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La nouvelle SRL et la suppression de la notion de capital social sous le prisme de la fiscalité directe (II

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Pour tenir compte des modifications apportées par le nouveau CSA, et en particulier de la suppression de la notion de capital social pour la nouvelle SRL, la législation fiscale a été amendée par la loi du 17 mars 2019 dont nous poursuivons ici l’examen (voir ITAA-zine 4/2020).

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E. Le remboursement et la réduction de capital

12.  Comme le souligne l’Exposé des motifs de la loi du 17 mars 2019, le régime du remboursement de capital a été profondément modifié par la loi du 25 décembre 2017 1 .

Afin d’éviter le report dans le temps du prélèvement du précompte mobilier et de l’imposition dans le chef de l’associé, la réduction de capital est imputée proportionnellement sur le capital libéré et sur les réserves taxées de la société, et ce indépendamment de l’opération comptable et de la régularité de la décision par rapport au droit des sociétés (article 184, dernier alinéa du CIR 1992).

La loi du 17 mars 2019 a adapté l’article 18, alinéa 1, 2° et 2°bis du CIR 1992 à différents égards. Ainsi, le mot « social » accolé au mot « capital » est supprimé. En outre, il est spécifié que les remboursements totaux ou partiels de capital doivent être « opérés en exécution d’une décision régulière de la société conformément au Code des sociétés et des associations, ou, si la société n’est pas régie par ce Code, conformément aux dispositions du droit qui la régit ».

Les alinéas 2 et 3 de l’article 18 du CIR 1992 sont reformulés de manière telle que l’intention qui animait le législateur, lors de l’introduction de la mesure d’imputation proportionnelle de la réduction de capital, soit mieux traduite. Il est par ailleurs également tenu compte des modifications apportées à l’article 184 du CIR 1992.

Aussi, le remboursement du capital libéré est toujours considéré comme une exception à l’énumération des dividendes imposables de l’article 18 du CIR 1992. La distinction entre le remboursement du capital proprement dit et celui des sommes y assimilées est également maintenue.

F. L’acquisition d’actions propres F.1.  Rappel du régime existant

13.  Le CSA a assoupli le régime d’acquisitions d’actions propres. Le plafond de 20 % du capital souscrit a été supprimé. Désormais, une SRL peut acquérir ses propres actions sans restriction.

Au niveau fiscal, lorsqu’une société rachète ses propres actions, la différence entre le prix d’acquisition des actions et la quote-part de la valeur réévaluée du capital libéré représentée par lesdites actions est considérée comme un dividende distribué (article 186 du CIR 1992).

Ce dividende, aussi appelé boni d’acquisition, n’est toutefois censé être distribué fiscalement qu’au moment et à concurrence du prélèvement sur les fonds propres résultant : 1° de la comptabilisation d’une réduction de valeur sur les actions ; 2° de l’aliénation des actions avec moins-value ; 3° de la destruction ou de l’annulation de plein droit des actions ; 4° de la dissolution de la société.

Auparavant, si l’acquisition d’actions propres était opérée conformément au Code des sociétés – qui prévoyait un plafond de 20 % –, l’imposition du boni d’acquisition était reportée aussi longtemps que les actions étaient conservées en portefeuille. Elle n’intervenait que lorsque les actions acquises quittaient effectivement le patrimoine de la société (par destruction, aliénation, etc.).

La disparition du plafond de 20 %, consécutive à l’entrée en vigueur du CSA, permettrait a priori aux sociétés de postposer indéfiniment l’imposition du boni d’acquisition,

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et ce indépendamment de l’importance de l’acquisition des actions propres.

F.2. Instauration d’un plafond de 20 % en droit fiscal

14.  Pour assurer la neutralité fiscale par rapport à la situation antérieure à l’entrée en vigueur du CSA, le législateur a inséré un sixième alinéa à l’article 186 du CIR 1992, de manière telle que le plafond des 20 % est conservé. Cet alinéa prévoit que « dans la mesure où l’acquisition a pour effet que la société émettrice des actions détient en portefeuille des actions propres représentant plus de 20 % de son capital, les actions propres nouvellement acquises (dépassant cette limite) sont censées être détruites ».

À la différence de la situation antérieure au CSA, le délai de régularisation d’un an n’existe plus de sorte que l’imposition intervient immédiatement, dès le dépassement du plafond. La neutralité fiscale est ainsi garantie. Par cette fiction, le législateur évite le report indéfini de la distribution de dividendes. Il y a ainsi une modification de timing : pour ces titres, le report de taxation ne peut s’appliquer, dès lors qu’ils sont réputés détruits 2 .

