Entre nous 55

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ENTRE NOUS

ET… APRÈS

LE CANCER ?

ASPECTS PSYCHOLOGIQUES 03

Le cancer, une rupture existentielle

RÉADAPTATION ONCOLOGIQUE 04

Avancer ensemble

CANCER ET VIE INTIME 05

Quand le cancer bouscule la sexualité

CHIRURGIE RÉPARATRICE 06

« La reconstruction mammaire, c’est du sur-mesure »

TÉMOIGNAGE 07

« J’ai eu besoin de soigner plus que mon corps »

La Ligue vaudoise contre le cancer est présente sur Facebook, Instagram, YouTube et LinkedIn
© Philippe Gétaz

ET… APRÈS

LE CANCER ?

Chantal Diserens

Directrice de la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC)

Le cancer s’en prend au corps, certes. Mais c’est aussi la personne, dans toutes ses dimensions humaines, qui est mise à mal par la maladie. Douleurs, opérations, fatigue extrême, effets secondaires des médicaments… Autant de facteurs qui viennent bouleverser le quotidien. Avec la pensée inévitable que la mort peut survenir…

Et quand c’est la guérison, comme pour une majorité de patients aujourd’hui, le soulagement est énorme. Toutefois, si le combat contre la maladie est terminé, les effets du cancer, eux, continuent à se faire sentir. Car il faut désormais composer avec ce corps meurtri, qui en quelque sorte a failli, mais aussi avec la personne qu’on a été et qui, touchée au plus profond de son être, n’est désormais plus tout à fait la même qu’avant. Comment faire avec ces changements ? Comment se réapproprier son corps ? Comment se retrouver soi-même ?

Oui. Le cancer laisse des séquelles, profondes, souvent durables. C’est à ce sujet encore largement méconnu qu’est consacré ce numéro d’ Entre nous . Pour le mettre en lumière et rendre hommage à toutes les personnes qui, après le combat contre la maladie, doivent emprunter le chemin éprouvant de la réadaptation. Nous sommes là pour les accompagner – grâce à vous.

Merci pour votre soutien et bonne lecture !

À VOS BILLETS !

Ça y est ! La billetterie pour le traditionnel Gala d’étoiles de la danse est ouverte. Réservez sans attendre votre place et rendez-vous dimanche 23 novembre à 16h30 au Théâtre de Beausobre à Morges. Un événement en faveur de la LVC.

OFFRES DE SOUTIEN : 2e VERSION DU GUIDE

Les ligues vaudoise et genevoise contre le cancer ont publié début juin une nouvelle version de leur guide Cancer : offres de soutien en Suisse romande . Cette publication recense les ressources à disposition des patients et de leurs proches.

Pourquoi les hommes recourent-ils moins aux prestations de soutien de la LVC que les femmes ? Pour y répondre et adapter son offre, la LVC lance une enquête en ligne, anonyme. Vous êtes un homme et avez été confronté à un cancer ? Votre avis nous est précieux !

PLUS D’INFOS: info@lvc.ch

PARTICIPER À L’ENQUÊTE EN SCANNANT LE CODE QR :

LE CANCER, UNE RUPTURE

EXISTENTIELLE

Toute personne atteinte d’un cancer voit son existence profondément transformée. Psychiatre au CHUV, le professeur Friedrich Stiefel donne la mesure d’un bouleversement qui touche les aspects essentiels de la vie.

Pour toute personne qui reçoit la nouvelle d’un cancer, il y a un avant et un après. On peut même parler de rupture biographique, tant la maladie amène des changements importants. Mais quelle est la nature de cette révolution ? Est-elle de même ampleur chez tout le monde ? Chef du Service de psychiatrie de liaison au CHUV, le professeur Friedrich Stiefel est aux premières loges des effets psychiques provoqués par la maladie. Oui, le cancer amène toujours une rupture dans la vie des personnes touchées, dit-il en substance, et ce changement peut – et doit – prendre du temps.

L’IRRUPTION D’UN CANCER PROVOQUE TOUJOURS UN CHOC. DANS QUELLE MESURE PEUT-ON AUSSI DIRE QUE LA MALADIE AMÈNE UNE RUPTURE DANS LA VIE DES PERSONNES QUI EN SONT ATTEINTES ?

