Le Verdict | novembre - décembre 2020

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NOVEMBRE — DÉCEMBRE 2020 JOURNAL DES ÉTUDIANTS EN DROIT UNIVERSITÉ LAVAL

ARTS ET CULTURE

CINÉMA, DROIT D’AUTEUR, PODCASTS, MUSIQUE, LECTURE, THÉÂTRE, POÉSIE


SOMMAIRE

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ARTS ET CULTURE

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Les échos de la rédaction

Réaliser au féminin avec l’ONF Simone Pilote

6

L’art des droits Francesca Lefebvre

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Le podcast, arme utile à la décolonisation de notre imaginaire Marc-Antoine Bolduc

10

L’art d’apprendre ou apprendre par l’art : un débat pédagogique perpétuel? Jordan Mayer 12 L’art de se rebeller, un livre à la fois Kevin Garneau

14

Projet pilote Troupe de théâtre Côté Cour

16

Obligatio in solidum Jordan Mayer

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Gaston Miron, poète militant Samuel Z. Castonguay

20

Dominique Gobeil Chronique politique Comité sociopolitique

Le soutien de l’Association des étudiants et étudiantes en droit de l’Université Laval rend possible la production de ce numéro

42

La Faculté d’hier à aujourd’hui Paul-David Chouinard

44

Horoscope Marc.opti

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Chronique automobile Patrick Baghdisar

50

Projet observation William Bolduc

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Réflexion Shawn Foster

Énumération contemporaine Gabriel Boivin

4

54

56

22

«Trop blanche» pour être autochtone, «trop autochtone» pour être blanche Alexane Picard

58

Une belle journée pour mettre le feu Dominique Gobeil

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33

Dominique Gobeil

App store : un 30% litigieux Patrick Baghdisar

Rédactrice en chef

33

Réforme des Règlements généraux : clarté et éthique Dominique Gobeil

Paul-David Chouinard 34

Directeur des finances

Les gestionnaires des organisations publiques en réaction à la COVID-19 Erik Fall

Patrick Baghdisar Directeur marketing

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Un nouveau chef au PQ : entrevue avec un militant Samuel Z. Castonguay

38

Florence Verreault Éditrice principale

Samuel Z. Castonguay

POÉSIE Haïkus

Directeur de l’information

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Collectif

Kevin Garneau Webmestre

24

Le cauchemar éveillé Valérie Rivest

27

Andréa Lampron

Sinistre Dextre John Doe

Représentante de 1re année

28

La voilà Filyo du Chemin d’Éden 30

Graphiste : Gabrielle Gobeil

Photo à la une : Patrick Baghdisar

Nous joindre : leverdict.redaction @gmail.com


ÉCHOS

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par Dominique Gobeil Rédactrice en en chef

Couleurs d’automne Soucieux de ne pas laisser le gris de novembre s’installer dans le coeur de ses lecteurs, Le Verdict prolonge les couleurs de l’automne dans ce nouveau numéro, où les arts et la culture sont à l’honneur. Ce secteur était déjà fragile économiquement, et les mesures sanitaires ne l’ont pas aidé. Pourtant, livres, films et autres oeuvres sont plus que jamais essentielles pour dérider notre quotidien en ces temps de confinement. On le perçoit bien à travers le texte de Marc-André Bolduc sur les podcasts et celui de notre webmestre Kevin Garneau sur la lecture. À côté de ces hommages à la culture, on retrouve aussi des articles plus factuels sur la place des femmes au cinéma et le droit d’auteur, signés respectivement Simone Pilote et Francesca Lefebvre.

cun à leur façon, notre directeur de l’information Samuel Z. Castonguay et Gabriel Boivin explorent le travail d’un poète québécois marquant de cette période effervescente.

Le Verdict est aussi particulièrement fier d’avoir éveillé la fibre créative de ses collaborateurs. Pour s’évader, rien de mieux qu’une nouvelle de Jordan Mayer ou un extrait comique fourni par la Troupe de théâtre des étudiants en droit Côté Cour. Pour conclure ce dossier, mais surtout ouvrir notre riche section Poésie, deux textes se replongent en octobre 70. Cha-

Après des articles d’actualités où technologies, refonte réglementaire, COVID-19 et politique québécoise s’imposent, la section Chroniques devrait plaire à tous les goûts. Le Comité sociopolitique de l’Université Laval collabore pour nous offrir son point de vue sur la politique américaine. Notre directeur des finances Paul-David Chouinard nous offre une deuxième

Crédit photo : Patrick Baghdisar

Qui dit automne dit temps de la chasse. En guise de gibier, les amateurs du Verdict ont plutôt rapporté des haïkus au bercail. Ces courts poèmes japonais célébrant le caractère éphémère de la vie ont su inspirer des écrits bien variés. Ils précèdent trois poèmes plus longs, en espérant que cette section pourra vous changer de la doctrine pendant longtemps.

partie de ses recherches dans les archives de la Faculté de droit, cette fois sur une note festive. Si l’avenir vous semble incertain, ne manquez pas les prédictions de Marc.opti. Votre horoscope ne vous aura probablement jamais fait autant sourire. Toujours passionné par les automobiles, notre directeur marketing Patrick Baghdisar roule ses mots sur le terrain des véhicules électriques. C’est d’ailleurs le créateur derrière plusieurs lumineuses photographies parsemées à travers ce numéro. À défaut de pouvoir prendre l’avion, William Bolduc nous partage ses impressions juridiques et autres du Japon. Enfin, Shawn Foster nous partage ses réflexions philosophiques sur la responsabilité civile. Pour conclure, deux témoignages capteront peut-être votre attention, dont un de l’auteure de ces lignes. Pour sa part, Alexane Picard est plus que pertinente en abordant la question de l’identité autochtone. Vous remarquerez qu’il n’y a pas encore de sortie papier prévue pour cette édition. Le Verdict vous sondera à ce sujet dans les prochains jours. Votre avis sera essentiel pour la pérennité de cette publication. Audi alteram partem!


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DOSSIER ARTS ET CULTURE

Crédit photo : Canva


DOSSIER

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par Simone Pilote Collaboratrice bénévole

RÉALISER AU FÉMININ AVEC L’ONF Encore aujourd’hui, il est rare que les institutions culturelles financent à part égale les projets musicaux, littéraires et filmographiques des hommes et des femmes. Les hommes raflent souvent la majorité des subventions octroyées. Parmi ces institutions, l’Office national du film (ONF) fait figure d’exception, et pour les bonnes raisons!

En 2016, son président, Claude Joli-Coeur, qui se définit comme un allié de la cause féministe, a eu le courage de prendre un engagement fort pour la parité, celui d’affecter d’ici 201 950 % de son budget de production aux films réalisés par des femmes et de s’assurer que la moitié de ses productions seraient signées par des réalisatrices. En mars 2017, M. JoliCoeur a poussé encore plus loin cet engagement, avec un objectif de 50 % de femmes au sein des postes clés de création pour les projets en production en 2020 à l’ONF. Chose dite, chose faite, l’ONF a atteint ses objectifs pour la parité hommes-femmes tant pour le nombre de productions que pour les budgets de production, quatre ans après son engagement initial. Pour l’année 2019-2020, 46 % des œuvres ont été réalisées par des femmes et 44 % des budgets de production ont été alloués à des œuvres signées par des femmes. Pour ce qui est de l’engagement concernant les postes clés de création, 61 % des œuvres ont été scénarisées par des femmes et 55 % des œuvres ont été montées par des femmes. «Je veux rendre hommage aux créatrices de tous les horizons qui apportent leur talent et leur vision à l’ONF. Même s’il reste encore du travail à abattre, ces derniers résultats montrent bien ce qu’on arrive à faire avec des efforts et de la détermination», soutient avec conviction Claude Joli-Cœur, au cours d’un entretien téléphonique. M. Joli-Cœur note par ailleurs une transformation importante depuis les quatre dernières années. D’autres institutions semblent suivre la tendance amorcée par son équipe. «Au départ, les organisations ne voulaient pas trop prendre des orientations afin de favoriser une égalité hommesfemmes. Aujourd’hui, elles n’ont tout simplement plus le choix de suivre le mouvement», souligne le président de l’ONF. En décembre 2018, le Conseil de la radiodiffusion et des télécom-


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Crédit photo : Canva

munications canadiennes (CRTC) a organisé le Sommet des femmes en production, qui visait justement à accroître l’accès de ces dernières aux rôles clés en télévision et au cinéma. Les radiodiffuseurs qui y ont participé, dont TVA, Rogers, RadioCanada et Bell Média, ont fait une entente : celle d’atteindre, en 2025, la parité. Cet objectif démontre qu’il reste du chemin à faire pour atteindre la parité. La présence des femmes dans le milieu de la culture et des arts ne s’impose pas par simple souci cosmétique ou numérique, mais parce que leur vision, leur contribution et leurs compétences comptent vraiment. «Les perspectives féminines représentent une voix différente et c’est ce qui est riche pour le milieu», mentionne M. Joli-Cœur. Il suffit de penser à l’une des plus éminentes réalisatrices autochtones du monde, Alanis Obomsawin. Son œuvre extraordinaire comprend plus de cinquante films, comme Les événements de Resti-

gouche et Kanehsatake – 270 ans de résistance, et elle tourne encore. La cinéaste abénaquis se montre comme une figure de proue pour les femmes en cinéma. Son œuvre complète est disponible sur le site internet de l’ONF. Par ailleurs, le 15 octobre dernier, l’artiste multidisciplinaire a remporté le prix Glenn-Gould. Ce prix est remis tous les deux ans à une personne vivante afin de souligner l’ensemble d’une contribution ayant enrichi la condition humaine par les arts. «La preuve, il suffit de voir le nombre de prix gagnés par des femmes», répond Claude Joli-Cœur lorsqu’il fait face à des critiques sur le choix de ses orientations. Faut-il une loi pour assurer la représentation paritaire entre les hommes et les femmes dans le milieu des arts de la culture? La pression est au rendez-vous. L’égalité entre les femmes et les hommes est un principe consacré en droit canadien et québécois dans nos chartes des droits et libertés respectives. Le Québec s’est aussi

déclaré lié par décret à la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes, adoptée par l’Organisation des Nations unies. La parité fait l’objet d’un débat social permanent. Certains invoquent l’argument du «talent» lorsque des mesures contraignantes (quotas ou autres) sont prises pour avantager les femmes. Mais au-delà de la question du talent (les femmes en ont tout autant), il s’agit d’une question d’égalité de fait. Les femmes comptent pour 50 % de la population et elles ont longtemps été défavorisées dans l’accès à l’éducation et aux formations artistiques. Il incombe aux organisations culturelles de prendre les mesures pour assurer une meilleure représentativité des femmes. L’auteure de ces lignes salue donc les efforts réalisés par l’ONF. La route est longue vers la parité, mais le chemin semble parsemé de petites victoires.


DOSSIER

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par Francesca Lefebvre Collaboratrice bénévole

L’ART DES DROITS Historique et objectif de la protection

disposition du public dans un pays signataire ou (ii) pour une œuvre architecturale, si elle se trouve dans un pays signataire.

Quoi de mieux pour rédiger Au Canada, le droit d’auteur est de compétence fédérale, suivant l’article cet article sur les arts et la Deux spécifications importantes 91 (23) de la Loi constitutionnelle de doivent être apportées, soit ce qu’est culture qu’écouter un peu de 1867 (1), et est régi par la Loi sur le un «pays signataire» et ce qu’est «une droit d’auteur (2). Cette loi est assez œuvre publiée». Dans le premier cas, musique (ça fera changement complète, protégeant pratiquement il s’agit d’un pays partie à une des des cours en ligne!)? Je trouve tout ce qui peut être créé par un ar- conventions ou traité suivants, soit la tiste, dans tous les sens possibles : à Convention de Berne (3), la Convenassez surprenant qu’il existe son article 2, on retrouve les défini- tion universelle (4) ou le Traité de des millions de chansons, à tions pour les termes «artiste-inter- l’ODA (traité de l’Organisation monprète», «livre», «œuvre architectu- diale de la propriété intellectuelle) (5), peu près toutes différentes les rale», «œuvre artistique», «œuvre ou un pays membre de l’OMC (Orgachorégraphique» et plusieurs autres! nisation mondiale du commerce) (6). unes des autres. Même chose L’article 3 définit l’objet du droit d’au- Ensuite, tel que rapporté par Le guide pour les films, séries télévisées, teur, soit que seul le titulaire de ce du droit d’auteur, «[l]e terme publicadroit peut, dépendamment des cas, tion désigne la mise à la disposition peintures, pièces de théâtre, produire ou reproduire une partie de du public d’exemplaires d’une œuvre; livres et j’en passe! À quoi l’œuvre ou sa totalité, la transformer, l’édification d’une œuvre architecla distribuer, etc. turale […] et l’incorporation d’une devons-nous cette éternelle œuvre artistique à une œuvre archicréativité de l’esprit humain? La Obtention du droit pour tecturale» (7). Il est aussi possible d’étendre la protection conférée par protection que procure le droit l’œuvre et son auteur le droit d’auteur à un pays non signad’auteur y est certainement D’abord, il faut que l’œuvre en taire si le ministre publie un avis dans question puisse être protégée. la Gazette du Canada (8). pour quelque chose : empêchés Cela est possible, suivant l’article 5 Ensuite, qui est le titulaire du de copier, les artistes en tout (1), de trois façons différentes : droit? Suivant l’article 13 (1), le droit genre n’ont d’autre choix que • Pour «toute œuvre publiée ou appartient à son auteur. Par contre, de continuer de créer. Ce droit non», lorsque «l’auteur était, à la une œuvre réalisée dans le contexte date de [la création de l’œuvre], d’un emploi pourra être la propriété gagne donc à être connu, du citoyen, sujet ou résident habituel de l’employeur et non du véritable auteur «à moins de stipulation d’un pays signataire»; moins autant que les œuvres contraire». En ce qui concerne les auxquelles il donne vie d’une • Pour les œuvres cinématogra- articles «ou une autre contribuse retrouvent les mêmes tion», c’est l’inverse, c’est-à-dire certaine façon. Je tiens toutefois phiques, critères que ceux énoncés pré- que l’auteur qui est titulaire du droit à vous informer qu’il s’agit cédemment, mais en remplaçant peut choisir ou non de laisser son «l’auteur» par «le producteur» employeur ou le périodique auquel ici des lignes directrices de et en ajoutant le «siège social» il compte contribuer bénéficier de comme possibilité d’appartenance son travail. base sur le droit d’auteur et au pays signataire; elles ne s’appliquent donc Cession • Finalement, traitant du cas d’une pas spécifiquement à tous les œuvre publiée, si (i) une quantité sufLe droit d’auteur est cessible domaines de la même façon. fisante de cette œuvre est mise à la «en totalité ou en partie, d’une fa-


9 çon générale ou avec des restrictions […] pour la durée complète ou partielle de la protection» (art. 13, par. 4). En outre, cette cession ne sera valide que si elle est écrite et signée par le titulaire du droit ou «par son agent dûment autorisé» (9). De plus, les droits cedés sont reconnus comme étant cedés avec les droits d’actions possibles, afin de permettre au cessionnaire de se défendre si jamais son droit est violé (art. 13, par. 6). Finalement, un droit cédé reviendra aux représentants légaux de l’auteur vingt-cinq ans après son décès, ce qui empêche le cessionnaire d’être titulaire à jamais du droit qui lui a été cédé, tel que l’indique l’article 14, paragraphe 1 de la loi. Ainsi, «la réversibilité du droit d’auteur […] est dévolue, à la mort de l’auteur, nonobstant tout arrangement contraire, à ses représentants légaux […]; toute stipulation conclue par lui concernant la disposition d’un tel droit de réversibilité est nulle» (10).

Durée de la protection À la base, le droit d’auteur est valide durant toute la durée de vie du titulaire du droit et prend fin à «la cinquantième année suivant celle de son décès» (11). Or, différentes dispositions s’appliquent selon la connaissance de l’auteur – les auteurs pouvant utiliser des pseudonymes ou rester anonymes – ainsi que sa publication. Dans le cas d’une œuvre anonyme non publiée, le droit s’éteint à la fin de la 75e année civile (12) après la date de création; si l’œuvre est publiée avant la fin des 75 ans, elle profitera d’un 75 ans supplémentaire depuis la date de publication ou jusqu’à ce qu’elle atteigne cent ans depuis sa création (13). Autre exception : si l’identité de l’auteur est révélée durant la protection, ce sera la protection de base (soit toute sa vie puis les 50 premières années suivant son décès) qui deviendra applicable (14). S’il y a une pluralité d’auteurs inconnus, c’est le même principe (15). Par contre, si l’un ou plusieurs des coauteurs deviennent connus, la règle de base s’applique et le droit expire 50 ans après le décès du dernier auteur connu (16).

En ce qui concerne les œuvres cinématographiques, suivant l’article 11.1, leur droit survit durant les 70 premières années suivant la création de l’œuvre, à laquelle peut s’additionner une protection de 75 ans suivant la date de publication lorsque l’œuvre est publiée ou jusqu’à ce qu’elle atteigne cent ans depuis sa création. Finalement, même la Couronne possède une protection pour ses œuvres! Toute œuvre «préparé[e] ou publié[e] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement» lui appartiendra, à moins d’une stipulation contraire avec l’auteur et elle conservera son droit jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant sa première publication (17).

