Le Verdict - printemps 2021

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PRINTEMPS 2021 JOURNAL DES ÉTUDIANTS EN DROIT UNIVERSITÉ LAVAL

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ENJEUX RÉGIONAUX TERRITOIRE FRONTIÈRES — TOURNÉE LITTÉRAIRE

AGRICOLE — IDENTITÉ HORS —APPRENTISSAGE NORDIQUE TOURISTIQUE — CRITIQUE — DÉVELOPPEMENT DURABLE

Kégaska, Basse-Côte-Nord. Crédit photo : Camille Blouin-Grondin


SOMMAIRE Dossier Enjeux régionaux

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Du Témis à Thémis Jordan Mayer Tournée dans le Bas-du-Fleuve Frédéric Côté Le droit me fait perdre le Nord Kevin Garneau Préservons notre campagne! Francesca Lefebvre GNL, l’énième division Dominique Gobeil Kukum, une plongée sublime au coeur du Pekuakami Marc-Antoine Bolduc

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Analyses L’affront Samuel Z. Castonguay Pratiquer la distanciation Paul-David Chouinard La liberté d’expression et la censure de ceux qui n’ont pas de voix Florence Verreault

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Reportage

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L’alimentation, un choix personnel Andréa Lampron

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Opinion

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Poésie Mare sapientiae John Doe

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Plaidoyer pour l’éclatement du travail tel qu’on le connaît Florence Verreault

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ACTUALITÉ L’implication en ébullition Dominique Gobeil

Concours d’écriture L’héritage de Joyce Echaquan Kevin Garneau Cas d’espèce de la crise de confiance en nos institutions publiques Jordan Mayer

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Portraits Hermel Grandmaison, directeur de l’état civil Julien Léveillé Me René Verret, criminaliste Andréa Lampron

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Jurisprudence Aed c. COVID-19, 2021 CSK 12345 Paul-David Chouinard

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Équipe sortante

nouvelle Équipe Kevin Garneau

Dominique Gobeil

Rédacteur en chef

Rédactrice en chef

Xavier Tousignant

Paul-David Chouinard

Directeur des finances

Directeur des finances

Andréa Lampron

Samuel Z. Castonguay

Directrice de l’information

Directeur de l’information

03 Doriane Bolduc

Patrick Baghdisar Directeur marketing

Directrice marketing

Florence Verreault

Samuel Z. Castonguay

Éditrice principale

Éditeur principal

Kevin Garneau

Walyd Mekki-Berrada Webmestre

Webmestre

Photo à la une : Îles-de-la-Madeleine, fournie par Alexandra Vigneau

Andréa Lampron

Représentante de première année

Graphiste et illustration armoirie : Gabrielle Gobeil Pupitre : Dominique Gobeil Partenaires financiers : AED, Stein Monast, CADEUL, BVE Imprimeur: Copiexpress, Québec Nous joindre : leverdict.redaction@gmail.com


MOT DE LA RÉDACTION

Une édition courant dans tous les sens la députée fédérale de Beauport-Limoilou Julie Vignola, surtout que les auteurs sont deux fidèles collaborateurs du journal. Par-dessus tout, il n’y a pas de plus grande joie que de pouvoir vous livrer cette édition sur toutes nos plateformes, même papier! Vous pouvez ainsi tenir entre vos mains un souvenir tangible du baccalauréat, alors que les dernières sessions nous n’ont laissé que du virtuel. Au nom de toute l’équipe, celle qui a travaillé fort cette année et celle qui vous accompagnera l’an prochain, nous vous souhaitons une bonne lecture! Dominique Gobeil, rédactrice en chef sortante Kevin Garneau, rédacteur en chef

Avec cette année de cours à distance, plusieurs d’entre nous ont décidé de rester étudier dans notre région natale. Quel meilleur prétexte pour dédier le thème de cette dernière édition de 2020-2021 aux enjeux qui rythment la vie des habitants, aux quatre coins du Québec? Autant en photos qu’en mots, vous avez répondu à l’appel du Verdict pour illustrer les réalités de votre bout de province, pour évoquer des expériences enrichissantes, pour expliquer des débats enflammés. Résultat : un dossier thématique au contenu de haute qualité.

en trop brefs soulagements, ce numéro couvre large. Analyses de l’actualité, reportages sur des phénomènes sociaux, réflexions sur le quotidien, portraits de juristes, bribes de poésie. Et même, en exclusivité à la fin du numéro, la décision finale dans l’affaire AED c. COVID-19!

Au même titre que cette année a semblé aller dans tous les sens, de confinements en allègements et de restrictions

L’équipe est également bien fière de publier les deux textes s’étant démarqués au concours organisé par l’AED et jugé par

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Crédit photo : Canva, montage Le Verdict

Le Verdict, un joyau, grâce à eux En cette année particulière aux mille et un rebondissements et où les espoirs des étudiants ont parfois vacillé au rythme des petits deuils et des nécessaires mesures de santé publique, la qualité du Verdict, elle, ne s’est jamais estompée. Cette édition est le dernier pan d’un héritage fort laissé par des gens passionnés aux talents incontestables. Au nom du nouveau comité, je tiens à remercier personnellement Dominique Gobeil, Florence Verreault et Paul-David Chouinard qui continueront d’exceller dans les nouvelles aventures qui les attendent.

Nous héritons d’un comité incontournable qui réunit les étudiants et qui partage les idées aux quatre coins de la Faculté. Un comité dans lequel, de l’intérieur, le plaisir de s’impliquer prend tout son sens dans un esprit de collaboration enivrant. Tout cela grâce au travail de ces gens si agréables à côtoyer. Du numéro spécial de la rentrée de l’automne dernier (une édition de 64 pages où tous les comités ont été mobilisés!) aux articles bien ficelés en passant par leur capacité à offrir à chacun une voix, ils ont fait un travail colossal.

Enfin, une mention particulière à notre rédactrice en chef en sortante, Dominique, qui a travaillé deux ans durant à faire du Verdict ce journal de qualité, toujours d’une qualité professionnelle, que vous avez pu consulter quatre fois par année. Tu peux être très fière. Nous sommes reconnaissants. Quant à moi, je te dirai merci, au nom de tous, de nous avoir transmis la flamme qui t’anime et qui se percevait dans chaque détail du Verdict. Merci à tous, Kevin Garneau, rédacteur en chef


ENJEUX RÉGIONAUX Du Nunavik au Témiscamingue, en passant par le Saguenay-Lac-Saint-Jean et le Bas-Saint-Laurent, les collaborateurs du Verdict vous présentent en mots les enjeux de leur région de prédilection, et toute leur beauté en images.

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Kégaska, Basse-Côte-Nord. Crédit photo : Camille Blouin-Grondin


DOSSIER par Jordan Mayer

Le Témiscamingue : une identité qui transcende les frontières régionales

DU TÉMIS À THÉMIS Je dois avouer qu’il m’a pris du temps pour faire de l’ordre dans mes idées avant d’écrire sur mon patelin, ma région natale, de façon aussi personnelle. Est-ce le fait que, étant adolescent, je prenais en quelque sorte pour acquis ce qui m’entourait, les grands espaces magnifiques qui n’ont rien à envier à ailleurs, les gens chaleureux et surtout cette ambiance de tranquillité et de sérénité si familière? Probablement. Est-ce parce que j’adorais - et j’adore toujours - explorer plusieurs centres d’intérêt à la fois pour découvrir le monde? Sûrement. Est-ce finalement à cause 06 du dilemme identitaire que j’éprouve parfois lorsque je me remémore mes souvenirs du Témiscamingue? Assurément. Les gens qui me connaissent savent que j’affectionne de parler du « Témis ». Pas de l’Abitibi! Nous, Témiscamiennes et Témiscamiens, reconnaissons notre région sœur et l’apprécions, mais nous nous distinguons grandement de celle-ci sur le plan géographique (notre climat est plus chaud et doux!), sociologique, culturel, bref, sur le plan de notre identité.(1) Je vous propose de brosser un bref portrait de ma région, suivi de quelques réflexions entourant les enjeux régionaux, personnels comme collectifs.

Le trésor méconnu du Québec Cette expression, que j’ai entendue à plusieurs reprises, est bien représentative du Témiscamingue. J’en cite une autre (1) Je m’inspire ici de l’intervention de notre préfète sur la place publique à la suite d’un article de La Presse parue en décembre dernier. Bien que cet article fît part de la résilience des gens de la région de l’Abitibi-Témiscamingue face à la Covid-19, le Témiscamingue n’y était point mentionné. C’est d’exclure par défaut un tiers du territoire d’une réalité qui se veut représentative… Je

Crédit photo: Josiane Bruneau

(histoire d’aborder la question comme il se doit) dite par notre députée de Rouyn-Noranda-Témiscamingue, Émilise Lessard-Therrien, lors de son élection en octobre 2018 : « On peut sortir la fille du Témiscamingue, mais on ne sort pas le Témis de la fille! ».(2) Parce que cette région de 19 744 km2, soit 19 fois la superficie de l’île de Montréal, regorgeant de 7500 rivières et lacs, pour une population d’environ 16 000 habitants répartis en plus d’une vingtaine de municipalités, est sans conteste un détour inoubliable! (3) La villégiature, la chasse, la pêche, la visite de musée(4), le plein-air, le tourisme culinaire, ou encore la visite du plus récent parc Opémican de la Sépaq, ne sont que quelques exemples parmi tant d’activités et de possibilités lors d’un séjour en région.(5)

J’ai manifestement encore un parti pris et un grand attachement pour les municipalités de Lorrainville et de Rémigny, d’une part le village d’origine de mon père, ma sœur et moi et, d’autre part, celui de ma mère. Du côté maternel de ma famille, mes grands-parents y sont arrivés en tant que colonisateurs, originaires de la région de Lanaudière, pour avoir une vie meilleure face aux conditions arides de la grande crise de 1929.(6) Je suis conscient qu’eux aussi devaient avoir l’impression d’être déracinés de leur milieu par moments, même s’ils ont fait du Témis leur maison, à la force de leurs bras et de leur cœur.

vous laisse lire le nouveau titre de l’article. Suzanne Colpron, « Abitibi : le village gaulois », La Presse+, sect. ACTUALITÉS (5 décembre 2020), en ligne : <https://plus.lapresse. ca/screens/c4461027-5fcb-4307-a66529cdce642321__7C___0.html> (consulté le 2 avril 2021).

(2) Catherine Lévesque, « Émilise LessardTherrien: «On peut sortir la fille du Témiscamingue, mais…» », HuffPost Québec (25 octobre 2018), en ligne : <https:// quebec.huffingtonpost.ca/2018/10/25/ emilise-lessard-therrien-quebecsolidaire_a_23570912/> (consulté le 2 avril 2021).

Partir ou rester? La plupart des jeunes traversent cette épreuve un jour ou l’autre. Beaucoup


entament des études à l’extérieur et y reviennent après quelques années, d’autres restent dans les grands centres urbains, souvent à cause de leur emploi. D’un point de vue personnel, mes intérêts juridiques et d’emploi penchent plus pour la décision de rester en ville. Malgré tout, cette décision est la suite d’un long processus de questionnements et de doutes. Ce n’est pas simple d’opposer ses intérêts avec son attachement pour son milieu de vie. J’ai l’impression que ce dilemme identitaire nous suit longtemps,

(3) Allez voir ce site!: « Vivre au Témiscamingue », en ligne : <https:// vivreautemiscamingue.com/> (consulté le 2 avril 2021). (4) Voici un parti pris pour deux sites touristiques où j’ai travaillé, soit le Domaine Breen et la centrale hydroélectrique de la Première-Chute. En ligne : http://www. domainebreen.com/ et http://www. hydroquebec.com/visitez/abitibi/chute.html (5)Voir en ligne : https://www. tourismetemiscamingue.ca/ (6) J’ai une grande admiration pour le courage des pères, mères et enfants qui arrivaient avec très peu de biens et moyens en forêt. Leur courage ne rivalisait qu’avec leur force de caractère et leur ténacité. Voir « Adoption d’une loi provinciale encourageant la colonisation », en ligne : <http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/ evenements/20874.html> (consulté le 2 avril 2021). (7) Je vous recommande sans équivoque le fabuleux documentaire d’une Témiscamienne d’origine qui retrace avec beaucoup d’acuité ces sujets qui me sont chers : François Lévesque, « Sarah Baril Gaudet: l’été où tout peut changer », Le Devoir, en ligne : <https:// www.ledevoir.com/culture/cinema/596726/ cinema-sarah-baril-gaudet-l-ete-ou-tout-peutchanger> (consulté le 2 avril 2021). (8) Outre l’intérêt constitutionnel du projet, on y dénote un sentiment d’aliénation par rapport aux décisions prises dans les centres urbains, qui se prêtent beaucoup plus à leurs propres enjeux locaux qu’à ceux des « régions » : « “[…] on ne peut pas se développer comme on le souhaite, alors, autant se séparer et se gouverner nous-mêmes”, paraphrase Vincent Rousson […] [a]utrefois étudiant à la maîtrise du Département d’histoire et de sciences politiques de l’Université de Sherbrooke. M. Rousson a consacré son mémoire au projet de la 11e province en 2001. Zone Politique- ICI.Radio-Canada.ca, « Quand l’Abitibi-Témiscamingue et le Nordest ontarien voulaient devenir la 11e province | Abitibi-Témiscamingue inusitée », RadioCanada.ca, en ligne : <https://ici.radio-canada. ca/nouvelle/765313/11e-province-abitibitemiscamingue-nord-est-ontario> (consulté le 2 avril 2021).

Crédit photo : Tourisme Témiscamingue

Crédit photo : France Vallée

même si le bonheur et l’épanouissement n’est pas exclusif à quelque endroit que ce soit.

Autonomie régionale Dans les années 60, les disparités économiques entre les centres urbains et les régions du nord québécois sont telles que des représentants de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-Est de l’Ontario font campagne sur l’idée de la création d’une e 11 province. En pleine montée de la tension politique suivant les attentats du Front de libération du Québec (FLQ), la Gendarmerie royale canadienne (GRC) enquête même sur ce projet sécessionniste, qui se veut plus régionaliste que nationaliste. Cette situation est emblématique du contexte actuel – projet de sécession en moins – quant à l’autonomie régionale. L’administration est grandement centralisée, les sphères décisionnelles avec elle dans bien des cas. Toutefois, le Québec est une immense province, par conséquent la réalité de ses régions n’est pas la même partout. Et si les « régions », selon une volonté de décentralisation, avaient plus de pouvoir décisionnel, afin de favoriser une prise de décision locale? Au temps de la prise de conscience du « consommer local », de la solidarité pour nos concitoyens, entrepreneur(e)s, professionnel(le)s, artisans, visionnaires du monde de demain… la question se pose. Par ailleurs, plus le citoyen est près de l’instance décisionnelle, moins il y a logi-

quement de chance de voir le cynisme prendre d’assaut la société…

En guise de conclusion Peut-être que vous aurez remarqué que j’utilise souvent le « nous » en parlant de ma région natale. C’est que, même si je n’y habite plus, et même si je n’y retournerai pas comme visiteur avant quelque temps, contexte sanitaire oblige et mes parents n’y résidant plus, je m’y sentirai toujours chez moi. Parce qu’au final, ce n’est pas un contexte géographique actuel qui nous définit, c’est bien plus que cela. Et je serai toujours immensément fier de revendiquer mon appartenance au Témis.

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DOSSIER par Frédéric Côté

Tournée dans le Bas-du-Fleuve Note de l’auteur : Ce texte ne traitera pas de la ville de Rivière-du-Loup, puisqu’il est écrit par un Rimouskois pur laine.

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Pêche blanche sur le fleuve Saint-Laurent, en face de Rimouski. Crédit photo : Dominique Gobeil


Crédit photo :

« Saviez-vous qu’il existe une grosse baleine géante en plastique à Matane? Non? Ça vaut peutêtre la peine de faire le détour la prochaine fois que vous vous arrêtez prendre un Big Mac. » Crédit photo : Camille Blouin-Grondin

Berceau des mots «culoton» et «cipaille», le Bas-Saint-Laurent est une région administrative du Québec que peu connaissent, mais où le connaisseur y verra un havre de joie et de paix. Sa capitale, Rimouski, est une belle petite ville de 50 000 habitants où j’ai eu l’honneur de passer la majorité de ma vie. Surnommée la Ville du Bonheur, de par son élection plusieurs années consécutives comme la ville où les habitants sont le plus heureux au Québec, elle est aussi connue en raison de ses magnifiques couchers de soleil et de sa grande cathédrale en décrépitude. C’est une ville en expansion, visitée par des milliers de Français chaque été, qui viennent y regarder la beauté de ses paysages en s’installant dans le petit paradis qu’est Bic, un de ses quartiers. Pour d’autres, Rimouski est simplement une ville où il faut passer avant de se rendre en Gaspésie. Un peu triste pour une ville qui a tant à offrir, mais dont les passants ne prennent pas le temps de s’arrêter juste pour arriver plus tôt chez le beau-frère à l’accent un peu weird. Ce n’est cependant pas seulement Rimouski qui souffre de la popularité de son voisin. Le McDonald à Matane est reconnu pour être l’arrêt-pipi numéro 1 chez les voyageurs vers la Gaspésie et tout ce que l’on retient de cette petite ville tranquille. Saviez-vous qu’il existe une grosse baleine géante en plastique à Matane? Non? Ça vaut peutêtre la peine de faire le détour la prochaine

fois que vous vous arrêtez prendre un Big Mac. Quant à Trois-Pistoles, ville où contes et légendes foisonnent, seule sa grosse fromagerie sur le bord de la 132 est connue des touristes. Oui, le fromage et le gros restaurant qui a poussé en quelques mois sont attirants, mais prenez le temps de parler aux habitants et de leur demander pourquoi il manque une brique sur l’église de Trois-Pistoles. La réponse pourrait vous surprendre. Le Bas-Saint-Laurent possède son propre Titanic et son propre sous-marin de guerre. Si t’as aimé le film avec DiCaprio, viens te faire conter l’histoire de l’Empress of Ireland par Piero. C’est la plus grande tragédie maritime du Canada

(oui oui, c’est à Rimouski que ça s’est passé, on est-tu pas chanceux?). D’ailleurs, ma grand-mère a été nommée en l’honneur du premier bateau qui est allé sauver des naufragés, le Lady Evelyn. Quant à l’Onondaga, c’est un véritable sous-marin utilisé par les Forces armées canadiennes qui a été transformé en musée. Je sais pas si t’as déjà visité un sous-marin, mais c’est ben trippant. Bref, prochaine fois que tu passes par Rimouski, arrête-toi donc pour un petit moment et prends le temps de visiter. La bonne nouvelle, c’est que tu vas adorer ton moment. La mauvaise, c’est que tu voudras pu repartir…

Crédit photo : Samuel Bolduc

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DOSSIER par Kevin Garneau

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Le droit me fait perdre le Nord : ce que j’ai appris au Nunavik En ces temps où, récemment, la démesure d’une vie imposée et effrénée est venue me fragiliser, j’ai décidé de puiser dans les souvenirs de mon expérience à Kangiqsujuaq pour retrouver un peu de sens dans cette course sans fin que représentent les études en droit.