Il faut d’abord considérer que nous avons besoin à la fois de permanence et de changement dans notre vie. Mais si le changement est trop brutal ou trop rapide, nos capacités psychiques sont dépassées. Lorsque le diagnostic du cancer arrive, il y a un effet psychique immédiat, qui mène d’abord à un sentiment de sidération. Cet état nous protège d’un sentiment de rupture. Par exemple, les personnes qui viennent de recevoir un diagnostic disent souvent : « Je n’arrive pas encore à réaliser » ou « Je me sens enveloppé dans du coton ». À ce moment-là, une évolution est déjà en train de s’amorcer, mais elle prendra du temps. Au bout de ce processus, on peut effectivement avoir le sentiment d’avoir vécu une véritable rupture dans sa vie.

PARMI LES DIMENSIONS DE CETTE RUPTURE, IL Y A NOTAMMENT UN CHANGEMENT DANS LA FAÇON DONT ON SE PERÇOIT. Petit à petit, l’impression émerge de ne plus être la même personne qu’avant, d’avoir perdu une certaine insouciance et d’être perçu par les autres comme malade. Il y a aussi un changement dans la sphère du corps et des sens. Le corps nous permet d’aller vers le monde et d’être affecté par lui. Avant la maladie, on se reposait sur lui sans réfléchir ; il était « silencieux ». Lorsqu’il devient « bruyant » et qu’il ne nous soutient plus, nous avons de la peine à aller vers le monde, et les plaisirs qui nous

traversent grâce au corps se modifient. Lorsque nous retrouvons nos capacités psychiques, sensorielles et sociales, notamment à l’aide de la médecine, nous pouvons retrouver le monde. Et souvent les patients prennent plus conscience des choses essentielles comme les relations, les moments de détente, et de tout ce que ce monde peut nous offrir.

EST-CE QU’ON PEUT PARLER D’UN BASCULEMENT D’ORDRE EXISTENTIEL CHEZ CERTAINES PERSONNES ?

Quand il y a un basculement existentiel, nous nous apercevons de manière plus intense de notre vulnérabilité, de notre finitude, et cherchons à donner du sens à notre expérience. Face à ces défis, nous ne pouvons pas nous appuyer sur nos compétences habituelles. Il n’y a pas de directives à suivre. Chacun doit bricoler à sa manière, faire ce qu’il peut et prendre un nouveau chemin. Le plus souvent, les gens finissent par trouver des réponses et relèvent ces défis, mais ça prend du temps.

ON DEVIENT PHILOSOPHE, EN QUELQUE SORTE… ?

Buter sur quelque chose nous amène généralement à réfléchir. Une maladie comme le cancer provoque souvent un changement profond de notre rapport à l’espace et au temps, deux dimensions qui nous sont essentielles. L’espace se restreint avec la maladie. Hospitalisé, on se retrouve dans un lieu confiné, imposé, avec des territoires réservés selon le type de maladies et dont on ne peut pas disposer à notre guise, ni sortir. Et quand on retrouve son lieu de vie et qu’on peut refaire une balade dans la nature, on comprend ce qu’est la liberté. Quant à notre rapport au temps, si auparavant on remettait toujours tout à plus tard, si on courait d’une tâche à l’autre, on réalise soudain qu’il faut vivre les choses un peu plus au présent. Et donc oui, la maladie peut nous amener à devenir un philosophe du quotidien. À travers elle, certains patients, malgré leurs souffrances, s’ouvrent à des questions plus profondes que celle de savoir si on arrivera à terminer tel ou tel projet professionnel à temps…

Propos recueillis par Pierre-Louis Chantre
© Philippe
Gétaz

SE RÉADAPTER , ENSEMBLE

Une fois les traitements achevés, les effets du cancer se font encore sentir. Un enjeu : reprendre le cours de sa vie après la maladie. Une réadaptation qui prend du temps et pour laquelle la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC) a conçu un programme d’accompagnement. Éclairage avec l’infirmière qui en a la charge, Anne Lagger.

