RÉGÉNÉRER
RECUEIL PAR LA BUTINEUSE
MANIFESTE POUR UNE AGRICULTURE RÉGÉNÉRATRICE
DANIEL BAERTSCHI
LE RÔLE OUBLIÉ DE L’EAU DANS LA CRISE CLIMATIQUE
ANANDA FITZSIMMONS
ÉCLAIRAGES SUR LE RAPPORT SPÉCIAL DU GIEC
PATRICK LOVE
MANIFESTE POUR UNE AGRICULTURE RÉGÉNÉRATRICE
DANIEL BAERTSCHI
Daniel Baertschi
Nourrir la terre
Manifeste pour une agriculture régénératrice
Table des matières
Avant-propos ................................................... 13 Introduction ...................................................... 17 Chapitre Un – Un système alimentaire non viable ? Comment tout a commencé ................................. 21 L’agriculture pour la vie ......................................... 23 Dans l’impasse ..................................................... 27
Deux – Plus que durable : l’agriculture régénératrice Les principes sont plus importants que les définitions .. 34 Effet positif sur le climat ......................................... 38 Le sol : la ressource la plus précieuse ........................ 39 Les animaux protègent la Terre ............................... 42 Un sol sain, une alimentation saine, des personnes saines . 44 Économie régénératrice, société régénératrice ........ 47
Trois – Du champ à l’assiette : rendre l’économie agricole régénératrice De la vision à la mise en œuvre pratique .................. 50 La voie de l’avenir ................................................ 52 Repenser la formation, le conseil et la recherche ...... 55
Chapitre
Chapitre
Développer et investir dans l’exploitation agricole de manière régénératrice .......................................... 62 Faire un usage judicieux de la numérisation .............. 65 Un système de commerce régénérateur .................. 67 Faire le meilleur usage des ressources naturelles ........ 70 Politique agricole et structures ................................ 71 Transparence et contrôle ...................................... 75 Des nutriments au lieu des calories .......................... 77 Conclusion........................................................ 81
Pour ma femme Kathrin, qui m’encourage et me soutient constamment.
Pour mes parents, qui m’ont tracé le chemin.
Pour mes enfants, qui sont passionnés par la nature.
« Les bons agriculteurs qui prennent au sérieux leurs devoirs de gardiens de la création et d’héritiers de leurs terres contribuent davantage au bien-être de la société que celle-ci ne le reconnaît généralement ou même ne le sait. Ces agriculteurs produisent des biens naturels de valeur, mais ils protègent également le sol, ils conservent l’eau, ils protègent la faune et la flore, ils conservent les terrains ouverts, ils entretiennent le paysage. »
(Wendell Berry, 2009, Bringing it to the Table: On Farming and Good)
Wendell Berry est un essayiste, poète, romancier, militant écologiste, critique culturel et agriculteur américain. Il vit et travaille avec sa femme Tanya dans la ferme qu’ils partagent à Port Royal, dans le Kentucky (États-Unis).
Avant-propos
Le fait que vous lisiez ce livre montre une chose : la nourriture a une signification pour vous. Bien sûr, nous mangeons tous pour pouvoir vivre. Cependant tout le monde ne se demande pas ce qu’il faut faire, quels efforts sont nécessaires pour mettre de la nourriture dans son assiette. Le sujet est trop complexe, les processus trop opaques. Le nombre incroyable de marques, de labels et la quantité presque infinie de produits sur les étagères des magasins sont souvent déroutants.
Manger implique bien plus que le simple apport de calories et de nutriments. Il s’agit d’un plaisir, d’un lien profond avec notre culture, de moments de partages et de rencontres. Manger fait partie de notre identité et tient une place importante dans notre vie.
Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous disposent de nourriture en abondance et ne font jamais l’expérience réelle de la faim. Nous sommes confrontés au défi de choisir ce qui nous convient le mieux parmi une gamme débordante de produits et de les consommer avec modération. Cela est tout sauf évident. Ce n’est qu’en utilisant soigneusement la nature qu’il est possible de manger en harmonie avec notre planète.
Notre terre et notre sol sont à l’origine de notre alimentation, malgré tous les progrès techniques. En réalité, la terre produit assez de nourriture pour tout le monde si elle est bien utilisée et si nous mangeons de façon équilibrée, en quantité raisonnable, et surtout des plantes. Un sol sain constitue donc la base de plantes saines, d’animaux sains – et de personnes saines.
Dans le monde entier, on assiste à une diminution alarmante des terres agricoles disponibles. L’érosion et la désertification augmentent de façon
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spectaculaire. Les sécheresses et les inondations détruisent chaque année des millions de tonnes de nourriture dans les champs. Les guerres et les conflits chassent les familles d’agriculteurs de leurs terres.
Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés là ? L’agriculture régénératrice peut-elle être une solution ? Au fil de votre lecture, vous verrez qu’un changement est nécessaire, et que chacun peut y contribuer. Après avoir refermé ce livre, vous serez en mesure de faire de meilleurs choix quant au contenu de votre assiette. Notre santé dépend de nos choix personnels, ainsi que de la santé de notre planète.
Guérissons notre terre en mangeant sainement !
14 $ Nourrir la terre
Introduction
Depuis des dizaines d’années, je me demande à quoi ressemblerait une agriculture qui utiliserait avec sagesse les ressources naturelles et les conditions propres à chaque lieu, et qui produirait des aliments en harmonie avec la nature. Ayant grandi dans une ferme biologique pionnière de l’Emmental, en Suisse, j’ai fait l’expérience directe et immédiate, dès l’enfance, de la complexité et de l’exigence de l’agriculture pour répondre à cette question.
