








Le petit Charles vit de mansardes miséreuses en hospices, dans un Londres populaire digne d’un roman de Charles Dickens. Il connaît la pauvreté, la faim et le froid. Dans ses mémoires, il témoigne d’une enfance marquée par l’amour de sa mère mais teintée d’une grande tristesse : « C’était là le Londres de mon enfance, le Londres de mes rêves et de mes désillusions (…).
C’est de tous ces détails, je crois, que mon âme s’est faite. »
Cette expérience l’accompagne
toute sa vie et nourrit son œuvre.
Les parents de Charles sont des artistes. Le père se fait connaître comme chanteur. Hannah, chanteuse et actrice, a une courte carrière. Chaplin se souvient être monté sur scène à l’âge de 5 ans : depuis les coulisses, il entend la voix de sa mère se briser et vient chanter à sa place.
Les rires provoqués constituent sa première expérience du public. Sydney est également un artiste. Plus tard, il rejoint Charles à Hollywood, fait du cinéma et s’occupe des affaires florissantes de son petit frère. Ils resteront proches tout au long de leur vie.
Sydney Chaplin (1885-1965), le grand frère qui accompagnera Charles toute sa vie.
Charles Spencer Chaplin naît le 16 avril 1889 à Londres. Il a très peu connu son père. Ses parents se sont séparés après sa naissance. Le père souffre d’alcoolisme et meurt en 1901, âgé de 38 ans. Sa mère, Hannah Hill, élève seule Charlie et son demi-frère Sydney, né en 1885. Son autre demi-frère, Wheeler Dryden, ne grandit pas avec eux. Dès 1895, la mère de Charlie présente des troubles mentaux et fait des séjours de plus en plus fréquents dans des hôpitaux psychiatriques, laissant les deux enfants livrés à eux-mêmes.
Le père de Charles a une petite notoriété comme chanteur de music-hall. Mais il est absent et disparaît très jeune.
Le visage non maquillé de Charles Chaplin, l’air grave et réfléchi. Il reste marqué toute sa vie par une enfance difficile.
Charles ne va pas souvent à l’école. Son éducation demeure incomplète. Il vit au jour le jour de petits métiers, comme garçon de courses, réceptionniste, groom… Il travaille également chez un imprimeur et se lie avec des coupeurs de bois. Autre « boulot » possible pour le jeune Charles : artiste, comme ses parents.
En 1918, Chaplin réalise un film intitulé Une vie de chien : il y compare la vie de son personnage avec celle d’un chien des rues. Dormant dehors, torturés par la faim, chassés de partout, l’homme et l’animal se tiennent à la marge de la société. À l’image de son personnage du Vagabond, Chaplin a ainsi souvent mis en scène les personnes frappées par la pauvreté et la précarité, par la misère, le chômage et la faim. Quand il travaille, ce n’est jamais longtemps et souvent comme manœuvre ou ouvrier. Dans Le Kid, l’un de ses films majeurs réalisé en 1921, il raconte l’histoire d’un petit orphelin recueilli par le Vagabond. Ensemble, ils se débrouillent pour survivre, pour manger, gagner un peu d’argent et rester dignes. Plus tard, dans Les Temps modernes, Chaplin met à nouveau en scène une gamine des rues, sale et en haillons, obligée de voler de la nourriture pour nourrir ses sœurs. Tout en réalisant des comédies destinées à faire rire, il n’a jamais oublié les blessures de l’enfance et y a puisé toute une partie de son inspiration.
Le père et le fils adoptifs se débrouillent pour échapper à la loi. Jackie Coogan a 6 ans lorsqu’il devient un enfant star mondialement célèbre grâce à son rôle dans Le Kid (1921).
Chaplin fréquente les coulisses depuis sa toute petite enfance. Pour trouver du travail, il se tourne assez vite vers le milieu professionnel qu’il connaît, celui de ses parents et de son frère : le music-hall. Il mène l’existence des gens de théâtre, la vie collective des troupes et celle itinérante des tournées. Allant peu à l’école, il reçoit une autre éducation, celle de la scène. Il apprend surtout à connaître son public et ses rires !