Succès après le décès Encore une fois, on s’intéresse beaucoup aux œuvres publiées, mais qu’en est-il de celles qui restent dans l’ombre et dont l’auteur décède? L’article 7 de la loi explique que depuis son entrée en vigueur (soit 1985), l’œuvre, qu’elle soit ou non publiée, reste protégée suivant trois cas différents. Tout d’abord, si l’œuvre a été présentée publiquement avant l’entrée en vigueur de l’article, elle reste protégée durant les cinquante années suivant cette première publication. Le deuxième cas de figure est similaire, à condition toutefois que le décès de l’auteur soit «survenu au cours des cinquante années précédant l’entrée en vigueur». Finalement, une œuvre qui est ou non publiée après l’entrée en vigueur de l’article ne sera protégée que pour une période supplémentaire de cinq ans si le décès de l’auteur date de plus de cinquante ans avant l’entrée en vigueur. Après toutes ces recherches, il n’est pas étonnant que les œuvres fleurissent toujours autant : une protection aussi accrue pour tous et même après le décès des créateurs, ne peut que permettre de stimuler la créativité de n’importe qui, même des cerveaux les plus monotones! N’hésitez pas à créer, chers amis juristes, il s’agit certainement d’un excellent remède contre cette pandémie!

Notes (1) 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.). (2) LRC 1985, c. C-42. (3) Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, (1979). (4) Convention universelle sur le droit d’auteur, (1952). (5) Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, (1996). (6) Loi sur le droit d’auteur, préc., note 2, art. 2. (7) Le guide du droit d’auteur, https :// www.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/h_wr02 281.html (8) Loi sur le droit d’auteur, préc., note 2, art. 5 (2). (9) Id., art. 13 (4). (10) Id., art. 14 (1). (11) Id., art. 6. (12) Loi sur le droit d’auteur, préc., note 2. (13) Loi sur le droit d’auteur, préc., note 2, art. 6.1. (14) Id., art. 6.1 (2). (15) Id., art. 6.2 (1). (16) Id., art. 6.2 (2). (17) Id., art. 12.


DOSSIER

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par Marc-Antoine Bolduc Collaborateur bénévole

LE PODCAST, ARME UTILE À LA DÉCOLONISATION DE NOTRE IMAGINAIRE Indéniablement, il se passe quelque chose actuellement.

des idées. Ils sont désinhibés et connectés, en toute simplicité, à la réalité du voisin d’en bas et de celui d’à côté.

Je n’ai pas la prétention de me proclamer sociologue, psychologue ou quelconquologue, mais comme vous, j’appartiens à la communauté humaine et, depuis quelques mois, les idées se bousculent un peu plus violemment qu’auparavant.

C’est souvent à coup de «J’ai entendu dans un podcast» que les idées s’échangent désormais et ce dialogue, bien que fréquemment basé sur des sources anecdotiques, reste pertinent pour brasser la cage de notre imaginaire et le décoloniser au fil de remises en question saines et assumées.

Les communautés s’indignent, se soulèvent et s’élèvent. Peu à peu, on entend les opprimés parler d’oppression, les personnes racisées parler de racisme, on entend des idées.

Pas assez vite, mais bien assez tard, on entend une volonté de sortir du joug de l’hétéronormativité, de sortir de la culture de la pelouse parfaite pour sauver les abeilles des pesticides, de sortir de la culture du corps parfait, de sortir de la culture du travail, de sortir de la culture old school de la séduction et entrer dans une conception saine, positive et égalitaire des rôles et des rapports sociaux, naturels et sexuels. En parallèle, nos écouteurs deviennent peu à peu l’extension naturelle de nos oreilles et nous accompagnent dans les tâches machinales du quotidien. La consommation de la culture passe désormais beaucoup par ces engins. À travers toute l’offre culturelle «auditive», j’identifie le podcast comme un phénomène incontournable, comme une arme dorénavant utile à la décolonisation de notre imaginaire. Le monde change et il change vite. Les discours devraient en faire autant et prendre part à la course. Les podcasts sont un entrainement parfait pour le cardio

«J’ai entendu dans un podcast» permet de parler politique, de parler engagement social, de parler sexualité positive, de parler d’environnement, d’éducation et d’art. «J’ai entendu dans un podcast» donne envie de le redire et donc d’entretenir une curiosité, au fil des semaines, et d’explorer des thématiques particulièrement éloignées de nos champs d’intérêt habituels. Je.suis.un.fan. En effet, je suis convaincu que pour trouver des solutions aux nombreux problèmes qui nous affectent actuellement, nous sommes destinés à revoir nos idées, nos croyances, nos désirs, nos rêves et nos aspirations. Quand les experts parlent de «décolonisation de l’imaginaire», ils


11 expriment, avec précision, cette nécessité de penser différemment. Est-ce cynique de penser que l’idée d’une retraite en 2060 passée paisiblement sous le soleil de la Californie, au rythme auquel ce pauvre État brûle actuellement, relève de l’utopie? Certes, nos rêves et nos ambitions sont le produit de la culture à laquelle nous appartenons, mais je crois qu’il est grand temps d’actualiser ces référents culturels avant de se prendre un coup en plein visage. Pour ce faire, les idées créatives, concrètes et visiblement réalistes du commun des mortels, véhiculées à travers les podcasts, m’apparaissent souvent inspirantes.

Des coups de coeur québécois Elles parlent

Quel plaisir que d’entendre des gens, connectés à ce qu’ils font, être invités à prendre la parole au sein d’un média nouveau et décomplexé. Les vraies choses sont dites, qu’elles plaisent ou non, et chacun est libre d’en faire ce qu’il veut, ce qui est génial tant que cela permet d’amorcer une réflexion. Je me surprends, au quotidien, dire, penser ou changer un comportement à la lumière de ce qu’un podcast m’a récemment appris. Trop souvent, j’ai cette impression d’évoluer dans une bulle de personnes, intéressantes certes, mais qui partage un même champ d’études, les mêmes référents sociaux, les mêmes connaissances. Cet état des choses est rassurant et nécessaire, mais parfois pas assez orienté vers la réelle complexité du monde auquel nous appartenons. Particulièrement, il est, dans le contexte actuel, difficile de rencontrer sans cesse de nouvelles personnes et d’avoir des discussions innovantes. Ainsi, le podcast vient quelque peu compenser ce manque de stimulation. Il empêche la curiosité de se nécroser.

Sans filtre podcast Nous ne sommes pas seuls

Entendre des éducatrices en CPE, des nutritionnistes, des sœurs augustines, des personnes immigrantes, des drag queens ou toutes sortes d’autres artistes et acteurs sociaux prendre la parole me permet de rester alerte à la diversité. À mon avis, c’est en diversifiant nos modes de pensée que l’on peut aborder la décolonisation de notre imaginaire sans grande violence, mais plutôt à coup d’alternatives bien réfléchies qui nous attachent un peu plus justement à notre époque. Il s’agit bien là de transformer le deuil en mouvement et de rivaliser d’ingéniosité pour se créer de nouvelles opportunités.

Le comité des idées dangereuses


DOSSIER

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par Jordan Mayer Collaborateur bénévole

L’ART D’APPRENDRE OU APPRENDRE PAR L’ART : UN DÉBAT PÉDAGOGIQUE PERPÉTUEL? La réforme ou «renouveau» pédagogique a été un sujet longtemps débattu aux débuts des années 2000. Partant d’un système scolaire majoritairement axé sur les connaissances académiques, les instances de l’éducation décident de revoir l’apprentissage scolaire sous l’angle de «compétences». Le programme scolaire québécois classique est réorchestré afin de laisser plus de place aux matières dites essentielles au détriment des matières plus secondaires, dont les arts (1).

Suivant les années 2000, peu de changements sont apportés au programme scolaire. Le cours de Monde contemporain s’est vu recomposé pour inclure des notions d’économie. Plus récemment, une réforme du cours d’Éthique et culture religieuse est mise de l’avant par le gouvernement. Mais qu’en est-il aujourd’hui? Est-ce que ce modèle des «compétences» a fait ses preuves? Malheureusement, cette approche est peut-être à revisiter et sa réelle portée est incertaine. Est-ce que la clé de la réponse se trouve dans le fait de redonner aux matières plus secondaires leurs lettres de noblesse? Au courant de cette réflexion, j’aborderai la question de la place qu’occupe la musique en milieu scolaire.

Bienfaits de la musique La musique, bien qu’encore certains persistent à nier ses bienfaits, permet l’amélioration d’une multitude de facettes chez un

individu, dont l’attention, l’inhibition, la mémoire et les aptitudes langagières pour ne nommer que celles-là (2). Des études tendent à démontrer que plusieurs aspects de la musique sollicitent les deux hémisphères de notre cerveau : le côté droit analyse la hauteur et la fréquence des notes ainsi que le rythme, tandis que le côté gauche coordonne les mouvements permettant de jouer d’un instrument. Également, plusieurs autres composantes du cerveau entrent en scène lors de l’écoute ou de la prestation musicale (3). Autrement dit, lorsqu’un musicien pratique, son cerveau est le maître d’orchestre d’une véritable symphonie synaptique!

Fausses notes du système de l’éducation Comme souligné précédemment, la réforme des années 2000 fait passer le système scolaire québécois d’une évaluation stricte des connaissances à celles des compétences. Le programme de formation scolaire québécois vise ainsi le


13 développement de compétences disciplinaires (touchant à des matières précises) et transversales (touchant à une étendue de compétences pluridisciplinaires). Il est paradoxal et étonnant de constater que des priorités telles le «rehaussement culturel» et la bonification des heures «[d’] enseigne[ment] des matières essentielles» comme le français et l’histoire aillent de pair dans la réforme pédagogique (4). Y a-t-il dissonance? Maintenant, serait-ce pertinent de laisser plus de place aux arts si elles permettent de réelles avancées dans les matières «essentielles» comme le mentionne le programme? Une étude met en lumière les réels effets bénéfiques de combiner la musique et l’écriture pour l’apprentissage de l’orthographe, par exemple (5). L’idée serait peut-être envisageable, considérant que les résultats en français des élèves québécois ont même diminué depuis que plus d’heures de cette matière sont ajoutées au programme (6). L’apprentissage des matières essentielles combinée aux matières secondaires serait, selon moi, joindre l’utile à l’agréable. Ce serait une sorte de compromis, une nuance aux extrémités.

Difficile structuration des programmes d’arts en milieu scolaire Actuellement, plusieurs problèmes sont rencontrés par les disciplines artistiques en milieu scolaire. Le programme scolaire québécois est généralement imprécis sur les conditions d’enseignement de la musique, notamment. Aussi, un amalgame de disciplines artistiques (danse, musique, art dramatique et art plastique) et si peu de temps d’enseignement ne favorisent pas la continuité dans l’apprentissage d’une discipline, ce qui rend l’élève souvent mal outillé pour l’atteinte des compétences propres au cours suivi (7). Et ce, c’est sans oublier que les arts sont essentiels à l’obtention du diplôme d’études secondaires…

Décrochage scolaire Finalement, la sphère politique s’est peu manifestée pour réformer le domaine de l’éducation récemment. La campagne électorale provinciale de 2018 a été évocatrice sur ce point, les partis politiques nous comparant à nos voisins ontariens afin de proposer des mesures ponctuelles, tout en faisant silence sur un changement de fond (8). Pourtant, bien que les chiffres en termes de décrochage scolaire aient été mis à jour en faveur du Québec, le portrait est loin d’être enchanteur (9). Serait-ce le temps d’amorcer une réflexion plus profonde sur la question? Le fond de la réforme des années 2000 n’est pas que mauvais, mais celle-ci pourrait être adaptée selon les études qui font maintenant preuve en la matière. Elle pourrait faire place à plus d’harmonie.

Adaptations covidiennes Peu de temps avant la rentrée automnale, plusieurs associations composées de musiciens et d’enseignants envoyaient un cri d’alarme au ministre de l’Éducation JeanFrançois Roberge afin qu’il envoie un message clair pour le maintien de la musique au programme scolaire. Actuellement, la décision de garder ou non la musique au programme est entre les mains des directions d’école, et certaines semblent supprimer les cours sans consulter les parties intéressées. Les associations demandent une certaine uniformisation des consignes entre la Direction de la santé publique, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et le ministère de la l’Éducation «pour permettre une reprise harmonieuse, réaliste et égalitaire de l’enseignement musical». Espérons que ce ne soit pas un chant du cygne mais bien la transition vers un nouveau mouvement (10).

Et pour l’avenir? Comme enfants issus nousmêmes de la réforme pédagogique des années 2000, notre génération aura certainement pour mandat futur sa modernisation. Chose certaine, une nouvelle réforme du programme

scolaire québécois portera probablement une partie de sa réflexion sur la présence des arts au sein des institutions scolaires. Je pense qu’il est possible de mettre au diapason les matières essentielles et secondaires. D’ici là, j’aime penser que nous choisirons comme société de rendre plus structurée et accessible cette formation si enrichissante.

«La musique, c’est du bruit qui pense.» — Victor Hugo Notes (1) Gérard GUIMONT, «La réforme de l’éducation et le renouveau pédagogique au Québec  : les faits saillants», (2009) 22-3 Pédagogie Collégiale 29‑34. (2) Jonathan BOLDUC, «Oui, faire de la musique aide les enfants à apprendre», La Presse, sect. Débats (2 mars 2020). (3) Michel ROCHON, «Le «cerveau musical» », Le Soleil (14 octobre 2018). (4) Préc., note 1. (5) Véronique GABOURY, Natalie LAVOIE, Andrée LESSARD et Jonathan BOLDUC, «Combiner musique et écriture pour l’apprentissage de l’orthographe», (2015) 56 Lang. Prat. 23‑32. (6) «Une étude met en lumière les ratés de la réforme scolaire», Radio-Canada (4 février 2015). (7) Émile CORRIVEAU, «Programmes scolaires - La musique, une fausse note à l’école ?», Le Devoir, sect. Société (14 novembre 2009). (8) Daphnée DION-VIENS, «Les partis livrent leurs solutions au décrochage scolaire», TVA Nouvelles (4 septembre 2018). (9) Francis VAILLES, «Bonnes et mauvaises nouvelles sur le décrochage», La Presse, sect. Éducation (24 janvier 2020). (10) Philippe PAPINEAU, ««Un message fort» demandé pour le maintien des cours de musique», Le Devoir (7 juillet 2020).


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par Kevin Garneau Webmestre

L’ART DE SE REBELLER, UN LIVRE À LA FOIS J’ai le fantasme de voir un professeur qui, une semaine, plutôt que d’inonder ses étudiants de lectures de droit déciderait de donner un roman à lire. Plus encore (c’est mon fantasme ici, j’en fais ce que je veux), il déciderait d’aborder l’œuvre avec ses étudiants pour le plaisir. Bref, j’aimerais voir un professeur aller à contrecourant et appliquer quelques-unes des recommandations du célèbre essai Comme un roman de Daniel Pennac (1). «Notre savoir, notre scolarité, notre carrière, notre vie sociale sont une chose. Notre intimité de lecteur, notre culture en sont une autre. Il est bien et bon de fabriquer des bacheliers […], la société en redemande, cela ne se discute pas… mais combien plus essentiel d’ouvrir à tous les pages de tous les livres.» (2) En tenant compte du fait que l’activité de lire pour le plaisir aide à réduire le stress (alors que la détresse psychologique des étudiants est une problématique majeure et répandue (3) et les solutions au problème trop individuelles), à augmenter les connaissances, à développer le vocabulaire et les habiletés écrites en plus d’améliorer la concentration (4) dans notre monde où l’on donne notre concentration au GAFA, ce fantasme n’est pas qu’une chimère. Si l’on ajoute aux faits qu’elle développe l’autonomie de réflexion, l’indépendance d’esprit, nos intérêts personnels et qu’elle peut nous amener à prendre des décisions importantes pour nos vies et nos carrières. On peut commencer à argumenter que ça devient vital.

Est-ce qu’il y aurait un réel désavantage à prendre une semaine, en groupe, pour permettre à l’humain de se construire dans le lieu par excellence pour s’y faire, l’université? «On est sans doute un peu plus «humain», entendons par là un peu plus solidaire de l’espèce (un peu moins «fauve») après avoir lu Tchekov qu’avant». (5) Il faudrait vraiment revaloriser la lecture, qui est sacralisée dans notre société, mais qui, vraisemblablement, est quasi inexistante. En abandonnant la lecture, on met en veilleuse notre capacité à ressentir et nos capacités de réfléchir, de se poser des questions, de critiquer et d’analyser. C’est une partie de notre humanité qui en souffre. Mettre de côté la lecture, ce n’est pas propre au droit. Lors du long confinement du printemps dernier, à l’époque où la tendance était à faire son propre pain, quelqu’un a entendu parler de lecture? Si peu, à mon avis. Pourtant, plusieurs remettaient en question leur façon de vivre, de consommer, d’entrer

en contact avec les autres. Les livres ont des suggestions. Justement, j’aurais un ou deux livres à vous recommander (6)! La lecture est devenue un acte de résistance. Un étudiant en droit qui lit un roman plutôt que de se perdre dans les centaines de pages de doctrine ne peut qu’être un rebelle qui résiste aux contingences. Un insoumis dans notre monde du «je n’ai pas le temps» où le danger d’être englouti par le marché de l’attention, qui nous dicte nos façons d’occuper notre temps et nos façons de penser, est bien réel. En attendant de voir ce fantasme d’un professeur qui écarte doctrine et jurisprudence au profit d’un livre, je vais espérer croiser de plus en plus d’étudiant(e)s prendre le temps de lire un bouquin bien installé dans le De Koninck lorsqu’on y retournera un de ces jours. Je vais surtout souhaiter que le Cercle des juristes disparus de la Faculté de droit Ulaval prenne l’essor qu’il mérite et qu’on se retrouve tous autour d’un livre, peut-être même à discuter ce savoureux essai sur la


15 lecture remplie de perles de Pennac, l’un de ces quatre. Si vous me croisez, demandezmoi ce que je lis, question de me rappeler qu’il y a tout aussi important que les lectures scolaires et de m’encourager à ne pas délaisser la richesse qu’est la lecture.