À la suite d’une expérience personnelle traumatisante, mes parents ont converti la ferme familiale à l’agriculture biologique au début des années 1970, à une époque où l’agriculture s’intensifiait à grande vitesse. Un voisin a utilisé un pesticide chimique autorisé contre le capricorne des maisons dans la charpente de sa ferme. Le produit a été pulvérisé sur les poutres du toit –directement au-dessus du stockage du foin. Manifestement, une partie du produit s’est retrouvée sur le foin, puis dans l’estomac des vaches, et enfin dans le lait. Ce fermier fournissait la laiterie du village, qui produisait de l’Emmental, un très bon fromage qui était même exporté aux États-Unis. Un jour, les autorités sanitaires américaines ont confisqué le fromage et détruit toute la livraison. Un conteneur rempli d’Emmental a été jeté, car il s’est avéré qu’il contenait des résidus de cet agent chimique. La cause a été rapidement trouvée et l’agriculteur concerné a dû verser son lait dans la fosse à purin pendant un an avant d’être autorisé à livrer à nouveau la fromagerie. Cet incident a incité mes parents à porter un regard critique sur les bienfaits du progrès technico-chimique.
Façonné par mes parents ainsi que par mes propres expériences, je me suis préoccupé très jeune de savoir à quoi pourrait ressembler une agriculture et
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un système alimentaire sains. En travaillant dans les champs et les étables, j’ai essayé de le faire de manière pratique. J’ai bénéficié d’une alimentation de qualité grâce aux nombreux produits de notre ferme. Je considère comme un privilège d’avoir grandi en mangeant des aliments biologiques. La salade fraîchement récoltée sur la table, la viande et le lait de nos propres animaux, les légumes dans toutes leurs variétés, les conserves et le cidre doux de la cave – tout cela était naturel, normal et évident pour moi.
Toutes les discussions au sujet de l’agriculture biologique autour de la table familiale, dans les champs et dans l’étable sont des souvenirs inoubliables.
En tant qu’enfant et adolescent, on veut suivre son propre chemin et se faire sa propre opinion, ce que j’ai fait. J’ai donc appris à devenir agriculteur, j’ai étudié l’économie agricole. J’ai travaillé comme consultant et manager en Suisse et d’autres pays dans de nombreux domaines, la coopération au développement, la sécurité au travail, la gestion d’un musée de la nature, jusqu’à la création de ma propre entreprise de conseil. Je me suis préoccupé d’alimentation saine et de son lien avec la protection du climat, et pendant huit ans j’ai été directeur de Bio Suisse, l’organisation mère de l’agriculture biologique suisse. Mon souhait était et est toujours, que les gens apprécient la nature, et l’utilisent de manière responsable. Nous ne sommes pas propriétaires de la terre, du sol, de la nature ; nous n’en sommes que les gardiens.
Mon chemin vers l’agriculture régénératrice a pris un nouvel élan il y a quelques années lorsque j’ai quitté mon poste de directeur général de Bio Suisse et que je me suis engagé sur une voie allant au-delà du bio. J’ai été inspiré par de nombreuses personnes, en particulier par l’auteur, agriculteur et philosophe américain Wendell Berry et les agriculteurs régénérateurs et leaders d’opinion
Joel Salatin, Gabe Brown, Allan Savory, Charles Massy, David Montgomery, Tony Rinaudo, Allen Williams et d’autres. J’ai également été encouragé sur ce chemin par des films tels que Tout est possible (The biggest little farm), Polyfaces, Kiss the Ground, Sacred Cow, pour n’en citer que quelques-uns.
Au cours de ma vie professionnelle je me suis intéressé à l’agriculture conventionnelle, qui poursuit son chemin en ayant la prétention de contrôler
18 $ Nourrir la terre
la nature et de l’influencer à notre avantage au moyen de toutes sortes d’outils – avec l’objectif unilatéral de rendements élevés. Je n’oublierai jamais ce jour de ma formation d’agriculteur dans une grande exploitation de Suisse romande, lorsque j’ai enfilé pour la première fois un équipement de protection avec masque et combinaison, que j’ai parcouru le champ de pommes de terre avec un pulvérisateur et que j’ai appliqué un herbicide efficace contre toutes les mauvaises herbes. Le résultat de cette opération fut un champ libre de toute végétation – sauf les pommes de terre. L’idée qu’après la récolte il subsisterait des résidus de ce désherbant dans le sol et dans les pommes de terre a un peu refroidi le plaisir de la récolte six mois plus tard.
Entre-temps, j’ai visité des exploitations agricoles dans plus de 50 pays, j’ai appris à connaître toutes les formes de production possibles – et impossibles – et j’ai souvent rencontré des personnes qui travaillent dur et qui cultivent leur terre avec des outils très simples. Ces agriculteurs utilisent le sol comme moyen de subsistance avec cœur et âme, mais sont fortement dépendants d’une agro-industrie extrêmement puissante et d’une politique agricole mal avisée ou aveugle. Dans de nombreux endroits, j’ai observé une perturbation massive du sol et de l’environnement, une dégradation de la vie des animaux et une exploitation des travailleurs. La rencontre avec de petits agriculteurs de l’État indien de l’Uttar Pradesh a été dramatique pour moi. Dans cet État, des familles d’agriculteurs se sont endettées pour acheter des semences « modernes », vendues avec leurs pesticides et engrais, qui étaient censés leur apporter un rendement supplémentaire. Lorsque la sécheresse a frappé, les prêts ne pouvaient plus être remboursés. Beaucoup ont alors choisi le suicide comme moyen de s’en sortir. Avec quoi ont-ils fait ça ? Avec les pesticides achetés à crédit !
