Grain de sable (Ed. Favre, 2025) - EXTRAIT

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Suzette Sandoz Grain de sable

Préface d’Ariane Dayer

Éditions Favre SA

29, rue de Bourg

CH-1003 Lausanne

Tél. : (+41) 021 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com

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CH-1720 Corminboeuf

Dépôt légal : octobre 2025

Tous droits réservés pour tous pays.

Sauf autorisation expresse, toute reproduction de ce livre, même partielle, par tous procédés, est interdite.

Mise en page : SIR

ISBN : 978-2-8289-2315-0

© 2025, Éditions Favre SA, Lausanne, Suisse

Les Éditions Favre bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2020-2025.

Préface d’Ariane Dayer

Grain de sable

Préface

Il lui arrivait de recoudre un bouton. Comme ça, pour rien, juste pour dépanner un collègue de session. Parce qu’elle sait le faire, comme beaucoup d’autres choses, et qu’elle n’y voit ni connotation servile ni restriction de la définition de soi. Bien trop libre pour imaginer que quoi que ce soit puisse l’enfermer dans une étiquette. Entre deux rédactions de lois, entre deux combats politiques, entre deux tirades fougueuses au micro du Conseil national, elle prenait le temps de faire cela, recoudre le bouton d’un camarade.

Quand Suzette Sandoz est apparue dans ma vie, j’avais 27 ans, une tonne de certitudes, d’impatiences et de visions en noir et blanc. Dans la forêt touffue du monde parlementaire, il était plus facile, pour une jeune correspondante au Palais fédéral, d’avancer armée d’une boussole manichéenne. Et puis, soudain, cet oiseau exotique… Coloré, bavard, sautillant, un peu perché mais toujours pertinent. À peu près aucune position politique qui ne corresponde aux miennes mais une façon de les défendre avec une telle foi libérale, une telle compétence sans affectation, une telle détermination joyeuse que cela donnait une leçon pour la vie : le féminisme tient aussi à admirer les femmes qui ne pensent pas comme soi.

Suzette Sandoz a ce talent, elle est désarmante. Une colonne vertébrale en acier chromé dans ses options politiques, mais une manière de les défendre féline, fluide, toujours dans l’élégance et le respect de l’autre. Sans agres-

sivité ni attaque personnelle. Europe, AVS, climat, égalité, Covid, langage inclusif, elle plante des drapeaux cinglants dans le débat, jamais masquée, jamais pleutre. Elle ne le fait pas par goût de la posture, juste par conviction. Elle est simplement claire, et ses positions sont portées par un goût du verbe, un talent d’écriture qui tranchent sur la mollesse ambiante. On l’écoute ou on la lit parce qu’une chose est garantie : on va passer un moment peu banal. La langue sera belle, les trouvailles multiples, et surtout – ô oui surtout – le rire sera au rendez-vous.

Parce qu’elle est drôle, Suzette Sandoz ! Le sens de la formule, une passion pour La Fontaine, un appétit jamais rassasié pour les farces de petite fille. Elle se présente toujours vêtue de sourire ou de ce rire perlé et aigu qui la distingue. Chez elle, la gaité est une politesse, une pudeur aussi. C’est sans doute cet appétit pour les cocasseries de la vie qui la préserve de la noirceur apocalyptique à laquelle mènent souvent les positions conservatrices. Aucun pessimisme ni amertume, pour Suzette Sandoz tout est plaisanterie potentielle. La joie est toujours au bout de la rue, qu’elle sait transformer en fable hilarante : les panneaux de signalisation de sa ville, les vélos de Lausanne, la pie de son jardin ou la souris de sa cave, l’aspirateur à feuilles mortes, le retard du train qu’elle avait pourtant pris en avance. Comme Miss Marple, elle est curieuse de tout, et sait que le particulier est toujours exemplaire. Que St. Mary Mead ou Pully sont les nombrils du monde.

L’absurde lui-même, qu’elle sait pousser à l’extrême, est un émerveillement. Elle imagine Blanche-Neige empêtrée dans le Covid, une mouche à miel en quête d’identité dans le débat du genre, et se délecte du potentiel délirant du compostage humain ou de l’alimentation de demain. Sa créativité fofolle donne le tournis.

Dans une époque clivée où tout semble mener à la rupture, Suzette Sandoz fait figure d’antipoison. Même quand elle

provoque un désaccord, elle sait créer du lien. On n’est pas forcément d’accord mais on est bluffé, engagé au dialogue. Et tenté de déposer à ses pieds des gerbes de tendresse.

Biographie

Il fallait être de nature optimiste, en 1941, pour concevoir un enfant ! Je suis donc née en janvier 1942 dans une famille optimiste. C’était une sacrée chance.