En quelques années, Charles Chaplin se fait un nom !
L’atmosphère joyeuse du music-hall, haut lieu du divertissement populaire dans l’Angleterre du XIXe siècle.
Le music-hall est un spectacle né en Angleterre dans les années 1850, très actif jusqu’à la Grande Guerre. Il doit son nom au lieu où il est représenté : la salle de musique. La chanson comique y tient une place importante. Mais le music-hall comporte d’autres divertissements : danse, jonglage, animaux, magie, acrobaties, mime. Fait pour les classes populaires, c’est un spectacle urbain, peu cher et joyeux. On peut y boire et y manger. Malgré sa mauvaise réputation, de nombreux artistes, hommes comme femmes, y sont devenus célèbres.
Chaplin monte sur les planches dès l’âge de 9 ans. En décembre 1898, il rejoint une troupe composée d’enfants, les « Huit Gars du Lancashire », menée par un certain Mr. Jackson. Il apprend à danser, notamment avec des sabots, à jongler et à faire des acrobaties. Il part en tournée sur les routes anglaises entre 1899 et 1901 : Oxford, Manchester, Birmingham, Londres… mais aussi Édimbourg, Glasgow (Écosse) ou Cardiff (Pays de Galles). Entre deux représentations, il continue d’aller à l’école. Son salaire est en partie reversé à sa mère.
Après une brève interruption, le jeune garçon retourne sur les planches, mais celles du théâtre cette fois. Il est engagé en 1903, à l’âge de 14 ans, pour jouer aux côtés d’un acteur confirmé, Harry Arthur Saintsbury. Celui-ci s’est spécialisé dans l’interprétation du personnage de Sherlock Holmes, le fameux détective inventé par Conan Doyle. Chaplin joue Billy, le valet de Holmes. Saintsbury le prend sous son aile et Charlie part en tournée avec cette pièce pendant trois ans. Il reçoit son premier salaire et ses premières critiques dans la presse !
publicitaire le montre déguisé pour un rôle dans la pièce adaptée des histoires de Sherlock Holmes (1903).
En février 1908, Chaplin rejoint son frère dans la troupe de Fred Karno. Karno est un imprésario important du music-hall. Il a découvert beaucoup de talents et a inventé des sketchs qui ont fait date. Charles et son frère Sydney gagnent enfin leur vie et s’installent ensemble dans un appartement.
Chaplin part en tournée en Europe, notamment à Paris, puis aux États-Unis entre octobre 1910 et juin 1912. Il y retourne peu après et, en novembre 1913, il monte pour la dernière fois sur scène. Un télégramme l’appelle à New York, le cinéma veut l’embaucher !
Chaplin est déjà bien reconnaissable à gauche de l’image. Dans la troupe de Karno, il se spécialise dans le rôle de l’ivrogne.
Les années passées avec la troupe Karno ont été très formatrices pour Chaplin. Il a appris à maîtriser le grand art de la pantomime. Le comédien s’exprime uniquement par les gestes, les attitudes et les expressions du visage. La parole y est interdite ! Il apprend aussi à patiner et à faire des acrobaties. Sa comédie cinématographique doit beaucoup au music-hall.
Chaplin a régulièrement interprété un sketch intitulé « Mumming Birds » : deux spectateurs ivres, l’un riche, l’autre pauvre, perturbent un spectacle de music-hall. Chaplin reprendra ce sketch et les deux rôles au cinéma dans un film intitulé Charlot au music-hall, sorti en 1915. Il rend à nouveau hommage à l’univers de sa jeunesse dans Les Feux de la rampe (l’expression désigne un éclairage placé sur le devant d’une scène de théâtre). Le vieux clown Calvero y exécute notamment un fameux numéro de dressage de puces !
Calvero.