Kangiqsujuaq est l’une des 14 communautés du Nunavik, territoire québécois situé au-delà du 55e parallèle et habité principalement par le peuple inuit. Selon les perspectives, cette région peut paraître loin. Pour certains, le Nunavik est plus dépaysant que voyager en Inde même si on reste au sein de la province. Par son exotisme, sa nordicité et son inaccessibilité, cet endroit fait facilement rêver. Pas de cinéma, pas de restaurant, pas de centre commercial et pas de juriste. Le traineau à chien, les aurores boréales, la cueillette de moules sous la glace, les sorties en ski de fond sur la baie d’Hudson et le camping d’hiver sont des expériences uniques. C’est une destination incroyable pour celui ou celle qui aime l’aventure, la nordicité et le dépaysement.

Pour moi, c’était surtout une grande rencontre. Une rencontre avec une communauté qui a ouvert mes horizons. Une rencontre qui m’a appris l’humilité. Une rencontre qui m’a reconnecté avec mon humanité. L’une des plus grandes leçons que j’ai reçues provenait d’un adolescent Inuk qui pourrait être un « décrocheur » sur un formulaire du gouvernement. Cet homme, bien qu’adolescent, la vie ayant fait de cette personne un homme à un jeune âge, m’a enseigné sur mes limites et m’a fait prendre conscience de l’apparat de la scolarité. J’étais « enseignant », lui « décrocheur ». Nous nous sommes rencontrés. Par une belle journée ensoleillée, mon projet était de faire du ski de fond avec


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Crédit photo: Kevin Garneau

les Nurrait (1). Pour pouvoir réaliser mon activité, il fallait me conduire dans le Land jusqu’aux autres skieurs. C’est ce jeune « décrocheur », avec sa motoneige, qui m’a amené. Car, seul, il m’était impossible d’y arriver. Sur le chemin, c’est lui qui m’a appris. Je ne sais combien de temps a duré le trajet. J’ai oublié le temps pendant ce moment, admiratif de la communion entre cet homme et la nature. Cette nature m’éblouissait chaque jour depuis mon arrivée. Le ciel, à cet endroit, est un tableau digne d’un grand peintre et il émeut par sa beauté. Évidemment, l’aurore boréale, majestueuse, fait figure de sublime lorsqu’elle nous enchante de sa présence. Mais, le Land, indescriptible (2), avec lequel les communautés du Nunavik cohabitent, en soi, est d’une poésie infinie. C’est un espace, plus qu’un lieu. Un espace indescriptible par son côté holistique, par son immensité et par sa force. Au Nunavik, c’était la première fois que je ressentais la nature aussi majestueuse et respectée. Je n’étais qu’un simple homme dans la grandeur du territoire. Mon accompagnateur la parcourait avec une finesse, une confiance et une attention qui me semblait, chez moi, oubliée... depuis longtemps. Il était entière-

ment dans l’instant, la nature l’exigeait. De mon côté, je ne peux me souvenir de la dernière fois où j’ai été entièrement, véritablement et sincèrement dans le moment. Je ne peux me souvenir de la dernière fois où, naturellement, sans me poser de questions, je pouvais me reposer sur ce que je suis et ce que j’ai appris pour seulement être, en pleine confiance. Mon conducteur, vif, fort de ses compétences, de ses connaissances et de son savoir appris ailleurs qu’à l’école, me menait avec une assurance déconcertante. Il valsait dans l’infinie blancheur. Il avait appris, du haut de ses 16 ans, à communier avec la nature, à écouter et à être attentif. Le long du trajet, lors d’une pause, il m’expliquait que l’école ce n’était pas pour lui. « Boring », comme disaient si régulièrement les élèves à qui j’enseignais. Il avait appris ailleurs, simplement. C’est là que ça m’a frappé. Je n’ai pas pris le temps d’apprendre leur langue avant de leur enseigner la mienne. Je n’ai pas pris le temps de les connaître, trop occupé à continuer d’implanter un système d’éduca-

tion qui, au Sud, est déjà fissuré. Tout d’un coup, l’école m’est apparue comme un hôtel tout inclus au milieu d’un pays défavorisé rongé par la corruption et la pauvreté. Un mirage fabriqué. Ce jeune homme possédait la culture de son peuple. En tant que visiteur, c’est de lui que je devais apprendre, d’abord. Semble-t-il qu’ils sont de plus en rares les jeunes qui font vivre leur culture. Cela


est un autre problème. Il semblerait que l’américanisation de la culture affaiblisse une culture que les gouvernements, historiquement, ont déjà minée effroyablement. Un enjeu, vraisemblablement, est de faire vivre et briller cette culture. C’est une question d’identité. Je freine abruptement mon récit ici. J’aimerais attirer votre regard sur un angle précis. Lors de ce séjour, il m’a fallu trop

de temps avant de réaliser que je n’avais pas écouté, que je n’avais pas été attentif et que, rempli de bonnes intentions, c’est ma culture que j’ai voulu imposer et mes intérêts que j’ai priorisés. C’était vrai, pour moi, en tant qu’enseignant au Nunavik, mais ce l’est tout autant, pour moi, futur juriste maintenant. À force d’imposer et de se faire imposer une culture, de s’y réfugier, nous réduisons l’espace des possibles. Cela inclut la culture juridique, une culture

si nocive qu’elle fragilise ses étudiants. La culture juridique semble oublier que lorsqu’on lève les yeux de la doctrine et de la législation, un monde se déploie. Ce jeune homme m’a appris qu’il faut défendre les espaces. Quand on manque de temps, on finit par manquer d’humanité (3). Faute d’humanité, ça craque de partout. Nakurmik à celui qui aura été mon enseignant le temps d’une balade en motoneige.

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Crédit photo: Kevin Garneau

Suggestions Coup de cœur : Je veux que les Inuit soient libres de nouveau - Taamusi Qumaq

Livres pour découvrir le peuple : Markoosie Patsauq – Le harpon du chasseur Mitiarjuk Nappaaluk – Sanaaq

Sites internet pour découvrir sur la culture: Les littératures inuites: https://inuit.uqam.ca/ Des perles à découvrir - le peuple Inuit : https://www.youtube.com/ watch?v=LpEDTxxur64&t=930s Article d’une écrivaine qui a vécu au Nunavik : https://beside.media/fr/nouveaux-recits/ nuna/

(1) Des élèves des différentes communautés se retrouvent et participent, chaque année, à une grande expédition et, par un magnifique hasard, cette année-là, les élèves étaient dans les environs de Kangiqsujuaq. (2) Si j’avais pris le temps d’apprendre l’inuktitut, ce langage qui décrit le territoire avec une précision à faire envier, j’aurais peut-être trouvé les mots pour décrire cet environnement. (3) Inspirés des propos de Nicolas Lévesque à Plus on est de fous plus on lit! le le 30 mars 2021.[https://ici.radio-canada.ca/premiere/ emissions/plus-on-est-de-fous-plus-on-lit/ episodes/522323/rattrapage-du-mardi-30mars-2021]


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05 01 Témiscamingue, crédit photo: France Vallée 02 Nunavik, crédit photo: Kevin Garneau 03 lac Saint-Jean/rivière Péribonka, crédit photo:DominiqueGobeil 04 Baie Johan Beetz/Côte-Nord, crédit photo: Camille Blouin-Grondin 05 Tadoussac, crédit photo: Roxanne Dupont 06 parc des laurentides en Motoneige, crédit photo: Dominique Gobeil

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DOSSIER par Francesca Lefebvre

Préservons notre campagne! Alors que l’étalement urbain est de plus en plus présent dans les campagnes et qu’il risque d’augmenter grâce à notre récente découverte des joies du télétravail (merci Covid!), j’ai cru important 14 de rédiger cet article au sujet de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (1) (ciaprès, la « loi » ou « LPTAA »). En tant que jeune femme ayant eu la chance de grandir en plein cœur du milieu agricole, j’ai pu constater, lors de mon arrivée dans la capitale nationale, que ce n’est pas tout le monde qui comprend l’importance de l’agriculture et pourquoi elle se doit d’être protégée : je vous offre donc un petit tour d’horizon de cette loi clé du domaine.

Objet Défini à son article 1.1, le régime de la LPTAA a pour but de conserver la « pérennité d’une base territoriale pour la pratique de l’agriculture et de favoriser, dans une perspective de développement durable, la protection et le développement des activités et des entreprises agricoles dans les zones agricoles dont il prévoit l’établissement ». C’est la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ)

qui est responsable du respect de cette loi et qui en surveille l’application. Elle est chargée de traiter toute demande d’autorisation qui lui est soumise pour « l’utilisation, [le] lotissement ou [l’] aliénation d’un lot » ainsi que toute demande d’inclusion ou d’exclusion d’un lot dans une zone agricole. Elle doit aussi délimiter les zones agricoles sur les territoires municipaux et délivrer des permis d’exploitation pour retirer le sol arable (art. 3).

Aperçu de la campagne en Beauce. Crédit photo : Francesca Lefebvre Un paysage bucolique au Témiscamingue. Crédit photo : France Vallée

(1) Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, RLRQ, c. P-41.1


Établissement du zonage Avant de protéger le territoire, il faut déterminer son étendue et sa position géographique, mais plusieurs étapes sont nécessaires avant d’en arriver là.

1.

D’abord, le gouvernement détermine par décret des « régions agricoles désignées » (art. 22). À partir de ce moment, tout territoire qui se trouve dans ces zones est soumis à plusieurs restrictions, soit des interdictions d’utiliser ces lots pour des fins autres qu’agricoles (art. 26) ou sylvicoles (art. 27) à moins d’obtenir une autorisation de la CPTAQ à cet effet.

2.

Le ministre dépose ensuite un « plan provisoire » de ces « régions agricoles désignées » pour déterminer les « aire[s] retenue[s] pour fins de contrôle », auxquelles resteront applicables les restrictions (art. 34 et 40).

3.

Ces restrictions sont temporaires puisqu’après le dépôt des plans provisoires, le ministre en envoie une copie à la CPTAQ ainsi qu’aux municipalités concernées (art. 35 al. 1). Jusqu’à l’entrée en vigueur d’un décret de zonage agricole, ces plans sont considérés comme les délimitations des zones agricoles (art. 42).

4.

La CPTAQ et les municipalités touchées s’entendent par la suite sur les limites finales des zones agricoles (art. 47). Bien sûr, toute personne intéressée peut donner son avis et la municipalité est dans l’obligation de tenir une assemblée publique à cet effet (art. 47 al. 2 et 3).

5.

À l’entente de tous les intéressés (art. 48 al.1), la CPTAQ rédige les plans définitifs de zonage et les soumet au gouvernement pour approbation et adoption du décret (art. 49 et 50).

6.

Entrée en vigueur du décret! À ce moment, toutes les restrictions qui s’appliquaient dès le début de l’opération de zonage ne sont opposables qu’aux parties du territoire qui se trouvent dans les zones agricoles. Résultat : une magnifique zone protégée où seule l’agriculture peut être pratiquée sans demande d’autorisation quelconque (art. 54 à 56)! Bien entendu, certaines exceptions sont possibles : les agriculteurs ainsi que les personnes morales et sociétés d’exploitation agricole ont le droit de construire leur demeure ainsi que celle de leur actionnaire dont la principale occupation est l’agriculture dans ces espaces desquels ils sont propriétaires sans devoir demander la permission à la CPTAQ. Cette autorisation s’élargit également pour permettre aux enfants de l’agriculteur ou actionnaire et à un employé d’avoir la même opportunité (art. 40). Il est aussi possible pour la municipalité et certains autres organismes d’effectuer les travaux d’utilité publique ou les travaux municipaux identifiés par règlement sans avoir à obtenir une permission (art. 41).

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Modifications Mais qu’arrive-t-il si on veut faire autre chose que de l’agriculture? Tel qu’expliqué, tout ce qui ne satisfait pas à une exploitation agricole ou sylvicole dans ces zones doit faire l’objet d’une demande spéciale à la municipalité concernée ainsi qu’auprès de la Commission (art. 58 al. 1). C’est en fait la municipalité qui doit évaluer cette demande et transmettre une recommandation à la Commission. Cet avis tient compte de plusieurs critères, notamment le fait de savoir si d’autres portions du territoire de la municipalité

concernée ne pourraient pas satisfaire à cette demande, « le potentiel agricole du lot et des lots avoisinants ; les possibilités d’utilisation du lot à des fins d’agriculture ; les conséquences [de cette] autorisation sur les activités agricoles existantes » ainsi que leur existence et leur possible développement, etc. (art. 58.2 et 62). Justement, le fait qu’une autre portion du territoire de la municipalité puisse satisfaire la demande peut constituer un motif de refus par la Commission, en plus de considérer si ce changement « répond à un besoin et à un objectif de développement de la municipalité » (art. 65.1 al. 1). Une mu-

nicipalité ou une communauté peut aussi effectuer une demande afin de connaître les conditions et les cas qui permettraient « de nouvelles utilisations à des fins résidentielles » de ce territoire (art. 59 al. 1). Il est aussi possible pour la municipalité de faire une demande de révision du zonage agricole : ainsi, s’il y a entente entre la municipalité et la Commission quant au nouveau territoire qui fera partie de la zone agricole, cette dernière prépare les nouveaux plans, qui seront soumis au gouvernement pour approbation et entrée en vigueur par la suite (art. 69.1 à 69.3).

16 Une soirée reposante à la campagne. Crédit photo : Francesca Lefebvre

Pourquoi toutes ces règles? Avec l’exposé que je viens de faire de toutes ces restrictions, obligations et complications, il est facile de se demander pourquoi toutes ces règles sont présentes. Non seulement peuvent-elles faire peur aux nouveaux habitants, mais aussi aux projets d’envergure que peut avoir la municipalité concernée, son développement économique et tout le reste! La réponse est simple : pour éviter les problèmes! L’exploitation d’une entreprise agricole inclut beaucoup de facteurs qui ne sont pas toujours pris en compte par les nouveaux résidents, ces derniers ayant plus tendance à s’attarder à la région et à la tranquillité qu’à tout le reste. En effet, il y a du bruit, des odeurs et de la poussière : l’article 79.17 LPTAA prévoit justement que dans ces zones, « nul n’encourt de responsabilité à l’égard d’un tiers en raison des poussières, bruits ou odeurs qui résultent d’activités agricoles,

ni ne peut être empêché par ce tiers d’exercer de telles activités » si elles sont exercées dans le respect de certaines dispositions, bien entendu. Si une personne reste tentée d’exercer un tel recours, elle doit « prouver que la personne qui exerce ces activités » le fait en contravention des dispositions déterminées (art. 79.18). Même chose si une résidence ou un commerce est établi tout près de la limite de zonage : si l’agriculteur d’à côté avait, antérieurement à ces nouvelles constructions, obtenu le droit d’agrandir son entreprise, il ne sera pas possible pour le résident ou le commerçant d’intenter un recours à l’encontre de l’agriculteur pour les mêmes motifs que ceux énoncés plus haut, tant que ce dernier respecte les conditions de son autorisation (art. 100). Ainsi, en ayant des zones désignées où les activités autres qu’agricoles ne sont autorisées qu’après un examen très minutieux de la CPTAQ, imaginez simplement la quantité de recours qui sont évités! Et c’est une situation gagnant-gagnant,

autant pour les producteurs agricoles que pour les gens qui veulent tout simplement profiter de la vie à la campagne!

Est-ce encore utile aujourd’hui? Pour les raisons énoncées au point précédent, il est certain que oui. Le Québec possède beaucoup de magnifiques terres agricoles et perdre le droit de les exploiter au profit de la construction d’immeubles résidentiels ou d’usines n’est pas souhaitable. Il est aussi question de notre autonomie alimentaire et de la pénurie de masques chirurgicaux au printemps dernier (un exemple parmi tant d’autres), qui me confortent dans l’idée que cette loi est certainement l’une des plus essentielles pour notre société. Sans oublier la beauté des paysages et le charme de nos régions, que seraient-ils sans l’étendue des sublimes terres vertes qui couvrent leurs horizons durant tout l’été?


