Analyse médicale du code 1.606.22*
I. DÉLAI ENTRE LA DATE D’OBJECTIVATION DE LA MALADIE 1.606.22 ET LA PÉRIODE D’EXPOSITION À L’INFLUENCE NOCIVE SUSCEPTIBLE DE CONSTITUER LE RISQUE PROFESSIONNEL DE CONTRACTER LA MALADIE 1.606.22 OBJECTIVÉE
Affirmer qu’une affection est une maladie professionnelle sous le code 1.606.22 de la liste des maladies professionnelles revient à démontrer que l’affection est susceptible d’être provoquée par une hypersollicitation engendrée par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables durant les activités professionnelles de l’intéressé.
Afin d’apporter la preuve de la maladie professionnelle, il convient de démontrer que l’affection est objectivée et ce, de manière contemporaine à l’exposition à l’infuence nocive.
Pour éclairer la question, il peut être utile d’établir une ligne du temps.
Trois cas se présentent :
1. L’affection est objectivée avant que l’intéressé entame ses activités professionnelles
Dans cette hypothèse, il ne peut en aucun cas s’agir d’une maladie professionnelle : l’affection existe avant même que l’intéressé ait été exposé à l’agent nocif. L’exposition au risque professionnel de contracter une maladie professionnelle doit être antérieure à la survenance de la maladie (article 32 des lois coordonnées).
2. L’affection est objectivée durant les activités professionnelles
Dans ce cas, l’affection est susceptible d’être une maladie professionnelle pour autant qu’il soit établi que l’exposition de l’intéressé à l’hypersollicitation de la structure tendineuse concernée par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif, ou par des postures défavorables, ait effectivement atteint, en fréquence/durée/ intensité, le seuil à partir duquel l’exposition à cet agent nocif crée le risque professionnel de contracter l’affection dont est concrètement atteint l’intéressé.
En effet, une activité professionnelle entamée à une certaine date et qui expose à un agent nocif n’a pas pour conséquence d’exposer au risque professionnel de contracter la maladie visée sous le code 1.606.22 dans les jours qui suivent. Il ne faut pas confondre exposition à un agent nocif et exposition au risque professionnel de contracter une maladie professionnelle provoquée par cet agent.
3. L’affection est objectivée après l’arrêt de l’exposition à l’agent nocif
Outre les motifs « évidents » d’arrêt des activités professionnelles (« prépension », pension, fin de contrat, chô-
* “Medische analyse van de code 1.606.22” (n.v.d.r.).
mage), il existe de nombreuses situations de vie qui peuvent suspendre ou modifier une activité professionnelle (incapacité de travail, congé de maternité, changement de poste, congé parental, diminution du temps de travail, confinement sanitaire…).
La question qui doit se poser : « Est-il médicalement raisonnable que l’affection objectivée soit consécutive à l’hypersollicitation de la structure tendineuse par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif, ou par des postures défavorables durant les activités professionnelles de l’intéressé qui ont cessé x jours/ semaines/mois/années avant l’objectivation de l’affection ? ».
Il convient d’étudier :
- le délai (la période exacte écoulée) entre la date de l’arrêt de l’activité professionnelle incriminée et la date de l’objectivation de l’affection (s’agit-il de semaines, de mois, d’années ?) ;
- la nature de l’affection objectivée (s’agit-il d’une souffrance à caractère aigu ?) ;
- la démonstration d’une prise en charge médicale contemporaine de l’activité professionnelle incriminée et d’une continuité cohérente de soins jusqu’à la date de l’objectivation de l’affection. Il faut que l’entité objectivée soit la conséquence de l’affection qui a fait l’objet de la prise en charge contemporaine de l’activité professionnelle.
Il faut rappeler que nous travaillons dans un contexte médicolégal, il incombe à l’intéressé d’apporter la preuve de la maladie.
Par ailleurs, il faut souligner qu’une douleur est un symptôme et ne constitue pas une preuve d’une quelconque maladie. La médecine se base sur des diagnostics dits différentiels pour envisager les diagnostics potentiels évoqués à partir d’un symptôme. Il faut, ensuite, les confirmer ou les infirmer pour envisager un traitement efficace.
Par exemple, une douleur dans la région de l’épaule gauche peut être symptomatique aussi bien :
- d’une atteinte osseuse, tendineuse, musculaire, névralgique, ou capsulaire de l’épaule ; ou
- d’une douleur irradiée à partir de la colonne cervicale ; ou
- d’une douleur projetée à partir du cœur, du poumon, du diaphragme.
Sans examen complémentaire clinique ou paraclinique probant, la douleur reste un symptôme. Ainsi, une attestation médicale fondée sur trois consultations médicales durant les activités professionnelles, cessées depuis 2 ans, pour une douleur dans une région anatomique ne constitue pas la preuve que l’atteinte actuellement objectivée d’une structure tendineuse de cette région soit consécutive à l’hypersollicitation professionnelle.
