ITAA-Zine | Numéro 5 - septembre 2020

Page 11

11 INTERVIEW DE KRIS MESKENS ?

“Signaler un soupçon de blanchiment”

De nombreux experts-comptables et conseillers fiscaux considèrent la législation antiblanchiment comme une charge contraignante qui nous est imposée par l’Europe et le législateur. « La législation préventive du blanchiment d’argent repose sur quatre piliers essentiels. Si les règles sont suivies à la lettre, la charge administrative est plutôt minime », comme l’explique Kris Meskens, secrétaire général de la CTIF. L’ITAA s’en est entretenu avec lui lors d’une interview numérique, coronavirus oblige. ITAA : Pourriez-vous expliquer brièvement le fonctionnement précis de la législation antiblanchiment ainsi que sa raison d’être ? Kris Meskens : « Tout d’abord, je tiens à dissiper un malentendu. La législation n’est jamais censée être un fardeau, et certainement pas au point d’entraver la coopération économique. Au contraire. La fraude, le blanchiment d’argent et d’autres activités similaires ont un impact négatif sur l’économie. À travers cette loi, nous voulons aider l’économie en nous débarrassant des mauvaises influences. À cette fin, la législation relative à la prévention du blanchiment de capitaux prévoit quatre piliers. Les premiers piliers sont très étroitement liés, et peuvent être résumés pour l’essentiel par les expressions « Know Your Customer & Know Your Relations ». Pour pouvoir collaborer avec un client, il faut d’abord lui faire confiance. Vous ne gagnerez cette confiance que si vous pouvez identifier votre client au moyen de la carte d’identité, de son numéro BCE, mais nous savons également qui sont les bénéficiaires finaux d’une entité ou qui est le mandataire. C’est la seule façon pour un expert-comptable ou un conseiller fiscal – mais aussi pour un notaire, un avocat, une banque, une compagnie d’assurance – d’établir une relation de confiance à long terme. Si la relation change à long terme (par exemple, le nom d’un bénéficiaire effectif, d’un nouveau mandataire, une société en cours d’acquisition ou de fusion, une modification des statuts), mais aussi la raison de la collaboration, alors vous devez également le consigner par écrit ».

aux factures. Un expert-comptable doit avoir le réflexe de demander une explication supplémentaire. Sur la base de l’explication, vous pouvez soupçonner une fraude et un blanchiment d’argent, que vous signalerez ultérieurement, ou vous établirez qu’il s’agit d’un simple oubli ».

ITAA : Un oubli peut arriver, mais que se passe-t-il dans le cas d’oublis à répétition ? En tant qu’expert-comptable ou conseiller fiscal, vous vous mettez à soupçonner qu’il y a anguille sous roche, n’est-ce pas ? Kris Meskens : « Bien sûr. C’est pour cela que la loi prévoit un troisième pilier : la vigilance. Comme vous le savez, il existe deux situations : une vigilance permanente et une vigilance accrue. Il peut arriver que vous accordiez au client le bénéfice du doute en vous fondant sur son explication. En tant qu’expert-comptable ou conseiller fiscal, vous êtes toujours vigilant sur les transactions du client. Dès que vous voyez quelque chose d’atypique, différents clignotants doivent s’allumer et vous placez le client dans une position de vigilance accrue ».

ITAA : Devez-vous déjà le notifier ? Et qu’advient-il d’une telle déclaration ?

ITAA : Tout doit être correctement consigné par écrit. Mais la loi prévoit également de signaler un soupçon de blanchiment de capitaux. En quoi consiste ce soupçon de blanchiment de capitaux ?

Kris Meskens : « Je voudrais tout d’abord souligner qu’il n’y a pas de déclarations faites « à tort », on évalue seulement la bonne foi du déclarant. Une déclaration ne signifie pas d’office qu’il se passe quelque chose ou que le parquet soit appelé à intervenir. Une déclaration implique que la CTIF mène d’abord une enquête, entre autres en vérifiant auprès des banques l’existence ou non de transactions suspectes. La police vérifie également si cette personne est connue pour certains faits. La déclaration elle-même est d’ailleurs le quatrième pilier de la législation.

Kris Meskens : « Supposons qu’un expert-comptable ait comme client un entrepreneur. Ce client est normalement identifié. Les factures arrivent régulièrement (par exemple des magasins de matériaux de construction) et d’autres factures partent chez les clients. Logique. Or, soudain, des factures manquent ou les paiements ne correspondent pas

La question est avant tout de savoir pourquoi un expert-comptable ou un conseiller fiscal ferait une déclaration. Si la CTIF ou le ministère public découvre un élément suspect à l’issue d’une enquête, on vérifie si la personne concernée a collaboré avec un expert-comptable, un conseiller fiscal ou un notaire. Dans ce cas, le professionnel concerné peut être interrogé. Magazine mensuel de l’ITAA | N° 5 | Septembre 2020


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.