JOSÉ VOUILLAMOZ

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BEST-SELLER
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Photographies : © Sedrik Nemeth, sauf mention contraire Graphisme et mise en page : Dédikace et SIR
Impression : Flex, lot 1
ISBN : 978-2-8289-2302-0
© 2025, Éditions Favre SA, Lausanne, Suisse
La maison d’édition Favre bénéficie d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2021-2025.
À l’état sauvage, la vigne est une liane. Sa nature est de grimper aux arbres ou sur un autre support pour faire des fleurs. Une fois fécondées par le vent ou par des petits insectes, les fleurs produisent des fruits au-dessus de la canopée, dans le but de se faire manger par des oiseaux qui iront déféquer les graines plus loin, propageant ainsi l’espèce. Il y a environ 10 000 ans, l’Homme a domestiqué cette liane qui constitue aujourd’hui nos vignes, et qui a engendré tous les cépages du monde. Pour la cultiver, il faut la tailler régulièrement. C’est un stress important pour la plante. Sa réaction de survie est par conséquent de produire des fruits pour engendrer une nouvelle génération : pour l’Homme, c’est synonyme de vendanges. C’est pourquoi son nom botanique Vitis vinifera signifie « vigne qui porte le vin ». En effet, la quasi-totalité des vins du monde sont élaborés à partir de cette espèce botanique, à l’exception de quelques boissons alcoolisées issues d’espèces américaines (comme Vitis labrusca ou Vitis riparia) que l’on utilise parfois aux États-Unis, mais aussi au Tessin pour élaborer le vin Nostrano.
On estime qu’il existe près de 10 000 cépages ou variétés 1 dans le monde, en comptant les cépages de cuve (pour faire du vin), les raisins de table et les raisins secs destinés à être mangés, ainsi que les porte-greffes (hybrides d’espèces américaines sur lesquels sont greffés les cépages européens pour les protéger du phylloxéra). Dans notre ouvrage de référence Wine Grapes (Allen Lane 2012), avec mes co-auteures Jancis Robinson MW2 et Julia Harding MW, nous avons dénombré 1368 cépages cultivés dans le monde pour faire du vin disponible dans le commerce. En Suisse, on cultive officiellement au moins 320 cépages (sans compter les cépages et hybrides à l’essai et autres curiosités) sur environ
1 - Cépage = individu 100% VItis vinifera, variété = individu pas 100% Vitis vinifera
2 - Master of Wine : titre le plus prestigieux dans l’industrie vitivinicole, délivré à ce jour à seulement 422 personnes de 30 pays différents qui ont passé des examens théoriques et pratiques d’un très haut niveau.
15 000 ha, soit 0,2% de la surface mondiale (tableau 1). Parmi ces 320 cépages, 213 sont admis dans les appellations d’origine contrôlée (AOC), allant de 12 à 130 cépages selon les cantons 3 . C’est une diversité énorme, et peut-être même un record du monde. On peut toutefois se demander s’il faut s’en enorgueillir ou s’en alarmer. En effet, la diversité ne fait pas l’identité, ce qui explique l’expression provocatrice disant que « le vin suisse n’existe pas » ! En conséquence, les AOC suisses perdent à mon sens toute crédibilité auprès des consommateurs, et je serais favorable à une diminution drastique du nombre de cépages admis, surtout dans l’optique d’une adaptation prochaine aux réglementations européennes concernant les appellations d’origine protégées (AOP) et les indications géographiques protégées (IGP).
Je distingue trois catégories de cépages en Suisse : les indigènes qui y sont vraisemblablement nés, les traditionnels qui y étaient présents avant 1900, et les allogènes qui y ont été introduits après 1900, soit pendant ou après la reconstitution des vignobles suite à l’épidémie du phylloxéra. Ainsi, 29,5% sont indigènes (94), comprenant 49 hybrides, 14 croisements et 31 cépages d’origine spontanée (que j’appelle « cépages patrimoniaux »), 8,8% sont traditionnels (28), tandis que 62% des cépages cultivés en Suisse sont allogènes (198) (tableau 1).