Pourquoi avons-nous laissé les choses aller si loin, malgré la science et la technologie ? Quelles sont les causes sous-jacentes de l’exploitation abusive de la nature ? Pourquoi sommes-nous incapables de produire nos aliments en harmonie avec la nature ? Pourquoi n’y a-t-il pas assez de nourriture pour tout le monde ? Je pense que nous nous posons tous des questions, sous une forme ou une autre.
Introduction 19 $
Une autre agriculture est envisageable, elle est même nécessaire, qui aura un effet positif pour nos enfants et petits-enfants. Nous devons commencer par comprendre et respecter la nature en profondeur et, à partir de là, trouver une forme de production qui soit adaptée à chaque lieu. Il s’agit de réformer le commerce et la consommation, de renforcer la création de valeur ajoutée locale et d’adopter des politiques agricoles sages. Tout cela a pour objectif de permettre aux gens de mener une vie meilleure grâce à une alimentation saine.
Il n’existe pas de formule magique qu’il suffirait de sortir d’un tiroir pour résoudre tous les problèmes, et la solution ne consiste pas non plus dans l’une application schématique de normes et de lignes directrices. Il s’agit plutôt de mettre en œuvre des principes clairs établis par la nature. Nous, les humains, avons la noble tâche de prendre notre rôle d’intendants compétents de la planète Terre au sérieux, avec l’humilité et le respect dus à cette merveilleuse création. Cela inclut l’estime pour le travail des agriculteurs et agricultrices. Ce sont eux qui sont à l’origine de notre nourriture, et ils ont la possibilité de changer la face du monde grâce à leur travail.
Il appartient à chacun – agriculteurs, consommateurs, entreprises de commerce et de transformation, politiques, groupements et organisations – de façonner un avenir digne d’être vécu pour nos enfants et petits-enfants. Cette voie n’est pas nouvelle, ni radicale, ni coûteuse ; cette voie est bonne pour les personnes, les animaux et l’environnement – elle est bonne pour tous et pour tout !
Le chemin mène – si nous le suivons jusqu’au bout – à une agriculture plus que durable, à savoir une agriculture régénératrice. Pourtant tout n’a pas besoin d’être inventé, on peut combiner des connaissances anciennes avec des innovations scientifiques récentes, comprendre et tirer parti de la nature sous un angle différent, emprunter courageusement des chemins inexplorés et passer du statut de connaisseur à celui d’apprenant – tout au long de la vie et dans la joie.
Embarquons ensemble sur la voie de l’agriculture régénératrice ! Partons pour un voyage de découverte des principes et des effets simples et efficaces de cette forme ancienne et pourtant nouvelle d’une agriculture « plus que durable ».
20 $ Nourrir la terre
LE RÔLE OUBLIÉ DE L’EAU DANS LA CRISE CLIMATIQUE
ANANDA FITZSIMMONS
Ananda Fitzsimmons
Hydrater la Terre
Le rôle oublié de l’eau dans la crise climatique
Table des matières
Introduction ........................................................ 9 Chapitre Un – Un nouveau paradigme de l’eau La planète se désertifie ......................................... 15 Comment le cycle de l’eau régule-t-il le climat ? ....... 17 Pourquoi pleut-il ? ................................................. 21 Chapitre Deux – Régénérer le cycle de l’eau L’éponge à carbone du sol ................................... 28 Pratiques de gestion régénératrice des terres ........... 31 Chapitre Trois – Préservation et restauration des écosystèmes L’importance écologique des zones humides ........... 45 Protéger le sang de la Terre ................................... 47 Une rivière veut serpenter ...................................... 48 Écosystèmes côtiers : là où la terre rencontre l’eau .... 51 Le carbone bleu .................................................. 53 Couverture végétale et forêts 54
Infrastructure verte et
de terrassement Ralentir, étaler, infiltrer ........................................... 59 Keyline design ...................................................... 61 Chapitre Cinq – Redonner vie aux terres dégradées L’histoire de la ferme Coen .................................... 65 L’histoire de Mulloon Creek .................................... 69 L’histoire d’Al Baydha............................................ 75
Six – L’infrastructure verte dans les villes Récolter les eaux de pluie ...................................... 85 Revêtement perméable ........................................ 86 Les toits verts 87 Jardins et rigoles de biorétention ............................ 88 Chapitre Sept – Décoloniser notre relation avec la nature et construire une culture régénératrice Comptabiliser la nature ......................................... 95 Une décennie de restauration ................................ 99 Conclusion...................................................... 109
Chapitre Quatre –
travaux
Chapitre
Introduction
L’idée que le changement climatique est causé par accumulation de gaz à effet de serre libérés par les activités humaines, a conduit à la conclusion prédominante que la solution réside dans la réduction de nos émissions. Bien que cela soit vrai, plus les scientifiques approfondissent l’analyse et la modélisation du changement climatique, plus celui-ci devient complexe.
Aujourd’hui, de nouvelles perspectives émergent, qui mettent l’accent sur les cycles de l’eau. C’est le sujet principal de ce livre, illustré par des exemples concrets et réussis de gestion de l’eau dans le monde. Alors que jusqu’à présent, l’accent a été mis principalement sur les cycles du carbone, on pense désormais que les cycles de l’eau contribuent tout autant au changement climatique et à son atténuation.
Il convient toutefois de rappeler que l’équilibre climatique ne peut être réduit à une seule équation. En raison de la complexité des écosystèmes, il est, à mon avis, inutile de se demander si le véritable moteur du changement climatique est le cycle du carbone ou le cycle de l’eau : ce sont les deux. Mais plus nous comprenons comment le cycle de l’eau affecte la régulation du climat, plus nous avons de possibilités pour intervenir.
