DECONNEXION DES CONNEXIONS AGRICOLES EN TERRES FINISTERIENNES

La deuxième phase de ce mémoire est consacrée à la rencontre et à la collecte de récits de vie. Ici seront retranscrits, successivement et dans cet ordre, mes rencontres avec : un exploitant conventionnel d’une exploitation de 90 hectares, un exploitant biologique d’une exploitation de 36 hectares, un exploitant biologique d’une exploitation de 6 hectares, un exploitant conventionnel d’une exploitation de 1,5 hectares et un revendeur conventionnel. Ces récits permettent d’introduire les acteurs, ainsi que de connaître une partie de leurs points de vue sur la situation de l’agriculture aujourd’hui. Une troisième partie sera, elle, consacrée à confronter leurs points de vue sur les sujets du devenir de l’agriculture biologique et de l’apparition d’une nouvelle voie, de la création variétale et de l’agro écologie, et enfin de l’agroforesterie.
MARC, LE PRESIDENT DE LA SICA ET LE GRAND EXPLOITANT CONVENTIONNEL
Marc Kerangueven est le président de la SICA Saint-Pol-de-Léon. Egalement exploitant en agriculture conventionnelle avec sa femme à Lannilis, près de Brest, il accepte de me recevoir dans son bureau à Saint-Pol-de-Léon. J’arrive à 16h, heure de rendez-vous convenue. Sortant d’un conseil d’administration à 16h30, et prenant un train à 17h30, l’entretien sera finalement concis. Tous les échanges suivant sont retranscris d’une entrevue réalisée le 11 avril 2022.
Personnellement je suis producteur sur la commune de Lannilis, producteur de légumes purs, c’est-à-dire que des légumes et un peu de céréales pour les rotations. Je suis marié, j’ai deux enfants, j’ai trois salariés à plein temps, et un en contrat de professionnalisation. Je travaille avec jusqu’à 60 saisonniers suivant la charge de travail. Je ne fais que de la culture de plein champ, du chou-fleur, du chou-pomme, de l’échalote, de la salade et du potimarron, donc 5 cultures. J’ai repris l’exploitation de mon père, même si mon père est de la zone ici, il acheté une ferme à Lannilis, parce sa sœur s’est installée dans la ferme familiale, donc il a dû avec ma mère trouver une autre ferme. Ils ont trouvé Lannilis en 1969, moi je me suis installé en 1988. J’ai formé un GAEC avec mon père, et en 1991 il est parti en retraite, donc j’ai d’abord transformé la ferme en EARL puis en GAEC et aujourd’hui je suis associé avec ma femme. Au début on était très diversifiés, mon père faisait du chou-fleur, de la pomme de terre, un peu d’artichaut, des carottes, et à l’époque il était en GAEC avec un voisin. Quand j’étais encore à l’école, il a commencé à faire de l’échalote, deux ans avant que j’arrive on a commencé à faire de la salade, du brocoli, du chou romanesco, du poireau, du haricot, du pois. Toutes ces cultures, on les a fait évoluer, et tout simplement on a arrêté le brocoli et le romanesco parce qu’ils sont de la même famille que le chou-fleur et que le chou-pomme, c’est-à-dire des crucifères, et on avait des problèmes de rotations, des problèmes sanitaires dans les parcelles, notamment la hernie du chou-fleur qui se propage quand il y a beaucoup de crucifères. J’ai arrêté ces deux cultures et j’ai fortement développé la salade parce que c’est une autre famille. Et Lannilis est un secteur mixte, tous mes voisins sont éleveurs, porc ou lait, et parfois les deux. Et j’arrive à mettre parfois des cultures chez eux entre une orge et un maïs, et notamment du chou. Donc j’ai diminué mes crucifères et 80% de mes choux fleurs sont maintenant en dehors de mon exploitation. Ca agrandit mon exploitation de façon artificielle et ça améliore toutes mes rotations.
Je leur vends de la paille, je leur sers de couvert, ils n’avaient plus d’orge et ni de maïs et ils devaient semer quelque chose donc moi je leur mets un chou.
Ils ont besoin de la paille parce qu’ils font de plus en plus de maïs donc ils ont besoin de paille. Moi faisant des céréales sans rien avec je leur vends la paille. Donc c’est avantageux pour tout le monde.
Et vous avez toujours été en exploitation conventionnelle, vous n’êtes jamais passé en bio ?
Non. En 1984 j’ai assisté à des réunions avec mon père en bio, on allait notamment dans le sud Finistère. On était prêts, enfin je dis on mais c’était mon père, parce que moi je n’étais pas installé, à franchir le pas. Et il me disait qu’il savait produire mais que le commerce ne pouvait commercialiser l’ensemble des volumes qu’il allait produire. C’est-à-dire qu’il aurait fallu faire des marchés, faire un peu de restaurant, et mon père ne voulait pas faire de commerce. C’était « je récolte, je pousse mes palettes ». Et le commerce n’était pas prêt pour recevoir des volumes aussi grands. C’est pour ça qu’il n’a pas franchi le pas. Moi il y a 5 ans je pense que j’aurais sûrement franchi le pas si je n’avais pas eu de responsabilités qui me prennent un temps énorme. Je ne veux pas reporter sur mes salariés et ma femme un passage important, qui est contraignant, où il faut être au plus près de ses cultures constamment. Donc je n’ai pas franchis le pas, pas par convictions, mais par contraintes.
Et vous avez une assez grande exploitation de 57 hectares, il me semble ?
Oui c’est ça. En légumes, elle est au-delà de la moyenne aujourd’hui ici, mais ce n’est pas une grosse exploitation. On a des producteurs aujourd’hui qui font 200 hectares, mais comme je mets 80% de mes choux chez les voisins, ce qui me fait 30 hectares, je passe environ à 90 hectares. Et je mets des rotations, des couverts chez moi, donc c’est ça l’intérêt. En légumes ce n’est pas insignifiant mais c’est une taille à peu près moyenne maintenant.
Concernant le fonctionnement de la SICA, j’ai pu lire que la moitié des productions environ étaient exportées à l’étranger en fonction des produits. Quels pays sont les plus demandeurs et comment vous traitez les demandes ? Est-ce qu’elles diffèrent des demandes françaises ? Et par rapport à la concurrence des autres pays, notamment l’Italie et l’Espagne qui produisent à moindre coûts, comment vous adaptez vous ? Quelles sont les répercussions de cette concurrence sur le territoire et dans les exploitations ?
Alors on fait partie de Princes Bretagne, qui eux regroupent 800 exploitants, et la SICA c’est plutôt 1700, et nous commercialisons avec eux toujours sous le même cahier des charges qui est défini ici mais qui est en lien avec les demandes des consommateurs, des clients. Notre premier pays aujourd’hui c’est l’Allemagne dans l’export. Le gros produit exporté c’est le chou-fleur, à 60% à peu près. L’un des produits qu’on exporte le moins c’est la tomate, qui reste quasiment sur le marché français, parce que le GMS françaises jouent en priorité la carte du « produit en France ». Donc on arrive à avoir ce marché-là. Donc chou-fleur, le premier pays c’est l’Allemagne, on exporte jusqu’à la Russie, c’était un très bon marché qui payait. Il y avait des gens très riches à Moscou qui étaient prêts à payer du chou-fleur. On envoie aussi au Royaume-Uni, on a un peu de contrainte avec le Brexit mais on continue à en envoyer. Et pour chaque produit, c’est plus ou moins. Echalote on envoie dans plusieurs pays, on envoie jusqu’aux Etats Unis car c’est un produit stockable. La fraise ça reste en France évidemment. Notre bassin de consommation en gros c’est la France, la moitié des volumes, et de l’Allemagne jusqu’à quasiment la Russie. Avec une priorité sur les pays avoisinant la France. Si on veut exporter plus loin, et notamment du chou-fleur sur la Pologne, on peut mais à condition d’avoir des prix très abordables. La Pologne achète quand le prix est bas. Nos concurrents sont espagnols et italiens sur le produit chou-fleur. L’Espagne c’est notre concurrent sur le Royaume Uni, un peu sur l’Allemagne aussi, et l’Italie c’est notre gros concurrent sur l’Allemagne. Eux ils travaillent sur des calibres plus petits, pour le Royaume Uni, et travaillent sur de l’emballage plus léger à destination de l’Allemagne. On n’est pas sur le même type de cultures. Nous on est sur des cultures à cycles très longs. On a des plantations qu’on plante fin juillet et qui vont avoir des récoltes de décembre à mai, donc des temps de récoltes qui vont de 100 à 200 jours. Alors que l’Espagne et l’Italie ont des cycles très courts. Ils plantent tout le temps et tous les 70 jours à peu près ils récoltent. Ils ont donc des choux complètement différents, beaucoup moins fort, beaucoup moins lourds, c’est un chou qui est comparable à un chou
récolté en septembre chez nous. Voilà un peu la différence. Notre produit est recherché pour son poids, pour son gout mais d’un autre côté nous avons les contraintes logistiques, climatiques, etc… Aujourd’hui au niveau de la SICA on produit 47 légumes différents. Si on décline en artichaut il y en a quatre. En chou-fleur on doit en avoir, entre le blanc, le vert, l’oranger,… Enfin quand on fait les déclinaisons on arrive à 147 légumes, en légumes anciens. C’est pour ça qu’il faut savoir interpréter les chiffres : pourquoi un jour c’est 47 et après c’est 147 ? Et donc dans ceux-là, certains sont exportés majoritairement et d’autres restent plutôt sur le marché français.
L’agriculture est donc une grande source pour l’économie, l’emploi, mais aussi l’aménagement du territoire. Et vu qu’une grande partie de ce qui est produit part, est-ce que vous voyez toujours du lien avec les habitants ?
On le sent venir, des gens viennent de la ville, ils ont travaillé toute leur vie et viennent à la campagne pour être seules avec les oiseaux. Sauf que l’agriculture à la campagne, elle existait bien avant qu’ils arrivent et ils ont du mal à comprendre certaines choses. Notamment les canons pour effaroucher les oiseaux. Les oiseaux mangent la moitié de mes cultures, on m’a dit « tu n’as qu’a planter deux fois plus », mais il ne faut pas raisonner comme ça. Je n’ai pas la surface pour faire deux fois plus, ça me coutera deux fois plus cher. C’est là qu’on a des problèmes. En cherchant de la bonne volonté et en l’expliquant aux gens on y arrive, même si on a du mal parfois, ça reste des problèmes de voisinage.
TRAJET VERS LES GRANDES DISTRIBUTIONS Fig 35