Notes (1) Pennac, D., (1992), Comme un roman, Gallimard. (2) Id. (3) Couzon, N. La détresse psychologique des étudiants universitaires. Réseau d’information pour la réussite éducative. http ://rire.ctreq.qc.ca/2019/02/la-detresse-psychologique-des-etudiants-universitaires/ (4) Winter-Hébert, L. 10 Benefits of Reading : Why You Should Read Every Day. UC Santa Barbara Geography. https :// geog.ucsb.edu/10-benefits-of-readingwhy-you-should-read-every-day/ (5) Préc., note 1. (6) Walden de David Henry Thoreau et Into the Wild de Jon Krakauer pour ne nommer que deux ouvrages que j’ai retrouvés dans ma liste de livres.

Envie de lire?

La section littérature québécoise du Cercle des juristes disparus (groupe à intégrer sur Facebook) commence la lecture du roman Le deuxième mari, de Larry Tremblay. Une première réunion du cercle de lecture a pu se concrétiser avant l’entrée de la zone rouge cet automne, avec le roman Sports et divertissements de Jean-Philippe Baril Guérard. Tous ceux intéressés à se changer les idées peuvent se joindre au groupe, dans l’optique de discuter du prochain roman à la fin de la session! (PAR LE VERDICT)

Crédit photo : Canva


DOSSIER

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par Côté Cour La Troupe de théâtre des étudiants en droit

PROJET PiLOTE À défaut de monter une pièce, la Troupe de théâtre des étudiants en droit Côté Cour prend d’assaut les réunions Zoom pour des performances déjantées. Dans une mise en scène virtuelle, la présidente Doriane Bolduc et la vice-présidente aux finances Dominique Gobeil incarnent deux jeunes femmes nouvellement admises comme observatrices à la Faculté de droit. Pénélope Tremblay (alias Peanut) et Agathe Charest (alias Aguiche) font partie d’un projet spécial ayant pour but de rendre la sphère juridique plus accessible aux individus de tous horizons. Qui sont ces deux énergumènes qui font fi de toute convention sociale? Leurs drôles de manières cacheraient-elles une critique absurde? Aguiche et Peanut vous présentent leurs délires dans ce dialogue (qui ne reproduit malheureusement pas leur joli accent). Elles vous invitent aussi à libérer votre alter ego, comme un moyen d’évasion à votre quotidien covidien ou une ultime expression de vos désirs malmenés. Scène 1 : Aguiche et Peanut sont dans la chambre de la première. AGUICHE : Peanut, penses-tu que j’ai mis assez d’eye-liner? Mon cours de Contrats commence dans deux minutes. PEANUT : Hum, tu devrais peut-être en mettre plus, vu que t’es la seule cocotte qui ouvre sa caméra. Le prof mérite de voir une œuvre d’art! AGUICHE : Ouan mais en même temps, j’veux garder du contenu exclusif pour notre compte OnlyFun. On dirait que c’est pas fair si on fait payer les gens pour nous voir, mais qu’ils peuvent nous voir gratis dans les cours! PEANUT : T’as ben raison Aguiche, spa vrai qu’ils vont en profiter sans payer ma session! C’t’une honte si on a pas plus de vues qu’une capsule enre-

gistrée sur le fly pour des premières années!

prescription de Concerta chez Jean Coutu.

AGUICHE : Surtout que c’est pas facile de payer notre loyer en Basse-Ville depuis que Legault a fermé le bar où tu travaillais. Ça fait quoi de si pire une zone rouge? C’tait déjà le Moulin rouge dans place!

AGUICHE : T’as tellement raison, je manque full de concentration ces temps-ci.

PEANUT : Ouan en plus on respectait full la distanciation genre. J’avais même arrêté de lancer toute mon linge su’é clients ! AGUICHE : J’aimais ben ça aller te voir en fin de shift. Je me faisais payer plus de verres qu’à la Diss, pis personne mettait de drogue dedans! C’est drôle pareil. Je pensais qu’on était dans une Faculté de droit, pas de pharmacie... PEANUT : Ouan, mais c’tait quand même pratique de pas avoir besoin d’aller chercher sa

PEANUT : Parlant de tsa, ton cours est pas commencé? AGUICHE : Ah de la marde, je vais faire pitié sur le forum tantôt pour avoir des notes. J’peux être ben ben attendrissante quand je veux! Chaque fois que je parle de ce que je vivais en famille d’accueil, les gens veulent m’aider, j’sais pas pourquoi. PEANUT : Tu devrais essayer ça dans tes entrevues pour la course aux stages, j’suis sure ça va marcher! AGUICHE : Je pensais qu’il fallait mettre un beau décolleté pis sourire aux associés?


17 peut se divertir sur le groupe de memes en attendant de rire avec nos chummes en vrai… PEANUT : Nenon, ça c’est juste pour les cocktails. AGUICHE : Mais y’a pu de cocktail. PEANUT : Oui, mais y’a des conférences sur l’heure du midi. AGUICHE : J’ai de la misère à me connecter à mes cours, comment j’suis censée me connecter avec des avocats? Pourquoi on a voulu aller en droit déjà? PEANUT : Parce qu’on veut mettre les crottés en prison pis poursuivre la DPJ pour nous avoir paqueté chez des gens louches! AGUICHE : Maudit que j’ai hâte. Je me peux pu! T’es vraiment bonne pour me remettre sur le piton. PEANUT : J’vais toujours être là pour peser sur ton piton voyons! AGUICHE : T’es fine. Je rêve qu’un gars me dise ça un jour. PEANUT : Parlant de ça, t’as-tu entendu les derniers potins? AGUICHE : Hein, non??? PEANUT : Parait qu’un petit intello du bac s’est pogné une petite bollée à Sainte-Foy pis qu’ils se datent à la bibliothèque! AGUICHE : Ben là, y’ont fait comment avec la zone rouge? PEANUT : J’sais pas, ça prend ben des étudiants en droit pour pas respecter les lois… AGUICHE : Maudite chanceuse. Y’en a des plus rapides que d’autres... PEANUT : Ouin… Sont pas peureux! Au moins nous autres, on

AGUICHE : C’est presque pas croyable c’te potin-là. Entre ça, pis recevoir un courriel du Père Noël parce que j’ai pas été sage cette année, j’sais pas ce qui est le plus probable. PEANUT : Mais comme… t’as pas vu le message du Père Noël? AGUICHE : Peanut, arrête de niaiser. La folle nous l’a dit quand on avait trois ans, en nous crachant sa fumée de cigarette dans face, que le Père Noël existe pas. Je m’en rappelle comme si c’était hier, à c’t’heure l’odeur est synonyme de rêves brisés. PEANUT : J’te le juuure! Y disait qu’il fallait choisir nos cours comme un chevreuil en voyage interstellaire. AGUICHE : Voyons Peanut, ça fait pas de sens ce que tu dis, t’es sure que c’était pas un poème pour le Verdict? PEANUT : Ou ben c’était que la saison de la chasse finit plus tard cette année? Je m’en rappelle pu trop… AGUICHE : J’espère que tu te souviens de tes cours plus que ça, parce que les examens arrivent bientôt! PEANUT : Ah, tant que la Fac me kick pas out, ma cote me stresse pas plus que ça! AGUICHE : Oui, mais oublie pas que nous, on est juste là pour faire de belles stats dans leur rapport annuel pour obtenir des subventions, on a pas des parents riches pour nous backer avec des «dons»... PEANUT : T’es ben plate.

AGUICHE : Pantoute, je porte du D. PEANUT : Arrête donc de te vanter! Ça pourrait être ça ta note sinon hahaha! AGUICHE : Ouan, les dildos vibrent pas haut icitte! PEANUT : Je manque de batterie. AGUICHE : Ben là pauvre chouette, t’aurais dû le dire avant! Je t’aurais donné du pep! La lubrification de la santé mentale est aussi importante que le maintien de la flore vaginale, ma chère. PEANUT : C’est profond ça, Aguiche. AGUICHE : J’aime ça de même. PEANUT : On va-tu se faire un thé? Noir.


DOSSIER

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par Jordan Mayer Collaborateur bénévole

OBLIGATIO IN SOLIDUM Il s’avance vers l’édifice gris et maussade par ce temps nuageux. La haute tour, tout de béton armé, donne l’impression de se cambrer vers le ciel tant elle n’en finit plus de monter. Des étages y sont ajoutés régulièrement, tant et si bien que l’on se demande parfois si les fondations en sont toujours intactes. Huit entre finalement dans le hall d’entrée. Les employés s’affairent déjà dans les escaliers, en gardant une distance sécuritaire entre eux, afin de gagner leur bureau vers les nuages. Le sien n’est pas particulièrement haut, au rezde-chaussée pour être juste, dans le corridor derrière le comptoir d’accueil. Mais avant d’y passer retourner vaquer à ses occupations, il a une réunion avec son département. L’un des plus anciens, anachroniques et révolutionnaires à la fois, de toute la compagnie. Lorsqu’il fait irruption dans la salle de conférence, les

autres se retournent brièvement pour le saluer, tous à leur manière. Un, l’architecte, examine un plan comme à son habitude. Sept, le cinéphile, regarde son écran, tandis que Deux, le sculpteur, retourne frénétiquement une petite figurine de son cru entre ses mains et la modèle inlassablement. Quatre, le musicien, a les yeux fermés et ses écouteurs bien positionnés laissent présager qu’il est en pleine écoute. Trois, le peintre, griffonne sur une feuille de papier une figure abstraite en attendant le début de la journée, tout comme Neuf. Mais ce dernier, le bédéiste, ajoute des bulles et du texte à ses personnages. Six, le comédien, semble réciter un texte en prenant des poses théâtrales senties. Dix, le créateur multimédia, tape frénétiquement sur son clavier son prochain projet.

C’est à ce moment que Cinq ouvre la porte discrètement, dépose un plateau sur la table et prend la première chaise à sa portée. Six a tôt fait de s’écrier, en se levant et en se campant sur ses deux pieds : «C’est un roc! … c’est un pic! … c’est un cap! Que dis-je, it’s LIT! Il se pointe enfin le bout du nez!» Le principal intéressé rétorque, d’une voix affirmée, à l’accent soutenu : «Tu sais fort bien que je n’apprécie guère cette boutade, très cher! Vous dénaturez l’essence même de votre pièce. À vrai dire, mon retard s’explique par le café que je vous ai tous apporté.» Le souvent-en-avance-sur-sontemps, c’est Cinq, le littéraire. «Bien, le compte est bon cette fois-ci», reprend Un, en faisant la moue. Comme je le disais, le patron nous a convoqués en urgence au vu de notre dernier rapport financier… désastreux. Il faut couper de nouveau, se réinventer.»

Et depuis quelques temps, la réalité a tôt fait de le rattraper, comme tout le monde. Les arts ont la vie dure ces temps-ci.

La phrase reste en suspens plusieurs longues secondes avant de s’évanouir. Quatre tambourine sur la table sans trop se soucier de ce qui se passe. Depuis que la musique est offerte en continu, il peut en profiter au max. C’est bien moins compliqué que d’acheter tout plein d’albums, et c’est plus rentable finalement. Beaucoup plus vite à consommer aussi. La vitesse n’est pertinente que lorsqu’elle est comparée à son absence, c’est-à-dire à la lenteur improductive.

«Bon, je crois que l’on peut commencer, tout le monde est là, annonce Un en levant les yeux de son plan. Ah non, il manque…»

«Cinq pourrait travailler pour moi, tranche Six. Il serait plus utile à écrire des textes qui peuvent se matérialiser sur scène, ça rapporte plus. Et Deux aussi, tant qu’à y

Et lui, Huit, et bien il est ce que l’on appelle les arts médiatiques. Il traite en général de la réalité, à quelques fictions près.


19 être. On voit que ses statues sont toujours aussi aimées…» «Et puis quoi encore! s’exclame Sept. Ils se rendraient beaucoup plus utiles sous ma supervision. Avec moi, notre offre de services culturels est assurée! Il faut seulement revoir notre image de marque, travailler ensemble, être plus attractifs. Il en va de notre industrie. — Cesse de te passer en revue des films, Sept, répond Cinq. Tu sais très bien que Neuf, Dix et toi n’êtes pas à plaindre depuis que vous avez rentabilisé votre industrie. Je vous pose la question, moi : est-ce l’essentiel? Les départements des normes, des valeurs et des traditions ne s’en sortent pas trop mal, après tout. Et les langues aussi, au surplus. Ils évoluent, comme nous devrions le faire. — Et ils s’expriment par nous, je te signale! répond derechef Six. Sans nous, Culture inc. serait probablement stagnante.» Entretemps, Quatre s’est levé de sa place et enjolive les graphiques présents au tableau du bout de la table. Malgré son talent, il n’arrive que partiellement à cacher la courbe descendante censée représenter l’état du département dans la société actuelle. Huit écoute la conversation depuis le début, sans grand enthousiasme. Une cacophonie emplit la pièce, à présent. Il ne sait plus très bien qui se réclame de prendre exemple sur le département des techniques ou encore sur celui des sciences. Ces derniers savent comment rentabiliser l’entreprise : Culture inc. continue de rayonner grâce à eux. Le département des croyances est prometteur également à sa façon. Il est en montée vertigineuse depuis peu. Un croise le regard de Huit, à la recherche d’une solution. Le premier n’a pas été épargné avec les années. Le patrimoine immobilier dont il est si fier s’affaisse, et il peine à le relever. On dirait qu’il y a un désintérêt pour son art. C’est difficile d’être apatride en son propre pays.

Huit se décide enfin de p re n d re la parole : « Éco u tezmoi!» Et puisque personne ne l’entend, il hausse le ton : «Ça suffit!» Le silence se fait de nouveau dans la petite troupe. Ça fonctionne souvent comme ça dans leur département. Une période d’accalmie est suivie d’une d’effervescence; le cycle se répète tout en étant différent à chaque génération, à chaque époque. «Arrêtons d’avoir des visées technocrates, commence-t-il. Notre raison d’être est la création. Créons pour nous, pour nos pairs, pour le public, pour la communauté. C’est ensemble que l’on peut espérer exister pleinement. Pas séparément. Et pas seulement comme industrie ou production. C’est de notre identité dont on parle ici.» Huit prend une inspiration contrôlée. Ses comparses l’écoutent. Une nouvelle intuition créative semble naître chez les arts. Une qui pourrait durer, longtemps sûrement, si l’on se donne la peine de l’écouter. «Hier, j’ai rencontré un jeune employé du département des valeurs. Prometteur, le nouveau. Il vient d’une autre entreprise que la nôtre, mais il a suffisamment d’expérience pour être de confiance. Il en a vu passer, des épreuves. Je crois qu’il nous est familier en quelque sorte. Mais pardessus tout, et c’est ce qui a retenu mon attention, il a des idées.» Le groupe écoute toujours, un regain d’espoir manifeste visible dans le regard. Ils pourraient voir loin, comme toujours, mais sans se heurter à ce mur si épais du présent, du présentiel à distance, qui les sépare plutôt que les rapprocher. Ils peuvent espérer de nouveau

mener la culture à la prospérité, et de la prospérité qui en découle à la culture. Les arts permettent cette ubiquité solitaire. «— Et quel est son nom? s’enquiert Quatre, intéressé par le propos, les écouteurs désormais sur la table. — C’est simple , répond Huit.» Avec l’impression qu’un nouveau chapitre commence dans leur histoire, qu’ils peuvent inventer un nouveau monde, entre la réalité et la fiction, il dit : «Solidarité.»


