Peindre, lumières incarnées
Abécédaire
Alin Avila
Préface
Aussi loin qu’on puisse remonter dans le récit de la vie de Serge Plagnol, le fait de peindre est là et s’avère pour lui la condition d’être au monde. Cet Homo Pictor ne cherche pas dans l’acte de dessiner et de peindre un statut, car au terme de ses décennies de travail, il faudra reconnaître qu’il n’a rien d’un Rastignac, qu’il a trop souvent négligé d’exploiter les voies qui lui étaient ouvertes, en préférant un mode de vie qui permettait à son désir de s’épanouir, non sur l’arène sociale, mais dans le cadre de sa réalisation intime. Serge Plagnol n’est pas un stratège, mais parcourir comme le fait cet ouvrage cinquante ans de ce que sa main a laissé, nous convainc, au-delà de l’amitié, qu’il y a un œuvre.
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De notre monde, Serge Plagnol n’a jamais cessé d’en écouter les rumeurs. Le matin, il lui faut lire le journal, écouter la radio. A plusieurs reprises il a pris des positions politiques, notamment dans les moments de sa jeunesse où, dans sa peinture, il aura figuré ses engagements. C’était dans les années 70, avant ce qu’il considère comme ses “débuts”, quand il traçait la silhouette de foules, une multitude de petits bonhommes bariolés et dansants. Peu après, lui et Annie Pascal, par amour et convictions, ils ont travaillé sur le même support, elle avec un crayon, lui avec ses couleurs. Ce moment passé, il est revenu à une création solitaire et les couleurs franches qui chez Serge prédominaient se sont assagies, faisant place à des tons pastels froids, bleus, verts et bruns acryliques. Sa touche s’affirmait alors en accents pulsés, sans doute se rendait-il au plus près de lui-même. Elaborés en séquence, ces tableaux qui figurent sont comme les éléments d’une partition construite sur des rythmes et induisent donc une temporalité. Une sorte de figuration narrative non revendiquée.
A l’écoute de la musique, le free jazz goûté en délice, comme un mode de rupture avec la conformité des choses, sans doute dans des remises en causes intimes. Peut-être marqué par la découverte de la peinture de
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Cy Twombly, tout change ou presque. Si figure il y a, ses contours naissent de la marque d’un pochoir ce qui permet aux gestes qui la tracent de se dissocier de ce qu’ils veulent représenter. L’espace du tableau est morcelé en bandes, la pluie des accents pincés qu’il pose évoque des pizzicati : musique en tons pastels sur des toiles le plus souvent construites en hauteur. Peinture douce, mais parfois violemment scarifiée comme pour rechercher ce qui serait le dessous de sa peau.
Pour Serge, le vrai début de sa peinture a commencé quand il a investi une petite villa sur la commune du Pradet près de Toulon, aux Oursinières. La maison que la famille n’occupait que l’été pour profiter de la mer à ses pieds – comme toutes celles qu’il habitera plus tard – n’offrait qu’un confort rustique, mais suffisant.
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Le grand air pour extrême luxe et la mer à quelques pas. Là, dehors ou dans la véranda, sur des toiles non tendues sur châssis, ses gestes et ses sujets changent. Sa touche a encore l’aspect d’un accent, mais passant de l’acrylique à l’huile, elle n’a plus le même aspect. Elle fait glacis, se confond ou au contraire, masque et brouille ce qui est au-dessous d’elle. Elle produit des bruissements lumineux que ce soit dans les tons solaires ou nocturnes. On y sent la rage du plaisir dans la volonté de dépasser les limites du tableau. Orages, commotions d’instants. Parfois il rassemble des bouts de toiles, non pas avec la volonté de produire un collage, mais pour télescoper des instants de travaux différents, qui alors liés ensembles, constituent ce tout auquel Plagnol est attaché.
Serge Plagnol évoque avec émotion et depuis toujours le dernier tableau de Nicolas de Staël, Le Concert – l’Orchestre de 1955, commencé quelques jours avant qu’il ne se suicide et qu’il laissera inachevé. Il l’a découvert adolescent à Antibes au musée Picasso. Le souvenir de ce tableau s’activera probablement pour le conduire ailleurs. Quand, fini les Oursinières, fini l’atelier du Faron, il lui fallait comme grandir dans le plaisir et les exigences de peindre.
