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La « spécificité montagne »

Expérience méconnue en 6e Région Militaire (Metz) dans les années 1960-70.

Le Centre d’Entraînement au Combat en Montagne (CECM) peut être considéré comme un lointain précurseur des centres de Briançon (CNAM) et de Barcelonnette (CIECM) des années 1990 et de l’actuel CNAM de Modane.

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Début 1968, après quatre années passées comme chef de section au 22e GCA16, j’appris que je serais muté, à l’issue du stage, au 152e régiment d’infanterie de Colmar, pour être détaché au Col des Feignes-sousVologne, commune de La Bresse, dans les Vosges, pour y prendre le commandement du Centre d’Entraînement au Combat en Montagne (CECM) de la 6e région militaire, dont j’apprenais l’existence par la même occasion… Ce centre devait sa création à la seule volonté du général Massu, lors de sa prise de commandement de la 6e région militaire de Metz, en 1961. Bien que « colonial et parachutiste », marqué par les terribles combats qu’il avait connus, au sein de la 2e division blindée durant l’hiver 1944 pour franchir les Vosges enneigées, farouchement défendues par quelques unités de Gebirgsjäger allemands, il décida la création de ce centre pour y former au « combat en montagne » les unités de toutes armes de la région, en été comme en hiver. Il jugeait indispensable de faire découvrir aux unités dites alors du « corps de bataille », cette « spécificité montagne ». Mais si l’EMAT avait accepté le concept de ce centre, il n’accorda aucun moyen supplémentaire à la région, la DPMAT ne consentant à reconnaître que les postes d’un lieutenant chef de centre et d’un adjudant-chef tous deux « qualifiés montagne » ; tous les autres membres du personnel seraient détachés des unités de la 6e RM selon les ordres à donner par celle-ci. De même tous les équipements et matériels seraient prélevés sur les dotations d’unités de la région militaire. De cette situation ambigüe devaient résulter des difficultés et des incohérences sur lesquelles je reviendrai rapidement.

16 Le 22e GCA est resté l’unique exemplaire d’un « Groupe de commandos alpins », régiment d’infanterie des forces du territoire. Le 22e bataillon ne retrouvera son appellation traditionnelle qu’en 1969, à la création de la 17e brigade alpine de Gap à laquelle il sera rattaché.

A quelques kilomètres du col de la Schlucht, l’un des principaux des Vosges, le col des Feignes-sous-Vologne, à 954 m d’altitude, permet le passage d’une route départementale reliant Gérardmer à La Bresse, commune sur le territoire de laquelle se situaient les installations du CECM, distantes d’une dizaine de kilomètres du bourg. Celles-ci étaient constituées par deux chalets loués à un particulier ; l’un d’aspect très « vosgien », implanté au col même, abritait le P.C. du centre, l’autre, bâtisse plus banale, à cent mètres du premier, accueillait les passagers et l’infirmerie ; ces infrastructures en dur étaient complétées par une cabane « Fillod » permanente et, en été, une douzaine de tentes Modèle 56 également destinées aux passagers. Outre le personnel permanent (1 officier, 1 médecin du contingent, 4 sous-officiers, une dizaine d’appelés pour le service général et autant d’appelés « moniteurs », soit un effectif total d’environ 25), la capacité d’accueil du centre était de l’ordre de 100 stagiaires en hiver jusqu’à 160 en été, grand maximum. Le terrain rattaché à ces installations comprenait, outre les abords immédiats des chalets, une vaste pâture, jusqu’aux « feignes », c’est-àdire un grand étang, aux abords marécageux. D’où l’appellation du col « des Feignes-sous-Vologne ». La Vologne s’écoulant du col vers La Bresse. A quelques centaines de mètres des « feignes », avaient été construits dans les années 60, sur des pentes déboisées qui descendent du Hohneck (1366 m), deux téléskis constituant l’ébauche de ce qui deviendra la station de ski de La Bresse-Hohneck, quelques années plus tard.

Cette partie du massif vosgien, avec son relief de moyenne montagne, alternant des pentes boisées et des pâtures, dans un secteur peu construit à l’époque, autorisait la pratique du combat d’infanterie du niveau de l’unité élémentaire dans des conditions rustiques ; un enneigement régulier, parfois même abondant, permettait aussi la pratique du « ski militaire » en terrain semi-boisé. Enfin, la présence de secteurs rocheux granitiques sur les contreforts alsaciens du Hohneck (tels que la paroi du Martinswand ou l’arête des Spitzkoepfe) offrait la possibilité de pratiquer l’escalade et d’établir des équipements de passage. Enfin les nombreux lacs de la région, dont ceux de Gérardmer, de Longemer ou de Blanchemer, autorisaient la pratique de la « navigation », avec flotteurs pneumatiques de dotation ou « engins de fortune » telle qu’on l’enseignait alors dans les centres d’entraînement commando (CEC).

