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Principales hypothèses et résultats

groupée, a permis le partage et la transmission de cette dimension affective portée aux paysages du quotidien. L’expérience sur les deux communes a révélé des différences dans la manière de partager et de dévoiler sa sensibilité. Cependant cette enquête a certainement révélé que le paysage quotidien par le cheminement relève de dimensions intimes, émotionnelles liées à des réalités psychiques et psychologiques. Son appréciation se construit au-delà d’un regard distancé esthétisant.

Principales hypothèses et résultats

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Le point de départ de l’étude était de s’intéresser aux relations sensibles et patrimoniales des individus aux paysages quotidiens en prenant l’angle du cheminement comme pratique sociale.

Tout d’abord une première hypothèse se penchait sur le contexte précis des terrains d’études, les communes de Bidart et de Saint-Jean-le-Vieux étant marquées par des paysages ordinaires et surtout des paysages identifiés comme remarquables mis en valeur par des parcours aménagés. La diversité des parcours a mis en évidence que les personnes qui cheminent sur leurs communes, aussi bien à Bidart qu’à Saint-Jean-le-Vieux n’empruntent en effet pas seulement les parcours aménagés. D’ailleurs la diversité des profils de personnalités et de marches a permis de couvrir un périmètre très large sur les deux communes, voire quasi-total. En réalité comme nous l’avons vu précédemment, il semble que le parcours soit dirigé en fonction de la configuration de la marche (seul ou accompagné) et d’une sorte de « but » : professionnel (utilitaire), marche seule, marche pour faire découvrir le territoire. Les parcours dirigeant vers les paysages remarquables sont en effet vécus par certains comme des itinéraires quotidiens. Cependant le regard porté aux paysages n’est pas vraiment de l’ordre de la contemplation esthétique mais plutôt de l’opportunité d’une expérience multisensorielle forte, voire émotionnelle, situation où le paysage de l’environnement extérieur et le paysage émotionnel fusionnent.

La seconde hypothèse requestionnait le sens de la vue comme sens perceptif dominant pour comprendre les formes de perceptions sensorielles du paysage quotidien qui s’établissaient par le cheminement.

Plus qu’un rapport monosensoriel, le paysage est raconté par la pluralité des sens qu’il sollicite. En effet, les dominantes sensorielles sont à nuancer en fonction des personnes et des lieux cheminés. Si la vue est fortement sollicitée pour décrire ce

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qui est perçu, les ambiances paysagères sont aussi rapportées par ce qui est senti (le rapport de proximité qui s’établit avec le paysage), entendu (comme nuisance ou bruit propre à un milieu habité) mais également touché (le paysage podotactile, temporel) voire goûté. Ce rapport multisensoriel s’établit par le rapport de la corporéité directe de l’individu cheminant à son environnement. Une dimension corporelle et affective qui peut s’étendre à la dynamique du groupe : par exemple, l’expérience multisensorielle peut être vécue à travers celle des enfants qu’on accompagne, dans le cas d’expériences relatées par des mères de famille (aspect sécuritaire, éveil sensoriel par les animaux rencontrés). La dimension sensorielle n’est donc plus liée à la corporéité individuelle mais à une corporéité générale, comme si le groupe qui cheminait constituait un seul et même corps. De même, chez les agriculteurs, pêcheurs ou chasseurs interrogés, la perception des paysages multisensorielle et affective se construit par l’attitude et les effets sur les animaux - accompagnants ou chassés. Ainsi la construction du paysage est déductive et traduit une sorte de fusion entre le corps de la personne cheminant et les animaux.

Pour dépasser la question multisensorielle comme rapport sensible au paysage et entrer dans le domaine de l’affect, de l’attachement, l’étude s’est attachée à n’employer le terme de « paysage » que si les individus étaient amenés à le prononcer par eux-mêmes. En effet, notre recherche cherchait à comprendre les éléments paysagers, qu’ils soient physiques, sensoriels, relationnels, psychologiques. Ainsi la question de la sensibilité a pu être élucidée au-delà de la notion de sensorialité pour comprendre où l’attention aux paysages se porte et les relations émotionnelles et vivantes qui en découlent. Le paysage est ainsi perçu par ce qu’il procure comme sensation, mais également comme sentiment ou par la manière dont il est vécu au quotidien, tant du point de vue pratique qu’émotionnel.

