souvent lorsque je prends la prose Pour la coucher sur le papier La voilà donc qui s’interpose Et vient ma plume titiller Elle s’impose et m’indispose Car elle veut me donner le ton Et dès qu’une phrase je pose Pirate ma dissertation Ainsi, raturant sans scrupule Elle m’aguiche, l’enjôleuse S’invitant au bout des virgules Et des mots comme une voleuse Pour elle il faut que ça balance Sa méthode est sans compromis Quand elle a choisi sa cadence Elle martèle mon esprit Si ma phrase s’est endormie Dans un discours trop monotone Elle bouscule mes écrits D’un petit air qu’elle me fredonne La voici qui bat la mesure En se collant à mon stylo Me nargue avec désinvolture Et veut avoir le dernier mot Riche ou pauvre, plate ou croisée Elle vient couronner mes soirées En cherchant à me faire chanter Pour que je vienne l’embrasser À quoi ça rime, dira-t-on De se faire ainsi posséder Ce soir il n’en est plus question Enfin… Si je peux résister…

15 février 2014

La rime A ça rime à quoi ? nnabelle

É

crire en rimes ? Un côté ­désuet, un cadre contraignant de l’écriture… et si finalement cela devenait un champ de créativité et en quelque sorte, un domaine de liberté. Paradoxal. Oui ! En fait, sous cette contrainte de la rime, tellement attachée à bien choisir mes mots, je m’laisse aller sans chichi. En fait, c’est amusant, et je ne suis vraiment pas une r­écollette ! Alors à tous ceux qui m’font braire, aux légionnaires, aux fonctionnaires, aux antiquaires, aux missionnaires, aux réactionnaires, aux réfractaires, et à mon ami cinquantenaire, une antithèse du bréviaire, une catilinaire du célibataire, bref une historiette spéciale Gazette. Pour des clopinettes. Il parle d’amour et vit des amourettes avec des minettes aux yeux noisette. Quelle entourloupette de se laisser conter fleurette par le gars à la casquette toujours en quête… Tu m’prends pour une trompette, une girouette en goguette ? Tristounette, en nuisette, me mets sous la couette ; demain je prendrai ma pétrolette pour aller danser au bal et ne plus penser à tes galipettes. Ça ne vaut pas tripette quand tu trempes ton andouillette dans la cressonnette, dis-tu ? Faut pas se mettre martel en tête... Tiens, préfère m’taper une canette à la buvette et après j’irai faire tournoyer ma jupette en levant la gambette sur un air de valse musette ! Je serai plus guillerette et penserai pas à toi se tapant la mignonette en levrette. « Ta gueule la mouette » et alors j’fais mouillette, je rentre « ­popol » dans la maisonnette de la brunette aux frisettes, de la blonde aux couettes et de la rousse aux lunettes… Arrête ! Tu m’répètes tout le temps la même chose. Je baisse ma braguette, je sors ma sucette et enfile les mouflettes… « Je t’aime », je ne suis pas ta marionnette. Tu n’es vraiment pas à prendre avec les pincettes, te décrocherais bien une pichenette dans la margoulette… non, un coup de machette dans la tête ! Tes yeux, on dirait des mitraillettes. « Ne bois pas, tu seras pompette, t’as déjà les pommettes rosées et t’es pas nette. » Je ne suis pas dans mon assiette… Tu dois avoir ta tête d’un bienheureux avec les yeux remplis de paillettes. Je ne suis pas ta soubrette ni ta starlette, parce que, en fait, j’m demande si tu serais pas un peu de la jaquette… Je ne suis pas pour l’amusette, alors voilà ma petite bluette, qui trouvera peut-être sa place dans la gazette... Autrement, je prendrai la poudre d’escampette… Mouais, ça rime à quoi la rime ? À dire les choses sans dissonances. Et alors !!? 6


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Soirées de la Lucarne

15 février 2014

 Samedi 22 février de 18 h à 21 h

Vernissage de l’exposition « Entre Paris et Buenos Aeres » Graciela Castellano Saavedra viendra présenter ses peintures, sculptures et ses masques à La Lucarne des Écrivains. Son œuvre se décline en peintures néo-figuratives (huile sur toile) ; en sculptures en bois, pierre,galets, résine ; ainsi qu’en masques de théâtre en pâte à bois et résine. http://gr.castellano.free.fr/site/accueilf.html Exposition du lundi 17 février au samedi 1er mars 2014.