Les programmes des stages d’été ou d’hiver, en principe d’une durée de trois semaines, établis pour des unités constituées en « compagnie de marche », étaient d’ailleurs copiés sur ceux de ces stages en CEC, tels que j’en avais suivis, naguère, avec mes sections du 22e GCA, au CEC de Modane par exemple. Grosso modo, été comme hiver, la première semaine du stage était consacrée à la découverte du milieu montagnard et à l’initiation aux techniques (d’escalade et de navigation, ou de ski) ; en seconde semaine, il s’agissait de s’initier à la pratique du combat en montagne en utilisant ces techniques, et enfin le stage se concluait par un raid de trois à quatre jours « en zone hostile », avec déplacement en milieu montagnard, bivouacs (sous tentes ou en igloos) et actions de combat… Inutile de dire que l’engagement physique était intense, et que les unités pressenties étaient vivement encouragées à s’y préparer . Précisons que les unités élémentaires d’armes autres que l’infanterie (ABC, Artillerie, Génie) étaient invitées à se présenter, pour effectuer ces stages, sous forme de « compagnies de marche », à trois sections et élément de commandement.

Col des Feignes sous Vologne - La Bresse (88) - CECM –Hiver Ma formation et ma pratique de la montagne, sans être exceptionnelles, étaient convenables, mais j’allais découvrir que je n’aurai pas tellement à les mettre en application sur le terrain et que mon rôle se situait « ailleurs » …

Pour en rester à l’instruction montagne, je devenais en fait l’équivalent du « Directeur de l’instruction » d’un corps de troupe… Je devais, en concertation avec le commandant d’unité, qui était tenu de venir prendre contact avec moi quelques semaines avant le stage, affiner le programmetype du stage pour éventuellement l’adapter à son unité et surtout lui permettre d’y préparer son personnel, moralement et physiquement. Disons d’emblée que le succès d’un tel stage dépendait grandement de l’état d’esprit du commandant d’unité et de son encadrement ainsi que de la motivation qu’ils pouvaient susciter, au sein de l’unité, pour la pratique d’activités qui sortaient de leurs habitudes… Un commandant d’unité « allergique au ski » ou réfractaire à la descente en rappel pouvait, par son comportement durant la première semaine d’initiation, compromettre sérieusement l’ambiance au sein de l’unité et surtout les résultats qu’elle obtiendrait au cours du contrôle opérationnel final. Je dois reconnaître que, d’une manière générale, les choses se passaient bien, nécessitant certes parfois après quelques « mises au point » ; néanmoins j’ai aussi connu des incidents pénibles, qui me sont restés en mémoire, d’autant que si je « n’étais que lieutenant », je ne pouvais me permettre de laisser l’ambiance dégénérer, dans ce milieu confiné et avec un programme d’activités soutenu, et devais parfois « recadrer » certains… En outre, j’avais à établir, in fine, un rapport de stage, avec appréciation sur l’encadrement, ce qui, je n’en doute pas, ne m’a pas fait que des amis… Dans le domaine « technique montagne », j’étais secondé par un adjudant-chef, ancien du 22e BCA en Algérie, doté des « sacrements nécessaires de l’EMHM », vosgien de surcroît ; étant le plus ancien dans le grade le plus élevé, il était aussi mon adjoint dans tous les domaines. Il était assisté par une équipe de moniteurs, de ski ou d’escalade, appelés du contingent, dont nous faisions la sélection parmi les « skieurs » ou les « grimpeurs » que nous envoyaient les corps, sur ordre de la 6e région, pour constituer cette équipe… Inutile de dire que nous étions exigeants non seulement sur la technique, mais aussi sur la tenue et l’état d’esprit, leur rôle étant fondamental pour « l’esprit » du centre… J’ai rapidement compris qu’une fois le stage préparé et mis sur les rails, il me suffirait de quelques « passages sur zone » pour en vérifier le bon déroulement et prendre la température, laissant rênes longues à mon second, et me consacrer aux autres aspects de mes responsabilités, auxquelles je n’avais, à proprement parler, pas vraiment été préparé.

Sans entrer dans trop de détails, je citerai rapidement ce qui a constitué le principal de mes occupations durant cette année. En premier lieu, j’étais, dès mon arrivée, devenu « commandant d’armes de la place de La Bresse ». Tous les documents émanant de la région m’étaient systématiquement adressés en deux exemplaires : un pour le lieutenant chef de centre, et l’autre pour « le commandant d’armes » ! Les liaisons téléphoniques d’infrastructure étant assez médiocres (il n’y avait qu’une ligne) le centre était doté d’une station-radio avec un poste ANGRC-9, dont la grande antenne surmontait le toit du chalet-PC ; une antenne filaire était également tirée pour assurer la liaison en graphie avec Metz, Epinal, Nancy, Colmar et Strasbourg, par lesquelles passaient mes deux chaînes hiérarchiques.