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Délai entre la date d’objectivation de la maladie 1.606.22 et la période d’exposition au risque professionnel de contracter la maladie 1.606.22 objectivée
Récapitulatif :
• Une douleur dans une région anatomique n’équivaut pas à la démonstration de la preuve de la maladie d’un tendon de cette région.
• Il y a lieu de relier la date d’objectivation de la maladie 1.606.22 à la période d’activité professionnelle.
• Plus la maladie est contemporaine de l’exposition reconnue au risque professionnel, plus il existe une probabilité médicale raisonnable que l’étiologie professionnelle avancée soit correcte (l’hypersollicitation de la structure tendineuse par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif, ou par des postures défavorables durant les activités professionnelles).
• L’exposition à un agent nocif n’équivaut pas à la démonstration de la preuve de l’exposition au risque professionnel de contracter une maladie professionnelle provoquée par cet agent.
II. LA MALADIE 1.606.22 ET ÉTAT ANTÉRIEUR
La reconnaissance d’une maladie professionnelle sous le code 1.606.22 de la liste des maladies professionnelles exige que le requérant apporte deux preuves :
- la preuve d’une maladie correspondant au libellé du code 1.606.22 ; et
- la preuve de l’exposition au risque professionnel de contracter cette maladie.
Ces conditions étant cumulatives, le constat que l’une n’est pas établie rend inutile l’investigation de l’autre.
Maladie 1.606.22, état antérieur et démonstration de la maladie 1.606.22
La démonstration d’une maladie correspondant au code 1.606.22 est apportée par voie clinique (testing tendineux spécifique) et par imagerie.
L’état antérieur peut concerner la région anatomique voisine du tendon pour lequel une réparation en tant que maladie professionnelle est demandée (par exemple, une séquelle de fracture articulaire, une lésion d’un tendon adjacent, une malformation osseuse...) ou l’état antérieur peut concerner le même tendon que celui pour lequel la demande de reconnaissance en tant que maladie professionnelle est introduite.
Dans ce dernier cas de figure, avant d’envisager une maladie professionnelle, il faut identifier une modification de l’état antérieur (une nouvelle entité pathologique du tendon). En effet, si l’état tendineux documenté est identique à la situation antérieure, il n’y a pas lieu d’envisager une maladie professionnelle puisque la situation tendineuse actuelle est l’état antérieur toujours objectivé comme tel.
Maladie 1.606.22, état antérieur et risque professionnel de contracter la maladie 1.606.22
Le risque professionnel prévu à l’article 32 des lois coordonnées implique l’analyse du dossier en deux étapes :
- 1) un volet individuel : le requérant doit démontrer que son exposition à l’hypersollicitation de la structure tendineuse documentée, par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables, est inhérente à
l’exercice de son activité professionnelle et nettement plus grande que l’exposition subie par la population en général. Ce volet calcule la sollicitation de la structure tendineuse du requérant en tenant compte de la durée, de l’intensité et de la cadence des mouvements exécutés par ce tendon.
- 2) un volet collectif épidémiologique : le résultat chiffré obtenu lors de l’analyse individuelle de l’activité professionnelle de l’intéressé est confronté au seuil nocif d’exposition à partir duquel il est scientifiquement établi que l’exposition constitue, au sein des groupes exposés à cette influence nocive, la cause prépondérante de cette lésion tendineuse.
Ce seuil de nocivité est basé sur la littérature médicale épidémiologique validée internationalement. Cette validation scientifique correspond aux « connaissances médicales généralement admises » du texte de loi et va permettre de rencontrer la définition légale du risque professionnel au sens de l’article 32 des lois coordonnées.
Pour rappel, dans le cadre de la maladie 1.606.22, l’article 32 exige qu’au sein des groupes de personnes exposées à l’hypersollicitation de la structure tendineuse par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables, l’exposition à cette hypersollicitation constitue la cause prépondérante de l’affection documentée.
Le seuil n’est pas modifié s’il existe un état antérieur. En effet, il s’agit d’un seuil de nocivité validé par des références épidémiologiques internationales et donc, tout comme il n’est pas question de relever ce seuil scientifique face à un requérant sportif et musclé, ce seuil n’est pas abaissé s’il existe un état antérieur : il est identique pour tous.
Rappelons qu’il s’agit en effet du risque de contracter la maladie et non de la cause concrète de celle-ci dans le cas individuel.
Lorsque les conditions du volet individuel (volet 1) sont remplies et que le résultat du calcul de ce volet individuel atteint bien le seuil reconnu du volet collectif épidémiologique (volet 2), alors il y a bien exposition au risque professionnel de contracter la maladie 1.606.22 documentée.
Par exemple :
L’activité professionnelle de deux magasiniers consiste, depuis deux ans, à ranger manuellement des boîtes lourdes dans les mêmes casiers. L’un des magasiniers mesure 2m et l’autre est de petite taille. Ils travaillent à la même cadence, durant la même période, mais les casiers sont situés en hauteur pour le magasinier de petite taille, ce qui n’est pas le cas pour le magasinier de grande taille. Les deux magasiniers introduisent une demande en réparation pour fissuration d’un tendon d’une épaule.
