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Une pratique qui génère des conflits d’appropriation du paysage

Cette dépréciation est également exprimée concernant la construction de logement dans une partie du territoire initialement marquée par de nombreuses fermes et quelques châteaux. Ainsi cette appréciation esthétique n’est pas tant à l’échelle du bâti mais plutôt à sa conséquence à l’échelle territoriale. Cela démontre un certain attachement à un esprit des lieux que nous avons évoqué précédemment. Aussi cette valeur esthétique et territoriale se ressent dans les photographies prises sur Saint-Jean-le-Vieux et Bidart où le regard se porte sur une forme de beauté contemplative du paysage à grande échelle (147).

Une pratique qui génère des conflits d’appropriation du paysage

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L’appropriation physique et mentale du paysage, par ses réalités individuelles ou collective et naturellement génératrice de conflits d’usages. En effet, nous avons vu précédemment que le paysage possède une réelle valeur à être le support d’usages (professionnels comme de loisirs) ce qui lui confère une valeur utilitaire liée à des pratiques quotidiennes ou régulières. En effet si le paysage possède bien un paradoxe c’est celui de relever de pratiques d’appropriations communes et partagées parfois sur des espaces qui relèvent du domaine privé.

La pratique physique du paysage génère des conflits d’usages

En ce qui concerne les cheminements quotidiens voire professionnels, les conflits d’usages des chemins sont assez significatifs notamment chez les agriculteurs. Un berger Donazahartare (interviewé SJLV8) qui transhume quotidiennement sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux relatera les problèmes qu’il a rencontré avec des habitants de la commune qui se sentaient incommodés par l’usage.

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147. Série de photographie collectées à l'occasion des reportages photographies et des marches sur les communes de Bidart (à gauche, de haut en bas, interviewée B7, MEB2, interviewée B12) et à Saint-Jean-le-Vieux (à droite, de haut en bas, interviewée B2, interviewée B4, MESJLV1). Cette série révèle le rapport au territoire par le panorama paysager à l’occasion de points d’arrêts.

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«Oui à la campagne oui mais la campagne ça devient comme à la ville. Parce que moi j'ai eu une réflexion sur le fumier. J'avais répandu le fumier. Et à côté, y a une villa, et c'est des gens qui sont venus de Nantes. Et c'est vrai que ça faisait peut-être dix ans qu'ils étaient là ces gens-là. Puis trois mois après, le type qui me sonne et me dis : «Vous avez mis le fumier là». Apparemment pendant une semaine, il avait été incommodé tout ça avec l'odeur et tout. Mais je lui ai dit que ce que j'avais fait c'est du compostage. On peut l'étendre à côté des maisons le compost. Le compost, c'est du fumier broyé avec une machine. Avec ça on peut l'épandre. Parce que par rapport à ça aussi y a des restrictions. Si c'est du purin, il faut 100 mètres d'une maison.»

Interviewé SJLV8 – Extraits de narration lors de l’entretien

Ce même conflit d’utilisation des chemins s’exprime aussi sur la côte notamment chez notre Bidartar chasseur qui se sent oppressé et critiqué lorsqu’il effectue ses cheminements à pied pour se rendre à la chasse (interviewé B9).

«Alors, pour ce qui est de la chasse, il y a beaucoup de Parisiens depuis quelques années qui viennent ici, qui achètent, qui ont de l’argent, qui achètent des domaines, des endroits. Et là donc, dès que tu passes à 200 mètres de chez eux, tu te fais jeter. Alors que tu as le droit de passer, parce qu’on a une réglementation. Le coup de fusil de ne doit pas être à moins de 150 mètres d’une maison, tout ça. Et puis, il y a autre chose qui me dérange chez les promeneurs. En Espagne, il y a 80% des bois et des champs qui sont privés. Donc, les gens qui se promènent souvent ouais, les chasseurs, on ne peut pas se balader à cause des chasseurs alors qu’on est là, qu’on est dans des bois privés. Alors on va faire des panneaux interdiction aux piétons. Pourquoi maintenant? Parce que nous, nous, on est interdit, on interdit de passer, de chasser chez des privés. Pourquoi on interdirait pas quand on est propriétaire de bois, les piétons? Pourquoi alors? On a le droit, mais il faut que ce soit clôturé ou alors il faut avoir plus de tant d’hectares. Ainsi, ce que je reproche aux gens qui se disent écolos, nous, on a besoin de se promener dans la nature. La chasse, c’est novembre, décembre, janvier, février. Les mois les plus rudes, donc nous, on aimerait l’avoir pour nous, c’est vrai. Pendant quatre mois, il y en a 8 pour les autres. Et à cause d’une dernière chose. Moi, je paye une cotisation que je payé pour aller chasser à Ahetze/Bidart, car c’est un canton. Si je vais aller chasser à Saint-Pée, je paye. Pour les Landes, je paye un permis départemental. Je paye les cartes. Je paye pour faire ce que je fais. Le promeneur qui râle parce qu’il ne peut pas ceci, ne veut pas cela. Il ne paye pas, mais il peut aller partout.»