En ce qui concerne la complexité des écosystèmes, il convient de noter que tous les êtres vivants qui en font partie y jouent un rôle, et que tous sont interconnectés par des cascades de dépendances. Prenons l’exemple des loups dans le parc national de Yellowstone : lorsqu’ils ont été réintroduits, ils ont contrôlé les populations de cerfs et d’élans qui surpâturaient la végétation ; la végétation a repoussé, faisant revenir les petits animaux, puis les castors, les lapins et certains oiseaux. Les castors ont construit des barrages, ce qui
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a entraîné la réapparition de zones humides et donc d’espèces aquatiques : oiseaux aquatiques, amphibiens, puis visons et élans. Il s’agit ici de montrer la réalité de cette interconnexion, et la complexité de son fonctionnement pour rééquilibrer un écosystème entier.
Si nous revenons sur certains événements clés qui ont permis de sensibiliser à l’importance de l’atténuation des effets du changement climatique, j’aimerais mentionner le Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5°C, publié en 2018 par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Ce rapport a fait l’objet d’une grande publicité dans les médias internationaux et a servi de signal d’alarme, nous mettant tous en garde contre la destruction potentielle de notre planète. Deux rapports ultérieurs, assortis de nouvelles recommandations en 2019, se sont concentrés respectivement sur l’importance de l’utilisation des terres et des océans pour sauver la planète. Pourtant, cela faisait déjà plusieurs décennies que nous entendions des avertissements sur le changement climatique. Le GIEC existe depuis 1988 ; lors des négociations climatiques de la COP21 de 2015 à Paris, une idée a été déposée par l’Initiative 4 pour 1000 selon laquelle nous ne devions pas seulement diminuer les émissions ; nous pouvions également séquestrer d’énormes quantités de carbone atmosphérique dans le sol de la Terre. Le mouvement régénérateur était né. Ces rapports officiels et ces réunions ont donné une impulsion, ainsi que de nombreuses catastrophes météorologiques extrêmes dans le monde. Ils nous ont permis d’accepter les réalités du changement climatique et de réaliser que nous avons tous un rôle à jouer dans l’atténuation de ce phénomène.
Depuis, de nouveaux mots sont entrés dans le langage courant, comme l’anthropocène, une ère géologique qui, selon les estimations, a commencé pendant la période d’après-guerre et s’est accélérée avec l’industrialisation et la colonisation rapides de la majeure partie de la surface de la Terre.
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Au fil des siècles, l’homme a radicalement modifié la surface de la Terre en supprimant les écosystèmes naturels et en les remplaçant par des systèmes centrés sur l’homme, qui n’offrent pas les mêmes bénéfices. Dans le dernier panneau à droite, nous voyons la proportion d’écosystèmes naturels par rapport aux systèmes gérés par l’homme depuis l’ère industrielle.
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Chapitre Un Un nouveau paradigme de l’eau
Plongeons dans ces nouvelles histoires qui montrent que l’hydrologie est un facteur important de notre crise actuelle. L’une des voix dominantes qui a inventé le terme de « nouveau paradigme de l’eau » est celle de Michal Kravcik, un hydrologue et ingénieur en eau slovaque. Dans un document du même nom, qu’il a publié en 2007 avec son équipe de chercheurs, ils décrivent deux cycles de l’eau : le grand cycle de l’eau et le petit cycle de l’eau.
Le grand cycle de l’eau fait référence au mouvement de l’eau sur de grandes étendues, c’est aussi celui que l’on étudie à l’école. L’eau tombe du ciel et se déplace sur la terre, s’écoulant des hauteurs vers les basses altitudes, grâce aux ruisseaux, aux rivières et aux fleuves qui finissent par retourner à la mer.
Le petit cycle de l’eau fait référence au mouvement vertical de l’eau. L’eau s’infiltre dans le sol et hydrate la terre. Elle remplit les aquifères, lieux de stockage de l’eau souterraine. Les plantes jouent un rôle de médiateur dans le petit cycle de l’eau, car leurs racines rendent le sol perméable, laissant l’eau pénétrer profondément dans le sol. Elles transpirent également de la vapeur d’eau, qui refroidit la terre ainsi que l’air proche du sol puis finit par s’élever pour devenir des nuages.
La société industrialisée moderne a perturbé le petit cycle de l’eau de manière importante et, par conséquent, une part de plus en plus importante de l’eau qui tombe sous forme de pluie passe dans le grand cycle de l’eau et est ramenée à la mer sans faire de nombreux cycles entre la terre et les nuages. Kravcik et son équipe affirment même que ce phénomène, tout comme la fonte des glaciers, contribue à l’élévation du niveau de la mer.
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Alors comment avons-nous perturbé le petit cycle de l’eau ? Tout d’abord, en supprimant une partie importante de la végétation. La déforestation massive signifie qu’il existe de vastes zones où le sol n’est pas stabilisé et protégé par des arbres. Les pelouses, les monocultures annuelles et les arbustes n’ont pas de racines aussi profondes et ne transpirent pas autant que les arbres. L’asphalte et le béton ne transpirent pas du tout et n’absorbent pas les précipitations. Dans les villes et les zones industrielles, les tuyaux d’égout et les fossés de drainage transportent les précipitations vers les rivières, souvent avec une bonne dose de pollution, et les renvoient au grand cycle de l’eau.
L’eau s’écoule dans les rivières jusqu’à la mer, mais elle s’infiltre également dans la terre et est expirée par la végétation.
14 $ Hydrater la Terre
En agriculture, les sols labourés et laissés à nu perdent non seulement leur carbone, ils permettent également à l’eau de s’évaporer rapidement. Les machines lourdes ont compacté les sols agricoles, de sorte que l’eau s’écoule en surface au lieu de s’infiltrer. L’excès d’eau est canalisé dans des fossés ou des dalles de drainage et rapidement évacué. Les pratiques de drainage agricole visent à limiter les eaux stagnantes et les inondations ; elles se soucient moins de la bonne infiltration de l’eau de sorte que, là encore, nous alimentons le grand cycle de l’eau mais pas le petit.