1° la sollicitation vécue par chacun est calculée in concreto ;
2° le résultat est comparé au seuil d’exposition au risque professionnel de contracter une maladie 1.606.22 affectant les structures tendineuses des épaules.
Le seuil est le même pour tous et ne va pas être abaissé pour le magasinier de petite taille ni augmenté pour le magasinier de grande taille.
- dans le cas du magasinier de petite taille : il y a bien hypersollicitation des épaules selon les exigences du code 1.606.22 et l’intéressé est exposé au risque professionnel de contracter la maladie ;
- par contre, la sollicitation des épaules du collègue de grande taille, qui range les mêmes boîtes à
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même hauteur, ne va pas atteindre le seuil de nocivité : l’intéressé n’est pas exposé au risque professionnel de contracter la maladie 1.606.22 affectant les épaules.
État antérieur et évaluation médicale du dommage résultant de la maladie 1.606.22
Lorsque l’existence d’une maladie correspondant au code 1.606.22 de la liste des maladies professionnelles et d’une exposition au risque professionnel de contracter cette maladie ont été prouvées, la question se pose de l’évaluation médicale du dommage qui en résulte.
L’évaluation médicale va fixer les périodes de la prise en charge des soins de santé, des éventuelles périodes d’incapacité temporaire de travail ainsi que, le cas échéant, un taux d’incapacité permanente de travail. Il convient également d’apprécier si un écartement à titre préventif peut être proposé par FEDRIS.
L’évaluation médicale envisage trois situations :
- avant la consolidation des séquelles, si l’état antérieur ralentit l’évolution de la maladie professionnelle ou si la maladie professionnelle ou son traitement décompense l’état antérieur, la période d’incapacité temporaire est considérée in concreto ;
- au moment de la consolidation des séquelles, si les limitations fonctionnelles de l’état antérieur ne peuvent pas être distinguées des limitations fonctionnelles de la maladie professionnelle, les répercussions de l’état antérieur sont globalisées dans le taux de l’incapacité permanente de travail reconnu pour la maladie professionnelle.
Par exemple, des séquelles qui affectent la région anatomique qui intervient dans les mêmes mouvements que le tendon analysé telles que des séquelles arthrosiques, des séquelles d’un tendon adjacent, des séquelles congénitales ou neurologiques affectant l’anatomie loco-régionale…
- en cas de demande en révision des indemnités, la péjoration ultérieure du seul état antérieur, c’est-à-dire l’évolution de l’état antérieur pour son propre compte, ne justifie pas une révision subséquente de l’indemnisation de la maladie professionnelle.
En effet, les répercussions fonctionnelles des séquelles de l’état antérieur qui ont été globalisées dans le taux d’incapacité permanente de la maladie professionnelle ne transforment pas l’état antérieur en maladie professionnelle.
Par contre, rappelons que, dans le cas particulier où l’état antérieur concerne le même tendon dont l’atteinte subséquente a été reconnue au titre de maladie professionnelle 1.606.22, il n’est plus considéré d’état antérieur. Dans ce cas, une péjoration ultérieure du tendon peut, le cas échéant, amener à une révision de la maladie professionnelle.
Par exemple :
Un magasinier range des boîtes lourdes dans des rayonnages, 6 heures par jour dont 1/3 du temps en hauteur. Il présente une malformation de naissance des épaules. L’intéressé démontre l’apparition d’une fissure des tendons des épaules trois ans après le début de ses activités professionnelles. Il démontre
avoir été exposé au risque professionnel de contracter une maladie professionnelle 1.606.22 affectant les épaules.
Lors de l’évaluation médicale, les répercussions fonctionnelles de l’état constitutionnel des épaules ne pouvant pas être distinguées des limitations fonctionnelles de la maladie professionnelle, les répercussions de la malformation sont globalisées dans le taux d’incapacité permanente de travail.
Si, ultérieurement, l’intéressé ayant poursuivi son activité professionnelle 1 introduit une demande en révision au motif de péjoration des douleurs et de limitation de mobilité d’une épaule suite à une arthrose, se posera alors la question de savoir si cette péjoration résulte de la seule évolution de la malformation :
- si oui, la péjoration ne justifie pas une révision de l’indemnisation de la maladie professionnelle
1.606.22 affectant l’épaule (il s’agit de l’évolution de l’état antérieur pour son propre compte) ;
- si non, par exemple en présence d’une arthrose secondaire de l’épaule sur rupture des tendons de la coiffe des rotateurs (arthrose excentrée), il y a lieu d’évaluer une éventuelle révision des indemnités de la maladie professionnelle.
La maladie 1.606.22 et état antérieur
Récapitulatif :
• la démonstration de la maladie 1.606.22, Dans le cas où l’état antérieur concerne le même tendon que celui pour lequel une demande en reconnaissance en tant que maladie professionnelle est introduite, il n’y a pas lieu d’envisager une maladie professionnelle si la situation tendineuse actuelle est identique à l’état antérieur.