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06 01 île d’Orléans ,crédit photo: Patrick Baghdisar 02 Îles-de-la-Madeleine, crédit photo: Alexandra Vigneau 03 Mauricie/Rivière à Pierre, crédit photo: Philippe VachoN 04 Charlevoix, crédit photo: Camille Blouin-Grondin

07 05 Portneuf, crédit photo: Camille Blouin-Grondin 06 Stratford, crédit photo: Anna Palnikova 07 maisonLavande/Laurentides,crédit photo: Dominique Gobeil


Fjord du Saguenay. Crédit photo : Canva, Vladone

par Dominique Gobeil

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GNL, l’énième division Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on a l’habitude des divisions : le LacSaint-Jean qui n’est «pas du tout comme le Saguenay», les guerres de clocher entre municipalités, les rivalités entre arrondissements de villes fusionnées. Mais la fracture opérée par le projet de GNL Québec, outre celle dans le sol pour puiser le gaz naturel de l’Ouest canadien, s’observe plutôt chez la population. Entre les citoyens soucieux de protéger les beaux espaces qui font la renommée de la région et les adeptes purs et durs des grandes industries, qui fournissent déjà des emplois dans les secteurs de l’aluminium et du papier depuis des générations, le fossé ne fait que se creuser depuis l’annonce du projet en 2014. Chaque camp est si convaincu de sa position que le seul dialogue possible en est un de sourds. Il n’y aura jamais d’argument assez fort pour qu’une jeune

Saguenéenne rallie à sa cause son père ayant toujours travaillé dans les papetières, ou qu’un conseil municipal carburant au développement économique s’entende avec un regroupement de militants locaux écologistes. La meilleure illustration de ce phénomène est la réaction des divers groupes dans la région après le récent dévoilement du rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Il faut d’abord dire que seul le complexe de liquéfaction de gaz naturel sur les rives du fjord, partie de l’ensemble du projet appelée Énergie Saguenay, était analysé. Il n’était pas question des impacts causés par la fracturation hydraulique en Alberta, ni par la conduite souterraine de transport de gaz de 750 kilomètres à construire en passant entres autres par l’Abitibi — le promoteur s’étant nommé Gazoduq inc. dans une tentative de se rapprocher des Québécois, peut-on imaginer, comme si remplacer un «c» par un «q» allait susciter de la sympathie —, ni par la ligne de transport électrique que devrait ériger Hydro-Québec juste pour l’usine et qui ferait monter la facture des contribuables de 10 milliards de dollars sur 25 ans selon l’Union des consommateurs.

Un rapport accablant Et pourtant, malgré la fragmentation en plusieurs projets, l’organisme chargé des consultations publiques a conclu que les trois conditions posées par le ministre de l’Environnement n’étaient pas remplies. Il n’a pas été possible de démontrer l’acceptabilité sociale envers le projet (grâce aux efforts constants et à la vigilance de la Coalition Fjord, sans oublier le record de mémoires déposés devant le BAPE), la favorisation de la transition énergétique (le marché mondial sera amplement saturé lorsque l’usine sera prête) ou la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Le promoteur aura cependant l’occasion de répondre aux exigences du ministre prochainement, avant que celui-ci décide d’approuver ou non le projet. Après tout, les recommandations du BAPE ne sont pas contraignantes. Même si Énergie Saguenay se targuait d’être carboneutre et d’offrir une voie de transition énergétique à plusieurs pays s’alimentant en ce moment au très polluant charbon, la vérité, c’est que les autres distributeurs de gaz naturel liquéfié n’arrêteront pas d’en offrir juste parce qu’on en ferait du «plus propre» au Saguenay-LacSaint-Jean. Ils battront le projet de vitesse


sur le marché Vous pouvez remarquer que je n’ai même pas encore parlé des bélugas, qui seront affectés par la hausse du trafic maritime et la construction des installations. Dire qu’ils sont normalement les parfaits boucs émissaires pour les industriels afin de ridiculiser les préoccupations de leurs adversaires, au lieu d’admettre les faiblesses de leur propre argumentaire… Les retombées économiques ne manquent pas nécessairement de mérite, mais la rentabilité du projet est mise en doute alors que d’importants investisseurs ont reculé. On estime que 6000 emplois directs et indirects seraient créés pendant la construction, que 300 emplois permanents resteraient au Québec et que l’économie régionale serait diversifiée. Néanmoins, rappelons qu’avant la pandémie, la rareté de la main-d’œuvre posait problème. En cette ère où les changements climatiques sont appelés à rapidement changer le monde dans lequel nous évoluons, est-ce que ces bénéfices en valent le prix? Il semblerait que non.

Le processus légal La Loi sur la qualité de l’environnement (L.Q.E.), loi constitutive du BAPE, prévoit dans sa disposition préliminaire que : «[l]es dispositions de la présente loi [...] affirment le caractère collectif et d’intérêt public de l’environnement, lequel inclut de manière indissociable les dimensions écologiques, sociales et économiques». Elle s’interprète de concert avec la Loi sur le développement durable, qui définit ce concept à l’article 2 comme «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs» en s’appuyant sur «une vision à long terme». C’est exactement ce qu’a fait le BAPE en analysant des projections sur quelques décennies, et c’est d’autant plus intéressant considérant que l’organisme observe un clivage intergénérationnel. C’est l’article 22 L.Q.E. qui oblige le promoteur à obtenir l’autorisation du ministre de l’Environnement avant de réaliser son projet. Si le ministre décide d’autoriser Énergie Saguenay, il peut prescrire des conditions (art. 25 et 26, L.Q.E.). L’article 31.0.3 L.Q.E. prévoit que le ministre devra refuser l’autorisation si le promoteur ne réussit pas à démontrer que son projet respecte la loi et ses règlements. Si on se fie à la façon dont cette disposition est rédigée, ça ne semble pas représenter un pouvoir discrétionnaire. Le gouvernement dans son ensemble, dont le premier ministre, a aussi son mot à dire dans le cas d’une procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement, comme celle entreprise devant le BAPE (art. 31.1 L.Q.E.).

davantage comment s’intégrer dans une politique nationale d’autonomie alimentaire. Les Saguenéens et les Jeannois sont si fiers de leur aluminium, plus vert qu’ailleurs grâce au déluge de barrages hydroélectriques dans les nombreuses grandes rivières, il y aurait sûrement d’autres innovations à développer. Je pense notamment à du matériel autodésinfectant, grâce à une technologie antimicrobienne en aluminium, en cours de développement par A3 Surfaces à Saguenay. Et que dire de la valeur touristique et sociale des paysages? Des idées d’avenir, il y en a sûrement plein à trouver si on interroge les jeunes entrepreneurs de la région, certainement plus astucieux qu’une juriste comme moi. J’évoquais tout à l’heure les réactions à la suite de la publication du rapport du BAPE. Familiers avec le fardeau de preuve de la balance des probabilités en tant que juristes, nous pouvons conclure au survol du document de 506 pages, annexes incluses, que le projet semble loin de franchir la barre de 50% + 1 pour se qualifier comme convenable. Ce n’est pas tout le monde qui adopte ce raisonnement, celui-ci restant susceptible aux valeurs du juge, je l’admet. Au début du mois d’avril, les conseils municipaux de Saint-David-de-Falardeau et de Saguenay ont décidé d’adopter des résolutions pour montrer leur appui à Énergie Saguenay, tel que rapporté par les médias régionaux. Au-delà de l’influence possible sur la décision du gouvernement provincial d’autoriser ou non le projet, cela soulève de sérieuses inquiétudes sur la démocratie locale. Il est évident que ce n’est pas toute la population qui soutient le projet. Quand une poignée de conseillers municipaux votent autour d’une table (virtuelle ou physique) sur la pertinence d’un projet affectant tous les citoyens, il est légitime de se demander si la représentativité joue son rôle. Un sujet aussi polarisant

aurait mérité un référendum municipal, procédure qui a déjà été organisée dans le passé. Bien que des sondages aient montré une certaine adhésion par une partie de la population, d’autres indiquaient plutôt que plus un répondant s’informait sur le projet, moins il était propice à l’appuyer. Encore une fois, l’origine de ces sondages influence énormément la façon dont on peut les interpréter, et c’est le dialogue de sourds entre les deux camps qui reprend. Pour conclure, un dernier point pour partager les aléas de la démocratie municipale. Au conseil de ville de Saguenay le 6 avril, un conseiller a proposé un amendement à la résolution, qui au départ suggérait un soutien inconditionnel au projet. Cet amendement a limité l’appui de la ville au fait que le projet respecte les exigences environnementales et obtienne l’autorisation du gouvernement québécois. Cela fait penser à une compétence liée étudiée en droit administratif. La résolution amendée a été adoptée à la majorité, et non à l’unanimité. L’ironie, c’est que des conseillers ont voté au sujet de l’amendement sans comprendre la portée exacte de leur vote, tel qu’on peut le voir dans l’enregistrement de la séance (vers 3h20min). Peu importe leurs convictions, il apparaît plus que souhaitable que les élus soient informés au minimum des procédures dans les instances où ils représentent la population. Comme quoi, l’incompréhension stimule la division. Vivement qu’on puisse retrouver notre habituel et éternel combat des géants, soit la majestuosité du fjord du Saguenay contre la grandiosité du lac Saint-Jean. Pour aller plus loin : BAPE, Rapport 358, [en ligne] <https:// www.bape.gouv.qc.ca/fr/dossiers/projetconstruction-complexe-liquefaction-gaznaturel-saguenay/>

La balance des enjeux Le Saguenay-Lac-Saint-Jean, où l’agriculture est aussi un secteur important, aurait certainement intérêt à explorer

Rivière Saguenay, vue à partir de Chicoutimi. Crédit photo : Dominique Gobeil

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Les rivières sont tumultueuses dans le secteur de DolbeauMistassini, au Lac-Saint-Jean. Crédit photo : Dominique Gobeil

par Marc-Antoine Bolduc

Kukum par Michel Jean

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Une plongée sublime au cœur du Pekuakami Depuis un moment déjà, le livre Kukum (1) figurait sur la liste de mes envies de lecture. Je m’y suis finalement affairé dans le cadre du cercle de lecture des étudiants du baccalauréat. C’est en étant tout à fait subjugué que j’ai tourné la dernière page de ce bijou de littérature autochtone. Kukum, paru en 2019 aux éditions Libre Expression, est l’œuvre de l’auteur et journaliste innu Michel Jean. Lauréat notamment du Prix littéraire France-Québec, Kukum raconte l’histoire d’Almanda Siméon, une jeune fille allochtone vivant sur une terre agricole de Saint-Prime. Elle fera la rencontre de Thomas, un jeune innu qu’elle épousera et qui la mènera dans

une vie fascinante de voyages entre le Pekuakami et la Péribonka. Le récit prend place à l’époque où les Innus étaient un peuple nomade qui parcourait le territoire au fil des saisons. Rapidement, Almanda apprivoisera le savoir innu et deviendra membre à part entière de cette nation riche en histoires et en connaissances. Par-dessus tout, Kukum, c’est un regard différent sur la région du Saguenay-LacSt-Jean. C’est une écriture magnifique qui n’a d’égal que la beauté du Pekuakami (lac St-Jean), mais avant toute chose, c’est le portrait de l’histoire méconnue des Innus du Nitassinan et de la colonisation du Saguenay-Lac-St-Jean. Dès les premières pages, le Pekuakami est mis à l’honneur. En effet, Almanda Siméon, narratrice et personnage principal du récit, convainc le lecteur de son attachement à ce lac majestueux. À ce titre, le lac sera un thème récurrent et mis en relief par la poésie de l’auteur. En effet, étant un


récit plutôt court, l’histoire, dans Kukum, est présentée de manière limpide, mais comprenant ici et là des passages imagés permettant de saisir toute la beauté du territoire. En guise d’illustration, dès le début du livre, en page 11, la narratrice, à propos du Pekuakami, s’exprime ainsi : « Une mer au milieu des arbres. De l’eau à perte de vue, grise ou bleue selon les humeurs du ciel, traversée de courants glacés. Ce lac est à la fois beau et effrayant. Démesuré. Et la vie y est aussi fragile qu’ardente. ». Plus tard, à la page 56, l’auteur ira d’images tout aussi magnifiques : « Le soleil déclinant embrasait peu à peu le ciel et la fraîcheur de la nuit se répandait sur Nitassinan, dispersant des parfums de terre. J’ai toujours aimé ce moment où la lumière et l’obscurité se tutoient, où le temps hésite. ». Ainsi, Kukum, c’est une écriture sublime dans la forme, qui sert à merveille l’illustration d’une région splendide. D’autre part, le récit d’Almanda présente la région du Lac-Saint-Jean sous un angle tout à fait inusité. Le lecteur ne fait plus que lire à propos de cette région, il la parcourt. À travers des péripéties mettant en lumière le savoir ancestral des Innus, lire Kukum, c’est vivre le territoire. Pour les gens de la région, le lac Saint-Jean tout comme la rivière Péribonka sont des cours d’eau connus, mais qui ne sont pas reliés au cycle même de l’existence tel qu’il en fut le cas pour les Innus à une certaine époque. À ce propos, l’histoire prend place à l’époque d’une véritable rupture dans le mode de vie des Innus. En effet, les derniers chapitres sont consacrés à une abrupte illustration de la confrontation entre le développement économique de la région du lac StJean et le mode de vie nomade des Innus. À un certain stade, le livre permet au lecteur de mieux comprendre les impacts de la sédentarisation forcée, le côté pervers

de l’exploitation forestière et de l’élaboration de la drave et des barrages. Également, des passages du livre font état des pensionnats et des traumatismes qui s’en sont suivis. La lecture de Kukum permet de mieux comprendre l’histoire récente et de jeter un regard critique sur les grands projets ayant fait de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean ce qu’elle est aujourd’hui. C’est de façon malheureuse que le lecteur est amené à réaliser qui sont les grands oubliés de ce que certains ont appelé « le progrès ».

À ce titre, à la page 169, la narratrice s’exprime ainsi : « Le bois alimentait les usines de pâte à papier et les scieries. Elles fournissaient du travail aux colons. Le progrès était enfin arrivé. Ainsi, les gens le croyaient-ils. Mais la vie est un cercle. Le temps se chargerait de le leur rappeler un jour ». Ce passage, abordant l’idée du progrès, ne le fait pas sans une touche d’espoir et c’est d’ailleurs un sentiment omniprésent dans Kukum. En effet, les Innus, percevant plusieurs aspects de la vie de manière cyclique, persistent sur la voie de l’espoir et cet extrait le montre bien. Avec ce livre, Michel Jean signe un hommage à la vie de sa kukum, de son arrièregrand-mère, il magnifie le territoire jeannois de par la poésie de son écriture et il offre au lecteur un éclairage nouveau sur l’histoire et certains défis qui restent toujours d’actualité.

Vue aérienne du secteur rural de Dolbeau-Mistassini. Crédit photo : Dominique Gobeil Coucher de soleil sur une plage du lac Saint-Jean. Crédit photo : India Simard

(1) Michel Jean, Kukum, Libre Expression, 2019.

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01 Côte-Nord, crédit photo: Camille Blouin-Grondin

04 Gaspésie/Baie des Chaleurs, crédit photo: Éliane Berthelot

02 Mauricie/Rivière à Pierre crédit photo: Philippe Vachon

05 Îles de la Madeleine, crédit photo: Alexandra Vigneau

03 rivière Saguenay à Arvida, crédit photo: Simone Pilote

06 Îles de la Madeleine, crédit photo: Alexandra Vigneau


POÈME

Mare sapientiae Par John Doe Les traits tirés, détrempé, le corps meurtri ; Son embarcation échouée sur le sable ; De son naufrage, cette fois, il aura appris ; Cette mer, un jour, lui sera favorable ; Lorsqu’enfin, trop longtemps resté à terre ; Sur son frêle bateau il reprend le large ; Le geste est sûr, les vents lui sont salutaires ; Il fend les flots seul, sans membres d’équipage ; L’océan s’offre à lui dans toute sa grandeur ; Solidement campé à la barre, regard au loin ; Alors qu’il vogue, disparaissent ses frayeurs ; Et de nouveau, il goute à la douceur des embruns ; Il ne fait plus qu’un avec le roulis des vagues ; Ses yeux fermés, se laissant transporter par elles ; Les sensations claires, affutées comme une dague ; Des premiers voyages, ressurgissent, intemporelles ; Les nuages s’amoncellent, la brise devient tempête ; Ciel fendu par les éclairs, son désir grandit ; De cet élément, il en fera la conquête ; Serrées au gouvernail, ses jointures ont blanchi ; Les cieux se déchirent et le tonnerre gronde ; Les lames tumultueuses frappent avec fracas ; Dans ce déluge, son exaltation l’inonde ; Au hurlement des bourrasques, il mêle sa voix; Mais impunément, de ces forces de la nature ; Nul ne peut ainsi espérer se rendre maître ; Par-dessus bord, il chute, heurté par sa voilure ; Sombre avec lui, sa confiance qui venait de naître ; Les traits tirés, détrempé, le corps meurtri ; Son embarcation échouée sur le sable ; De son naufrage, encore une fois, il a appris ; Cette mer, un jour, lui sera favorable.

Crédit photo: Canva

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CONCOURS présentation L’Association des étudiants et étudiantes en droit de l’Université Laval a convié ses membres à participer à un concours d’écriture, tenu en collaboration avec la députée fédérale de Beauport-Limoilou Julie Vignola. Voici le texte gagnant, et dans les pages suivantes, le texte de Jordan Mayer ayant obtenu une mention spéciale. par Kevin Garneau

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« Après, c’est nous qui payons pour ça. » Le 28 septembre 2020, voilà certains des mots qui ont accompagné Joyce Echaquan, dans un souffle de racisme et de haine, vers la mort (1). Le traitement prodigué à la mère de famille peu de temps avant sa mort va transformer profondément la société québécoise. Depuis cet évènement, la société québécoise a pris acte de la problématique, elle a tenté de la qualifier, elle agit sur celle-ci et elle n’entend pas s’arrêter là.