RUSSIE PAYS CONCURRENT
ROYAUME UNI ITALIE
POLOGNE ALLEMAGNE UNE PRODUCTION MONDIALE CARTE DES TRAJETS DES PRODUCTIONS DE LA SICA
ESAPAGNE
THOMAS, LE SECRETAIRE GENERAL DE LA SICA ET LE GRAND EXPLOITANT BIOLOGIQUE
Thomas Quillevere est le secrétaire général de la SICA. Il est également exploitant en agriculture biologique et c’est sur son exploitation à Kerandrez que je le rencontre. Après m’être perdue entre les serres, je le retrouve finalement non loin de sa maison. En entrant dans les serres, je désinfecte mes mains et mes chaussures, un moyen d’éviter la propagation des maladies. Entre ce site et celui de Plouénan, il cumule environ 36 hectares répartis entre le plein champ et la culture sous-abris. Egalement issu d’une famille d’agriculteurs, il gère aujourd’hui les deux exploitations en famille. Tous les échanges suivant sont retranscris d’une entrevue réalisée le 14 avril 2022.
« Mon grand-père a repris l’exploitation à Plouénan, en culture typique c’est-à-dire un peu de vache un peu de légumes sur une dizaine d’hectares. Ensuite mon père s’est installé et a développé plus l’élevage, c’était ça dans les années 1980 à peu près, avec un tout petit peu de légumes, toujours mixte. Et au début des années 1990, quand mon père s’est spécialisé, il a monté la première serre, la première « multi » de 5000m2, pour se lancer dans la tomate et dans la salade, tomates hors-sol. Et ensuite en 1998, il a monté une serre verre pour arrêter complètement l’élevage. Il avait quand même gardé du foncier, et nous dans les années 2000, on a été salariés, puis on s’est installé après avec mon frère en 2010 avec le plein champ et les serres. On est passés par de l’horticulture entre temps parce qu’on a eu la crise de l’énergie début des années 2000, c’est pour ça aussi qu’on a attendu avant de s’installer. Et c’est en 2010 qu’on a reconverti en bio, en 2016 exactement, c’est le moment où on a tout converti en bio.
Quelles ont été les raisons pour que votre père arrête l’élevage ?
Il a préféré se spécialiser. L’autre raison a été le manque de foncier. Il ne pouvait plus s’agrandir, et il savait que des mises aux normes allaient arriver, donc il s’est tourné vers le légume. Et puis il ne faut pas se mentir, le légume apporte aussi une qualité de vie.
Et vous m’avez parlé de conversion donc j’imagine que votre exploitation était en conventionnel ? Qu’est-ce qui vous a motivé vous à passer en bio ?
Alors déjà avant l’horticulture on s’était posé la question, par rapport à la crise de l’énergie. Mais il n’y avait aucun recul technique, on ne voulait pas trop prendre de risques, donc dans un premier temps, pour pallier au problème de l’énergie, on a fait de l’horticulture. Ç a nous coûtait moins cher dans le changement d’outils, parce que c’est toujours pareil quand on change de culture, on modifie l’outil. Et on avait un de nos frères qui était déjà dans l’horticulture. Et il y a eu aussi une crise en horticulture et là on a basculé. On avait plus de technique, le bio commençait à décoller donc on s’est dit « on y va ! ». Et si on avait des problèmes techniques, la demande compenserait le risque parce que ce sont des outils assez lourds, on a du personnel, des permanents, donc il ne faut pas qu’on soit trop déconnant. Et il fallait derrière que les banques suivent aussi.
J’ai mes trois frères, ma sœur et ma femme sur l’exploitation. Ici quand on a repris l’exploitation, on a repris les cinq CDI qu’il y avait, et à Plouénan on a trois CDI pour les permanents. Et on a besoin de saisonniers, à partir de cette période-ci (mi-avril) jusqu’aux mois d’aoutseptembre, et donc sur les deux exploitations, plein champ et sous-abris, on a besoin de 40 personnes. A Plouénan il y a 1,5 hectare de sous-abri et 2,4 hectare de sous-abri ici à Henvic, ensuite en plein champ on a 30 hectare à peu près. Aujourd’hui la moyenne est proche des 2,5 hectares par personne par exploitation. Nous on a fait le choix de rester en famille et ça nous permet d’avoir du travail toute l’année et de se diversifier un peu. En production en serre c’est principalement de la tomate (grappe, cocktail, petits fruits de couleur ou rouge), du concombre, et de la courgette même si cette année on n’en a pas. En plein champ on est sur de l’échalote, potimarron, chou-fleur, brocoli et oignon rosé de Roscoff.
Et comment s’est passée votre conversion en bio ?
Ça n’a pas été évident. Le plus dur ça a été d’une part le sous abris parce que le risque d’aller en bio, mise à part la technique, c’est qu’on a un outil où on gère l’arrosage et le climat, comparé au plein champ. C’est un outil lourd avec du personnel donc il ne faut pas se tromper. Le plein champ après c’est les aléas climatiques, mais on a des variétés résistantes aux maladies, ou du moins tolérantes, et on cible les productions en plein champs pour aller petit à petit vers le bio. Dans notre schéma on a démarré par le sous-abri en bio, et on n’a pas fait tout d’un coup parce que c’est très lourd et contraignant. Financièrement c’est très compliqué car on produit comme du bio mais on vend sur le marché conventionnel. On n’a pas la valorisation du bio mais on paye tous nos intrants et le coup de production est plus élevé en bio car tout est manuel, en plus du lien au sol. Ça nous coute plus cher et la revalorisation n’est pas là. C’est pour ça que sur Plouénan on l’a fait en 3 fois, ensuite on a passé le plein champ, et ensuite on a repris ce site là (Henvic) qu’on a fait en deux fois. Ce site nous aide pour la rotation des serres qui nous sont imposées dans le cahier des charges. La tête de culture c’est la tomate, elle tient le système debout. Parce qu’il faut savoir qu’on a deux choses qui sont arrivées en bio. La première, c’est qu’on a plus le droit de commercialiser avant le 1er mai (la tomate, en France), et le deuxième défi, c’est qu’en 2025, les serres chauffées doivent être fournies par de l’énergie renouvelable. En plus en bio on va beaucoup moins vite qu’en conventionnel. Le temps de culture est beaucoup plus long, et il y a plus de temps aussi parce qu’on enlève toutes les feuilles pour éviter les maladies, on coupe bien à ras les feuilles, car si il reste un moignon, il pourrit et les champignons s’accrochent dessus. Ce qui les conduit sur la feuille. On a des attentions plus particulières qu’en conventionnel. Parfois, quand on a du mildiou on fait des passages spéciaux juste pour enlever les bouts de feuilles contaminés. Et en bio ça peut exploser au niveau de la main d’œuvre. On n’a pas de solution miracle. En fait en bio il faut accepter la perte, et ça c’est dur. Surtout quand on commence à voir partir, on se dit jusqu’où ça va aller ? Le mildiou, quand il arrive en serres, en deux trois semaines, ça peut amener la culture à sec complètement. C’est pour ça que le choix des variétés en bio c’est important, d’une part pour le goût, parce que le bio ce n’est pas la peine d’en faire s’il n’y a pas un minimum de gout, et ensuite la tolérance. On s’en fiche d’avoir une formule1, on préfère avoir une culture qu’on mène jusqu’au bout. Même si elle fait moins de rendements, ce n’est pas grave. Nous, contre les maladies, on a pas de filets. Donc on fait preuve d’une
grande surveillance, on ferme les châssis selon les vents et l’exposition, on limite les ouvertures des côtés abrités parce que le vent n’est jamais droit. Et parfois pour le sanitaire, on oublie complètement le climat. On est plus dans des conditions de climat mais on évite que le champignon rentre dans la serre. Pareil au niveau de l’arrosage, on a que la main pour juger si le sol est suffisamment humide ou pas. Et on fait toutes les zones comme ça, car tout n’est pas pareil. Il y a toujours des zones qui sèchent plus vite. Les panneaux jaunes qu’on voit en l’air, c’est pour la détection des insectes, et suivant les insectes qu’on voit, on va apporter des insectes auxiliaires qui mangent les nuisibles. En plus des ruches pour la fécondation.
Comment ça se passerait si vous n’étiez pas dans la coopérative ?
Alors nous on consomme 5% de ce qu’on produit ici en Bretagne, et à Paris c’est l’inverse. Donc il n’y a pas de place pour tout le monde. Nous on le voit comme ça. Mais il y a un marché pour le local, la proximité, l’indépendance, c’est pour ça qu’ils s’en sortent. Les médias ont poussés vers le local ce qui fait qu’ils sont tous en train de se tirer dans les pattes, il y en a qui arrêtent d’autres qui reprennent, il y en a qui restent aussi, ils ont leur clientèle historique. Moi quand je vais en vacances je vais tout le temps voir les marchés je trouve ça super. Mais ils prennent du temps à faire la production et la commercialisation. Moi ce que j’aime c’est le côté technique production, la vente c’est un autre métier. Il y a de la place, mais pour très peu de monde. Si on éteignait les coopératives, tout le monde essayerait de vendre partout et beaucoup resteraient sur le carreau parce qu’on ne serait plus organisés. On doit exporter on n’a pas le choix. Ce qu’on peut peut-être nous reprocher, c’est qu’on a été mauvais en communication. Nos parents ont commencé avec leurs cousins, et des membres de la famille, on est restés entre nous. Peut-être qu’on n’a pas su expliquer ou poursuivre cette transmission, et nous on a l’impression que le consommateur découvre l’agriculture aujourd’hui. Ou alors qu’il veut rester au temps des grandsparents Mais pour ça il n’y aura plus personne. On n’a pas vu le truc arriver et maintenant on subit un peu ça. On s’en est peut être rendu compte un peu trop tard, et tout va vite derrière. C’est facile aujourd’hui c’est le premier qui le dit qui a raison, et après ça ne sert à rien de contester parce qu’on ne fait qu’empirer la situation. »
Fig 36 : Visite de la production de tomates sous serre , Kerandrez Marc m’explique comment le mildiou se propage à partir du moignon d’une branche
Photographie, avril 2022

Fig 37 : Allée de la serre, chariots et cagettes de récolte Visite de la production de tomates sous serre , Kerandrez Photographie, avril 2022



Fig 38 : Vue des serres de l’extérieur Visite de la production de tomates sous serre , Kerandrez Photographie, avril 2022