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Rupture radicale. La puissance rétinienne que dégagent les aplats à l’huile, leur profondeur de mandala sans fioriture confortent Serge. L’utilisation d’huile et de pigments – il les mélange directement sur la toile et non sur une palette – produit pour lui d’abord et pour le spectateur ensuite une émotion pure qui ne s’appuie sur aucun substrat figuratif.
Une mare de couleur, où un signe minimal installe une présence. Il aime comparer le tableau à une porte ou une fenêtre.
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Friction entre deux couleurs, deux tons. Ce qui fait signe provient d’un geste qui comme un battement d’ailes suggère un corps, une plante, le Vivant. Contours végétaux, hanche, épaule et seins d’une femme apparaissent. Voir en peinture tient de l’apparition, de la disparition aussi, car ce n’est ni la femme ni la feuille qui compte, mais la peinture au bord d’une expérience métaphysique : que peindre sinon peindre ?
On se rappelle ses mille projets pour partir, quitter le midi pour se rapprocher de la fourmilière de l’art, mais ils étaient suivis d’autant de renoncements. Il lui faut la tête sous le soleil du Sud, et le pied près de l’eau. La Méditerranée est son inspiratrice, pour ce qu’elle tient par tous ses bouts la sensualité en éveil et elle fonde son œuvre.
L’aplat, comme un rideau se déchire et alors le signe surgit. Pour l’artiste les mouvements de ses bras venus de la nuit du corps sont les nécessités qui le nomment, lui et tout ce qu’il veut dire. Cette force, quand Serge Plagnol tente de la nommer, il l’appelle “l’enfance de l’art”. Rires et jeux graves de l’innocence.
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Le “signe Plagnol” tel que certains l’ont nommé est geste et moment. Puissant évocateur, pour une fleur, une feuille, un arbre et la femme : il est le même. Pour dire le désir et la vie, l’enfantement et l’au-delà. Plagnol et d’autres vont emprunter les termes du grand mystère, quand comme en chimie, il y a sublimation, et que le noir charbonneux du fusain s’enflamme d’un désir charnel. Ne craignons pas de faire main basse sur les mots : il y a transsubstantiation, comme dans le tableau évoqué de Nicolas de Staël, où il appartient à qui est en face de lui de donner à son ciel rouge la valeur du sang. Puisque Plagnol affectionne le fusain, n’oublions pas que cet outil n’est que cendre.
Ce Signe Plagnol est fait de courbe, pour une hanche, pour le contour d’un fruit, l’allure d’une amphore, l’orbe d’un désir. En combinant son geste le plus souvent d’une même ampleur, il forge d’un instant les galbes d’un corps qu’il regarde ou dont il se souvient. Et ce qu’il peint ou dessine préserve les apparences de ses sujets dans un registre de vérité posé et maintenu au fil du temps par lui et lui seul.
Serge, ne peut se fatiguer à répéter, sa main le trahirait et comme il n’aime pas le mensonge, il lui faut alors trouver d’autres exercices. Il prétend que c’est le hasard qui l’a conduit à creuser une planche, heureux hasard qui d’une part rappelle les scarifications de ses travaux de jeunesse et qui contraint son dessin à devenir une épreuve physique. Le bois est dur, il
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faut forcer, donc ne plus glisser dans le geste appris. Quant au bois qu’il creuse, pourquoi n’en pas laisser les poussières sur la planche et que la couleur posée ensuite les capture dans sa matière ? Les laisser, non par négligence, mais par une sorte de respect dans l’advenu qui peut comme le dit Jankélévitch devenir une position esthétique où l’on considère “le surgissement du passé comme présent”. Travailler plus tard à Sainte-Anastasie sous les pins du jardin d’Agnès Mader en sera la démonstration.
Considérant l’œuvre de Plagnol, le débat entre la couleur et le trait semble hors champ. Plagnol qui n’hésite pas à dire qu’il “ne sait pas dessiner”(sic) impose son trait singulier et reconnaissable dans la plupart de ses œuvres peintes. Cernes ou accents, qu’il trace au fusain ou au pinceau avec élan et force en longueur. Le trait est prépondérant, cependant la couleur semble dominer. Cet antagonisme ne crée aucune dissonance, au contraire.