Lorsque les traitements contre le cancer arrivent à leur terme, le patient se retrouve seul. Lui qui a été placé sous l’œil médical, dont la maladie a été scrutée par des professionnels, dont les pages de l’agenda ont été noircies de rendez-vous, doit faire face à lui-même. À ses doutes, aux effets secondaires, au fait d’avoir du temps, au sentiment de trahison qui peut apparaître vis-à-vis de ce corps qui a « lâché ». Aux injonctions à « profiter de la vie ». Au quotidien, aussi. Qui est celui que l’on a connu mais dans lequel on ne se reconnaît plus toujours. Comme le dit Anne Lagger, responsable du programme de réadaptation oncologique à la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC), « ce n’est pas parce que les traitements sont finis que les effets sont finis ». Face à ces derniers, le patient peut être démuni. C’est pour l’accompagner dans cette phase de l’après que la LVC a conçu le programme de réadaptation oncologique.

UN ACCOMPAGNEMENT AUX MULTIPLES FACETTES

Le principe ? Sous la direction d’un médecin, le programme comprend des activités collectives et des accompagnements individuels, pendant trois mois, à raison de deux à trois séances par semaine. Au début, chaque patient échange avec l’infirmière coordinatrice qui a monté ce programme pour « déposer son histoire ». Il remplit un questionnaire et note ses objectifs en matière de réadaptation. Puis, un ensemble de modules s’organise : ateliers thérapeutiques et psycho-oncologiques, activités physiques, gestion du stress et réhabilitation cognitive avec des neuropsychologues. Une boucle WhatsApp permet au groupe d’être tenu informé. Une fois le programme achevé, l’équipe médicale sort de cette conversation et leur laisse les rênes. Du groupe comme de leur indépendance. Le patient remplit une fiche d’évaluation. Les résultats sont là : 100 % des patients se sentent mieux à la fin du programme.

AU CŒUR, LES BESOINS DES PATIENTS

UNE ÉVIDENCE, LA DANSE

Pour construire ce programme, l’équipe a lu la littérature scientifique, échangé avec les acteurs de la réadaptation. Et a beaucoup écouté les patients. Les mécanismes de dissimulation pour cacher les troubles cognitifs, les trous de mémoire, la méfiance vis-à-vis du corps, l’appétit envolé, l’anxiété retrouvée, les proches moins présents qu’aux débuts, l’injonction à rester courageux, le besoin de se retrouver entre pairs… les modules du programme ont été construits pour répondre à ces besoins. Hommes, femmes, personnes en rémission, en palliatif, ne parlant pas très bien français… ce programme est ouvert à toutes et tous. Le fait d’être en groupe, de se retrouver avec des personnes ayant le même lien identitaire vis-à-vis de la maladie, rend la parole possible. « Cela fait des années que je cherche à construire des groupes de parole entre personnes malades du cancer ou en rémission mais je n’y arrive pas. Ici, la parole se libère, les patients rient, pleurent, partagent quelque chose de vrai », explique l’un des psychiatres.

La dimension thérapeutique est structurante. Il s’agit d’un vrai plan de soin, non d’un assemblage d’activités axées bien-être. Aussi, des évaluations jalonnent le parcours, une équipe de personnes formées intervient auprès des patients, un comité de pilotage étudie l’impact thérapeutique des modules et une direction médicale est à la tête. La reconnaissance de cette offre de soin par les oncologues de la région valide la rigueur avec laquelle ce programme a été pensé.

Un jour, David Rodriguez, ancien danseur au Béjart Ballet Lausanne, propose à Anne Lagger d’ajouter un atelier danse. Après avoir réalisé une revue de littérature, les bénéfices de la danse sonnent comme des évidences. En effet, au cours des traitements, la proprioception des patients, leur estime de soi, le rapport au corps, l’orientation et la manière de vivre le regard des autres se dégradent. La danse fait bouger les lignes. Il y a celles qui se sentent belles à nouveau, comme cette patiente qui explique : « Depuis mon opération, je me voyais comme une planche à repasser, je me détestais. Le professeur de danse nous a dit qu’on était belles et j’ai pleuré. » Celles qui enlèvent leur perruque pour la première fois. Celles qui se réapproprient leur corps, comme cette femme qui se disait « coupée, avec deux seins en moins » et qui s’est sentie de nouveau entière. Ceux qui osent entrer dans la danse comme cet ancien joueur de football. Ou cette patiente qui révèle que la première fois qu’elle a dansé, elle a senti que la vie revenait dans son corps.