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Interviewé B9 – Extrait de narration lors de l’entretien

Par la diversité des personnalités et des motifs ou modes de cheminements, leurs superpositions génèrent des conflits d’appréciation et de partage du paysage. À Bidart, quatre témoignages successifs ont relaté les problèmes de déchets que généraient les activités sur certains lieux appréciés pour leurs qualités paysagères spatiales et sensorielles. Ainsi trois personnes interviewées mentionneront les déchets présents sur l’espace côtier près des parcours qu’elles effectuent à pied. Une autre, le chasseur interviewé à Bidart (interviewé B9) relatera les nombreux déchets trouvés dans la forêt et les blessures générées sur ses chiens.

«Aussi les pattes coupées. Les endroits avec des bouts de verre, déjà jetés pendant tout l’été, des bouteilles de verre dans les bois. Il s’est coupé les pattes» Interviewé B9 – Extrait de narration lors de la cartographie

De même, le témoignage d’une Bidartare retraitée (interviewée B7) permettra de relever les problèmes de fréquentation de forêts par d’autres personnes véhiculées - en quad ou en moto - abîmant ainsi les chemins de terre en période pluviale et qui sont normalement praticables à pied. Elle évoquera alors des initiatives spontanées d’habitants pour éviter la fréquentation de ces lieux notamment par l’instauration d’un panneau « voie privée » alors totalement illégal ou par l’installation d’un panonceau rappelant l’interdiction d’utilisation de ces chemins par des engins motorisés (148).

«Et voilà le chemin. Alors, il y a un gros panneau avec interdit aux motos, etc. Ils sont toujours là-dedans. Il nous massacre ce chemin. Et ils avaient aussi balisé ce qui faisait le tour avec celui que je vous disais.»

«C’est très désagréable, de prendre l’air et de tourner la tête et de croiser des motos. Mais y en a, ils s’arrêtent. Du coup, avec eux on parle, parce que c’est déjà qui aiment quand même la nature. Ils aiment être au milieu de la nature. Mais moi j’en ai qui arrivent dans le tunnel qui essayent leur grosse moto et Vroum! Vroum! Oh là là!»

Interviewée B7 – Extraits de narration lors de la cartographie et d’une promenade à l’issue de l’entretien

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148. Photographie illustrant les conflits d'usages sur certains chemins entre piétons, chasseurs et utilisateurs de quads et motos(interviewée B7). 149. Photographie qui montre le regard attentif porté aux paysages quotidiens situés sur des terrains privés comme les prairies et forêts(participant, marche MESJLV1).

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314 L’appropriation des paysages s’opère sur des espaces privés

Finalement ces récits témoignent du paradigme de la sensibilité au paysage dont l’appréciation ignore la trame foncière mais dont l’accessibilité et l’appropriation (mentale ou physique) peuvent être limitées par cette dernière. En effet, l’ensemble des paysages décrits relèvent du domaine privé : les bois sont privés et accessibles par un droit de passage communal restreint, les jardins appartiennent à des propriétés privées et les prairies convoitées se dessinent par les limites de terrains. À l’issu de l’entretien, une promenade avec une retraitée Bidartare m’a permis d’observer son attitude vis-à-vis des enjeux d’accès des espaces qui relèvent du domaine privé. En effet, nous nous sommes promenés sur des espaces qui relèvent tantôt du domaine privé, tantôt du domaine public. Cependant, la personne prenait le soin de me diriger sur la route communale ou de m’inviter à contourner les voies qu’elle pensait privées. Son regard se portait essentiellement sur les jardins et les forêts traversées (appropriation mentale) où elle me révélait secrètement avoir cueilli fleurs ou champignons (appropriation physique)

De même lors de la marche MESJLV1 effectuée à Saint-Jean-le-Vieux, la partie la plus appréciée située dans les champs était en réalité réalisée sur des espaces privés. Elle n’a été permise que parce que le berger qui nous accompagnait connaissait le territoire, les propriétaires et était lui-même propriétaire d’une partie des terrains. En réalité ce type de marche ne pourrait être rendue publique ni être réalisée souvent puisque les champs ont une réelle valeur utilitaire pour les agriculteurs et leur publicisation pour des cheminements ne pourraient avoir lieu. Les reportages photographies aussi sont très révélateurs de cette pratique d’attention du paysage sur des espaces privés. En effet, à l’instar de la plupart des photographies réalisées par les interviewés, à Bidart comme à Saint-Jean-le-Vieux, les photographies réalisées lors de la marche MESJLV1 (149) s’attardent à porter un regard des paysages sur les prairies détenues par les agriculteurs ou les forêts (qui en réalité relèvent du domaine privé également).