Par la force des choses, je me trouvais aussi « officier du matériel » du détachement. Un seul sous-officier, chef du service général et chargé du matériel, me secondait dans ces tâches « matérielles ». Le centre ne disposait pour tout parc automobile que d’une jeep, un camion GMC (pouvant être équipé d’une lame chasse-neige) et une sanitaire… La jeep (sans portières) servait beaucoup pour des liaisons ponctuelles et les reconnaissances de terrain, le GMC, outre sa fonction chasse-neige, devait effectuer une liaison hebdomadaire de ravitaillement à Colmar et servait également à la mise en place de matériel ou des équipes plastrons pour les exercices. Parfois, il fallait faire appel à la bonne volonté du capitaine de l’unité en stage pour les besoins du centre. Un seul mécanicien, appelé du contingent, permettait de faire face aux incidents mécaniques ; il assurait également le fonctionnement des deux groupes électrogènes implantés à l’arrière du chalet PC, qui permettaient d’assurer l’éclairage des bâtiments, baraques et tentes, car l’électricité n’arrivait pas au Col des Feignes, et le commandement avait refusé l’installation de la ligne nécessaire. Le CECM vivait donc, depuis son origine, au régime de l’extinction des feux d’environ 22 h 00 jusqu’au réveil, dont l’heure était variable selon les activités… et connaissait régulièrement des coupures de courant inopinées. Quant au chauffage, il était assuré soit au mazout, soit au charbon, avec les problèmes de ravitaillement que l’on imagine, ainsi que les norias de seaux de charbon (et de cendres) ou de bidons de mazout. Le centre n’était pas doté en armement… Par contre, il s’agissait d’un centre d’entraînement au combat, et en conséquence les unités devaient venir avec un armement léger d’infanterie, dont elles assuraient elles-

mêmes la sécurité, le centre ne fournissant qu’un local-armurerie, sommairement sécurisé dans le chalet annexe.

Bien sûr, le centre disposait d’un « magasin montagne » situé dans les combles du chalet. On y trouvait l’équipement complémentaire, individuel et collectif, indispensable pour la pratique de la montagne et dont n’étaient pas dotées les formations du corps de bataille venant en stage, skis, chaussures, moufles, piolets, cordes, anoraks etc… J’avais d’entrée constaté que ces équipements étaient très usagés et, pour certains, dataient de la « génération antérieure » à ceux dont nous disposions au 22e GCA, lequel n’était pourtant pas tellement privilégié en ce domaine. Plein d’illusions, je pris donc ma plume et écrivit à un lieutenant d’intendance avec lequel je m’étais lié d’amitié au mess de garnison de Nice, et qui m’avait annoncé sa mutation à la direction centrale de l’Intendance, pour lui décrire la situation, exprimer mes besoins et lui demander s’il pouvait quelque chose pour moi. Dès le début du mois de novembre (j’avais pris mes fonctions le 1er septembre) et sans autre avertissement, je reçus copies de plusieurs « ordres de ravitaillement à titre gratuit », prescrivant à l’établissement de Châteauneuf de mettre en place, au magasin régional de l’habillement de Strasbourg toute une série d’équipements dont j’avais sollicité l’attribution… entre autres : 150 paires de skis avec les cannes, 150 brodequins montagne de pointures panachées, 180 pantalons-fuseaux et 150 pantalons d’escalade, 150 anoraks doublés, sans oublier divers matériels individuels ou collectifs. J’ai sous les yeux, en rédigeant ces souvenirs, les sept feuillets listant tous ces matériels dont j’avais exprimé le besoin ; décidément, je m’étais fait un bon copain à Nice ! Mais c’était sans compter avec l’inertie administrative… Sans plus attendre, accompagné par mon second, spécialiste montagne, j’ai décidé de me rendre à Strasbourg, avec mon véhicule personnel pour faire plus vite, afin de prévoir les conditions de perception de ces matériels, mis en place spécialement pour le CECM… Mais malgré mon insistance auprès des nombreux responsables que j’ai sollicités, je ne parvins pas à obtenir la moindre affectation de quelque matériel que ce soit… Il m’a été objecté qu’il s’agissait d’un recomplètement annuel du magasin régional, en équipements destinés à toutes les unités de la région… Le général Massu n’était plus à Metz, je n’y connaissais personne et ne suis pas parvenu à débloquer la situation…Je n’ai jamais vu le moindre de ces équipements parvenir au Col des Feignes… et je ne suis pas loin de penser qu’ils sont, encore aujourd’hui à Strasbourg, dans