ET LA SUITE ?

Quelque 65 patients participent chaque année en Suisse romande à ce programme, dans l’un des quatre centres de réadaptation (Lausanne, Yverdon, Clarens et Gland). Sur prescription du médecin, la majorité des prestations sont prises en charge par l’assurance-maladie de base. La part restante est assumée en majorité par la LVC et la contribution du patient se monte à 200 francs. L’enjeu consiste à permettre à davantage de personnes de se réadapter via ce programme. Ce qui est une question de ressources.

Cécile Gruet
© Anne Bory

05

QUAND LE CANCER BOUSCULE LA SEXUALITÉ

Voilà plus de 30 ans que Patrizia Anex exerce comme psychothérapeute et sexologue. Dans son cabinet à Orbe, elle a créé un véritable cocon pour accueillir ses patients et les accompagner dans l’exploration de leur sexualité. Une sexualité que le cancer met à mal, et souvent de manière durable. Mais il existe de nombreuses pistes pour se réapproprier son corps, son désir et ses sensations. C’est ce que Patrizia Anex, ancienne collaboratrice de la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC), propose aux personnes qu’elle accompagne. Avec bienveillance et douceur.

Impossible d’imaginer l’oasis de sérénité dans laquelle Patrizia Anex reçoit ses patients. Tout est fait pour se sentir à l’aise dans ce lieu où l’on aborde un sujet encore tabou : la sexualité. Car comme le mentionne en préambule la sexologue, « on n’en parle pas vraiment, de la sexualité humaine. On ne vous explique pas comment fonctionnent le plaisir et le désir. On ne vous dit pas ce qui se passe au niveau du corps et du cerveau, sur le plan physiologique, et comment chaque être humain construit sa sexualité là-autour, à sa façon. On ne vous dit pas comment je peux jouer avec mon plaisir, mon désir, mon excitation sexuelle, mes fantasmes et mes pensées. » Et ce tabou s’amplifie lorsque survient un cancer.

ABORDER LE SUJET DÈS LE DÉBUT

Penser à sa sexualité quand on est face à un diagnostic de cancer semble dérisoire voire inadéquat. Patrizia Anex insiste pourtant sur l’intérêt d’évoquer ce sujet dès le début. « En demandant aux médecins si votre sexualité va être impactée par la maladie et les traitements, vous les rendez attentifs au fait que c’est important pour vous. Ils vont donc faire attention à préserver au maximum votre fonction d’excitation sexuelle. Parfois, ça change même leur protocole chirurgical. »

La sexualité fait partie intégrante de la vie ; elle est « aussi importante que la nutrition ou la fonction digestive », souligne la sexologue. L’activité sexuelle produit des endorphines, hormones dont la science a prouvé qu’elles rendent plus jeune et aident à surmonter les obstacles de la vie. Pour une majorité de personnes, la sexualité crée un élan de vie très fort. C’est en sens qu’elle peut aider à faire face à la maladie. C’est pourquoi Patrizia Anex insiste : « Il ne faut pas avoir honte de penser au sexe alors qu’on a un cancer, c’est tout à fait légitime. »

UN AUTRE VISAGE DE LA SEXUALITÉ

Le cancer a toujours des répercussions sur la sexualité, car il est synonyme de fatigue, de changements morphologiques et hormonaux. Il impacte l’énergie de vie. Et quand la maladie s’en prend directement aux zones sexuelles, les sensations, le désir et la fonction d’excitation s’en trouvent modifiés voire disparaissent. Comment faire alors ? « Il s’agit de faire renaître ailleurs dans le corps des sensations qui n’existent plus, se demander lesquelles on retrouve et comment vivre sa sexualité avec cette nouvelle donne. La sexualité, ça n’est pas seulement quelques actes, comme la pénétration, mais c’est tout le corps qui y participe. Et il y a 1000 expérimentations à faire ! La sexualité étant un apprentissage, je peux trouver d’autres moyens pour continuer à me donner du plaisir et à créer du désir, à avoir des fantasmes et des sensations. »

La sexologue ne minimise pas la douleur immense que représente la perte (potentielle) de sa fonction sexuelle. C’est pourquoi elle propose à ses patients un travail préparatoire en amont de l’intervention, afin de commencer le travail de deuil et d’élargir un peu la sexualité. Il s’agit aussi d’explorer une sexualité beaucoup plus douce, compatible avec les effets des traitements anti-cancer. Pour la sexologue, se coucher nus l’un contre l’autre et se caresser, c’est déjà de la sexualité. « Car l’intention de nos caresses, c’est d’être ensemble, de fusionner, de s’aimer, de ‹ se tendresser ›. C’est cette création d’intimité qui est importante. » Et non l’orgasme à tout prix comme le dicte la société. Cette épreuve est donc aussi une opportunité de découvrir un autre visage de la sexualité.