JULIEN, LE PETIT EXPLOITANT BIOLOGIQUE INDEPENDANT
Julien Boulais, jeune agriculteur biologique, a repris cette exploitation de 6 hectares il y a tout juste un an et demi. J’arrive vers 13h30 à la ferme Kermen Bio, qui se situe à Carantec, à la sortie de mon village, et j’assiste d’abord à la répartition des tâches de l’après-midi. Une équipe, majoritairement féminine, discute autour du tableau des tunnels et des répartitions de plantations, sous les indications de Julien. Après quelques minutes et après la confection d’un panier pour une cliente, nous commençons la visite. N’étant pas issu d’une famille agricole, il me raconte les surprises et les contraintes d’être novice dans le métier. Tous les échanges suivant sont retranscris d’une entrevue réalisée le 22 février 2022.
« Moi je ne viens pas du milieu agricole, j’étais gérant d’un magasin décathlon avant. J’avais pris cette voie là parce qu’on me l’avait proposé : j’étais vendeur, après on m’a dit « tu veux être cadre ? », donc j’ai fait ma route là-dedans. Mais j’avais toujours eu un projet agricole, parce que mes pratiques personnelles à l’extérieur, quand j’étais à Paris, étaient plus tournées vers le potager, la pratique des jardins. Ensuite je suis parti en Turquie pour Décathlon, après je suis revenu en Bourgogne. Et après globalement je n’avais pas envie de finir en bureau, parce que directeur d’un magasin on finit au siège, c’est super bien, le siège de décathlon est top, mais je n’avais pas envie de faire ça. C’était super mais ce n’était pas pour moi. Donc avec ma compagne on s’est installé dans le coin, je voulais réaliser mon projet assez vite, donc j’ai passé mon diplôme et me suis diplômé en Juin 2020. La formation m’a énormément servi par l’approche stratégique et la gestion d’une exploitation agricole, et ça a été indispensable ! Quand j’ai vu cette ferme avec camping, 50 emplacements, vue mer, maraichage diversifié bio, vente directe et sur les marchés… je me suis dit que j’avais un terrain qui correspondait exactement à ce que j’ai envie de développer et surtout moi qui ne venais pas du milieu, je n’aurais jamais pu me lancer en maraichage sur 6 hectares comme ça sans une recette. Comme je dis à chaque fois aux gens, et ils rigolent, c’est comme si j’avais acheté un restaurant avec menu et un livre de recettes. Donc je ne sais pas faire mais je peux suivre les indications et apriori je vais en sortir quelque chose, je vais aussi me planter, comme d’ailleurs, je me plante un peu mais je le corrige. Je suis ce que le prédécesseur a construit, tout en ayant envie de modifier quelques aspects, parce que la première fois que je suis arrivé ici, il y a quelques petites choses qui m’ont un peu perturbé.
quoi par exemple ?
Déjà il avait fait sauter pleins des haies au camping, et maintenant tous les tunnels partent en vrille. Le vent détruit tout, et puis ce n’est pas joli, ça n’a pas de sens d’enlever les haies. Normalement c’est interdit de détruire les haies. En plus techniquement cette ferme fait 6 hectares, 19 tunnels, 5500 mètres carré de tunnels, en bio depuis les années 1998, on va dire en production intensive dans le sens où il n’y a pas beaucoup de rotations, que ce soit dans les champs ou sur les tunnels. La rotation n’a pas été intellectualisée, on n’a pas eu le temps et le loisir de se dire « ici je vais planter ça pendant 5ans ». C’est réalisable si c’est écrit, et c’est un de mes souhaits. Après on est un exploitant, quatre salariés, trois à temps pleins, deux à temps partiel et ensuite on a quand même trois personnes sur les marchés pendant 3 heures. Une personne le samedi, une personne le vendredi une personne le dimanche.
Parce que tu fais le marché de Carantec, mais quels autres marchés fais-tu ?
Je fais quatre marchés extérieurs et un marché à la ferme : le marché de Carantec le jeudi matin, le marché de Concarneau le vendredi matin, le vendredi après-midi à la ferme, Saint-Brieuc samedi matin, et Quimper dimanche. C’est des marchés certains éloignés mais qui marchent très bien. Aujourd’hui je suis obligé de les suivre, il y a des gens là-bas qui nous attendent et il faut bien s’occuper des gens parce que avec la vente directe notre priorité c’est les gens ! Enfin les légumes et puis les gens. Donc je vais les garder. Après j’ai conscience que ce n’est pas hyper durable de faire beaucoup de route mais le système est comme ça. Ça ne m’empêche pas de développer d’autres axes comme gonfler le marché à la ferme, et c’est ce que je fais en faisant venir des œufs, de la viande, du pain. Aujourd’hui le chiffre de la ferme est quasiment plus élevé, alors que normalement c’est Saint-Brieuc. Avec deux axes (ou anticipation) : 1) sortir de la dépendance des autres marchés dans le cas où un jour je perds un marché parce qu’il y a une mairie qui décide de me mettre dehors ou parce qu’il y a un règlement qui dit que tout exploitant qui vient de plus de 50 km doit partir, et c’est possible car les questions du local se posent aujourd’hui.
C’est quoi local ? Donc pour anticiper ça, je gonfle le marché à la ferme, comme ça, s’il y a un souci sur un autre marché, je suis déjà assuré. Je pense que dans 10 ans je n’irai plus à Quimper. Il y a assez d’habitants ici pour vendre mes légumes.
Donc ce que tu produis ne va nulle part ailleurs qu’en Bretagne ?
Nulle part ailleurs. C’est vraiment de la vente directe. Et je fournis quatre épiceries, coccimarket (Carantec), Biocoop (Saint-Pol-De-Léon), Votre santé (Morlaix) et Ty Guénolé (Locquénolé). C’étaient des choses qui étaient déjà en place, mais quand j’ai repris ça avait un peu été abandonné par le prédécesseur parce qu’il n’avait plus le temps. Son associé était parti donc il avait abandonné, il avait raison, on ne peut pas tout faire. Donc j’ai relancé ça, même si ça prend du temps, c’est un peu du marketing dans le sens où ça fait parler de moi. Ça prend du temps et je ne devrais pas le faire si je voulais être efficace. Je vends déjà sur les marchés, et tout ce que je vends en épicerie je pourrais le vendre en marché. Mais ça m’extrait de la ferme, c’est bien de s’extraire un peu.
Et puis les populations qui viennent aux marchés ne sont pas forcément les mêmes que celles qui viennent en Biocoop ou au Coccimarket ?
Alors t’as entièrement raison, depuis qu’on est à Coccimarket et qu’on vend les jeunes pousses, la mâche, les trucs sympas comme ça, les gens sont trop contents, et ça ne les empêche pas de revenir au marché le jeudi. Ca humanise les relations. Je ne vends pas au Cocci pour faire du chiffre d’affaire, parce que ça ne représente rien chaque semaine par rapport aux marchés. Mais c’est plus un rôle que moi je pense avoir à jouer. Je suis maraîcher à Carantec donc je dois vendre à Carantec, c’est comme si c’était une obligation, je dois fournir les gens qui vivent là.
Donc quelque part c’est aussi social ?
Oui exactement. Et c’est pareil pour Ty Guénolé, une épicerie qui est à Locquénolé. Eux ça fait deux semaines qu’on les approvisionne. Pareil, les habitants voulaient du local, ils le disaient à cette épicerie qui ne vendait pas du tout de bio et de local faute d’affinités ou de réseaux. Là les gens ont vraiment tapé à la porte et exigé du bio et du local. Et vu que c’est une mise à disposition de la mairie, la mairie a un droit de regard sur la stratégie et si les administrés disent : « On veut du bio et du local. » ils doivent aller dans ce sens-là, et ils sont contents vu que ça marche. Les retours sont hyper positifs, les gens trouvent ça super bien, ils veulent mes légumes ! Ils veulent vraiment !
Et tous les légumes que tu fournis viennent de la ferme ?
Alors par exemple quand je n’ai pas d’un légume je prends des carottes de couleurs. Ce n’est pas moi qui les produis, je les prends à Poder et je le dis pour les proposer aux gens, pour voir si ça marche pour en semer l’année prochaine par exemple. J’ai rien contre Poder parce que c’est du bio et breton, je ne prends que du breton si je prends. Mais ce que je veux dire c’est que s’ils voulaient acheter du bio moins cher, parce qu’a Bio Breizh c’est moins cher, c’est des grandes cultures, ils le feraient. Mais les gens préfèrent que ce soit les miens parce que c’est Carantec et que c’est à proximité, parce que on se connait, ils viennent au marché à la ferme. Je crois que les gens apprécient ça. Pareil c’est anecdotique, quand j’envoie deux kilos de poireaux, mais ça fait parler et je sais que ça marche vu que mon marché gonfle chaque semaine. Au niveau de la mécanisation c’est très faible, dans le sens ou on n’a pas beaucoup de matériel, on a quelques tracteurs mais on s’en sert peu, ils nous servent plus de transport. Le tracteur nous permet la charrue et compagnie mais on sort les outils très rarement. En tunnel pareil. En fait ce sont des anciennes pratiques qui fonctionnent, le sol est un support, je passe un outil, je mets des engrais, du fumier, ça pousse. C’est comme ça. Dans les tunnels pareil, travail du sol léger, en surface quand même, ça c’est bien, mais usage du plastique systématique. Une planche de culture c’est une planche plastique et un passepied, un inter-rang là où on marche puis une autre bande de plastique. Ca moi, ça me perturbait, je me disais « Mince, ça ne me permet pas de faire venir une école et d’en être fier. » et de dire « Voilà comment on fait pousser des oignons : sur du plastique ! » Non en fait non.
Quelle est ta vision des choses, vu que tu n’as repris l’exploitation que très récemment ?
J’ai fini mon diplôme en juin 2020, j’ai trouvé cette exploitation en juillet, j’ai été salarié pendant un an avant de la reprendre en juillet 2021. C’est tout récent mais tout de suite je me suis dit qu’il y avait des choses à changer, à commencer par le plastique, on avait des monticules de plastiques incinérés. Mais tout en disant je ferai ça plus tard, parce que d’abord faut que je fasse exactement comme mon prédécesseur, pour pas prendre de risques. Sauf que ça m’a dérangé de faire tout de suite des changements un peu accompagnés par le climat. Je m’explique : il y a beaucoup de vent, de plus en plus, et j’ai des tunnels qui éclatent, tu l’as entendu quand on parlait des plantations, ça m’empêche de planter plein de choses. On les repart mais il ne faut pas qu’il y ait de vent, faut les commander, faut avoir l’argent. Et du coup quand il y a un tunnel qui éclate et qu’il y a une culture sous bâche plastique, elle s’envole. Le dimanche depuis deux semaines, mon habitude, après être revenu du marché de Quimper les yeux collés par la fatigue, parce que je me lève à 4h30, je reviens à 15h30, c’est de faire le tour des tunnels et de replanter les choses qui se sont envolées. Tu pousses toutes les bottes sur le côté, tu remets la bâche plastique, tu remets de la terre, plein de terre.
Et c’est du travail en plus, qui a déjà été fait. Les haies dont tu me parlais qui ont été coupées, c’était des haies qui protégeaient du vent ?
C’était les haies du camping, donc légalement ce n’était pas un problème de les enlever, si ça avait été des haies bocagères, là, ça aurait été grave. Là c’étaient des haies de camping, il y avait beaucoup de ronce, et comme il voulait vendre il avait supprimé des haies en se disant que ça ferait plus « propre ». Le point positif c’est que moi ça me laisse une nouvelle page à écrire, le point négatif c’est que ça protégeait les tunnels devant le camping. Donc on a commencé à ne plus mettre de plastique sur certaines cultures quitte à devoir désherber plus. Tant mieux comme ça on s’attaque déjà à un axe de changement. Et dans l’aspect stratégie future, je voudrais instaurer un truc qui m’avait un peu perturbé. C’est un camping à la ferme, son nom c’est camping à la ferme, mais il n’y a pas de lien entre les deux. Tu peux arriver au camping et ne pas comprendre que les tunnels appartiennent à la ferme.
Avant la personne qui était mise à l’accueil tout l’été c’était quelqu’un d’extérieur, qui n’était pas dans la ferme, qui ne pouvait pas parler des légumes. Et en fait les gens sont friands de savoir. Donc la saison dernière, je l’ai déjà fait en recrutant des personnes avec une polyvalence ferme camping, c’est à dire que le matin je suis au camping pour la plage d’accueil et l’après-midi je récolte les carottes, et au moins le soir quand je retourne au camping et que les gens posent des questions, je sais de quoi je parle. Vu que pour l’instant je n’ai ni l’argent ni le temps de mettre en place des cheminements pédagogiques, au moins le lien ce sera nous. Si nous on est sympa et qu’on parle de notre job, ça va marcher. Et ça a marché parce que les gens étaient super contents. Cet élément ça va dans le plan stratégique dont je t’ai parlé.
Tu parlais aussi d’accueillir des classes ?
Tout est lié, c’est-à-dire que si je veux montrer, et si je veux qu’il y ait de la pédagogie, et que ce soit beau, rentable, écoresponsable, et que ça amène de la biodiversité, il faut que je sois raccord. Il faut que mon camping soit sain, que mes tunnels soient sans plastiques pour en parler avec fierté. Pour moi c’est un point important et que dans 10 ans ou dans 20 ans, qu’on puisse arriver sur la ferme et se dire « Je suis rentré dans un système qui est pensé pour que tu t’y sentes bien, pour que ce soit beau, efficace, productif quand même parce qu’il ne faut pas oublier que c’est une entreprise, le but c’est quand même de vendre des légumes, et de vivre avec une équipe, avec de l’emploi crée. C’est pour ça que ce que tu me décris de ton mémoire, c’est un vrai sujet.
Je voulais te demander aussi, par rapport à tes conditions de travail, comment vis-tu cette vie de maraichage par rapport à ta vie avant ?
Quand t’es cadre en grande distribution, c’est déjà comme ça. C’est déjà le jus. J’ai ouvert des magasins en Turquie, dans un jus 7/7j, donc j’étais habitué un peu petit peu. Ce n’est pas choquant pour moi d’être submergé de choses, il faut les traiter petit à petit par ordre de priorité et on arrivera au bout. Moi c’est surtout parce que je suis nouveau dans le métier, et donc les choses prennent plus de temps pour moi, pour prendre les décisions, pour analyser, et puis comme je mets en places des choses un peu différentes, quelque part je me rajoute des difficultés en essayant. J’aurai pu faire plus simple et décider de faire comme mon prédécesseur, faire exactement pareil, j’aurai peut-être eu un peu moins de jus. Mais à côté de ça est ce que ça ne me donne pas de l’énergie ? C’est pour ça que j’assume mes choix difficiles en termes de charge de travail parce que ça me rend plus content, surtout quand je mets en place quelque chose qui marche par la suite. Et mon prédécesseur ne se souciait pas de ça pour lui c’était comme ça et pas autrement. Vu que je viens d’ailleurs, je n’ai pas d’idées arrêtées, peut être que dans 10 ans j’en aurais. Et ce n’est non plus une exploitation familiale que j’ai reprise, et ce n’est pas plus mal parce que au moins je n’ai personne pour me dire « Fais comme-ci, fais comme ça ». Et un exemple, les endives étaient faites d’une certaine façon : coffrage en bois, racines déposées au sol, de la terre, un peu d’engrais, de l’eau, on recouvre avec une bâche noire, puis voilà. Là elles ne poussaient pas bien, elles sortaient toujours aux mêmes endroits chaque années, on sait qu’il y a des minéraux manquants. Ça ne marchait pas. J’ai d’abord demandé à d’autres maraichers que je croise lors des marchés, j’ai de la chance de voyager un peu et d’aller les voir, comment ils faisaient. J’ai pris les techniques de tous, je les ai toutes rassemblées, et j’ai fait une technique avec leurs techniques. Donc pour la dernière série d’endives, j’étais tout sol pour les poser, j’ai fait une fosse, j’ai passé un tout petit outil qui enlève la terre sur les premiers centimètres, j’ai enlevé la terre pour être sur la semelle de laboure, la terre dure que t’as pas à toucher, j’ai mis beaucoup d’eau, j’ai remis de la terre, j’ai mis de la paille, beaucoup de paille, je n’ai pas mis de coffrage bois, et une bâche. C’était les plus belles et les plus grosses endives de toute la saison.
C’était un dimanche j’aurais pu faire autre chose, me reposer ou planter un truc plus prioritaire, ou faire mes commandes, non j’ai fait ça, j’ai perdu du temps mais maintenant j’ai la démonstration que parfois on peut suivre son intuition et que ça marche. C’est un peu comme les techniques de mottes et de permaculture, de maraichage sur sols vivants, y a pleins de choses bien et d’autres moins bien, mais au moins le point intéressant dans cette mouvance, c’est d’observer un peu plus, regarder, comprendre. Et se demander qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi ça pousse moins bien ? Pourquoi les épinards sont jaunes, grands, petits ? Tu regardes bien, tu creuses, tu regardes. Vers de terre pas vers de terre. Tassement de sol, pas tassement de sol. Ombre, pas ombre. Il y a plein de raisons, pas juste tiens ça pousse, ça pousse pas, je mets de l’engrais. Et c’est super intéressant parce que c’est une démonstration à l’équipe. Osons. Est-ce que je continue à faire une technique qui ne marche pas ou est-ce que j’essaye une autre technique ? »
CARANTEC MORLAIX LOCQUENOLE SAINT POL DE LEON