• l’analyse du risque professionnel de contracter la maladie 1.606.22, Le seuil épidémiologique de nocivité, validé scientifiquement, est identique pour tous et n’est pas modifié (ni relevé ni abaissé) en cas d’état antérieur.
• l’évaluation médicale de la maladie 1.606.22, Si les limitations fonctionnelles de l’état antérieur ne peuvent pas être distinguées des limitations fonctionnelles de la maladie professionnelle, les répercussions de l’état antérieur sont globalisées dans le taux d’incapacité permanente de travail de la maladie professionnelle.
• en cas de demande en révision de la maladie 1.606.22, La péjoration ultérieure du seul état antérieur, c’està-dire l’évolution de l’état antérieur pour son propre compte, ne justifie pas une révision subséquente de l’indemnisation de la maladie professionnelle.
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Dr Chantal PHILLIPS Médecin référent FEDRIS
1 Un écartement eût été judicieux.
INTRODUCTION
La matière des maladies professionnelles est complexe. Cette contribution n’a pas pour objectif d’être complète ou exhaustive mais d’aborder de manière pratique quelques notions importantes de la matière.
Nous étudierons d’abord la notion de risque professionnel, dont l’existence est la condition sine qua non de la reconnaissance de toute maladie professionnelle, et ensuite celle du lien causal direct et déterminant dont la preuve doit être apportée par l’assuré social s’il entend faire reconnaître comme professionnelle une maladie qui ne figure pas sur la liste établie par l’arrêté royal du 28 mars 1969 dressant la liste des maladies professionnelles donnant lieu à réparation et fixant les critères auxquels doit répondre l’exposition au risque professionnel pour certaines d’entre elles ».
Nous étudierons également la problématique des maladies en relation avec le travail, qui ne sont pas susceptibles d’indemnisation mais peuvent faire l’objet de mesures d’accompagnement dans certaines conditions. Cela sera l’occasion d’aborder le projet pilote concernant le burn-out dont le but est d’examiner la faisabilité et l’efficacité d’un programme visant la réintégration du travailleur à un stade précoce en reconnaissant le burn-out comme maladie en relation avec le travail.
Enfin, nous parlerons de la notion d’incapacité de travail, qu’elle soit temporaire ou permanente, et des conditions de prise en charge d’une aggravation.
I. L’EXPOSITION AU RISQUE PROFESSIONNEL
A. Définition et conditions de reconnaissance
L’article 32 des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, énonce :
« La réparation des dommages résultant d’une maladie professionnelle ou d’une maladie au sens de l’article 30bis est due lorsque la personne, victime de cette maladie, a été exposée au risque professionnel de ladite maladie pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle elle appartenait à une des catégories de personnes visées à l’article 2 ou pendant la période au cours de laquelle elle a été assurée en vertu de l’article 3.
Il y a risque professionnel au sens de l’alinéa 1er, lorsque l’exposition à l’influence nocive est inhérente à l’exercice de la profession et est nettement plus grande que celle subie par la population en général et dans la mesure où cette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie ».
La reconnaissance de l’exposition au risque professionnel suppose donc qu’il soit établi :
• que l’activité professionnelle en tant qu’assujetti aux lois coordonnées expose ou a exposé l’assuré social à une influence nocive déterminée ;
• que l’exposition à l’influence nocive soit inhérente à l’exercice de l’activité professionnelle ;
• que l’exposition à l’influence nocive soit nettement plus grande que celle à laquelle est soumise la population en général ;
• et que l’exposition à l’influence nocive envisagée constitue, au sein des groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie dont la reconnaissance comme professionnelle est sollicitée.
B. Examen des diverses conditions de reconnaissance de l’exposition
L’analyse de l’exposition au risque professionnel est effectuée en deux temps :
1) Les trois premières exigences supposent une analyse individuelle des conditions de travail de l’assuré social afin de déterminer quelle a été son exposition concrète à l’influence nocive envisagée, soit en raison de l’activité elle-même, soit en raison du lieu dans lequel celle-ci est exercée.
L’identification d’une influence nocive susceptible de constituer le risque professionnel de contracter la maladie dont la reconnaissance est sollicitée est un préalable indispensable.
À ce stade, il importe, lorsque la demande de reconnaissance vise une affection inscrite sur la liste des maladies professionnelles, que puisse être établie une exposition à l’influence nocive ou à l’une des influences nocives visées sous le code.
Une fois identifiée l’influence nocive, il convient de démontrer que l’exposition à celle-ci est inhérente à l’exercice de l’activité professionnelle, ce qui implique une certaine régularité et durée. L’exposition ponctuelle, épisodique ou soudaine à l’influence nocive est insuffisante et répond davantage au concept d’événement soudain, constitutif d’un accident du travail.