IMPORTANCE DE L’ENTOURAGE

Au-delà des aspects physiologiques, le cancer vient bousculer l’estime de soi. Comment s’accepter avec son nouveau corps, ses nouvelles sensations ? Comment se regarder dans le miroir et continuer à s’aimer, aimer son corps et penser qu’on reste désirable ? En plus du soutien qu’apporte le travail en sexologie, l’entourage joue un rôle majeur. Amis, famille, partenaires, tous peuvent contribuer à valoriser la personne malade, en montrant leur ouverture à parler de ce que ressent la personne. « Il ne faut pas avoir de tabou dans la discussion, mais se mettre à la place de l’autre, poser des questions et se montrer curieux de ce que vit l’autre. Toujours avec amour, bienveillance et délicatesse. » Trois mots-clés essentiels pour Patrizia Anex.

SE RÉAPPROPRIER SON CORPS

Pour le couple, ouvrir le dialogue autour de la sexualité, de l’intimité et du corps devient nécessaire. Parler des changements physiologiques et sensoriels, de ses désirs, de ses craintes réciproques, d’une éventuelle répulsion liée à la peur que l’autre meure, est primordial pour traverser cette épreuve. À deux on est plus fort, déclare Patrizia Anex. Et d’évoquer ces couples qui, sachant que l’un va perdre ses cheveux, se les rasent ensemble. « Tous les deux se retrouvent dans le même état. C’est une façon d’accompagner, c’est un partage d’intimité donc c’est de la sexualité. » Il faut aussi beaucoup verbaliser, car « il y a des mots qui doivent être posés, alors qu’on ne l’a peut-être jamais fait auparavant ». C’est valable également si l’on rencontre un nouveau partenaire, pour pouvoir lui expliquer les éventuelles difficultés liées à sa sexualité. Et si l’on n’a pas de relations sexuelles actuellement ? La réponse fuse : « Ça reste important. On va beaucoup utiliser la masturbation, qui est un bon exutoire de tension. Elle permet en plus de vérifier, en toute sécurité, comment va mon corps et quelles sont les difficultés. » De manière générale, la sexualité permet de se réapproprier le pouvoir sur son corps, que les examens et les traitements ont mis à nu et à mal. Et renouer avec ce pouvoir contribue à retrouver confiance en son corps et estime de soi. Malgré les bouleversements.

Christine Theumann-Monnier
© Philippe Gétaz

« LA RECONSTRUCTION MAMMAIRE, C’EST DU SUR-MESURE »

Marie-Christine Gailloud-Matthieu est médecin spécialiste en chirurgie plastique reconstructive et esthétique à Lausanne. Femme engagée, elle préside la Fondation Francine Delacrétaz, qui soutient sur dossier des personnes touchées par le cancer du sein en Suisse romande. C’est dire si Marie-Christine Gailloud-Matthieu maîtrise la question de la reconstruction mammaire. Mais au-delà des aspects techniques, elle évoque l’importance de bien informer celles qui sont au cœur de ses préoccupations : les patientes. Rencontre.

LA RECONSTRUCTION MAMMAIRE, QU’EST-CE QUE ÇA RECOUVRE ?

On parle de reconstruction mammaire lorsqu’il y a mastectomie, soit ablation complète du sein, puis reconstruction d’un nouveau. Mais c’est également le terme utilisé après une tumorectomie, quand seule une partie du sein a été enlevée pour prélever la tumeur.

QUELLES SONT LES TECHNIQUES DE RECONSTRUCTION EXISTANTES ?

