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Vers la mise en scène des paysages remarquables

contemplation du paysage, qui « devient un bien collectif digne d'être contemplé, parcouru et étudié » (Ostolaza, 2018, p.212).

Sur l’ensemble du territoire, cette standardisation des paysages, initiées par les pratiques touristiques contribue à transformer ou du moins redéfinir les représentations des paysages basques au sein des populations locales (Ostolaza, 2018). Transformation de représentations des paysages mais également transformations de pratiques puisqu’on l’a vu, les pratiques touristiques font des adeptes locaux tant sur l’excursionnisme que sur les activités de mer comme la baignade et le surf (arrivé en 1958).

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Françoise Péron décrit également une fusion des usages touristiques saisonniers et de loisirs réguliers en territoire littoral, par l’avènement de la voiture, l’aménagement de structures viaires, l’augmentation du temps de loisirs qui permettent aux populations vivant à 30 kilomètres des côtes de pratiquer régulièrement le territoire. La fusion de ces usages s’opère également en territoire rural et montagnard, plus accessible par les nombreuses voies qui se créent et qui désenclavent certains espaces et par la voiture qui réduit la distance et la difficulté d’accès. Avec l’avènement des chemins pédestres de randonnées, les GR reviendront tracer certains chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle au début des années 1970 et contribueront à une popularisation des pratiques de loisirs en territoire rural et montagnard. Cette fusion entre tourisme et loisirs amène à une recomposition des paysages (Péron, 1994).

1.3. Vers la mise en scène des paysages remarquables

Ainsi ces pratiques touristiques et récréatives de découverte et de relation au territoire ont soulevé des enjeux de patrimonialisation du paysage et de la culture locale.

Par son attractivité, le territoire Pays Basque est devenu un lieu de mixité où population locale et touristique se côtoient. L’enjeu de préservation de pratiques locales traditionnelles ressort auprès de la population comme un besoin d’exprimer une identité et une culture locale. Elle est également saisie par les politiques publiques d’aménagement des territoires touristiques comme une occasion de mise en tourisme d’une culture locale.

En effet, selon Françoise Péron, à ce phénomène de fusion des usages se couple un autre phénomène propre aux espaces littoraux. Le littoral est devenu un territoire

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de renouveau social où le passé communautaire vivant dans l’esprit des personnalités locales et idéalisé par un groupe social révèle leur dimension culturelle importante. Les espaces littoraux sont alors le théâtre d’une mise en scène des pratiques locales dans un objectif de patrimonialisation de la culture dans le double objectif de resouder collectivement les communautés et faire découvrir les pratiques culturelles locales. Péron décrit la dimension spatiale importante de ces pratiques culturelles patrimoniales par une trilogie de besoins immatériels : la tenue de ces pratiques devenues événements dans un espace resserré convivial, la présence d’une infrastructure d’intérêt historique à proximité et le cadre d’élément de nature ouvert évoquant la « nature métaphysique ». Finalement, par la réactivation de ces lieux symboliques et la mixité des populations qui vivent et habitent ces territoires, le littoral soulève selon Péron, deux questionnements celui de la géographie mentale contemporaine structurée à partir de lieux forts et celui de la compréhension de la cohésion sociale à l’échelle micro locale (Péron, 1994).

Leizaola décrit l'« âme basque » stéréotypée qui s'est forgée à travers la littérature du 20ème et qui organise la vie sociale sur la côte labourdine. Le groupe local de danse qui se produit chaque été pour les visiteurs et touristes. Le folklore attire et contribue à la mise en « carte postale » de pratiques locales. Ce tourisme d’élite, exprime un désir de rencontre de l’ « authentique », tourné vers le Pays Basque intérieur notamment pour partir à la rencontre du « caractère rural et des modes de vie « traditionnels » ». Ainsi des circuits de parcours et visites sont aménagés. pour promouvoir le « caractère pittoresque du pays » et des « lieux emblématiques, comme la montagne de la Rhune, sont réinvestis d’une nouvelle signification » (Leizaola, 2002).