À titre supplétif, l’article 186 du CIR 1992 offre la possibilité à la société de désigner les actions qui provoquent le dépassement imposable. Ainsi, en cas d’acquisition simultanée d’actions de différents cédants ou à différents prix, la société a la faculté de désigner librement quelles actions nouvellement acquises sont censées être détruites. À défaut d’un tel choix, les actions nouvellement acquises sont censées être détruites proportionnellement au nombre d’actions par cédant ou par prix d’acquisition. Pour un exemple chiffré relatif au dépassement de la limite des 20 %, nous renvoyons à l’Exposé des motifs 3 .

À cet égard, il serait souhaitable de faire supporter les conséquences du dépassement du plafond des 20 % sur les cédants bénéficiant, le cas échéant, de la déduction au titre des RDT. Ceci ne pourrait, selon nous, être considéré comme un abus, dès lors que le législateur offre expressément la possibilité de désigner quelles sont les actions censées être détruites 4 .

Cf. E. von FRENCKELL, G. GALEA et M. DURANT, « Le nouveau CSA et la fiscalité des restructurations », op. cit., p. 155, n° 38. Cf. Exposé des motifs, Doc. Parl., Chambre, n° 54-3367/001, pp. 18 et 19. Cf. G. DELFOSSE et I. PANIS, « Aspects fiscaux du nouveau Code des sociétés et des associations », op. cit., p. 31.

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F.3. Actions propres F.5. Incidence sur le

conservées en portefeuille La CSA a assoupli capital libéré 15.  Bien que les actions soient censées l’acquisition d’actions 17.  Le capital libéré est réduit à concurêtre détruites au plan fiscal, celles-ci propres. Ce régime n’est rence de la quote-part correspondant continuent à exister. Dans l’hypothèse où la société décide de les conserver en plus limité à un maximum aux actions propres acquises et fictive ment détruites. L’acquisition d’actions portefeuille, leur valeur fiscale nette est de 20 % des actions. propres entraîne ainsi une réduction du égale à zéro et la valeur pour laquelle elles sont inscrites au bilan constitue une plus-value exprimée non réalisée Désormais, une SRL peut acquérir ses propres capital libéré conformément à l’article 188, alinéa 1 du CIR 1992, bien que ces actions continuent d’exister. (nouvel article 186 du CIR 1992). actions sans restriction. Dans l’hypothèse où elles sont par la Conformément à l’article 44, § 1, 1° du suite vendues, la quote-part du capital CIR 1992, ces plus-values sont provisoiqui avait disparu en raison de la destrucrement exonérées à l’impôt des sociétés, tive fictive des actions propres acquises est si elles respectent la condition d’intangibireconstituée à concurrence de l’indemnité perçue lité prévue à l’article 190, alinéa 2 du CIR ou la valeur de réalisation, diminuée des frais de réa1992. lisation. Cette majoration du capital libéré est cependant 16.  Si, par la suite, la société décide de revendre lesdites La première figure à l’article 188, alinéa 3, 1° du CIR 1992 en ration pour la détermination du résultat imposable jusqu’à CIR 1992, précise que la destruction fictive des actions n’a la durée pendant laquelle elles restent ou sont restées en manence et de participation en vue de la renonciation au précompte mobilier sur les bonis qui en résultent, puisque la société est censée distribuer un dividende à ce moment 5 . limitée au montant de capital qui a été réduit lors de l’acF.4. Revente des actions propres quisition desdites actions (article 188, al. 3, 2° du CIR 1992). Cette augmentation de capital libéré, qui ne provient pas à actions, elle devra tenir compte de deux nouvelles règles. L’Exposé des motifs de la loi du 17 mars 2019 fournit de vertu duquel « l’indemnité perçue ou la valeur de réalisation, diminuée des frais de réalisation, n’est pas prise en considéF.6. Asymétrie persistante concurrence de la valeur d’acquisition ». 18.  L’asymétrie résultant de l’hypothèse d’une acquisition L’autre règle, inscrite au dernier alinéa de l’article 186 du suivie d’une vente ou d’une destruction immédiate, subsiste. aucune influence sur le respect des conditions de permaLe décalage dans le temps entre le paiement des actions nence et de participation dans le cadre de l’exonération des acquises et la détermination du moment où un dividende plus-values sur actions. est censé distribué à la suite d’un des événements énuméLa destruction fictive des actions est sans incidence sur 17 mars 2019. portefeuille, aux fins de déterminer le délai de détention L’Exposé des motifs rappelle que l’objectif de la loi du 17 minimale d’un an, l’une des conditions nécessaires pour mars 2019 est d’assurer la neutralité fiscale des nouvelles l’exonération de la plus-value en cas d’aliénation. règles du CSA. Cette asymétrie ne découle toutefois pas L’Exposé des motifs de la loi du 17 mars 2019 révèle qu’il précédemment 7 . La solution à ce décalage temporel devrait faut se placer au moment de l’acquisition des actions être recherchée « dans le cadre d’un projet distinct du prépropres pour apprécier le respect des conditions de persent projet 8 ». proprement parler d’un apport, est neutre fiscalement. nombreux exemples d’acquisition d’actions propres 6 . d’actions propres, en dessous de la limite des 20 %, non rés à l’article 186 du CIR 1992, n’a pas été réglé par la loi du des nouvelles règles mais de lois plus anciennes adoptées

