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Interview Philippe Madec

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Val-de-Reuil

Val-de-Reuil

interview

Né en Bretagne en 1954, Philippe Madec est un des pionnier de l’architeture durable. De 1972 à 1979, il sera formé par Ciriani à l’architecture moderne. Après 10 ans de questionnements, de découvertes et de rencontres, notamment Kenneth Frampton, Madec adopte une approche écologique du projet, et crée son agence en 1989. Membre de l’Académie d’Architecture et ayant reçu la Légion d’honneur pour l’écologie, il reçoit en 2012 le Global Award for Sustainable Architecture.

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à propos de l’éco- quartier

DH : Selon vous, en quoi les éco-quartiers sont-ils des éléments essentiels de l’espace urbain?

P.M : C’est un outil indispensable mais ça n’est pas un objet en soit. Un éco-quartier est à la fois une pièce d’une ville durable et un symptôme de ce qu’il faut faire. On ne peut pas faire autrement lorsque l’on construit quelque chose, mais il faut aussi s’intéresser à la ville existante, voir comment elle peut s’approcher des conditions environnementales, sociales, culturelles et économiques d’un écoquartier.

DH : Et comment viennent-ils s’insérer dans l’espace urbain existant?

P.M : On essaye de rester bienveillant, oui. Et d’ailleurs avec l’éco quartier de Val-de-Reuil il y a eu une contamination positive puisque les maisons voisines, qui sont des maisons phénix industrialisés charpentes en béton et acier des années 80, sont en cours de réhabilitation; pour qu’il n’y ai pas une trop grande différence entre la qualité de vie et l’économie du Val-de-Reuil et ce qu’il se passe dans le quartier voisin. L’effet de la contagion est indispensable et est liée à l’exemplarité d’un quartier réussi. Tous les gens savent, à Val-de-Reuil, qu’habiter dans l’éco-village est une vraie aisance que l’on n’a pas dans d’autres quartiers.

DH : Au vue des nouvelles normes et réglementations concernant l’écologie, de plus en plus exigeantes, comment concevoir un éco-quartier sans qu’il ne devienne obsolète?

P.M : En réalité, je n’ai jamais considéré que les lois qui nous arrivent aujourd’hui, toute frappée au sein du développement durable, étaient exigeante. Je ne les trouve même pas assez exigeantes. Souvent mes confrères, ou même des maîtres d’ouvrages, les voient comme des contraintes, alors que ce ne sont que des incitations à faire mieux. Nous avons l’habitude de faire en sorte que nos projets soient plus engagés que ce que demande la loi. C’est d’ailleurs au cœur du manifeste (« pour une architecture frugale » ) qui dit que pour faire avancer la loi il faut se mettre hors-la-loi, au-delà ou devant la loi. C’est une manière de montrer qu’il est possible de faire autrement; et que cette possibilité est légitime. Les lois devraient aller plus vite et plus loin.

DH : Quels sont, selon vous, les réflexes primordiaux que tout architecte se doit d’avoir lors de la conception d’un projet respectueux de l’environnement?

P.M : La première des chose est de comprendre le contexte dans lequel il travaille. Il s’agit d’un contexte physique et d’un contexte humain. Il faut absolument entendre ces deux environnements là, et voir comment ils n’en font qu’un seul finalement. Pour pouvoir travailler le contexte physique, c’est à la fois le climat, les saisons mais aussi les matières qui sont disponibles sur place et le fonctionnement urbain ou rural qui nous concernent. Le contexte humain également, pour qui on travaille, avec qui on a envie de travailler et quels sont les savoirs-faire locaux qui accompagnent les ressources locales. Dès que l’on arrive quelque part, on va chercher les ressources naturelles locales, et on sait que, chaque fois qu’on trouve la ressource, il y a l’homme ou la femme qui sait l’utiliser et qui a le savoir-faire le faire. Trouver toutes les conditions du contexte permet de ne pas lui porter atteinte et d’agir avec lui. Nous on utilise le mot de bienveillance depuis longtemps. Dans les années 90 j’ai défini l’architecture, pour moi, comme étant l’installation de la vie par une matière disposée avec bienveillance.

DH : Comment imaginez-vous l’architecture de la ville de demain?

P.M : Forcément frugale! Utilisant moins de ressource et offrant deux fois plus de bien être. La notion de frugalité est une notion positive. L’étymologie de frugale vient du latin frux qui veut dire le fruit. La frugalité, c’est la récolte des fruits de la terre, et donc quand la frugalité est réussie, quand elle est heureuse, on sait qu’on ne porte pas atteinte à la planète et qu’on rassasie la personne qui récolte. Notre ambition est de faire ces récoltes intelligemment, toujours situées et toujours avec les gens. Pour faire en sorte que cette ville soit frugale c’est-à-dire qu’elle consomme moins de ressources, qu’elle consomme moins d’énergie, moins de technologies et qu’elle importe un bien être meilleur pour tous.