Sur des pièces monochromes, le trait comme une blessure indique une figure (un corps, un arbre réduit à l’état d’un signe minimal), l’œuvre alors ne tient qu’à sa pure perception. Son épiderme riche fait de plusieurs couches instaure des vibrations sans relation avec le signe posé cependant nécessaire. Le trait en cernant la couleur fait d’elle une lumière qui s’échappe avec l’impression de vitrail. Ici les lumières incarnent.
Dans tous les cas, l’irréalité s’impose. Si la toile est réussie, l’émotion l’emporte.
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Dans ses travaux les plus récents, comme dans la série de ses Fugues, Serge Plagnol a recours à une touche qui rappelle celle de ses débuts. Son geste n’est plus d’ampleur, la couleur est parsemée sur la toile et il y pose des petites figures, souvent en réminiscences à quelques grands maîtres. Ce geste devient trait-couleur quand il réalise aux pastels ce qu’ils appellent ses Instants traversés
C’est l’ardeur, la vélocité, même des traits de Serge Plagnol que nous ressentons avant même de prêter sens à ce signe, nous voilà plongé dans un espace-temps qui n’est qu’à lui, et qui alors n’est qu’à nous.
Alin Avila
Index
Ankaoua, Christine 35
Antonello de Massina 98
Arnal, François 16
Audureau, Jean 24
Avila, Alin 13, 17, 24, 25
27, 28, 35, 42, 49, 53, 54, 57, 59, 66, 67, 73, 97 112, 116, 132, 136, 139, 155, 160, 163
Bach 88, 127
Bacon, Françis 65, 78
Balthus, 131
Balzac, 127
Barthes, Roland 115
Bataillon, Françoise 27
Baude, Jeannine 27
Baudelaire, Charles 51
Baudot, Serge 27, 112
Bazaine, Jean 155
Beatles 17
Beaud, Marie-Claude 17, 27, 86
Belis, Christian 28, 35, 88
Benedetto, André 24
Benjamin, Walter 159
Benoît, A. 37
Bérard, Pierre 42
Bertrand, Nathalie 28
Bertrand, Valère 28
Betremieux, Laurent 66
Bideau, Alain 28
Bioulès, Vincent 28, 29, 71, 127,129
Bizien, Daniel 29, 53, 63, 98, 112, 119
Blaise, Théodore 88
Blanc, Jean 30, 36, 98,115
Blaue Reiter 159
Bondil, Hélène 160
Bonnacorsi, Robert 33, 115
Bonnard, Pierre 23, 35, 62, 87 107, 110, 127, 149, 166
Bonnefoy, Yves 131, 149
Boucher, François 170
Boudier, Laurent 35
Bouman, Hans 23, 35, 155
Boyer, Jean-Pierre 13, 28, 3,
Braque, Georges 102
Braun, Francis 155
Brisset, Pierre 36
Brunner, Yves 66
Buchiannerie, F. et M 35, 112
Buck, Nicole 37, 156
Butor, Michel 131
Cailloix, Roger 93
Caldairou, Clo 39
Camus, Albert 122, 155
Cane, Louis 35
Cannone, Belinda 40
Carassan, François 98
Carteron, Philippe 40, 71
Casals, Pablo 129
Castan, Félix 116
Ceccarelli, Jean-Jacques 35, 40, 112, 120
Cena, Olivier 15, 30, 42, 53, 54
Cendo, Nicolas 120
Cézanne, Paul 62, 83, 127, 131, 146, 160
Chamfleury de, Jacques 13
Char, René 122
Chawaf, Chantal 43, 116,
Cheng, François 43, 88, 119, 147
Chopin 129
Coche, Michelle 139
Coltrane, John 129
Combas, Robert 37
Coscullela, Jean-Gabriel 51, 52, 119
Costagutto, Michel 52, 119
Courbet, Gustave 93
Cousinier, Bernard 54
Cristofol, Jean 55
De Staël, Nicolas 83, 129, 131, 155, 165
Debré, Olivier 37, 155
Debussy, Claude 110
Demessine, Johan 28, 35
Descargues, Pierre 28
Digne, Jean 13
Diot, Alain 59, 112, 156
Dubuffet, Jean 17
Duchoze, Daniel 151
Ducrocq, Alain, Annick 14, 65, 116, 147
Ducros, Claude, Chantal 116
Dufy, Raoul 170
Dulaut, Marcelle 116
Duras, Marguerite 65