La planète se désertifie
Il existe des déserts naturels, des écosystèmes de terres arides où la végétation est adaptée à un climat sec, mais la désertification est une autre chose. La désertification est causée par la dégradation des terres, due à une gestion non durable de celles-ci. Les mêmes pratiques qui perturbent le petit cycle de l’eau : déforestation, surpâturage, labourage, monocultures, étalement urbain, créent de grandes zones de désertification sur la planète.
Les zones autrefois fertiles deviennent de plus en plus arides, en raison d’une mauvaise gestion des terres et de la déforestation.
15 $ Chapitre Un - Un nouveau paradigme de l'eau
La planète compte de vastes déserts qui étaient autrefois fertiles. Le Croissant fertile, une région du Moyen-Orient couvrant ce qui est aujourd’hui la Syrie, le Liban, la Palestine, Israël, la Jordanie et l’Égypte, est appelé le berceau de la civilisation. Autrefois terre luxuriante et fertile, elle a vu naître l’agriculture moderne. C’est là que sont nées les pratiques du labourage, de l’irrigation, de l’élevage d’animaux domestiques et de la culture de plantes telles que le blé, l’orge, le pois chiche et la lentille. Mais aujourd’hui, aucune agriculture n’y est possible sans une irrigation extensive. Les sols autrefois fertiles sont contaminés par la salinisation, ce qui se produit lorsque les eaux souterraines sont utilisées pour l’irrigation pendant de longues périodes. Les minéraux provenant de la terre et les amendements agricoles synthétiques tels que les engrais se concentrent dans les eaux souterraines et s’accumulent dans le sol, le contaminant jusqu’à ce qu’il ne puisse plus supporter la vie.
La même chose se produit à d’autres endroits dans le monde. Dans le sud des États-Unis, notamment en Californie et en Arizona, où sont cultivés la plupart des produits frais d’Amérique du Nord, les pluies sont rares et les champs agricoles sont maintenus en production par l’irrigation, qui puise l’eau dans les principaux fleuves et les réserves souterraines. Mais ces réserves ne reçoivent pas assez de pluie pour se remplir à nouveau, si bien qu’au fil du temps, elles s’épuisent. En parcourant ces régions, en dehors des champs agricoles, vous voyez des lits de rivière asséchés et des paysages désertiques.
Pourtant, dans toute l’Amérique du Nord, les supermarchés vendent des laitues produites dans les déserts et irriguées à partir de nappes aquifères en voie d’épuisement.
Là où je vis, dans l’est du Canada, beaucoup de gens ne prennent pas au sérieux la possibilité d’une crise de l’eau, principalement parce qu’elle coule en abondance. Et c’est vrai : souvent, nous en avons trop. Lorsque la neige fond au printemps, nous avons des inondations, et avec le changement climatique, cela se produit de plus en plus fréquemment. Nous avons de graves inondations qui obligent les gens à évacuer leur maison et empêchent la plantation de maïs. Mais en 2020, même après les inondations du printemps,
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nous avons connu une sécheresse de six semaines en été. Les agriculteurs qui pratiquent les grandes cultures ne sont pas équipés pour l’irrigation car ils n’en ont jamais eu besoin ici. Cet été-là, ils se sont inquiétés ; et ils se demandent maintenant si, après tout, ils ne devront pas installer des systèmes d’irrigation dans les champs. Les producteurs de fruits et légumes le font déjà.
Trop de pluie et pas assez sont simplement les deux faces d’une même pièce.
Les pluies de mousson font partie de la désertification. Même les endroits extrêmement secs reçoivent parfois des pluies torrentielles. Quand il pleut, il pleut davantage, mais ensuite il ne pleut plus pendant longtemps. Il n’existe aucun endroit sur la planète qui ne soit pas touché par la perturbation des cycles de l’eau. Lorsque nous pensons aux déserts, nous pouvons penser qu’ils sont lointains et ne nous concernent pas. Mais nous faisons les mêmes choses partout. Nous défrichons la végétation et gérons mal l’eau, ce qui finit par entraîner la dégradation des sols et la désertification. Ce n’est qu’une question de temps si nous ne commençons pas à faire les choses différemment.
Comment le cycle de l’eau régule-t-il le
climat ?
Walter Jehne, climatologue et microbiologiste de renommée internationale, est le fondateur de « Healthy Soils Australia ». Il est une autre voix passionnée qui affirme que la restauration des cycles de l’eau est notre meilleure chance d’éviter un changement climatique catastrophique. Selon lui, l’augmentation du carbone atmosphérique est un symptôme du changement climatique, et non sa cause principale. La vapeur d’eau étant également un gaz à effet de serre, responsable de 95 % des mécanismes de réchauffement et de refroidissement de la planète Terre, elle joue un rôle encore plus important que le CO2.
Je vais essayer de résumer ce qu’il dit, car cela nous éclaire sur la manière dont nous devons changer notre gestion des terres et de l’eau.
17 $ Chapitre Un - Un nouveau paradigme de l'eau
ÉCLAIRAGES SUR LE RAPPORT SPÉCIAL DU GIEC
PATRICK LOVE
Patrick Love
Terre et Climat
Éclairages sur le rapport spécial du GIEC
Table des matières
Chapitre Quatre – La sécurité alimentaire
Chapitre Cinq – Les liens entre le climat, les terres et la sécurité alimentaire
Chapitre Six – Faire face aux risques du changement
Note aux lecteurs ............................................... 9
Interactions
.............. 13
27
..................... 41
Chapitre Un –
terre-climat
Chapitre Deux – La dégradation des sols..........