 Vendredi 14 janvier à 19 h 30

Le Feng Shui de l’amour ! Une soirée organisée avec Annabelle, spécialiste du Feng Shui, pour la Saint-Valentin. Adieu à la solitude, vive l’amour ! Aménagez votre chambre selon les principes du Feng Shui.

 Vendredi 28 février à 19 h 30

Soirée littéraire

 Samedi 15 février 2014 de 14 h à 16 h

« Sur l’art du bref »

Avec Monique Enckell pour Il pleut du sable sur Paris (éd. Al Manar) et Mohamed Kacimi pour l’ensemble de son œuvre.

Venez participer à l’atelier d’écriture de Sylvain Josserand, dont l’objectif sera de vous apprendre à produire des objets littéraires, sous la forme de courts textes : fragments, poésies, haïku, anamnèses, contes, nouvelles, dialogues… (Prochaines dates : samedis 1er et 15 mars)

 Jeudi 6 mars à 19 h 30

Les pompières poétesses

Soirée littéraire « L’aventure narrative »

Une représentation avec un nouveau corpus de poètes classiques et contemporains pour raviver la flamme de la poésie chez le spectateur. un concept de Juliette Allauzen.

Une soirée autour et en présence de Christian Oster, avec les éditions Hermann, en compagnie de Sylviane Saugues et André Bellatorre, pour leur livre L’aventure narrative : Lecture à deux voix de Christian Oster.

Vernissage de l’exposition « Les bibliothèques d’Elisabeth Raffner et Patrick Huguier »

 Mardi 18 février de 14 h à 19 h 30

 Vendredi 7mars à partir de 18 h

À 19 h 15 : une performance poétique de l’association Agglomérat des Rêveurs. Exposition du lundi 3 au samedi 15 mars.

 Mercredi 19 février de 14 h à 16 h

Entrer dans l’univers de Christian Oster

 Samedi 8 mars de 19 h 30

André et Sylviane vous proposent un atelier d’écriture ludique et littéraire qui vient éclairer et mettre en jeu certains aspects de la poétique de Christian Oster. Des consignes simples, mais précises permettront de donner libre cours à un imaginaire…

Soirée « Il était une fois la femme » Avec les éditions L’Art-Dit, en compagnie de Branka, co-auteur de Propos sur la femme, qui présentera aussi Femme, femme, femme… autour de l’œuvre picturale de Jacqueline Chol.

 Vendredi 21 février de 19 h 30

 Mardi 11 mars de 19 h 30

Soirée poétique

Soirée « À la première personne… »

Avec les éditions Al Manar et Sylvie Durbec pour Le paradis de l’oiseleur, et Marie Huot pour Douceur de cerf, en présence des poètes et de l’éditeur Alain Gorius.

En compagnie de Esther Orner, écrivaine israélienne de langue française et traductrice de poésie hébraïque en français. et Anne Gorouben, artiste plasticienne. Elle expose ses peintures et ses dessins en France et à l’étranger.

 Samedi 22 février de 14 h à 16 h

« D’écritures en écritures ! »

 Mercredi 12 mars de 19 h 30

Venez découvrir l’atelier d’écriture de Jean-Lou Guérin. Un moment chaleureux, pour trouver ou retrouver le plaisir d’écrire, mettre en forme ses souvenirs, faire confiance à son imagination

Soirée littéraire

Avec les éditions Jardin d’essai, en compagnie de Maurice Cury pour Paroles de Vent et de Simone Balazard pour Blues Nomade.

