12 minute read

Le cheminement une pratique sociale et sensible du paysage

EB: Parce que je me suis pas senti bien là-bas. Alors complètement irrationnel. Je sais même pas où est l’ESTIA sur la carte. Je saurai pas de l’expliquer avec des mots. Où alors je sais pas c’est de l’ordre du spirituel. En fait on a sûrement une très jolie vue sur les montagnes mais j’ai pas eu du coup cette perception-là. Et juste quand t’arrives sur le parking, c’est vraiment un lieu dortoir avec quelques résidences étudiantes et juste des gens qui viennent travailler. Et c’est un lieu mort. Malgré la vie des gens quotidiennement qui y passent, j’ai eu l’impression que c’est un lieu mort, qui s’y passe rien. Et puis c’était pas végétalisé. Les arbres avaient pas l’air vitalisé du tout.» Interviewé B3 – Extrait de narration lors de la cartographie

Le cheminement une pratique sociale et sensible du paysage

Advertisement

L’expérience des marches groupées sur les deux communes a soulevé l’enjeu des cheminements comme moyen d’éveil et de transmission des paysages. En effet, certains entretiens avaient révélé une certaine culture du cheminement secret. Comment partager cette culture du cheminement et de l’approche sensible du paysage ? Qu’est-ce qu’il faut transmettre ? Cette pratique doit-elle faire l’objet d’une démarche de transmission et de partage spécifique ? Sont autant de questions qui se sont posées à l’occasion des marches exploratoires à Bidart et Saint-Jean-le-Vieux.

Les chemins de découverte et chemins de l’introspection, des réalités distinguées ?

Les chemins de la découverte et ceux de l’introspection peuvent être distingués. Ainsi en fonction des histoires et affectes de chacun, des territoires sont plus propices à la convivialité et d’autres à l’introspection. On viendra ici pour se ressourcer et là-bas pour faire découvrir. Que révèle cette dichotomie ? Une volonté de garder ces terrains secrets ? Ce n’est pas la raison évoquée lors de ces marches en particulier. Cette dichotomie révèlerait-elle une volonté de faire découvrir le territoire dans sa globalité par les différentes ambiances qu’on peut y trouver ? Sans doute qu’il y a des parcours qui permettent une appréhension globale de la commune par sa diversité et c’est comme cela que j’ai construit mes parcours.

En effet, il semblerait qu’il y ait des parcours un peu « typique » sur chacune des commune, connus voire reconnus pour permettre de faire découvrir le territoire.

342

Ainsi notre commerçant de Saint-Jean-le-Vieux, qui ne chemine jamais sur la commune a évoqué une marche qu’il a réalisé avec ses beaux-parents pour faire découvrir en quelque sorte la commune (interviewé SJLV12).

«On a rien fait d'extraordinaire. On a juste fait le tour de SaintJean-le-Vieux. On est passé derrière le magasin, le petit chemin. On est ressorti par le mur à gauche. On est resté une demi-heure à l'aire de jeu avec le petit. Après on a fait la boucle, tu sais, la boucle derrière chez Gene et tout ça. Et après on est rentré chez nous. C'était une balade de quoi ? Trois quarts d'heure. Histoire de sortir quoi. Il faisait beau. Donc on va pas rester enfermé.»

« La tranquillité. Se retrouver seul, tranquille. Tu as la vue. T'es pas emmerdé par les voitures. Tous ces trucks-là. Moi j'en ai besoin avec le métier que je fais. J'ai besoind'être dans la nature, tranquille, des fois seul.»

Interviewé SJLV12 – Extraits de narration lors de l’entretien

De même sur la commune de Bidart, les parcours pensés par le propriétaire du magasin de sport qui organise des courses en groupe définit des parcours, qui en été permettent aussi aux personnes de découvrir le territoire (interviewé B6).

«Alors la nuit, là je vous parle des parcours qu’on fait plutôt l’été. Parce que la nuit-là c’est chaotique. Mais c’est le parcours qu’on fait le plus souvent. Tac tac tac. C’est très nature, très boisé, l’océan à côté. Quand j’emmène des touristes ici. Ils sont comme des dingues. Ils découvrent les petits sentiers pour courir. Ils découvrent la chance qu’on a quasiment tous les jours.» Interviewé B6 – Extraitsde narration lors de la cartographie

Le cheminement, à Bidart en particulier semble relever d’une pratique secrète et qui se transmet à un cercle de connaissances proches.