Notre étude s’est donc ouverte aux perceptions affectives aux paysages qui se comprennent par trois niveaux perceptifs : le paysage cheminé, le paysage éprouvé, le paysage habité. Ces niveaux perceptifs ont permis de mettre en relation expérience multisensorielle du paysage (podoctactile, corporelle, physiologique) et affective (praticabilité, psychologique, historique, identitaire, émotionnel, social) des paysages quotidiens. Ces trois niveaux perceptifs marquent des discours orientés. Certaines personnes paysageront plutôt l’expérience podotactile de leur environnement, d’autre l’expérience physiologique et émotionnelle, et d’autres enfin les rapports de sociabilité permis par le paysage. Ces trois niveaux perceptifs ne s’excluent pas. En effet, si un discours sera majoritairement orienté vers les

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éléments paysagers liés aux milieux habités (faune, flore, lieux de sociabilités), il n’exclura pas des sensorialités corporelles ou podoctactiles. Ainsi, ces niveaux perceptifs se superposent spatialement. Un même lieu n’est pas paysagé de la même manière : pour prendre l’exemple d’un paysage remarquable de falaise, une personne paysagera les sensations corporelles et émotionnelles tandis qu’une autre en paysagera les sensations liées au relief et au sol. Pour prendre le cas d’un paysage ordinaire marqué par les activités agricoles : une personne paysagera les éléments singuliers qui composent cet environnement (maisons, animaux, rencontres) tandis qu’une autre paysagera par exemple l’ambiance sous un qualificatif « agriculture ».

Bien qu’elle soit spontanément évoquée ou explicitée par la grille d’entretien, la sociabilité occupe une place non négligeable dans la perception des paysages, surtout chez les jeunes et les familles qui cheminent. Elle est tantôt évoquée comme possibilité rendue par le paysage, tantôt comme élément paysager.

Notre hypothèse de départ prenait le point d’arrêt, lié à un point de vue paysager, comme lieu qui appelle à de nouvelles pratiques locales de sociabilité. Cette étude a mis en évidence que certains points d’arrêts lors des cheminements pouvaient générer des situations de convivialité, pas nécessairement liées à des formes de sociabilité notamment dans le cadre de pratiques individuelles. Ces points d’arrêts ne sont pas nécessairement liés à une situation avec un panorama paysager, bien que la plupart le soient. Ils sont établis de manière spontanée sur des lieux aménagés ou non (situation en bord de route). Cependant ils sont surtout liés à la perception d’une ambiance paysagère qui favorise cette situation, qu’elle soit de l’ordre de la convivialité ou de la sociabilité. Ainsi l’expérience sensible individuelle d’un paysage influe sur des formes de sociabilité qui peuvent s’y produire, bien qu’elle relève de réalités et de degrés différents en fonction des individus.

L’étude a particulièrement révélé, lors des marches exploratoires, que la convivialité et la sociabilité pouvait également s’établir pendant le cheminement même. En effet, les typologies de chemins et d’ambiances paysagères étaient propices à des échanges ou des dynamiques de groupes propres à ces mêmes notions de convivialité (également individuelle) et de sociabilité.

Cette notion de pratique sociale a permis de comprendre la sensibilité au paysage dans la possibilité qu’elle permet pour l’individu de pouvoir s’approprier son environnement, aussi bien mentalement que physiquement. Et cette notion

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d’appropriation a soulevé les enjeux de partages du paysage et de superpositions de pratiques de cheminement, parfois conflictuelles.

Enfin notre étude a cherché à comprendre les relations patrimoniales qui s’établissaient entre les individus et le paysage. Une hypothèse initiale considérait que les perceptions des paysages et les pratiques de sociabilité traduisent des rapports patrimoniaux spontanés aux paysages quotidiens.

Par le cheminement, les relations qui s’établissent avec les paysages quotidiens permettent d’élucider un certain nombre de valeurs qui sont attribuées au paysage. Cependant l’attachement qui est porté aux paysages du quotidien se porte davantage sur l’émotion éprouvée par le paysage et le vécu qu’il permet. Ainsi ces deux notions « patrimonialisent » le paysage puisque le cheminement devient essentiellement le temps du témoignage d’un ressenti, d’un vécu individuel ou collectif du paysage. D’ailleurs la narration du vécu paysager tend à créer des formes de mythes locaux.

Cependant l’étude a permis de mettre en avant une autre dimension de la question du patrimoine via le cheminement qui n’avait pas fait l’objet d’une hypothèse. En effet, le cheminement est une pratique sociale qui fait elle-même l’objet d’une transmission comme l’opportunité d’établir une relation sensible au paysage. Finalement ce qui fait patrimoine, au-delà de l’expérience vivante et émotionnelle du paysage, c’est l’idée de valeurs et de pratiques d’éveil et de respect vis-à-vis de son environnement. Le paysage est finalement une création de ce qui individuellement ou collectivement résulte d’une relation entre l’individu et son environnement.

Entre enjeux territoriaux et enjeux locaux, les réalités de la méthode participative

Les motivations qui ont mobilisé le CAUE et le CDPB autour de ma recherche, ce sont les outils participatifs que j’ai mis en place, testés sur une commune et répliqués sur une autre. En effet, aujourd’hui, autant les secteurs publics que privés s’arment pour faire à face à une vogue participationniste qui a progressivement fait sa place sur les enjeux de construction et développement du territoire.