(Prochaines dates : samedis 8 et 22 mars).

Plus de détails sur : http://lalucarnedesecrivains.wordpress.com La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris - Tél. : 01 40 05 91 51

Appel à textes

de la chambre jaune, La Bicyclette bleue, Rouge Brésil, Du vert au violet…) portent à le croire. On a même publié une anthologie intitulée Le Goût du rouge au Mercure de France…

Couleur et littérature La couleur semble être avant tout un ingrédient propre aux arts plastiques, à commencer, bien entendu, par la peinture. Mais ne peut-elle pas jouer également un grand rôle dans la littérature ? Les fameuses Voyelles de Rimbaud et divers titres célèbres (La Lettre écarlate, Le Rouge et le Noir, Le Rayon vert, L’Herbe rouge, Le Mystère

Pouvez-vous envoyer vos contributions de 2 500 signes maximum – il faut penser aux autres et l’un des buts du jeu est de laisser au maximum de personnes la possibilité de s’exprimer – à pascal.varejka@gmail.com avant le 5 mars ? 7


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Sacrée poésie !

R

Sarah Mostrel

imes en haut. Rimes en bas. Rimes inouïes pour insuffler la joie…

Ça lui était tombé dessus par hasard. Un jour de grisaille, après des péripéties maussades. Une attente démesurée lors d’un rendez-vous d’automne l’avait scotché là, sans comprendre. La jeune femme, cavalière, ne l’avait même pas prévenu. Au lieu de partir après une heure, il n’avait pas bougé. Une nébuleuse de pensées incohérentes l’avait envahi, l’empêchant de filer. Aller où d’ailleurs ? Il voyait trouble, ne discernait plus l’horizon, se souvenait à peine de la raison qui l’avait amené au lieu-dit. Il leva les yeux au ciel. Une brusque bourrasque se déchaîna. Les éléments naturels semblaient participer à l’ambiance morose. Il sentit autour de lui un fort remue-ménage, l’orage avait éclaté et les gens s’étaient précipités sous des porches ou abris de fortune pour se protéger de la forte pluie. Lui restait immobile, incapable de réagir. Ses yeux, plissés, se projetèrent au loin. Il écarquilla les yeux. Un phénomène incroyable se produisit : là où le temps n’a plus cours, dans un monde supérieur, une vue d’ensemble s’offrait à lui. Face à ce périmètre céleste qui le faisait surplomber la terre et ses minuscules êtres se débattant en tous sens, il fut émerveillé… avant d’être effaré de ce qu’il vit. Il constata qu’il avait accès à l’intérieur de chacun. Il contempla les peines – bien plus nombreuses que les joies –, les comportements médiocres : le mal, sévissant ici

Un petit vers Patrick Le Divenah

15 février 2014

par des crimes, des viols, des violences physiques, ­opérant là par manipulations, embrigadement, torture morale... À cet instant, il n’espérait qu’une chose, une baguette magique. Ainsi, il aurait dispersé des étincelles de bonheur à ceux qui souffrent, des coups de bâton à ceux qui frappent, des bons points aux bénévoles de la bonté. Des intentions naïves, triviales mais nécessaires. Il se sentait bien sur son nuage, son aura se distillait dans un univers qui le happait, si bien qu’il souhaita ne plus jamais redescendre sur terre. Il ne sait par quel prodige une voix douce et tendre le parcourut et il frissonna d’émotion. Il y avait une solution pour ne plus rimailler, pour sortir du réel, du matériel, du factice, du jeu du monde, un moyen de parcourir des ères sans temps, de maîtriser ce crachin ininterrompu d’actes de désolation et de ne plus y contribuer : retrouver la grâce, l’extase, la vue, faire appel à… la poésie ! Elle, la sublimatrice, pourrait parfaitement épouser son corps et son âme, le porterait au-delà des bafouillages, des imperfections, des influences. Elle était une manière élégante de célébrer, une façon inestimable d’honorer, un agile procédé d’éternité. Rimer fut désormais son activité principale. Elle lui permit de s’élever au-dessus de la cacophonie ambiante, de chanter au rythme des lettres et de leurs syllabes éclatantes, de danser la ronde des sons aux compositions multiples, aux significations extraordinaires. Un amusement précieux et utile pour égayer les êtres et les hisser au rang d’un avenir radieux.