En effet, une personne retraitée interrogée m’a avoué accueillir des personnes dans le cadre d’une location Airbnb pendant la saison estivale. Elle est donc régulièrement amenée à conseiller des itinéraires de marches. En réalité elle ne diffuse pas les marches qu’elle fait régulièrement dans les bois, en retrait de l’espace côtier de la commune. Elle partage volontiers celles à réaliser sur l’espace côtier ou la voie verte le long de la rivière Uhabia. Chez cette personne la transmission des itinéraires se fait en fonction du degré de familiarité. La famille

343

proche bénéficie fortement de la connaissance des possibilités de ces espaces, en allant même jusqu’à en connaître les secrets. Sa fille vient récupérer les champignons à son tour, le relai est passée car la personne ne les consomme plus. Ses petits-enfants sont également amenés dans ces chemins et espaces. Ensuite les amis, sont avertis de quelques secrets mais très peu emmenés soit parce qu’ils ne le désirent pas soit parce que la personne se décrit elle-même comme « sauvage ». Elle explique cependant qu’elle ne répond en réalité qu’aux attentes des touristiques : « eux ce qu’ils veulent c’est la mer. Ici ça ne les intéresse pas ».

De même une Bidartare qui gère un gîte touristique sur la commune de Bidart, a de prime abord évoqué les itinéraires qu’elle conseillait à ses hôtes lors de notre entretien. Elle prendra soin de décrire les aménagements faits comme la passerelle en bois, les petits chemins, la route. Ces itinéraires sont conseillés justement pour ces aménagements qui permettent aux personnes de passage de cheminer dans le territoire en toute sureté. Au fur et à mesure, elle s’est mise à me dévoiler ceux qu’elle effectuait personnellement pour collecter des orties ou marrons par exemple. Ces derniers ne sont pas les mêmes que les premiers évoqués et de même se situent plus en retrait de l’espace côtier (160).

Pour ces personnes, les itinéraires à pied semblaient relever d’une certaine confidentialité. Il y a des itinéraires que l’on partage volontiers et d’autres que l’on garde pour soi. Ces itinéraires « secrets » relèvent d’un caractère plus sauvage et moins fréquenté et cette volonté de ne pas les partager relève sans doute d’un désir de les préserver.

Quel partage ?

Lors des marches exploratoires effectuées à Bidart, le sujet du partage et de la transmission a été celui qui a le plus fait l’objet de débats. En effet, si la plupart des participants refusaient l’idée de partage à un large public (MEB1 et MEB2), une des participantes de la marche MEB1 (d’origine Australienne et qui vit à Bidart six mois de l’année) a émis clairement le souhait transmettre cette promenade à des amis et plus largement de la diffuser par des affichages ou des panneaux d'indication. Elle y verrait une amélioration des lieux par des petits aménagements pour les rendre praticables pour tout le monde qui résideraient en un bon entretien

160. Cartographie qui révèle les parcours qu’une gérante de gite partage à ses hôtes (le long de la voie verte vers le littoral) et les parcours qu'elle effectue elle et qui ne sont pas partagés (vers le nord de la commune et à l'est en direction d’Arbonne)(interviewée B8).

344

345

pour écarter les dangers. Le partage de ces chemins risquerait selon les autres participants de porter atteinte aux côtés « nature » des lieux traversés, en transformant l’ambiance calme et « sain e ». Aussi cette discussion révèle des volontés qui convergent vers le renforcement de l’ambiance (densification et diversification de la végétation des espaces de loisirs) et la transmission (sauvegarde des espaces très végétalisés comme les forêts et compagnes) de ce qui existe déjà plutôt que de conquérir ce qui n’est pas.

Finalement ce qui fait consensus dans la démarche de partage c’est de développer une pratique de la découverte et de l’attention sensible aux paysages. En effet cette même participante d’origine Australienne aimerait que les itinéraires à pied soient plus développés dans les écoles par exemple pour renforcer l’éducation « à la nature » et à la découverte des biotopes.

Une réunion-bilan de la démarche Nouveaux Commanditaires s’est tenue le 9 juin 2021 à Bidart. J’y ai pu présenter les prémisses d’analyse de mon travail. S’en est suivi une discussion sur les modalités de partages et de transmission des cheminements à pied et des paysages sensibles. L’idée de « non-aménagement » a été d’emblée évoquée comme une volonté de ne pas intervenir, de laisser les choses dans leur informalité et leur essence. En effet, Jérôme Potiés, chargé de la culture à la mairie a d’ailleurs évoqué un exemple vécu où l’intervention sur un édifice historique avait transformé les perceptions du site. Cet exemple évoqué est celui de la réhabilitation d’un ancien château en Moselle en centre d’art, ce qui a dénaturé l’essence même du lieu à laquelle les habitants s’identifiaient. Il a particulièrement plu aux commanditaires comme un exemple de conservation de l’esprit des lieux, du patrimoine et du paysage affectif.

Aussi, la thématique de l’oralité a été abordée, comme un moyen potentiel de transmission du patrimoine paysager multisensoriel et affectif. La langue basque étant un élément fort du patrimoine local, il pourrait être le moyen de transmission de cette pratique du cheminement, de la narration des paysages sensibles. J’ai spontanément évoqué l’idée d’un système de rencontres spontanées entre habitants ou visiteurs, où le rendez-vous serait l’occasion d’un cheminement à la découverte du territoire et de fait des relations affectives que les habitants entretiennent avec le paysage. Aussi une commanditaire Bidartare a évoqué un rituel qu’elle s’est instaurée avec sa voisine lors du premier confinement. Ces dernières se sont mises spontanément à marcher ensemble, pour se rencontrer lorsque les conditions sanitaires restreignaient nos moments de sociabilité.