Chapitre Trois – La désertification
55
................................... 69
................................... 85
climatique
Note aux lecteurs
L’objectif de ce livre est de permettre à des personnes ne disposant ni du temps, ni des prérequis nécessaires, de mieux comprendre un rapport du GIEC publié en 2019.
Celui-ci a pour titre Changement climatique et terres émergées : Un rapport spécial du GIEC sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres. 1 Ce rapport est également connu sous le nom de Rapport spécial sur le changement climatique et les terres émergées.
Le rapport spécial « évalue la dynamique du système terre-climat, ainsi que les dimensions économiques et sociales de la résolution des problèmes de dégradation des terres, de désertification et de sécurité alimentaire dans un climat changeant. Il évalue également les options de gouvernance et de prise de décision à des échelles multiples ». Il a été compilé par plus de 600 experts issus de divers domaines de recherche. La majorité d’entre eux (52 %) sont issus de pays en développement.
Les conclusions s’appuient sur plus de 7 000 publications scientifiques et techniques. Chaque conclusion est fondée sur une évaluation de tous les éléments scientifiques apportés par ces publications. Un niveau de confiance est exprimé à l’aide de cinq qualificatifs : très faible, faible, moyen, élevé et très élevé.
Dans cette brève introduction, nous ne citons que les conclusions classées comme de « haute confiance » ou « très haute confiance ». Ces résultats sont cités mot pour mot dans notre texte et sont mis en évidence en italique.
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Le texte suit la structure du rapport du GIEC :
Le chapitre 1 présente les interactions terre-climat aux échelles locale, régionale et mondiale.
Le chapitre 2 examine les forces à l’origine de la désertification et de la dégradation des terres, ainsi que leur lien avec l’activité humaine et le changement climatique.
Le chapitre 3 décrit les causes de la désertification et leur interaction avec le changement climatique.
Le chapitre 4 se concentre sur la sécurité alimentaire et les impacts du changement climatique sur les systèmes alimentaires, en considérant comment l’atténuation et l’adaptation peuvent contribuer à la santé humaine et planétaire.
Le chapitre 5 analyse les liens entre les options d’atténuation et d’adaptation du climat pour lutter contre la désertification et la dégradation des terres, et pour améliorer la sécurité alimentaire.
Le chapitre de conclusion évalue les opportunités, la prise de décision et les réponses politiques aux risques dans le système climat-terre-homme.
Les exemples et les discussions de notre texte s’appuyant sur des sources autres que le GIEC, les opinions exprimées peuvent ne pas être celles du GIEC ou de ses membres.
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Notes
1. IPCC, 2019: Climate Change and Land: an IPCC special report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems [P.R. Shukla, J. Skea, E. Calvo Buendia, V. Masson-Delmotte, H.-O.Pörtner, D. C. Roberts, P. Zhai, R. Slade, S. Connors, R. van Diemen, M. Ferrat, E. Haughey, S. Luz, S. Neogi, M. Pathak, J. Petzold, J. Portugal Pereira, P. Vyas, E. Huntley, K. Kissick, M. Belkacemi, J. Malley, (eds.)]. In press. https://www.ipcc.ch/srccl/
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Chapitre Un
Interactions terre-climat
L’expression « effet papillon » vient des travaux du météorologue Edward Lorenz, qui a découvert en 1961 qu’un changement minuscule dans les données qu’il avait saisies dans son modèle météorologique numérique (arrondir 0,506127 à 0,506) conduisait finalement à une prévision totalement différente de celle utilisant le nombre original.1 L’idée que le battement d’ailes d’un papillon au Brésil puisse entraîner une tornade au Texas est loin de la théorie de Newton selon laquelle « pour toute action, il existe une réaction égale et opposée ». Dans un monde newtonien, le battement d’ailes ne provoquerait qu’une réaction dans l’air que les ailes poussent, permettant au papillon de voler. Mais lorsqu’on parle du climat, il faut aller au-delà des paires actionréaction pour considérer des séries complexes d’interactions impliquant l’air, la terre, les océans et l’activité humaine. Nous pouvons considérer ces interactions comme un système adaptatif, où chaque partie influence constamment les autres et est influencée par elles.
Dans ce chapitre, nous examinerons une partie de la dynamique de ce système, à savoir les interactions terre-climat aux échelles locale, régionale et mondiale. La couverture et l’utilisation des sols sont adaptées aux « enveloppes climatiques », qui correspondent à des combinaisons de plages de températures et/ou de précipitations. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) causées par l’homme ont un impact sur les terres par le biais de changements météorologiques et climatiques et par la modification de la composition de l’atmosphère, notamment par l’augmentation de la quantité de CO2.
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Le réchauffement anthropique a entraîné des déplacements de zones climatiques, principalement une augmentation des climats secs et une diminution des climats polaires. Le réchauffement en cours devrait entraîner l’apparition de nouveaux climats chauds dans les régions tropicales, ainsi que le déplacement des zones climatiques vers les pôles aux latitudes moyennes et élevées, et vers le haut dans les régions de plus grande altitude. (IPCC SRCCL, p. 44)
L’énergie se déplace des régions chaudes vers les régions froides – des tropiques vers les pôles – et lorsque la quantité de chaleur dans une région augmente, les caractéristiques de cette région changent. Le désert du Sahara, par exemple, a augmenté de 10 % au cours du XXe siècle,2 tandis que la glace de l’Antarctique fond aujourd’hui six fois plus vite que dans les années 1990.3
Le déplacement des enveloppes climatiques – des combinaisons de température et d’humidité – plus chaudes vers les zones de haute latitude pourrait aider l’agriculture grâce à l’allongement des saisons de croissance, au réchauffement des températures saisonnières et à l’augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère, qui stimulent la photosynthèse.