Ainsi, la nécessaire et vive discussion collective sur le racisme que nous tenions depuis que tous ont entendu le gravissime « I can’t breathe » de George Floyd (2), mourant sous le genou du policier qui le dépossédait de sa vie, a pris un tournant à la suite de la parution de la vidéo-vérité de Joyce Echaquan. L’inacceptable ne se déroulait pas seulement ailleurs. L’inhumanité faisait partie de nous. Les revendications des manifestants qui, au printemps, défilaient dans les rues s’opposant à l’idéologie qu’est le racisme (3) devenaient nos revendications collectives. Ces gens, solidaires à travers le monde, incluant dans plusieurs villes québécoises, sensibilisaient les politiciens à l’urgence d’agir à l’égard du racisme depuis

L’héritage de Joyce Echaquan

des mois. Maintenant, la situation, ici, était devenue urgente. Les phrases prononcées par les employées à l’égard de la jeune femme atikamekw contiennent le problème tout entier. Plus destructrices que celui qui les prononce peut le croire, ces paroles sont aussi plus répandues qu’une collectivité est prête à se l’avouer. Le racisme est sournois. Il peut se glisser dans nos paroles, dans nos gestes, dans nos actions et dans nos réactions. Cette idéologie trouve sa source bien plus profondément que dans de simples actes isolés identifiables et condamnables. La gravité des propos racistes des employées réside dans

le fait que nous entendons des propos semblables régulièrement et que nous les tolérons dans un silence destructeur de cultures et d’identités. Pour l’impact qu’elle a eu et qu’elle aura, la mort de Joyce Echaquan est l’évènement marquant de la dernière année. Le constat est indéniable. L’histoire s’est répétée au sein de nos institutions, ici, au Québec. Depuis sa mort, le retour en arrière est devenu impossible. La mort de Joyce Echaquan est devenue la prise de conscience nécessaire de la société québécoise. Les phrases prononcées à l’égard de la jeune femme atikamekw sont le nœud du problème. La gravité des propos réside


(1) Magdaline BOUTROS et Alexis RIOPEL, « Morte sous les insultes racistes d’une infirmière », Le Devoir, 30 septembre 2020, [En ligne], [<https://www.ledevoir.com/ societe/586901/morte-sous-les-insultesracistes-d-une-infirmiere>] (2) Maanvi SINGH, « George Floyd told officers ‘I can’t breathe’ more than 20 times, transcripts show », The Guardian, 9 juillet 2020, [En ligne], [<https://www.theguardian. com/us-news/2020/jul/08/george-floydpolice-killing-transcript-i-cant-breathe>]

surtout dans le fait que nous nous sommes entendus. La problématique est tellement complexe que sa qualification a divisé. Racisme systémique pour certains. Discrimination systémique, racisme d’état, racisme politique, racisme institutionnel pour d’autres. Elle est tellement complexe que la controverse autour de ce qui est devenu « le mot en N »(4) semble se perdre dans les chambres d’échos. L’évènement est marquant, car le constat est unanime. Il faut agir. La population s’attend à ce que beaucoup plus soit fait. Fait marquant, la politique réagit. Le Groupe d’action contre le racisme a produit un rapport le 14 décembre dernier (5). Un changement majeur au poste de ministre responsable des Affaires autochtones a été fait (6). À Montréal, une première commissaire à la lutte contre le racisme a été nommée (7). Ce sont quelques exemples de ce qui n’est qu’un début. Le statu quo est devenu inacceptable tout comme la mise en œuvre de seulement deux des 142 mesures proposées dans rapport de la commission

Viens (8). Car, maintenant, nous en parlons sans nous aveugler. L’aboutissement du dialogue sera que la personne qui regarde supérieurement une autre personne ou l’individu qui, inconsciemment, agit sur les relents de cette idéologie de supériorité des races ne le fera plus dans un silence nocif de tolérance. Quelqu’un dénoncera et redonnera son humanité à celui qui s’en fait déposséder. La prise de conscience collective aura ses effets. Bientôt, nous nommerons les communautés. Nous pourrons identifier des modèles provenant de chacune des communautés sans avoir besoin de faire des recherches approfondies sur les moteurs de recherche. La diversité dans les médias permettra à chacun de s’identifier à des personnes qui apportent à leur société. « Lutter contre le racisme est vain si on n’éclaire pas les effets de l’oppression exercée par la culture dominante, oppression qui atteint les communautés, le politique et la culture, mais aussi l’être psychologique » Préface d’Alice Cherki – Les damnés de la terre

(3) Nicolas BÉRUBÉ, « https://www.lapresse. ca/actualites/grand-montreal/2020-06-07/ manifestation-monstre-contre-le-racismea-montreal », La Presse, 7 juin 2020, [En ligne], [<https://www.lapresse.ca/actualites/ grand-montreal/2020-06-07/manifestationmonstre-contre-le-racisme-a-montreal>] (4) RADIO-CANADA, « Mot en n : la sortie du recteur Frémont décriée par des enseignants et étudiants », Radio-Canada, 14 février 2021, [En ligne], [<https://ici.radio-canada.ca/ nouvelle/1770821/mot-en-n-enseignementliberte-academique-racisme>] (5) QUÉBEC, GROUPE D’ACTION CONTRE LE RACISME, Le racisme au Québec : tolérance zéro. Rapport du groupe d’action contre le racisme, Québec, 14 décembre 2020, [En ligne], [<https://www.quebec.ca/ gouv/politiques-orientations/groupe-actioncontre-racisme/>] (6) Marie-Michèle SIOUI, « Ian Lafrenière devient ministre responsable des Affaires autochtones », Le Devoir, 10 octobre 2020, [En ligne], [<https://www.ledevoir.com/ politique/quebec/587588/ian-lafrenieresera-nomme-ministre-responsable-desaffaires-autochtones>] (7) Jeanne CORRIVEAU, « Bochra Manaï, première commissaire à la lutte contre le racisme à Montréal », Le Devoir, 14 janvier 2021, [En ligne], [<https://www.ledevoir. com/politique/montreal/593223/bochramanai-nommee-commissaire-a-la-luttecontre-le-racisme-a-montreal>] (8) Jean-Benoit NADEAU, « Joyce Echaquan : La preuve ultime», Le Devoir, 2 décembre 2020, [En ligne], [<https://lactualite.com/ societe/joyce-echaquan-la-preuve-ultime/>]

La mort de Joyce Echaquan était la pierre angulaire d’une prise de conscience collective. La société tire des leçons des évènements qui la marquent, qui la grafignent et qui révèlent ses parts d’ombre. L’impact se trouve dans la somme. Joyce Echaquan était l’être humain de trop qui a été dépossédé de son corps et de son identité sous l’arme destructrice du racisme. Les photographies ont été prises lors de la marche à la mémoire de Joyce, l’automne dernier, à Québec. Crédit : Dominique Gobeil

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CONCOURS par Jordan Mayer

L’Assemblée nationale, à Québec. Crédit photo : Canva, Kelly Images

Affaire Normandeau 26

Cas d’espèce de la crise de confiance en nos institutions publiques Le 25 septembre dernier, au terme d’un processus judiciaire de plus de quatre ans et demi, la Cour du Québec accueillait la requête en arrêt des procédures pour violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable de plusieurs personnalités publiques, suivant les enseignements de l’arrêt Jordan (1), dont l’ex-vice-première ministre du Québec Mme Nathalie Normandeau. Cette saga judiciaire, en parallèle avec la Commission Charbonneau, posait la question de savoir dans quelle mesure des fonds publics avaient été utilisés pour l’octroi de contrats publics. De ce fait, l’UPAC (Unité permanente anticorruption), créée dans cette tourmente, tente depuis lors de lutter contre la corruption et la collusion afin de maintenir un système public intègre (2).

Ces années d’incertitude ont très certainement désenchanté d’aucuns envers la classe politique, mais pas seulement. Ce sont les institutions publiques, en passant par l’administration publique et les tribunaux, qui passent malheureusement dans le tordeur du scepticisme. La société, sous le modèle néolibéral régissant depuis nos années post-modernes, prend une tangente glissante vers l’individualisme et le repli sur soi, au grand dam de la solidarité et du vivre-ensemble. Les implications de ce cas d’espèce, soit celui concernant Mme Normandeau et ses coaccusés, représentent selon moi l’ampleur de la crise de confiance auquelle font face nos institutions publiques, au sens large l’État, défini ci-dessous (3). Cette situation n’est toutefois pas une finalité en


soi, nous l’espérons, mais d’autant plus le gage d’une profonde remise en question créatrice d’un nouveau paradigme sociétal et juridique, pour le bien de tous. Plusieurs ont estimé que la fameuse disposition dérogatoire, présente autant dans la Charte canadienne que la Charte québécoise et entourée d’un certain tabou, pouvait être utilisée pour suspendre l’application du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, afin de faire la lumière sur toute cette histoire (4). Quoique cette possibilité sur le plan juridique, qu’il faut distinguer de son opportunité politique, soit remise en question par d’autres (5), une question reste en suspens : comment concilier le malaise grandissant et à maints égards irréconciliable entre la présomption d’innocence et le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et la préservation de la légitimité des institutions par la recherche de la vérité? La chose est complexe, et y répondre demanderait certainement plus qu’un argumentaire sommaire. Cependant, un fait reste certain, et ce sont les impacts de ces tristes situations sur les individus concernés. Comme le remarquait le juge Perreault dans sa décision sur Mme Normandeau et ses coaccusés : « Les conséquences du jugement du public pèsent souvent plus lourd chez les personnes poursuivies que les décisions judiciaires rendues, qu’elles soient favorables ou non à ces personnes. »(6) Que l’on soit favorable ou non avec la tournure des événements – ou que notre opinion soit plus nuancée –, le fait est que l’humain reste au cœur de la tourmente. Personne ne mérite un délai déraisonnable avant jugement, tout autant qu’en tant que société nous méritons des institutions publiques intègres, libres de toute influence partisane ou personnelle (7). Au temps du doute envers l’action gouvernementale, du rejet partiel ou total de la science et du jugement critique, de la montée de mouvements conséquents et du découragement devant la lourdeur bureaucratique, que restera-t-il de notre

(1)R. c. Jordan, 2016 CSC 27. (2)Voir notamment Gabriel BÉLAND, « On m’a volé quatre ans et demi de ma vie », La Presse, 26 septembre 2020; Jeff YATES, « Un stratagème “systémique" », La Presse Canadienne, 18 mars 2016 (3) Je m’arrête sur une définition sommaire de l’État, car il probablement pas de définition qui fasse aujourd’hui l’unanimité. L’État est un « ensemble d’institutions et de relations qui permettent l’exercice du pouvoir au sein d’une société politique donnée ». Louis CÔTÉ, L’État démocratique. Fondements et défis. Québec, Presses de l’Université du Québec, 2008, p. 38.

L’ancien premier ministre Philippe Couillard et Nathalie Normandeau, en 2007. Crédit photo : Flickr, François Thivierge

cohésion sociale et politique? J’avance ici une réponse découlant directement de cette affaire pour le moins controversée. Car cette opposition entre citoyen et société n’est pas, je le crois, dénuée de points de contacts novateurs. Citons seulement, et pour rester en lien avec notre cas d’espèce, les efforts déployés pour réduire les délais de la Couronne en matière de procès (8). Dans une perspective plus large, retenons les modes de prévention et de règlement des différends, ou encore la justice réparatrice, comme alternatives à un processus judiciaire long, coûteux et harassant pour les parties. Ces solutions ne sont pas parfaites, certes, mais elles restent assurément des avancées. De cela, il est ainsi déjà envisagé une vision holistique de la société où l’humain y est envisagé comme citoyen et acteur intrinsèque. Je suis persuadé qu’à partir de cette vision prometteuse, notre

monde peut en ressortir meilleur, sur les bases d’une théorie délibérative, une sorte de consensus, d’agir ensemble, où l’être humain reste la variable maîtresse à considérer. Mais surtout, l’essentiel est d’éviter une perte de confiance en nos institutions, pour plutôt tendre vers une prise de conscience bienveillante de nos moyens et de nos enjeux communs. L’affaire Normandeau, qui aura marqué les esprits, nous force à entrevoir des avenues différentes à l’avenir pour ne pas connaître de nouveau une période d’incertitude grandissante et de cynisme. À première vue, tendre vers les meilleurs normes éthiques et déontologiques, oui, mais plus largement, revoir nos institutions en considérant l’humain non pas seulement comme individu, mais comme partie intégrante d’une société dans laquelle il est spectateur attentif et acteur participatif.

(4) Voir notamment Patrick TAILLON, « Arrêt Jordan : Québec peut déroger à la Charte si nécessaire », Le Soleil, 20 avril 2017, en ligne : https://www.lesoleil.com/opinions/point-devue/arret-jordan-quebec-peut-deroger-a-lacharte-si-necessaire-6bb05be7b298a0a0a0d 7651a7e5ec5a8

judiciaire et intitulée «Remarques».

(5) Par exemple, voir Maxime ST-HILAIRE, « Arrêt Jordan : le Québec ne peut pas recourir à la “clause dérogatoire" », Blogue À qui de droit, 6 décembre 2016, en ligne : https://blogueaquidedroit.ca/2016/12/06/ arret-jordan-le-quebec-ne-peut-pas-recourira-la-clause-derogatoire/comment-page-1/ (6) Côté c. R., 2020 QCCQ 3906, par. 577, sous la rubrique plutôt rare dans une décision

(7) Plusieurs changements découlent de la Commission Charbonneau, notamment. Outre de nouvelles normes en matière d’octroi de contrats, notons l’adoption du Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale, RLRQ, c. C-23.1. Cette éthicisation du droit longtemps souhaitée vise à maintenir la confiance du public en ses représentants étatiques. Est-ce suffisant? (8) Cette amélioration, bien que saluée, se fait-elle aux dépends, encore une fois, de l’humain? Voir Louis-Samuel PERRON, « Trois ans de l’arrêt Jordan : délais réduits, avocats épuisés? », La Presse, 8 juillet 2019.

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ANALYSE par Samuel Z. Castonguay

L’AFFRONT Le Canada est le deuxième plus grand producteur d’uranium, derrière le Kazakhstan. De cette production, qui correspond à treize pour cent des 53,7 kilotonnes produites mondialement en 2019, soixante-quinze pour cent est exporté afin d’alimenter les réacteurs nucléaires d’une myriade de pays du globe. Pour certains, le rôle clé que joue le 28 Canada dans l’exportation du principal combustible nucléaire s’accompagne d’une importante responsabilité dans la gestion des déchets radioactifs qui émanent des centrales des États importateurs. L’ex-premier ministre canadien Jean Chrétien est l’un de ceux-là. Une série de courriels obtenus par les journalistes d’Enquête, à Radio-Canada, a révélé l’existence d’un projet d’enfouissement de déchets radioactifs étrangers, en provenance notamment du Japon, dans le sol graniteux du Labrador. Ce plan secret rassemble une poignée d’hommes d’affaires et d’avocats. Nommément, messieurs Tim Frazier, ancien du Department of Energy américain, Albert Barbusci, homme d’affaires montréalais, Hisafumi Koga, président d’une grande firme de relations publiques japonaise, et Takuya Hattori, ancien haut dirigeant de TEPCO, la multinationale exploitant la centrale de Fukushima Daiichi, où est survenue la catastrophe nucléaire de mars 2011, se joignent à l’ancien premier ministre Chrétien pour compléter la liste exclusive des gens puissants manigançant dans l’ombre.

Crédit photo : Canva


Une aristocratie radioactive De prime abord, le recours à un tel site de dépôt des déchets est légitime. La Finlande et la Suède en disposent déjà, et la Société de gestion des déchets nucléaires (SGDN) du Canada étudie présentement l’opportunité d’en construire un en Ontario. C’est en outre une méthode de gestion obligatoire prévue à l’article 12 (2) de la Loi sur les déchets de combustible nucléaire. Le plan actuel, appelé Gestion adaptative progressive, vise un confinement et une isolation du combustible irradié dans un dépôt géologique en profondeur ainsi qu’un long processus de sélection des sites d’enfouissement impliquant « des hôtes informés et consentants pour accueillir le projet ». En vertu de l’article 6 de la Loi sur les déchets de combustible nucléaire, c’est à la SGDN qu’incombe la responsabilité de concevoir et d’appliquer la proposition de gestion du combustible irradié retenue. Le plan auquel participe activement Jean Chrétien comporte deux particularités. D’une part, il suppose l’importation de déchets radioactifs étrangers au Canada afin de procéder sur le territoire à leur entreposage sécuritaire. D’autre part, les tractations sont discrètes, voire secrètes, et dévoilent la prégnance de quelques gros intérêts privés dans un projet éminemment d’intérêt public. Cette manière de procéder en catimini éveille les soupçons. Certes, le premier mi-

Une réflexion commune s’impose Il demeure pertinent de réfléchir au rôle de ces intérêts privés dans la gestion des déchets radioactifs. Comment est-il possible qu’un ancien homme politique, signant de surcroît ses communications avec ses partenaires à titre de « vingtième premier ministre du Canada », travaille dans les coulisses avec des hauts dirigeants du secteur privé à la réalisation

Sources DENIS, M.-M., J. TASCHEREAU et D. TREMBLAY, « Jean Chrétien au cœur d’un projet secret pour enfouir des déchets radioactifs étrangers », Radio-Canada, 1 avril 2021, https://ici.radio-canada.ca/recitnumerique/2274/jean-chretien--secretdechets-radioactifs-labrador (3 avril 2021) FRANCOEUR, M., « La politique silencieuse », Le Nouvelliste, 3 avril 2021, https://www.lenouvelliste.ca/opinions/ editorial/la-politique-silencieuse-0a9a1c5cc

Jean Chrétien, en 2013. Crédit photo : WikiCommons, Claude Gill

nistre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, prétend avoir été informé des balbutiements du projet par M. Chrétien et s’y être opposé. Mais le gouvernement du Nunatsiavut, le gouvernement autonome représentant les Inuits du Labrador, soutient ne pas être avoir été consulté ni même mis au fait des négociations par les gouvernements provincial et fédéral, conformément à l’obligation constitutionnelle s’exhalant de la Loi sur l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador.