Le 10ème principe de la déclaration de Rio de 1992, « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient » identifie la participation de la société civile

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comme un enjeu international. Ce principe sera mis en œuvre par la convention d’Aarhus ratifiée en France en 2002.

La vogue « participationniste » sera initiée en France dès les années 80 par le développement de politiques dites « procédurales » qui portent sur « l’organisation de dispositifs locaux destinés à assurer des interactions cadrées, des modes de travail en commun et la formulation d’accords collectifs » (Lazzeri et al., 2015). La succession de lois - loi d’orientation sur la ville de 1991, loi sur l’administration territoriale en 1992, loi Barnier de 1995 qui met en place la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) - poseront les principes de l’information, de la consultation et de la concertation avec les habitants. Enfin les années 90 sont marquées par la loi Voynet de 1999 qui met en place les conseils de développement, la loi SRU de 2000 qui prévoit l’obligation de la concertation dans l’élaboration de PLU, la loi Vaillant de 2002 qui impose la création de conseils de quartiers dans les villes de plus de 80 000 habitants et enfin la loi Grenelle 2 de 2010 qui insiste sur l’accès du public à la participation ainsi qu’à de « nouvelles formes de gouvernance favorisant la mobilisation de la société par la médiation et la concertation » (Lazzeri et al., 2015).

En ce qui concerne les enjeux de paysage ; la CEP36, dans son article 5, encourage les démarches de décisions participatives avec l’énonciation d’une obligation des parties à mettre en place ces procédures.

Aujourd’hui on assiste à une hétérogénéité des formes participatives tant sur la forme, sur l’ancrage, sur le sujet que sur les outils mis en place, les temporalités, les échelles ou encore les acteurs concernés.

La participation peut en effet relever de réalités très contrastées et de fait, de nombreux chercheurs comme Rowe et Frewer (2000) Fung (2003) Beuret, Beltrando et Dufourmantelle (2006) (cités par Lazzeri et al. , 2015) - se sont penchés sur l’évaluation des processus de participation. Lazzeri et al. proposent l’élaboration d’un outil de réflexion pour comprendre l’impact de la participation sur les effets directs et indirects dans un contexte local. Les modes d’évaluation

36 Convention Européenne du Paysage a été adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe à Strasbourg le 19 juillet 2000 et a été ouverte à la signature des Etats membres de l'Organisation à Florence le 20 octobre 2000.

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permettent à la fois de comprendre les conditions de réussite ou non d’un projet par la participation, mais également d’en définir des grands enjeux.

Un des grands enjeux de la participation réside dans la définition du « comment » et « jusqu’où » mobiliser les citoyens, et notre recherche est un éclairage sur les écueils que peut présenter ce type de démarches (Lazzeri et al. 2015).

Sur la question du « comment », la recherche a proposé un protocole qui développait une pluralité d’outils. Cependant, ces outils avaient été réfléchis en amont avec le groupe des Nouveaux Commanditaires à Bidart pour une étude basée sur leur commune. Aussi, il peut y avoir des différences observées entre les formes expérimentales de participation auxquelles les Bidartar(e)s sont enclins et celles avec lesquelles les Donarzahartar(e)s se sont sentis à l’aise.

Sur la question du « jusqu’où », l’étude a duré 6 semaines par commune. Il n’a pas été si simple de remobiliser les habitants entre l’entretien et la participation à une marche exploratoire. En effet, l’enquête se basant sur un entretien en premier lieu, les habitants sont dans une optique d’accorder ponctuellement leur temps plutôt que d’être inclus dans un projet de réflexion à plus long terme dans lequel ils s’engageraient. C’est pour cela que le groupe des Nouveaux Commanditaires est mobilisé, comme un groupe qui s’est fédéré autour d’un intérêt commun, tandis que mes interviewés sont des personnes prêtes à répondre à des questions dont j’ai défini le sujet. Ce dernier entre plus ou moins en résonnance avec leurs préoccupations actuelles concernant leur cadre de vie, leur territoire. La période pendant laquelle s’est déroulée cette étude (mai-juin 2021), qui a amené des contraintes très particulières, a également joué dans la difficulté de la prise de rendez-vous (confinement, reprise des activités très rapide avec la saison estivale).

Par la différence entre l’intérêt que suscitait ma recherche à Bidart et à SaintJean-le-Vieux, j’apporterai deux nouvelles questions à se poser concernant les dynamiques participatives que sont : le « sur quoi » et le « quand ». Ces deux questions sont en réalités très liées.

En effet, dans la définition d’un projet qui mobilisera une démarche participative, l’enjeu du projet même doit faire l’objet d’une concertation. Les questions de « patrimoine » et « paysage » ont réellement intéressé les Bidartar(e)s par les réalités vécues au quotidien liées à la pression foncière, à la transformation rapide des terres en zone périurbaine et finalement à une dynamique évolutive du

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