Erro 118
Fabre, François, Marinette 71
Flayeux, Michel 83, 119
Forrester, Vivianne 86
Fournier, Jean 86
Fragonard, Jean-Honoré 170
Francesca della, Piero 93
Friedrich, Caspar David 155
Fromanger, Jacques 63
Frydman, Monique 87
Garcin, Christian 41, 66, 74, 93, 156
Gaudí, Antoni 45
Gauguin, Paul 62, 110, 131
Gest, Noëlla 24, 155
Giacometti, Alberto 127
Giorgione 51, 68, 170
Giotto 30, 104
Giovannoni, Jean-Louis 93, 163
Goya, Francisco 68, 149
Gruenewald Mathias 109
Guérin, Michelle 156
Gutherz, Dominique 131, 156
Hameury, Jean-Paul 13, 97
Handke, Peter 101
Harada, Fumihiko 97
Harambourg, Lydia 97
Herrero, Jacqueline 122, 129
Herrisé, Marc 98
Hölderlin, Friedrich 61, 110, 147, 155
Hugo, Victor 149
Ibanez, Guy 120
Ingres, Jean-A.-Dominique 62, 129
Jawlenksky, Alexej von 165
Joyce James 101
Juliet, Charles 109, 119, 165
Jullien, François 174
Kandinsky, Wassily 129, 156, 159
Klasen, Peter 37, 120
Kibler-Andréotti, Claudie 43
Klee, Paul 129, 159, 165
Klein, Yves 30
Klemensiewiecz, Piotr 120
Klépal, Jean 35, 51, 65, 91, 112,120
Klépal, Monique 35, 112
Kodama, Momo 129
Lacan, Jacques 160
Lanneau, Patrick 63, 115, 131, 163
Lao Tseu 115, 149
Laskar, Emmanuel 101
Le Boul'ch, Jean-Pierre 116
Le Targat, François 136
Léger, Fernand 17
Marcos, Jean-Louis 24
Mader, Agnès 14, 23, 28, 63 110 116, 120, 129, 155, 163
Maillol, Aristide 83, 127, 151
Mallarmé, Stéphane 51
Manessier, Alfred 155, 165
Manet, Edouard 85, 127, 170
Marcos, Jean-Louis 69
Masaccio 104
Mathis, Paul 43, 146
Matisse, Henri 30, 83, 127, 129, 131, 155, 160
Meschonnic, Henri 125
Messiaen, Olivier 129
Michel, Pierre 116
Migozzi, Marcel 112, 119, 126, 147
Mitchell, Joan 86, 87, 159
Monet, Claude 28, 35, 87, 107, 146, 149, 151
Monory, Jacques 116
Morandi, Giorgio 93
Monte Young 129
Mozart, Wolfgang Amadeus 127
Moulin, Françoise 109, 119
Noël, Bernard 30, 40, 119, 131, 155, 163
Ollivier, Pierre 156, 163
Paire, Alain 14, 83, 139
Parodi, Christiane 120
Pascal, Annie 13, 17, 115, 147
Pêcheur, Anne-Marie 35
Perkowski, Serge 151
Pessoa, Fernando 146
Philippe, Gérard 24
Picasso, Pablo 27, 35, 83, 132, 136, 146
Pignon-Ernest, Ernest 35
Poliakoff 155
Portal, Michel 129
Poussin, Nicolas 51, 132
Pradel, Danielle 54
Proust, Marcel 51
Pusel, Alain 147
Rancillac, Bernard 116
Renoir, Auguste 62, 127
Restrat, Alain-Christophe 149
Reynier, Yves 20, 131
Rimbaud, Authur 51
Rodin, Auguste 151, 160
Rothko, Mark 165
Saint-John-Perse 14
Sarré, Jean-Luc 119, 120, 156
Serena, Jacques 35, 61, 155, 156
Sérusier, Paul 159
Sintive, Jean Pierre 119, 156, 163
Siracusa, Gérard 129
Smaghhe, Véronique 139
Solinski, Michel 119, 155
Sollers, Philippe 101
Soubrian, Jean-Roger 27, 155
Stälhe, Leif 139
Stevens, Mallet 98
Storme, Frédéric 120, 156
Storme, Jacqueline 35, 120, 156
Talbot, Stéphane 116
Teng, Jenny 101
Testa, Gérard 35
Tintoret 51, 104
Titien 104, 107, 110, 170
Traquandi, Gérard 120
Triger, Solange 146
Trintignan, Hélène 127
Trouillas, Léopold 20, 21, 160
Turbil, Pome 119, 159
Twombly, Cy 17, 65, 115, 127, 147
Valabrègue, Frédérique 71
Valdelièvre, Luc, Noémie 120
Van der Werf, Carla 82
Van Gogh, Vincent 86, 110, 155
Van Velde, Bram 109, 165
Velikovic, Vladimir 37
Venezia, Maria 163
Verbauwen, Patrick 51
Verlaine, Paul 14
Vermeer, Johannes 66, 110, 163
Viatte, Germain 120