les rayons du magasin (s’il existe encore) où je les avais pourtant de mes yeux vus, en décembre 1968… La tâche qui m’a semblé la plus difficile à assumer, probablement parce que je n’avais jusqu’à présent eu aucune préoccupation en ce domaine, fut certainement celle « d’officier d’ordinaire », c’est-à-dire la responsabilité de l’alimentation, au quotidien, de cette grande famille de 150 personnes. Un peu dépassé au début, je pris rapidement la mesure du problème, et avec l’aide du sous-officier d’administration, je me lançais dans l’élaboration des menus, qui devaient répondre à des règles caloriques et diététiques (en sollicitant en ce domaine l’aide du médecinaspirant), avec l’application des portions réglementaires pour chaque denrée, toutes choses dont je ne m’étais jamais soucié. Il fallait ensuite passer les commandes à l’officier d’ordinaire du 15/2 à Colmar pour l’essentiel des produits et tenir compte des délais de la livraison effectuée par notre liaison hebdomadaire en GMC, hormis quelques produits frais et le pain, que nous allions acheter à La Bresse. Et tout cela, bien sûr, avec l’anticipation nécessaire, en tenant compte des effectifs réels en fonction de la présence de stagiaires ou non.

Col des Feignes sous Vologne - La Bresse (88) - CECM -Eté

Le Centre a heureusement toujours bénéficié d’excellents cuisiniers, aimant leur métier, que j’ai associés à toutes les phases de prévision et réalisation des repas et m’ont souvent été d’une grande aide en ce domaine, notamment pour l’accommodation des restes. J’ai notamment souvenir de ce cuistot alsacien qui m’a fait découvrir les « salades de pâtes » et m’a convaincu, assez facilement d’ailleurs, qu’en commandant la viande par « demi-bœuf » plutôt que de la commander au kilo, il se faisait fort de faire des économies, en proposant plusieurs menus composés avec les abats. Car il fallait évidemment rentrer dans le budget disponible… Malgré mon manque d’expérience en la matière, je n’ignorais pas que les troupes de montagne, pour compenser les besoins énergétiques supplémentaires liés à la pratique de la montagne, bénéficiaient d’une « surprime d’un franc par homme et par jour ». Ayant constaté dès mon arrivée que le CECM ne recevait pas cette surprime, j’en fis immédiatement la demande et la réponse ne s’est pas fait attendre. L’intendant régional me répondit qu’effectivement cette surprime existait, mais qu’elle était destinée aux effectifs séjournant au-dessus de 1000 m ; comme les installations du centre étaient implantées à 954 m d’altitude, le CECM n’en était pas doté, mais je pouvais l’obtenir pour tout le personnel ayant une activité au-dessus de 1000 m. dans la journée, à condition de fournir l’état quotidien du personnel concerné. Je ne me posais pas davantage de question, et dès les jours suivants, j’adressais, hebdomadairement à l’intendance, les états quotidiens demandés, en y faisant figurer le personnel complet de la compagnie stagiaire, cela va de soi, mais aussi la totalité du personnel permanent du centre. J’avais néanmoins assuré mes arrières, dès la réception de cette note, en prescrivant au chef du service général, de dorénavant, après la cérémonie quotidienne de lever des couleurs (qui avait lieu au milieu du col devant le bâtiment PC), emmener tout le personnel du centre pour un footing matinal dont l’itinéraire était laissé à son initiative, mais devait impérativement franchir la cote 1000 ! Et le sous-officier administratif établissait chaque jour l’état nominatif du personnel éligible à la « prime d’alimentation montagne » ; seuls les malades (rares au demeurant) et les permissionnaires n’y étaient pas mentionnés. Cette surprime a incontestablement permis « d’améliorer l’ordinaire » des derniers mois d’activités du CECM.

J’aurais bien d’autres anecdotes à rapporter, mais il me faut conclure cette brève évocation.

Durant l’année 1969, il advint que le propriétaire des installations dans lesquelles s’était installé le CECM est décédé et ses héritiers ont souhaité réaliser rapidement le partage de la succession en mettant la propriété en vente. Depuis trois ans déjà le général Massu était parti à Baden-Baden, et ses successeurs n’avaient pas montré la même énergie pour développer ou soutenir son initiative. Le verdict est rapidement tombé. Les installations du CECM seraient rendues au propriétaire le 1er octobre 1969, toutes les opérations de démontage, déménagement et réintégration devraient être terminées à la mi-septembre ; en conséquence le dernier stage aurait lieu en juillet 1969… et le 1er octobre, je rejoignais le 159e RIA à Briançon.

Le CECM des Vosges n’a donc vécu que quelques années et le nombre d’unités élémentaires de la 6e RM qui y sont passées peut paraître dérisoire. Il n’en reste pas moins que le général Massu « voyait juste », et que ce concept allait être repris quelques décennies plus tard, à Briançon et Barcelonnette et perdure aujourd’hui à Modane… Philippe CHATENOUD