5 6 7 8 Cf. Exposé des motifs, Doc. Parl., Chambre, n° 54-3367/001, p. 20. Cf. Exposé des motifs, Doc. Parl., Chambre, n° 54-3367/001, pp. 20 à 28. Cf. Exposé des motifs, Doc. Parl., Chambre, n° 54-3367/001, p. 20. Cf. Exposé des motifs, Doc. Parl., Chambre, n° 54-3367/001, p. 20.

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G. Fusions, scissions et opérations assimilées 9

G.1. Définitions autonomes

19.  À la suite de la consécration de la théorie du siège statutaire en droit des sociétés et du maintien de la théorie du siège réel en droit fiscal, le législateur a introduit des définitions fiscales autonomes pour les opérations de réorganisation.

Ainsi, la loi du 17 mars 2019 abroge la référence implicite au droit des sociétés et insère de nouvelles définitions, d’une part, pour les fusions, scissions et opérations assimilées et, d’autre part, pour les apports de branche d’activité ou d’universalité (nouvel article 2, § 1, 6°/1 et 6°/2 du CIR 1992). Ces nouvelles définitions sont inspirées des définitions de la Directive sur les fusions n° 2009/133/CE.

En raison du détachement du droit fiscal par rapport au droit des sociétés, il est désormais possible que des opérations de restructuration impliquant exclusivement ou partiellement des sociétés étrangères soient régies par le CIR 1992. Des sociétés de droit étranger dont le siège de direction effective est sis en Belgique devront respecter le droit fiscal belge même s’il n’y a plus aucun point de rattachement avec le droit des sociétés belge. La dichotomie entre la théorie du siège statutaire appliquée en droit des sociétés et la théorie du siège réel appliquée en droit fiscal rend ces situations possibles.

CSA sous la loupe, Limal, Anthemis, 2019, p. 555.

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La loi du 17 mars 2019 supprime donc logiquement la condition selon laquelle l’opération doit être réalisée conformément au droit des sociétés pour qu’elle puisse s’opérer en toute neutralité fiscale (anciens articles 46, § 1, al. 3, 2° et 211, § 1, al. 4 du CIR 1992). La suppression de cette exigence est justifiée par la difficulté de vérifier si les opérations relevant d’un droit étranger respectent bien ce dernier.

Les autres conditions pour pouvoir bénéficier de la neutralité fiscale sont maintenues. Les opérations doivent notamment concerner des sociétés résidentes ou intra-européennes et répondre à des besoins légitimes de caractère financier ou économique.

G.2. Nouvelles hypothèses visées

20.  La liste des situations énumérées à l’article 210 du CIR 1992 pouvant bénéficier du régime fiscal prévu aux articles 208 et 210 du CIR 1992 a été étendu aux cas suivants : 1° la dissolution d’une société résidente sans partage total de l’avoir social à l’occasion d’une opération qui ne peut être qualifiée de fusion, scission ou opération assimilée (nouvel article 210, § 1, 2° du CIR 1992) ; selon l’Exposé des motifs, ce cas vise l’absorption d’une société résidente moyennant le paiement d’une soulte en espèces supérieure à 10 % de la valeur nominale ou du pair comptable des actions 10 ; 2° le transfert, sans dissolution, de tout ou partie de l’avoir social d’une société résidente, qui continue à exister,

Sur cette question, cf. notamment E. von FRENCKELL, G. GALEA et M. DURANT, « Le nouveau CSA et la fiscalité des restructurations », op. cit., pp. 135 à 164 ; L. DE BROE et D. GARABEDIAN, « Aspects de droit fiscal », in Le nouveau droit des sociétés et associations : le à l’occasion d’une opération analogue à celles que le Cf. Exposé des motifs, Doc. Parl., Chambre, n° 54-3367/001, pp. 15 et 16.

