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Interview: “Signaler un soupçon de blanchiment

INTERVIEW DE KRIS MESKENS

“Signaler un soupçon de blanchiment”

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De nombreux experts-comptables et conseillers fiscaux considèrent la législation antiblanchiment comme une charge contraignante qui nous est imposée par l’Europe et le législateur. « La législation préventive du blanchiment d’argent repose sur quatre piliers essentiels. Si les règles sont suivies à la lettre, la charge administrative est plutôt minime », comme l’explique Kris Meskens, secrétaire général de la CTIF. L’ITAA s’en est entretenu avec lui lors d’une interview numérique, coronavirus oblige.

ITAA : Pourriez-vous expliquer brièvement le fonctionnement précis de la législation antiblanchiment ainsi que sa raison d’être ?

Kris Meskens : « Tout d’abord, je tiens à dissiper un malentendu. La législation n’est jamais censée être un fardeau, et certainement pas au point d’entraver la coopération économique. Au contraire. La fraude, le blanchiment d’argent et d’autres activités similaires ont un impact négatif sur l’éco nomie. À travers cette loi, nous voulons aider l’économie en nous débarrassant des mauvaises influences. À cette fin, la législation relative à la prévention du blanchiment de capitaux prévoit quatre piliers. Les premiers piliers sont très étroite ment liés, et peuvent être résumés pour l’essentiel par les expressions « Know Your Customer & Know Your Relations ».

Pour pouvoir collaborer avec un client, il faut d’abord lui faire confiance. Vous ne gagnerez cette confiance que si vous pouvez identifier votre client au moyen de la carte d’identité, de son numéro BCE, mais nous savons également qui sont les bénéficiaires finaux d’une entité ou qui est le manda taire. C’est la seule façon pour un expert-comptable ou un conseiller fiscal – mais aussi pour un notaire, un avocat, une banque, une compagnie d’assurance – d’établir une relation de confiance à long terme. Si la relation change à long terme (par exemple, le nom d’un bénéficiaire effectif, d’un nouveau mandataire, une société en cours d’acquisition ou de fusion, une modification des statuts), mais aussi la raison de la colla boration, alors vous devez également le consigner par écrit ».

ITAA : Tout doit être correctement consigné par écrit. Mais la loi prévoit également de signaler un soupçon de blanchiment de capitaux. En quoi consiste ce soupçon de blanchiment de capitaux ?

Kris Meskens : « Supposons qu’un expert-comptable ait comme client un entrepreneur. Ce client est normalement identifié. Les factures arrivent régulièrement (par exemple des magasins de matériaux de construction) et d’autres factures partent chez les clients. Logique. Or, soudain, des factures manquent ou les paiements ne correspondent pas aux factures. Un expert-comptable doit avoir le réflexe de demander une explication supplémentaire. Sur la base de l’explication, vous pouvez soupçonner une fraude et un blan chiment d’argent, que vous signalerez ultérieurement, ou vous établirez qu’il s’agit d’un simple oubli ».

ITAA : Un oubli peut arriver, mais que se passe-t-il dans le cas d’oublis à répétition ? En tant qu’expert-comptable ou conseiller fiscal, vous vous mettez à soupçonner qu’il y a anguille sous roche, n’est-ce pas ?

Kris Meskens : « Bien sûr. C’est pour cela que la loi prévoit un troisième pilier : la vigilance. Comme vous le savez, il existe deux situations : une vigilance permanente et une vigilance accrue. Il peut arriver que vous accordiez au client le bénéfice du doute en vous fondant sur son explication. En tant qu’ex pert-comptable ou conseiller fiscal, vous êtes toujours vigilant sur les transactions du client. Dès que vous voyez quelque chose d’atypique, différents clignotants doivent s’allumer et vous placez le client dans une position de vigilance accrue ».

ITAA : Devez-vous déjà le notifier ? Et qu’advient-il d’une telle déclaration ?

Kris Meskens : « Je voudrais tout d’abord souligner qu’il n’y a pas de déclarations faites « à tort », on évalue seulement la bonne foi du déclarant. Une déclaration ne signifie pas d’office qu’il se passe quelque chose ou que le parquet soit appelé à intervenir. Une déclaration implique que la CTIF mène d’abord une enquête, entre autres en vérifiant auprès des banques l’existence ou non de transactions suspectes. La police vérifie également si cette personne est connue pour certains faits. La déclaration elle-même est d’ailleurs le quatrième pilier de la législation.

La question est avant tout de savoir pourquoi un expert-comp table ou un conseiller fiscal ferait une déclaration. Si la CTIF ou le ministère public découvre un élément suspect à l’issue d’une enquête, on vérifie si la personne concernée a collaboré avec un expert-comptable, un conseiller fiscal ou un notaire. Dans ce cas, le professionnel concerné peut être interrogé.