Qu’en est-il du gouvernement fédéral de Justin Trudeau? Jean Chrétien faitil du lobbying auprès du fils de celui qui fut autrefois son mentor? Le principal intéressé, maintenant avocat-conseil chez Dentons, a véhément démenti cette accusation lorsque confronté par la journaliste Marie-Maude Denis sur le sujet, mais ce questionnement demeure à plusieurs égards irrésolu malgré les négations de M. Chrétien.

d’un projet d’une grande ampleur et ayant des impacts considérables sur l’environnement et la sécurité nationale? Ce projet ne devrait-il pas être mené par l’État et son dirigeant actuel?

Au Canada, ce ne sont pas des avocats et des hommes d’affaires du secteur privé

qui doivent s’en charger, mais bien un organisme constitué et mandaté par le fédéral. Il devient dès lors assez ardu d’expliquer les révélations d’Enquête. *** Il reste à voir quels seront les contrecoups du dévoilement au grand jour des velléités de Jean Chrétien et des autres hommes d’affaires. D’aucuns oseront espérer que l’étape charnière de la consultation ne sera pas occultée par l’appât du gain.

d3a1f372eba08050adaf8a1 (3 avril 2021)

(3 avril 2021)

Loi sur l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, LC 2005, c. 27

GOUVERNEMENT DU CANADA, Faits sur l’uranium et l’énergie nucléaire, [En ligne], https://www.rncan.gc.ca/science-et-donnees/ donnees-et-analyse/donnees-et-analyseenergetiques/faits-saillants-lenergie/faitsluranium-lenergie-nucleaire/20081 (3 avril 2021)

Pour le journaliste Martin Francoeur, « [c]e sont les gouvernements qui doivent porter de tels dossiers, notamment pour s’assurer d’un minimum de transparence auprès des populations concernées. »

Loi sur les déchets de combustible nucléaire, LC 2002, c. 23 NUNATSIAVUT GOVERNMENT, Secretive plans to store nuclear waste in Labrador, Nain, April 1, 2021, [En ligne], https:// www.nunatsiavut.com/wp-content/ uploads/2021/04/STATEMENT-Secretiveplans-to-store-nuclear-waste-in-Labrador.pdf

SOCIÉTÉ DE GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES, Qui sommes-nous, [En ligne], https://www.nwmo.ca/fr/ABOUT-US/WhoWe-Are (5 avril 2021)

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ANALYSE par Paul-David Chouinard

Pratiquer la distanciation

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La dernière année s’est avérée un terreau fertile pour tous ceux s’intéressant de près ou de loin aux questions sémantiques. Les récents débats qui ont émergé de la sphère publique ont réaffirmé l’importance de maintenir une certaine distanciation réflexive quant à l’usage de certains mots et de les replacer dans leur contexte social. Ce phénomène coïncide avec l’émergence d’une nouvelle expression dans le jargon populaire : la distanciation sociale. Si la pratique quotidienne de la distanciation sociale est nécessaire en temps de pandémie, la distanciation réflexive l’est tout autant dans une société où l’offre de nouvelles est de plus en plus diversifiée et où il est particulièrement difficile de départager le vrai du faux. Elle commande une très grande vigilance quant au choix des mots employés et à la source des informations auxquelles l’on réfère. On ne saurait trop insister, de prime abord, sur l’influence des symboles et des images dans le choix de l’information, mais aussi dans la manière dont elle est interprétée. Une expression bien courante dit d’ailleurs qu’une image vaut mille mots. Cette expression a pris tout son sens à l’occasion de la cérémonie d’investiture du président des États-Unis Joe Biden, dont le discours – qui comportait très exactement 2371 mots (1) – a été

éclipsé par la photo de l’un de ses anciens adversaires qui assistait à l’évènement, Bernie Sanders. Sans vouloir minimiser les retombées favorables d’un tel phénomène médiatique sur notre bonheur collectif, il semble qu’il soit symptomatique d’un engouement de plus en plus marqué pour les faits accrocheurs, parfois au détriment de la qualité de l’information.

Pourtant, l’image ne doit pas être comprise uniquement au sens d’image figurative. Elle peut avoir une portée tout aussi grande lorsqu’elle est exprimée sous forme de mots dans le but d’illustrer une idée abstraite, au même titre que l’analogie et la métaphore. La lecture de la jeune poète américaine Amanda Gorman lors de la cérémonie d’investiture du président en est le parfait exemple. D’ailleurs, quel mot est le plus juste : poète ou poétesse? Auteure ou autrice? À défaut d’être en présentiel, l’investiture était-elle synchrone ou asynchrone? Comodale peut-être? On dit la Covid ou le Covid ? Racisme ou racisme systémique? Et qu’en est-il du mot en « n »? Peut-on le prononcer ou non? Dans quel contexte? Notre vocabulaire est perméable aux diverses mutations que traverse notre société. Les mots sont des concepts évolutifs. La preuve, en 2020, comme chaque année, plusieurs nouveaux mots ont été ajoutés au dictionnaire Le Petit Robert, parmi lesquels on retrouve télétravailler, déconfinement et bien sûr, Covid (2)! Couvre-feu et quarantaine, qui avaient été relégués aux oubliettes, ont enfin connu leur moment de gloire (3). Néanmoins, ce phénomène ne saurait occulter l’impor-


tance de la réflexion critique sur les enjeux linguistiques. C’est à cette étape que la pratique de la distanciation prend tout son sens. Prendre un bon deux mètres de recul avant de choisir les mots sur lesquels on désire s’appuyer permet de mieux articuler sa pensée. De la même manière, le maintien d’un débat sain sur le sens à donner à certains mots et l’usage que l’on peut en faire apparaît comme incontournable dans un monde de plus en plus polarisé. Les faits (historiques, scientifiques et autres) doivent quant à eux constituer la pierre d’assise de toute argumentation. Si le port du masque représente un moyen scientifiquement prouvé pour lutter contre la pandémie, la pratique qui, à l’opposé, consiste à masquer les faits s’avère totalement contre-productive. Dans le même ordre d’idées, un mot ou une expression ne peut être appréhendé correctement sans tenir compte notamment de son éty-

mologie, de sa valeur pédagogique et du contexte social duquel il a émergé. Dans les derniers mois, la santé publique a maintes fois réitéré l’importance de limiter les rapprochements humains pour freiner la propagation du virus. Les rapprochements entre différents faits doivent être effectués avec la même circonspection. Dans une ère où l’information circule très rapidement, un journaliste ou un chroniqueur a tout intérêt à être vigilant dans le choix des mots qui se retrouvent dans le titre de son article et à éviter de tomber dans le piège du sensationnalisme. Toutes ces pistes de réflexion constituent des outils parmi tant d’autres dans la lutte contre le virus pernicieux qu’est la désinformation. Les faits sont importants, puisqu’ils servent de socle à partir duquel nous pouvons bâtir notre point de vue. Les mots, lorsqu’ils sont choisis judicieusement, viennent solidifier l’équilibre de

Crédit photos: RODNAE Productions (manifestation) ; Gage Skidmore de Surprise, AZ, USA (Joe Biden) et Przemysław Iciak (coronavirus)

notre structure argumentative en y apportant certaines nuances. Le meilleur moyen de comprendre la teneur de ces mots et de ces faits est de remonter à leur source, laquelle peut prendre de multiples formes : étude scientifique, théorie développée par un auteur, etc. Surtout, il importe de diversifier ces mêmes sources. Il en va de notre santé intellectuelle collective!

Notes : (1)https://www.ledevoir.com/monde/ etats-unis/593645/l-integrale-du-discoursinaugural-de-joe-biden (2) https://ici.radio-canada.ca/ nouvelle/1707036/deconfinement-covidteletravaillerdictionnaire-petit-robert-2021 (3) https://ici.radio-canada.ca/premiere/ emissions/cest-jamais-pareil/segments/ entrevue/337813/dictionnaire-covid-2020mots-langage-langue-covid


ANALYSE par Florence Verreault

La liberté d’expression et la censure de ceux qui n’ont pas de voix L’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (1) protège la liberté d’expression. Il va sans dire que cette protection s’étend à une vaste diversité d’activités. La jurisprudence s’est prononcée à maintes reprises sur le champ d’application de cet article, mais un certain flou demeure quant à la délimitation exacte de ses contours. De surcroît, la liberté d’expression, consacrée comme valeur fondamentale de notre société, est la source de plusieurs confrontations, voire de conflits. Jusqu’où cette liberté doit-elle être protégée? Une telle question soulève bien sûr des considérations d’ordre moral et fait appel à nos convictions les plus solidement ancrées.

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Depuis longtemps, les défenseur.se.s des droits des animaux se rendent sur des fermes industrielles et des abattoirs afin de pouvoir observer et documenter toutes les pratiques cruelles et les souffrances physiques et psychologiques auxquelles sont soumis les animaux qui s’y trouvent. Ce n’est que récemment, suivant l’exemple des États-Unis, que certaines provinces canadiennes ont commencé à légiférer afin d’interdire l’accès à ces établissements, empêchant ainsi la captation et la diffusion d’images relatives à l’agriculture industrielle. C’est ici que se dessine un lien assez surprenant entre l’article 2b) de la Charte canadienne et la défense des droits des animaux : est-ce que les lois qui prohibent certaines activités, comme le fait de se trouver sans permission sur une ferme industrielle ou un abattoir, d’y entrer en utilisant de faux motifs et de s’interposer dans le transport des animaux d’élevage, constituent une atteinte à la liberté d’expression? À l’heure actuelle, deux provinces canadiennes ont adopté de telles lois, que l’on nomme lois « ag-gag » (2), soit l’Alberta et l’Ontario. En Alberta, l’effet le plus important de cette loi est d’interdire toute entrée non autorisée sur une propriété privée : le non-respect de cette prohibition constitue une infraction (3). Bien que cette loi ait été rapidement adoptée et qu’il soit difficile de connaître avec précision ce qui a motivé son adoption, il ressort des débats parlementaires que certaines discussions au sujet des défenseur.se.s des droits des animaux et des manifestations contre l’exploitation animale ont eu lieu dans les jours précédant

la première lecture du projet de loi (4). En juin 2020, une autre loi a été adoptée par le Parlement albertain, interdisant cette fois l’obstruction volontaire, l’interruption ou l’interposition avec toute infrastructure essentielle, ce qui inclut les autoroutes et les opérations d’agriculture (5). Du côté de l’Ontario, une loi « ag-gag » a été adoptée en juin 2020. Cette loi, intitulée An Act to protect Ontario’s farms and farm animals from trespassers and other forms of interference and to prevent contamination of Ontario’s food supply (6), crée des infractions et prévoit des amendes sévères pour toute entrée non autorisée ou sous de faux motifs dans une zone où des animaux d’élevage se trouvent. Cette loi interdit également tout geste visant à obstruer le transport d’animaux d’élevage. Avant l’adoption de cette loi, des défenseur.se.s des droits des animaux ainsi que des avocat.e.s œuvrant pour la défense des droits des animaux ont exprimé la crainte que les droits des activistes de s’exprimer ne soient brimés, alors que des représentants de l’industrie agricole ont témoigné leur support envers ce projet de loi. En plus de l’Alberta et de l’Ontario, d’autres provinces canadiennes ont montré un certain intérêt à renforcer leurs lois « anti-trespass » dans le but de limiter les activités auxquelles peuvent s’adonner les défenseur.se.s des droits des animaux. C’est le cas de la Colombie-Britannique, du Manitoba et du Québec. Une simple illustration des réalités de l’élevage industriel au Canada est utile afin de comprendre pourquoi le discours

des défenseur.se.s des droits des animaux mérite une protection constitutionnelle. Il n’existe aucune loi fédérale portant directement sur les conditions d’élevage des animaux qui sont destinés à la consommation humaine. Il y a lieu de mentionner ici l’existence du Règlement sur la santé des animaux (7), qui contient des indications en ce qui a trait aux conditions selon lesquelles les animaux doivent être transportés à l’abattoir. Toutefois, ce règlement comporte de graves imprécisions : par exemple, rien de concret n’est prévu concernant la température et les conditions météorologiques sous lesquelles le transport des animaux d’élevage est permis. Le Code criminel prévoit certaines infractions relatives à la cruauté animale (8), mais le seuil requis pour l’application de ces dispositions n’est évidemment pas interprété de manière à s’appliquer aux pratiques industrielles jugées « standard ». Ainsi, plusieurs pratiques courantes en matière d’élevage industriel et qui impliquent de graves souffrances pour les animaux, comme la coupe de la queue, la castration, la coupe du bec et le confinement dans de minuscules espaces, ne sont pas considérées comme des infractions criminelles lorsqu’elles ont lieu dans le contexte de l’agriculture industrielle. Au Canada, le pouvoir de légiférer sur les animaux est une compétence partagée, ce qui fait en sorte que chaque province détient ses propres lois encadrant la protection des animaux. Les détails diffèrent d’une province à l’autre, mais un élément reste le même à travers tout le pays : peu importe les protections provinciales existantes au bénéfice des animaux, une exemption, implicite ou explicite, est toujours prévue pour les pratiques agricoles. Certains codes de référence suggèrent des normes permettant de s’assurer du traitement « humain » des animaux, mais puisque ces codes ne sont pas contraignants, leurs effets potentiellement bénéfiques sont plus que moindres au regard des souffrances imposées aux animaux d’élevage. Tel que mentionné précédemment, plusieurs États américains se sont dotés de lois « ag gag », mais il s’agit d’un phénomène en pleine croissance, qui ne touche pas uniquement notre continent. L’adoption de telles


Crédit photo: Canva

lois fait naître d’importantes considérations au regard de nos libertés constitutionnelles. Dans l’arrêt Irwin Toy (9), la Cour suprême du Canada a établi un cadre d’analyse afin de démontrer l’existence d’une restriction à l’article 2b) de la Charte canadienne. Lorsque le but de cette limite est d’empêcher l’expression d’un message particulier, correspondant ainsi à une restriction fondée sur le contenu, cela constitue une preuve prima facie de restriction de la liberté d’expression, et il revient ensuite au ministère public de justifier cette limite. La législation « ag-gag » canadienne constitue donc une restriction prima facie à la liberté d’expression, puisqu’elle est fondée sur le contenu du message. L’industrie agricole tente en effet de faire taire les militant.e.s pour les droits des animaux afin que ces dernier.e.s ne puissent pas dénoncer la violence subie par les animaux d’élevage. Même sans se livrer à une analyse approfondie, il semble évident que le discours des défenseur.se.s des droits des animaux remplit tous les objectifs sous-jacents de l’article 2b) de la Charte canadienne et doit bénéficier de la protection constitutionnelle la plus solide qui soit. Non seulement ces militant.e.s manifestent de manière pacifique, mais le cœur de leur message s’inscrit dans la recherche de la vérité. Les citoyen.ne.s canadien.ne.s doivent avoir accès à toutes les informations nécessaires afin d’être en mesure de faire des choix de consommation éclairés et critiques, tant du point de vue de l’autonomie personnelle que de celui de l’épanouissement individuel. Les réalités de l’élevage industriel doivent pouvoir être révélées sans aucune forme d’obstruction ni de censure, non seulement en raison du droit de la population d’être informée, mais également en raison

des questions éthiques importantes soulevées par la consommation de viande et de produits animaux. Les considérations entourant le bien-être animal et les conditions de traitement des animaux d’élevage ne devraient pas non plus être réservées à la sphère privée, puisque ces enjeux sont d’intérêt public. La dénonciation des souffrances intolérables vécues par les animaux d’élevage est un acte politique, qui vise à contrer une forme d’oppression, le spécisme (10). Si on s’éloigne un peu du domaine juridique et qu’on pousse la réflexion encore plus loin, n’y a-t-il pas quelque chose d’intrinsèquement cruel dans le fait de vouloir masquer à tout prix les souffrances indicibles et la torture banalisée que vivent quotidiennement les animaux d’élevage? Pourquoi veut-on forcer coûte que coûte le silence de celles et ceux qui militent pour les droits de ces êtres sans voix?

Source principale : LAZARE, J., « Ag-Gag Laws, Animal Rights Activism, and the Constitution: What Is Protected Speech? », (2020) 58-1 Alberta Law Review 83-106

Lectures ayant inspiré cet article : - DESAULNIERS, É., Je mange avec ma tête : les conséquences de nos choix alimentaires, Édition Stanké, 2011, 264 p. - ELAWANI, R., « Véganisme : entre bien-être animal et devoirs humains », Le Devoir, 6 avril 2019, [en ligne], <https:// www.ledevoir.com/lire/551470/tendanceveganisme#:~:text=et%20du%20 travail-,Pour%20les%20penseurs%20 v%C3%A9ganes%20Val%C3%A9ry%20 Giroux%20et%20Renan%20Larue%2C%20 l,pas%20%C3%A0%20l’esp%C3%A8ce%20 humaine>.

Notes : (1) Charte canadienne des droits et libertés, art. 2b), partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.) (ci-après « Charte canadienne »). (2) Cette expression est tirée de l’anglais, soit « agricultural gag laws », que l’on appelle communément « ag-gag laws ». (3) Trespass Statues (Protecting Law-Abiding Property Owners) Amendment Act, SA 2019, c. 23, art. 3(2). (4)Alberta, Assemblée législative, Journal des débats, 30-1 (19 novembre 2019), à partir de la p. 2336. (5)Critical Infrastructure Defence Act, SA 2020, c. C-32.7, art. 1 à 3. (6)An Act to protect Ontario’s farms and farm animals from trespassers and other forms of interference and to prevent contamination of Ontario’s food supply, SO 2020, c. 9 (7)Règlement sur la santé des animaux, CRC, c. 296, adopté sous la Loi sur la santé des animaux, LC 1990, c. 21. (8) Code criminel, LRC 1985, c. C-46, art. 445.1 et suivants. (9) Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927. (10) Ici, le spécisme est entendu comme une forme de discrimination, comparable à toutes les autres formes de discrimination, comme le racisme ou le sexisme, qui repose sur la prémisse suivante : les humains sont supérieurs aux animaux non-humains. Cette forme d’oppression se rapproche du carnisme, qui est l’idéologie selon laquelle l’infériorité des animaux non-humains justifie leur exploitation ainsi que leur consommation.