Eh bien justement j’allais vous envoyer ceci que je viens de boire : depuis que je bois tes paroles je ne dessoûle plus Et puis, deuxième coup à jeun de ce matin : conjugaison-buvette je bois tu boises je bus tu buses j’ai bu tu abuses je buvais tu buvettes je boirai tu aboieras 8


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Rimes sans raison…* Michèle Perret

Poussez, poussez l’escarpolette Saperlipopette ! Les jours d’été sont tristes Cueillez, cueillez le myosotis Les jours de pluie sont gais Allez cueillir le serpolet Mon Dieu quelle histoire ! Poussez, poussez la balançoire J’ai jamais eu d’veine Sentez-moi cette verveine J’ai perdu mes amours Plantez des topinambours !

Léonie Mondovi « Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. » Alors, à quoi rime le rythme des saisons et la récolte des moissons ? À quoi bon ces vagues sur le sable et cette mer inlassable ? Et pourquoi ces chansons, fredonnées sans raison ? Car tout passe, tout s’efface… Et pourtant, je veux croire qu’il reste des traces de nos amours passés, De nos amitiés partagées, comme de nos larmes essuyées… Les rimes des poètes sont des blessures confiées À la prière des âmes solitaires, qui, en confiance, Supplient le Ciel d’alléger ces souffrances. Alors que Léopoldine nous a quittés depuis longtemps Je porte aux côtés de son père, le cœur serré de douleur, Ce bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. Sa croix d’hier devient mon fardeau d’aujourd’hui, Et de ce partage qui traverse les siècles, Notre communion, scellée par ces maux en rimes, En apaisant ce cœur endolori, Sublime La fraternité en lui conférant une dimension d’éternité.

J’ai perdu ma belle Poussez, poussez la balancelle Le printemps revient Cueillez la sarriette et le thym Le printemps s’en va Cueillez le thym et le lilas.

* Poème issu de son recueil Erreurs de jeunesse, coll. plumes au bout des doigts, 2013. 9


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DR

C’est un méfait bénin que celui de la rime Un usage désuet, sorte de falbala Seul le ridicule en punira le crime Or chacun sait qu’il ne tue pas Les vers s’accouplent par la queue, S’aiment par leurs voyelles finales. Ne craignez pas d’être banal Confondez chenille et chenal, Menez vos chevilles à Séville Et parcourez la ville à cheval !

La rime, à quoi ça rime ? Zéglobo Zéraphim

1. Ses Œuvres poétiques complètes sont parues chez Gallimard, coll. La Pleiade, 2007 (1744  p.). Comme le rappelle la préface, elle a « l’unité… d’un océan dont on a beaucoup fréquenté les plages mais que l’on peut désormais explorer jusque dans les grandes profondeurs. » (71 c)

À quoi ça rime, la rime ? Je vais vous l’dire, moi Zéraphim Même si mon prénom, Zéglobo Est forcément un peu trop beau, Pour ne pas être un pseudo. Bateau ivre, Rimbaud s’y arrime : « Lorsque je descendais des fleuves impassibles Je ne me sentis plus tiré par mes haleurs Des peaux-rouges criards les avaient pris pour cible Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. » Rythmez, rimez, laisser rire et railler Récitez d’une voix éraillée Même les rimes parfois rouillées Que vous aurez ressuscitées. 10