Villain, Jean-Claude 119, 166
Vincent, Marc 57
Viollet, Catherine 55
Vivien 19, 109, 136
Wallard, Dominique 173
Watteau, Antoine 51, 107, 132
Welter, René 119, 173
Woolf, Virginia 101
Xihong, Deng 45
AAbstraction
Une peinture est une pensée autant que la condensation d’une émotion, elle se présente donc face à nous comme une abstraction. Chez Plagnol, pour être puissante, sa peinture évoque des apparences qui la rattachent au réel, mais elle n'est pas figurative –voulant représenter quelque chose – mais figurale : c’est-à-dire empruntant allusivement au réel des éléments déclencheurs d’émotion. “Dans l’action de peindre, il n’y a que de purs signes picturaux ; des marques factuelles venues de la gestualité. Ces signes ne témoignent que d’eux même jusqu’au moment où, ceux qui regardent y rencontrent une image.”
Accord
“Bleu, bleu, rouge, jaune, d’une couleur inventez tous ses tons, nommez-la en toute langue, et qu’elle vous épuise. Et pour chacune d’entre elles, imaginez des mariages. Liez-les, nouezles, dansez-les. Oui, dansez-les avec des gestes venus de l’œil, des nerfs, des muscles et de l’intelligence.Dans un crépitement d’accents ordonnés et pour dire d’un instant la joie de se reconnaître dans la clarté du jour et l’unité de son corps…” - Alin Avila, France Culture.1986.


Si j’ai réalisé beaucoup de tableaux ayant pour thème le visage, souvent inspirés par des personnes réelles, c’étaient des visages, pas des portraits. Ces dernières années, j’ai eu envie de m’affronter à la question plus précise de la ressemblance donc au portrait. J’ai cherché tout en ne peignant pas directement avec le modèle sous les yeux à capter la personne, son identité. Cela s’est traduit par une série de toiles de petits formats, des portraits d’Agnès, ma compagne. Ces portraits ne sont pas d’une ressemblance “imitative”. Ma manière de peindre ou de dessiner laisse là encore une large place à l’interprétation et à l’onirisme. Ce qui est important artistiquement, c’est la sensation, le désir, la rêverie produits par Agnès, et non l’imitation de ses traits.
Agnès 1 – Huile sur toile. 24 x 32 cm. 2019.
Agnès 2 –
Huile sur toile. 24 x 32 cm. 2019.
Agnès 3 –
Huile sur toile. 24 x 32 cm. 2019.
Agnès
Ailleurs
Livre-objet contenant 23 dessins lithographiés par Jacques de Chamfleury. Sous une couverture bois et toile. Réalisé à 60 exemplaires. Présenté au Saga en 1992.
n Serge Plagnol – Ailleurs – Yeo pour Area, mars 1992.
Aix-en-Provence
La ville de mes études d’art à la faculté des lettres. Ce sont les années 70/80 avec sa grande effervescence intellectuelle, c’est le chaudron de l’après-mai 68, les discussions, les soirées dans les cafés, les errements politico-idéologiques et le sérieux des études universitaires au détriment parfois de l’expression artistique.
A l’époque, je pratique une peinture d’images, cérébrale, désincarnée. Peu à peu vient une libération par le dessin grâce à un enseignant : Jean-Paul Hémery. Premières tentatives de peintures/dessins en commun avec Annie Pascal. Nous organisons des expositions collectives et militantes au théâtre du cours Sextius dirigé avec vivacité par Jean Digne. Exposition à la Galerie d’Alain Paire.
n n Aix-en-Provence – Ecole des Beaux-Arts – Serge Plagnol – 2013.