En cas de tumorectomie, on peut pratiquer ce qu’on appelle de l’oncoplastie. C’est-à-dire qu’on combine l’ablation de la tumeur avec des techniques de chirurgie plastique afin de limiter au maximum la déformation du sein. On peut aussi simplement faire du lipofilling, soit du transfert graisseux, mais il faut attendre deux ans après la fin des traitements. Lors d’une mastectomie, il est possible d’effectuer soit une reconstruction immédiate le jour de l’ablation, soit une reconstruction dite secondaire, qui va intervenir quelques mois ou années plus tard. Il y a trois manières de reconstruire un sein. La première, c’est la pose d’un implant, qui nécessite plusieurs retouches successives afin d’améliorer le rendu esthétique. La deuxième est la reconstruction par lambeau, avec laquelle on prélève un morceau de tissu sur une autre partie du corps, le ventre, le dos, l’intérieur de la cuisse ou la fesse. Il y a également le lipofilling. Quelle que soit la technique choisie, il faudra encore reconstruire le mamelon, puis tatouer l’aréole. Enfin, en cas de tumorectomie comme de mastectomie, afin d’éviter une grosse différence visuelle entre les deux seins, il peut y avoir une intervention sur le sein opposé, soit pour l’augmenter soit pour le réduire. C’est ce qu’on appelle la symétrisation, que les assurances doivent désormais aussi prendre en charge.

IL Y A-T-IL UNE TECHNIQUE PRIVILÉGIÉE ?

Non, pas par défaut. Le DIEP, c’est-à-dire la reconstruction par lambeau de tissu provenant du ventre, est considéré comme LA référence. Mais tout dépend des patientes, de leur

corpulence, de leurs antécédents médicaux et chirurgicaux, de leur état de santé, des traitements anti-cancer reçus ou à venir ainsi que de leurs désirs à elles. La reconstruction, c’est du sur-mesure en fonction de chaque personne et de chaque situation.

PROPOSEZ-VOUS QUAND MÊME TOUTES LES POSSIBILITÉS DE RECONSTRUCTION À VOS PATIENTES ?

Oui. Mon rôle de plasticienne, c’est d’expliquer tout ce qui existe et de guider la patiente dans son choix, en fonction des critères évoqués juste avant. Mais c’est la patiente qui doit pouvoir choisir, et en toute connaissance de cause. Il n’est pas admissible en 2025 qu’une patiente ne sache pas pourquoi on lui a fait un DIEP plutôt que posé un implant. C’est important de prendre le temps de bien expliquer les choses. Souvent, plusieurs rencontres sont nécessaires. Et si la patiente veut un deuxième avis, c’est son droit.

VOUS PARLEZ DE CHOIX. PEUT-ON DE NE PAS FAIRE DE RECONSTRUCTION ? Absolument. Une personne qui n’a pas envie de reconstruction, il faut la soutenir dans sa démarche. C’est essentiel. Je lui conseillerais toutefois d’aller voir un chirurgien plasticien pour s’informer des options possibles et avoir toutes les cartes en main pour choisir. Car il y a des reconstructions qui prennent du temps et sont compliquées, et d’autres très simples et peu invasives, qui permettent aux personnes de mieux se sentir sur le plan fonctionnel et/ou esthétique, sans qu’on reconstruise complètement le sein. Par ailleurs, les patientes peuvent demander ce qu’on appelle une flat chest mastectomy, soit une mastectomie spéciale qui permet d’avoir un buste plat et lisse, et non un creux, comme lors d’une ablation standard. Parce que même une mastectomie doit être jolie. C’est pour ça qu’il vaut la peine d’exiger ce type de technique si l’on ne souhaite pas de reconstruction du tout ou qu’on veut la réaliser plus tard.

PLUS TARD, MAIS IL Y A-T-IL UN DÉLAI POUR EFFECTUER UNE RECONSTRUCTION ?

Non, la reconstruction est possible en tout temps et à tout âge. Mais c’est bien si les patientes consultent un plasticien dès qu’elles savent qu’elles vont subir une ablation, pour qu’elles soient informées et n’aient pas l’impression qu’elles n’ont pas de choix.