Ainsi préservation de pratique locale rime avec attention pour les paysages et le patrimoine bâti, garant d’un maintien d’une culture locale vivante. Le paysage et l’architecture feront l’attention d’une pratique patrimoniale particulière sur le territoire en mettant l’accent sur des éléments identifiés.

Tout d’abord l’habitat dans sa considération formelle et esthétique fait l’objet d’une attention particulière. L’etxe16 est identifiée comme l’architecture basque

16 Maisonen basque

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archétypale à mettre en valeur, au détriment d’autres formes de construction comme la borde, qui peuplent le territoire. L’etxe devient le symbole des valeurs traditionnelles basque puisque dans la tradition locale, une relation forte se tisse entre les habitants et leur maison. C’est aussi un instrument économique, social et politique où se réunit l’assemblée représentative du Labourd, appelée Biltzar, jusqu’en 1789. Traditionnellement, c’est la maison qui donne son nom à la famille, nom souvent en rapport avec le lieu dans lequel elle s’inscrit, à la fonction ou à l’apparence même de la maison. La maison basque constituait également une unité économique n’appartenant pas seulement à l’individu mais à la famille tout entière. Elle symbolise la pérennité, la sécurité et la continuité de la famille et de fait doit être protégée. Caro Baroja (2009) classe les différents types de maison selon leur typologie, région et les matériaux utilisés. Il définit le type atlantique qui se décline en style labourdin (7), de Basse-Navarre (8), du nord de la Navarre, en style guipuscoan et en style biscaïen. Les caractéristiques communes sont celle de la structure mixe pierre/bois, un toit peu incliné à deux versants, un faît perpendiculaire à la façade principale. L’extérieur est généralement couvert de chaux blanches et les éléments de bois peints en rouge (et plus récemment en vert, bleu ou gris). Cependant dès la fin du XIXème siècle, l’apparition de villas néobasques marque une rupture définitive avec l’etxe traditionnelle. À la fois entité architecturale urbaine et objet socialement distinctif, la villa néo-basque apparaît comme le produit d’une double distanciation géographique et culturelle – à l’égard d’une société rurale/agricole travaillée par une logique communautaire selon laquelle la seule déclinaison de l’appartenance à une etxe suffit. Des formes plus modestes d’habitat néobasque (9) répondront ensuite aux transformations sociales majeures du XXe siècle, liées à l’élargissement des classes moyennes, la capitalisation culturelle et le renforcement de l’attractivité urbaine. Ainsi, sur le plan architectural, à côté de la villa, se constitue une nouvelle figure d’habitat, le pavillon, dont on connaît le succès à partir de la dernière guerre mondiale et la teneur idéologique dans l’imaginaire individuel contemporain (Bidart, 1999). Seuls les codes esthétiques et formels restent via les éléments architectoniques (encorbellement, pans de bois factices, parement de pierre, etc.), contribuant ainsi au dessin d’un paysage stéréotypé, « typiquement local » qui satisfait des volontés locales de préservation des territoires et des paysages et des volontés touristiques de dépaysement. En effet, en France, la période d’après-guerre se voie marquée par différentes vagues de néorégionalisme portés par les propositions des

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7. Dessin d'une etxe, la maison Lapitzea située à Sare réalisé par Dominique Duplantier qui révèle le style labourdin. Ce style est marqué par les pans de bois visibles en façade, les pierres apparentes en angle et en saillie, le lorio qui constitue une entrée en retrait(source : site dominique-duplantier.com).

8. Dessin d'une etxe, la maison Sarrasquette située à Bussunarits réalisé par Dominique Duplantier qui révèle le style de Basse-Navarre. Il est marqué par une façade plate en pierre, sans pans de bois ni lorio, l’entrée est entourée de pierre assemblée en bouteille (ibid).