CIR 1992 définit comme opérations assimilées à une scission (nouvel article 210, § 1, 2°bis du CIR 1992) ; cette disposition vise à soumettre les sociétés qui sont régies par un droit étranger, parce qu’ayant leur siège statutaire à l’étranger, au régime fiscal développé ci-avant dans l’hypothèse d’une opération analogue à une scission ou opération assimilée.

L’Exposé des motifs évoque que le législateur entend cibler la scission partielle d’une société résidente par laquelle une partie de l’avoir social est transférée avec remise directe aux actionnaires, non d’actions de la société bénéficiaire du transfert, mais de la société mère de celle-ci 11 .

L’article 2, § 1, 6/1, g), 2) du CIR 1992 définit la scission partielle silencieuse comme l’opération par laquelle une société transfère sans dissolution une partie de son patrimoine, activement et passivement, à une autre société qui est déjà titulaire de toutes ses actions ou parts et autres titres conférant le droit de vote.

H. De quelques aspects de droit transitoire

21.  Conformément à son article 119, § 1, alinéa 1, la loi du 17 mars 2019 entre en vigueur le 1 er mai 2019. Cette date coïncide avec la date d’entrée en vigueur du CSA. La date du 1 er mai 2019 a également été retenue pour l’entrée en vigueur de certaines dispositions spécifiques 12 .

La loi du 17 mars 2019 ne se borne pas à adapter certaines dispositions, elle définit certaines notions de manière autonome.

À titre d’exemple, les nouvelles définitions autonomes relatives aux fusions, scissions, opérations assimilées ou aux apports d’universalité de biens et de branches d’activité s’appliquent depuis le 1 er mai 2019 aux opérations effectuées à partir de cette date.

Cela vaut également pour les dispositions qui se référaient auparavant à la notion de « capital social ». La nouvelle notion de « capital » s’applique aux acquisitions d’actions propres et aux remboursements de capital effectués à partir du 1 er mai 2019.

Les modifications apportées au régime VVPRbis sont assorties de règles spécifiques concernant leur entrée en vigueur. Les sociétés sans capital minimum peuvent désormais bénéficier de ce régime et distribuer des dividendes à un taux réduit de précompte mobilier sous certaines conditions. Cet

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assouplissement s’applique aux apports effectués à partir du 1 er mai 2019.

La loi du 17 mars 2019 tient également compte du fait que le CSA ne s’applique pas directement à toutes les sociétés à partir du 1 er mai 2019 mais entre en vigueur par phases successives. Une période transitoire est accordée aux sociétés existantes jusqu’au 1 er janvier 2020 pour les dispositions impératives et jusqu’au 1 er janvier 2024 pour les autres dispositions. La législation fiscale conserve par conséquent les références à l’ancien Code des sociétés pour les sociétés qui ne sont pas encore soumises au CSA.

Tant que le CSA ne s’applique pas à une société, il y a lieu de se référer à l’ancien Code des sociétés pour l’application de la législation fiscale. Ainsi, « la disposition transitoire fait en sorte que, pour une société existante, la nouvelle référence à l’article 1:24 du CSA continue à se lire comme une référence à l’article 15 du CDS aussi longtemps que cette société n’est pas soumise au CSA 13 ».

I. Conclusion

22.  Le législateur poursuivant un objectif de stricte neutralité fiscale, il s’est, pour l’essentiel, limité à adapter la terminologie fiscale. Ce travail d’adaptation n’a, en apparence, débouché sur aucune modification substantielle, sous réserve d’un assouplissement des règles applicables au régime VVPRbis et d’un durcissement des règles applicables à l’acquisition d’actions propres. À cet égard, le travail effectué demeure en partie imparfait et devrait faire l’objet de certaines retouches.

Dans ce contexte, l’apparition de définitions autonomes et propres à la législation fiscale a mis en lumière une « distanciation » accrue entre le droit fiscal et le droit des sociétés, bien que la distinction entre le capital libéré, les réserves taxées et les réserves exonérées subsiste toujours.

L’avenir révélera si le but du législateur a été réellement atteint. L’application des dispositions transitoires engendrera certainement des questionnements.

Pour être un succès, la révolution copernicienne que constitue, au niveau belge, la SRL impliquera une nécessaire ouverture d’esprit des praticiens de la fiscalité. Nous découvrirons avec intérêt et impatience l’avenir qui lui sera réservé.

Luc Herve

Avocat

11 12 13 Cf. Exposé des motifs, Doc. Parl., Chambre, n° 54-3367/001, pp. 15 et 16. Cf. L. DE BROE et M. PEETERS, « Profonde simplification des formes de sociétés et entrée en vigueur », Fiscologue, n° 1610, 3 mai 2019. Cf. Exposé des motifs, Doc. Parl., Chambre, n° 54-3367/001, p. 53.

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