DH : Comment votre vision de l’architecture, liée à l’environnement a-t-elle évoluée depuis vos débuts?

P.M : J’ai fais mes études au grand palais, j’ai découvert toute la question de la modernité, du modernisme et de l’urbain. Je venais d’un petit village breton, la relation à la nature je l’ai dans mon bagage. La Bretagne m’a rendu écologique depuis longtemps. La découverte de l’abstraction, que ce soit dans l’âme ou dans la pensée, est une valeur extrêmement puissante du matérialisme qu’il ne faut pas mettre à la poubelle. Pendant tout ce temps où je ne savais pas quoi faire , j’ai fait des recherches et je suis tombé sur la publication d’un colombien qui m’a donné toutes les clés pour revenir à la relation au climat, et à tout ce qui agit dans le développement durable.

Et quand je suis rentrer en France , une école d’architecture était intéressée par mes propos sur l’écologie et sur le vivant, donc j’ai était invité à enseigner les paysages à Versailles. J’ai découvert le paysage, mais j’ai surtout retrouvé tout ce qui m’intéressait autour du vivant.

Quelques années plus tard, les gens de Harvard ont crus que j’étais paysagiste, j’ai donc enseigné à Harvard pendant 4 ans et j’y ai découvert le développement durable. J’ai continué mon travail sur le paysage et le développement durable pour faire une transition vers l’architecture. J’ai été titularisé très tôt et j’ai commencé a enseigner a l’ENSA de Lyon en 2000. Ensuite, je suis parti à l’ENSA de Rennes. Je pense avoir permit à la question de l’écologie d’évoluer au cours de mes années d’enseignement: en 2000 les professeurs qui sensibilisaient au développement durable pouvaient se compter sur les doigts d’une main, aujourd’hui il y a un réseau, qui s’appelle ENSAECO* qui est extrêmement actif au sujet de tout ce qui touche à l’écologie.

La différence qu’il y a entre vous et moi, c’est que j’ai une notion d’avance et que, grâce à elle, je peux faire un développement profitable, et être votre professeur, si il n’y a pas la notion d’avance ce n’est pas la peine. Du point de vue écologique, il y a souvent cette notion d’avance. Il y a donc ce statut compliqué pour beaucoup de professeurs aujourd’hui, qui ont commencé à enseigner en 1986, à un moment où la thématique écologique n’était pas encore présente. Mais, ces trois dernières années, ces valeurs ont été très fortement appuyées dans les écoles, et cette notion de partage est essentielle pour se développer dans tous les projets. Rappelons que tous ceux qui intègrent les écoles aujourd’hui sont nés au 20e siècle, et ceux qui ne sont pas à l’école sont dans la rue, et sont beaucoup plus sensibles à ces questions. J’ai toujours imaginé qu’il y avait un angle générationnel fort.

DH : La perspective écologique ne semble pas assez mise en avant dans les cours de projet, sauf si les étudiants font eux-mêmes la démarche de s’y intéresser. Souvent, quand nous disons que nous sommes en école d’architecture, certaines personnes nous interrogent sur ce qui relève du questionnement écologique. Nous essayons de les rassurer en répondant que nous y sommes sensibles et sensibilisés, alors qu’au fond, nous savons que c’est faux.

P.M : Commencez par regarder qui dans votre école est lié au réseau ENSAECO, votre école y est forcément représentée. Renseignez-vou et constituez un groupe pour échanger. Aujourd’hui, on voit bien que l’enjeu de la demande citoyenne, comme la vôtre, peut changer de manière de faire , et que la demande actuelle est une demande pressante, d’une grande force. Il ne faut pas vous excuser, il faut dire “malheureusement pas assez et on y travaille”.

le mot de la fin

DH : En un mot, à quoi vous renvoi le terme de “Double Hauteur”?

P.M : Je dirais déjà prendre plus de hauteur, prendre plus de distance par rapport au plancher et essayer de regarder ce qui s’y passe, disons que c’est la position humaine. Du point de vue de l’architecture, ce serait l’aisance, et comment la lumière, l’air et la chaleur sont. Parce que lorsque vous êtes en Double Hauteur, l’air chaud est en haut et l’air froid est en bas. Il faut donc qu’il y est une chaleur équitable, pour ceux qui sont en haut comme pour ceux qui sont en bas.

* ENSAECO est un réseau de l’enseignement de la transition écologique dans les ENSA qui est impulsé par le Ministère de la Culture et de la Communication. Il a pour objectif d’initier et poursuivre une réflexion autour de l’enseignement de la thématique de la transition écologique dans les écoles d’architecture; tout en fédérant les enseignants intéressés par cette thématique.

interview assurée par Léa Balmy propos receuillis par Antoine Viney et Jules Foubet

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