JARDINS D’ARTISTES Jackie Bennett
Sources d’inspiration & lieux de vie des plus grands peintres
Paul Cézanne Aix-en Provence, France
A
cclamé par les peintres de son époque pour son style original et son immense talent, Cézanne nous a laissé de merveilleux paysages inspirés par le jardin de son père et la campagne aux environs d’Aix-en-Provence, sa ville natale. Cézanne est un innovateur, qui a dépassé les limites de son art et se démarque des nombreux autres peintres talentueux de son temps. Il n’a jamais adhéré à un mouvement ou à un genre précis, mais a toujours suivi sa propre voie, en Provence ou à Paris. Claude Monet, chef de file des
ci-dessus : Cet Autoportrait (1895) de Cézanne à 55 ans est l’un des nombreux peints par l’artiste au cours de sa carrière. page ci-contre : Le Jas de Bouffan ou Le Bassin (1876) dépeint la maison et les extérieurs de la propriété du père de Cézanne, qui y fera construire un atelier pour son fils.
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Paul Cézanne (1839-1906) Paul Cézanne, l’un des peintres les plus cotés à l’heure actuelle, est souvent considéré comme un néoimpressionniste. En fait, il se situe à la charnière entre
impressionnistes, possédait plus de tableaux de Cézanne que de tout autre peintre. Il a peint avec Camille Pissarro, son grand ami tout comme Pierre-Auguste Renoir, avec qui il a longtemps correspondu. Paul Cézanne, pour résumer, était le peintre des peintres.
les impressionnistes — comme Monet, Renoir et Pissarro, qu’il connaissait bien — et les peintres modernes tels que
LA JEUNESSE
Matisse, George Braque et Picasso. Il passe sa jeunesse
Né à Aix-en-Provence, Paul Cézanne a pour père un chapelier reconverti dans la banque. Il grandit au milieu des pinèdes et du maquis provençal, où il joue en compagnie d’Émile Zola, le futur écrivain. Les paysages provençaux, et en particulier les oliviers, les pins, les pistachiers et les arbres fruitiers, jouent un rôle particulier dans sa vie et ils ne cesseront de l’inspirer tout au long de sa carrière. En 1859, alors que Cézanne a 20 ans, son père achète une belle propriété aux environs de la ville, le Jas de Bouffan. Louis Auguste Cézanne a décidé que son fils étudiera le droit, mais Paul a d’autres projets. Il abandonne ses études au bout de 2 ans et part à Paris, où il fait la connaissance de peintres pleins d’avenir. Cézanne père, s’il est déçu que son fils préfère la peinture, l’autorise néanmoins à se consacrer à son art et lui verse une pension. Cette indépendance financière permet à Cézanne de faire la navette entre Aix et Paris où, chaque année, le jury du Salon refuse ses tableaux.
à Aix-en-Provence, puis part vivre et travailler à Paris à 20 ans, mais reviendra sans cesse dans sa ville natale. Plus tard, Cézanne s’installe définitivement en Provence, où son atelier devient un lieu de pèlerinage pour ses confrères. Pourtant, malgré son talent, aucune exposition personnelle ne lui est consacrée avant ses 56 ans. Les critiques le sous-estiment souvent, mais il ne doute jamais de son talent. Et alors que son père le dit « sans profession », ses confrères l’admirent au plus haut point et font des pieds et des mains pour peindre en sa compagnie et recevoir ses conseils. Ses sujets étaient régionaux — les habitants et les paysages de Provence —, mais son influence allait s’étendre au monde entier, bien au-delà des frontières de son pays natal.
AU JAS DE BOUFFAN
Autoportrait à la palette (c. 1890).