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REPORTAGE par Andréa Lampron

L’alimentation, un choix personnel Chaque Nouvel An, on se souhaite du bonheur, de l’amour, une vie prospère et la réalisation de nos divers projets. Dans le but de conserver une bonne santé physique, on se fait la résolution d’intégrer une routine d’entraînement, ou sinon, de la préserver. Toutefois, s’exercer hebdomadairement n’est pas chose suffisante si l’on désire atteindre cet objectif, il importe 34 également d’adopter un certain type d’alimentation. Dans cet ordre d’idées, on entend régulièrement des propos selon lesquels une saine alimentation passe par les produits carnés et leurs bienfaits nutritifs. Pourtant, les modes alimentaires végane, végétalien et végétarien gagnent annuellement en popularité, tant auprès des adolescents que des adultes. De nombreuses idées préconçues et stéréotypées subsistent cependant à l’égard de ces modes d’alimentation.

Bien que chacun de ces modes alimentaires se distingue des autres et comporte ses propres caractéristiques, les trois possèdent la même base, soit celle de ne consommer aucune viande. La personne végétarienne, bien qu’il existe nombreuses variantes, consommera en règle générale les mêmes produits qu’un carnivore, à l’exception des produits carnés et du poisson. En ce sens, persistent donc

Des burgers créés par un restaurant végane. Crédit photo : Canva

dans son alimentation les produits céréaliers, les féculents, les produits laitiers, les œufs ainsi que les fruits et les légumes. En revanche, les végétaliens, tout comme les végétariens, ne mangeront pas de viande ni de poisson, mais proscriront de surcroît les œufs, les produits laitiers, le miel et tout autre sous-produit animal qui pourrait se trouver dans leur alimentation. Malgré le retrait des produits carnés de leurs habitudes alimentaires, les végétaliens y trouvent tout de même diverses alternances. Ayant été végétarienne pour une période de deux ans avant de devenir végétalienne à la suite d’une discussion sur le sujet avec un ami, Marie-Ève Montminy, étudiante de première année en droit, répond « […] qu’on ne devient pas végétalien parce qu’on n’aime pas le goût des produits carnés, mais bien parce que nos choix causent de la souffrance animale, en

plus de désastres sur l’environnement» lorsqu’on lui demande pourquoi vouloir reproduire la viande, la texture, le goût? La grande particularité des adhérents au véganisme, c’est-à-dire les véganes, repose dans l’incorporation de leurs limites alimentaires à leur quotidien. En outre, ils excluent toute exploitation animale et refusent de contribuer à toute souffrance animale, qu’elle concerne leur alimentation ou leur vie courante. De ce fait, une personne végane ne se procurera aucune marchandise fabriquée en cuir, que ce soit un manteau, des chaussures, une sacoche ou encore un divan. Pareillement, les produits cosmétiques achetés n’auront pas été testés préalablement sur des animaux et leurs vêtements ne seront pas composés de produits dérivant des animaux. À l’occasion, certains banniront également certaines activités telles que le zoo et le cirque.


Que ce soit pour des raisons religieuses, par souci de l’environnement et des animaux ou tout simplement pour des motifs personnels, contrairement à de nombreuses fausses croyances, intégrer l’un de ces modes alimentaires à son quotidien ne signifie pas devoir se limiter à ingérer du tofu et ne représente pas du tout une punition intentée à soi-même. « La raison principale pour laquelle j’ai commencé à être végétarienne est associée à l’environnement, et les conséquences néfastes de l’industrie animalière. […] Le déclic s’est vraiment fait lorsque je me suis rendu compte que l’humain avait le choix ou non de manger de la viande, et qu’il y avait bien plus de conséquences positives à ne plus en manger que l’inverse » mentionne Élodie Lavoie, étudiante en première année en médecine dentaire à l’Université Laval. Pour Gabrielle Verret, étudiante en travail social à l’Université du Québec à Rimouski, c’est au travers de manifestations et de documentaires que s’est produit l’élément déclencheur : « J’ai assisté à une manifestation à Montréal qui portait sur le véganisme et qui m’a beaucoup marquée. J’ai aussi visionné quelques documentaires rapportant les conditions de vie des animaux issus de l’industrie de l’élevage, comme Cowspiracy et Dominion ». En ce sens, éliminer complètement de son alimentation la viande comporte des avantages, non seulement au niveau de sa santé, mais également au regard de l’environnement. Tel que l’avance le chercheur d’Oxford Martin Programme on the

Future of Food, Marco Springmann, : « […] si le monde adoptait un régime végétarien en 2050, les émissions de gaz à effet de serre seraient réduites d’environ 60% et la mortalité, de 9% par rapport à une situation où les tendances actuelles se poursuivraient […] ». Les bienfaits qu’apportent les produits carnés, notamment les protéines, les nutriments et certaines vitamines, se retrouvent également sans compromis dans plusieurs produits alimentaires d’origine végétale. « Je suis végétarien depuis presque 3 ans maintenant […] Dans les protéines végétales, par exemple, on retrouve les haricots, les lentilles, le tofu, le seitan, le tempeh, et j’en passe. Dans le cas du lait, il y a les laits de soya, d’amande, de riz, de cajou, d’avoine, etc., qui offrent bien plus d’options que le simple lait de vache que le grand public est habitué de consommer. De plus, de nombreux produits d’imitation de viande sont en vente en épicerie […] » allègue Marc-Antoine Vibert, étudiant de deuxième année en géographie à l’Université Laval. L’ouverture d’esprit et la connaissance d’informations au sujet des choix alimentaires d’autrui représentent des éléments essentiels afin de combattre les tabous et les préjugés. Changer ses habitudes alimentaires le temps d’un repas n’implique pas de cesser sa consommation de tout produit carné par la suite. Dans cette optique, Doriane Clouet, finissante en multisport à l’école secondaire de la Seigneurie énonce que « […] les commentaires négatifs […] viennent de personnes qui ne sont pas informées sur le sujet. Il

faut simplement expliquer, ou laisser faire, il ne faut pas mal le prendre! Je pense aussi qu’il faut être conciliant avec les carnivores, il ne faut pas forcer personne au végétarisme, c’est simplement une question de tolérance. » Autrement dit, les points cruciaux sont l’indulgence et la compréhension. En contrepartie de tenter l’expérience d’y goûter, vous pourriez être fort étonné et agréablement surpris de la diversité des options qui s’offrent et des saveurs qui en résultent. Par l’intermédiaire de cet article, j’aspire à démanteler ces pensées figées et à sensibiliser davantage la société à ces types d’alimentation, parce qu’après tout, ça reste un choix personnel. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Julie Bouchard Doyon, étudiante à l’Université Laval au baccalauréat multidisciplinaire ; « Je suis végane […]. Ce n’est pas seulement au niveau alimentaire, mais c’est un mode de vie. Je ne mange pas de produits venant des animaux, mais je n’en achète pas non plus pour me vêtir. Lorsque j’ai des commentaires négatifs, je le prends souvent un peu mal parce que ça vient toucher une corde très sensible chez moi. […]Quand les personnes prennent le temps de s’attaquer à ma façon de vivre, qui se veut seulement respectueuse envers les animaux, je me sens blessée et rapidement émotive. »

Tourne la page pour la suite du reportage

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Témoignages Pour parvenir à atteindre mon objectif, j’ai posé quelques questions à des étudiants, allant du niveau secondaire à universitaire, dans le but d’illustrer cette réalité encore méconnue qu’est le véganisme. Parmi leurs réponses, j’ai trouvé pertinent de reproduire certains extraits des témoignages. (Par andréa Lampron)

Brièvement, je dirais qu’un animal ressent aussi de la douleur au même titre qu’un humain, c’est pourquoi il est important de s’informer par rapport aux conditions de vie des animaux dans les fermes d’élevage et par rapport aux conséquences qu’a la consommation de produits d’origine animale sur leur corps. En effet, les animaux que les gens mangent, peu importe leur provenance, ont pour la plupart vécu dans des conditions terribles, ils ont souffert, ils ont été séparés très tôt de leur

mère, ils ont peu d’espace pour bouger, pour se nourrir, etc. Sur le corps, un régime végane a beaucoup d’impacts, comme un regain d’énergie, le fait d’avoir moins de chances d’être atteint d’un cancer, de diabète de type 2 ou d’être obèse. Le régime végétalien a aussi un impact positif sur l’environnement, car l’élevage crée beaucoup de gaz à effet de serre, tout comme il pollue de nombreux cours d’eau. Parfois, il est nécessaire de ne pas juste penser à soi quand l’on fait un choix, car évidem-

ment, manger de la viande peut être bon au goût, mais il y a un animal qui a énormément souffert derrière chaque portion de viande, sans compter les tonnes de CO2 qui ont été produites. Ce que je trouve le plus gratifiant est d’avoir un régime alimentaire et des habitudes de vie qui sont en accord avec mes valeurs et mes principes, que ce soit l’égalité, le respect de tous, l’environnement, etc.

Gabrielle Verret, végane 36

Si j’avais quelques mots à dire à quelqu’un qui possède très peu ou pas de connaissances sur le sujet, je lui dirais qu’il est facile de varier ses habitudes alimentaires sans toutefois devenir végétarien ou végétalien. Définitivement, si l’on veut réussir à sauver la planète, il faut diminuer notre consommation de viande. Réduire sa consommation de produits d’origine animale est donc bénéfique pour l’environnement, les animaux et la santé. Par exemple, il est facile de remplacer la viande hachée par du « haché végé » dans une recette, ou de remplacer le poulet dans un pâté par du tofu. Avec les assaisonnements, je garantis que le goût sera excellent, oui, oui, même si c’est du tofu! Après tout, même la viande ne goûte rien sans assaisonnement! De

plus, on peut aisément remplacer le lait de vache par du lait végétal (soya, amandes, avoine, etc.). Il y a plusieurs variantes délicieuses, notamment du lait végétal au chocolat ou à la vanille. Bref, à peu près tout se remplace par un produit végétal, et ce n’est pas mauvais, contrairement à ce que certains pensent. Les végétariens/liens ne mangent pas seulement du gazon! Plusieurs recettes sont disponibles sur le web ou dans des livres, notamment ceux de La cuisine de Jean-Philippe ou de Végane, mais pas plate! Ce que je trouve le plus gratifiant depuis que j’ai cessé de manger des produits provenant d’animaux, c’est de ne plus avoir un sentiment de culpabilité lorsque je mange. Longtemps, j’ai mangé des produits d’ori-

gine animale sans me soucier vraiment de l’endroit d’où ils venaient ni des conséquences de mon acte, soit la souffrance d’un animal. Un animal décédé pour seulement cinq minutes de mon plaisir gustatif, ce n’est tout simplement pas éthique dans ma tête. Certains me diront que la différence est petite venant de moi seule, mais le mouvement végane est en constante augmentation depuis des années, et c’est ainsi qu’on verra une grande différence dans les prochaines années. Par exemple, on voit déjà que depuis le début des années 2000, le nombre de végétariens et végétaliens est passé de 900 000 à près de 3 millions au Canada.

Marie-Ève Montminy, végétalienne


Crédit photo : Canva

Grâce à Internet, il est possible de trouver des tonnes d’articles sur le véganisme et le végétarisme, en passant des bienfaits de ces modes de vie jusqu’aux trucs afin de faciliter la transition d’un régime carné vers un régime sans viande. Si certains voudraient approfondir davantage leurs connaissances sur le sujet, je recommande le livre Les animaux ne sont pas comestibles de Martin Page, qui m’a beaucoup influencé et qui a confirmé mon choix alors que j’étais encore en période transitoire, ou encore les documentaires Cowspiracy et What the Health, tous deux disponibles

sur Netflix. Bien qu’ils ne soient pas totalement objectifs, comme n’importe quel documentaire d’ailleurs, ils mettent en lumière le revers de la médaille de l’industrie agroalimentaire nord-américaine, notamment l’élevage industriel d’animaux. La terre est indiscutablement la responsabilité de tous et chacun, et j’aime savoir que je fais ma part, aussi infiniment petite soitelle, afin de réduire mon impact sur l’environnement, pour une cause plus grande que moi.

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Marc-Antoine Vibert, végétarien Le véganisme n’est pas une secte, contrairement à certaines croyances! C’est un mouvement, une façon de penser et de vivre, mais en aucun cas ce n’est une obligation. Chacun va à son rythme. Si quelqu’un veut essayer de devenir végétarien ou végane et qu’il n’a pas beaucoup de connaissances au niveau de la nutrition et de la cuisine, je lui conseillerais de consulter un nutritionniste qualifié pour que son alimentation soit équilibrée. Le plus gratifiant pour moi, je crois, c’est de savoir que je ne contribue pas à la souffrance des ani-

Avant de se lancer là-dedans, il faut être sûr de soi et savoir quels suppléments prendre afin de s’assurer d’avoir tous les nutriments essentiels : c’est très important, au risque de subir une carence en fer ou en calcium ou tout simplement de ne pas manger assez. Être végane, ça peut devenir répétitif en ce qui concerne

maux en général. Souvent, je suis découragée par l’ampleur du « lobbying » et de l’industrie de la viande et des sous-produits animaux. Cependant, lorsque je vois que mon mode de vie a une influence positive dans la vie des gens qui m’entourent et qu’ils apportent des changements à leur façon de voir les choses, je sens que j’accomplis quelque chose de bien.

Julie Bouchard Doyon, végane

l’alimentation, mais je suis fière de continuer et d’aimer ça! Je pense que c’est ma constance. Pour rien au monde je ne changerais de mode de vie, je le conseillerais à n’importe qui.

Doriane Clouet, végane


OPINION par Florence Verreault

Plaidoyer pour l’éclatement du travail tel qu’on le connaît

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Crédit photo : Canva

Cette réflexion a grandement été inspirée par les textes de mon collègue Kevin Garneau, publiés dans le dernier numéro en ligne du Verdict, ainsi que par une discussion à laquelle j’ai récemment pris part avec un ancien avocat en droit criminel. Dès que nous entrons au baccalauréat, nous comprenons rapidement que si nous voulons « réussir », nous devrons travailler plus que fort. L’expression « réussir » peut arborer plusieurs significations, mais ici, je l’entends au sens d’avoir du succès dans nos études, et éventuellement dans notre vie professionnelle. Cette notion de réussite est bien évidemment modulable et propre à chacun.e, mais nous sommes tou.

te.s influencé.e.s par une certaine forme de pression extérieure, que nous internalisons très tôt dans notre parcours scolaire. Cette pression se montre sous plusieurs jours. Elle induit notamment une certaine forme de compétition, une peur titanesque de l’échec et une importante dose de stress. Ensuite, après les études vient la vie professionnelle. Bien qu’il existe plusieurs différences entre les études universitaires et le marché du travail, le moule, ainsi que ce qui en découle, reste le même : travailler sans relâche jusqu’à atteindre la prochaine étape. Toutes ces réflexions, autant par rapport à mon expérience que celle de plusieurs personnes de mon entourage, m’ont menée à un constat concernant notre façon de concevoir les études et le travail. Notre modèle actuel de conciliation travail/études avec le reste de notre vie se fonde en grande partie sur un modèle hétéropatriarcal selon lequel l’homme, le pourvoyeur, est celui qui travaille et qui

gagne sa vie, alors que l’autre partie de l’union, la femme, s’occupe de d’organiser et d’effectuer les tâches domestiques, ainsi que de veiller à tout ce qui dépasse le cadre de la vie professionnelle. En effet, comment arriver à travailler 80 heures par semaine, à satisfaire tous nos clients, à avoir une vie familiale et sociale et à travers le tout, à remplir toutes les tâches domestiques nécessaires à notre survie en tant qu’être humain postmoderne? La réponse est simple : se concentrer uniquement sur le travail et avoir quelqu’un à la maison qui se charge de tout le reste. Bien sûr, il s’agit d’une généralisation, mais je crois que ce modèle, qui a certainement guidé la vie de nos grands-parents et de nos arrière-grands-parents, teinte encore aujourd’hui notre conception de la conciliation entre le travail et le reste de notre vie. Ainsi, est-ce normal d’avoir l’impression de ne pas y arriver? Mais au-delà de ça, estce valide de ne pas avoir envie de passer le


reste de notre vie à travailler 18 heures par jour? Est-ce valable de ne pas vouloir être perpétuellement à la course? Est-ce que cela fait de nous un individu paresseux et dépourvu d’ambition? Pour reprendre l’expression empruntée par mon collègue, nous devons repenser le travail. Cela implique que les mentalités doivent évoluer et changer afin d’échapper au cadre hétéropatriarcal sur lequel repose notre conception du travail. Je crois que nous devons non seulement normaliser, mais également promouvoir le temps pour se reposer, pour s’adonner à des loisirs, pour laisser libre cours à notre créativité, pour être avec notre entourage. L’idée selon laquelle le travail doit avoir le rôle le plus important dans notre vie est profondément ancrée dans notre vision du succès. Je soutiens que nous devons collectivement nous en détacher et nous tourner vers un modèle qui, en plus d’être basé sur l’égalité des genres et l’égalité des chances, priorise l’équilibre et la santé mentale. Pour ce faire, il faut poser des questions difficiles et oser défier les convictions, ou du moins les habitudes, de celles et ceux qui nous précèdent dans la profession.

Crédit photo : Canva

C’est à nous, étudiant.e.s d’aujourd’hui et professionnel.le.s de demain, de changer les choses, de se réapproprier le modèle qui nous est imposé depuis notre naissance et de le moduler pour qu’il corresponde à nos valeurs.

(1) Voir le texte de Kevin Garneau intitulé « Les étudiants en droit doivent repenser le travail », publié dans le numéro d’hiver 2021 du Verdict et disponible en ligne à l’adresse suivante : < http://journalleverdict.com/les-etudiants-endroit-doivent-repenser-le-travail>.