Mon père, jeune officier de carrière, était sous les drapeaux. Ma mère, jeune mère au foyer, était, comme le sont les mères au foyer, chef d’entreprise, à cette époque en particulier où l’on n’avait encore ni réfrigérateur, ni machine à laver le linge ou la vaisselle, ni aspirateur, ni chauffage à mazout, où l’on faisait conserves et confitures à la maison, où aucun pizzaïolo ne vous apportait un plat chaud à domicile. Mais nous vivions, avec mes grands-parents maternels, dans une merveilleuse maison du XVIIIe siècle au pied de la colline du Languedoc, à Lausanne, avec un très grand jardin. Le plan Wahlen y avait été largement honoré. D’où l’habitude –  indécrottable – de manger des fruits et des légumes frais à chaque repas et des « conserves maison » en hiver, bien avant que les « docteurs santé » modernes nous fassent la morale !

Les vieilles maisons ont une âme. La nôtre en particulier. Cette âme m’habite toujours bien que nous ayons déménagé en 1957 pour les vignes de La Conversion sur Lutry où mes parents avaient fait construire une villa « moderne », un peu moins spacieuse, avec un jardin moins grand et une vue superbe. Lac et montagnes ont aussi une âme, mais elle est trop grande pour vous habiter. C’est vous qui vous y perdez.

Que d’années de bonheur ! Un « petit frère », né en 1946, et une « grande sœur », en fait une cousine germaine, née en 1936, orpheline, élevée par mes parents, donc ma sœur.

Toujours de la vie, du va-et-vient ; l’hospitalité était la règle absolue. Amis de toutes les générations, cousins, cousines, oncles, tantes – la famille de ma mère comme celle de mon père étaient vastes, nous avions de la place.

Côté scolaire, tout baignait. Je fréquentais une école privée, Mont-Olivet, pensionnat catholique de jeunes filles à Lausanne, grâce à laquelle j’ai réussi la Maturité fédérale.

Des études de droit et le début de la vie « politique », en pleine « guerre froide »

Depuis l’âge de 12 ans, j’avais décidé que je ferais du droit et mes parents, modernes, ne m’en ont jamais ni découragée ni empêchée. À ma détermination, deux motifs : un grand-oncle adoré, avocat, et la découverte que les auteurs du « Grand Siècle », que nous étudiions alors à l’école et que j’admirais, avaient pratiquement tous fait du droit. Donc, pas de discussion, l’avenir était clair. À vrai dire, j’étais moins attirée par la défense de la veuve et de l’orphelin que par la maîtrise de la langue écrite et orale que le droit semblait assurer. Nous étions en 1960, en pleine « guerre froide » et « menace communiste ». À l’Université, le « Mouvement démocratique des étudiants », d’obédience communiste, faisait toute la propagande possible. Deux ou trois de mes collègues étudiants, irrités, lancèrent un petit journal « Uni-action », qui tournait le communisme en bourrique et proposait des réflexions politiques sur les sujets d’actualité. Enchantée par le premier numéro, j’en félicitai les auteurs qui me proposèrent aussitôt d’y tenir une rubrique un peu « moqueuse » : « Zozologie ». Et me voilà « entrée en politique ». Je dois à mes camarades des expériences fantastiques, des rencontres

passionnantes, y compris d’ailleurs avec Suzanne Labin, socialiste française remontée contre les communistes, avec Jeanne Hersch, très critique envers la réforme de l’enseignement importée de France sous l’influence de la gauche communiste. Mes camarades invitaient des conférenciers intéressants (dont j’ai malheureusement oublié les noms) ; ces amis étaient pleins d’idées et je leur dois énormément.

Et puis soudain, au printemps 1962, l’URSS décide d’organiser son traditionnel « festival de la jeunesse et des étudiants pour la paix et l’amitié » à Helsinki, soit, pour la première fois, en dehors de l’URSS. Cet événement n’avait pas manqué d’intéresser chez nous certains mouvements de nature libérale, dont la SDES (Société pour le développement de l’Économie suisse) qui organisa la mise sur pied d’un petit groupe d’étudiants suisses (une vingtaine), connus pour leur intérêt politique non communiste, afin de les envoyer « en cinquième colonne » à Helsinki. Il faut préciser en effet que la Finlande n’avait pas apprécié l’initiative soviétique, que la population s’était manifestée contre et que l’on pouvait encore craindre quelques troubles. Une vingtaine d’étudiants passionnés de politique anticommuniste pourraient devenir une fameuse source d’information.

