Happy culture (Ed. Favre, 2025) - EXTRAIT

Page 1


Happy culture

Mille et une graines à faire éclore pour sourire à la vie

Julia

Flâner, narines au vent. Poser son regard.

Installation

Faire silence.

Se chauffer la couenne à un joyeux bon rai de soleil, doucereux, gras, savoureux.

DuPrendre son temps. Fermer les yeux. Se régaler de l’instant.

Rucher.

Humer de tous ses trous de nez le bon air des champs, des sommets alentour, des foins coupés, de l’herbe grasse.

Décider qu’il s’agit de l’endroit véritablement parfait, entre une flaque d’ombre et deux d’éclat, où faire jaillir ses pots miellés.

Ne point oublier, de gaze, sa combinaison voilée.

Déposer son barda de bois, de maisons chapeautées parmi les fleurs en boutons, la mousse éparse, tout à côté du ruisseau, avec de grands gestes délicats.

Saluer les insectes, leur ballet hésitant, gagnant en ampleur et audace, à mesure que le temps passe.

Sourire. Et…

Mettre de l’amour dans tout ce que l’on fait.

De temps à autre, gueuler sa joie d’être en vie.

Prendre le temps, en mangeant, de laisser fondre chaque bouchée sur sa langue et de s’imprégner de la texture, la saveur des aliments.

Devenir fougasse, navarin d’agneau, sorbet aux poires, pelletée lamelle de poutargue1, anchoïade, claquos de six ans d’âge sur son lit de pain de campagne, corne de gazelle diaphane…

Danser sous la pluie en été.

Même s’il n’y a pas de musique. Surtout s’il n’y a pas de musique. À chaque coup de tonnerre, pousser son cri de guerre, celui qui nous fait nous sentir infiniment vivant, quasi insubmersible.

Brailler, défier les éclairs, menton au ciel et yeux fous.

1. Les mots soulignés sont expliqués dans le glossaire.

S’il fait vraiment chaud et qu’aucune pince à linge humaine ne vogue alentour, ôter ses hardes. Toutes ses hardes.

Et rire, beugler, nu·e comme un vers, mangeoire au vent et cils de gosse.

Bien accompagné·e, ce sera encore meilleur.

Dénicher un lot de minuscules points phosphorescents à placarder sur les murs et le plafond de sa chambre et/ou son salon.

Invisibles le jour, ils donneront la nuit comme un arrièregoût de Voie lactée à son cou-couche panier.

Faire la surprise à son Compère-Renard, un soir. Le guider jusqu’au plumard, le laisser se mettre à l’aise, puis, sans crier gare, ôter son slip léopard éteindre la lumière.

Guetter les étoiles filantes, bien calé·e·s sur ses oreillers.

Pour les insomniaques, l’attente du marchand de sable n’en sera que plus jouasse.

Sentir l’air frémir sur son visage. Si c’est l’hiver, laisser le vent rougir son nez et souffler le boucan dans sa tignasse, en fermant l’œil à demi.

Shampoing à neurones garanti.

Se rouler dans un gros tas de feuilles mortes. Avec un chien, des enfants, un peloton d’ami·e·s ou son précieux, mais se rouler.

Faire une bataille de plumes d’érable ou de loques de tilleul roux.

Ne jamais essayer de ressembler à une autre bestiasse que celle dont on tire les ficelles.

Nous sommes uniques et nos besoins, nos envies sont le fait seul de notre nacelle.

Prendre l’habitude de sentir pleinement son corps de l’intérieur. Y porter très souvent son attention. Sentir comme chaque cellule bruisse et crépite la vie.

Tendre l’oreille, suivre les battements de son cœur.

Oublier le regard des « autres », vivre pour soi. L’instant de grâce passe très vite.

Installer une boule à facettes dans son salon.

Lorsque l’on se balade en ville, en forêt ou dans le jardin, serrer un arbre contre son cœur (après s’être assuré·e qu’aucune bestiasse rampante-volante n’y était logée). Le bécoter, le front buvant son écorce. Fermer les yeux.

Le laisser nous raconter sa vie, la vie. Les mille et une merveilles du silence.

Abuser des clins d’œil.

Prendre les bourgeons en photo, au printemps.

Un cliché par jour, jusqu’à éclosion complète des chapeaux de verdure.

Jusqu’aux derniers frimas de l’automne, lorsque les rognures de feuilles cuites auront cédé la place aux courants d’air…

Relier les instantanés entre eux, de sorte qu’ils forment une espèce de fil conducteur poétique du vivant, comme l’on tournera les pages de ce drôle de carnet, joyeusement.