ACTUALITÉS

39 par Dominique Gobeil

L’IMPLICATION EN ÉBULLITION Naissance d’un comité en droit de la santé, émergence de clubs d’intérêt, balbutiements d’un groupe pour les mordus de droit public… Les occasions de s’impliquer et de partager ses passions se multiplient au sein de l’Association des étudiants et étudiantes en droit de l’Université Laval (AED) depuis quelque temps. À la dernière Assemblée générale annuelle au début du mois d’avril, la création du Comité du droit de la santé de l’Université Laval a été acceptée par la centaine de membres réunis. Un exécutif a été nommé et travaille déjà à des projets.

Aussi, la refonte des Règlements généraux de l’AED a permis de mettre en place de façon officielle tout récemment les clubs d’intérêt, comme le club d’échecs ayant vu le jour en 2018. Sa forme officielle n’est pas déterminée, mais les étudiants intéressés par le droit constitutionnel et le droit administratif peuvent rejoindre depuis peu le Groupe de droit public de l’Université Laval sur Facebook. Pour l’instant, le but est de rassembler ces adeptes afin de favoriser les échanges et créer un pont entre les étudiants de premier cycle et un futur centre d’études spécialisé à la Faculté de droit, dont le lancement sera annoncé dans les prochains mois. Le professeur Patrick Taillon se montre intéressé à offrir du soutien aux étudiants qui voudront organiser des activités éventuellement. «Tant l’année dernière que cette année, des gens ont manifesté un intérêt pour

former des comités. Forcément, on veut encourager les initiatives étudiantes, cela dit, on doit garder en tête qu’il y a déjà beaucoup de comités en place, explique la vice-présidente aux communications du comité exécutif de l’AED, EugenieLaurence Fafard Drareni. Par le fait même, on ne veut pas qu’un trop grand nombre de comités contraigne les droits des comités déjà en place, en termes de budget ou de dates disponibles pour leurs activités par exemple. C’est déjà difficile d’avoir toujours une bonne participation étudiante.» C’est pourquoi la nouveauté des clubs d’intérêt est bien pratique, poursuit Eugenie-Laurence. «On trouve ça très intéressant. Ce sont des canaux vraiment incroyables pour encourager les initiatives étudiantes sans brimer les comités déjà en place.» Pour lire l’article complet, rendez-vous à journalleverdict.com


ENTREVUE par Julien Léveillé

Hermel Grandmaison, Directeur de l’état civil du Québec

Au-delà des certificats de naissance Chères étudiantes, Chers étudiants, Je m’immisce dans ce numéro ayant pour thème les enjeux régionaux afin d’y publier la troisième entrevue de cette série portant sur la fonction publique québécoise. Comme certains l’auront peut-être deviné grâce à l’indice laissé à la toute fin de mon dernier texte, le sujet du présent article n’est nul autre que le Directeur de l’état civil, M. Hermel Grandmaison. Je profite de cette brève introduction pour le remercier une fois de plus du temps qu’il m’a accordé pour mener cette entrevue, je lui en suis très reconnaissant. Le fruit de notre échange saura assurément vous présenter avec justesse cette institution trop peu connue ainsi que les carrières qu’elle réserve aux futurs juristes que nous sommes, étudiants au baccalauréat en droit.

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Ainsi, commençons par une brève présentation de l’institution qu’est le Directeur de l’état civil. Cette dernière se subdivise en deux principales facettes : l’organisation et l’officier public. Effectivement, M. Grandmaison est l’officier public désigné en vertu des articles du Code civil du Québec régissant les droits et obligations du poste qu’il occupe. L’organisation (portant le même nom que le poste de l’officier public), chapeautée par M. Grandmaison, est celle avec laquelle les citoyens inte-

ragissent, littéralement, toute leur vie durant. Contrairement à la croyance populaire, il n’est pas simplement question de déclarations de naissance et de décès dans le registre sous la supervision de cette institution. En effet, s’ajoutent à ces deux moment clés les mariages et les unions civiles, la liste des célébrants pour ces évènements, et j’en passe. Naturellement, il incombe aussi à l’organisation de produire les actes, copies, attestations et toute autre documentation officielle émanant de

tels événements. En bref, il est évident que cette institution se voit conférer par la loi un très large mandat. Au sujet des moyens technologiques, M. Grandmaison me dit qu’ils ne sont rien de moins que des incontournables lorsqu’on œuvre auprès du public. Le Directeur de l’état civil juge même, selon moi à juste titre, que la pandémie a servi de rappel collectif quant au caractère essentiel du numérique dans notre quotidien. C’est notamment en raison des mesures sanitaires en vigueur


depuis mars 2020 qu’il remarque une nette hausse dans l’adhésion aux services en ligne offerts par l’organe administratif qu’il préside. Mon interlocuteur me confirme que ces mêmes services, plus particulièrement leur pendant technologique, représentent le futur de son organisation, à moyen comme à long terme.

Carrières et stages Est bien vite venu le temps d’étaler les carrières qu’offre un placement au sein du Directeur de l’état civil. Pour ce qui est des avocats et notaires membres de leur ordre professionnel respectif, M. Grandmaison me dit qu’ils sont regroupés dans différentes directions dites des affaires juridiques au sein du ministère duquel le Directeur de l’état civil relève, soit celui du travail, de l’emploi et de la solidarité sociale (MTESS). Autrement, il y a aussi différents agents travaillant directement au sein de l’organisme du Directeur de l’état civil, lesquels sont, pour certains, munis d’une formation en droit comme celle que nous acquérons actuellement au baccalauréat. Ces agents sont la référence tout indiquée à laquelle fait appel le personnel administratif de l’institution lorsqu’il traite les demandes des citoyens et qu’une question relative à la conformité, par exemple, est soulevée. C’est aussi par le biais de ces agents de recherche en droit que les analyses de demandes judiciaires sont effectuées. Comme vous pouvez assurément vous l’imaginer, les diverses procédures intentées devant le tribunal concernant et mettant en cause le Directeur de l’état civil peuvent être nombreuses. Ces agents seront donc appelés à appuyer l’avocat plaideur représentant l’officier public devant la Cour lorsque nécessaire. Soucieux d’assurer une relève de son administration, M. Grandmaison me présente les opportunités d’emploi dirigées aux étudiantes et étudiants de notre baccalauréat. Il souhaite offrir des opportunités enri-

chissantes, valorisantes et complémentaires à la formation promulguée par notre Faculté. Par conséquent, il offre chaque année à certains étudiants la chance de venir travailler avec son équipe à temps plein entre leurs sessions et à temps partiel lors de leurs études et selon leurs disponibilités. La majorité d’entre eux sont justement jumelés aux agents de recherche en droit venant tout juste de vous être présentés. Une telle expérience de travail permet d’acquérir une connaissance approfondie des registres de l’état civil ainsi que des devoirs et obligations impartis par la loi à l’institution du Directeur de l’état civil. Au surplus, avis aux intéressés, l’institution propose également quelques offres de stage destinées aux étudiants de l’École du Barreau du Québec. Finalement, comme je l’ai fait lors des autres entrevues de ce dossier, j’ai demandé à mon interlocuteur s’il avait un conseil à donner aux lecteurs de ce billet eu égard à leur cheminement professionnel. Il me rappelle, avec raison, qu’une formation en droit est un atout indéniable sur le marché du travail, menant à une pluralité de carrières. Par-dessus tout, il conseille aux étudiants d’essayer, au cours de leurs études, divers emplois reliés au droit afin qu’ils en réalisent la très grande portée.

Crédit photo : fournie par M. Hermel Grandmaison

C’est sur ce précieux conseil de M. Grandmaison que se termine cette autre entrevue, partie intégrante de mon dossier sur la fonction publique québécoise. Au plaisir de vous retrouver prochainement, chers lecteurs, pour l’article qui mettra fin à ce projet personnel que j’ai entamé il y a plusieurs mois déjà. En vedette : Me Lucie Fiset, Directrice du financement politique et des affaires juridiques et adjointe au directeur général des élections au sein d’Élections Québec.

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PORTRAIT par Andréa Lampron

ME RENÉ VERRET

De la Couronne à la défense, l’humain reste au centre Oeuvrant depuis 2019 à la défense en droit criminel, Me René Verret poursuit désormais sa carrière chez Boucher, Cabinet d’avocats, où il continue à faire ce qui le passionne depuis le début, soit venir en aide à autrui. Cependant, ce n’est pas sans avoir laissé sa trace comme procureur de la Couronne durant ses 33 années de pratique. Se bâtissant une réputation et une crédibilité sans faille dans le monde juridique en tant que procureur de la Couronne, Me René Verret a le mérite d’avoir réalisé de nombreux exploits. Non seulement est-il réputé pour avoir obtenu un verdict de culpabilité dans le procès de 42 Guy Turcotte, mais son adresse à plaider et à se préparer comme il se doit lui ont permis d’accumuler un historique sans faute en procès pour meurtre, lesquels se sont tous, sans exception, conclus par un verdict de culpabilité.

« C’est vraiment pour le côté humain de la profession, je n’ai aucun regret. » Cette possibilité de bâtir des liens avec les clients, de réussir à construire un climat de confiance et de représenter un espoir de justice pour les victimes auront été des facteurs déterminants concernant le domaine de pratique dans lequel il exerce. Ne regrettant nullement sa décision, pour Me Verret, c’est le contact humain qui l’a charmé, le faisant balancer pour le droit criminel, où la connexion avocat-client est primordiale et mise de l’avant. Bien que ces deux dernières années se soient déroulées du côté de la défense, « je me voyais d’abord représenter des victimes plutôt que des accusés », mentionne Me René Verret. Résultat : il a consacré une grande

partie de sa carrière, ainsi que de sa vie, à promouvoir la justice et à contribuer à la confiance de la société envers le système judiciaire. N’ayant cumulé que des réussites lors des procès pour meurtre, il demeure incontournable de déclarer que le procès de Guy Turcotte, l’un des plus médiatisés de la province, réside comme l’une de ses plus grandes fiertés. « Les attentes étaient très élevées, avec les résultats du premier procès qui avaient été très décevants », avance Me René Verret. Ce qui aura permis de redonner espoir et confiance à la société aura été l’excellente maîtrise du dossier. « La préparation, c’est la clé. Un dossier, il faut le maîtriser sur le bout de ses doigts. Il faut que tu te prépares adéquatement », recommande-t-il. Après une année entière à se préparer, à lire et relire les interrogatoires, les contre-interrogatoires de M. Turcotte, les 7000 pages sténographiques du premier procès, à rencontrer divers témoins et experts, c’est avec soulagement qu’il affirme avoir été capable de donner justice à Mme Gaston, mère des deux victimes. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles,

malgré son retrait de la fonction publique, il ne cesse de pratiquer, c’est parce que subsiste la même passion, celle d’aider, de faire une différence. Fidèle à ses valeurs acquises au cours de ses années à la Couronne, Me René Verret continue à les exercer même s’il recherche dorénavant des verdicts d’acquittement et non plus de culpabilité. L’une des valeurs les plus fondamentales qui persiste toujours est celle de l’honnêteté, qui implique d’être authentique et respectueux, non seulement envers ses collègues, mais aussi envers le juge. « Il faut s’efforcer de bien faire au quotidien ce qu’on a à faire. C’est comme ça que le juge va nous respecter parce qu’il va savoir qu’avec nous, c’est toujours bien fait, c’est toujours correct. » La crédibilité, auprès de ses collègues et des juges, mais surtout aux yeux de la société, est un aspect des plus fondamentaux du domaine. Il importe donc d’adopter un comportement allant dans ce sens puisque « bâtir une carrière, ça prend une vie et


[…] une simple bêtise peut tout détruire », atteste Me René Verret. Également, il demeure fidèle à ses valeurs en distinguant les crimes reprochés, déclinant les demandes de défense pour des infractions en lien avec des enfants, car à la Couronne comme à la défense, lorsqu’un enfant est victime d’un crime, quel qu’il soit, cela heurte une corde sensible. « Ça ne m’intéresse pas, ça ne rentre pas dans mes valeurs. Toutes ces années, j’ai accusé des gens de toutes sortes de crimes à l’égard des enfants, alors je ne me vois pas défendre quelqu’un accusé d’avoir commis ce genre de geste. » Ayant passé plus de trois décennies à plaider à l’occasion de divers dossiers dans lesquels son objectif était de rendre justice aux victimes, il va sans dire que ce n’est certainement pas une valeur, surtout lorsque prônée pendant d’aussi longues années, qui se délaisse avec aisance. De fait, dans sa position actuelle, il apprécie grandement être en mesure de choisir sa clientèle, laquelle étant, chez Boucher, Cabinet d’avocats, centrée particulièrement sur les policiers, les agents de la paix et les hommes d’affaires, soit des citoyens sans dossier criminel. Il s’assure ainsi que chacun des mandats dont il se charge soit en conformité avec ses convictions. Toutefois, il comprend et respecte les avocats, autant ceux d’expérience que les nouveaux pratiquants, qui choisissent cette clientèle, chaque citoyen ayant le droit d’être représenté. Me René Verret est conscient qu’il n’est pas toujours pré-

férable, voire possible, de trier les mandats qui se présentent, particulièrement lorsque nous en sommes à nos débuts. « Ce n’est pas tous les jeunes avocats qui peuvent faire ce choix. Quand on est jeune, ce n’est pas toujours facile de refuser des dossiers parce qu’on commence alors on prend souvent tous les dossiers qui nous sont confiés », affirme-t-il.

Travailler en toute liberté en cabinet Ayant pris sa retraite du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), c’est l’attrait de travailler en toute liberté qui l’a persuadé d’accepter l’offre de Me Boucher de se joindre à son cabinet privé. « Désormais, je choisis mes dossiers, je ne suis pas obligé d’être là à 8h30 – 9h, […] j’ai une liberté que j’adore. » Avec une belle équipe de travail, dans une ambiance des plus agréables et une clientèle bien établie, Me René Verret se sent à sa place, l’accueil ayant été des plus chaleureux. Néanmoins, Me René Verret possède un agenda chargé et à l’occasion, atypique. Entre les rencontres avec ses clients, la préparation de dossiers et les procès, à Québec comme à Montréal, dans son domaine, il arrive que le travail le suive jusqu’à la maison, de soir comme de fin de semaine : «[…] s’il faut le faire, si un client m’appelle le soir, je vais répondre. Les gens m’appellent aussi parfois les fins de semaine ». Comme dans de nombreux domaines d’emploi, la pandémie a, de fait, confron-

té le monde juridique, l’amenant à devoir réviser certaines méthodes de travail. « Le plus bel exemple, c’est de savoir que maintenant on peut, du bureau, faire des présentations dans un dossier et agir dans un dossier sans avoir à tout le temps se déplacer », rapporte Me René Verret. L’année 2020 en aura été une de changements et d’adaptations, et, en l’espèce, pour le mieux. « Maintenant on fait les choses autrement […] Le mois prochain, j’ai une audition à Montréal […] et le juge a accepté que je plaide de mon bureau, à Québec. Comme ça, je sauve beaucoup de temps de déplacement et de frais pour mon client », allègue-t-il. En plus d’être passionné par sa carrière, Me René Verret compte également parmi ses priorités le fait de préserver une bonne santé et de garder un mode de vie sain. Il est l’exemple même qu’être avocat, c’est à la fois donner du temps à ses clients, mais c’est aussi s’en garder pour soi. « L’important pour moi, c’est d’avoir une vie équilibrée. C’est ça le bonheur, avoir un équilibre dans les différentes facettes de nos vies. » Une chose demeure manifeste : la profession d’avocat est exigeante et parfois difficile. Elle demande occasionnellement des sacrifices, mais au final, elle demeure humaine. Existe-t-il un sentiment plus valorisant que de savoir que nous faisons la différence dans la vie d’une personne? Comme le mentionne Me René Verret : « L’important dans la vie, c’est de faire ce qu’on aime alors je continue de faire ce que je fais, parce que j’aime ce que je fais. »

Avocat et enseignant

Crédit photo : Canva

Le charme du contact humain trouvé durant son parcours au baccalauréat, qui l’a poussé à devenir procureur de la Couronne puis avocat de la défense, l’a conduit de la même manière à garder un lien avec les bancs d’école, puisqu’il enseigne depuis 2002 à l’École du Barreau. « J’aime la formation et le soutien aux gens, transmettre toutes les expériences qu’on acquiert avec le temps ». « L’École du Barreau, c’est comme un procès, il faut être prêt quand on arrive aux cours », explique Me René Verret. En ce sens, la préparation préalable aux cours demeure la clé de la réussite, permettant ainsi de se placer dans une position d’apprentissage et de compréhension. L’un de ses conseils est d’assister à des procès lors de ses moments libres. « Les étudiants ne le font pas assez, […] allez voir ce qui se passe dans les salles d’audience », conseille-t-il, car après tout, rien de mieux que du vrai, du concret.

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JURISPRUDENCE par Paul-David Chouinard en appel de la cour d’appel de la terre du milieu Anticonstitutionnellement — Charte des droits — Liberté d’association — Accréditation étudiante— Prescription extinctive — Quantum des dommages-intérêts — Lois fédérales — Responsabilité pour le fait d’autrui — Recevabilité d’un élément matériel de preuve — Détention arbitraire — Lequel des candidats a le plus de chance de remporter Star académie cette année ? — Qui sont les gagnants de la course aux stages ? — Le but d’Alain Côté était-il bon ? — Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 — Code civil du Québec — Code civil du Bas-Canada. Version française du jugement du juge en chef Prof et des juges Timide, Atchoum, Joyeux, Simplet, Dormeur, Grincheux et Blanche-Neige rendu par

La juge Blanche-Neige —

COUR SUPRÊME DU KEBBEK

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Référence : Association des étudiantes et étudiants en droit de l’Université Laval (AED) c. COVID-19, 2021 CSK 123 Appel entendu : 17 octobre 2020 Jugement rendu : 18 avril 2021 Dossier : 12345 Entre : Association des étudiantes et étudiants en droit de l’Université Laval (AED) Appelante et COVID-19 Intimée - et Direction de la santé publique du Québec et Université Laval Intervenants Traduction française officielle Coram : Le juge en chef Prof et les juges Timide, Atchoum, Joyeux, Simplet, Dormeur, Grincheux, Blanche-Neige et La Reine-sorcière. Motifs de jugement : (par. 1 à 35) La juge Blanche-Neige (avec l’accord du juge en chef Prof et des juges Timide, Atchoum, Joyeux, Simplet, Dormeur, Grincheux) Motifs dissidents : (par. 36 à 38) La Reine-sorcière Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Kebbek. Présents : Le juge en chef Prof et les juges Timide, Atchoum, Joyeux, Simplet, Dormeur, Grincheux, Blanche-Neige et La Reine-sorcière.