SAINT BRIEUC
CONCARNEAU QUIMPER

Fig 40 : Visite de la ferme sous la pluie, Carantec Julien (premier plan) et un de ses employés s’occupant des poireaux sous abris Photographie argentique, février 2022

Fig 41 : Tunnels explosés par le vent Visite de la ferme sous la pluie, Carantec Photographie argentique, février 2022



Fig 42 : Tunnels explosés par le vent Visite de la ferme sous la pluie, Carantec Photographie argentique, février 2022

SEBASTIEN, LE PETIT EXPLOITANT CONVENTIONNEL INDEPENDANT
C’est entre les gouttes de pluies et les commandes de carottes des sables que je l’ai rencontré d’abord Sébastien, sur le marché hebdomadaire de Carantec. A la tête d’une exploitation de 1,5 hectare depuis peu, il m’explique son rythme de vie et ses choix concernant sa non-conversion en agriculture biologique.
Tous les échanges suivant sont retranscris d’une entrevue réalisée le 23 février 2022.
«J’ai été employé agricole chez une patronne depuis 2015 en CDI, mais avant je travaillais déjà en saison, et là j’ai repris l’exploitation depuis le mois de janvier (2022). L’exploitation fait 1,5 hectare, ça peut paraître peu au vu de la moyenne, mais on produit beaucoup de choses. En fait on produit beaucoup de choses mais en petite quantité. On ne peut pas faire tout ce qui est pomme de terre car il faut beaucoup de surface mais on achète à des producteurs locaux comme sur l’île de Batz. Les carottes de sables aussi, parce que les habitants du Léon aiment bien les carottes de sable, on en achète à l’île de Batz. Le producteur chez qui on achète le plus loin est à l’île de Batz. Après ça peut être Santec et Plougasnou aussi. Mai par exemple on ne prend pas de courgettes qui viennent de je ne sais pas où. Nous on travaille avec le même technicien bio que tout le monde, car il n’y en a qu’un dans le secteur. On travaille comme les bios sauf qu’on n’a pas le label. Et en même temps jusqu’à présent l’ancienne patronne ne le voulait pas. Moi j’ai voulu l’avoir parce que je me suis dit : on travaille comme ça, on désherbe avec nos mains, je vais me renseigner pour convertir quand je reprendrai. Mais en fait le cahier des charges est très chargé. Déjà, quand on commence en agriculture, on est submergé par la paperasse. J’ai été voir sur internet comment faire, et c’était un peu compliqué. En plus on a une petite surface, c’est ça qui est un peu pénible. C’est exigeant par rapport à la surface parce qu’il faut laisser la terre au repos. J’ai des salariés je ne suis pas tout seul, on est 3, il y a des salaires à verser donc je ne peux pas me permettre d’arrêter l’activité. Le souci aussi c’est que je n’ai plus le choix des graines. Ca fait plus de 20 ans que l’exploitation existe, maintenant les gens nous connaissent, ils savent comment on travaille.»
Il m’explique également, hors enregistrement, qu’il a très peu de temps pour lui, que les pauses se font rares et que c’est pour cela qu’une visite dans l’exploitation lui semble difficile, hormis si je passe lors de la pause de midi, le temps de faire le tour en 15 minutes. L’organisation de la ferme se divise en deux temps : la production et la vente, qui alternent un jour sur deux. Produire le lundi, mercredi et vendredi et aller sur les marchés le lundi à Saint-Pol-de-Léon, le jeudi à Carantec et le samedi à Morlaix.
CARANTEC TRAJET D’ACHAT LE PLUS ELOIGNE
PLOUGASNOUN TRAJET VERS LES MARCHES Fig 43



Fig 44 : Stand de Sébastien, Carantec Etalage de légumes Photographie, février 2022



HERMANN, LE REVENDEUR CONVENTIONNEL
Je rencontre ensuite Hermann Becam, revendeur de fruits et légumes depuis 30 ans. Revendeur en agriculture conventionnelle il m’explique son parcours et ses choix. Tous les échanges suivant sont retranscrits d’une entrevue réalisée le 23 février 2022.
« Nous on est revendeurs. En saison, j’ai mes producteurs locaux, et on est en circuit court depuis 1960. Il y a un important lien avec les produits locaux auprès des gens d’ici, ça a un poids très fort. Après le point noir c’est les abus qu’il y a pu y avoir avec les produits à une époque. Nous on a gardé le côté très jacobin. Généralement la population soutient ses agriculteurs en temps de crise. Ça part souvent de chez nous aussi tout ça. Moi je suis né sur les marchés dans ce métier-là. Maintenant on a aussi un magasin à Morlaix. Je ne fais plus que 3 marchés, avec le magasin on ralentit un peu. Au bout de 30 ans ça fait du bien de ralentir. On a eu des rythmes beaucoup plus soutenus à une époque. En 2008 on a été premier prix de France d’étalage. Notre clientèle est régulière. Même les touristes sont des touristes habitués. Certains je les connais depuis que je suis gamin. Ça fait partie du plaisir du métier. On est à fond dans la qualité, on essaye de sortir du lot à ce niveau-là. Le problème c’est qu’à la production ça ne suit pas toujours. Surtout en fruit, la notion de rendement est en totale opposition avec le gout. Donc le prix final est plus élevé. »
Fig 45 : Stand de Hermann «Les vergers du soleil», Carantec Etalage de fruits et de légumes Photographie argentique, août 2022

Les entretiens avec ces cinq acteurs dévoilent différents procédés et échanges permettant, pour eux, d’améliorer leurs rendements mais également leur relation avec le sol et avec leurs clients. Pour cloturer ces rencontres, voici sixanalyses tirés de leurs récits.
Pages 140- 143 : Fig 46 : Dessins, Elodie Guillemot réalisés à partir d’entretiens d’acteurs




PROPAGE LE MILDIOU SUR LES FEUILLES
PARTAGER LES TERRES
PAILLE, ISSUE DES CEREALES PRODUITES, EN ECHANGE
"MOIGNON" DE TIGE DE FEUILLE DE TOMATE QUI EN POURRISSANT...