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À Aix, le père de Cézanne s’initie à la vie de propriétaire terrien, après avoir acquis 15 hectares autour de sa maison pour la somme de 85 000 francs. Des prairies, des champs cultivés et une ferme complètent désormais cette demeure du xviiie siècle. Les tableaux du Jas de Bouffan qui nous sont parvenus donnent une bonne idée des jardins à l’époque. Aménagés au xviie par le maréchal de Villars, ils ont été embellis au milieu du siècle suivant par Gaspard de Truphème, qui construit le bassin et l’orangerie dominant la pièce d’eau. Une avenue bordée de marronniers conduit à la maison où vit la famille. Monsieur Cézanne emploie des paysans et des jardiniers pour entretenir les jardins et les bâtiments agricoles au Jas de Bouffan, même s’il est établi que le jas lui-même était en assez piteux état. Son fils Paul trouve un refuge à la bastide du Jas de Bouffan, où il récupère après les émotions de la vie à Paris.
ci-dessus : Cézanne père achète en 1859 une élégante propriété, le Jas de Bouffan, et de belles terres, symboles de sa réussite sociale. ci-contre : La Maison du Jas de Bouffan (1876-1878), tableau où l’on aperçoit la maison entourée des jardins paisibles où l’artiste trouvera refuge.
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y conservait — la plupart des œuvres de ses débuts, qu’il ne voulait peut-être pas non plus voir apparaître sur le marché de l’art.
LES HISTOIRES DE FAMILLE
Son travail révèle son attachement aussi bien au paysage qu’aux gens — il peint les jardins, mais aussi les fermiers qui poseront plus tard pour l’une de ses séries les plus célèbres, Les Joueurs de cartes (1890-1895). Pour démontrer son talent à son père (et sa vocation d’artiste), Cézanne décore les murs du grand salon, un projet auquel il consacre une dizaine d’années, sinon plus. Le cycle le plus impressionnant se compose de panneaux sur le thème des Quatre saisons qui encadrent un portrait de son père, peints pour une pièce circulaire. Son père s’y montre sensible, puisqu’il lui fait construire un atelier au dernier étage, éclairé par une grande baie au nord, qui interrompt l’avancée de la toiture. Au cours des 30 années suivantes, Cézanne livrera quelque 36 toiles et 17 aquarelles de la maison de son père, de ses jardins, du bassin, des statues et de l’allée de marronniers. Pourtant, nous ne connaîtrons jamais l’œuvre peinte au Jas de Bouffan dans sa totalité. À la vente de la maison, en 1899, Cézanne est tellement désespéré qu’il fait un autodafé dans le jardin et brûle toutes les toiles qu’il
À Paris, Cézanne a rencontré Marie-Hortense Fiquet, une couturière qui pose pour les peintres, et en est tombé amoureux. Il vit avec elle à Paris sans en dire un mot à son père et, en 1872, elle lui donne un fils, qu’ils baptisent Paul. Madame Cézanne est au courant de la liaison, mais ne trahit pas le secret, de peur que son mari ne coupe les vivres à son fils. Cézanne commence à peindre avec son ami Camille Pissarro à Pontoise, non loin de Paris, et à Auvers-sur-Oise, près de là où Cézanne, Hortense et le petit Paul vivent un temps. Cézanne exposera les tableaux qu’il peint là en plein air avec des œuvres de Monet et d’autres artistes aux première et troisième expositions des impressionnistes, en 1874 et en 1877. Mais il n’appartiendra jamais vraiment à ce groupe dissident et poursuivra dans sa manière si originale.
page ci-contre : L’Avenue au Jas de Bouffan (1881) évoque l’allée bordée de marronniers qui conduit à la maison. ci-dessus : Cézanne a fait poser les ouvriers agricoles de son père pour Les Joueurs de cartes (1890-1895), dont il a livré plusieurs versions. ci-contre : Madame Cézanne dans la serre (1891). Après la mort du père de Cézanne, qui n’avait pas approuvé son mariage, Hortense Fiquet s’installe au Jas de Bouffan.
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LES PAYSAGES QUI ONT MARQUÉ CÉZANNE
en haut : Le Golfe de Marseille vu de l’Estaque (c. 1885). Cézanne aimait ce petit port de pêche, où sa mère possédait une maison. Les toits rouges et la mer bleue l’enchantaient. ci-dessus : La Carrière de Bibémus (1895), où Cézanne avait loué un bastidon (cabane de pierre), afin de peindre les rochers rouges et la végétation. page ci-contre : Les Lauves, photographiées en 1935.