DOSSIER

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par Samuel Z. Castonguay Directeur de l’information

GASTON MIRON, POÈTE MILITANT

«L’œuvre du poème, dans ce moment de réappropriation consciente, est de s’affirmer solidaire dans l’identité. L’affirmation de soi, dans la lutte du poème, est la réponse à la situation qui dissocie, qui sépare le dehors et le dedans. Le poème refait l’homme.» (1) — Gaston Miron, Notes sur le non-poème et le poème

L’homme rapaillé, livre emblématique de l’œuvre de Gaston Miron, paraît en avril 1970 (2). Son auteur, poète à l’esprit sagace et au verbe fécond, s’érige néanmoins tel un phare éclairant les horizons politique et culturel avant même l’année de publication de son recueil, année charnière de l’histoire du Québec lors de laquelle effervescence intellectuelle et violence civile s’enchevêtrent et s’entrechoquent, tissant cette espèce de toile, d’imbroglio social et politique quasi allégorique de l’identité nationale québécoise. Mais la singularité entourant le personnage repose à bien des égards sur l’immensité et la richesse de son legs. Comment un poète aux écrits si peu abondants a-t-il pu imprégner ainsi la culture, à la fois l’oxygène que respire la nation et le poumon qui lui permet d’exister? Il est vain d’entreprendre de répondre à cette interrogation sans contempler le militantisme, le travail d’édition et la poésie de Miron, divers versants caractéristiques mais non dichotomiques d’un même homme. Miron, c’est l’écrivain prodige, le poète amoureux, mais c’est aussi le militant fougueux, l’homme engagé. Il cofonde en 1953 – avec Gilles Carle, Mathilde Ganzini, Olivier Marchand, Jean-Claude Rinfret et Louis Portugais – l’Hexagone, une

maison d’édition emblématique de la culture et du patrimoine littéraire québécois. Artisanale sous sa forme embryonnaire, l’Hexagone devient rapidement vectrice d’une poésie nationale, farouchement indépendante de la poésie canadienne-anglaise bien qu’héritière de celle qui naît autrefois outremer (3) en France, berceau de la francophonie, pareillement dénommée «l’Hexagone» du fait de sa réalité géographique. François Dumont, professeur au département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval, met adroitement en exergue cette étroite relation entre la poésie hexagonale et la genèse de la littérature de la patrie : «L’histoire de l’Hexagone est donc capitale dans le processus constitutif d’une littérature nationale au Québec. Une relation nouvelle entre littérature et "société nationale" s’est d’abord difficilement créée, relation ayant ceci de neuf que l’autonomisation de la littérature s’y réconciliait avec l’autonomisation de la nation : la littérature québécoise pouvait, enfin, à la fois être une forme et être fondée. L’espace était positivement nommé : une cosmogonie collective avait eu lieu, au moins dans l’imaginaire. L’intertexte national n’était plus seulement folklorique, il était aussi littéraire, et il appelait une suite...» (4)


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Gaston Miron a terminé ses études en tant que frère André. Il a finalement quitté la vie religieuse vers 1947. Crédit photo : Wiki Commons

L’Hexagone se veut ainsi le remède à la carence pathologique en littérature commune qui précède sa naissance, le porte-voix de l’idéal national que convoite Miron et pour lequel il milite. Nul ne peut l’exprimer avec autant d’à-propos que l’auteur lui-même : «C’est en poussant jusqu’à ses conséquences logiques mon socialisme, et par les études d’analyse sur notre société, que je concevais maintenant l’indépendance non plus seulement sur les plans de l’ontologie et du langage, mais sur le plan politique. […] Mon engagement devait se traduire par des gestes de pair avec mon action en littérature et en édition […].» (5) La plume de Miron – poèmes comme essais – et son travail d’édition forment certes l’emblème tangible et concrète de son très vaste héritage à la culture, voire à la société québécoise, mais jamais ils ne font cavalier seul, sempiternellement flanqués de l’action politique de celui qui la manie. En 1967, il joint sa voix à celle d’un bon nombre de personnalités en se portant à la défense de Pierre Vallières et Charles Gagnon, prisonniers politiques québécois détenus à New York à la suite

d’une manifestation pacifique devant l’édifice des Nations Unies (6).

Notes

Peu après, en mai 1968, il organise, avec Pauline Julien, le spectacle Chansons et poèmes de la résistance, événement s’inscrivant dans la même lignée de défense des prisonniers politiques (7).

(1) MIRON, Gaston. L’homme rapaillé, Montréal, Typo, 1998, p. 134.

En 1970, avec d’autres grands noms de la littérature du Québec, comme Michèle Lalonde, Denis Vanier, Claude Gaudreau et Gérald Godin, il prend part à la mémorable Nuit de la poésie, dont il est l’un des principaux architectes. Quelques mois plus tard, il est arbitrairement arrêté et inexplicablement jeté en prison lors de la tristement célèbre crise d’Octobre. D’autres artistes, comme la chanteuse et autrice Julien et son compatriote poète Godin, sont également détenus en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, proclamée par le Parlement fédéral dans la nuit du 16 octobre (8). Là ne sont que les batailles les plus notables et documentées que mène Miron parallèlement à son travail d’écriture et d’édition. C’est cet amalgame hétérogène mais fluide et cohérent regroupant action, politique et littérature qui explique comment cet homme de lettres aux débuts modestes et silencieux est parvenu à bâtir la légende du fils de Sainte-Agathe-des-Monts, dans les Laurentides, celui à qui l’on attribue sans s’y méprendre le titre de poète national du Québec. La culture est immanente à l’harmonie sociale. Sans elle, le vivre-ensemble est chimérique et illusoire, voué à se noyer sous le déversement d’un trop-plein d’êtres épars et désemparés, dénués de points d’ancrage communs. Les rapports entre l’individu et la culture sont ainsi foncièrement réciproques; la culture nationale, façonnée par les citoyens qui composent la patrie, les façonne de même. La dualité sans aspérités de la personnalité du doux combattant est évocatrice de l’impact retentissant que Gaston Miron lègue à la langue, à la culture québécoise et à la nation qui en jouit. De là sourd toute sa force.

(2) ROBERTO, Eugene. «Gaston Miron», L’Encyclopédie canadienne, 10 février 2008, texte mis à jour par Daniel Baird le 4 mars 2015, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/gaston-miron (Consulté le 19 octobre 2020). (3) DUMONT, François. «L’Hexagone et la nationalisation de la poésie québécoise», Voix et images, 15 (1), p. 94, https ://doi.org/10.7202/200 819ar. (4) Id., p. 101. (5) G. MIRON, préc., note 1, p. 202. (6) WARREN, Jean-Philippe. «À la défense des prisonniers politiques québécois : Autour du Comité d’aide au Groupe Vallières-Gagnon. Bulletin d’histoire politique, 19 (2), p. 55, https :// doi.org/10.7202/1 054 890ar. (7) Id., p. 56. (8) RADIO-CANADA. «La Loi sur les mesures de guerre, 40 ans plus tard», Radio-Canada, 16 octobre 2010, https ://ici. radio-canada.ca/nouvelle/490 462/octobre1970-loi (Consulté le 20 octobre 2020).


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par Gabriel Boivin Collaborateur bénévole

ÉNUMÉRATION CONTEMPORAINE Le mois de mars 2020 ne marquait pas seulement le début d’une période trouble de l’humanité. Le 27 mars marquait également les cinquante ans de la Nuit de la poésie au théâtre Gesù à Montréal. Cet événement historique réunit environ 150 poètes, dont Gaston Miron, Michèle Lalonde, Gérald Godin, Claude Gauvreau, Roland Giguère, Pauline Julien et Raoul Duguay, qui présentent leurs créations devant 5000 spectateurs. Si vous désirez vous replonger dans cette effervescence artistique, n’hésitez pas à consulter le film de Jean-Claude Labrecque et Jean-Pierre Masse, disponible gratuitement sur le site de l’Office national du film (www.onf.ca/). Afin de replonger dans l’histoire tout en restant dans l’actualité, je me suis permis de revisiter le poème que Gérald Godin récite ce soir-là.


les coquerelles de Facebook le frotti-frotta des mains savonneuses les zigonneux des semonces sanitaires les Tarzans de l’immunité

POÉSIE

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les écrapoutis du karaoké l’étuvage de l’épicerie les odéons dépeuplés les abouchements virtuels les plorines du complot les savates de nos gouvernements la puanterie des morgues trop remplies les trop nombreux sourires masqués les éhontés de la libarté le frotti-frotta des mains savonneuses, encore les écartillés du rassemblement les déviargés de la courtoisie les jeudi soirs à juste binge watcher le coude-à-coude distancé les dégoulinants de nombrilisme les éjarrés de l’économie à tout prix les arbres généalogiques séparés la ratatouille de fake news les milliards de trous d’eau le frotti-frotta des mains savonneuses, encore la déréliction qui nous habite les taches de microbes sur la conscience De toutes ces affaires là de COVID On a notre maudit tabarschtroumpf De cincischtroumpf de cinschtroumpf De jérischtroumpf de schtroumpf toastées De sacraschtroumpf d’étoles De crucifix de schtroumpfvaires De couleurés d’ardent voyage Faque Restons donc chacun chez nous Pis « ça va [finir par] bien aller »

Crédit photo : Patrick Baghdisar


POÉSIE POÉSIE

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C’est un bal masqué

Veille d’octobre

Qu’hélas on ne peut chanter

Spectre de vert à rouge

Au karaoké

Feuilles ou virus

— Paul-David Chouinard

Les prises des chasseurs de haïkus vous sont partagées en ces pages, une entrée tout en douceur à la section poésie.

La terre meuble Arbres dénudés

Souvenirs effilochés

Pas lourds dans un campus mort

Nom dans le granit

Encore une fois — Lisa Say

Journée de Noël Un corps brisé allongé

Dehors la noiceur,

Photos muettes

Octobre déjà installé

— John Doe

Québec isolée — Caroline Lepage

Il regarde son cell Sourire rivé sur les lèvres

Les feuilles sont tombées

L’amordernité

Libaarté revendiquée

— Élyse Allard

Blackbird, ailes plombées — Kevin Garneau

Ta grimace coquine De mille pixels me fascine Amour prend racine


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Lèvres ouvertes

Soirée estivale

Suis-je un pur objet

Frissons l’indifférence

Enlacements éphémères

Enlacé d’un triste désir

Touchant nos veines

Parfum fugace

Xoxox

Voix tendre : je frémis

Café en hiver

Charmants sentiments

Sans baisers ni caresses ni

Yeux bleus derrière la tasse

Ne fréquentent guère les amants

Ton souffle, me guérit

Sourire complice

Sauf toi vite sauve moi — Jane Doe

Cœur brisé cœur lourd

Piscine en été

De chagrins et d’espoirs sourds

Frisson des premiers émois

Amère vérité

Flotte à mon secours

Mes amours fânés

Gymnastique cérébrale Version officielle

Diamant brut qui perce

Rayon du matin

Ce regard abrupt me berce

Chevelure brune et bouclée

Salle de bain rance

Ma carapace sèche

Étreintes sucrées

Gratification buccale

— John Doe

La mottée cokée

Tant que resteront Souffrance et indignation Nos âmes brûleront — Dominique Gobeil

— John Doe


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Crédit photo : Patrick Baghdisar


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Le cauchemar éveillé par Valérie Rivest

Mentir est un choix Un questionnement incendiant Qui laisse dans la bouche un arrière-gout de cendre La création, pour un bref instant, d’une loi Mentir est un simulacre Une illusion de bonheur Alors qu’il ne s’agit que d’un cauchemar D’un poison d’une couleur âcre Mentir est l’apparition de la Faucheuse Vêtue de sa cape noire Prête à nous enterrer Alors que l’on croyait être heureuse Le mensonge est un abime maquillé Qui arrête le temps Qui comme le tombeau de Toutânkhamon N’est que la fable d’une vérité oubliée


POÉSIE

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Sinistre Dextre

par John Doe

Jumelles graciles et agiles se faisant miroir; Pudiquement vêtues de latex bleu ou noir; Rompues depuis bien des années à ce ballet; Elles se produisent devant un public muet;

Qu’importe leur couleur, qu’ils soient verts, bruns ou bleus; En douceur et paisiblement elles ferment les yeux; Du pauvre et respectable homme après sa chute; Et du nanti gredin planté lors d’une dispute;

Disciples fidèles d’Éros et de Thanatos; Se spécialisant avec les départs précoces; Dû à la mauvaise fortune ou à la nature; L’œuvre de l’un ou l’autre, elles n’en ont cure;

Cet échange d’intimité se fait avec tous; Autant le dormeur à la dernière sieste douce; Que le cascadeur téméraire mais maladroit; Sont visités par elles après un séjour au froid;

En présence du spectateur à bout de souffle; Dents serrées sur sa langue qui se boursoufle; De son cou, se promenant le long du sillon; Leur danse permet de savoir s’il est profond; Avec la fêtarde aux abus délétères; Qui a pris la pilule l’ayant clouée à terre; Devant être pénétrée dans son long sommeil; Elles récoltent sa source de vie vermeille;

Pour ces participants n’ayant pas eu de veine; Ces représentations se comptent en centaines; Mais aux amantes au corps souple et élancé; Des caresses, elles n’ont hélas pas donné assez.


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Crédit photo : Patrick Baghdisar


POÉSIE

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La voilà

par Filyo du Chemin d’Éden

La vie m’abandonne peu à peu comme elle quitte ces arbres qui défilent à travers la fenêtre de l’autobus en ce terne matin d’hiver. Voici. Ce moment fatidique que je ne peux plus reporter. Ce coup de poignard que je guette depuis la veille. Crissement de freins. La terre cesse de défiler sous mes pieds. Les portes s’ouvrent dans un sinistre grincement. Courage. Avancer un pas à la fois. Ne pas penser à… la voilà. Elle est là, au milieu de cette foule indifférente à mon malheur; me tournant le dos, sans me voir. Sa chevelure soignée, sa poitrine opulente, sa taille de guêpe : tout son être détourne le regard d’autrui. Un véritable rayon de soleil. Ce soleil qui brûle lorsqu’on s’en approche trop. Feu vert. Un orchestre de pieds tambourine l’asphalte sombre. Elle avance, je la suis. Impossible de résister à cette repoussante attraction qu’elle exerce sur moi. Envoûté, mon corps ignore mon âme blessée et se traîne à sa suite. Ai-je oublié son essence dissipée?

Coup de vent. Une délicate fleur s’échappe du bouquet qu’elle tient à la main sans qu’elle s’en aperçoive. Un œillet blanc, gage de fidélité. Quelle ironie! Il semble bien qu’un autre infortuné soit tombé dans son piège. Le malheureux ne réalisera que trop tard qu’elle ne peut se satisfaire d’un seul amant. Je ne lui avais pas encore offert la lune qu’elle convoitait déjà le soleil. Elle tourne la tête. Nos regards se croisent. Je me perds dans le ciel étoilé de ses yeux. Mon esprit a beau tenter de lui envoyer un regard aussi glacial que son cœur, mais je ne me vois que balbutier quelques propos incohérents. Décontenancée, elle perd pied sur la dernière marche, mais se ressaisit rapidement et continue son chemin comme si je n’existais pas. «Amor et melle et felle est fecundissimus : gustui dat dulce, amarum ad satietatem usque oggerit» [L’amour est rempli de miel et de fiel : il a un goût de douceur mais il apporte de l’amertume jusqu’à satiété]...


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Crédit photo : Patrick Baghdisar


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«Heureux celui qui, comme la rivière, peu suivre son cours dans son lit.» — Devise du journal

des étudiants en droit, années 70

«Sports et loisirs», Aristide, vol.1 , no 2, p. 7


ACTUALITÉS

33 par Patrick Baghdisar

APP STORE: UN 30 % LITIGIEUX En tant que consommateurs, nous ne pensons pas toujours à la technologie qui entre dans la fabrication de nos téléphones ou même aux développeurs d’applications eux-mêmes. Nous nous contentons de penser «c’est ce que c’est» et de les utiliser dans un sens ou dans l’autre. Cependant, il y a beaucoup de travail qui est mis en arrière-plan et qui va au-delà des apparences. Un nouveau changement pourrait se produire, et il nous affectera plus que nous ne pourrions l’imaginer. Tout d’abord, saviez-vous que Apple et Google prennent une part de 30% des interactions effectuées dans leurs magasins lorsqu’il s’agit d’achats numériques ? Eh bien, c’est le cas, à moins que vous ne soyez une grande entreprise et que vous puissiez vous négocier ou conclure un accord avec l’un ou l’autre, sinon, vous êtes coincé avec ça ! Les petites entreprises décident de s’en tenir à cette règle, mais Epic Games (créateur de Fornite) voudrait entrer en guerre avec deux des plus grandes entreprises jamais créées, et pas seulement pour ce 30%, mais pour changer la norme de l’industrie. Cette lutte a été initiée par Epic Games lorsqu’elle a autorisé les paiements de V-Bucks (monnaie Fornite) en dehors de la version Fornite de l’application de Google et Apple pour moins cher. Cela lui a permis de contourner les deux entreprises technologiques en réduisant ce 30% de leurs coûts. Lorsque Apple et Google s’en sont rendu compte, ils ont tous deux retiré l’application de leur boutique en ligne. Lorsque cela s’est produit, Epic Games a directement publié une publicité parodiant la célèbre pu-

blicité de 1984 d’Apple, mais faisant passer Apple pour le méchant. Cette fameuse publicité de 1984 d’Apple la dépeignait comme l’agent du changement contre IBM, brisant son monopole sur le marché de l’informatique. Dans la publicité d’Epic Games, celleci devient cet agent de changement. Plutôt ironique comme publicité, n’est-ce pas ? Cette publicité a été suivie de deux procédures juridiques qui ont été préparées des mois à l’avance, qui reposent sur la nature anticoncurrentielle de ce taux de 30%, qui est pris dans chaque transaction qui passe par Apple ou Google. Les deux procédures ont une longueur d’environ 60 pages. En résumé, la pratique d’Apple consistant à forcer ses utilisateurs à ne télécharger que depuis l’App Store et à n’utiliser que la propre option de paiement d’Apple dans l’application constitue un monopole. Du côté de Google, on autorise le téléchargement d’applications tierces, mais c’est un processus très difficile et long qui donne l’impression qu’il peut nuire à l’appareil. Apple et Epic Games ont rempli de multiples injonctions et demandes reconventionnelles l’une contre l’autre, alors que le géant Google semble être resté silencieux jusqu’à aujourd’hui. Epic Games veut qu’un juge force Apple à rétablir son jeu pendant que ce procès se poursuit et Apple poursuit Epic Games pour rupture de contrat

auquel ils ont décidé de leur plein gré de participer. Où tout cela mène-t-il ? Epic Games veut réduire la norme du secteur et être en mesure de concurrencer directement avec Apple et Google sur leurs appareils en ayant sa propre option de paiement ou en lançant son propre système d’exploitation ou boutique d’applications. Epic Games ne veut pas cela que pour elle-même, mais pour les autres entreprises aussi ! La société veut changer la norme industrielle de 30% afin de donner aux développeurs d’applications plus d’argent dans leurs poches. Elle l’a déjà fait avec sa plateforme pour PC en réduisant le taux à 12 % tout en accordant des remises supplémentaires aux développeurs qui utilisent son moteur. Cette norme de 30 % est visible partout, des magasins de consoles aux véritables magasins physiques lorsqu’il s’agit de jeux vidéo. Le 30 % se justifiait autrefois, lorsque la plupart des marchandises étaient inventoriées, expédiées et emballées. Cependant, les magasins peuvent se contenter d’une part plus faible puisque la plupart des jeux sont maintenant vendus en ligne et non plus dans des magasins physiques ! En poursuivant Apple et Google, l’entreprise tente de prouver que ces deux géants technologiques constituent un duopole puisqu’en matière de téléphonie mobile, il n’y a pas beaucoup de joueurs disponibles. Pourquoi devrions-nous nous inquiéter en tant que consommateurs ? Une réduction de 15 % signifie que les développeurs d’applications réaliseront 15 % de bénéfices supplémentaires qui, en retour, seront réinvestis dans ces applications. En tant que consommateurs, ce changement dans le secteur pourrait faire en sorte que les choses soient non seulement disponibles pour moins cher, mais qu’une plus grande variété d’applications soit disponible pour nos téléphones. Même si l’application reste la même, ils pourraient investir plus de temps et de ressources pour l’optimiser et la faire fonctionner plus facilement, plus rapidement et cela sans pépins.