Ensuite, l’exposition à l’influence nocive doit être nettement plus grande que celle à laquelle est soumise la population en général, l’adverbe nettement impliquant que le constat d’une simple majoration de l’exposition à l’influence nocive dans le cadre professionnel ne permet pas de considérer que la condition est remplie.
* “Blootstelling aan beroepsrisico’s en direct en bepalend oorzakelijk verband. In het bijzonder, burn-out als werkgerelateerde ziekte”
Cette condition est d’autant plus importante que l’influence nocive visée est commune dans la population en général. La population générale est, en effet, soumise à des vibrations mécaniques (par l’usage d’un véhicule privé au premier titre) ou amenée à porter des charges, à adopter des postures défavorables ou à effectuer des gestes répétitifs (dans le cadre d’une activité sportive, en faisant le ménage, en jardinant, en bricolant, en faisant ses emplettes…) et ce n’est que si, dans le cadre professionnel, l’exposition est beau-
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L’exposition au risque professionnel et le lien causal direct et déterminant. La question particulière du burn-out comme maladie en relation avec le travail*
coup plus fréquente, d’une durée beaucoup plus longue et que l’influence nocive présente une intensité beaucoup plus importante que dans la population générale, qu’il est satisfait à l’exigence posée. Il ne saurait être question d’une exposition nettement plus importante si le même niveau d’exposition à l’influence nocive envisagée est atteint par 20, 30 ou 40 % de la population générale1
Dans cette approche, les circonstances concrètes de l’exécution de l’activité professionnelle (type de lieu, de matériau, de matériel…) et les éléments propres au travailleur concerné (taille, latéralité, éventuels handicaps influençant la manière dont les tâches sont exécutées…) sont centraux.
2) Une fois établie l’exposition effective de l’assuré social à l’influence nocive envisagée, c’est une approche collective qui doit être adoptée, consistant à confronter les données individuelles aux données épidémiologiques en comparant le niveau d’exposition du travailleur concerné avec celui des groupes au sein desquels, sur la base des données médicales généralement admises, l’exposition à l’influence nocive constitue la cause prépondérante de la maladie invoquée.
L’établissement de cette prépondérance de l’exposition à l’influence nocive dans l’étiologie de la maladie à un niveau collectif repose sur le double constat qu’au sein des groupes de personnes exposées, à partir d’un certain seuil, à l’influence nocive :
- la proportion de personnes atteintes de la maladie est plus importante qu’au sein de la population en général ;
- l’accroissement de la prévalence de la maladie permet d’affirmer, avec certitude, que l’exposition à l’influence nocive est LA cause prépondérante de la maladie au sein de ces groupes.
La démonstration de cette condition s’effectue à un niveau collectif, statistique, et donc sur la base d’études épidémiologiques traduisant l’état des connaissances médicales généralement admises, auxquelles renvoie l’article 32, alinéa 2.
Dans l’analyse de cette dernière condition, il n’est plus possible d’introduire d’éléments individuels visant à abaisser ou majorer les seuils retenus en fonction de ces connaissances médicales, de tels éléments viseraient non plus à établir le risque professionnel mais bien la cause réelle, individuelle de la maladie dans le cas particulier de l’assuré social.
Or, celle-ci est soit présumée de manière irréfragable (pour les maladies inscrites à la liste), soit à établir distinctement dans le cadre de l’analyse du lien causal direct et déterminant (pour les autres affections).
Le risque professionnel n’est, en effet, qu’une potentialité, sans aucune certitude quant à la cause exacte de la maladie, celle-ci pouvant trouver son origine ailleurs (dans un travail effectué en dehors des emplois donnant lieu à couverture, dans une activité de loisirs ou encore inhérente à l’organisme de la victime).
Il n’est pas possible de soutenir cette approche et, en même temps, de soutenir qu’il faille modaliser les seuils collectifs, statistiques, en fonction des éléments individuels, de sorte qu’il ne soit plus question de potentialité mais bien de cause concrète.
Les cours du travail de Liège2, de Mons3, de Bruxelles4 et d’Anvers5 ont consacré cette approche collective, tout comme la doctrine6.
Illustration : pour autant que l’assuré social prouve avoir été exposé à des charges suffisamment lourdes pendant une durée suffisante pour constituer, selon les données médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie au sein des groupes qui y sont exposés de la même manière, la reconnaissance du risque professionnel est acquise. Il ne serait pas possible de soutenir qu’étant un sportif accompli et présentant donc une résistance supérieure à la normale, il devrait être exposé davantage qu’un autre travailleur moins costaud.
C. La nécessité d’un lien entre l’exposition au risque professionnel et la maladie dont la reconnaissance est sollicitée
La condition fixée par l’article 32, alinéa 1er, est l’exposition au risque professionnel de contracter LA maladie dont la reconnaissance au titre de maladie professionnelle est revendiquée (c’est-à-dire la maladie objectivée dans le cas d’espèce) et non l’exposition au risque professionnel de contracter UNE maladie de même nature ou anatomiquement proche.
La condition d’exposition au risque professionnel ne peut donc être envisagée qu’au regard de la maladie objectivée et non de manière abstraite.