QUI DOIVENT ENSUITE ETRE ENLEVEES A LA MAIN
CHOUX SERVANT DE COUVRE SOL
ELEVEUR ELEVEUR
ORGE MAIS
AGRICULTEUR, MARC
PRODUCTION DE CEREALES
QUAND LES ELEVEURS NE PRODUISENT NI MAIS NI ORGE
ADAPTATION DES OUVERTURES EN FONCTION DES VENTS, QUI NE SONT JAMAIS DROIT
INSPECTION A LA MAIN DE L’HUMIDITE DU SOL SOUS LES BACHES
DISCUTER ET CHANGER SES PRATIQUES



AVANT, JULIEN UTILISAIT U N COFFRAGE BOIS ET DEPOSAIT LES RACINES NUES
IL RECOUVRAIT ENSUITE AVEC DE LA TERRE, DE L’ENGRAIS ET UNE BACHE


OPTIMISER L’ESPACE DE CULTURE
ESPACE ENTRE LES TUNNELS NON UTILISE: NOUVEL ESPACE DE PLANTATION
MAIS LES ENDIVES NE DONNAIENT RIEN. APRES AVOIR DISCUTE AVEC PLUSIEURS AUTRES AGRICULTEURS SUR LES MARCHES, IL TROUVA UNE AUTRE TECHNIQUE
IL CREUSA UN PEU LA TERRE JUSQU’a LA SEMELLE DE LABOURE
IL RECOUVRA ENSUITE AVEC BEAUCOUPDE TERRE, DE L’EAU ET BEAOUP DE PAILLE. LES ENDIVES N’ONT JAMAIS ETE AUSSI BELLES;


ESPACES EN BORDURES DE TUNNEL NON UTILISES: NOUVEL ESPACE DE PLANTATION
ALTERNER JOURS DE PRODUCTION ET JOURS DE MARCHES
LUNDI, MERCREDI, VENDREDI, DIMANCHE
SEBASTIEN ALTERNE SA SEMAINE ENTRE LA PRODUCTION A LA FERME ET LA VENTE S UR LES MARCHES, CE QUI LUI PERMET DE NE PAS PERDRE LE LIEN AVEC SES CONSOMMATEURS.
PRODUCTION A LA FERME
VENTES SUR LES MARCHE
MARDI, JEUDI, SAMEDI
AGRICULTURE BIOLOGIQUE, L’EVOLUTION DES PRATIQUES ET LEURS RESERVES
N’utilisant pas de produits agrochimiques, l’agriculture biologique semble faire belle figure et remplir les critères d’une agriculture durable, en surface. En réalité l’agriculture biologique peu n’entretenir qu’une relation superficielle avec son sol, qu’elle laboure pour parer aux adventices sans chimie. C’est ce qu’explique David. R Montgomery dans son ouvrage Cultiver la révolution : « Nous avons tendance à penser que l’agriculture biologique et la durabilité vont de pair. Mais ce n’est pas nécessairement le cas – et cela ne l’a pas été durant la plus grande partie de l’histoire. Bien que l’agriculture biologique présente de grands avantages, la plupart des agriculteurs biologiques sont aujourd’hui encore dépendants de la charrue – la principale coupable de cette histoire. Pourquoi ? Parce qu’elle offre une méthode fiable et bon marché pour supprimer les mauvaises herbes. Pourtant, comme nous le savons, ce n’est pas la seule option, et les herbicides ne sont pas toujours une meilleure alternative. ».1
Plusieurs des acteurs que j’ai rencontré ont également un avis mitigé voir « anti-logo AB ». C’est le cas de Sébastien. Il m’explique travailler comme un producteur biologique mais ne pas vouloir du logo « Agriculture Biologique » qui, pour lui, ne tient pas compte de la provenance des produits :« Je trouve que le bio c’est un peu une fumisterie. Par exemple si à côté, on a un champ où il y a un gros producteur, c’est comme Tchernobyl, ça ne s’arrête pas aux limites du champ. Quand je vois qu’il y en a qui vendent du bio, mais que ça provient, je ne sais pas moi, du Pérou par exemple, ça me fait doucement rire.
1 MONTGOMERY David R., Cultiver la révolution, Ramener nos sols à la vie, Paris, Editions France Agricole, TerrAgora, 2019, page 128
Je n’ai pas de label mais j’ai une conscience. Je n’ai pas envie de m’empoisonner, je n’ai pas envie de mourir, je fais manger à mes enfants mes légumes, et je n’ai pas envie de faire mourir les gens. Après c’est sûr, les conventionnels, au moment de l’après-guerre, ont dû nourrir tout le monde, il fallait être vraiment productif. Nous on a la belle saison, nos clients quand ils viennent ici ils savent qu’ils ne vont pas avoir un produit parfait, énorme, mais ils nous connaissent. »
Hermann Becam, revendeur en conventionnel depuis plus de 30 ans, fervent défendeur des producteurs locaux, défend les qualités gustatives des petits producteurs, qui ne travaillent pas nécessairement en agriculture biologique, mais qui conserve un terroir et une pratique « en accord » avec eux-mêmes et avec leurs convictions: « On a un problème avec le bio. Enfin moi personnellement j’ai un problème avec le bio. Je suis très favorable au sans traitement mais j’en ai marre du logo AB (agriculture biologique). C’est devenu un fourre-tout sans nom. Le circuit court c’est le bon produit d’un bon terroir. Ce producteur de pommes par exemple, la première fois que vous allez chez lui, que vous visité l’exploitation, vous trouvez que ses pommiers sont tous petits. Au début j’ai dit ce qu’il ne fallait pas dire, j’ai dit « C’est pour faciliter la récolte ? ». Il m’a répondu « Surement pas ! Le gout vient du sol. On force l’arbre à avoir des racines très profondes et pour le soulager on lui laisse très peu de hauteur. Celui qui va pourrir ces sols n’aura jamais quelque chose de bon. Et nous pour ça on n’a pas besoin du logo AB. » Petite phrase de bon sens. Et ici c’est du zéro traitement, mais ils n’ont jamais voulu passer sous le label bio. Pourtant leurs parents étaient parmi les premiers à aller étudier le bio au Japon. C’étaient les premiers à étudier le bio dans la pomme en Bretagne. Et ils ne veulent toujours pas passer en bio car ils disent : « Il y a 20 ans vous vous fichiez tous de notre tronche, mais maintenant vous voulez tous avoir nos techniques. » Pourquoi avoir le dictat de ces gens-là alors qu’ils ont toujours travaillé dans les règles de l’art ?
Moi je favorise ce type de producteurs. Et je rencontre chaque producteur que je revends, sauf en fruit quand c’est trop loin. Vu que la Bretagne ne produit pas de fruit, a part de la fraise et de la pomme à fruit, il faut bien aller chercher ailleurs, mais c’est la même démarche ! J’aime les petites maisons qui travaillent bien, j’aime les variétés anciennes. Et le logo AB a faussé la donne. En fait il faudrait un label intermédiaire, qui montre qu’on a la bonne variété, produite de la bonne manière, dans un bon terroir. Il manque cette troisième voie. Le problème c’est qu’on n’est pas assez nombreux, il nous manque des producteurs. Parce que la place est prise par les industriels. Mais le point noir de ces 15 dernières années, c’est le logo AB. Ce fameux logo qui auprès des médias à une pub phénoménale. J’ai l’impression qu’on a une distribution qui cherche à stéréotyper les productions. Les variétés de grandes surfaces sont complètements aseptisées. On éduque les palais aux choses fades alors qu’on peut faire des choses exceptionnelles. Mais pour ça il faut arrêter le rendement. Je pense que ce discours là c’est la première fois que vous l’entendez venant d’un gros revendeur ? »
Julien Boulais, lui aussi critique sur les pratiques, remet en question le cahier des charges de l’agriculture biologique : « Et même si bio ne veut pas dire écolo, rien que le mot « bio » c’est la vie. Et par exemple il y a une dame, quand je lui ai dit que je voulais limiter ou arrêter l’usage du plastique elle m’a dit « Ah bon vous utilisez du plastique ? », elle n’était pas choquée, mais très surprise en tous cas. Mais en réalité le cahier des charges bio ne demande aucune mesure environnementale. Aucune. Ils demandent juste le non-usage de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques de synthèse. C’est tout ! Et si, la provenance des graines. Mes graines sont bios certifiées, si elles ne sont pas bio, il faut qu’elles soient indisponibles, il faut que je fasse une demande de dérogation pour une carotte non traitée. Les règles sont strictes sur ça, mais je peux très bien creuser un trou et mettre tous mes déchets dedans si je veux. Le cahier des charges c’est juste une obligation de moyens, même pas de résultats. »
En opposition à l’agriculture biologique, une autre voie semble alors apparaître, favorisant le sans traitement mais ne remplissant pas le cahier des charges de la certification « agriculture biologique ». Thomas Quillevere, me raconte les conflits qu’il a pu voir entre agriculteurs biologiques et les agriculteurs tendant vers le sans traitement, ainsi que les conflits liés à la compétitivité du marché : « Ce qu’on remarque nous aujourd’hui c’est que les réseaux spécialisés sont en panne. Enfin des échos qu’on a eu, depuis l’année dernière, Biocoop, La vie claire ou d’autres, ça ne marche pas trop. Ils sont en très grosse difficulté parce qu’ils ont gardé un prix de vente aux consommateurs très élevé. Et nous en production on se rapproche du conventionnel, donc ça ne peut pas le faire et ça a freiné les ventes. Là où on est déçus, c’est que quand on a eu notre problème de chauffage des serres à cause du 1er mai, eux ça ne les a pas empêché de s’alimenter dans les productions hollandaises, italiennes, espagnoles, etc… Et le pire c’est qu’on a certains de nos clients dans les réseaux spécialisés qui nous disent que l’Espagne est moins chère. Donc la pilule est dure à avaler. Déjà qu’on nous interdit de commercialiser avant le 1er mai, et qu’en plus quand on est là on nous dit « Ah bah on vous a pas attendu, il y avait l’espagnol, et en plus de ça il est moins cher que vous. » Ca on ne saura pas faire. Ils ne sont pas tous comme ça mais il y en a certains qui ont fait des réflexions et ça a du mal à passer au niveau des producteurs. Il y a 5% des productions bio qui ont reculé depuis l’année dernière, simplement parce qu’ils ont déconvertis, et il va falloir éviter que ça arrive de trop. Mais au niveau du conventionnel, on le voit, il y a une sorte de troisième voie sans pesticides. Ils ne font pas du tout partie du label bio, c’est juste en culture qu’ils ne mettent pas de pesticides mais ils ont toujours l’engrais chimique et pour le désherbage avant la culture. Mais ça plait à certains producteurs et consommateurs. Et c’est là qu’on voit émerger des conflits parce que certains producteurs bio, d’un peu partout, dénonçaient les sans pesticides parce qu’ils disaient que ce n’était pas du bio. Mais personne n’a jamais dit que c’était du bio.
Mais comme ça prend un peu de part de marché sur le bio, ils sont tout énervés et ça gueule dans tous les sens. Et même ceux qui font du zéro résidus, n’ont jamais dit que c’était du bio. »