Disloquez toutes les écoles, Laquez les loques, et que ça brille Puis sur un air d’ukulélé, Recollez-les, recollez-les Accolez les mots par leur look, Relookez l’acquis par l’aqueux ! Cela ne semble pas sérieux ? Pourtant, en chanson, la rime, C’est encore ce qu’il y a de mieux. C’est la prime chassant la déprime Par les oreilles et par les yeux. « De la musique avant toute chose » Avait proclamé Paul Verlaine Avant, vaincu par la déveine Qu’on l’envoie purger en prison Son trop d’amour pour un garçon. D’une humeur sûrement pas rose Il écrivit même ce jour-là Un poème de Sagesse, voilà : « Le ciel est par-dessus le toit Si bleu si calme Un arbre par-dessus le toit Berce sa palme. » Même l’illustrissime Aragon 1 Après avoir écrit « À quoi bon ? » Fit chanter par Ferrat ou Ferré, Francesca Solleville, Marc Ogeret « Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent. »


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Dans l’été mil neuf cent quarante-trois Époque, comme on l’a dit cent fois Cruelle et sans foi ni lois Sa chanson change de couleur Et renonce à toute douceur « J’écris dans ce pays que le sang défigure Qui n’est plus qu’un monceau de douleurs et de plaies Une halle à tous vents que la grêle inaugure Une ruine où la mort s’exerce aux osselets. »

Nougaro écrivit aussi : « Gala fit des jours de Dali Une unique nuit de gala… Un dernier mot s’il m’est permis Et qui n’engagera que moi Dali ne serait pas Dali S’il n’avait pas connu Gala. »

15 février 2014

2. Je renvoie ici au merveilleux ouvrage en deux volumes intitulé Les manuscrits de Claude Nougaro, chansons, poèmes et dessins, éd. Textuel, 2005 (50 c).

La comptine d’Elodie

Peignant de notre France le tragique destin Louis ne pouvait le faire qu’en bons alexandrins.

Elodie Oberlé

« La rime ça rime à quoi ? À rimer… Mais avec qui ? Mais avec quoi ? Et puis comment ? Et puis pourquoi ? Pour l’esthétique ? C’nest pas pratique ! Moi qui suis libre Moi qui me fiche De ressembler pour m’assembler Je suis unique Et ça vous pique ! Et puis ce soir, Encore une fois, Ma rime est fausse Et je me gausse ! »

Autre temps, autres mœurs, il y eut plus rigolo. Un chanteur drôle de moineau Appelé Claude Nougaro Un beau soir chez Francis Paudras, Dites-moi ce qu’il faisait là Un faune inconnu dessinait Qui vaguement lui ressemblait. Au dos du papier argenté D’un paquet de Gitanes fumé. « Tu me le donnes ? » ai-je demandé. Sans rien dire, et en souriant, Il me l’a tendu et donné. Je le lui ai rendu, disant : « Tu sais aussi écrire des mots ! » Il a écrit pas contrariant : « Je sais aussi écrire des mots.2 » Nougaro

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ISSN 2101-5201 La Gazette de La Lucarne mensuel de La Lucarne des Écrivains Rédaction et administration : 115 rue de L’Ourcq, 75019 Paris lalucarnedesecrivains@gmail.com Directeur de la publication : Armel Louis Coordination du numéro : Marc Albert-Levin Maquettiste : Emmanuelle Sellal.


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Merci Charlie !

L

a rime, à quoi ça rime ? Je peux en parler ! Je suis producteur de pommes en Corrèze, mais surtout, fan de Charles Baudelaire, et ça ne date pas d’hier. Péquenot, oui, mais raffiné. Et vu ce qui m’est arrivé, je ne suis pas près de changer : mon poète, je l’aime encore plus et j’ai de bonnes raisons.