Galerie Alinea
C’est le nom que donna Jean-Pierre Boyer à la galerie librairie qu’il ouvrit à Toulon au début des années 80. Plagnol y fit sa première exposition personnelle.
n Toulon – Serge Plagnol – Galerie Alinéa.1980.
Fenêtre –
Allusif
“Feuilletant quelques livrets de poésie, je tombe sur le poème de Verlaine, intitulé Green dont les premiers vers sont : “Voici les fruits, des fleurs, des feuilles et des branches et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.”
Comme un condensé concis des peintures allusives de Serge Plagnol ciblant l’offrande, le désir, la femme et le végétal.“
- Alain Ducrocq
Amers
Un des plus beaux poèmes du XXe siècle en langue française. Il est de Saint-John Perse, grand poète parfois difficile d’accès et de compréhension tant sa langue est ciselée, travaillée par des soubassements de sensations, d’espaces-temps multiples qui affleurent entre les mots. Une langue qui s’invente. Polyphonique. Sa poésie m’habite depuis des années. Saint-John Perse n’est-il pas le poète des peintres ? Il a écrit Oiseaux, éloge de la peinture de Braque. Sa poésie c’est de la peinture en mots.
Plusieurs fois j’ai inscrit ses phrases dans la matière picturale. Amers c’est aussi le poème de la Mer : "Hommage, hommage à la diversité divine ! Une même vague, par le monde une même vague notre course”. L’espace est immense !…"Tu grandiras licence ! La mer lubrique nous exhorte, et l’odeur de ses vasques erre dans notre lit… Rouge d’oursin les chambres du plaisir " Sublime !
Annecy
La rétrospective présentée à Créteil est proposée au public d’Annecy au Centre d’Action Culturelle Bonlieu. Olivier Cena en fait un compte-rendu élogieux dans Télérama
n n Annecy – Serge Plagnol, Peintures – C.A.C. Février. 1991.
Arbres
Ses racines dans la nuit de la terre, va vers le ciel dont l’homme a fait le foyer de toutes ses illusions. L’arbre parle à qui le regarde, il est fruit qu’on savoure, bois dont on se réchauffe, cabane où l’on s’abrite. L’arbre invite le peintre à le suivre, traits pour branches, taches pour feuilles, fruit pour sexe. L’arbre est guide, jamais leçon, il concentre toutes les possibilités de l’espace autant qu’il est métaphore de tous les états du vivant.
La présence des arbres dans l’œuvre de Plagnol nous dit que son unique atelier est la nature.
La Musique des Branches – Huile sur toile. 97 x 130 cm. 2008.
Arbres – Huile sur toile. 97 x 130 cm. 2008.
Arca
En 1969 et pendant deux ans, Alin Avila et Jean Pierre Boyer créent une Galerie l'Arca, (Atelier de Recherche et de Création Artistique) installée rue des Riaux à Toulon. Serge Plagnol participe à cette aventure et y expose ses Foules.
Area Maison d’édition créée en 1976, par Alin Avila, Area publie plusieurs ouvrages consacrés à Serge Plagnol. Devenue galerie en 1989, c’est lui qui inaugure l’espace de la rue de Picardie. C’est Area qui organise de nombreuses expositions dans des centres d’art et des lieux prestigieux.
Arles n Arles – Le Méjan / Actes Sud – Serge Plagnol – 1985
Peintre, artiste, aventurier, voyageur, marin, séduisant séducteur. Peintre important de l’abstraction gestuelle, il incarne l’artiste libre. Il vécut à New York puis au Mexique chez les Indiens. Il en rapporta une conception assez primitive de la peinture au-delà des conventions occidentales.
Il vivait en partie près de Toulon, au bord de la mer et nous partions avec son bateau au large de la rade. Il était convivial, chaleureux, mondain. Je pense souvent à lui comme l’exemple d’un hommeartiste excellant dans l’art de vivre avec les autres.
François Arnal
Foule dans la nuit– Acrylique sur toile. 24 x 32 cm. 1972.
Serge Plagnol à Area, 1991.
Ateliers
Toulon Rue Victor Claappier (1967)
“Une rue chic à Toulon, un immeuble bourgeois. La chambre, trois étages au-dessus de l'appartement, soutient le toit. Une banquette cernée de livres et des toiles de partout. Une pile de catalogues, une histoire de l’art en collection de poche, des journaux gauchistes et sans doute que sur la platine tournait un disque des Beatles… Il l’appelle cet endroit “La mansarde”.