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9. Photographie personnelle d'une maison de style néobasque se trouvant à Bidart., typologie aussi observable sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux. Cette maison est typiquement un produit immobilier standard -que l’onretrouve partout en France - et qui est réadapté au territoire d’accueil: code couleur, usage de quelques matériaux, etc. C’est une maison dite «de catalogue.»(photographie personnelle).

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architectes et promoteurs immobiliers qui prônent l’identification à un territoire par l’architecture (néobretonne, néonormande, etc.)17 .

Le petit patrimoine, témoin d’une histoire culturelle fait également l’objet d’une attention particulière. Il s’agit de mettre en avant des éléments architecturés que sont les chapelles, lavoirs, phares, moulins, témoins d’une vie locale organisée autour de la religion, des lieux de vie quotidien qui devenaient des lieux de rassemblement et de l’agriculture/pêche. Bien que n’ayant plus la même place dans le quotidien des habitants, ces éléments font l’objet d’une rénovation particulière.

Quant au paysage, son artialisation se traduit par sa mise en valeur autour de points de vue remarquables diffusés à travers les cartes postales, les guides touristiques mais également par l’aménagement de parcours patrimoniaux qui concerneront autant des éléments de cadres « naturels » que des éléments de bâti ou de petit patrimoine. Pour autant le tourisme ne participe à inventer le paysage, il le redéfinit sous un nouvel angle (Ostolaza, 2018).

Les pratiques de loisirs liés aux paysages ont joué un rôle important pour « dynamiser les identités et faire « découvrir » les paysages » (Ostolaza, 2018, p.302). Elles ont contribué à la diffusion de visions paysagères standardisées du paysage et à sensibiliser les populations aux valeurs patrimoniales des décors naturels ou à « provoquer des émotions esthétiques et/ou patriotiques » associées à ces paysages. La mer, la côte, les Pyrénées, les vallées agricoles sont autant de panoramas paysagers diffusés par les photographies, journaux, guides. Au-delà de la contemplation, la nature devient ressource touristique mais également un « lieu de détente salutaire » ou encore un « livre ouvert où retrouver les traces perdues de la civilisation basque » (Ostolaza, 2018, p.302). La mise en scène des paysages aura donc ce double service de satisfaire des regards étrangers et locaux, par les idéaux nationalistes dont ils sont le support. Aussi par sa fonction de loisir, le paysage par la nature deviendra un territoire de parcours. La mise en sentier du territoire contribuera à le faire découvrir par un regard plus interne. Les sentiers et

17 L’accessibilité à un produit immobilier par l’emprunt, la standardisation des processus de construction sont autant de mécanisme de l’immobilier alors « libéré » qui auront pour conséquence de décupler la notion de « carte postale ».

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chemins délimités participeront au processus de patrimonialisation du paysage et de l’architecture.

Olivier Etcheverria a décrit les processus de mise en tourisme des chemins ruraux en Pays Basque en analysant les effets d’une nouvelle implication des différents acteurs étatiques et associatifs dans la réapparition et sélection de chemins ruraux alors érigés en sentiers de randonnées pédestre. Ainsi la mise en tourisme de ces sentiers a permis l’accessibilité et la réouverture de paysages et sites érigés en patrimoine, garants d’une retombée certes économique mais aussi d’un attachement identitaire et de l’épanouissement d’une culture locale. (Etcheverria, 1997). Par la marche, sentiers et chemins sont devenus des vecteurs de mise en abîme de paysages remarquables et de fait de leur reconnaissance en tant que patrimoine.

Nous pouvons relever deux typologies de parcours, situés sur nos deux communes d’étude, mettant en scène le patrimoine paysager et culturel.

