Dossier 19
UNE ARCHITECTURE À LA MANIÈRE D’UN JARDIN : CONSTRUCTION INCRÉMENTALE À LA CIUDAD ABIERTA
Patricia Guaita, Raffael Baur, David et Victoria Jolly
Le jardinier se distingue de l’architecte du paysage dans le sens où il accompagne le projet paysager plus qu’il ne cherche à le fixer dans un dessin. Depuis dix ans, le projet helvético-chilien Open City Research Platform développe cet enseignement. Cet atelier-chantier, situé au sein de la Ciudad Abierta, à Valparaiso, au Chili, accueille chaque année des étudiants qui y testent des matériaux et des structures. Ils apprennent ainsi sur le terrain que l’architecture n’est pas un acte fini, mais un processus collectif en évolution. Au nord de Valparaiso, la Ciudad Abierta (Ville Ouverte) est un lieu où la vie et la création artistique vont de pair. Situé au milieu des dunes de Ritoque, cet endroit a été soutenu depuis ses débuts dans les années 1970 et jusqu’à aujourd’hui par une communauté qui y habite, en projetant et en enquêtant collectivement, à partir du dialogue entre la poésie et l’expérimentation de différentes disciplines. Avec une surface de 300 hectares, la Ciudad Abierta est formée par deux grandes parcelles de terrain qui bordent l’océan Pacifique, la zone humide de Mantagua, des dunes et des falaises. Là, dans ce paysage de sable et de végétation sauvage, se trouvent des constructions éphémères et un cimetière. Dix-sept ménages y habitent. Bâtie avec des moyens précaires, la Ciudad Abierta se compose de structures développées de manière organique. Chacune de ces constructions s’inscrit dans un processus continu, un champ d’expérimentation constructive : des organismes vivants animés par la création et la vie collective. L’intention est de concevoir des bâtiments ouverts, dans le sens où architectes, artisans et habitants appartiennent à l’évolution des ouvrages dans le temps. Fondé en 1970 par un groupe d’architectes, philosophes et poètes, le lieu est né à la lumière d’Amereida, un poème rédigé de manière collective en 1965 qui propose une refondation poétique du continent américain, afin de le distancier de son passé colonial. La Ciudad Abierta émerge du besoin de ses fondateurs de disposer d’un espace où coexistent la vie, le travail et l’étude ; un Dans ce parti lieu d’interaction entre poésie et architecpris pour la ture. Aujourd’hui, cinquante personnes y construction vivent, dont des chercheurs, des enseiéphémère se gnants, des artistes et des enfants. dessine un éloge de la temporalité, La Ciudad Abierta conçoit son terrisoit la prévalence toire comme une extension spatiale et temde la nature sur porelle ouverte à la parole poétique et non l’hybris (démesure) comme un territoire à gouverner, à domide l’être humain. ner, à exploiter, en s’opposant ainsi à la pensée coloniale. La relation avec la terre en tant que prolongement est un lien de gratitude. Les bâtiments sont disposés en respectant la topographie du lieu ; le sol qui touche le bâti est le sol indigène. Les contreventements et fondations sont minimaux, les structures légères et flexibles. Si l’ouvrage venait à disparaître au cours des années, le terrain de dunes reviendrait à son état d’origine. La Ciudad Abierta a été auto-construite par ses fondateurs avec les moyens dont ils disposaient : des matériaux modestes, économiques et légers, tels que le bois et la brique. Dans ce parti pris pour la construction éphémère se dessine un éloge de la temporalité, soit la prévalence de la nature sur l’hybris (démesure) de l’être humain. On pourrait donc penser l’architecture de la Ciudad Abierta à la manière d’un jardin : des bâtiments qui transforment leur morphologie au fil du temps, auxquels on rajoute des couches et dont l’entretien sera assuré par d’autres ; une forme de construction à l’impact léger, qui disparaîtrait si les habitants cessaient de l’entretenir.
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L’Atelier : Open City Research Platform
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Structure principale du Pórtico de los Huéspedes avec un minimum de matérialité. Les poutres qui forment l’ensemble de la structure sont composées de huit planches de bois. Elles construisent un vide de grande échelle. (Summer Chantier 2014). La structure de la toiture en relation avec le paysage alentour. En 2014, l’emplacement du projet a été défini et la structure principale a été construite avec des éléments structurels en bois fabriqués avec des sections fines assemblées et montées sur des fondations éphémères en forme de cylindres en bois insérés dans le sable. (Summer Chantier 2014).
Open City Research Platform est un projet de recherche à la Ciudad Abierta qui prend la forme d’un atelier-chantier auquel participent, depuis 2014, des étudiants issus de l’Escuela de Arquitectura & Diseño Pontificia Universidad Católica de Valparaiso (EadPUCV), de l’EPFL, de l’EPFZ et de l’USI de Mendrisio. Cet échange entre Suisse et Chili, initié de manière informelle, est à l’origine du projet du Pórtico de los Huéspedes : une construction incrémentale qui abrite les archives et la bibliothèque d’Amereida, ainsi que l’administration, et permet d’étendre la dimension publique de la Ciudad Abierta. L’atelier-chantier du Pórtico met en pratique une pédagogie de l’architecture à travers l’expérience du « faire ». L’accent est mis sur l’acquisition de connaissances tacites1 basées sur l’expérience directe, un rythme d’action qui implique l’immersion des étudiants