LE RÉSULTAT D’UNE RECONSTRUCTION EST-IL LE MÊME QUE CELUI D’UNE CHIRURGIE PLASTIQUE MAMMAIRE ? Il faut s’enlever de la tête l’idée qu’on va « se refaire un sein » en même temps. Une reconstruction reste une reconstruction. Lors d’une chirurgie esthétique, ni le sein ni la peau n’ont été enlevés, donc cela n’a rien à voir. Mais les techniques ont beaucoup évolué et on essaie de faire les choses au mieux. Il y a toutefois une grande variation selon les patientes.

SI L’ON A CHOISI DES IMPLANTS, FAUT-IL LES CHANGER APRÈS UN CERTAIN TEMPS ?

Pas forcément. Si les implants vont bien, on peut maintenant les garder 20, 30, voire 40 ans. On propose un contrôle tous les deux ans, mais ce suivi n’est pas obligatoire.

NIVEAU COÛTS, QU’EST-CE QUE L’ASSURANCE PREND EN CHARGE ?

La reconstruction mammaire est prise complètement en charge par l’assurance de base, de même que la symétrisation du sein opposé. Et si une personne ne veut pas de reconstruction aujourd’hui mais change d’avis en 2030, ce sera toujours pris en charge par l’assurance.

ASPECTS FINANCIERS

Quelles sont les prestations prises en charge dans le cadre d’une reconstruction mammaire?

Éclairage avec le juriste de la LVC.

Tout sur la prise en charge

« J’AI EU BESOIN DE SOIGNER

PLUS QUE MON CORPS »

Soutien psychologique, exercices physiques, programme de réadaptation oncologique de la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC) : Frédéric Durand a diversifié ses approches pour mieux se battre contre le cancer. Il témoigne afin d’encourager chacun à saisir toutes ses chances, « même s’il faut parfois se donner des coups de pied aux fesses pour trouver l’énergie nécessaire ! »

Le réveil sonne, Frédéric Durand se lève. Le Nyonnais travaille depuis peu pour la Confédération. C’est un matin d’automne comme un autre, hormis une gorge un peu encrassée. Il crache dans le lavabo pour la dégager, et découvre du sang. « Aucun autre signe, aucune douleur », raconte-t-il. « C’était bizarre, alors je suis allé aux urgences. » Les examens ne révèlent rien sur la présence de sang, « mais un scanner détecte une masse suspecte derrière le pancréas ». Ces deux mots — « masse suspecte » — résonnent chez le jeune quadragénaire, marié et père d’une fillette de 9 ans. Le cancer a déjà touché trois de ses proches, dont sa mère, emportée après cinq années de lutte. La crainte est confirmée un mois plus tard, après des examens complémentaires au CHUV : une biopsie révèle un lymphome, cancer naissant dans les lymphocytes, ces cellules essentielles à notre système immunitaire. Plus précisément, un lymphome non hodgkinien, donc moins prévisible mais au développement lent. Nous sommes en décembre 2019, la vie de Frédéric Durand et de sa famille vient de basculer dans « l’après-diagnostic ».

UN LONG PARCOURS DE SOIN

Les soins commencent aussitôt. Frédéric reçoit des injections d’anticorps monoclonaux. Quatre le premier mois, puis une tous les deux mois. « Ces traitements visent à détruire spécifiquement les lymphocytes déficients », explique-t-il. En parallèle, malgré la fatigue intense qui suit chaque séance, il reprend son travail à temps plein en janvier. « Je venais de commencer cet emploi, je ne me voyais pas ralentir ! Rétrospectivement, c’était peutêtre un peu précipité. »

Après six mois, les tests médicaux sont encourageants : la masse a diminué significativement, mais elle est toujours présente et les injections continuent. Début 2022, après deux ans de traitement, les médecins décident une pause d’observation. L’espoir ne dure pas : « Un an plus tard, la masse se reconstituait et une deuxième était apparue. » Il faut

RETOUR AU TRAVAIL PROGRESSIF ET ADAPTÉ

Frédéric Durand a pu compter sur le soutien de son employeur, la Confédération. « Une case manager, qui connaît bien ces situations, m’a contacté. Ensemble, nous avons planifié une reprise très progressive : d’abord un 20 %, puis des augmentations par tranches de 10 % tout en bénéficiant de souplesse pour du travail à domicile. » Un an après son retour, son employeur lui a rappelé qu’il devra, à terme, soit reprendre son temps plein, soit modifier son contrat. Pas de souci : toujours avec sa case manager, et vu ses séquelles persistantes, il a choisi d’adapter un peu son rythme de vie. Son employeur a accepté, Frédéric a commencé un 80 % en mars dernier.