ACTUALITÉS

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par Dominiqie Gobeil Rédactrice en chef

RÉFORME DES RÈGLEMENTS GÉNÉRAUX : CLARTÉ ET ÉTHIQUE AU MENU Un pas supplémentaire sera franchi du 25 novembre au 1er décembre vers la réforme des Règlements généraux de l’Association des étudiants et étudiantes en droit de l’Université Laval (AED). Le conseil d’administration tiendra cinq séances de consultation sur Zoom afin de recueillir les commentaires des membres et répondre à leurs questions. Le projet de réforme devait être partagé à la communauté étudiante le 17 novembre par courriel et sur le groupe Facebook Droit ULaval. Les séances auront lieu les 25, 26, 27 et 30 novembre, ainsi que le 1er décembre, de 11h à 12h30, dans l’optique d’accommoder le plus de personnes. Le conseil d’administration oeuvre sur la réforme depuis l’été dernier, en commençant par une étude détaillée des articles, relate le président Gabriel Boivin en entrevue avec Le Verdict. «On veut s’assurer que les Règlements généraux rejoignent les membres et soient représentatifs de l’esprit de l’association», indique-t-il. La proposition du CA se veut «étoffée» : des articles ont été ajoutés, modifiés, ou retranchés. Et elle sera bonifiée grâce aux consultations, es-

père Gabriel Boivin. À titre d’exemple, la procédure de destitution d’un exécutant élu devrait être clarifiée. «On souhaite que cela soit plus calqué sur la réalité», poursuit le président du conseil.

annexe. Leur consultation et leur conservation devraient en être facilitées, estime le président du CA, soucieux de la postérité du projet.

Ainsi, la procédure de vérification comptable, une habitude prise depuis quelques années pour réviser les états financiers et le compte de taxes de l’AED, sera maintenant intégrée officiellement dans les Règlements généraux. «Ce ne sera pas laissé au bon vouloir des exécutants», précise Gabriel Boivin.

Le conseil d’administration est préoccupé autant par le contenant que le contenu des Règlements généraux, rédigés de façon épicène. Concernant la structure, l’équipe a consulté la professeure Sylvette Guillemard, qui a participé à la réforme du Code de procédure civile.

Tous les éléments pertinents de la vie associative devraient se retrouver dans la nouvelle forme des Règlements généraux. Ainsi, un code de conduite se retrouve en annexe du projet. Il s’adressera à tous les membres du conseil exécutif, du conseil d’administration et des quelque 30 comités de l’AED. Tel un guide d’éthique, il encadrera les activités des personnes impliquées, qui devront en prendre connaissance dès le début de leur mandat. «Nous voulons clarifier et renforcer les Règlements généraux pour qu’ils soient dignes d’une Faculté de droit, résume Gabriel Boivin. On devrait se poser moins de questions sur comment marche l’AED après les avoir lus! Il y aura moins de place à l’interprétation, tout est prévu en détail. C’est notre outil de travail et il se veut à l’image des Codes que nous utilisons dans le cadre de nos études.» Recueil de résolutions, cahier de positions, voilà d’autres documents officiels qui se retrouveraient en

La forme aussi importante

«Si le nombre d’articles augmente, c’est parce qu’on a divisé autrement dans le but de faciliter la lecture. Des sous-sections ont été ajoutées, par exemple», illustre Gabriel Boivin, mentionnant au passage «des renvois faciles et agréables». Également, bien que l’AED soit constituée selon la Loi sur les compagnies, le terme «association» a été préféré à «corporation» dans la proposition du CA. «Dans les faits, c’est ce qu’on est ultimement. C’est aussi ce qu’une avocate nous a conseillé d’adopter», commente Gabriel Boivin. Notons que le conseil exécutif, présidé par Philippe Vachon, n’a pas participé à la rédaction du projet de réforme. Il s’agit d’une initiative pilotée exclusivement par le conseil d’administration. Les élus de l’AED auront droit à une rencontre spéciale en marge des consultations, étant donné que certains de leurs droits et pouvoirs ont été révisés. Le projet devra être soumis lors d’une Assemblée générale pour adoption, probablement à la fin de la session d’hiver.


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Prochain thème : Le marché du travail Remise des textes :

11 janvier 2021 Crédit photo : Patrick Baghdisar


ACTUALITÉS

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par Erik Fall Collaborateur bénévole

LES GESTIONNAIRES DES ORGANISATIONS PUBLIQUES EN RÉACTION À LA COVID-19 Comme l’a si bien mentionné le philosophe Héraclite : «rien n’est permanent, sauf le changement». Le contexte interne et externe des organisations publiques n’échappe pas aux multiples soubresauts des changements qui découlent de la pandémie. La transformation numérique, le télétravail, etc. représentent quelques-uns des changements. S’adapter ou résister à ce nouveau contexte dépend de la capacité du gestionnaire à instaurer un climat d’apprentissage, d’adaptation aux changements et de collaboration au sein de son équipe. Comme l’a si bien mentionné le philosophe Héraclite : «rien n’est permanent, sauf le changement». Le contexte interne et externe des organisations publiques n’échappe pas aux multiples soubresauts des changements qui découlent de la pandémie. La transformation numérique, le télétravail, etc. représentent quelques-uns des changements. S’adapter ou résister à ce nouveau contexte dépend de la capacité du gestionnaire à instaurer un climat d’apprentissage, d’adaptation aux changements et de collaboration au sein de son équipe. Nul doute qu’il faut s’attendre à des changements marqués dans de nombreuses sphères de nos vies. Pour certaines organisations, la pandémie sera le déclencheur ou l’accélérateur de la transformation numérique. Pour d’autres, elle touchera directement la culture organisationnelle afin de générer une valeur accrue et des expériences améliorées auprès des clients, des employés et

des partenaires d’affaires​. Pour survivre aux effets bouleversants de la pandémie, les gestionnaires publics peuvent compter sur deux principaux leviers : l’innovation et la gestion du changement (1) . D’une part, l’innovation dans les administrations publiques est un processus de transformation des règles et des normes qui orientent l’action et les activités des acteurs. La connaissance croît quand elle est partagée (2). Copartager la connaissance engendre des équipes apprenantes enclines à s’adapter au changement. La compétence collective s’apparente à une «murale vivante virtuelle» (3). Ainsi, les gestionnaires stratégiques seront ceux qui misent sur la complémentarité des compétences individuelles, la définition et le partage d’objectifs clairs et précis à atteindre. D’autre part, les dirigeants ont clairement un rôle de leadership à jouer, car la transformation sera à la hauteur du leader qui l’insuffle. Le

leadership du gestionnaire s’évaluera en fonction de ses capacités à s’approprier des changements générés par la pandémie. Plusieurs capacités sont requises de la part du gestionnaire en contexte de changement, notamment un fort leadership de transformation, une culture du changement, une structure appropriée de gouvernance et de performance. Ainsi, la transformation numérique sera certes un levier décisif, mais elle devra entre autres s’aligner avec les objectifs, la mission et les valeurs organisationnelles (4). En somme, concevoir un nouveau plan stratégique adapté aux effets de la crise demande une communication proactive susceptible de créer de vastes réseaux de discussions sur les actions à entreprendre et les problèmes à régler. Le succès du plan dépendra de la collaboration de toutes les parties prenantes. Parce qu’audelà des compétences techniques, il y aura également une forte demande pour des compétences dites «soft», notamment la capacité d’œuvrer dans une équipe multidisciplinaire, la collaboration, la communication, l’empathie, le leadership, etc (5). Bref, pandémie ou non, les organismes publics sont en constant changement en lien avec leur environnement interne ou externe (6). Le gestionnaire public joue un rôle primordial dans l’application de la stratégie globale de l’organisation et dans les diverses actions qu’il peut implanter au sein de son équipe, soit par la création de dialogues collectifs ou par l’instauration d’une culture d’apprentissage organisationnelle.


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Crédit photo : Canva

Notes (1) Lemire et al, (2015). La planification stratégique des ressources humaines, Québec, Presses de l’Université du Québec, chapitre 5, p. 199-222. (2) Ménard et al, (2020). «La crise actuelle ne serait-elle pas un moyen d’accélérer la transformation culturelle de nos organisations? Et même de notre société?», Gestion, Internet média, [https ://www.revuegestion.ca/la-crise-comme-levier-pour-accelerer-la-transformation-culturelle].

(3) Id. (4) Collerette, P. (2010). «Comment communiquer le changement?», Gestion, vol. 34, no 4, hiver, p. 39-47. (5) Chalifoux, Benoit, «Soft skills : the key to success in life and business», Devo Talks, en ligne, [https ://www.youtube.com/ watch? v=OewILfKa1eg & ab_channel=Devolutions]. (6) Bareil, C. (2008). «Démystifier la résistance au changement : questions, constats et implications sur l’expérience du changement», Télescope, vol. 14, no 3, automne, p. 89-105.


ACTUALITÉS

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par Samuel Z. Castonguay Directeur de l’information

UN NOUVEAU CHEF AU PARTI QUÉBÉCOIS : ENTREVUE AVEC UN JEUNE MILITANT «Il faut obligatoirement arrêter de prendre le militant moyen pour un simple bénévole.» — Jonathan Carreiro-Benoit Le 9 octobre dernier, quelques vingt-cinq mille membres et sympathisants du Parti Québécois se sont prononcés à l’occasion d’un important exercice démocratique visant à élire un chef à la formation politique en remplacement de JeanFrançois Lisée, démissionnaire après la cuisante défaite de 2018. À la suite d’une course à la direction qui fut longue car prolongée par la pandémie de COVID-19 — le nouveau chef devait initialement être connu le 19 juin —, mais néanmoins riche en idées et en débats, c’est l’avocat Paul St-Pierre Plamondon — communément surnommé PSPP — qui, gré d’une récolte de 56,02 % des voix au troisième tour du scrutin, remporta la palme, défaisant ainsi son plus proche rival, le député de Jonquière, Sylvain Gaudreault. Outre ces deux candidats, l’historien Frédéric Bastien et l’humoriste Guy Nantel croisèrent également le fer lors de ce marathon politique exclusivement masculin. Ils furent toutefois éliminés au premier tour et au deuxième tour respectivement. L’élection de M. St-Pierre Plamondon coïncide avec un moment charnière dans l’histoire du Parti Québécois. Le goût amer de l’écrasante déconfiture du dernier scrutin étant toujours bien présent dans

la bouche de bon nombre de militants péquistes, c’est au nouveau chef qu’incombe maintenant l’imposante tâche de mener la reconstruction du vaisseau amiral du mouvement souverainiste à bon port. Il ne fait aucun doute que pareille besogne ne peut se réaliser sans le dur labeur des militants, éparpillés dans les diverses instances du parti. Le président du Parti Québécois de l’Université Laval, Jonathan Carreiro-Benoit, est revenu sur cette course lors d’un entretien inédit avec Le Verdict.

Qu’avez-vous pensé de la course à la chefferie du Parti Québécois en général? La course fut divertissante sur plusieurs points. D’abord, les candidats ont radicalement changé les stratégies classiques d’une course due à la pandémie. Cela a laissé place à de multiples perspectives médiatiques, telles les rencontres virtuelles et les vidéos de vulgarisation. D’autre part, la palette de candidats était très riche. Chacun mérite sa juste part au sein du PQ. J’espère fortement voir messieurs Bastien et Nantel comme candidats en 2022.

Êtes-vous satisfait de la direction que prend le parti depuis le congrès extraordinaire de TroisRivières en novembre 2019? Totalement. Pour y avoir participé moi-même, je peux vous garantir que

le poids de ce congrès extraordinaire se fait ressentir. Le nouveau chef incarne définitivement cette direction. La jeunesse a parlé. Ce parti doit demeurer actif sur l’échiquier politique. L’indépendance doit nécessairement rester une option de taille pour le Québec. Le tout concorde parfaitement avec les sorties publiques du parti depuis l’élection de PSPP. Néanmoins, je suis persuadé de l’efficacité de l’ancienne garde. On doit absolument considérer les militants de la première heure dans notre calcul. Ils ont l’expérience qu’on n’a pas forcément.

Quel est le rôle des militants dans la refondation qu’a entamée le parti? Il faut obligatoirement arrêter de prendre le militant moyen pour un simple bénévole. Depuis que je m’implique (2016), il y en a des belles et des pas mûres qui se sont faufilées dans l’art du militantisme. Je crois que la refondation a mis les points sur les «i». Prenons l’exemple de l’association de l’Université Laval. Nous sommes plus d’une dizaine sur le comité et je vous garantis que, sans la pandémie, nous serions certainement plus nombreux. Notre rôle est d’influencer, mais également de prouver aux gens de tout horizon qu’il n’y a rien de honteux à appartenir à l’une des plus belles familles politiques du Québec. La cause qui nous porte est définitivement plus grande et noble que cette crainte non fondée de se faire regarder «croche» à la cafétéria.


39 Jonathan Carreiro-Benoit préside le Parti Québécois de l’Université Laval.

Plus précisément, quel est le rôle du Parti Québécois de l’Université Laval et de ses jeunes militants? Pour rentrer dans les détails, le tout se constitue en trois paliers : manifester, argumenter et recruter. Premièrement, il est primordial de faire valoir nos désaccords politiques lorsque ceux-ci se manifestent. Il n’est pas normal que, dans une université à ce point ouverte sur le monde, l’option indépendantiste soit autant marginalisée. Heureusement, la Semaine de l’indépendance aide grandement à pallier cette injustice. Deuxièmement, il va nécessairement y avoir des gens pour nous défier et argumenter contre nos idéologies. L’université se veut un lieu d’échange intellectuel de bonne foi. Je m’attends de la part des autres associations politiques à un dia-

logue dans les règles de l’art. Pourtant, c’est l’administration elle-même qui pose régulièrement un problème. En effet, la quantité de règles d’un nonsens majeur pour éviter les questions politiques sont, à mon avis, un frein formel à la liberté d’expression. Finalement, après avoir établi notre rôle académique, il faut que les gens se joignent à nous. Prouver les bienfaits de l’indépendance nationale n’est pas difficile. Ce qui l’est, c’est d’éliminer une bonne fois pour tous les tabous qui y sont associés.

En 2022, le Québec sera en élection générale. Quel est le plus grand défi qui attend le parti, ses membres et son chef nouvellement élu, Paul St-Pierre Plamondon, selon vous?

«Il n’est pas normal que, dans une université à ce point ouverte sur le monde, l’option indépendantiste soit autant marginalisée. [...] Prouver les bienfaits de l’indépendance nationale n’est pas difficile. Ce qui l’est, c’est d’éliminer une bonne fois pour tous les tabous qui y sont associés.» — Jonathan CarreiroBenoit Ironiquement, je crois que le plus grand défi sera de maintenir la ligne du parti sur l’indépendance. Depuis une bonne vingtaine d’années, le PQ a mis de côté sa raison d’être pour devenir un parti politique à la PLQ ou à la CAQ, soit un parti de pouvoir et non de rupture avec le statu quo. Maintenant, avec le congrès de TroisRivières et l’élection de PSPP, il y a un certain retour aux sources. Je ne m’attends à rien de moins que cela. J’ai réellement hâte de voter sur le plan de campagne. Il sera là le vrai test.

En terminant, quel message aimeriez-vous adresser aux jeunes — les étudiants de l’Université Laval, notamment — qui souhaitent s’impliquer en politique, et ce, peu importe le parti? Comme on dit, chaque vote compte. De ce fait, chaque militant compte. Vous êtes l’avenir de vos formations respectives. Croyez en vos capacités et foncez. La politique est à la portée de tout le monde. Trouvez votre place et faites votre place. Personne ne peut avoir la prétention de vous dire le contraire. Comme l’autre l’a si bien exprimé : «n’ayez pas peur».



CHRONIQUES

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Crédit photo : Patrick Baghdisar


CHRONIQUE POLITIQUE

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par le Comité sociopolitique

UNE NOMINATION À SUIVRE DE PRÈS À LA COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS Le 26 octobre 2020, le Sénat américain approuve le choix de Donald Trump en confirmant la magistrate conservatrice Amy Coney Barrett à la Cour suprême, en remplacement de Ruth Bader Ginsburg. Cette nomination, en plus de faire du président Trump le premier, depuis Ronald Reagan, à avoir nommé trois juges sur un collège de neuf, a suscité de fortes réactions au sein du monde politique américain. En accord ou non avec cette décision, on ne peut ignorer ses impacts sur les mondes juridique et politique des États-Unis. Avertissement : ceux pour qui le droit constitutionnel rappelle de trop douloureux souvenirs, nous vous invitons à vous déplacer à la seconde section.

