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Les apports de la notion de cheminement aux enjeux de paysages quotidiens et patrimoine paysage sensible

territoire palpable sur un temps court. Cependant, ces enjeux ont fait l’objet de très peu de remarques d’intérêt chez les Donazahartar(e)s qui vivent dans un contexte plus rural. Concernant Saint-Jean-le-Vieux, le manque de dynamique collective locale, contrairement à Bidart, peut aussi expliquer ce phénomène, et notamment la non-tenue de la seconde marche, puisque les personnes interrogées ne souhaitaient pas forcément s’impliquer dans la démarche. Cela peut aussi s’expliquer par le format de la marche, non adapté (bien que la plupart des personnes rencontrées marchent en duo ou en groupe).

Inclure les habitants dans la définition d’un projet mène donc à comprendre la démarche participative comme un processus qui doit inclure l’habitant dans des phases très en amont de celui-ci, bien que la réalité de la disponibilité de l’habitant fait qu’il ne puisse pas forcément suivre tout le processus ou qu’il y ait un risque d’épuisement de la participation. Les difficultés supplémentaires rencontrées à Saint-Jean-le-Vieux pour mobiliser des habitants pour des marches exploratoires peuvent s’expliquer par le simple fait que les enjeux de « paysage » et « patrimoine » y font moins écho aux réalités locales vécues.

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Ainsi la concertation pourrait inclure, dans une certaine mesure, la définition de l’objet et du format de la concertation, permettant ainsi de créer une dynamique locale de mobilisation. Une méthode élaborée sur un territoire défini à une échelle déterminée, ne semble pas pouvoir être répliquée sur d’autres communes. Au-delà d’être un outil, la participation est un processus de co-construction dont il ne s’agit pas de prédéfinir un protocole rigide sur l’objet et les moyens mobilisés. La réalité locale, aussi diverse qu’elle peut paraître à l’échelle communale, implique un protocole défini sur des modes de mobilisation variables et adaptables.

Les apports de la notion de cheminement aux enjeux de paysages quotidiens et patrimoine paysage sensible

Finalement cette étude ne se contente pas de comprendre la sollicitation des sens comme description d’une relation sensible qui s’établit entre l’individu cheminant et le paysage. Elle dévoile un affect aux paysages quotidiens porté par cette multisensorialité, tant sur le plan émotionnel que vivant – au sens de vécu et pratiqué au quotidien. Elle élucide ainsi différents niveaux de perceptions relationnelles entre l’individu et son environnement par la multisensorialité et l’affect. Plus que de comprendre la relation qui s’établit, cette recherche réactualise le paysage comme une création propre résultant de la sensibilité de chacun. Elle

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démontre que les pratiques de cheminements traduisent une recherche de sensations - stimulation sensorielles, émotionnelles, affectives voire sociales - qui guide et oriente ces pratiques. La multisensorialité est envisagée comme un lien, une mise en relief entre l’environnement perçu extérieur et l’état psychologique de l’individu. Elle participe à une forme de poétique du territoire au sens où elle suscite rêverie, expression d’un esprit des lieux.

La notion de cheminement ajoute à la notion de patrimoine l’idée d’une pratique spontanée et informelle qui s’établit par l’expérience immersive de l’individu dans son paysage. La multisensorialité n’est alors pas un élément à catégoriser qui viendrait fournir l’achalandage patrimonial déjà existant. Le cheminement révèle une pratique ordinaire où l’individu est au cœur du processus patrimonial par les représentations qu’il se fait de son environnement et par son attitude de respect, de témoignage, de partage. Le paysage par le cheminement, c’est un patrimoine par l’appropriation. L’élément paysagé acquiert sa qualité patrimoniale par la démarche même du sujet qui reconnait par le simple fait de percevoir, qui se fait témoin par le simple fait d’identifier et enfin qui se fait passeur par le simple fait de partager.

Enfin, cette recherche a permis d’élucider la valeur patrimoniale du paysage (comme héritage et transmission) par son aspect vécu, vivant et faisant parti du quotidien. L’attachement porté au paysage est finalement la résultante de relations dynamiques entre les individus et leur environnement (le milieu habité et éprouvé, convivialité) et entre les individus mêmes (sociabilité). Finalement, il ne s’agissait pas de comprendre comment la sensorialité faisait partie d’une forme de patrimoine, mais plutôt comment la sensorialité exprimait une relation d’attachement, d’affect que l’individu éprouvait à son paysage.

Ce travail est parti du principe que l’individu n’évoquait pas le terme de paysage de manière spontanée, bien que cela ait été le cas à neuf reprises. En effet, nous avons considéré dans cette recherche que tout est paysage, et que tout ce qui est évoqué est paysagé puisqu’il est une portion ou un élément de territoire perçu, éprouvé sensoriellement.

La multisensorialité par l’hodologie a réouvert tout un champ de la psychologie puisque la description des paysages oscillait entre un environnement paysagé et un paysage des émotions. L’interdisciplinarité de la multisensorialité réouvre donc un champ d’investigation qui, particulièrement en milieu urbain pourrait être

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approfondi sur les questions de territoire de proximité et cadre de vie quotidien contribuant au bien-être.

Il s’agirait d’investiguer un peu plus ce que les gens entendent par paysage dans leur quotidien et en quoi cela se rapporte à une expérience propre. Ainsi la notion de paysage ne serait-elle pas obsolète pour parler de ce que les gens expriment de leur cadre de vie quotidien ? Il en serait de même pour la question du patrimoine. S’il s’agit d’évoquer des éléments matériels ou immatériels à transmettre. La notion de patrimoine, en ce qui concerne le paysage quotidien et des pratiques spontanées, n’est-elle pas trop institutionnalisée ou connotée ?

Enfin un dernier volet pourrait être exploré, celui de comprendre les pratiques spontanées et informelles de reconnaissance et de transmission des paysages en dehors de la pratique de cheminement. En effet cette pratique a révélé qu’une forme d’acte ordinaire pouvait contribuer de manière distancée à la reconnaissance des facteurs du paysage comme patrimoine. Il s’agirait alors de comprendre les actions locales, en dehors de toute forme d’institution, qui contribuent à reconnaître un patrimoine paysage sensible, affectif et multisensoriel.

Nous terminerons cette réflexion pour préciser que le point de vue prospectif ici a été brièvement évoqué lors des marches exploratoires à Bidart, et très peu à Saint-Jean-le-Vieux. De plus, une visée aménagiste serait difficile à palper avec les différences de points de vue et parfois contradictions exprimées. Cependant la recherche a mis en avant que la sensibilité aux paysages s’exprime par la rencontre de ce qui pourrait être relégué au détail : ornement, bruit d’oiseau, de l’eau, sensibilité tactile du sol etc. L’attention au paysage doit donc être à plusieurs échelles : de l’échelle territoriale à l’échelle macro. La pensée aménagiste doit aussi être envisagée dans le non-aménagement, comme cela a été exprimé par les habitants, permettant ainsi de reconstruire les notions de patrimoine et paysage par le regard intrinsèque de ceux qui le vivent.

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