Illustration : les gestes répétitifs et en force, suffisants pour prouver le risque professionnel de contracter une épicondylite gauche, ne peuvent être considérés comme constituant le risque professionnel de contracter une atteinte tendineuse au niveau du poignet gauche (les gestes répétitifs et en force sollicitant les tendons du poignet ne sont pas identiques à ceux qui sollicitent les tendons du coude), ni même le risque professionnel de contracter une épicondylite droite (encore faudrait-il que les mêmes gestes répétitifs et en force soient accomplis de manière suffisante avec le membre supérieur droit).
Dès lors que le risque professionnel ne peut reposer que sur les connaissances médicales généralement admises sur la base desquels il est établi que l’exposition à l’influence nocive considérée est la cause prépondérante de l’affection envisagée, la démonstration de ce risque suppose :
• qu’il soit établi par des études scientifiques sérieuses que l’exposition à l’influence nocive objectivée dans le cas d’espèce (ce qui inclut la période au cours de laquelle est objectivée l’exposition à l’influence nocive), puisse entraîner l’apparition de cette affection ;
• que lesdites études déterminent à partir de quel seuil d’exposition en termes d’intensité, de durée et de fréquence, celle-ci est la cause prépondérante de l’affection au sein des groupes de personnes exposées.
2 Cour trav. Liège, 20 juin 2014, R.G. n° 2014/AL/422 ; 6 janvier 2015, R.G. n° 2014/AL/138 ; 17 mars 2016, R.G. n° 2015/AN/140 ; 25 mars 2016, R.G. nos 2015/AL/300 et 2015/AL/415 ; 10 novembre 2016, R.G. n° 2015/AN/142 ; 30 novembre 2017, R.G. n° 2016/AL/344 ; 23 janvier 2018, R.G. n° 2016/ AL/526.
3 Cour trav. Mons, 8 novembre 2016, R.G. n° 2016/AM/70 ; 14 février 2018, R.G. n° 2017/AM/275.
4 Cour trav. Bruxelles, 17 janvier 2018, R.G. n° 2016/ AB/859.
5 Cour trav. Anvers, 19 février 2018, R.G. n° 2017/AH/94.
1 Cf. en ce sens : Cour trav. Liège, 21 janvier 2021, R.G. n° 2019/AL/454 : un niveau d’exposition à l’influence nocive atteint par 21 % de la population générale ne permet pas de reconnaître le risque professionnel.
6 S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013/2, p. 463 ; J.-F. FUNCK, Droit de la sécurité sociale, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 415-416, n° 375 et les références citées dans les notes infrapaginales.
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Par conséquent, s’il est exact que les critères et méthodes appliqués par FEDRIS ne lient pas les experts et les juridictions, ils ne peuvent être écartés qu’au profit d’autres critères et méthodes reflétant les connaissances médicales généralement admises. La seule conviction personnelle d’un expert, si compétent et expérimenté soit-il, ne pourrait en tenir lieu.
De même, une étude scientifique isolée et non reconnue de façon majoritaire par le monde scientifique ne peut être retenue.
D. Le caractère certain de l’exposition au risque professionnel
La charge de prouver l’exposition au risque professionnel incombe à l’assuré social sauf en cas de présomption portée par l’arrêté royal du 6 février 2007 fixant la liste des industries, professions ou catégories d’entreprises dans lesquelles la victime d’une maladie professionnelle est présumée avoir été exposée au risque de cette maladie.
Par conséquent, le constat d’un risque professionnel possible, probable et, généralement, tout doute quant à l’existence de celui-ci doit être assimilé à l’absence de démonstration d’un risque professionnel et il en va de même du constat posé de l’impossibilité d’établir l’exposition au risque professionnel.
La cour du travail de Liège s’est prononcée sur ce point par divers arrêts, dont :
• un du 22 novembre 2019 (R.G. n° 2018/AL/790), où il est rappelé que la preuve de l’exposition « doit être établie avec certitude et qu’en cas de doute au sujet de cette exposition, il convient de considérer que la preuve de l’exposition au risque n’est pas rapportée et, par conséquent, que l’intéressé n’a droit à aucune indemnisation à charge de FEDRIS », mais aussi que « l’exposition au risque doit être établie avec certitude et non sur la base de suppositions » ;
• un du 8 octobre 2020 (R.G. n° 2011/AL/137), qui énonce : « En l’espèce, la cour retient de l’expertise qu’il n’est pas établi avec la certitude requise que le sieur V a effectivement (été) exposé au risque de contracter la maladie invoquée dans le cadre de son travail. »
Cette approche est, d’ailleurs, la seule admissible eu égard au caractère d’ordre public des lois coordonnées le 3 juin 1970, puisque reconnaître l’existence d’un risque professionnel qui ne serait pas dûment établi reviendrait à transiger sur cette condition légale alors qu’une telle transaction est interdite par l’article 65 desdites lois.