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Il se peut qu’il le soit en tant que peut démontrer qu’il a fait une décla complice. En signalant un soupçon, vous vous protégez d’une telle éven « Il n’y a pas de fausse ration à la CTIF, il n’est pas complice, comme mentionné ci-dessus. tualité. Après tout, la loi prévoit que déclaration. Dès qu’un expertde facto vous n’êtes pas complice d’une déclaration parce que vous avez dévoilé l’opération de blanchi comptable ou un conseiller fiscal soupçonne un blanchiment Il peut arriver que le client vous parle d’une déclaration à son encontre. En tant qu’expert-comptable ou conseil ment de capitaux en toute bonne foi. d’argent, il convient de faire ler fiscal, vous pouvez toujours Il est important de noter que même si vous savez qu’une autre entité, telle qu’un notaire ou une banque, a une déclaration. Ensuite, il peut placer ce client sous une répondre que vous n’êtes au courant de rien et que vous allez examiner la question. Ou que vous avez déjà effectué une déclaration, il reste vigilance accrue » effectivement été contacté par un conseillé de le faire également. La organisme public. Si vous ne l’avez CTIF va joindre les deux déclarations pas déclaré vous-même, je vous dans un même dossier et poursuivre conseille de le faire quand même ou ses investigations. » de mettre ce client en vigilance accrue. La collaboration peut

ITAA : Lorsque vous avez fait une déclaration mais qu’il s’agit d’un simple soupçon, cela veut-il dire que vous ITAA : Quelle est la qualité des déclarations faites par devez arrêter la collaboration ? un expert-comptable ou un conseiller fiscal ?

Kris Meskens : « Pas nécessairement. Cette appréciation dépend bien entendu de la situation. Dans certaines situa tions, il est préférable d’arrêter la collaboration si la confiance est rompue. Dans d’autres cas, la collaboration peut parfaite ment se poursuivre, mais il faut faire preuve d’une vigilance accrue. En d’autres termes, tous les radars sont en mode ‘on’. »

ITAA : Supposons que vous ayez fait une déclaration et que vous ayez placé ce client sous une vigilance accrue, mais qu’au bout d’un certain temps, vous constatez qu’il n’y a pas grand-chose à lui reprocher. Pouvez-vous retirer votre déclaration ?

Kris Meskens : « Non, le retrait d’une déclaration est impossible. Mais en tant qu’expert-comptable ou conseiller fiscal, vous pouvez faire une déclaration supplémentaire. Vous y expliquez les nouveaux éléments venus à votre connaissance. La CTIF en tiendra compte ».

ITAA : Des rumeurs font état de ce que les déclarations ne sont pas anonymes. Les experts-comptables et les conseillers fiscaux redouteraient dès lors d’éventuelles conséquences. Nous pensons surtout aux infractions plus graves comme la prostitution, la drogue, les pratiques mafieuses ... Que fait la CTIF pour protéger ceux qui ont fait une déclaration ?

Kris Meskens : « Que la CTIF transmettrait les déclarations est un cliché qui a la vie dure ! En cas d’indices sérieux, la CTIF transmet le rapport de son enquête au Parquet qui, à son tour, mène une enquête complémentaire. Dans ce rapport, aucun nom de déclarant n’est mentionné et les déclarations ne sont jamais communiquées. Cela n’est d’ailleurs pas autorisé : la loi prévoit explicitement que la CTIF ne peut en aucun cas divul guer le nom des déclarants. Le Parquet constituera un dossier où seront consignées les auditions, par exemple, de l’ex pert-comptable. Si, lors de ces auditions, l’expert-comptable bien entendu se poursuivre. » Kris Meskens : « Pour être honnête, en 2019, la CTIF a reçu relativement peu de déclarations des titulaires de professions économiques : 321 pour être précis. Bien sûr, je sais que les experts-comptables mènent souvent leur propre enquête et ne rendent compte que lorsque quelque chose ne va vraiment pas. Pas de problème. Toutefois, ces professionnels peuvent également signaler qu’ils n’ont pas noué de relation en raison d’un soupçon de blanchiment d’argent. Cela aussi constitue une parfaite déclaration. Je le répète, il n’existe pas de décla rations faites à tort. »

ITAA : Tout autre chose, à présent. La dénonciation, qu’est-ce que c’est exactement et pourquoi a-t-elle été introduite ? Comment un cabinet doit-il traiter ce problème ?

Kris Meskens : « La règle générale veut que c’est l’AMLCO qui fait une déclaration auprès de la CTIF. Normalement, aucune autre partie ne doit s’en charger. Cependant, si une situation étrange (contraire à la loi sur la prévention du blanchiment d’argent) est constatée par un collaborateur qui n’a aucune chance de s’adresser à l’AMLCO de son cabinet, un problème se pose. Cette personne doit également avoir la possibilité de faire une déclaration. D’où la procédure de dénonciation auprès d’autres entités de contrôle, comme l’ITAA. Notez que cette procédure est principalement une mesure exception nelle à laquelle on ne recourt qu’en l’absence avérée d’autre option : par exemple, lorsque l’AMLCO du cabinet est absent pendant une longue période ou lorsque l’AMLCO lui-même est impliqué. Il est également important de savoir que le déclarant restera anonyme. Cela signifie aussi que chaque collaborateur du cabinet doit connaître les règles relatives à la législation antiblanchiment et doit donc être sensibilisé à celles-ci ».

Stéphane De Bremaeker Cellule Communication

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