Toutefois, les plantes et les animaux ont évolué pour s’adapter à leurs niches climatiques. Même s’ils pouvaient évoluer autant dans les prochaines décennies qu’ils ont évolué au cours des derniers milliers ou millions d’années, cela pourrait ne pas être assez rapide pour faire face aux changements prévus d’ici les années 2070.4 Dans l’ensemble, la perte de productivité de la végétation dans de nombreuses régions du monde pourrait annihiler les avantages que l’augmentation des concentrations atmosphériques de CO2 pourrait apporter à l’utilisation et à la couverture des sols.
Le réchauffement va également accroître la fonte des neiges et réduire l’albédo, c’est-à-dire la quantité de rayonnement solaire réfléchie plutôt qu’absorbée par une surface. Lorsque l’albédo est réduit, la terre absorbe davantage de chaleur. Dans les régions polaires, cela conduit à une boucle de rétroaction où l’absorption accrue de chaleur fait fondre davantage de
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glace, ce qui réduit encore l’albédo. Un phénomène similaire se produit dans la toundra, où la fonte du pergélisol (permafrost en anglais) libère les GES piégés dans le sol.
Un contre-exemple espagnol montre comment les modifications de l’état des sols dues à l’utilisation humaine, littéralement aux serres, peuvent affecter le climat. La province semi-aride d’Almeria possède à la fois le plus grand désert d’Europe et la plus grande superficie de serres du monde, soit près de 30 000 hectares. Les feuilles de plastique blanc dont sont faites les serres ont tellement augmenté l’albédo que la température annuelle moyenne de la région a en fait baissé de près d’un degré depuis les années 1980.5
L’espèce humaine s’est développée au sein d’une niche climatique. Au cours des 6 000 dernières années, la plupart d’entre nous ont vécu dans des régions où la température annuelle moyenne était de 13°C, mais au cours des 50 prochaines années, 1 à 3 milliards de personnes pourraient vivre dans des régions plus chaudes que cela.6 En outre, certaines régions sont déjà très proches de connaître des combinaisons de chaleur et d’humidité qui rendent impossible toute survie prolongée à l’extérieur, par exemple le littoral sud du golfe Persique et le nord de l’Asie du Sud, où vivent des millions de personnes.7
La fréquence et l’intensité de certains phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes ont augmenté en raison du réchauffement de la planète et continueront à augmenter dans le cadre de scénarios d’émissions moyennes et élevées. La variabilité climatique future devrait accroître le risque et la gravité des incendies de forêt dans de nombreux biomes tels que les forêts tropicales humides. (p. 45)
Les inondations, en tant que menace existentielle pour la vie, sont mentionnées dans la légende de Gilgamesh et plus tard dans la Bible, qui parle également de destruction par le feu. Ces craintes archaïques se concrétisent de plus en plus fréquemment. Le nombre d’inondations et autres événements hydrologiques a été multiplié par quatre dans le monde depuis 1980 et a doublé depuis 2004.
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Les températures extrêmes, les sécheresses et les incendies de forêt ont plus que doublé depuis 1980, tout comme les tempêtes.
Comme l’a montré l’été 2021, toutes les régions du monde sont touchées. Rien qu’en juillet de cette année, les inondations et les glissements de terrain qu’elles ont provoqués ont tué plus de 920 personnes, dont 219 en Belgique et en Allemagne, 192 à Mumbai et dans le Maharashtra, en Inde, 113 dans la province du Nuristan, en Afghanistan, et 99 dans la province du Henan, en Chine.8 Neuf personnes ont été tuées par des feux de forêt en Californie, mais les décès liés aux catastrophes environnementales ne sont pas toujours immédiats. Plus de 33 000 décès par an peuvent être attribués à la pollution atmosphérique due aux incendies de forêt, dont 7 000 au Japon, plus de 3 000 au Mexique, plus de 1 200 en Chine, plus de 5 200 en Afrique du Sud, près de 5 300 en Thaïlande et près de 3 200 aux États-Unis.9
En 2019, la pire catastrophe naturelle mondiale en termes de vies humaines perdues a été une canicule en Europe, responsable de 2 500 des 11 755 décès causés par des catastrophes naturelles signalées cette année-là.10 À l’échelle mondiale, les vagues de chaleur sont devenues plus fréquentes et plus longues depuis les années 1950, et les plus fortes augmentations sont observées dans les régions qui devraient souffrir le plus des impacts du changement climatique.11 D’ici la fin du siècle, les vagues de chaleur pourraient devenir extrêmement longues (plus de 60 jours consécutifs) et fréquentes (une fois tous les deux ans) dans la plupart des régions du monde.