Au début d’août, nous voilà donc sur notre départ pour Helsinki, dans deux petits bus VW conduits alternativement chacun par deux étudiants. Nous sommes munis individuellement d’une carte de presse remise par un « vrai » journal à qui nous devions faire parvenir dans la mesure du possible un ou quelques articles sur le Festival. Je représentais la « feuille d’Avis du Valais » à qui j’ai pu faire tenir à mon retour, un long article sur l’expérience vécue et qui l’a publié. Mais je ne l’ai pas gardé.

Quelle expérience passionnante ! Nous étions logés chez l’habitant, dans des familles opposées au communisme et dont nous ne devions pas parler ni donner le nom, car elles craignaient des représailles. L’atmosphère générale en ville était

À la bonne publicité

Pour le Salon de l’auto :

La femme d’affaires futée choisit la voiture qui lui tamponne le nez quand elle éternue au volant !

Pour le journal du tourisme gastronomique :

Au Café œcuménique, demandez la spécialité du chef : les pieds de porc halal.

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Pour la Saint-Valentin :

Offrez à votre lapin préféré des carottes en forme de cœur.

Dans la newsletter de la SPA :

Quand votre chien donne la patte, tendez-lui la main.

Dans la feuille des conseils aux jeunes mères :

Si votre bébé hurle la nuit, offrez-lui un Snickers ! « C’est pas lui quand il a faim ».

Au centre de la mobilité douce :

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Enrichissez votre piercing nasal d’une puce pour mieux flairer la piste de votre vélo volé.

Pour votre campagne électorale présentielle :

Choisissez la brosse à dents « la Carnassière ».

Petite annonce de la RTS1 :

En vue du renouvellement de l’équipe des Beaux parleurs, la RTS1 cherche belle couvée de canards muets.

Le 27 mai 2018

À la recherche du mâle alpha

La philosophie antispéciste dont les journaux nous ont largement informés ces derniers temps, notamment grâce au salon de l’agriculture à Beaulieu, est la cause de mes insomnies et de mes douloureuses interrogations politiques récentes.

Les mammifères que nous sommes, s’ils vivent en communauté, ont en général à leur tête un mâle alpha, éventuellement un couple alpha, mâle et femelle, voire une matriarche. Et il ne s’agit pas de désobéir aux alphas ni à la matriarche ni de prétendre leur voler leur place. Ce n’est qu’un éventuel combat ou un décès qui permettra un changement.

Dans nos communautés nationales, communautés de mammifères, je vois bien qui est le mâle alpha en France ou aux États-Unis, la matriarche en Allemagne, mais je ne sais pas s’il y a une vraie femelle alpha en France ou en Amérique, ni s’il y a un couple alpha quelque part en Allemagne. Et puis, en Espagne, qui est le mâle alpha, le président ou le roi ? En Grande-Bretagne, la reine est-elle la matriarche ? Et n’y a-t-il pas, à cause du Brexit, une femelle alpha en voie d’affaiblissement ? A-t-elle un mâle alpha en perspective pour s’accoupler et assurer la survie de la harde ? Ces questions sont angoissantes, vous l’avouerez.

Mais le pire de mes soucis, c’est la recherche de l’animal ou du couple alpha dans nos régimes collégiaux, tant cantonaux que communaux et fédéral.

Ah ! La vie était si simple quand on se savait différent des animaux !

Le 21 janvier 2018

Autre temps, autres mœurs !

Autrefois, quand on apercevait de loin un de ses créanciers, ou sa belle-mère, ou encore son directeur, il arrivait que l’on changeât vite de trottoir pour ne pas risquer de devoir les saluer. C’était évidemment très mal élevé mais on espérait que les intéressés n’auraient pas remarqué le manège.

Aujourd’hui, si on change de trottoir quand on aperçoit quelqu’un venant vers soi, on passe pour respectueux de l’autre et attentif à sa santé.

Autrefois, quand on refusait de serrer la main de quelqu’un, on était traité d’islamiste ; aujourd’hui, si vous serrez des mains, vous êtes soit un Premier ministre britannique, soit un citoyen européen désobéissant.

Autrefois, quand on évitait de devoir donner la bise à Pierre, Jacques et Jean, on passait pour snob, hautain ou pisse-froid.

Aujourd’hui, on reçoit la médaille du parfait petit confiné.

Autrefois, quand on croisait quelqu’un dans la rue et si par hasard il n’était pas en train de confier sa vie privée à un smartphone, il arrivait qu’il réponde à votre sourire, voire à votre bonjour.

Aujourd’hui, si par hasard vous croisez quelqu’un sur un trottoir en vous écartant soigneusement – la largeur de quelques trottoirs le permet –, il tourne la tête d’un air dégoûté, les lèvres pincées et votre joyeux « bonjour » passe pour une attaque virale. Il y a même des personnes qui, depuis l’autre côté de la route, n’osent pas vous faire un petit signe de

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