Marc Kerangueven, quant à lui, prône l’expansion des exploitations biologiques et m’explique leur gestion au sein de la SICA : « Le bio a commencé en 1987 il me semble avec quatre producteurs de chez Princes de Bretagne, alors que le marché était à peine là. Donc ils l’ont fait par convictions puis on est passé de quatre à dix, etc… Il faut reconnaître que quand la demande sociétale est arrivée il y a 10 ans, on a eu une demande des producteurs, donc des gens qui ont fait le choix, alors que le marché n’était pas encore là, mais ils l’avaient senti. On parlait de réduction de pesticides, d’environnement donc certains ont passé le cap. Aujourd’hui on est 60 producteurs au niveau de la SICA, 157 au niveau de Princes de Bretagne. Il y a eu un vrai boom. Ce qu’il s’est passé c’est que dans un premier temps ce sont les gens les plus convaincus qui se sont lancés, mais sans doute également les meilleurs techniciens ou les meilleurs agronomes, des gens très pointus qui suivent leurs cultures au jour le jour, parce que le bio c’est ça. Et peut-être que les derniers l’ont fait un peu par convictions économiques, le marché, la demande. On voyait qu’Egalim imposait 25% de produits bios, on voyait que la demande était là, donc peut-être que les gens l’ont fait aussi pour répondre à une demande de marché. Le bio chez nous représente à peu près 10% de notre chiffre d’affaire et en volume également.
Le marché s’est un peu tendu donc on a plus beaucoup de projets de conversion, ce qui est normal. Nous avons quelques producteurs sous-abris qui sont en réflexion par rapport à l’énergie. On sait qu’on en avait quelques-uns qui avaient prévu et qui aujourd’hui attendent un peu en regardant ce qu’il se passe. Je n’ai pas aujourd’hui de producteurs qui nous disent qu’ils regrettent leur choix. Je pense qu’ils sont en réflexions, ils regardent. Après chez nous, le bio n’est pas fourre-tout.
Il y a des cahiers des charges, il y a un service qualité, il y a un service bio, on a des techniciens, tout est cadré, tout est paramétré, les gens déclarent leurs emblavements, tout ça s’est bien suivi. Ce n’est pas fourre-tout. Il faut savoir que nous on travaille par sections. C’est à dire qu’il y a un conseil d’administration qui est sur le pilotage et la réflexion stratégique et politique de la coopérative et après quand on va parler du chou-fleur ou de la tomate, ce n’est pas les producteurs de navets qui y vont. On réunit les producteurs de chou-fleur, ils ont un bureau, c’est eux qui définissent les règles de par exemple quelles variétés ils produisent, comment ils produisent, ils font un cahier des charges avec les conditionnements. Et donc produit par produit c’est ça. Et en bio c’est pareil. Le bio a un bureau bio qui décide de la politique bio, sur ce qu’ils veulent faire, sur ce qu’ils veulent développer. Il y a une certaine liberté qui est donnée à toute cette section et qui, si elle reste en phase avec la coopérative, ne rencontre pas d’objections. Après chacun doit assumer ses choix. »
Malgré tout, le marché ne semble pas si sûr et le nombre de conversions en exploitation biologique stagne voire diminue chez les producteurs de la SICA. Thomas Quillevere m’expose son inquiétude face aux déconversions et aux difficultés à continuer de produire sous le cahier des charges « AB » : « Ce sont des grosses interrogations. Surtout avec la loi du premier mai, on a du mal à trouver des énergies qu’on arriverait à amortir. Donc on nous interdit de produire avant le premier mai mais en même temps on doit avoir un système de chauffe à l’énergie renouvelable, mais si on ne peut pas l’utiliser, on n’amortit pas. On a une conjoncture plus difficile en bio depuis l’année dernière, on le sent c’est très dur. C’est assez violent et au niveau de la coopérative, ce qu’il faut éviter, ce sont les déconversions. Et il y a moins d’une dizaine, 3 ou 4, qui sont en conversion en ce moment. Ç a freine parce que le conventionnel est bien, donc les gens se disent qu’il ne vaut mieux pas qu’ils bougent même si il y en a qui ont des idées, il faut que ça murisse.
Et pour être bon en bio, il faut être bon techniquement en conventionnel et être convaincu du bio, parce que si c’est par opportunité ça ne va pas être bien fait. »
Il reste néanmoins positif, et rappelle que le rôle de la SICA pour mettre en relation les exploitants conventionnels et les exploitants biologiques :« Ce qui est intéressant dans la coopérative, c’est qu’on échange beaucoup entre le bio et le conventionnel, et les méthodes vont aux deux, parce que le conventionnel fait aussi du sans-pesticide, et ils viennent nous demander comment on fait. Même au niveau des variétés, on a des échanges. Ce qui est intéressant c’est surtout d’éviter ce clivage entre le bio et le conventionnel, parce qu’on l’entend souvent dans les médias, mais, nous, on ne l’a pas dans cette coopérative-là. Et les exploitants bios sont les anciens conventionnels donc il n’y a pas de soucis de ce côté-là. »
L’agriculture biologique fait donc débat chez les producteurs, qui, en ayant un regard critique sur le milieu, la dénigrent, l’abandonnent ou essayent de la contourner. Les gérants des grandes coopératives eux, essayent de relativiser, pour empêcher l’abandon des pratiques. Ce soutien à l’agriculture biologique passe aujourd’hui par d’autres procédés comme la création variétale.
CREATION VARIETALE, AGROFORESTERIE ET AGRICULTURE DE CONSERVATION, LES
VOIES DE L’AVENIR
A la rencontre de ces agriculteurs, j’ai plusieurs fois entendu parler de création et de sélection végétale. Pour la définir la sélection variétale existe depuis le tout début de l’agriculture. En effet, depuis toujours, l’homme sélectionne les plantes selon des critères qui lui plaisent, et croise les meilleures espèces entre elles. Ainsi, certains caractères de la plante, recherchés par l’agriculteur, se sont transmis de génération en génération jusqu’à devenir largement majoritaires. Cette sélection a abouti à la création de nombreuses espèces améliorées et participe donc à la diversité variétale. La sélection variétale était à la base très empirique, elle est maintenant très orientée et contrôlée. La sélection variétale, ou amélioration des plantes, est un processus par lequel on choisit deux plantes en fonction de leurs caractères (par exemple, grosses fleurs odorantes chez un rosier, résistance aux maladies chez un autre). Une des deux variétés doit recevoir le caractère de l’autre variété. Les plantes sélectionnées sont croisées entre elles, puis on croise la variété qui doit recevoir le caractère, avec la descendance du croisement. Cette opération est répétée, afin d’aboutir à une nouvelle espèce qui réunit les critères choisis sur une même plante, c’est la création variétale. Génétiquement, il s’agit du transfert d’un ou plusieurs gènes d’une espèce à l’autre par des croisements successifs, qui peuvent durer plusieurs dizaines d’années.1
Certains agriculteurs comme Marc
Kerangueven, voient l’avenir de l’agriculture biologique et du sans traitement dans la création variétale. Déjà investi dans la recherche depuis quelques années, Marc m’explique l’importance de l’OBS, l’Organisation Bretonne de sélection :
« Le dossier plus épineux aujourd’hui, c’est le dossier pesticide. Depuis que je suis responsable, je pense que tout ce qui est cette utilisation de produits chimiques évolue et va évoluer. Demain on ne le fera plus. Alors demain c’est quand ? Mais je maintiens la création variétale, est là pour ça. Nous avons au sein de l’organisation une société qui s’appelle l’OBS, l’Organisation Bretonne de Sélection, qui crée des variétés de choux fleurs qui nous sont propres. Ils font de la recherche pour limiter les traitements sur les champignons qui viennent sur les feuilles. On a une variété d’échalote qui ne nécessite aucun traitement. La mécanisation, la robotisation, la création variétale vont nous aider à évoluer. Mais je peux comprendre le citadin qui arrive à la campagne, qui est là depuis un an, qui constate qu’il y a un an un producteur traitait et qu’il traite toujours. D’accord mais on est dans un temps pas long. Il faut laisser le temps, la création variétale c’est 10 ans. On est aussi à la préhistoire de la robotisation. Il faut laisser du temps et il faut payer. On arrive aujourd’hui à développer des gammes sans pesticides, on parlait de l’échalote mais il y a du chou-fleur, du brocoli, du potimarron, de la tomate. On y est ! On va y aller ! Mais il faut que les gens l’acceptent et il ne faut pas faire n’importe quoi avec ses voisins. Il y aura sans doute toujours besoin dans un temps moyen de quelques traitements phytosanitaires parce qu’on ne va pas tout résoudre du jour au lendemain mais ça va fortement réduire. Et on est vraiment sur la protection des plantes, comme quand quelqu’un est malade et qu’il va chez le docteur pour avoir des médicaments, là c’est pareil. Et je ne connais aucun producteur qui le matin en se levant se dise « Tiens chouette c’est le jour des traitements ! ». Personne ne résonne comme ça. On mange ce qu’on produit et on vit dans un environnement qui est le nôtre donc on a tout intérêt à préserver notre outil de travail.
Je donne souvent un exemple aujourd’hui il y a le Caté, qui est uns station d’expérimentation depuis 1983. Aujourd’hui on parle d’agro écologie, c’est un terme récent. Au Caté, ils ont ressorti toutes les expérimentations faites depuis le début, ils ont sorti un fascicule et ça fait plus de 30 ans que la recherche expérimentale bosse sur ce qu’on appelle aujourd’hui l’agro écologie. Ca ne s’appelait pas comme ça à l’époque mais ce qu’on met aujourd’hui dedans, ça fait 30 ans que nous on l’expérimente dans les pratiques culturales. On a toujours cherché à réfléchir dans ce senslà. Il ne faut pas prendre les producteurs pour des gens qui ne réfléchissent pas et qui font n’importe quoi. Ce n’est pas vrai. Et on a un service environnement qualité, on a un plan de surveillance, on analyse nos légumes, on essaye de garder tout le monde dans la ligne. Le réglementaire est important. On vend sous une même marque donc un producteur ne peut pas risquer de faire perdre tout le monde. Souvent je donne l’exemple aussi, le bio quand il démarré, ils ont dû expérimenter des choses, et c’est le conventionnel qui a financé l’expérimentation. Mais aujourd’hui toute pratique qu’on a en bio, le conventionnel les récupère, donc ça a été un investissement. On a jamais chez nous opposé le bio et le conventionnel, on échange tous les jours. On collabore et leurs problèmes sont nos problèmes. Et c’est ensemble qu’on construit et ça nous permet d’avancer, et tout le monde avance en même temps. »
Thomas Quillevere, en accord avec cette position, m’explique la légitimité de son utilisation et sa fonction de pérennisation de l’agriculture biologique : « On a l’air de découvrir aujourd’hui l’agro écologie, alors que ça fait 20 ou 30 ans qu’on est déjà. Et pour illustrer la création variétale par exemple on a une variété d’échalote résistante au mildiou, c’est nous qui l’avons financé, donc c’est normal qu’elle nous soit reversée. Pour moi c’est sûrement là qu’est la clé pour pérenniser le bio. Cet outil va nous aider énormément, ça sécurise tout le monde. »
1 Ooreka, «Création et sélection variétale»
UNE VARIETE RESISTANTE AUX MALADIES