Chanter un bout de chanson à son Compère (ou pour soimême), le soir, sur l’oreiller, avant de s’endormir. Chuchoter à son oreille, avant de manger sa barbe, sa frange, ses lèvres et l’une de ses paupières, tendrement.

Ardemment ?

Si c’est All I want is you de Barry Louis Polisar, ce sera encore meilleur.

Être franc, jamais blessant.

Inviter la tendresse plus souvent dans sa vie. Lui dérouler un joyeux bon tapis grenat, au poil soyeux, toujours laqué de frais.

De temps à autre, enfiler ses groles couché·e sur le dos. Lacer ses souliers, les quatre fers en l’air.

Se rouler à même les draps, le plancher, l’herbe maculée de fleurs.

Se prendre, l’espace d’un instant, pour un hippopotame, chaussé et bienheureux dans sa mare. Rire, grogner son enthousiasme.

« Il y a une voix qui n’utilise pas les mots. Écoute… ! »

Djalâl ad-Dîn Rûmî

Tendre l’oreille.

Déposer un ou plusieurs petits cadeaux à l’intérieur d’un carton joufflu, tendu de rubans et de papiers de soie colorés.

Ajouter sur le tas quelques ballons de baudruche gonflés à l’hélium, refermer le tout, sourire au groin.

Lorsque l’on est fin prêt, essayer d’avoir l’air le plus naturel possible.

Lancer, mine de rien : « Dis donc, mon gros canard en gelée, je crois que l’on a sonné. Voudrais-tu aller voir ? Ça n’a peut-être pas l’air évident comme ça, mais je suis rondement occupé·e. Si, si, j’ai bien entendu, on a sonné… Va voir ! »

Avec un peu de chance, notre aimé·e se dandinera vers le palier sans trop râler, ouvrira porte zé paquet, l’œil rond.

Les ballons prestement libérés par sa pogne flotteront et s’envoleront avec douceur, juste sous notre nez.

Points de romantisme marqués : 16011975.

(Cela marche également du tonnerre si l’on partage le nid d’un ami, un membre de sa famille… Il/elle aura les yeux qui pétillent.)

Faire beaucoup de compliments à son amour, ses enfants, les membres de son clan, ses ami·e·s, ses voisins. Ses proches, lointains.

Ne point être radin, déverser son grain.

Cesser la lecture d’un bouquin qui nous nifle, nous désespère, nous pétrifie la rate et nous pèse sur l’embouligue.

Bannir le « low-cost » de son existence, ses relations, son rapport aux objets, aux voyages, au temps.

Lui dire d’aller se faire frire les poils des tibias aux confins des bas-fonds de l’Alabama. Du Nicaragua. Des chutes du lac Titicaca.

Carrément mon gars.

Embrasser la vie. Lui ouvrir grand les bras.

Faire des tresses Passer les doigts dans la chevelure de son Compère-corsaire. En respirer le fumet, longuement. Savourer.

Laisser son sapin de Noël végéter en son antre jusqu’au mois de juillet.

Toute l’année ?

Ne plus alors avoir, au retour de la froidure, à le tisser de paillettes, de guirlandes de soie et de lumière.

Partir au moins une fois dans sa vie baver devant les aurores boréales, en Laponie.

Faire un détour par la case du joyeux bon Père Noël, sur son traîneau de cuivre tout lustré.

Se déguiser à son tour.

Et passer ses vacances ainsi, tendu·e de moumoute la plus douce, chaude et… rousse.

Inviter la paresse dans sa vie.

Sa réputation est tissée de la soie la plus injuste qui soit. Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, c’est une amie et non une méchante fée aux bas résille troués-cloutés.

De temps à autre, envoyer une lanterne chinoise avec son aimé·e au firmament.

Laisser la coupole de papier glisser dans la pénombre, luciole flageolante perçant les cieux, tandis que l’on s’enserre l’un l’autre l’essieu.

Faire un vœu. Un de ceux qui sont pantagruéliques. Fabuleux. Mirifiques. Plantureux.

« Des heures d’affilée, je restais étendu au soleil à ne rien faire, à ne penser à rien. Entretenir le vide dans l’esprit, c’est un exploit, et un exploit rudement salubre. […]

Le corps se change en un instrument tout neuf, merveilleux ; on regarde les plantes, les pierres, les poissons, avec d’autres yeux ; on se demande où veulent en venir les gens en se démenant au milieu de leurs activités frénétiques. »

Henry Miller

À laisser infuser et gober à petites lampées, à volonté.

Vous venez de consulter

Tous droits réservés pour tous pays.

Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite.

Éditions Favre SA

Siège social : 29, rue de Bourg – CH–1003 Lausanne

Tél. : +41 (0)21 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.