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C’est vers cette époque que Cézanne se met à peindre la montagne Sainte-Victoire, que l’on aperçoit d’un peu partout aux environs d’Aix. Il revient sans cesse sur ce motif, pendant des années, et parcourt la campagne provençale à la recherche du point de vue idéal. En 1882, Renoir vient rejoindre son ami dans la maison où madame Cézanne passe l’été, à l’Estaque, un village au bord de la mer près de Marseille. L’été suivant, Renoir et Monet l’accompagnent dans un périple en Provence, où Cézanne, qui peut marcher des kilomètres en portant son chevalet et sa boîte de peinture, est devenu légendaire. Un peu partout, aussi, il dispose d’étapes, parfois des cabanes, où il abrite les toiles et le matériel nécessaires pour une journée de peinture. Ses contemporains se souviennent qu’il peignait avec lenteur et faisait souvent des pauses (qui paraissaient interminables aux confrères qui travaillaient avec lui) entre chaque touche, afin de trouver l’effet juste.
Cézanne, à côté du maquis, des pinèdes et de la mythique montagne Sainte-Victoire, s’enthousiasme pour un nouveau motif, la carrière de Bibémus. Cette colline romantique située aux environs d’Aix a été formée par la collision de deux plaques tectoniques au Jurassique. La carrière, déjà exploitée par les Romains, a fourni jusqu’au début du xixe siècle le grès et l’argile qui ont servi à construire la ville d’Aix. Enfant, Cézanne avait entendu parler des célèbres carrières de Bibémus, mais plus tard le peintre devait les redécouvrir presque abandonnées, reconquises par la nature et parsemées de pins et de genêts qui avaient poussé au hasard. À Bibémus, Cézanne loue un bastidon (une maisonnette en pierre) où il peint onze huiles et seize aquarelles du site sur une période d’environ 5 ans. Il est généralement admis que ces œuvres, notamment La Carrière de Bibémus (1895), mais aussi les vues de l’Estaque, sont à l’origine du cubisme et ont inspiré les peintres de la génération suivante, tel Georges Braque.
LA MATURITÉ AUX LAUVES Après une liaison turbulente avec une autre femme, Cézanne retourne finalement vers Hortense et l’épouse en 1886, l’année où il perd son père. Les époux sont désormais les bienvenus au Jas de Bouffan, où vit sa mère. Cependant, les rapports entre Cézanne et Hortense se détériorent dans les dernières années du siècle et elle finit par le quitter, emmenant leur fils Paul avec elle. À cette époque, Cézanne mène une vie de nomade et se partage entre le Jas de Bouffan et ses cabanes et autres repaires. Le Château Noir, à la sortie d’Aix, est l’un de ses sites favoris et il y loue une chambre. Cet édifice néo-gothique — construit au xixe siècle mais censé ressembler à une ruine gothique — intrigue Cézanne. Il le peint plusieurs fois, ainsi que ses environs, comme Le Pistachier dans la cour du Château Noir (1900). Après le décès de la mère de Cézanne, en 1897, ses enfants se voient contraints de vendre le Jas de Bouffan (pour une somme légèrement inférieure à ce qu’avait versé le père). L’artiste et ses deux sœurs se partagent le produit de la vente. Le 16 novembre 1901, Cézanne acquiert un terrain de 7 000 m2 longeant le chemin des Lauves, un coin perdu au nord d’Aix. À 62 ans, résolu à vivre seul, il décide de se faire construire un atelier au milieu des paysages qu’il aime.