DONNENT AU BOUT DE PLUSIEURS C ROISEMENTS SUCCESSIFS, UNE VARIETE RESISTANTE AUX MALADIE ET PLUS VOLUMINEUSE

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UNE VARIETE PLUS VOLUMINEUSE

Hermann Becam, quant à lui, est en désaccord avec ces pratiques et expose les défauts d’une variété crée de toute pièce par la science : « Quand je vois la pomme qu’on trouve partout en bio c’est de la « Juliette ». Elle est souvent en petit calibre parce qu’ils en laissent trop sur les arbres. C’est une pomme qui a été crée de toute pièce par l’humain, qui est adaptée à la culture bio, au cahier des charges bio, mais c’est une pomme qui n’a aucun intérêt gustatif. En fruit il existe encore des choses qui sortent de l’ordinaire, comme la pomme du producteur dont je vous parlais tout à l’heure et qui est basé à Nantes. »
Julien Boulais, sortant d’une formation BTS, voit lui l’agro écologie et l’agroforesterie d’un bon œil, permettant d’ouvrir les esprits et permettre plus de possibilités de gestions d’exploitations : « Dans la formation, depuis peu, il y a des notions d’agro écologie et d’agro foresterie qui m’ont beaucoup intéressé, même si c’est des approches qui restent lointaines, et une stimulation. On sent que c’est « européen » et tant mieux, pour revoir les pratiques, et revoir les pratiques même en bio, parce que bio ne veut pas dire irréprochable dans ses pratiques écologiques. La preuve, je vais m’expliquer après sur des pratiques que j’essaye de changer. Et je me suis dit, moi il me faut un système où j’aimerais intégrer l’agroforesterie, l’agro écologie, intégrer des haies, avoir un système plus favorable à la biodiversité et aussi, et ça c’est mon point central depuis le début, d’être fier de le montrer. Pour être fier de montrer ce qu’on travaille, pas juste comme des champs et des tracteurs, mais plutôt comme un endroit où on se baladerait, même ou on peut apprendre quelque chose peut être. »
L’agroécologie, évoquée dans le discours de Marc Kerangueven, dans celui de Thomas Quillevere et dans celui de Julien Boulais, signifie selon le ministère de l’agriculture et de l’alimentation une façon de concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes. Elle les amplifie tout en visant à diminuer les pressions sur l’environnement (ex : réduire les émissions de gaz à effet de serre, limiter le recours aux produits phytosanitaires) et à
préserver les ressources naturelles. Il s’agit d’utiliser au maximum la nature comme facteur de production en maintenant ses capacités de renouvellement. Elle implique le recours à un ensemble de techniques qui considèrent l’exploitation agricole dans son ensemble.
C’est grâce à cette approche systémique que les résultats techniques et économiques peuvent être maintenus ou améliorés tout en améliorant les performances environnementales. L’agroéconomie réintroduit de la diversité dans les systèmes de production agricole et restaure une mosaïque paysagère diversifiée (ex : diversification des cultures et allongement des rotations, implantation d’infrastructures agro écologiques...) et le rôle de la biodiversité comme facteur de production est renforcé, voire restauré.1
L’agroforesterie, évoquée dans le discours de Julien Boulais, quant à elle, regroupe toutes les pratiques agricoles qui intègrent l’arbre dans un environnement de production, et s’inspirent, en termes agronomiques, du modèle de la forêt. La définition internationale de l’agroforesterie, tropicale et tempérée, proposée par l’ICRAF (Centre Mondial Agroforesterie) est la suivante : « Système dynamique de gestion des ressources naturelles reposant sur des fondements écologiques qui intègre des arbres dans les exploitations agricoles et le paysage rural et permet ainsi de diversifier et maintenir la production afin d’améliorer les conditions sociales, économiques et environnementales de l’ensemble des utilisateurs de la terre ».2
vers l’écologie, éprouvent le paysage. Les projets de plantations agroforestières en HauteGaronne », Mathilde Rue, paysagiste DPLG et doctorante en géographie et aménagement, évoque l’agroforesterie comme nouveau mode d’appropriation du paysage, comme une manière plus évidente « d’habiter » les terres agricoles : « L’agroforesterie intraparcellaire est un mode agricole qui associe sur une même parcelle des alignements d’arbres à une autre production afin de garantir un ensemble de bénéfices (préservation des sols, maintien de la biodiversité, qualité de l’eau, bien-être animal, etc.). Dans le même temps, l’agroforesterie procède d’une redéfinition spatiale que nous trouvons opportun d’interroger. Elle est à la fois une transformation de l’espace physique mais aussi des représentations sociales. Autrement dit, un agriculteur qui plante des arbres change le paysage, cela se voit et veut dire quelque chose. Nous faisons l’hypothèse que ces personnes s’orientent vers l’agroforesterie car elles y perçoivent la possibilité d’une mise en paysage de leurs aspirations de vie, de leur rapport au monde. Nous postulons - qu’audelà d’enjeux agronomiques, économiques, environnementaux - il y a avec l’agroforesterie, une projection de soi dans une manière choisie d’habiter le monde. »3
Dans sa thèse « Des agriculteurs, en chemin
1 MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ALIMENTATION, Qu’est-ce que l’agroécologie ?, 2013
2 ASSOCIATION FRANÇAISE D’AGROFORESTERIE, L’agroforesterie en 10 questions, 2014, page 1
3 RUE Mathilde, Des agriculteurs, en chemin vers l’écologie, éprouvent le paysage. Les projets de plantations agroforestières en HauteGaronne, thèse de doctorat, 2020, page 2
Fig 48 : Exemple d’agroforesterie associant pommiers et culture de sarrasin Bretagne, Juin 2018

L’agroforesterie propose alors peut-être une solution plus viable que la création variétale pour pérenniser l’agriculture. Une autre solution, en accord avec les valeurs véhiculées par l’agroforesterie, serait l’agriculture de conservation. C’est dans le livre de David. R Montgomery que je découvre l’agriculture de conservation, une agriculture plus respectueuse du sol, qu’il explique de la manière suivante : « L’agriculture de conservation repose sur trois principes très simples : perturber le sol au strict minimum, semer des cultures de couvertures et garder au sol les résidus de culture afin que la terre soit toujours protégée et pratiquer des rotations diversifiées. Ces pratiques peuvent être appliquées n’importe où, autant en culture biologique qu’en agriculture conventionnelle, avec ou sans cultures OGM. […] Car la santé de la terre se construit, nous le savons aujourd’hui, grâce au travail de la vie organique du sol, depuis le verre de terre ordinaire jusqu’aux bactéries spécialisée, aux champignons mycorhiziens et autres micro-organismes. Le cœur de l’agriculture de conservation est bien là – il s’agit d’encourager et protéger toutes ces minuscules foules vivantes qui favorisent la croissance de nos plants et maintiennent la fertilité de nos sols.».
Une agriculture en trois points, qui exclut le labour, ne laisse jamais la terre à nu et favorise la diversité des cultures. En ce sens, MarcAndré Sélosse explique le troisième point dans son article « Des sols vivants », ou comment le mariage de cultures, permet une organisation optimale du sol et de ses ressources : « On peut aussi marier les cultures: on a des mélanges céréales-légumineuses extraordinaires, plutôt destinés à l’alimentation animale, mais demain on peut espérer des associations comme la milpa, dont j’ai déjà parlé, pour l’alimentation humaine. Les légumineuses fixent l’azote - ou plutôt elles nourrissent dans leurs racines des bactéries qui le fixent. Leurs graines sont chargées de protéines, ainsi que leurs parties souterraine et aérienne qui, si on les laisse après la récolte, enrichissent le sol en azote. De plus, les céréales mobilisent le fer, ce qui en fait plus pour tout le monde.
Enfin, l’acidification locale du sol par les racines des légumineuses libère localement du phosphore. ». 1
Une agriculture en trois points, qui exclue le labour, ne laisse jamais la terre à nu et favorise la diversité des cultures. En ce sens, MarcAndré Sélosse explique les troisième point dans son article « Des sols vivants », ou comment le mariage de cultures, permet une organisation optimale du sol et de ses ressources : « On peut aussi marier les cultures: on a des mélanges céréales-légumineuses extraordinaires, plutôt destinés à l’alimentation animale, mais demain on peut espérer des associations comme la milpa, dont j’ai déjà parlé, pour l’alimentation humaine. Les légumineuses fixent l’azoteou plutôt elles nourrissent dans leurs racines des bactéries qui le fixent. Leurs graines sont chargées de protéines, ainsi que leurs parties souterraine et aérienne qui, si on les laisse après la récolte, enrichissent le sol en azote. De plus, les céréales mobilisent le fer, ce qui en fait plus pour tout le monde. Enfin, l’acidification locale du sol par les racines des légumineuses libère localement du phosphore. ». 2
Pour renouer les liens aux sols, la solution se trouve donc peut être dans l’agriculture de conservation, dans les exploitations de petites tailles, dans l’agroforesterie, dans l’agroéconomie et dans les circuits courts, permettant aux habitants et aux acteurs de se retrouver et de s’y retrouver. Mais quels agriculteurs sont réellement prêts à fournir cet effort ? La distinction entre production et commercialisation semble freiner les avancées des plus motivés.
1 MONTGOMERY David R., Cultiver la révolution, Ramener nos sols à la vie, Paris, Editions France Agricole, TerrAgora, 2019, page 63
2 SELOSSE Marc-André, «Des sols vivants», Dossier Entretien, Revue Reliefs Foret N°14, Paris, page 27