Introduction [1] L’Association des étudiants en droit de l’Université Laval (AED) est fondée en 1963. Elle se dote d’une constitution en 1967, est accréditée par l’Université en 1975, s’incorpore en 1977 et mange une solide claque sur la gueule en 2020. [2] Nul besoin d’avoir la tête à Justin Trudeau pour comprendre la cause de cette déconfiture. Un virus s’est en effet déployé un peu partout, allant même jusqu’à s’immiscer dans les endroits les plus reculés du globe comme le Saguenay. De « simple enjeu éloigné auquel on ne devrait pas se préoccuper puisqu’il ne touche que la Chine » – discours qui trouve malheureusement trop souvent écho en occident – la COVID-19 est rapidement devenue un fléau planétaire. [3] Chez les étudiants en droit de l’Université Laval, le choc s’est fait de manière brutale. Du jour au lendemain, l’université fermait ses portes, laissant toute sa communauté dans une inquiétude insoutenable digne des plus grands romans dystopiques. [4] Après une période d’adaptation marquée par de nombreux cours virtuels et fichiers PDF – tout dépendant de la volonté de l’enseignant –, les étudiants en sont venus à accepter leur infortune. Certes, ce n’est pas en accolant aux cours des appellations tout aussi diversifiées que vides de sens que les directions d’universités allaient raviver la flamme chez les étudiants. Il ne faut pas se faire de fausses illusions : les cours « comodaux » n’ont de commode que le nom. [5] « Heureux l’étudiant qui, comme la rivière, peut suivre son cours sans quitter son lit » disait Camus, dans son célèbre traité de droit administratif (Albert Camus, L’action gouvernementale 1, Paris, 1947, Éditions Cretons Lafleur, p. 32). Si Camus a souvent puisé son inspiration dans les maladies infectieuses – son roman La Peste en est la preuve éloquente –, il n’aurait certes pas pu imaginer un tel revirement de situation. Les étudiants d’aujourd’hui quitteraient volontiers leur chambre à coucher pour assister à un cours en classe ! [6] Cette trame factuelle nous amène au présent pourvoi. Privés de leurs cours en classe et des multiples activités connexes qui ponctuent la vie universitaire, les étudiants en droit se sont empressés d’intenter des recours à la Cour supérieure du Québec à l’encontre du virus COVID-19. Faisant montre d’un enthousiasme et d’une détermination dignes des plus grands plaideurs quérulents, les juristes en devenir ont eu l’occasion de faire entendre leur cause.


[7] Leurs prétentions, que j’exposerai plus en détail dans l’analyse, ont été regroupées en une seule et même affaire, au grand dam du juge de première instance, qui en avait déjà plein les bras avec une action collective intentée contre la compagnie Coca-Cola en raison de l’absence de cocaïne dans leurs breuvages. La défenderesse, COVID-19, a également fait valoir certaines prétentions à titre de demanderesse reconventionnelle. [8] Le juge Winnie-the-Pooh de la Cour supérieure a tranché en faveur de la défenderesse COVID-19 sur tous les points en litige, jugeant que les étudiants « devraient penser à rattraper leurs lectures dans le cours de droit pénal au lieu d’intenter des recours frivoles ». [9] Le juge Pinocchio de la Cour d’appel a confirmé la décision de première instance : « l’excès de cours en ligne et de petites pilules leur a visiblement fait perdre la tête ». Il ajoute que les futurs juristes font honte à leur plaque d’immatriculation : « La devise “je me souviens” est ternie par le comportement des étudiants en droit. Ces derniers semblent condamnés à répéter les erreurs du passé. »

Historique [10] Il faut dire que l’AED possède un historique jurisprudentiel pour le moins singulier. Une simple recherche sur Wikipédia effectuée par mon auxiliaire juridique, qui a d’ailleurs occupé le poste de vice-président aux affaires socioculturelles de cette même association, a permis de retracer trois décisions dans lesquelles elle a été partie. [11] En 1947, notre Cour a eu l’occasion d’entendre un pourvoi opposant l’Université Laval à Bernadette Bérubé, une résidente de la ville de Québec (Bérubé c. Université Laval, [1947] R.C.S. 420). Lors de la journée d’initiations de l’automne 1946, des étudiants en droit prétendant travailler pour une organisation humanitaire avaient soutiré 50$ à l’appelante Bérubé, alors que les profits avaient finalement été utilisés pour financer leur « brosse à la cabane à sucre » le vendredi suivant. Dans une décision divisée, le juge en chef Donald Duck de la dynastie des Duck avait déclaré l’Université Laval responsable du préjudice causé par ses étudiants à l’appelante. [12] En 1985, la Cour d’appel du Québec avait confirmé une décision de la Cour supérieure ayant refusé d’accorder des droits d’accréditation à l’AED à l’égard des étudiants des cycles supérieurs (Association des étudiantes et étudiants en droit de l’Université Laval (AED) c. Université Laval, 1985 CA 6969). La juge Pocahontas, s’exprimant au nom de la majorité, s’était montrée sensible à l’argument des étudiants inscrits au doctorat en droit. Selon ces derniers, il eut été insensé de cotiser pour l’achat de bières de marque Twisted Tea qui allaient de toute manière finir écrasées sur le front des étudiants du baccalauréat : « Il faut avoir du front tout le tour de la tête pour vouloir nous faire avaler un tel argument ». [13] Plus récemment, à l’issue de la grève étudiante de 2012, un étudiant avait contesté le monopole de l’accréditation de l’AED, affirmant que la cotisation obligatoire était contraire à la liberté d’association prévue au paragraphe 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Voir : (Québec (Procureure général) c. Joe Connaissant, 2015 QCCS 1030). La juge Mulan rejeta en bloc les arguments du demandeur : « la liberté des étudiants s’arrête là où commence celle de l’AED ».

Analyse 1. Législation fédérale (connaissance d’office) [14] L’intimée cite le paragraphe 118.5(3) c) i) de la Loi de l’impôt sur le revenu qui énonce que les frais exigés par les associations étudiantes ne sont pas compris parmi les frais de scolarité d’un particulier. Selon elle, cette disposition plaiderait en sa faveur, puisque de tels frais compromettraient la situation financière déjà précaire des étudiants en droit. [15] Je ne suis pas disposée à accueillir un argument fondé sur une loi fédérale. Le degré de lisibilité de ces lois laisse à désirer. Comme disait le Juge Pic-Bois (dissident) dans l’arrêt Cité

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Crédit photo : «Sports et loisirs», Aristide, vol. 1, n 2, p. 7 de Toronto c. Association des plaideurs quérulents de l’Ontario, [1979] 1 RCS 666, par. 43 : « Chaque fois qu’un auteur cite une loi fédérale, c’est une page qui se tourne ». Je ferai preuve de déférence à l’endroit du législateur en laissant à celui-ci le soin de modifier ses lois pour les rendre plus digestes. Je rejetterais donc l’argument de l’intimée pour cette raison. 2. Recevabilité d’éléments matériels de preuve (art. 2854 C.c.Q.) [16] Devant la Cour supérieure, le président de l’AED a présenté en preuve un plat de salade de nouilles de la marque Le Choix du président en état de décomposition avancée trouvée dans le réfrigérateur du local de l’association au pavillon De Koninck. Selon lui, la salade de nouilles est la preuve vivante (ou grouillante) de la grande détermination des étudiants en droit. Pour reprendre les sages paroles employées par le juge Boudin dans l’arrêt Saucisses c. Banque de Montréal : « Le fait que la salade ait survécu à plus de douze mois de confinement ne peut qu’être la manifestation de la supériorité morale des étudiants par rapport au virus. Comme le dit si bien le regretté professeur Gerry Boulet dans son ouvrage fondateur sur le droit constitutionnel : “Toujours vivant. Je suis celui qui regarde en avant.” Gerry Boulet, Toujours vivant, Montréal, 1988, Les presses de l’école de la vie, p. 3. » [17] Je n’aurais rien d’autre à ajouter sur ce point, si ce n’est qu’il s’agit d’une belle métaphore sur la politique américaine : les choix du président ne sont pas toujours de bon goût! 3. Prescription du recours [18] L’intimée affirme également que le recours de l’appelante est prescrit, puisqu’il s’est écoulé plus de 56 ans depuis que le premier coronavirus infectant l’être humain (la souche B814)


JURISPRUDENCE des ordinateurs, démontrant ainsi la présence du premier élément : l’air. [22] Or, il appert de la preuve que les étudiants prennent la poudre d’escampette dès que les professeurs divisent la classe en sous-groupes. Pour reprendre les mots employés par un étudiant de troisième année dont je tairai le nom : « Les professeurs qui séparent la classe en sous-groupes de discussion, c’est un peu l’équivalent des gros bureaux d’avocats qui recrutent pour la course aux stages : plus ils en parlent, moins ça me donne le goût d’y participer. » Selon l’intimée, ce fait constituerait un motif d’exonération de responsabilité (art. 1478 al. 2 CcQ), les étudiants devant assumer les conséquences de leurs actes.

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Depuis des temps immémoriaux, les étudiants en droit éprouvent des maux de toutes sortes.Crédit photo : Aristide, vol. 1, no 2, 1974. a été découvert. La médiocrité de l’argument de l’intimée est d’une grandeur équivalente au mépris que j’éprouve à son endroit. L’intimée semble avoir du mal à distinguer le coronavirus de la maladie qu’il cause. La COVID-19 n’a touché le Québec qu’au début de l’année 2020. Il s’est donc écoulé moins de 3 ans (art. 2925 C.c.Q.) depuis qu’un premier étudiant en droit a été atteint par la maladie, causant, à la surprise générale, l’annulation du cours Détermination de la peine et pénologie, qui sera par la suite renommé Détermination de la quarantaine et épidémiologie. [19] Par ailleurs, l’intimée semble visiblement confondre les termes procrastination et prescription. Certes, les étudiants cumulent beaucoup de retard dans leur lecture du JCO (Maxime Bernier et Éric Duhaime, Jurisprudence commentée sur la procrastination, 12e édition, 2017). Toutefois, ce serait, il me semble, les sous-estimer grandement que de présumer leur manque de connaissances en matière de prescription instinctive. 4. COVID-19 est-elle responsable du préjudice causé à l’appelante ? [20] Pour établir la responsabilité de COVID-19, l’appelante doit s’acquitter de son fardeau de preuve en démontrant la présence des quatre éléments : l’air, l’eau, la terre et le feu (Avatar, « la responsabilité civile : les quatre éléments », 5 Les Cahiers du doua (2010) 9-11). La question est complexe et mérite d’être analysée plus en profondeur. [21] Selon l’appelante, l’arrivée de la COVID-19 aurait miné le moral des étudiants, le taux de participation durant les cours en ligne étant anormalement faible. En effet, les étudiants qui répondent aux questions seraient devenus une denrée rare, au même titre que les selles du pape. Le silence accompagnant les questions des professeurs ne serait comblé que par le bruit du ventilateur

[24] Ce motif d’exonération ne peut trouver application en l’espèce. Il serait déraisonnable, à mon humble avis, d’imputer aux étudiants leur manque de motivation en raison des cours en ligne. L’image que l’on se fait des études en droit est aux antipodes de la situation vécue par les étudiants. Jadis, une légende relatait que ceux-ci dormaient avec leur Code civil. Cette affirmation ne pourrait être plus éloignée de réalité : les étudiants ne dorment tout simplement pas!

[25] Les étudiants ont par ailleurs invoqué plusieurs arguments en lien avec la violation de la Charte des droits et libertés. L’intimée a rétorqué en affirmant qu’aucun droit prévu à la Charte canadienne ne garantissait le droit de recevoir des cours en présentiel. Selon elle, le législateur n’avait pas prévu donner une portée aussi large à la Charte au moment de son édiction. Un tel changement nécessiterait une modification constitutionnelle selon une procédure formelle. [26] L’intimée navigue en eaux troubles en invoquant les procédures de modifications constitutionnelles. Il est relativement simple de trouver un prétexte pour modifier la constitution. Comment la modifier ? Ça, c’est une autre histoire! Il serait bien mal avisé, pour reprendre les termes employés par un célèbre professeur de droit constitutionnel, « de jeter le bébé royal avec l’eau du bain ». Ces métaphores permettent de dégager la présence d’un second élément : l’eau. [27] J’analyserai maintenant le troisième élément constitutif, soit la terre. L’appelante fait valoir un argument « terre à terre » en soutenant que la COVID-19 a contribué à l’éclosion de différentes théories du complot qui ont nui à la crédibilité de la noble profession d’avocat. [28] Tout d’abord, la profession d’avocat est tout sauf « noble » et comporte son lot de « vices cachés ». Comme le dit le grand juriste congolais Toni Lokadi dans son récent traité sur le droit d’auteur : « Aime ton avocat comme ta mère, car il est le seul avec elle à pouvoir te défendre sans te croire » (Toni Lokadi, Le meilleur ami du juriste, 2020). [29] Néanmoins, ayant exercé la profession d’avocate pendant plus de 20 ans, j’éprouve une certaine sensibilité à l’égard des


prétentions de l’appelant. N’en déplaise aux adeptes de la libarté avec un grand « a », les théories du complot s’avèrent problématiques au sein de notre société. Je serais disposée à reconnaître la présence du troisième élément pour cette raison. [30] Finalement, les étudiants témoignent avoir perdu la flamme qui les animait avant l’arrivée de la pandémie. Les activités festives ne sont plus l’ombre de ce qu’elles étaient. Le Bal masqué ne peut, hélas, plus être chanté au karaoké. Le Barreau est le seul bar qui réussit encore à subsister grâce aux étudiants. Ces faits militent manifestement tous en faveur du dernier élément de la responsabilité, soit le feu. 5. Détention arbitraire (art. 9, Charte canadienne des droits et libertés) [31] L’autre enjeu sur lequel porte le présent pourvoi concerne l’arrestation musclée d’étudiants membres de l’AED à la sortie d’un bar situé sur l’avenue Grande Allée à Québec le 25 avril 2019. D’après la preuve soumise en première instance, les policiers auraient « donné des beignes » aux étudiants, sans aucune justification. Ces derniers se seraient défendus tant bien que mal, d’où leur arrestation pour entrave au travail d’un agent de la paix. Les étudiants ont été détenus et interrogés pendant trois heures avant d’être libérés sous condition de comparaître devant le juge. Selon les agents de la paix présents au poste de police à ce moment, les étudiants ont tenté de s’évader à plusieurs reprises en sciant les barreaux de leur cellule avec des résidus de canettes de bière. [32] Les étudiants en droit ont affirmé lors de leur témoignage en Cour avoir subi un grave préjudice, leur casier judiciaire ayant justifié le rejet de leur demande à l’école du Barreau par le comité d’accès à la profession : « Pendant que nos collègues avocats se targuaient “d’avoir passé à travers le Barreau” sur les réseaux sociaux, nous, malfrats, essayions de trouver un moyen de “passer à travers les barreaux” de notre cellule ».

[33] Le juge de la Cour supérieure a reconnu qu’il s’agissait en l’espèce d’une détention arbitraire en violation de l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés, mais que celle-ci était justifiée au regard de l’article premier, pour des raisons de sécurité publique. La Cour d’appel du Québec, sous la plume du juge Pinocchio, a confirmé la décision de première instance. [34] Malgré tout le respect que j’ai pour mon confrère Pinocchio, qui ne pourra malheureusement jamais être nommé juge à la Cour suprême en raison de ses allégeances au Bloc Pot, je ne peux me résoudre à accepter ses conclusions en lien avec les faits de l’affaire. En effet, il semble avoir mal saisi la portée de l’expression « donner des beignes » qui, selon lui, renverrait au fait de donner des gifles. Or, en adoptant une interprétation téléologique (N.W.A, Fuck Tha Police, Los Angeles, 1988, Éditions Yvon Bien, p. 17), le mot « beigne » revêt une signification tout autre. Il désigne en fait les pâtisseries vendues au Tim Horton qu’affectionnent particulièrement les agents de la paix. [35] Pour cette raison, je suis d’avis que le jugement de la Cour d’appel était entaché d’une erreur grave. De plus, l’atteinte à l’article 9 n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte. À titre de dommages-intérêts, je condamne les policiers à payer 15 pichets de bière IPA aux étudiants en droit lors de la réouverture des bars, pour accentuer l’amertume causée par une cuisante défaite en Cour suprême.

La Reine-sorcière — [36] Je me ferai brève, étant bien consciente qu’il n’est pas dans les habitudes des étudiants en droit de lire les dissidences de la Cour suprême, surtout lorsque la décision comporte plus de deux pages. [37] Je ne suis pas d’accord sur le fond avec les juges majoritaires. [38] Pour ces motifs, et sans aucune déférence pour l’opinion de mes collègues, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Rare photo de la Cour suprême du Kebbec présentant le juge en chef Prof et les juges Joyeux, Reine-Sorcière, Simplet, BlancheNeige, Grincheux, Timide, Dormeur et Atchoum. Crédit photo : Droit ULaval — Memes, mémés, mèmes et autres photos drôles

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