Il convient, à ce stade, de souligner une erreur de raisonnement fondamentale consistant à soutenir que, puisque le risque professionnel est une potentialité, il ne doit pas être établi de manière certaine : que le risque professionnel ne permette pas d’établir que la cause exacte, concrète de la maladie, dans le cas individuel, est l’exercice de l’activité professionnelle ne permet pas de considérer que la possibilité d’un risque professionnel suffirait.
Face à des affections qui sont d’étiologie multifactorielle, il existe deux moyens d’établir avec certitude que l’exposition à l’influence nocive est (à partir d’un certain seuil) la cause prépondérante de l’affection :
• soit les études scientifiques ont identifié toutes les causes possibles de l’affection et ont établi combien de cas de la maladie chaque cause distincte provoque au sein des groupes de personnes exposées à l’influence nocive et dans ce cas, il suffit qu’au sein de ces groupes, l’exposition à l’influence nocive cause le plus grand nombre de cas pour établir qu’il s’agit de la cause prépondérante ;
• soit les études scientifiques n’ont pas encore pu identifier toutes les causes possibles de l’affection ou n’ont pas pu établir combien de cas de la maladie chacune des causes distinctes provoque au sein des groupes de personnes exposées à l’influence nocive et dans ce cas, le seul constat qu’il y ait plus de malades au sein des groupes de personnes exposées à l’influence nocive qu’au sein de la population générale est insuffisant pour prouver que c’est bien l’exposition à l’influence nocive qui est la cause prépondérante. Le seul moyen de poser ce constat est que le nombre de cas soit au moins doublé dans les groupes de personnes exposées à l’influence nocive puisqu’aucune autre des diverses causes ne pourrait provoquer plus de cas que l’exposition à l’influence nocive.
Une simple prévalence de cas de l’affection envisagée au sein des groupes de personnes exposées à l’influence nocive est insuffisante pour établir que l’exposition à l’une de ces influences est LA cause prépondérante de la maladie.
Illustration :
• il est reconnu scientifiquement que l’âge, le patrimoine génétique, les antécédents traumatiques ou pathologiques, des anomalies constitutionnelles comme une scoliose, une bascule du bassin, certaines habitudes comme le fait de fumer causent l’apparition ou l’aggravation de lésions lombaires… sans que l’on sache combien de cas d’affection lombaire chacune de ces causes provoque au sein de la population générale où, par exemple, sur 1.000 personnes, 320 présentent une atteinte lombaire ;
• le constat qu’au sein des groupes de personnes exposées aux vibrations mécaniques ou au port de charges lourdes avec une certaine fréquence, durée et intensité, le nombre de personnes présentant une atteinte lombaire est de 410 sur 1.000 personnes ne permet pas d’être certain que l’exposition à l’influence nocive est la cause prépondérante de la maladie puisque cette exposition peut être considérée comme la cause de 90 cas sur 410 de sorte que l’une des autres causes (âge, scoliose, antécédents pathologiques…) pourrait en avoir provoqué un nombre plus important ;
• le constat qu’au sein des groupes de personnes exposées aux vibrations mécaniques ou au port de charges lourdes avec une certaine fréquence, durée et intensité, le nombre de personnes présentant une atteinte lombaire est de 640 sur 1.000 personnes permet d’être certain que l’exposition à l’influence nocive est la cause prépondérante de la maladie puisque cette exposition peut être considérée comme la cause de 320 cas sur 640 et AUCUNE autre cause, quelle que soit son importance, ne peut avoir provoqué autant de cas.
E. Cas particulier : les affections ostéo-articulaires des épaules et l’exposition aux vibrations mécaniques
1. Problématique
Le code 1.605.01 de la liste des maladies professionnelles vise les « affections ostéo-articulaires des membres supérieurs provoquées par les vibrations mécaniques ».
Du libellé même du code peuvent être déduits deux constats :
- seules certaines affections des membres supérieurs peuvent être reconnues ET
- la seule influence nocive susceptible de constituer le risque professionnel sont les vibrations mécaniques.
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L’obligation imposée par l’article 32, alinéa 1er, d’établir que l’exposition à l’influence nocive invoquée crée le risque de contracter la maladie dont la reconnaissance est sollicitée implique donc qu’il soit établi, sur la base des connaissances médicales généralement admises, que les vibrations mécaniques transmises aux membres supérieurs constituent, au sein des groupes de personnes qui y sont exposées, la cause prépondérante de l’atteinte.
Un relevé de la littérature scientifique majoritaire et faisant consensus sur la question a mis en évidence l’absence de toute preuve que les vibrations mécaniques transmises par les mains (dans le cadre de l’usage d’engins vibrants) puissent, au sein des groupes de personnes qui y sont exposées, constituer la cause prépondérante de l’arthrose acromio-claviculaire
Ce constat empêche donc toute reconnaissance de cette forme d’affection ostéo-articulaire des membres supérieurs, que ce soit que la base de l’article 30 ou sur celle de l’article 30bis des lois coordonnées, puisque l’absence de démonstration de l’exposition au risque professionnel empêche toute reconnaissance aussi bien dans le système de la liste (art. 30) que dans le système hors liste (art. 30bis).