À peine arrivé sur les plateaux de tournage, Chaplin se choisit un costume. Au bout de quelques films, un personnage est né : « the Little Tramp » en anglais, ce qui signifie « le petit Vagabond ». En France, on lui donne dès 1915 le nom de Charlot, ou parfois simplement Charlie. Il apprend rapidement à faire du cinéma, grâce à la troupe très dynamique de Mack Sennett. Son succès lui permet de négocier un nouveau contrat et d’augmenter son salaire !
Chaplin est engagé par le studio Keystone en décembre 1913. Il s’installe dans un hôtel de Los Angeles où il vit simplement, bien qu’il gagne à présent 150 dollars par semaine. Mack Sennett, le directeur de la Keystone, a rassemblé autour de lui des acteurs et actrices spécialisés dans la comédie, comme Mabel Normand ou Fatty Arbuckle. Dans les films, les acteurs ne cessent de gesticuler, de se donner des gifles et des coups de pied au derrière, de sauter, de tomber, de se courir après. C’est une comédie très physique qui demande un grand entraînement.
Chaplin doit inventer un personnage pour l’écran.
Dès janvier 1914, il choisit son costume : un pantalon trop large, une veste trop serrée, des chaussures exagérément grandes. Il ajoute à cela une fine canne et un petit chapeau melon. Je voulais que tout fût en contradiction », écrit-il, et sa silhouette repose sur ce contraste de tailles.
Pour se vieillir un peu sans masquer ses expressions, Chaplin ajoute une moustache courte. Son maquillage souligne ses yeux cerclés de noir et ses sourcils épais. Il ne reste plus qu’à se mettre en marche !
Immédiatement reconnaissable, le costume de Chaplin donne forme à l’une des silhouettes les plus célèbres du monde.
Ce costume inspire à Chaplin son personnage et sa démarche dandinante, ses moulinets avec la canne et son jeu avec le chapeau. S’il a l’air d’un gentleman, l’usure de ses vêtements ne trompe pas : il incarne un vagabond, un pauvre, un laissé-pour-compte. Toujours solitaire et à l’écart de la société, il lutte pour vivre, manger, dormir et trouver du travail. Face aux difficultés, il fait preuve d’une grande ingéniosité pour les contourner. Il lui arrive d’être agressif et cruel, mais il sait aussi être digne, doux et souvent séducteur !
Pieds croisés et canne en l’air : c’est Charlot le séducteur, ici au bras de Virginia Cherrill, sa partenaire dans Les Lumières de la ville (1931).
À la Keystone, les films sont fabriqués rapidement, à la chaîne. Il n’y a pas de scénario écrit. On utilise peu de décors, on improvise, les situations sont toujours les mêmes. Chaplin y apprend à faire du cinéma. Mais il ne s’entend pas bien avec les réalisateurs qui le dirigent. Il veut prendre son temps et ralentir le rythme des actions comiques. Au bout de quelques mois, Chaplin réalise lui-même les films dans lesquels il joue. Il continuera à le faire pour le reste de sa carrière et ne sera plus jamais dirigé par un autre réalisateur.
Dans un simple décor, les films Keystone s’enchaînent, sous la supervision de Mack Sennett (à gauche). L’acteur moustachu est Chester Conklin, que Chaplin fera jouer dans Les Temps modernes et Le Dictateur
Chaplin quitte la Keystone pour une autre compagnie, la Essanay. Son salaire est plus élevé, mais il s’entend très mal avec ses producteurs, et les studios ne lui plaisent pas. Son contrat se finira même en procès. Toutefois, il réalise ses propres films et prend davantage de temps pour les tourner. Il rassemble autour de lui une petite troupe de fidèles collaborateurs. Il fait notamment la rencontre d’Edna Purviance, qui devient l’actrice principale de ses films et sa compagne. Pendant huit ans, elle jouera dans 35 films de et avec Charlie Chaplin.
Amoureux à la ville, amoureux à l’écran : Edna Purviance est une rencontre importante pour Chaplin. Ici dans Charlot veut se marier en 1915.