Deux voisins on ne peut plus différents À titre illustratif, il est intéressant de d’abord dresser un court portrait comparatif des Cours suprêmes des États-Unis et du Canada. Notre procédure de nomination d’un juge à la Cour suprême est plus hermétique qu’aux États-Unis. L’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 attribue la nomination des juges des instances supérieures au gouverneur général, représentant de la Reine du Canada. La Couronne agissant sous recommandation de notre premier ministre Justin Trudeau, c’est réellement celui-ci qui aura le dernier mot quant à la nomination des juges de la Cour suprême du Canada. Il s’agit ici de la différence principale entre le Canada et les États-Unis. Malgré la croyance

populaire, le premier ministre canadien possède un plus grand pouvoir que le président américain, en ce qu’il nomme tous les sénateurs, tous les juges des cours d’appel, des cours supérieures et de la Cour suprême, en plus de contrôler la Chambre des communes. Aux États-Unis, en vertu de l’article II, section 2, alinéa 2 de la Constitution, le président propose le candidat de son choix, qui lui doit ensuite être entériné par le Sénat. Les résultats des élections américaines de cette année étant toujours incertains au moment d’écrire ces lignes, selon l’élection de 2016, le Sénat est à majorité républicaine, où ces derniers occupent 52 sièges et où les démocrates occupent les 48 autres. Durant les élections, deux sénateurs par État américain sont élus par ses citoyens à majorité, ce qui assure une représentation géographique, mais pas nécessairement proportionnelle… Puisque le Sénat a ce pouvoir de désignation qui permet de rejeter une désignation présidentielle d’un

candidat, il est considéré comme ayant une grande influence sur l’appartenance politique des juges qui siègent à la Cour suprême des États-Unis.

Le décès de Ruth Bader Ginsburg et la nomination de Amy Coney Barrett Amy Coney Barrett, connue comme une fervente catholique et pour ses positions anti-avortement, jouera un rôle clé pour les autres membres conservateurs de la Cour suprême, qui est souvent amenée à se prononcer sur la question de l’avortement et de la protection sociale. Ruth Bader Ginsburg, icône de l’aile libérale à la Cour suprême, assurait un équilibre idéologique au sein des décisions entourant les droits de la personne. Son remplacement par Coney Barrett risque de complètement renverser cette balance des convictions et créer une majorité républicaine de six juges quasi impénétrable.

En quoi cela est-il inquiétant? Toutes les questions entourant la vie des citoyens américains seront en péril : les droits sexuels et reproductifs, le droit de vote, les protections contre la discrimination, le futur de la justice criminelle, les pouvoirs du président, les droits des immigrants, la législation fiscale et l’accès à des soins de santé abordables. Cette nomination fait aussi resurgir un fougueux débat concernant l’ingérence de la politique


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Crédit photo : Lucy Sanders. Wiki Commons

dans le système judiciaire. En 2016, à la suite du décès du juge Antonin Scalia, les sénateurs républicains ont catégoriquement refusé de voter, même seulement de considérer, la nomination d’un remplacement suggéré par Barack Obama, Merrick Garland. En omettant ainsi volontairement de combler ce poste vacant sous prétexte d’être en période électorale, Mitch McConnell, le chef républicain du Sénat, s’écarte du précédent et remodèle l’histoire de manière à justi-

fier le traitement plus favorable de la nominée de Trump, Amy Coney Barrett. Qu’ils l’apprécient ou non, les démocrates et les républicains peuvent s’entendre sur le fait que la politique occupe une place importante au sein du Sénat et de la Cour suprême américaine. Il sera intéressant d’assister, dans le confort de notre Canada, aux débats tenus ainsi qu’aux décisions prises par ces institutions dans les années à venir.

Amy Coney Barrett, connue comme une fervente catholique et pour ses positions anti-avortement, jouera un rôle clé pour les autres membres conservateurs de la Cour suprême


LA FACULTÉ D’HIER...

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LES GALAS DE DROIT Le nom «Grand maillet» évoque d’agréables souvenirs pour les étudiants en droit de l’Université Laval, anciens comme actuels. Ce gala organisé annuellement célèbre l’engagement étudiant et la qualité du corps professoral de la Faculté. Néanmoins, peu de gens connaissent l’origine de cette tradition. Certes, certains trahiront peut-être leur âge en affirmant qu’ils ont été témoins de la première édition du gala Grand maillet en 1985. Cependant, ils auraient tort de penser qu’ils sont les instigateurs d’une telle tradition; la Faculté de droit n’en était pas à ses premiers événements mondains. Le nom «Grand maillet» évoque d’agréables souvenirs pour les étudiants en droit de l’Université Laval, anciens comme actuels. Ce gala organisé annuellement célèbre l’engagement étudiant et la qualité du corps professoral de la Faculté. Néanmoins, peu de gens connaissent l’origine de cette tradition. Certes, certains trahiront peut-être leur âge en affirmant qu’ils ont été témoins de la pre-

Crédit photo : Aristide, vol. 4, no 2, (18 octobre 1977), p. 5

mière édition du gala Grand maillet en 1985. Cependant, ils auraient tort de penser qu’ils sont les instigateurs d’une telle tradition; la Faculté de droit n’en était pas à ses premiers événements mondains. Il faut remonter au moins cent ans avant cette date pour voir les premières traces d’une soirée annuelle organisée par les étudiants en droit. Dès 1889 – et même bien avant s’y l’on se fie aux journaux de l’époque – les étudiants tiennent un banquet à Montréal. Et on parle ici d’un événement de grande envergure (1). Plus de 200 personnes sont conviées à cette soirée, parmi lesquelles plusieurs invités de marque, comme des juges et des ministres. Comme une fois n’est pas coutume, on répète l’expérience dans les années suivantes. Aux dires de certains, les origines de cet évènement remontent d’ailleurs au tout début de l’Université Laval (2). Ces banquets ne faisaient bien évidemment pas le bonheur de tout le monde. Dans une lettre adressée au directeur de l’Université Laval à Montréal (3), publiée dans le journal La Patrie en 1909, le père d’un étudiant en droit faisait part de son inquiétude relativement à la tenue de tels évènements (4). Comme bien d’autres parents à cette époque, il avait accumulé des économies substantielles pour offrir une formation de prestige à son fils. À ses dires, les dépenses occasionnées par les banquets se faisaient au détriment des ressources allouées pour la formation académique. Il craignait également que ces événements

vicient le comportement de son fils, en lui insufflant un sentiment de supériorité par rapport au reste de la population. Dans les années 20 et 30, l’Association des étudiants en droit poursuit la tradition avec le Banquet aux Huitres (5). C’est peutêtre en raison du faible qu’avaient les juristes pour ce fruit de mer que le législateur de l’époque inséra une disposition spécifique sur le vol d’huitres dans le Code criminel. À cette époque, les banquets sont des événements cérémoniels à forte teneur religieuse, souvent ponctués de longs discours. À partir des années 50, les galas prennent une allure plus festive. Le choix du Château Frontenac comme lieu de célébration témoigne de cette évolution. Le bal de fin d’année constitue un événement incontournable dans les années 40 et 50. Robes longues et tuxedos sont de mise lors de telles soirées. Les événements de ce type se font de plus en plus nombreux à la Faculté. Les célèbres soirées d’amateurs organisées au Palais Montcalm dans les années 50 attirent un large auditoire. Les étudiants font alors étalage de leurs talents de musiciens et d’ac-


À AUJOURD’HUI

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par Paul-David Chouinard

Crédit photo : Aristide, vol. 1, no 7, p. 1

teurs pour le plus grand bonheur des citoyens de la ville de Québec. Ils laissent aussi libre cours à leur humour, parfois au grand désarroi de certains, qui jugent le spectacle indécent. Lors d’une soirée de décembre 1959, les étudiants simulent un procès en séparation de corps. Ce satyre n’est pas au goût d’un spectateur présent dans la salle, qui décide de porter plainte à l’Action Catholique du Québec. «Vous avez avili notre langue, nos mœurs et certaines communautés enseignantes» peut-on lire dans sa lettre longue de plusieurs pages (6). Le faux procès d’un animateur de radio présenté par les étudiants de la faculté remporte quant à lui un franc-succès. L’accusé StGeorges Côté, célèbre animateur de radio de la région de Québec, est lui-même présent pour produire sa défense. Plus de 1500 personnes assistent à cette représentation (7). Le talent d’acteur des étudiants suscite tantôt les rires, tantôt l’émoi. L’enregistrement du spectacle est même diffusé à la radio le lendemain à heure de grande écoute.

Ce genre d’événements marquent le début d’une nouvelle ère à l’Université Laval. Alors que l’institution se dissocie petit à petit de l’Église, les étudiants commencent à pratiquer plus librement des activités qui étaient autrefois encadrées par les instances religieuses (8). Dans les années 70, l’AED organise des soirées thématiques : party à la mémoire d’Elvis, soirée d’épluchette de blé d’Inde. L’imagination des étudiants est à la hauteur des aspirations de leur époque. Ces soirées se font sans apparat et se déroulent dans une ambiance festive. Au cours des années 80, les étudiants décident de renouer avec le concept de gala en mettant sur pied le Grand maillet. Cet évènement se veut un parfait équilibre entre le coté burlesque des Soirées d’amateurs et le caractère officiel des Galas de fin d’année, qui avaient tous deux fait le succès de la Faculté dans les années 50. Cette tradition perdure encore de nos jours, au grand plaisir des étudiants et de leurs professeurs.

Notes (1) La Justice, 21 octobre 1889, p. 2. (2) «Intéressante nouvelle pour les étudiants», Le Soleil, vol. 50, no 244 (16 octobre 1931), p. 10. (3) L’Université de Montréal fut d’abord une succursale de l’Université Laval, avant qu’elle n’acquière sa pleine autonomie en 1919. Voir : BANQ numérique, «Inauguration de la future Université de Montréal», (Lien Internet : numerique.banq.qc.ca/patrimoine/evenements/ldt-527). (4) «Langage sensé», La Vigie, vol. 3, no 55 (3 février 1909), p. 1. (5) «Les étudiants en droit ont leur banquet», Le Soleil, vol. 58, no 270 (15 novembre 1939), p.3. (6) Propos du Candide, «La vie sociale à la Faculté, autrefois», Aristide, vol. 1, no 2, p. 2. (7) «Accusé de nuisance publique, un annonceur comparait en cour», Radiomonde, vol. 13 no 48 (3 novembre 1951), p. 5. (8) Nive Voisine, «À l’ombre du Séminaire de Québec et de l’Église catholique», (2003) 72 Cap-aux-Diamants 15, 19 (Lien Internet : www.erudit.org/fr/revues/cd/2003-n72cd1 045 251/7424ac.pdf).


En cette mi-novembre pleine de promesses, les astres s’alignent pour un bouleversement cosmique encore jamais vu. Les plus perspicaces d’entre vous auront déjà réalisé que la Lune en Scorpion, rendant les piqûres plus efficaces de 25%, est assez favorable à la finalisation du vaccin contre le SARS-CoV-2. Comme si cela n’était pas déjà merveilleux, le passage de Vénus en Balance apportera son traditionnel rabais sur l’essence dans tous les Esso de la province et une relance économique non négligeable dans l’industrie du tabouret. Finalement le Soleil en Sagittaire à partir du 22 apportera optimisme et joie de vivre à profusion! Les pharmaciens recommandent d’ailleurs de diminuer vos doses d’Ativan et de Celexa par peur que vous finissiez vraiment par être heureux… Nouvelles découvertes, aventures surprenantes, combustions spontanées, grossesses surprises, découvrez ce qui vous attend ce mois-ci dans l’horoscope du juriste ! par Marc.opti

Chance: Assez pour appeler à l’Instant gagnant et avoir la bonne réponse.

Du 21 mars au 20 avril Première victime du confinement printanier, la deuxième vague est la goutte (avec mauvais jeu de mot) qui fait déborder le vase. On vous a volé vos anniversaires et ce trauma est encore trop frais pour que le passage en zone rouge ne vous provoque pas d’immenses crises de larmes. Canalisez plutôt cette tristesse abyssale en soif de vivre que seul un casse-tête 18 000 pièces ou

une bonne lecture de Brun Tremblay Brouillet saurait étancher. La convergence des astres en signe de terre vous donnera la force et le courage pour enfin vous plonger dans l’apprentissage de l’hébreux pour connaître ce plaisir divin d’écouter Jésus de Nazareth en version originale; 6h11 de pur génie. Changez l’eau en vin à ma santé !

Amour: J’pense t’auras pas le choix de mettre Tinder Premium…

Chance: On se fera pas de cachette, t’es dû pour une assurancevie.

Amour: Votre succès auprès des septuagénaires sera inégalable.

21 avril - 21 mai Le passage de Saturne en Gémeaux est de bien mauvais augure. La prophétie est limpide à ce sujet : « Si Saturne passe en Gémeaux en novembre, un certain Claude Meunier enfilera son costume de Popa et ira faire des pets sur la bedaine de tous les taureaux de la ville de Québec ». Pendant des millénaires, les philosophes et historiens ont nié la gravité de cette sombre prédiction en

assumant qu’il était question ici de l’animal et non pas du signe astrologique. Le doute étant maintenant insoutenable, les gouvernements invitent les éleveurs de bovins à rester sur leurs gardes et tous les citoyens appartenant au signe du Taureau, ayant l’estomac broché, de «tacker» ça en double juste pour être ben certain.


Chance: 22 mai - 21 juin Rien ne pourra vous arrêter ce mois-ci. La galaxie d’Andromède étant orientée vers La Mecque, vous gagnerez avec certitude toutes vos games de Yum et votre compréhension intuitive des livrets d’instructions Ikea feront de vous une star dans votre entourage. Seul petit bémol, et encore c’est très minime, ça vaut probablement même pas la peine que j’en parle, mais comme Mercure entre en rétrograde, vos

pulsions de mort seront à leur paroxysme et pour éviter un carnage désorganisé, l’OMTELG (l’Organisation mondiale tannée des estis de loups-garous) vous enverra bientôt, et ce tout à fait gratuitement, Le petit guide du tueur de lycanthropes illustré et un cours hors programme vous sera crédité si vous en tuez une dizaine. Faque ouin, à part ça pas grand-chose là.

Amour:

Un trésor familial sera trouvé sur votre fond, mais le chasseur de trésors va pas vous le dire, mange ton cheh.

Ben votre mère vous aime, c’est déjà pas pire me semble…

Chance:

Amour:

Assez pour que si on te demande de forger 267 épées, un dude pas rapport le fasse pour toi en te faisant seulement promettre de jamais parler en mal des forgerons.

Vous êtes plus irrésistible que les gars qui mettent du parfum « Axe chocolat ».

22 juin - 22 juillet Comme le veut la maxime, quand la galaxie de la gougoune triste passe en Verseau et que c’est le temps du Monopoly chez McDo, les cancers font le party… Eh oui des frites gratuites, une boisson froide au choix, un ptit beigne, les astres augmenteront grandement vos chances de gagner des prix cette année. Or, comme il ne peut y avoir de divertissement sans tragédie en ce bas

monde, le passage de Neptune en voie de droite ralentira grandement votre métabolisme et la prise de poids sera inéluctable. Pour ajouter l’insulte à l’injure, la supernova du centaure est jammée juste au-dessus du pont Pierre-Laporte, rendant ainsi inefficace la diète Keto.

Chance: 22 juillet-21août Un sentiment de légèreté viscérale vous habite ce mois-ci. Vos placements vont bien, l’étagère que vous avez vissée juste dans le gypse a l’air encore solide, vous êtes sur une pas pire lancée de victoire à « Among Us » (blue is sus no cap) et vous avez gagné les odds sur 2 avec votre cousin pour savoir lequel de vous allait devoir se marquer au fer l’Ancien Testament sur le torse. La provi-

dence est avec vous, mais ne la prenez pas pour acquise, le bon karma a de charmant qu’il est volatil. Profitez de chaque moment, car on ne sait jamais quand le fils de Lévesque défoncera la vitrine contre laquelle vous buvez votre café avec une voiture laissée sans assistance dans le concessionnaire d’en face…

Autant qu’être né dans une famille de classe moyenne aisée dans un pays du G7.

Amour: À l’époque des sapiosexuels, vous aurez la cote, proportionnellement à votre cote Z…


23 août-22 septembre

23 novembre -21 décembre

C’est en alexandrins, que je vous prédirai, Le futur incertain, pour vous Vierges égarées, Vénus passe en Poisson, pour vous rien de plus beau, Prouesse en natation, ou frencher Claude Legault, Aucun de vos fantasmes, quelque curieux soient-ils, Résistera aux spasmes, de vos forces tranquilles, C’est une ode à la vie, que de prendre des risques, Laissez place à l’envie, même la plus ludique.

Chance:

Si vous tirez les dés, ne soyez guère craintif, il faut que vous sachiez, votre charme est actif..

Amour:

Le cœur a ses raisons, que la raison ignore, parfois faire le bouffon, peut faire remporter l’or.