15 février 2014

Hélène Tayon

Il commence à faire froid et pourtant, il me semble que je sens vaguement la sueur. Je renifle mes ­aisselles. Pas de doute. Je déclame : Il est des parfums frais comme des chairs d’enfant, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, Et d’autres, corrompus, riches et triomphants Ayant l’expansion des choses infinies... Et là encore, blocage. J’ai bien des mots : « ambre », « encens », mais les deux dernières rimes m’échappent. Je perdrais la boule ? Je tente : De Nantes à Montaigu, la digue, la digue, de Nantes à Montaigu, la digue du cul ! Là, je tiens la rime… mais ce n’est pas du Baudelaire. Il est minuit. Si j’essayais « L'Albatros » ? Concentré sur les 8 rimes du poème, j’arrive à tout me réciter. Et je fais l’albatros, trébuchant jambes fléchies, bras écartés, mains touchant le sol : Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. Je ricane : « Et moi je ne sais pas qui viendra me chercher, ça commence vraiment à me faire chi-er », pardon Charlie. Nadar

On est le vendredi 25 octobre 2013. Ma femme et moi, on vient de fi­ nir la désinfection de la chambre froide pour y entreposer la nouvelle récolte, pas question que nos reinettes grises moisissent, on ne vit pas que d'amour et de poèmes ! Après deux jours de récurage, Lili en avait marre et elle est partie passer le weekend à Brive chez notre fille. À 20 heures, j’entre dans la chambre froide. Si je ­rebranche la clim ce soir, dimanche on aura une température idéale, Lili sera revenue, on pourra installer les fruits. Quel rapport avec Baudelaire, ces histoires de pommes ? Avant de sortir, je jette un dernier regard, tout est nickel, c’est bon. Penser Charles Beaudelaire, 1855 à éteindre le néon du plafond quand Au lever du jour, j’ai pensé à Lili : j’allumerai le moteur frigo. Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’auUn coup de tonnerre éclate dans mon dos. Je me retourne. tomne, L’énorme porte de la chambre froide vient de se refermer. Je respire l’odeur de ton sein chaleureux, Je tripote la poignée. Rien. Je gratouille dans la serrure avec Je vois se dérouler des rivages heureux mon opinel. Rien. Merde ! C'est pas vrai, juste quand je Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone. suis seul ! Et le portable ? Re-merde, je l’ai laissé au salon ! J’avais envie de Lili et de matin radieux, mais Lili était loin Le battant me semble parfaitement bloqué. Quoique… si je et il pleuvait. fais poids, on dirait que ça bouge. Je force, je tire, je pousse. Et, miracle, la porte s’entrouvre. Juste assez pour ­passer le Quand le second soir est tombé, j’en étais à Bientôt nous bras. Pas plus. Elle ne s’ouvrira pas plus. plongerons dans les froides ténèbres et je n’ai pas aimé la Il est 21 heures et me voilà coincé en pleine campagne au rime : « funèbres ». Pourtant, comme les autres, elle rythfond d’un frigo. À tout hasard, j'appelle au secours dans mait le temps, me réveillait, résonnait comme un espoir. l’entrebâillement avant de me dire que la nuit risque d’être longue... J’ai tenu trente-deux heures sans fermer l’œil à marteler des vers, obsédé et porté par les rimes dans ma prison à Je marmonne « Réversibilité » : pommes. C’est un couple baiseur, retour de boîte de nuit, Ange plein de gaîté, connaissez-vous l’angoisse, qui m’en a sorti. La fille, entre deux orgasmes, m’avait La honte, les remords, les sanglots, les ennuis, entendu chanter Le tombeau, confident de mon rêve infini Et les vagues terreurs de ces ­affreuses nuits… et elle voulait savoir si j’écrivais aussi du rap. Et là, j’ai un trou. Qu’est-ce qui rime avec « angoisse » ? Il Il faisait deux degrés dans l’entrepôt. Si je m’étais ­endormi, me faut cette rime, c’est vital. Je supplie le néon blafard : je risquais une sévère hypothermie, le docteur est formel. « La rime ! » Sans succès. Mon histoire lui a plu, il m’a fait un article dans le journal et s’est mis à relire Les Fleurs du Mal. 12


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