Nous y venions en fin d'après-midi après la plage, une lumière usée remplissait la pièce. Il ne peignait plus des paysages, mais il composait sur des petites toiles des formes géométriques recouvertes de nombreuses fois puis grattées par une lame ou un couteau. Il cherchait à animer la surface en révélant ses couches successives. C’est dans cette chambre qu’il commença à peindre des sortes de télévision. Avec peu de couleurs et sous l'influence des artistes Pop qu’il avait vus à la Fondation Maeght, il traçait des visages ou des couples ; des figures maladroites presque des graffitis, des instants saisis auxquels la violence d’un rouge, d’un bleu ou d’un vert sommaire nous permettaient de déceler ses prédilections chromatiques.“
Aix-en-Provence (1972)
“La campagne aixoise : souvenirs nocturnes, virées d’étudiant. La maison est dans les pins, la lumière y est trop crue, l’espace trop grand. Avec Annie Pascal déjà il partage une pièce. Travaux d'école, une foule de petits bonhommes dans les pas de Dubuffet ou de Fernand Léger. Son écriture et la couleur sont simples, puis se raffinent.“
“Toujours Toulon, rue des Boucheries, deux pièces en enfilade où il est seul. Il ne peint plus, mais il colle, il assemble des bouts de choses… Plagnol opère le début d'une synthèse en se débarrassant de tout ce qu'il savait. Une silhouette en carton lui sert de pochoir, c'est la seule chose qui reste de la figuration qu'il pratiquait, car maintenant, il pose des griffes, des signes électriques qui évoquent Twombly, il superpose des calques, il raboute des toiles entre elles, il colle et rapproche des instants différents, il ramène sur un même plan des bouts déchirés de sa vie.
Si la figure et la figuration étaient l'unité artificielle du tableau, il allait à cette époque chercher au fond de lui à rassembler tout ce qui différemment le constituait.
Comme à tout moment de notre amitié, nous ne cessions d'évoquer les relations de nécessité entre la vie et l’art.
Qu'est-ce qui était premier, le langage ou l'instinct ?
Cela marque sans doute avec douleur la fin d'une certaine figuration. La peinture n'obéira plus à l'ordre d'un programme, elle va être une surprise et le reflet d'une émotion, une façon de marquer la relation qu'il entretient avec ses proches et son environnement, d'être en prise sur le réel.”
Toulon –Place Puget (1980)
“Sur un grand mur nu, les petits bonhommes qu’il peignait habitent maintenant des villes, des structures gigantesques très souvent vertes ou bleues. Annie, elle dessinera à côté et pendant deux ans ils vont même travailler ensemble sur le même support. Elle porte sur la toile le dessin précis d'un visage ou d'un corps, Plagnol l'enserre de blocs bleus, de tuyaux, de signes, il y a étouffement et difficultés d'être dans un ciel balayé par le mistral limpide et sans profondeur d'autant qu'on le devine infini. Ils feront à la Seyne-sur-Mer une étonnante exposition de ces toiles ; peutêtre plus de cinquante. Sans doute les a-t-il toutes recouvertes par la suite, peut-être en reste-t-il quelques-unes ; Annie Pascal continuera quant à elle son dessin vigoureux et violent sur des toiles de coton teinté, des œuvres que Marie-Claude Beaud exposera dès son arrivée au Musée de Toulon.” - Alin Avila, 1986.
Personnages dans la ville – Acrylique sur toile. 24 x 32 cm.1972.
Jour après jour – Acrylique sur toile. 40 x 60 cm. 1970.
Lumières traversés – Acrylique sur toile. 130 x 97 cm. 1978.
Toulon – Rue des Boucheries (1978)
Il y avait le jardin de ma mère, Geneviève, aux Oursinières sur la côte méditerranéenne près de Toulon. Jardin de l’enfance, associé à un plaisir de vivre, un art de vivre libre et spontané où se mêlait bricolage, cueillette des arbouses, du romarin, du thym. Et dans la mer juste en dessous, la nage. Les bouillabaisses familiales avec frère, sœurs et cousins, cousines. C’était une maison simple avec terrasse et véranda, vue sur la mer et la rade. Le tout était un peu déglingué, mais avec le charme fou que lui donnait ma mère qui vivait l’instant présent avec une certaine insouciance salutaire qui lui faisait oublier ses soucis et ses tristesses. Des arbousiers, un eucalyptus à l’entrée, la colline et des broussailles comme terrain de jeu de l’enfance. C’était une sorte de jardin d’Eden fait de liberté et de joie de vivre.