Le domaine des Lauves, installé sur une colline orientée au sud, est couvert d’oliviers, d’arbres fruitiers et de figuiers et tourne le dos au canal du Verdon. Cézanne, séduit par la vue imprenable sur la montagne Sainte-Victoire, décide de s’y faire bâtir une maison toute simple. L’entrepreneur, qui se méprend sur les désirs de son client, ajoute quelques fioritures. Horrifié, le peintre fait détruire le balcon et l’ornementation pour ne garder qu’un bâtiment simple et rustique, qui répond à ses besoins et à son sens de l’esthétique. Si le terrain n’a coûté que 2 000 francs, le chantier, qui dure 10 mois, lui revient à 30 000 francs. La nouvelle habitation comporte deux pièces au rez-de-chaussée, une cuisine et un petit bureau. À l’étage, l’atelier est inondé par la lumière qui entre par les ouvertures au sud et au nord. Cézanne s’installe aux Lauves en 1902 et déclare à tout le monde qu’il y travaille bien mieux qu’en ville. Tous les matins, il quitte son appartement de la rue Boulegon à Aix à 6 h 30, marche jusqu’aux Lauves et ne rentre en ville que pour dîner et dormir. Dans le verger, il est un arbre que Cézanne aime particulièrement, un vieil olivier, dans la cour, qu’il a entouré d’un muret pour le protéger pendant les travaux. Il attribue à cet arbre des qualités spirituelles, le touche, lui parle et l’embrasse même, le soir, quand il repart. C’est pour lui un vieil ami et il souhaiterait être enterré à son pied.
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Cézanne, très satisfait des Lauves, y a peint une bonne partie de ses plus beaux tableaux, comme Les Grandes Baigneuses, ses dernières natures mortes, plusieurs paysages de la montagne Sainte-Victoire vue du bas de la propriété et quelques aquarelles du jardin et de sa terrasse. Il n’avait pas la force de s’occuper du jardin, mais il aimait ce cadre où il pouvait peindre en toute tranquillité. Son jardinier, Vallier, qui soignait les oliviers et les figuiers, a posé pour l’un des plus remarquables portraits de Cézanne. Dans ses dernières lettres, le peintre racontait à quel point il était triste que ce portrait lui prenne tant de temps. Le jardinier, quant à lui, se plaignait des poses interminables pour ce tableau et pour plusieurs autres, qui ne lui laissaient plus le temps de travailler. La dernière randonnée picturale de Cézanne devait le conduire à quelques centaines de mètres de son jardin, au Cabanon de Jourdan (1906). La même année, en octobre 1906, il est surpris par un orage et ramené à Aix inconscient, dans une charrette. Le lendemain, toujours mal en point, il retourne à pied à son atelier, s’assied sous un tilleul et travaille à un portrait de Vallier. Quelques jours plus tard, il succombe à une pleurésie.
« Maintenant, je dois rester seul : la roublardise des gens est telle, que jamais je ne pourrais m’en sortir […] ; et pourtant la nature est très belle ! ». paul cézanne, 1905 ci-dessus : Vallier, le jardinier des Lauves qui a posé pour Homme assis (1905-1906), s’est occupé de Cézanne vers la fin de sa vie. ci-contre : La Terrasse des Lauves (1902-1906). Cézanne faisait souvent des aquarelles préparatoires, avant de traiter un sujet à l’huile. page ci-contre : L’atelier de Cézanne aux Lauves, où sont conservés ses carnets, ses accessoires et son mobilier.
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VINCI AU CLOS LUCÉ, LES IMPRESSIONNISTES À GIVERNY, RENOIR AU JARDIN D’ESSOYES, DALI À PORTLLIGAT, CÉZANNE À AIX-EN-PROVENCE, FRIDA KAHLO À COYOACAN, KANDINSKY AU JARDIN DE MURNAU, RUBENS À ANVERS, LES PRÉRAPHAÉLITES AU MANOIR DE KELMSCOTT, LES PEINTRES DE SKAGEN, DE CHARLESTON… Ce livre propose un voyage à la découverte des jardins, ateliers, maisons où de grands artistes ont vécu et peint. Tous ces peintres, seuls ou en groupe, ont puisé leur inspiration dans cette activité
CE LIVRE PROPOSE UN VOYAGE À LA DÉCOUVERTE consistant à faire pousser des fruits, des légumes, des fleurs. DESAlliant JARDINS, ATELIERS, MAISONS jardinage et peinture, ils ont transposé sur leurs toiles OÙ DE GRANDS ARTISTES ONT VÉCU ET PEINT le végétal et ont imprégné leurs jardins de leur esprit créatif. Se promener aujourd’hui dans ces 20 jardins, tous ouverts à la visite, apporte un éclairage puissant sur leur vie et leur œuvre.
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