Tableau 1. Au moins 320 cépages (dont 15 ne sont que des mutations) sont cultivés en Suisse sur 14 484 ha, sans compter les hybrides producteurs directs, les cépages anecdotiques et les cépages à l’essai (le total avoisinerait alors les 400 cépages). Les 94 cépages indigènes faisant l’objet du présent ouvrage apparaissent en gras (le total dépasserait largement les 100 cépages indigènes si l’on incluait les nouveaux croisements et hybrides à l’essai). Les surfaces sont tirées de L’Année viticole 2024, Office fédéral de l’agriculture OFAG. Sur ces 320 cépages, 213 sont autorisés en appellation d’origine contrôlée (AOC). Les cantons avec la plus grande diversité de cépages en AOC sont : Zurich (130), Glaris (119), Argovie (109) et Saint-Gall (99). Le Valais, plus grande région viticole du pays, n’arrive qu’en douzième position avec 55 cépages, tandis que le canton de Vaud en accepte 62.
3 - Dans les cantons de Zurich et St-Gall, il n’existe aucune restriction ou liste fermée de variétés en ce qui concerne l’aptitude à l’AOC. Toutes les variétés plantées (à l’exception des numéros de sélection qui ne sont pas encore introduits sur le marché) sont automatiquement éligibles à l’AOC, ce que j’estime être une aberration totale.
SCHAFFHOUSE
SAINT-GALL ZURICH
THURGOVIE
VAUD
VALAIS
TESSIN
SCHWYTZ
NEUCHÂTEL
LUCERNE, URI, ZOUG, OBWALD, NIDWALD
GRISONS
GLARIS
GENÈVE
LAC DE THOUNE FRIBOURG
LAC DE BIENNE
BÂLE-VILLE, SOLEURE
BÂLE-CAMPAGNE,
ARGOVIE
RHODES-INTÉRIEURES
RHODES-EXTÉRIEURES, APPENZELL
APPENZELL
HYBRIDES
CROISEMENTS
ALLOGÈNES
TRADITIONNELS
INDIGÈNES
SURFACE (HA)
COULEUR
CÉPAGE
classification des cépages suisses
• Valais
• Vaud
• Genève
• Trois-Lacs
• Suisse alémanique
• Tessin
classification des cépages

Humagne Gris
(mutation de couleur du Cornalin, appelé Humagne Rouge en Valais)

Cette catégorie est composée des cépages indigènes nés de croisements spontanés qui se sont produits naturellement dans les vignobles, et qui ont été sélectionnés empiriquement par les anciens vignerons. Ils représentent le patrimoine ampélographique ancestral de la Suisse. Le tableau 2 liste les principaux cépages par ordre chronologique des mentions écrites.
NB : Malgré leurs lointaines origines étrangères démontrées, le Cornalin (Humagne Rouge), le Gros Bourgogne (Plantscher), l’Humagne, le Räuschling, le Rouge de Fully (Durize) et le Rouge du Pays (Cornalin en Valais) sont inclus parmi les cépages patrimoniaux, car ils ont (quasiment) disparu de leurs régions d’origine.
Tableau 2. Chronologie des mentions des principaux cépages patrimoniaux
1313 Rèze
Lens/Sierre VS 1313 Humagne Lens/Sierre VS 1321 Completer Malans GR 1586 Gros Bourgogne Visp VS 1602 Arvine Sion VS 1612 Chasselas Lausanne VD 1615 Rouge de Fully Fully VS 1627 Lafnetscha Raron VS 1654 Diolle Conthey VS 1686 Amigne Sion-Sierre VS 1759 Räuschling Schaffhouse SH 1770 Himbertscha Haut-Valais VS 1785 Bondola Tessin TI 1812 Grosse Arvine Riddes VS 1820 Schwarzer Erlenbacher Lucerne LU 1827 Goron de Bovernier Bovernier VS
cépages
é volution de l’encépagement
ANNÉE CÉPAGE
1846 Hitzkircher
Argovie AG
1878 Rouge du Pays (Cornalin) Valais VS
1900 Cornalin (Humagne Rouge) Fully VS
1982
Eyholzer Roter
1989 Bondoletta
Eyholz VS
Sopraceneri TI
2025 Fuliaco Fully VS
2012 VinEsch Roter
Époque romaine
Zeneggen VS
On évoque souvent une introduction par les Romains pour plusieurs vieux cépages, en particulier en Valais : l’Amigne serait la Vitis aminea, l’Arvine le Vinum helvinum, la Rèze l’Uva raetica et l’Humagne le Vinum humanum. Ces légendes n’ont aucun fondement : plusieurs de ces noms n’ont jamais existé, et il est commu nément admis que les auteurs latins n’avaient pas la notion moderne du cépage. En effet, ils englobaient certainement sous le même nom plusieurs cépages, liés entre eux par des caractéristiques communes ou par la même origine géographique. Il est par conséquent impossible de connaître l’encépagement de la Suisse à l’époque romaine. L’analyse de l’ADN résiduel des pépins ou des grappes de raisins retrouvés dans les sites archéologiques (p. ex. à Saint-Blaise/NE, ou à Gamsen/Waldmatte vers Brig/VS) pourrait un jour apporter un éclairage nouveau à cette question.