alors déployer l’artillerie lourde, avec chimiothérapie combinant trois médicaments, cortisone et autres anticorps monoclonaux. Sans surprise, les effets secondaires sont plus sévères — nausées persistantes, fatigue écrasante, perte des cheveux. « J’ai dû arrêter complètement de travailler », confie Frédéric. Mais il s’impose une activité physique : « Même quand j’étais au plus bas, je m’obligeais à sortir marcher un peu chaque jour. »

SPHÈRE FAMILIALE ÉBRANLÉE

L’impact touche bien sûr aussi la famille de Frédéric. « Ma femme a dû faire beaucoup plus à la maison », précise-t-il, reconnaissant. Sa fille, devenue une ado de 13 ans, intériorise bien plus qu’avant la maladie de son père. Ce cancer est-il d’origine génétique ? Sera-t-elle « la prochaine sur la liste » ? « Son inquiétude nous a chamboulés », raconte le père encore ému. « Nous avons tout fait pour la rassurer. » Frédéric Durand a toujours intégré la dimension mentale de la maladie. « Dès l’annonce de la chimiothérapie, j’ai senti le besoin d’un accompagnement. J’ai cherché un psychologue et en ai trouvé un sur le site web de la LVC. Les séances m’ont beaucoup aidé à encaisser psychologiquement ce que mon corps devait encaisser physiquement ! »

SE RÉADAPTER EN ÉTANT ENTOURÉ

En juillet 2023, arrive une excellente nouvelle : la chimio a très bien fonctionné, la masse n’est plus visible. On commence un traitement dit « de maintenance », soit des injections d’anticorps tous les deux mois durant deux ans. Frédéric Durand peut enfin penser davantage à la suite, le retour au travail, à la vie sociale… Pas évident quand on est encore affaibli et qu’on est resté très isolé pendant presque huit mois. « Le psy m’a alors parlé du programme de réadaptation oncologique de la LVC, une excellente idée ! »

Le programme dure trois mois, à raison de deux demi-journées par semaine. Le Nyonnais y rencontre un petit groupe de patients pour des échanges d’expériences, des interventions de spécialistes et des activités physiques. « Parfait pour sortir de mon isolement, redevenir à l’aise en société. J’ai juste regretté que ce programme n’attire pas plus de participants, notamment d’hommes ! »

SAISIR L’AIDE EXISTANTE

Frédéric Durand a maintenant 46 ans. Plus de cinq années après avoir découvert du sang dans son lavabo, il poursuit sa vie « presque comme avant ». Son traitement de maintenance durera jusqu’à cet été. Il compose avec une fatigue persistante, continue de se plier à des contrôles surveillant une potentielle résurgence du cancer. « Il y a un équilibre à trouver entre détachement et combativité », conclut-il. « Regagner un peu d’insouciance, ne pas laisser la vulnérabilité nous paralyser. Mais ne pas complètement l’oublier pour rester prêt à se battre, au cas où. »

S’il devait donner un seul conseil ? « Oser demander de l’aide. En Suisse, le système de santé est bien développé, les soins sont de qualité et de nombreux soutiens existent. Il faut saisir cette chance que beaucoup, ailleurs, n’ont pas. »

Nicolas Huber
© Philippe Gétaz

RÉADAPTATION ONCOLOGIQUE I CONSEIL JURIDIQUE I CONSEIL

REPRISE PROFESSIONNELLE I AIDE À L’EMPLOI I SOUTIEN

D’ENFANTS ATTEINTS DE CANCER I PLUS DE 1000 PATIENTS

AUX PROCHES I PRÉVENTION SOLAIRE I RÉADAPTATION ET SOUTIEN PSYCHOSOCIAL I CONSEIL JURIDIQUE

REPRISE PROFESSIONNELLE I AIDE À L’EMPLOI I

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D’ENFANTS ATTEINTS DE CANCER I PLUS DE 1000 PATIENTS

AUX PROCHES I PRÉVENTION SOLAIRE I RÉADAPTATION

ET SOUTIEN PSYCHOSOCIAL I CONSEIL JURIDIQUE

REPRISE PROFESSIONNELLE

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