Vos qualités de chasseur vous seront essentielles en ce mois de novembre incertain. Mercure entrant dans sa rétrograde en Gémeaux, votre précision et votre agilité seront fortement convoitées par les partisans démocrates et républicains, pour gagner la guerre civile inéluctable à la suite de cette élection particulière. Si par malheur vous étiez un peu éduqué politiquement et n’étiez pas prêt à défendre l’un ou l’autre des partis, car ils sont tous les deux corrompus et représentés par deux séniles ayant à leur actif des accusations d’agressions sexuelles, soyez sans crainte, la ville de Laval prépare un coup d’État, voyant le chaos aux États-Unis, pour enfin prendre le contrôle de la Maison-Blanche. Les Sagittaires auront, en ce mois de novembre, le sort du monde entre leurs arcs. Qui sortira vainqueur ? C’est à vous de décider !

23 septembre -22 octobre Avec le dernier passage de Neptune en cycle délicat, l’avènement d’un nouvel Avatar est à nos portes. Le prochain maître de éléments sera nécessairement chez les balances. La moindre des choses à faire serait donc, autant que possible, de vous raser le crâne et adopter le mode de vie d’un moine tibétain pour le prochain mois. La garde rapprochée secrète du Dalaï-Lama viendra vous visiter et vous fera choisir trois objets parmi quelque 250 000 000. Des figurines d’Hello Kitty, des condiments pour fondue bourguignonne,

un élan, tous les choix seront à votre disposition, pensez-y bien ! Si vous choisissez les mêmes objets que votre prédécesseur, vous aurez tous les avantages du titre d’Avatar : un fond de pension financé à 50%, carte gold au Panda express pour repas gratuits à vie, 47 DVD La La Land signé par Damien Chazelle et David Wasco, le gars des décors et un gros nounours avec un authentique chapeau de feutre. Une vie merveilleuse vous attend, Om Mani Padme Hum gang !

23 octobre - 22 novembre Pugnaces comme pas un, les astres font la vie dure aux Scorpions ce mois-ci. Avec le passage de la Lune en Lion, votre quérulence atteindra des sommets dignes d’être donnée en exemple en Univers du droit. Il sera donc primordial de solliciter les services d’un ami ou de tout professionnel de plein air possédant une pagaie de bois massif pour vous assommer dès que vous commencez à débattre « juste pour faire l’avocat du diable ». Un violent coup de

pagaie à la mâchoire devra être porté dès que des arguments tels que : « Ouais, mais t’en fais quoi de la liberté académique », « Ouais, mais c’est à cause de la nature humaine », ou le pire de tous, « Ouais, mais ce n’est pas si pire que ça la radio à Québec », seront entendus. Également passible d’un bon coup dans les tibias tout argumentaire allant contre l’imposition du gyropode comme seul moyen de déplacement accepté dans la Capitale nationale.

Chance:

Un bon 8 sur 10, genre solide ce mois-ci.

Amour: Ce mois-ci, aimez vous les uns les autres comme Dieu vous a tant aimé.

Chance: Assez pour trouver l’aiguille dans la botte de foin, mais découvrir qu’elle était souillée et devoir subir un traitement antibiotique de plusieurs mois pour finalement s’en sortir sans plus de complications.

Amour:

Vous êtes très attirant ce mois-ci, même en posant du bardeau à quatre pattes, la craque légèrement visible, le monde n’a d’yeux que pour vous.


22 décembre- 20 janvier Un mois ben ordinaire pour vous les Capricornes, on se fera pas de cachette. Avec le passage d’Uranus à Piment fort, les astres n’ont malheureusement plus de chaleur et d’énergie à vous transmettre. Il vous sera donc possible de mettre Normand Brathwaite en demeure en raison de votre sentiment d’abandon et de perte de sens dans vos vies. Quoique rendu là, il n’est plus vraiment solvable dans ce département. Cela étant dit, il vous faudra, en attendant que les astres vous réchauffent, trouver des moyens efficaces pour rendre vos quotidiens plus « caliente ». Que ce soit en se collant sur le vieux réacteur De Gentilly 2 qui n’a pas fini de refroidir, ou en passant l’équivalent du tiers de la forêt boréale en bois de chauffage, tous les moyens sont bons. Les plus aventuriers et patients d’entre vous pourraient capturer et faire évoluer un Charmander en Charizard, mais c’est pas tout le monde qui a l’âme de dresseur.

Chance: Assez pour avoir une bonne note en Procédure civile…

Amour:

Vous faites le même effet à votre flamme que Claude Legault fait aux « matantes », ça va bien votre affaire.

Chance: Tu payes pour un 6 McCroquette et tu reçois un 10 McCroquette, pas chien.

Amour: L’important c’est de s’aimer soi-même, sérieux va consulter.

21 janvier -19 février Le roi des esprits, en ce mois de novembre, vous fait grâce de sa « bénédiction du duvet ». Avec le passage de Mercure en catamaran, le roi a pu vous octroyer le pouvoir de changer toutes les couvertures que vous toucherez en couvertures rembourrées au duvet de première qualité. Ça l’air inutile comme ça, vous auriez probablement préféré la « bénédiction de la fibre de bambou synthétique », mais imaginez tout l’argent que vous économiserez lors de votre magasi-

nage des Fêtes. Le cadeau idéal pour toute la famille. Mais comme disait l’oncle Ben : « Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités » et vous n’échapperez pas à cette règle. Pour chaque couverture que vous changerez en couverture rembourrée de duvet de première qualité, vous devrez partir un élevage d’oie et faire passer la toune Les oies sauvages du groupe Mes Aïeux dès qu’y’en a une qui se choque.

20 février - 20 mars Contrairement au commandant Piché, les astres indiquent que vous devriez prendre votre gaz égal en ce mois de novembre. Avec le passage de Mercure à l’état solide, la fermeté et l’irritabilité de vos comparses atteindront des niveaux vertigineux. Pour éviter zizanie et mutinerie, il conviendra pour les Poissons de régner d’une nageoire de fer dans une palme de velours. C’est par la douceur que vos messages passeront.

Quant à la question du petit souffle au cœur généralement associé à cet alignement cosmique, n’ayez crainte, il vous faudra simplement résister à l’envie d’intégrer l’équipe de bobsleigh de la Faculté, véritable tragédie j’en conviens, mais vous vous reprendrez l’hiver prochain, quand les astres seront plus cléments à votre endroit. Pour le reste, comme toujours, il y a MasterCard…

Chance: Votre compte sera crédité de 500 000$ par un prince saoudien.

Amour: Autant que Trump aime la démocratie.

Chance: Assez pour croiser Alexandre Barette dans les rues de Québec pour le retour de Taxi Payant et réussir le kit ou double sur une question d’horticulture.

Amour:

Le frère de votre conquête vous donne du fil à retordre, rappelez lui que vous êtes réellement en amour et que 40 000 frères ne pourraient, avec tous leurs amours réunis, parfaire la somme du vôtre.


CHRONIQUE

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Elon Musk, PDG de Tesla. Crédit photo : Daniel Oberhaus. Wiki Commons

POURQUOI TESLA A-T-ELLE TANT DE SUCCÈS? Beaucoup d’entre vous me connaissent un petrol-head, j’aime les voitures à essence et j’aime les motos. Cependant, l’avenir est sans aucun doute électrique, peut-être avec un mélange de voitures à l’hydrogène dans certaines régions. Beaucoup d’entre vous se demandent sans doute ce qui fait le succès de Tesla et pourquoi les autres constructeurs automobiles ne peuvent pas les imiter?

Tout d’abord, nous allons examiner le modèle économique de Tesla par rapport aux autres entreprises, puis nous nous pencherons sur les voitures elles-mêmes et enfin, mais pas des moindres, nous nous intéresserons à l’image et au PDG de l’entreprise. Tesla n’est pas un constructeur automobile comme les autres. Pour commencer, il n’a pas de concessionnaires. Tesla les appelle des salles d’exposition et les voitures ne peuvent être commandées qu’en ligne. Qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie qu’il n’y a pas d’intermédiaire et qu’ils ne s’attendent pas à gagner de l’argent directement sur leur terrain de jeu. Cela ne semble pas faire une grande différence pour un consommateur, mais cela fait une différence pour la compagnie. L’industrie d’automo-

bile à essence dépend fortement de ses concessionnaires, tant pour les services que pour les pièces détachées; elle est dépendante de son énorme chaîne d’approvisionnement. C’est à la fois une source de revenus pour eux car les voitures à essence ont plus de composantes qui cessent de marcher et cela signifie également qu’ils dépendent d’autres niveaux de fabrication pour créer une nouvelle voiture. Imaginez que vous voulez faire un gâteau au chocolat, mais que vous achetez le chocolat à un ami et la farine à un autre ami pour faire un gâteau. Lorsque le moment est venu pour vous de vouloir créer un nouveau gâteau au chocolat et au caramel, il peut vous sembler impossible de trouver un mélange moitié caramel moitié chocolat puisque ni votre ami ni le marché


AUTOMOBILE

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par Patrick Baghdisar Directeur marketing ne propose une telle saveur pour votre nouvelle création. Cette externalisation pour diverses pièces a aidé les fabricants à devenir des entreprises plus importantes, elle est maintenant une lame à double tranchant puisque c’est ce qui les empêche de rattraper Tesla. En contraste, Tesla développe la plupart de ses technologies et les produit à l’interne. Au début, c’est une mesure plus coûteuse, mais à mesure que la production évolue, elle se transforme en un coin où l’entreprise fait des économies et peut dépasser les autres en matière d’innovation. Si l’on compare les deux types de voitures, les voitures électriques ont moins de composantes que les voitures à essence. Lorsque vous démarrez votre voiture à essence, votre moteur doit faire différentes choses pour démarrer et fonctionner correctement. De l’allumage du carburant au maintien de la lubrification de votre moteur à une température optimale, il s’agit d’une procédure importante et complexe. Si je devais simplifier, les voitures

de Tesla ont un moteur et des batteries, un peu comme une voiture RC, mais en beaucoup plus grand. Aucun essieu ou transmission n’est nécessaire pour transférer la puissance du moteur avant aux pneus arrière, il suffit de placer le moteur à l’endroit où vous voulez pour que votre puissance soit délivrée. Selon Tesla, son groupe motopropulseur comporte environ 17 pièces mobiles, contre 200 dans un groupe motopropulseur à combustion interne conventionel. Tesla ne doit pas être considérée comme une voiture à essence, mais plutôt comme un téléphone portable où des mises à jour par voie aérienne peuvent l’améliorer au fil du temps. Chaque mise à jour rend les produits plus rapides, avec une plus grande autonomie ainsi que des temps de charge plus courts. Cela donne à l’entreprise un avantage significatif sur les autres voitures conventionnelles, elle ne cesse de devenir meilleure avec le temps. C’est la beauté et le secret des voitures de Tesla.

Si je vous demandais qui est le PDG de Honda, pourriez-vous me le dire? Pour que vous puissiez me répondre, il faudrait que vous sortiez votre téléphone et que vous alliez sur Wikipédia. C’est là que se trouve la raison pour laquelle la croissance de l’entreprise n’aurait pas été possible sans son PDG, Elon Musk. En plus d’être un visionnaire (il possède plusieurs entreprises dont l’une a pour objectif d’aller sur Mars, appelée Space X), il est en quelque sorte une personne controversée que les médias ont tendance à toujours suivre. Un simple tweet de sa part aurait fait parler de lui dans le monde entier, et ce, pour le meilleur ou pour le pire. D’ailleurs, avez-vous déjà vu une publicité pour Tesla? Si vous me répondiez oui, vous vous souviendriez mal puisque Tesla investit 0 $ dans le marketing. L’image de Tesla est si forte qu’ils font toujours la une des journaux, même avec des prototypes «ratés». Il y a un battage médiatique car ils sont les seuls à croire vraiment en un avenir électrique.


OBSERVATION : JAPON

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AU PAYS DU SOLEIL-LEVANT

Le mont Fuji. Crédit photo : Canva

Le sceau impérial

EN BREF

• Droit civil • Monarchie constitutionnelle • Parlement bicaméral • État unitaire • Population : 126 000 000

Pour cette édition du Verdict, le pays du Soleil-Levant sera observé d’un point de vue juridique. Ce pays unique à travers le monde est riche en histoire et semble être régi par des règles propres à sa culture, malgré l’influence du monde extérieur. Toutefois, il est surprenant d’apprendre que plusieurs similitudes constitutionnelles existent avec le Canada, dont l’existence d’une monarchie. J’ai eu la chance de vivre dans ce pays exceptionnel plusieurs années, plus précisément dans la campagne de Hiroshima et au centre-ville de Tokyo. Ainsi, je vais me permettre de pousser un peu plus loin la conversation selon mes connaissances personnelles.


53 par William Bolduc Collaborateur bénévole

Omotesando (Tokyo). Crédit photo : William Bolduc

Il est nécessaire de saisir deux événements majeurs dans l’histoire moderne du Japon. Tout d’abord, il faut noter la restauration Meiji en 1868, soit le renversement du shogunat Tokugawa (ère dans laquelle les samouraïs étaient au sommet de la hiérarchie), et l’instauration d’un nouveau régime politique constitutionnel. En se basant sur les chartes des puissances étrangères de l’époque du premier événement, le pays se dota d’une constitution dans laquelle l’empereur disposait d’immenses pouvoirs. La grande majorité des règles du système sont basées sur le système germanique de la fin du 19e siècle. Le deuxième événement majeur est la défaite du pays durant la Deuxième Guerre mondiale. À ce moment, les États-Unis ont imposé des modifications à la constitution japonaise, notamment le controversé article 9 (renonciation à la guerre et à la levée d’une armée), encore en vigueur aujourd’hui. Cette constitution modifiée régit présentement le Japon. Contrairement aux pouvoirs décisionnels de la Reine énumérés dans la Loi constitutionnelle de 1867 au Canada, la constitution japonaise actuelle modifiée après la Seconde Guerre mondiale n’accorde que des pouvoirs mineurs à l’empereur. De plus, celui-ci est requis de demander l’autorisation du Parlement pour la plupart de ses actions (art. 3 à 6).

Il est intéressant de constater que malgré tout, le texte énonce clairement les relations entre le premier ministre du Japon ainsi que celles du Parlement avec l’empereur. Par exemple, alors qu’au Canada la Reine nomme officiellement à travers le gouverneur général les juges de la Cour suprême, mais qu’ils sont, dans les faits, nommés sur recommandation (ou plutôt d’après un ordre) du premier ministre, l’article 6 de la Constitution de 1946 du Japon dispose textuellement que l’empereur nomme le juge en chef de la Cour suprême désigné par le cabinet ministériel. Bref, les éléments essentiels de la structure légale du pays sont clairs, en contraste total avec le Canada, où certaines connaissances sont nécessaires pour saisir certaines ambiguïtés.

De la campagne à la ville Ayant pu vivre tant à la campagne que dans un environnement urbain, j’ai pu observer par moimême la grande différence (ou l’indifférence) de la perception des citoyens par rapport au droit civil. À la base, les coutumes et les usages dans les différentes communautés rurales sont moralement au-dessus du droit pour ce qui est des matières privées. Alors qu’en ville, une certaine automatisation au regard de la loi plutôt stricte est notable : on agit de telle manière car tout le monde le fait de cette manière précise. Cela est le cas partout, que ce soit dans la rue, au travail ou à l’école. Alors qu’au Canada, il existe une homogénéité dans toutes les régions et des communications relativement directes entre les individus et la loi ainsi qu’avec les décideurs, les Japonais sont plus froids à l’égard de quelque chose qui semble au-dessus d’une certaine facilité de compréhension. La plupart ne connaissent pas formellement la loi, mais préfèrent se fier à la coutume apprise dans leur communauté. Arrivés en ville pour le travail, où cette communauté rurale n’existe plus près d’eux, ils

doivent adopter l’automatisme se pratiquant dans les milieux urbains. Il fut très intéressant d’observer et même d’interagir avec la communauté de ce pays à travers le travail et la camaraderie. Sans grande surprise, les coutumes et les lois sont différentes d’ici. Toutefois, étant donné la position géographiquement isolée du Japon, la différence entre l’Orient et l’Occident se sent de manière exponentielle, encore plus qu’en Thaïlande (observé dans un numéro précédent du Verdict). Chacun a sa propre manière d’apprécier le monde. Pour moi, les différences dans les us et coutumes sont ce qui rend passionnante la découverte de cultures étrangères. L’étude du droit nous limite en tant qu’étudiant et professionnel à étudier et à pratiquer dans notre coin de pays. Également, comme si cela n’était pas assez, la pandémie actuelle ne fait que nous limiter encore plus. Jusqu’à ce que les frontières internationales redeviennent ouvertes, préparons notre prochain voyage! Nous apprécierons davantage la chance que nous avons de partir découvrir notre planète et ses civilisations. Même si cet article sort du cadre ordinaire de l’observation du droit d’un État étranger, je crois profondément que le fait d’encourager les juristes de l’Université à garder la motivation pour leur passion de découvrir le monde est, au moment présent, un des plus importants apports de cette publication. Les prochains articles discuteront de pays différents et je vous encourage à m’apporter des suggestions pour les prochains pays à observer. Sans savoir ce que le futur nous réserve, gardons confiance!

Références Ressource (en anglais seulement) : The Japanese Legal System in a Nutshell, (Colin P.A. Jones et Frank S. Ravitch). Ressource (en japonais seulement, relativement facile à comprendre) : 憲法入門 第六版 (伊藤 真).


RÉFLÉXION

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par Shawn Foster Collaborateur bénévole

KANT ET LA RESPONSABILITÉ CIVILE Un concept que nous retrouvons autant dans la responsabilité civile extracontractuelle que chez le philosophe Emmanuel Kant, dans son ouvrage portant sur la moralité, Critique de la raison pratique (1), est celui du devoir. Ce dernier a une définition différente dans les deux contextes. Nous examinerons alors les convergences ainsi que les divergences entre la pensée du philosophe et ce que nous dicte la loi concernant la responsabilité. Considérant que Kant est le précurseur de la déontologie – mot dérivé du grec signifiant obligation, devoir –, une telle analyse s’avère pertinente puisqu’elle met en lumière les fondements éthiques en ce qui a trait à nos obligations envers autrui. En effet, le déontologisme est une théorie éthique ayant pour but de juger les actions posées eu égard à leur conformité au devoir moral.