De l’époque romaine à l’an mille
S’il est désormais établi que la vigne était vraisemblablement cultivée en Suisse avant l’arrivée des Romains, nous ne savons en revanche pratiquement rien des cépages qui peuplaient les vignobles avant le milieu du Moyen Âge. Les mouvements migratoires ont certainement provoqué des introductions diverses, suivies d’abandons momentanés de la viticulture, et c’est à partir d’un mélange de cépages originaux et de leurs descendants naturels que les vignobles auront été reconstitués. Par conséquent, les vieux cépages suisses sont sans doute les lointains descendants des cépages introduits avant, pendant ou après l’époque romaine. En 2019, des chercheurs ont réussi à séquencer l’ADN d’anciens pépins trouvés dans un puits sur un site archéologique datant du 1er siècle apr. J.-C. dans l’Hérault (Languedoc-Roussillon, France). Certains pépins, issus d’anciens
cépages aujourd’hui disparus, se sont révélé être génétiquement proches de l’Amigne, de l’Arvine ou de l’Humagne.
De l’an mille au XVe siècle
Les documents qui mentionnent des noms de cépages avant la fin du Moyen Âge sont très rares. Cela ne signifie pas que les vignerons n’avaient pas de noms pour leurs cépages, on n’éprouvait simplement pas le besoin de les transcrire dans les documents officiels. Parmi ces rares occurrences, on trouve au XIIIe siècle à Douanne (BE) la mention « Elseser » ou raisin d’Alsace, qui correspondait probablement à l’Elbling ou au Gouais Blanc, au XIVe siècle on trouve en 1313 en Valais l’Humagne, la Rèze et un cépage rouge inconnu dans le fameux « Registre d’Anniviers », et en 1321 le Completer dans les archives du chapitre de la cathédrale de Coire.
Du XVIe au XVIIIe siècle
Au XVIe siècle, seuls quatre nouveaux cépages sont mentionnés en Valais : le Muscat en 1536, le Gouais Blanc (sous le nom de Gwäss) et le Blantschier (vraisemblablement le Gros Bourgogne) en 1540, puis le Savagnin Blanc en 1586, tous introduits de France, d’Italie ou d’ailleurs en Europe. Au XVIIe siècle, toujours en Valais, on voit l’apparition de plusieurs cépages, cette fois-ci indigènes : l’Arvine en 1602, suivie du Rouge de Fully (ou Durize) en 1615, du Lafnetscha en 1627, de la Diolle en 1654 et de l’Amigne en 1686. Dans le canton de Vaud, on trouve également la première mention du Fendant Blanc en 1612, nom qui sera par la suite approprié par le Valais. On trouve à nouveau le Gouais Blanc, cette fois-ci dans le canton de Berne (lac de Thoune et Spiez) en 1639. Au XVIIIe siècle, le même Gouais Blanc est mentionné dans le canton de Vaud vers 1750 puis à Neuchâtel en 1755, parfois sous son synonyme d’Aussard, ainsi qu’à Genève, ce qui témoigne de sa vaste diffusion ancestrale. Le Räuschling, mentionné antérieurement en Allemagne, n’apparaît en Suisse qu’en 1759 dans le canton de Schaffhouse. Dans le Haut-Valais, le Himbertscha est mentionné en 1770. Le Pinot Noir apparaît sous son nom local de Cortaillod en 1766 dans le canton de Neuchâtel où il est aussi nommé Técou, et en 1775 dans le pays de Vaud. En 1785, la Bondola apparaît au Tessin. Quant au Gros Rouge, qui correspondait probablement à la Mondeuse Noire de Savoie, c’était l’un des cépages rouges les plus répandus de l’arc lémanique aux XVIIIe et XIXe siècles.
cépages
é volution de l’encépagement
Du XIXe au XXIe siècle
En Valais, on trouve trois cépages : Grosse Arvine (1812), Goron de Bovernier (1827) et Rouge du Pays (1878). Dans le canton de Lucerne apparaît le Schwarzer Erlenbacher (1820) et dans le canton d’Argovie le Hitzkircher (1846). Si la majorité des cépages qui étaient cultivés en Suisse avant 1850 (figure 1) sont encore présents, leurs proportions ont drastiquement diminué.