Tout d’abord, nous avons les sentiers aménagés de contemplation de paysages remarquables. En effet Saint-Jean-le-Vieux accueille une portion de la via Podiensis (10), un des chemins du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle qui part du Puy-en-Velay jusqu’au col de Roncevaux et jusqu’à la commune du même nom. La commune est également située sur la voie de Nive, un chemin variant de celui de Saint-Jacques-de-Compostelle que certains pèlerins empruntent depuis Bayonne pour rejoindre le Camino Navarro. Sa portion sur la commune concerne uniquement de la voie bitumée partagée avec les automobilistes Elle fait variée les paysagés entre centre-bourg (11), hameaux habités (12) et plaine agricole (13). Bidart constitue la commune départ du sentier du littoral qui longe la côte basque sur 54 kilomètres en arrivant jusqu’en Espagne à San Sebastian (14). Il met en scène des paysages variés par la diversité des ambiances, des côtes rocheuses à sableuse toujours avec les Pyrénées en toile de fond (15). Ce parcours alterne sentier en terre battue (16) et voirie bitumée (17). Ces deux parcours accueillent ponctuellement du petit mobilier de table, bancs, panneaux panoramiques qui permettent de lire le territoire et les paysages.

Ensuite nous avons les parcours patrimoniaux qui ont été aménagés par les communes autour du petit patrimoine culturel qui rassemble des lavoirs (19 & 22), églises ou chapelles (24), moulins, etc. Ces parcours font l’objet d’une indication très légère par de petits panonceaux (20). L’itinéraire est indiqué généralement par l’office du tourisme au travers d’une brochure. Il permet de rencontrer des

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éléments d’architecture qui ont fait partie de la vie quotidienne locale traditionnelle, la plupart de ces éléments n’étant plus forcément utilisés. Le bâti architectural mis en avant a fait systématiquement l’objet d’une rénovation et les alentours font l’objet d’un aménagement assez sommaire et dégagé. Ces parcours, tant à Saint-Jean-le-Vieux (18) qu’à Bidart (21) sont de taille très modeste. Dans le cas de Bidart, il est complété par l’aménagement d’une voie verte qui tant à rendre compte de la biodiversité mais également de la diversité des ambiances vécues sur la commune de l’espace côtier à l’espace rétro-littoral (23).

Il est intéressant de comprendre que ces deux communes regorgent également de châteaux ou maisons de maîtres connues des habitants mais étant du domaine privé, ceux-ci ne font pas l’objet d’une mesure de diffusion particulière par le parcours.

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GR 65 – Chemin de Saint-Jacques-deCompostelle

12. Itinéraire du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle (GR68) sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux(source : géoportail). 11. Vue depuis le centre-bourg de Saint-Jean-le-Vieux sur le chemin GR68(photographie personnelle). 10. Vue depuis le quartier de la Madeleine sur le chemin GR68(ibid). 13. Vue sur la plaine agricole depuis le chemin GR68(ibid).

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Sentier du littoral

16. Itinéraire du sentier du littoral àBidart (source : géoportail). 14. Vue de l'itinéraire du sentier du littoral depuis les falaises(photographie personnelle). 15. Vue de l'itinéraire du sentier du littoral près de la chapelle de la Madeleine(ibid). 17. Vue du sentier du littoral depuis la départementale D810(ibid).

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Circuit patrimoine

18. Itinéraire du circuit «patrimoine» sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux. (source : géoportail) 19. Vue sur le lavoir qui ponctue le parcours «patrimoine»(photographie personnelle). 20. Vue sur la colline Mendikasko, datée de l'époque médiévale et qui fait l'objet d'une petite note informative(ibid).

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Circuit patrimoine et voie verte

24. Itinéraire de la voie verte et du circuit patrimoine à Bidart (source : géoportail). 23. Vue sur un des lavoirs et source reconnue à Bidart, inscrite sur le parcours patrimoine de la commune (photographie personnelle). 21. Vue sur une portion de la voie verte de Bidart (ibid). 22. Vue sur la chapelle Ur Onea et sa source inscrite sur le parcours patrimoine et de la voie verte(ibid).

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