CONCLUSION
Le remembrement, et plus particulièrement le remembrement breton, qui commença plus tôt qu’ailleurs en France, fut une fracture majeure dans le cours historique de l’agriculture et divisa les opinions. Dans un soucis de rentabilité, les décisionnaires de cette opération ont peut-être parfois oublié de s’adapter au lieu, et d’écouter ceux qui le connaissaient le mieux : les agriculteurs. Ces acteurs, ont à l’époque, eu la sensation d’être mis de côté au profit d’un rendement. Aujourd’hui, c’est le cœur plus apaisé que les agriculteurs modernes parlent du remembrement. Du moins les agriculteurs faisant partie d’un système d’agriculture à l’échelle industrielle. Tout en nuançant leurs propos, ils affirment que ce remembrement était nécessaire à la survie de l’agriculture bretonne, face à la concurrence européenne.
Ce remembrement fut aussi l’ouverture aux nouvelles pratiques et à la mécanisation, qui peu à peu, permirent de produire plus vite, sur des surfaces plus grandes, et plus efficacement. C’est ce qu’il a fallu pour nourrir l’Europe après la guerre. Mais à quel prix ? Aujourd’hui dépendant des traitements et des cultures en sous abris, pour la plupart, les gros agriculteurs, conventionnels ou biologiques, misent sur la production et perdent le côté marchand de leur profession. De plus l’impact écologique et paysager est sévère, menaçant même la santé publique, par la pollution des courts et des milieux naturels.
C’est en rencontrant les acteurs que j’ai pu mettre de la nuance dans un récit que je lisais en noir et blanc. Les petits agriculteurs se questionnent et essayent de retrouver ce lien au sol, mais également aux habitants par le biais du commerce. Les grands agriculteurs, conscients de leur influence sur le marché, construisent la discussion et mêlent les pratiques pour une plus grande solidarité. Malheureusement dépendant des demandes européennes, le retour au sol n’est pas leur priorité. Les innovations semblent poursuivre le chemin de la mécanisation, de la robotisation et de la création variétale, guidées par la haute technologie et la sélection génétique. On peut alors se demander en quoi l’agriculture moderne s’apparente-elle à l’agriculture d’il y a 70 ans ? Avons-nous encore des points communs quand nous cultivons nos variétés créées de toutes pièces, dans des serres et des sous-abris ? Où est réellement le lien au sol que les agriculteurs jugent si important en apparence ? Heureusement, le changement est là chez plusieurs agriculteurs, revendeurs et paysagistes, portant un œil critique et plein d’espoirs sur les pratiques à venir. Si la solution miracle n’est pas encore apparue, plusieurs pistes s’offrent à nous et permettent de se détacher des modèles préconçus. L’agroforesterie, l’agriculture de conservation, l’évolution des labels portent à croire que les choses évoluent, même sous la continuelle pression du toujours plus.
REMERCIEMENTS
Merci à ma tutrice, Pauline Frileux, pour son temps, ses conseils et sa relecture précieuse. Merci à Olivier Marty, pour sa deuxième relecture.
Merci à mes camarades de classe pour le soutien, leurs conseils et les moments d’écriture en commun.
Merci à Sébastien Geulin de m’avoir mis en contact avec plusieurs acteurs et pour son temps.
Merci à tous les acteurs rencontrés pour leur gentillesse et leur partage.
Merci à mon père, Stéphane Guillemot, pour ses contacts et ses conseils.
Merci à ma mère, Charlotte Guillemot, pour son temps et pour m’avoir accompagné sur le terrain.
Merci à Lucas Crevoisier pour son matériel photographique et sa patience.
1
Tout sort de la terre, et tout retourne à la terre.1
XENOPHANE, extrait de MONTGOMERY David R.,Cultiver la révolution, Ramener nos sols à la vie, Paris, Editions France Agricole, TerrAgora, 2019, page 219
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Fig 1: Champs de choux s’étendant vers la côte, Pointe ouest de Carantec, photographie argentique, février 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 2 : Carantec et ses champs, dessins, GUILLEMOT Elodie
Fig 3 : Bâtisses agricoles ornant l’entrée de la village de Carantec, au loin le bourg, photographie argentique, février 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 4 :La bretagne en France, carte, GUILLEMOT Elodie
Fig 5 : Les départements bretons, carte, GUILLEMOT Elodie
Fig 6 : Un site compris entre deux grandes entités paysagères, carte, GUILLEMOT Elodie
Fig 7 : Carte du site d’étude, principales villes et cours d’eau,GUILLEMOT Elodie
Fig 8 : Récolte des choux, Taulé, photographie, 2020, ATLAS DES RÉGIONS NATURELLES
Fig 9 : Les six grandes familles de paysages bretons issus de l’agriculture, dessins, GUILLEMOT Elodie , réalisés à partir des «huit grandes familles de paysages bretons», OEB, Observatoire de l’environnement en Bretagne
Fig 10 : «T1 050», Photographie, LE GARREC Nicole et Félix
Fig 11 : Le bocage breton vu du ciel, captures d’écran issues de Le paysage breton, INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL, 1995, film couleur
Fig 12 : « Evacuation de la mairie», Trèbrivan, 1972, photographie, LE GARREC Nicole et Félix
Fig 13 : «Remembremet Flg 06», Trébrivan, 1972, photographie, LE GARREC Nicole et Félix
Fig 14 : «T2 062», Trébrivan, 1972, photographie, LE GARREC Nicole et Félix
Fig 15 : Portrait de Monsieur Valle et portait de Jean Eon et de sa femme, captures d’écran issues de Le remembrement, INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL , 1976, film couleur
Fig 16 : Dessins, Elodie Guillemot réalisés à partir de Algues vertes l’histoire interdite, LERAUD Inès, VAN HOVE Pierre, Paris, Editions Delcourt et La Revue dessinée, 2019, 159 pages
Fig 17 : Remebrement de la commune de Plumelec, captures d’écran issues de Le remembrement à Plumelec, INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL , film noir et blanc, 1965
Fig 18: Présence insignifiante d’algues vertes à marée basse, Anse de Porz Morvan et début de la vallée du Douron, photographie, GUILLEMOT Elodie, mars 2022,
Fig 19 : Dessins, Elodie Guillemot, réalisés à partir de "Eveiller un regard collectif pour réinventer les landes des monts d’Arrée", DIABATE Madenn, Mémoire de fin d’étude 2020/2021, INSA, 127 pages
Fig 20 : Plateau agricole à nu, au loin la vallée arborée, près de Plouigneau, photographies, mars 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 21 : Paysage côtier couvert de lande et d’arbres, Port de Terenez, photographie, mars 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 22: Landes, route côtière de Plougasnou à Locquirec, photographie, mars 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 23: Landes, route côtière de Plougasnou à Locquirec, photographie, mars 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 24 : Forêt épargnée, persistant entre les parcelles agrcioles, Kermouster, photographie, mars 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 25 : Chênaie, Vallée du Douron, photographie, mars 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 26 : Sylviculture d’épineux ayant remplacé les chênaie et les hêtraie, vallée du Douron, photographie, mars 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 27 : Carte des principales zones concernées par le plan «algues vertes», GUILLEMOT Elodie
Fig 28 : Dessins, GUILLEMOT Elodie,réalisés à partir de l'article "Algues vertes un fléau", Eaux et Rivières de Bretagne, 2020
Fig 29 : Anse de Porz Morvan, photographie, mars 2022
Fig 30 : Zone humide en marée basse, Anse de Terenez, photographie, mars 2022
Fig 31 : Port du Diben, photographie, mars 2022
Fig 32 : Paysage de bâches, Saint-Pol-de-Léon, photographie mars 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 33 : Exploitation laitière et ses batisses agricoles, vallée du Douron, près de Plouégat Guérand, photographie, mars 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 34 : Ancienne exploitation abandonnée,faisant partie de la SICA, entre Plouégat-Guérand et Plouigneau, photographie, mars 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 35 : Une production mondiale, carte des trajets des productions de la SICA, GUILLEMOT Elodie
Fig 36 : Visite de la production de tomates sous serre , Kerandrez, Marc m’explique comment le mildiou se propage grâce au moignon d’une branche, photographie, avril 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 37 : Allée de la serre, chariots et cagettes de récolte, visite de la production de tomates sous serre, Kerandrez, photographie, avril 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 38 : Vue des serres de l’extérieur, visite de la production de tomates sous serre , Kerandrez, photographie, avril 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 39 : Une production bretonne, carte des trajets des productions de Julien, GUILLEMOT Elodie
Fig 40 : Visite de la ferme sous la pluie, Carantec, photographie argentique, février 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 41 : Tunnels explosés par le vent, visite de la ferme sous la pluie, Carantec, photographie argentique, février 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 43 : Une production du Léon et du Trégor, carte des trajets des productions de Sébastien, GUILLEMOT Elodie
Fig 44 : Stand de Sébastien, Carantec, étalage de légumes, photographie, février 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 45 : Stand de Hermann «Les vergers du soleil», Carantec, étalage de fruits et de légumes, photographie argentique, août 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 46 : Dessins, GUILLEMOT Elodie, réalisés à partir d’entretiens d’acteurs
Fig 47 : Création variétale, dessins, GUILLEMOT Elodie
Fig 48 : Exemple d’agroforesterie associant pommiers et culture de sarrasin, Bretagne, Juin 2018, photographie : PAYSAN BRETON, «Les horizons vertueux de l’agroforesterie», 2018
Fig 49 : Champs de Colza, Plouigneau, photographie, avril 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 50 : Plateau agricole de Plouégat-Guérand, photographie, avril 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 51 : Plouégat-Guérand, photographie, avril 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 52 : Plateau agricole Plouégat-Guérand, photographie, avril 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 53 : Locquirec, photographie, avril 2022, GUILLEMOT Elodie
Fig 54 : Le Diben, photographie, avril 2022
OUVRAGES :
LERAUD Inès, VAN HOVE Pierre, Algues vertes l’histoire interdite, Paris, Editions Delcourt et La Revue dessinée, 2019, 159p
MANCUSO Stephano, La révolution des plantes, Comment les plantes ont déjà inventé notre avenir, Traduit de l’italien par Renaud Temperini, Paris, Edition Albin Michel, 2019, 233p
MONTGOMERY David R., Cultiver la révolution, Ramener nos sols à la vie, Paris, Editions France Agricole, TerrAgora, 2019, 290p
ARTICLES DE REVUES :
GAUQUELIN Thierry, Une forêt, des forets, Dossier Forêt, Revue Reliefs Foret n°14, Paris, 2021, p35 à p41
SELOSSE Marc-André, Des sols vivants, Dossier Entretien, Revue Reliefs Foret n°14, Paris, 2021, p20 à p29
ZURCHER Ernst, Ingénieur forestier ETHZ, Forêts et Humains, un destin commun, Dossier Forêt, Revue Reliefs Foret n°14, Paris, 2021, p43 à p49
ARTICLES EN LIGNE :
ASSOCIATION FRANÇAISE D’AGROFORESTERIE, L’agroforesterie en 10 questions, 2014, consulté le 10/04/2022, https://www.agroforesterie.fr/documents/AFAF-agroforesterie-en-10-questions.pdf
DICTIONNAIRES DES EXPRESSIONS FRANÇAISES , consulté le 16/01/2021, https://www.expressio.fr/
EAUX ET RIVIERES DE BRETAGNE, Dix mesures pour mettre fin aux marées vertes, 2021, consulté le 29/09/2021, https://www.eau-et-rivieres.org/propositions-contre-marees-vertes
EAUX ET RIVIERES DE BRETAGNE, Je dis stop aux marées vertes, 2021, consulté le 29/09/2021, https://www. eau-et-rivieres.org/campagne-algues-vertes-2021
EAUX ET RIVIERES DE BRETAGNE, Algues vertes, un fléau, 2020, consulté le 29/09/21, https://www.eau-etrivieres.org/algues-vertes-un-fl%C3%A9au
GEOCONFLUENCE, « Remembrement », Eduscol, ENS Lyon, consulté le 20/12/2022, http://geoconfluences. ens-lyon.fr/glossaire/remembrement
MARTINE COCAUD, Texte introductif à la vidéo Le paysage Breton, 1995, Institut National de l’Audiovisuel, consulté le 05/04/2022, https://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire/fiche-media/Region00245/le-paysage-enbretagne.html
MARTINE COCAUD, Texte introductif à la vidéo Le remembrement, 1976, Institut National de l’Audiovisuel, consulté le 05/04/2022, https://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire/fiche-media/Region00263/leremembrement.html
MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ALIMENTATION, Qu’est-ce que l’agroécologie ?, 2013, consulté le 10/04/2022, https://agriculture.gouv.fr/quest-ce-que-lagroecologie
PHILIPPE Marc-André, POLOMBO Nadine, « Soixante années de remembrement », HAL Open Science, 2010, 17 pages, consulté le 20/12/2021, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00433025/document
MEMOIRE DE FIN D’ETUDES :
DIABATE Madenn, Eveiller un regard collectif pour réinventer les landes des monts d’Arrée, Mémoire de fin d’étude encadré par DAUVIAU Claire et RICARD Sébastien, Blois, 2020/2021, INSA, 127p
THESE DE DOCTORAT :
RUE Mathilde, Des agriculteurs, en chemin vers l’écologie, éprouvent le paysage. Les projets de plantations agroforestières en Haute-Garonne, thèse de doctorat, 2020, consulté en ligne le 03/04/2022, https://hal. archives-ouvertes.fr/hal-02450329/document
EMISSION DE RADIO :
LERAUD Inès, « Le journal breton saison 1, Episode 4 : la crise des éleveurs », Les pieds sur terre, France Inter, 2016, 28min, consulté en ligne le 04/01/2022, https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/ journal-breton-410-episode-4-la-crise-des-eleveurs-intensifs
DIAPORAMA PHOTOGRAPHIQUE :
LE GARREC Nicole et Félix, Remembrement, Diaporama photographique, Trébrivan, 1972, consulté en ligne le 06/01/2022, https://nicoleetfelixlegarrec.com/photos/remembrement.html
FILMS :
INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL , Le remembrement, 1976, film couleur, France, France 3, 08m 13s, consulté en ligne le 05/04/2022, https://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire/fiche-media/Region00263/leremembrement.html
INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL , Le paysage breton, 1995, film couleur, France, France 3, 08m 02s, consulté en ligne le 05/04/2022, https://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire/fiche-media/Region00245/lepaysage-en-bretagne.html
INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL , Le remembrement à Plumelec, 1965 , film noir et blanc, France, France 3, 04m 54s, consulté en ligne le 05/04/2022, https://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire/fiche-media/ Region00257/le-remembrement-a-plumelec.html