Chasselas (Quicheux/Fendant)
Elbling (Ysèle/Elsässer/Aussard)
Gouais (Goës)
Gamay (Gros Rouge/Gamet)
Hitzkircher
Muscat
Pinot Gris (Raisin Gris)
Pinot Noir (Cortaillod/Técou)
Chasselas (Fendant/Grosse Rougeasse)
Gamay (Gamet)
Gouais
Mondeuse Noire
(Gros Rouge/Savoyan)
Pinot Noir (Servagnin)
Bondola (Briegler)
Chasselas (Gutedel)
Completer (Zurirebe)
Elbling
Gouais (Heunisch)
Pinot Noir (Blauburgunder)
Räuschling
Schwarzer Erlenbacher
Amigne Arvine
Diolle
Gouais (Gwäss/Gouè)
Gros Bourgogne (Plantscher)
Grosse Arvine
Himbertscha
Humagne Blanc
Lafnetscha
Pinot Gris (Malvoisie)
Muscat
Rèze
Rouge de Fully (Durize)
Rouge du Pays (Bailloz)
Savagnin (Heida/Païen)
Bondola
Completer
Lambrusca di Alessandria (Croetto)
Mossana (Zanetta)
Figure 1. Les 27 cépages cultivés en Suisse avant 1850.
En effet, l’apparition de trois maladies de la vigne a complètement transfiguré l’encépagement : l’oïdium en 1851, le mildiou en 1886, et le phylloxéra, premièrement en 1869 à Genève, puis dans les autres cantons (Neuchâtel 1877, Vaud et Zurich 1886, Tessin 1893 et Valais 1906). Ces fléaux ont relégué nombre de vieux cépages indigènes au rang de curiosités ou de reliques. En particulier, l’apparition du phylloxéra, un puceron d’origine américaine qui s’attaque aux racines de la vigne européenne et tue les ceps en quelques années, a nécessité le greffage de tous les ceps de vigne européenne sur les porte-greffes américains naturellement résistants à cet insecte. Les vieux cépages qui s’étaient adaptés durant des siècles aux conditions climatiques et environnementales ont donc été remplacés par des cépages plus productifs et moins sensibles à ces maladies. Par conséquent, si l’on exclut le Chasselas, les 30 autres cépages patrimoniaux de la Suisse ne représentent
volution de l’encépagement
que le 4,87% de la surface actuelle (figure 2). En particulier, ils ne couvrent que 14,17% des surfaces en Valais, qui est pourtant la région abritant la majorité des cépages patrimoniaux de Suisse. L’encépagement actuel de la Suisse est largement dominé par quatre cépages (figure 3), dont un seul indigène, le Chasselas. Les autres ont été introduits à différentes périodes : le Pinot Noir au XVIIIe siècle, le Gamay au XIXe siècle et le Merlot au XXe siècle.
Findling von Muhen
Schwarzer Erlenbacher
Hitzkircher
Räuschling Roter Räuschling
Completer
Chasselas
Chasselas Rose
Olivette de Laconnex
Amigne, Arvine, Cornalin, Diolle, Eyholzer Roter, Goron de Bovernier, Gros Bourgogne, Grosse Arvine, Fuliaco, Himbertscha, Humagne Blanc, Inconnu de Saillon, Inconnu de Salo, Lafnetscha, Rèze, Rouge de Fully, Rouge du Pays, Vinesch Roter, Vinesch Unbekannt
Bondola Bondoletta
Marchisana
Figure 2. Les 31 cépages patrimoniaux couvrent 28,64% de la surface viticole de la Suisse. Cependant, si l’on écarte le Chasselas qui est le cépage blanc le plus répandu avec 3444 ha, les 30 autres cépages ne couvrent que 705,38 ha, soit 4,87% de la surface viticole totale du pays. Sur ces 30 cépages, les trois quarts (19) se trouvent en Valais où ils couvrent 14,17% de la surface du canton. Sources des surfaces : L’Année viticole 2024, Office fédéral de l’agriculture OFAG.
NB : Malgré leurs lointaines origines étrangères démontrées, le Cornalin (Humagne Rouge en Valais), le Gros Bourgogne (Plantscher), l’Humagne, le Räuschling, le Rouge de Fully (Durize) et le Rouge du Pays (Cornalin en Valais) sont inclus parmi les cépages indigènes, car ils ont (quasiment) disparu de leurs régions d’origine.
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