VOLUMES DE PIERRE
Carrière du calcaire oolithique de Brétigny à Jardres dans la Vienne, France (à gauche), carrière du calcaire oolithique de Migné, Migné-Auxances, France (à droite) (Archiplein)
Comme John Ruskin l’écrivait dans Les posés avec un mortier de chaux et ciment, pierres de Venise, les pierres naturelles qui présentent des surfaces brutes de sciage. constituent un bâtiment peuvent raconCe choix, imposé aussi pour des raisons ter des histoires à ceux qui sont capables de coûts, rend les bâtiments clairement de les lire1. Pour les bâtiments de Planreconnaissables et les différencie des les-Ouates, nous aimerions en raconter anciens édifices, qui présentent une mise deux. La première concerne le matériau en œuvre « classique » du matériau. Dans choisi, le calcaire : à Genève, c’est un choix le passé, les calcaires étaient « ravalés » qui s’adapte à l’environnement construit. pendant la mise en œuvre afin de rendre Cette ville présente, en particulier dans les les surfaces les plus homogènes possibles. bâtiments réalisés après la première moiCes traitements de surface permettaient tié du 19e siècle, un large emploi de calégalement de produire des ombres et des caires provenant autant du Jura que de la « vibrations » dans le matériau. La surface région Rhône-Alpes2. Des calcaires plus brute de sciage, paradoxalement, produit résistants et de porosité réduite dans les ces mêmes effets grâce aux traces laissocles des bâtiments, corniches et modésées par les disques diamantés. Des effets natures, et des calcaires de duretés infésimilaires sont visibles dans les bâtiments rieures – et donc de façonnage plus aisé de logement de Fernand Pouillon, Gilles – pour les façades et les éléments décoraPerraudin ou Jørn Utzon, tous réalisés tifs. Certains de ces matériaux, et en paravec des calcaires. ticulier ceux de provenance suisse, ne Les deux immeubles en cours de réalisasont plus disponibles aujourd’hui. Notre tion aux Sciers démontrent que la pierre histoire se termine donc par une double naturelle massive structurelle peut être interrogation : comment concilier l’imposemployée pour la construction de bâtisibilité d’employer la ressource « locale » ments de logements contemporains à et la recherche d’une possible intégration loyer modéré4. Ils montrent également que des constructions dans leur contexte bâti, le matériau pierre naturelle n’est pas seuformé par toutes les couches géologiques lement un choix constructif contemporain, et historiques3. mais qu’il peut également contribuer à La deuxième histoire parle de la resenrichir nos villes en significations. source et de son emploi. La pierre naturelle a été utilisée pour la réalisation de Stefano Zerbi est architecte, professeur toutes les structures verticales des bâtià la SUSPI et rédacteur de la revue Archi. ments. Le système structurel choisi est 1 « Ces couleurs, en plus de leur délicatesse celui d’une façade et d’un noyau intérieur d’adaptation, renferment toute une histoire ; par porteurs, formés par des maçonneries en la façon dont elles sont placées dans chaque pierre naturelle. Selon le vieux principe morceau de marbre, elles nous disent par quels moyens fut produit ce marbre et par quelles de la bonne pierre au bon endroit, pour transformations il a passé. » [Ruskin, J. 1934:177les bâtiments de Plan-les-Ouates, trois 178] John Ruskin, Les pierres de Venise. Études pierres naturelles ont été employées. Des locales pouvant servir de direction aux voyageurs séjournant à Venise et à Vérone, Paris, H. Laurens calcaires qui ont des caractéristiques Éditeur, 1934, pp. 177-178. mécaniques et de résistance aux agents 2 « Les carrières de la région Rhône-Alpes apporteatmosphériques différentes. Le calcaire ront les roches dures d’Hauteville et de Villebois ou encore les calcaires tendres d’Estaillades et fossilifère de la carrière des Estaillades a de Saint-Paul-les-Trois-Châteaux. Du nord et de été employé pour les maçonneries non l’est de la France arriveront les pierres tendres porteuses d’épaisseur 14 cm qui séparent de Morlay et Savonnières qui supplanteront souvent de façon partielle la molasse sur un même les pièces de service dans le noyau des édifice ». « Quelques aspects genevois relatifs à bâtiments. Ce calcaire poreux se trouve la pierre de taille », in : Association Romande des donc dans une partie non exposée. Les Métiers de la Pierre, Charte d’éthique et de bienfacture pour la réfection de monuments et de bâtimaçonneries porteuses du noyau cenments, Lausanne, ARMP, 2000, p. 28. tral d’épaisseur 30 cm sont constituées 3 Pour approfondir : Guillaume Habert, « C’è par le calcaire oolithique de Migné. Le abbastanza pietra in Svizzera ? », Archi, 5/2018, pp. 36-37. même calcaire, avec une épaisseur de 4 Pour approfondir : Gilles Perraudin, « Sobrio e fru40 cm, a été employé pour les maçonnegale », Archi, 5/2018, pp. 31-35. ries des façades en dehors des éléments les plus sollicités statiquement, comme les linteaux, ou par les agents atmosphériques, comme le socle, les corniches et la balustrade de l’acrotère. Pour ces éléments, le choix s’est porté sur le calcaire oolithique de Brétigny. Le volume total de pierre naturelle mise en œuvre atteint les 2200 m3 ou 10 000 blocs de pierre naturelle. Les éléments de grandes dimensions,
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