Les sécheresses devraient elles aussi s’aggraver, certaines études prévoyant que d’ici 2100, le changement climatique pourrait réduire le stockage d’eau terrestre (en anglais Terrestrial Water Storage) dans de nombreuses régions, indépendamment d’autres facteurs tels que les changements d’affectation des terres, notamment dans l’hémisphère sud, aux États-Unis et dans le sud-ouest de l’Europe. La superficie des terres et la population mondiale concernées par des sécheresses extrêmes à exceptionnelles pourraient plus que doubler, passant de 3 % à 7 % pour la superficie des terres et à 8 % pour la population.12
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Les catastrophes naturelles ont également un coût à payer. Aux États-Unis, par exemple, le coût de 285 catastrophes météorologiques et climatiques majeures depuis 1980 est estimé à plus de 1 875 milliards de dollars.13
Le déplacement des zones climatiques signifie que les incendies de forêt se déplacent également. Dans les régions où les feux de forêt sont « traditionnels », la vie a eu le temps de s’adapter aux incendies, grâce à la résistance aux flammes de l’écorce des arbres, par exemple. Certaines espèces dépendent même des incendies, comme les séquoias géants de Californie, qui profitent des incendies pour débarrasser le sous-bois et permettre à leurs graines de germer. Mais nous observons aujourd’hui des incendies de grande ampleur dans de nouvelles zones, ou dans des zones où ils étaient très rares. La partie septentrionale de la planète se réchauffe plus rapidement que l’ensemble de la Terre, et les forêts boréales (du nord) brûlent à un rythme jamais vu depuis 10 000 ans.14
Les dégâts causés par les incendies dans les forêts tropicales humides s’aggravent également. Souvent, ces incendies sont allumés délibérément pour défricher des terres pour l’agriculture, mais le climat joue également un rôle. Le réchauffement de l’Atlantique Nord et des océans tropicaux du Pacifique Est éloigne l’humidité de l’Amazonie, ce qui allonge la saison sèche et augmente le risque que les incendies allumés délibérément se propagent de manière incontrôlée.15
Les changements des conditions terrestres modulent la probabilité, l’intensité et la durée de nombreux événements extrêmes. (p. 47)
Le changement climatique régional peut être atténué ou renforcé par des modifications de la couverture et de l’utilisation des sols au niveau local, mais cela dépend de l’endroit et de la saison. (p. 135)
L’état des sols affecte également le climat et le temps « normaux ». En raison du manque de données historiques, il n’existe pas d’observation directe de la façon dont les changements passés d’utilisation des sols ont affecté la dynamique et la physique de l’atmosphère à l’échelle mondiale ou régionale, de sorte que des
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modèles sont utilisés pour estimer les tendances. Cependant, les expériences de modélisation du climat n’évaluent que les impacts des changements de la couverture terrestre tels que la déforestation ou l’urbanisation, et négligent les effets des changements dans la gestion des terres tels que l’irrigation, l’utilisation d’engrais ou le choix des cultures. Pour cette raison, nous utiliserons le terme « changements de la couverture terrestre ».
Les modifications de la couverture et de l’utilisation des sols induites par l’homme font partie d’un cycle. La déforestation et l’afforestation, le pâturage, l’irrigation, l’urbanisation, et cetera, entraînent des modifications du CO2 atmosphérique. Cela provoque des changements dans les variables atmosphériques mondiales (température, précipitations, circulation atmosphérique, et cetera) qui modifient les variables locales et régionales telles que la température, les précipitations et le vent. Celles-ci entraînent à leur tour des modifications du fonctionnement, de la couverture et de la structure des terres, notamment la photosynthèse, l’assèchement, le verdissement, la répartition des écosystèmes naturels et la composition des espèces. Ces changements modifient ensuite le CO2 atmosphérique.
Dans les régions boréales, où le changement climatique prévu fera repousser la limite des arbres vers le nord, augmenter la durée de la saison de croissance des plantes et dégeler le pergélisol, le réchauffement hivernal régional sera accentué par la diminution de l’albédo de surface et de la neige. Le réchauffement sera atténué pendant la saison de croissance en raison d’une évapotranspiration plus importante – évaporation de l’eau de la surface terrestre plus transpiration des plantes. Sous les tropiques, le changement climatique augmente les précipitations. La croissance de la végétation et l’augmentation de l’évapotranspiration qui en découle atténueront le réchauffement régional.
L’agriculture, la sylviculture et les autres utilisations des terres (Agriculture, Forestry and Other Land Use, AFOLU) constituent une source nette importante d’émissions de GES. (p. 45)
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Les changements historiques de la couverture terrestre anthropique ont entraîné un réchauffement mondial annuel moyen de l’air de surface dû à des effets biogéochimiques tels que les émissions de carbone, même s’ils sont compensés dans une certaine mesure par un refroidissement biophysique, dû à l’augmentation de l’albédo de surface, comme on l’a vu à Almeria par exemple. La question clé est de savoir dans quelle mesure l’AFOLU contribue aux émissions anthropiques mondiales de GES, en amorçant le cycle décrit ci-dessus.
L’agriculture, la sylviculture et les autres utilisations des terres étaient responsables d’environ 23 % des émissions de GES anthropiques sur la période 2007-2016. Ils constituaient la principale source anthropique d’oxyde nitreux (N2O) provenant des engrais, le GES le plus important après le dioxyde de carbone et le méthane. Les engrais chimiques utilisant de l’azote stimulent la production agricole, mais les plantes ne peuvent utiliser qu’une certaine quantité d’azote. Une fois cette limite atteinte dans les terres cultivées, les émissions de N2O augmentent de manière exponentielle. Les émissions mondiales de N2O ont augmenté au cours des deux dernières décennies et la croissance la plus rapide a été enregistrée depuis 2009, notamment en Chine et au Brésil, en raison de l’utilisation accrue d’engrais azotés et de l’expansion des cultures fixant l’azote, comme le soja.16
Les effets des modifications de la couverture des sols ne se limitent pas à la zone où elles se produisent. Les modifications de la couverture terrestre locale ou de l’eau disponible pour l’irrigation peuvent affecter le climat de régions situées à des centaines de kilomètres. C’est l’une des raisons pour lesquelles les pluies torrentielles en Allemagne peuvent être liées à l’urbanisation en Espagne. Les précipitations sur la côte espagnole proviennent principalement des brises marines de la mer méditerranéennes qui absorbent également l’humidité supplémentaire des marais et des zones humides. Mais comme ces marais et zones humides sont construits ou drainés pour l’agriculture, les brises ne peuvent plus capter suffisamment d’humidité pour pouvoir déclencher les orages d’été au-dessus des montagnes. La vapeur d’eau s’accumule au-dessus
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