346

Ainsi plus que l’idée de partage des cheminements semble plus être portée sur l’expérience même du cheminement, de la sociabilité et de la mise en narration du paysage que les itinéraires mêmes à cheminer. Le bouche-à-oreille permettrait de découvrir le territoire. D’ailleurs un commerçant à Bidart (interviewé B6) avait découvert les parcours qu’il fait effectuer dans le cadre du rendez-vous hebdomadaire qu’il organise avec son magasin de vente d’équipement sportif par un ami qui vit sur la commune. C’est ainsi que les nouveaux arrivants, à Bidart comme à Saint-Jean-le-Vieux (interviewé SJLV12) partent à la rencontre de leur territoire, en prenant conseil auprès des habitants ou usagers régulier.

«Je les ai découverts grâce à des gens du coin qui sont venus au magasin. Des clients, en fait pratiquement des amis et qui m’ont fait découvrir des chemins. On a même cherché des petits chemin, l’opportunité de tracer d’autres chemins variés. Mais c’est plutôt les gens du coin qui m’ont fait découvrir ça. Ils nousont dit par exemple ou ils sont venus.»

Interviewé B6 – Extrait de narration lors de la cartographie

«Le confinement. Après j'ai des habitants de Jaxu, y a un club de trail qui m'ont accueilli dans leur groupe. Et grâce à eux, j'ai su les parcours, toutbêtement.» Interviewé SJLV12 – Extrait de narration lors de l’entretien

Transmettre une pratique sensible d’ouverture à son territoire

Les marches exploratoires ont mis en avant marcheur comme un exploratoire et non pas un conquérant. En effet, cheminer c’est partir à la découverte de son territoire, l’explorer en découvrir les parcours et les portes dérobées en fonction des attentes et des désirs de chacun.

Le marcheur connait les secrets de son territoire. Il a découvert les meilleurs chemins et dirige ce cheminement pour les rencontrer. La connaissance ou reconnaissance des « meilleurs » chemins ou lieux d’arrêts devient alors inhibitrice de désirs pour d’autres espaces L’alternative connue se suffit à elle-même en quelque sorte et ne fait pas naître des envies de conquête absolue des espaces et des chemins qui ne sont pas nécessaire propices au cheminement piéton. Là est tout l’art du cheminement, dessiner ses chemins. Le marcheur chemine au sens où il se dessine une sorte de parcours idéal chargé d’affect et d’attachement personnels. Ainsi les variations d’ambiances paysagères et de types de sols

347

cheminés deviennent des sortes de trésors existants dont la rencontre construit l’expérience affective et sensorielle singulière.

Aussi ce qui pourrait apparaitre comme un défaut à l’acte de cheminer, dans le cas précis une route sans trottoirs aménagés, apparaît par les marcheurs, sensible à certaines ambiances de campagne, de rural, comme pouvant contribuer à une sorte de charme du territoire. C’est une route « un peu comme c’était avant à la campagne » dit une des participantes lors de la marche exploratoireMEB1 ou par son caractère vivant comme il a été souligné lors de la marche exploratoire MESJV1.

La découverte est une démarche proactive qu’il faut inciter à pratiquer sans pour autant tout dévoiler. Lors de la marche exploratoire MEB2, il a été souligné finalement qu’il n’était pas besoin de partager les itinéraires, qu’en réalité les individus devaient développer une volonté propre de rencontrer leur territoire et les paysages de leur quotidien en cheminant de leur propre chef, en découvrant par eux-mêmes ou à défaut par un mode de transmission oral.

Cheminer est finalement d’une sorte de philosophie de vie, guidée par le désir de rencontre de soi, de partage mais surtout de découverte du territoire. Le balisage, l'information, sont autant d’aspects normatifs de la marche qui vont moins dans le sens d’une pratique spontanée d’éveil. La marche, selon un autre participant de cette même marche MEB2, est une démarche qui doit être proactive, il ne faut pas attendre qu'on nous donne les éléments à découvrir mais il faut provoquer la rencontre avec le territoire. D’ailleurs cette rencontre se caractérise autant par les éléments proches évoqués précédemment que le grand territoire. Ils concluent que cheminer « c’est comme la vie, (on) prend des chemins qui nous amènent à en rencontrer d’autres ». Cette philosophie de découverte du territoire en se laissant portée a également été abordée à Saint-Jean-le-Vieux lors de la marche exploratoire MESJLV1 où un des participants décrivait l’avantage de marcher dans les prairies comme un moyen de réellement rencontrer le territoire en le vivant : « ça fait plus réel ». Sortir des sentiers balisés permet « d’accepter de (se) perdre ». Enfin, le cheminement c’est transmettre une pratique qui met en avant l’idée de « respect de la nature » selon un participant de la marche exploratoire MEB1. En effet, le cheminement est une pratique de découverte de l’environnement tel qu’il est et qu’il s’offre à nous.

348