J’y ai vécu quelques années, seul ou presque hormis quelques visites amoureuses. J’y ai retrouvé quelque chose de l’origine, un lien au maternel et au féminin.
Ma peinture est devenue beaucoup plus libre, colorée, expressive. Je peignais dehors sur de grandes toiles libres au sol ou agrafées sur les murs extérieurs. Ce fut la série des peintures de grand format intitulée Les Jardins de Paille dans les années 1981/1984.
Le Pradet - – Les Oursinières (1984) Plagnol travaillant dans le jardin des Oursinières. Le Pradet. 1982. (photographie D.R.)
Le Faron – Huile sur toile. 150 x 250 cm. 1986.
Toulon – Mont Faron (1985)
“Une minuscule cabane, un garage, dont la porte de bois verte se ferme avec une souche d’olivier. Sol en terre battue recouvert de planches où il mêle les pigments. La terre y est brune, rouge, verte ou bleue, c'est selon le vent. Pour s’éclairer il a tiré un câble d’une maison voisine et dispose de deux spots. Un soir, pour me montrer une toile, il noie l’atelier de la lumière jaune des phares de la voiture. Il peint dehors, appuyant les toiles contre les arbres ou les posant dans l’herbe. C’est ici, au milieu des bois qui l’entourent qu’il commence à les porter sur ses œuvres. Ici, il s’essaie à la sculpture. D’abord une sorte de jeu qui enthousiasme son fils Vivien. Avec du plâtre ils assemblent des bouts de briques, du métal, ils jouent. Serge Plagnol donne à la figure de ses tableaux la matérialité d‘un volume.”
Toulon, Mourillon –24 Rue Suffren (1984)
“Une maison de pêcheur, dans le quartier du Mou rillon. En se penchant on voit le Fort Saint-Louis et d’une autre fenêtre, la côte du Cap Brun. Cette maison remplace celle des Oursinières. Elle lui ressemble par son désordre et sa clarté, mais les arbres n’y sont pas. Ici il dessine et continue les sculptures qu’il a rapportées du Faron. Ici, il vit un rêve d’un espace plus grand, d’un lieu où il pourrait rassembler tous les bouts qui le constituent, espace de vie, d’amitié et de travail.”
Toulon, Mourillon –rue Paul Marchelli ( 1995)
“Pas loin de la rue Suffren, au rez-de-chaussée d’un immeuble sans grand caractère. L’atelier s’ouvrait sur une cour avec un beau figuier qui veillait sur les peintures.“
Six-fours –Baudissson (1995)
“Un vaste espace mis à disposition dans la zone industrielle de Six-Fours, Serge Plagnol n’en garde pas un grand souvenir, sinon que c’est ici qu’il a pu réaliser de très grands tableaux.”
Sous la véranda-atelier des Oursinières. Le Pradet. 1982. (photographie D.R.)
Serge Plagnol, rue Sufren, Toulon 1989.
Il va quitter le Mourillon et l’immédiate proximité de la plage pour s’installer au pied du Mont Faron derrière de la Gare de Toulon. Il va occuper un vaste espace ne comprenant que deux pièces, l’une servant d’atelier et de réserve, l’autre plutôt vide : sur un mur une bibliothèque, en face d’elle un canapé. C’est son lieu de vie, mais l’on devine qu’il ne vient ici que pour travailler.
Nimes
Pendant une année, alors enseignant à l’école des beaux-arts de Nîmes, j’ai loué l’ancien atelier de Yves Reynier sur les hauteurs de Nîmes. Un pavillon qui donnait sur un beau jardin. Tous les matins un écureuil toujours à la même heure sautait de branche en branche sur l’arbre devant la terrasse. Une peinture de grand format évoque cette époque, intitulée Le Jardin de Nîmes....
(2000)
Toulon – Avenue Ortolan (1996…)
Vue de l'atelier rue Marchelli, Toulon. 1992. (photographie Léopold Trouillas)
Le bureau, avenue Ortolan, Toulon. 2022. (photographie Léopold Trouillas)
Vue de l'atelier rue Marchelli, Toulon. 1992. (photographie Léopold Trouillas)