Devoir Selon le dictionnaire Larousse (2), le devoir se définit comme étant le fait d’«[ê]tre tenu, obligé, de faire quelque chose pour quelqu’un». Cependant, le Dictionnaire de droit privé ajoute qu’il s’agit

de «ce qu’une personne doit faire ou s’abstenir de faire» (3). Chez Kant, «le concept du ‘‘devoir’’ est compris dans celui de ‘‘bonne volonté’’» (4). En ce sens, étant donné que nous sommes des homos rationalis, nous pouvons établir une distinction entre nos desiderata et ce que nous avons «le sentiment de devoir faire» (5). Le devoir est donc le sacrifice réalisé par suite d’une contrainte morale, laquelle se manifeste à nous a priori, à savoir par l’impératif catégorique. Ce dernier est «une règle qui est désignée par un devoir exprimant la contrainte objective qui impose l’action» (6). Tant dans la loi qu’auprès de chez Kant, le devoir incombe à la personne dotée de raison. Bien que chez le philosophe, tous les humains sont dotés de la raison, des critériums s’occupent, en droit, de définir ce que représente une personne jugée raisonnable. De surcroît, s’il est juste de dire que, selon la loi, un «devoir de sécurité s’apprécie [...] en fonction d’un contexte particulier dans lequel survient un événement» (7), aux yeux de Kant, le devoir est inconditionné et apodictique. Effectivement, la formulation de la règle morale qu’il édicte le stipule : «Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse en même temps toujours valoir comme principe d’une législation universelle» (8). Ainsi, alors qu’en droit, la «détermination de ce qui constitue un manquement à [un] devoir est laissée à l’appréciation des tribunaux» (9), Kant soumettrait plutôt l’action posée à la règle morale pour en déterminer la validité, car celle-ci provient directement de l’entendement pur, affirme-t-il dans son ouvrage.

Intention «[I]l n’est nullement nécessaire que le préjudice causé à autrui l’ait été de façon intentionnelle ou que l’auteur du préjudice ait été de mauvaise foi [...]. Ainsi, la personne qui agit de bonne foi mais de façon négligente pourra être tenue responsable du préjudice causé» (10). Tandis que dans la philosophie morale de Kant, la moralité réside dans les intentions, nous constatons qu’il y a une opposition entre le droit et la philosophie kantienne. En effet, chez Kant, «quand bien même l’action qui en dérive serait conforme à la loi [morale]» (11), l’action requiert l’intention pour avoir une validité morale. Ainsi se distingue celui qui agit conformément au devoir et celui qui agit par devoir. De même, les conséquences dérivant d’une action posée par devoir ne peuvent lui nier sa validité. C’est-à-dire que, contrairement à ce que propose la loi, seule l’intention avec laquelle je commets un acte peut être l’objet d’un jugement. En prime, le droit nous indique que «[l]a violation d’un devoir moral n’a pas [l’]effet [d’engendrer la responsabilité civile]» (12). Par contre, «si une personne est témoin d’un arrêt cardiaque subi par une autre personne et n’apporte aucun secours à cette personne, elle pourra être recherchée pour responsabilité civile» (13). Ainsi le droit actuel dissocie-t-il devoir moral et responsabilité civile. Voilà qui, d’un point de vue kantien, mérite une objection. Effectivement, selon la pensée de Kant, porter secours à une personne dans le besoin constitue un devoir, une obligation morale d’agir. Si «la morale ne porte pas sur ce qui est, mais


55 bien sur ce qui doit être» (14), on remarque que d’agir selon la loi morale universelle de Kant devrait être étroitement lié au concept de responsabilité civile. Toutefois, une nuance doit à nouveau être apportée, celle-ci étant qu’on «ne peut pas dire aux personnes ce qu’elles devraient faire, car [on] ne respecterait pas leur volonté» (15) – cette dernière étant le facteur déterminant de l’action morale. Quelle serait alors la bonne manière de procéder? Comment indiquer aux individus d’agir de façon à respecter la loi morale que leur dicte leur raison? Non seulement ceci permettrait-il d’atteindre le «ce qui doit être», mais également l’action attendue d’une personne jugée raisonnable, favorisant par extension la cohésion sociale.

Favoriser les résultats positifs? Éducaloi nous informe que d’intercéder pour une personne dans une situation dangereuse constitue une obligation «en raison des conséquences dramatiques qui peuvent en découler» (16). Chez Kant, poser une action à titre d’obligation en vue de quelque chose ne constitue point un impératif catégorique, mais plutôt un impératif hypothétique, c’est-à-dire qui est conditionné dans le but d’un effet désiré. Ainsi, un tel impératif ne constitue-t-il pas une loi, contrairement à ce qu’il en est aujourd’hui, mais plutôt une précepte pratique. L’action dans laquelle réside la moralité doit être posée pour elle-même, nous dit Kant, donc «indépendante de conditions pathologiques (17) et par suite attachées de façon contingente à la volonté» (18). En examinant l’approche kantienne, on en vient à s’interroger quant à notre préférence par rapport aux individus suivant des règles par obligation ou bien parce qu’ils sont des êtres de raison, donc moraux. Nous nous demandons aussi : «comment pourrait-on, ultimement, favoriser cet épanouissement moral?» puisqu’il permettrait, selon ce que nous constatons dans la moralité kantienne, de remplacer certaines lois dictant les rapports entre les individus.

Crédit photo : Canva

Notes (1) Emmanuel KANT, Critique de la raison pratique, Paris, Éditions Gallimard, 1985. (2) Librairie Larousse, Petit Larousse illustré, Paris, Librairie Larousse, 1991, p. 321. (3) Pierre DESCHAMPS, «Les conditions générales de la responsabilité civile du fait personnel», dans Collection de droit 2015-2016, École du Barreau du Québec, vol. 4, Responsabilité, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 18. (4) Martin PROVENCHER, Petit cours d’éthique et politique, Montréal, Éditions Chenelière Éducation, p. 74. (5) Id. (6) E. KANT, préc., note 1, p. 38. (7) P. DESCHAMPS, préc., note 3, p. 19. (8) E. KANT, préc., note 1, p. 53.

(9) P. DESCHAMPS, préc., note 3, p. 19. (10) Id., p. 24 à 25. (11) E. KANT, préc., note 1, p. 58. (12) P. DESCHAMPS, préc., note 3, p. 18. (13) Id. (14) M. PROVENCHER, préc., note 4, p. 75. (15) Id. (16) ÉDUCALOI, La responsabilité de la personne qui porte secours à quelqu’un, [En ligne], https ://www.educaloi.qc.ca/ capsules/la-responsabilite-de-la-personne-qui-porte-secours-quelquun. (17) «Chez Kant, et dans plusieurs traductions françaises de Kant : qui appartient aux sentiments, et plus spécialement aux passions». André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Éditions Presses Universitaires de France, 1972. (18) E. KANT, préc., note 1, p. 39.



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Crédit photo : Patrick Baghdisar


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«Trop blanche» pour être autochtone, mais «trop autochtone» pour être blanche Pour être tout à fait honnête, je ne sais même pas par où commencer. Je voudrais crier et pleurer en même temps, parce que cette semaine, au moment où j’écris ces quelques lignes, Joyce Echaquan a perdu la vie dans des circonstances atroces. Je ne peux même pas commencer à expliquer tout ce qui cloche avec la gestion de la question autochtone au sein du gouvernement québécois et canadien, mais pour résumer mon train de pensées, je vais m’en tenir à deux mots tout simples : racisme systémique. Cette expression ne vous est pas inconnue, j’en conclus, parce qu’elle fait la une des journaux depuis quelques mois déjà, en réponse à la mort de George Floyd entre les mains d’un policier américain cet été. Mais pour revenir au vif de mon sujet : concrètement, c’est quoi être autochtone? Être autochtone, légalement (parce que c’est bien sûr une loi fédérale qui détermine si tu es autochtone ou non), c’est soit être né de deux parents autochtones ou d’au moins un parent autochtone dont les deux parents sont aussi autochtones. Vous allez peut-être arriver à la même réflexion que moi; pourquoi l’appartenance culturelle estelle décidée par une loi et non par la transmission familiale de cette dite culture? Il m’apparait ridicule qu’encore aujourd’hui, un gouvernement qui se considère comme notre tuteur nous impose des balises ayant pour but de déterminer

notre statut. Cette stratégie visait, jadis, à exterminer les peuples autochtones, mais les objectifs de cette loi ont probablement évolué, comme notre société. Question de vous mettre en contexte, au Québec, il y a 11 Premières Nations et 55 communautés réparties un peu partout à travers la province. Je ne pousserai pas mon explication des différentes nations et communautés plus loin, mais je vous invite fortement à aller faire vos recherches personnelles, puisque ce n’est pas le système d’éducation québécois qui vous en apprendra suffisamment sur le sujet. L’identité pour moi est un sujet délicat. Je me suis toujours trouvée trop «blanche» pour être autochtone, mais trop «autochtone» pour être complètement blanche. C’est un effet secondaire de ne pas avoir de traits physiques typiquement associés aux autochtones, mais aussi un effet qui découle de la manière dont ce statut particulier a été transmis depuis les sept dernières générations.

Alexane Picard lors de la marche pour la guérison en mémoire de Joyce Echaquan. Dans la bulle, elle apparaît enfant lors d’une danse traditionnellle. Crédit photos : Le Verdict et fournie par Alexane Picard


59 par Alexane Picard Collaboratrice bénévole Ma mère est Huronne-Wendat, ce qui fait de moi une membre des Premières Nations, plus précisément membre de la Nation huronne-wendat, dont la seule communauté se trouve à Wendake, en banlieue de la ville de Québec. Et oui, pour répondre à cette question brulante que vous devez tous vous poser, j’ai ma carte «d’indienne». Je mets le mot «indien» entre guillemets, parce que c’est malheureusement le terme juridique utilisé par la loi régissant mon statut. J’ai donc accès aux «avantages» qu’une loi raciste me donne; cette même loi raciste écrite et mise en application dans les années 1880 dans le but d’exterminer une culture complète et d’assimiler ses membres. Ce qu’on considère maintenant comme des avantages, c’est-à-dire le fait de ne pas payer de taxes ou d’impôts – ce qui, en plus, est partiellement faux puisque les seuls moments où la soustraction est possible sont sur réserve – ne sont en réalité que des conséquences de la mise en tutelle des autochtones en 1876. La Loi sur les Indiens a permis au gouvernement d’enlever toutes les responsabilités civiles aux autochtones et, du fait même, de les considérer comme des non-citoyens, des incapables et des enfants de l’État. Ils ne pouvaient donc pas avoir de possessions foncières, ne pouvaient pas voter ou ne pouvaient pas exercer les mêmes droits que les citoyens canadiens. Au-delà de ces avantages, qui, comme je l’ai mentionné, ne sont présents que pour diminuer l’autonomie civile des autochtones, j’ai la chance de faire partie d’une nation riche en culture et en tradition. J’ai eu la chance, plus jeune, de danser auprès de ma mère lors de multiples pow-wow et de plusieurs événements organisés un peu partout dans la ville de Québec et à l’extérieur.

J’ai réalisé dans les dernières années de ma vie que cette culture et cette identité sont des parties prenantes de qui je suis et que j’en suis plus que fière. Par contre, en vieillissant, j’ai bien vite caché cette partie de moi. Je ne m’y identifiais plus autant qu’avant, ne voulant plus être associée aux stéréotypes découlant de cette identité et dans le but d’éviter de me poser mille et une questions. Après tout, j’avais la chance de me cacher derrière une apparence qui ne laisse pas paraître mon héritage culturel. J’avais cette chance d’éviter les conversations inconfortables et de pouvoir cacher une partie de mon identité par peur de recevoir des commentaires déplaisants. J’ai réalisé dans les dernières années de ma vie que cette culture et cette identité sont des parties prenantes de qui je suis et que j’en suis plus que fière. Je suis fière aujourd’hui de pouvoir reconnecter petit à petit, par l’intermède de mon comité universitaire et de mes implications personnelles, avec ma culture. Je suis fière d’être autochtone et je n’ai plus peur de m’identifier à ce que je suis vraiment. J’ai appris que ce qui faisait de moi quelqu’un de différent était aussi une force, et que considérant les récents évènements, il était plus que temps que j’assume mon appartenance à cette culture qui ne cesse de m’épater. Non, les conversations ne seront pas toutes faciles à avoir, mais elles doivent avoir lieu pour que les choses changent. Je suis tannée, les Premières Nations sont tannées et c’est le temps que ça change.


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par Dominique Gobeil

Une belle journée pour mettre le feu «C’est une belle journée pour mettre le feu, vous ne trouvez pas? Han? C’est une belle journée pour mettre le feu, vous ne trouvez pas?» Ma question est inspirée de la chanson Divagation parlementaire de l’artiste saguenéen Philippe Brach, et je dois vous avouer que ces paroles trouvent un séduisant écho en moi ces derniers temps. Je ne suis pas pyromane, loin de là, mais je ressens au fond de mon être une brûlante urgence d’agir pour secouer les esprits embourbés, un ardent désir d’allumer des brasiers pour faire fondre les coeurs glacés, un incandescent besoin de cracher des flammes de mots pour détruire les systèmes brisés. L’actualité récente me donne tellement de raisons de m’indigner, de me scandaliser, de me révolter. Peut-être que c’est parce que les tracas du quotidien sont exacerbés par la pandémie de COVID-19 que mon énergie s’éparpille dans tous les sens, toujours déviée vers une injustice encore plus grande. Je pourrais vous parler de l’immense chance que nos technologies polluantes nous permettent de maintenir les cours à distance, avec pour joyeuses conséquences la santé mentale des étudiants qui dépérit au rythme des lectures qui s’alourdissent, la lumière dans les yeux des professeurs qui s’éteint au fil des caméras qui se ferment, la puissance de nos établissements d’enseignement qui s’effrite comme leurs coffres en banque qui se vident.

Mais peut-être que je devrais simplement regarder par ma fenêtre et me dire que c’est une belle journée pour étudier. Je pourrais vous entretenir de l’absurde quête de sens des jeunes de ma génération, quand le rouge n’est plus synonyme de passion, mais de récession et de l’ordre de «rester à la maison», quand l’envie de s’ouvrir au monde se confronte à notre empreinte carbone trop sale et à nos anticorps défaillants, quand la courbe de l’espérance de vie s’aplatit sous la pression de l’air pollué, faisant faiblir les enfants plus rapidement que les parents. Mais peut-être que je devrais simplement regarder par ma fenêtre et me dire que c’est une belle journée pour boire un thé. Je pourrais discourir sur notre dignité collective bafouée, pendant que des femmes et des enfants s’intoxiquent dans des dépotoirs pour trouver de quoi manger, que des réfugiés se retrouvent sans pays et sans toit en fuyant de violentes atrocités, que des personnes de couleur meurent écrasées dans les rues par des policiers. Je pourrais regarder par ma fenêtre et penser, c’est dégoûtant ailleurs, mais pas ici. Ce serait me tromper. Depuis des années, on préfère investir dans ce qui nous rapporte de l’argent, mais on délaisse les richesses sociales générées par l’éducation et la santé. On laisse le Québec devenir une population d’analphabètes fonctionnels et on exploite les préposées, les infirmières et autres travailleurs qui prennent soin de nos communautés. Et ensuite on ose se deman-

der, comment des femmes censées guérir laissent mourir une mère atikamekw en détresse? Comment penser que c’est un événement isolé quand les symptômes de notre société malade nous éclatent dans le visage depuis si longtemps? Entendez-vous les plaintes, entendez-vous les cris, entendezvous l’humanité blessée? C’est une belle journée pour écouter, vous ne trouvez pas?

Inspirations • Stéphane BAILLARGEON, «La santé mentale des Québécois engloutie par la pandémie», Le Devoir, 30 septembre 2020. • AGENCE FRANCE-PRESSE, «La pollution de l’air ampute l’espérance de vie», Le Devoir, 3 avril 2019. • François PESANT, «Les dépotoirs de Delhi», L’Actualité, 16 septembre 2010. • 57 % des réfugiés relevant de la compétence du Haut-commissariat pour les réfugiés sont originaires de la Syrie, l’Afghanistan ou le Soudan du Sud : NATIONS UNIES, «Les réfugiés», https :// www.un.org/fr/sections/issues-depth/ refugees/ (consulté le 30 octobre 2020). • BBC, «George Floyd : 11 meurtres qui ont provoqué des manifestations contre la brutalité policière aux États-Unis». • «19 % des Québécois sont analphabètes (niveaux -1 et 1 de littératie) et 34,3 % éprouvent de grandes difficultés de lecture et se situent au niveau 2 de littératie. Ces derniers seront souvent qualifiés d’analphabètes fonctionnels.» : FONDATION POUR L’ALPHABÉTISATION, «Analphabétisme au Québec». • Pour des mèmes grinçants sur le réseau de la santé et des services sociaux, voir la page Facebook Organisation structurelle coconstruite de lo praticienxe réflexixe. • Suzanne COLPRON, «Mort de Joyce Echaquan : “Ce n’était pas la première fois”», La Presse, 2 octobre 2020.


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Crédit photo : Patrick Baghdisar



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