Il doit encore être souligné que l’absence de tout lien retenu scientifiquement entre l’exposition aux vibrations mécaniques transmises par les mains et le développement de l’arthrose acromio-claviculaire a pour effet que celle-ci ne peut être qualifiée d’affection ostéo-articulaire provoquée par les vibrations mécaniques telle que visée sous le code 160501 de la liste des maladies professionnelles. La reconnaissance d’une telle maladie suppose, en effet, qu’il soit scientifiquement démontré que l’atteinte soit susceptible d’être provoquée par les vibrations mécaniques, quod non
2. Conséquences sur les indemnisations accordées antérieurement
L’indemnisation accordée antérieurement par Fedris doit être arrêtée si elle est octroyée en raison d’une reconnaissance passée qui apparaît erronée parce qu’aucune des conditions de reconnaissance d’une maladie professionnelle n’est remplie.
La loi du 11 avril 1995 instituant la charte de l’assuré social distingue deux hypothèses :
• celle d’une décision définitive (visée par l’article 17) ;
• celle d’une décision non définitive (visée par l’article 18).
Chacune de ces dispositions prévoit des hypothèses particulières et l’on peut, dans la problématique particulière de l’arthrose acromio-claviculaire, défendre l’application de l’un ou l’autre article :
• l’article 17 pourrait être appliqué en invoquant le fait que la reconnaissance de l’arthrose acromio-claviculaire au titre de maladie professionnelle résultait d’une erreur puisque les connaissances médicales généralement admises ne permettent pas de considérer que l’exposition aux vibrations mécaniques telle que retenue constitue le risque professionnel de contracter cette maladie, pas plus que la maladie ne peut être considérée comme correspondant au code 1.605.01 de la liste des maladies professionnelles ;
• l’article 18 pourrait être appliqué dès lors que l’analyse effectuée au sein de FEDRIS et validée par le Conseil scientifique constitue, par rapport aux décisions de reconnaissance antérieures, un élément de preuve nouveau (il importe peu, à cet égard, que les études soient anciennes puisque c’est leur analyse et les
conséquences qui en sont tirées qui sont un élément de preuve nouveau).
La discussion à propos de la disposition qu’il faudrait appliquer ne présente, sur le plan pratique, que peu d’intérêt. En effet, qu’il soit fait application de l’article 17 ou de l’article 18, la conséquence sera identique, à savoir la fin de toute indemnisation à partir du premier jour du mois suivant la décision :
• l’article 17 prévoit lui-même que lorsque la correction de l’erreur a pour conséquence une réduction des droits de l’assuré social, celle-ci ne peut intervenir qu’à partir du 1er jour du mois suivant celui de la décision rectificative ;
• l’article 18 permet de rapporter la décision ancienne et donc de récupérer les sommes versées en exécution de celle-ci, cela résulte de l’application de l’article 14 de l’arrêté royal du 26 septembre 1996 déterminant la manière dont sont introduites et instruites par FEDRIS les demandes de réparation et de révision des indemnités acquises. Cette disposition prévoit qu’en cas de décision qui entraîne une diminution des indemnités d’une victime, elle ne sortira ses effets au plus tôt, si elle concerne une incapacité permanente de travail, le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel a été notifiée la décision, pour autant que 8 jours au moins se soient écoulés entre la date de la notification de la décision et le premier jour du mois qui suit.
II. LE LIEN CAUSAL DIRECT ET DÉTERMINANT
A. Définition et conditions de reconnaissance
L’article 30bis des lois coordonnées porte : « Donne également lieu à réparation dans les limites fixées par le Roi, la maladie qui, tout en ne figurant pas sur la liste visée à l’article 30 des présentes lois, trouve sa cause directe et déterminante dans l’exercice de la profession. La preuve du lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie est à charge de la victime ou de ses ayants droit. »
L’interprétation de cette disposition a fait couler beaucoup d’encre et la Cour de cassation a, par deux arrêts, dont un très récent du 22 juin 20207, précisé la portée de cette exigence et confirmé que la théorie de l’équivalence des conditions, retenue en droit de la responsabilité civile, s’applique à l’article 30bis des lois coordonnées.
La théorie de l’équivalence des conditions induit que « le lien de causalité entre une faute et un dommage est établi lorsque le juge constate que sans cette faute, le dommage, tel qu’il s’est présenté in concreto, ne se serait pas produit , même si d’autres causes y ont concouru. […] Inversement, le juge peut écarter la responsabilité de l’auteur d’une faute lorsqu’il constate que, sans cette faute, le dommage se serait tout de même produit tel qu’il s’est réalisé in concreto »8
Pour appliquer ce principe, « le juge doit imaginer quelle aurait été la situation si la faute n’avait pas été commise ou, plus généralement, si le fait générateur ne s’était pas produit […]. Le juge ne peut à cet égard modifier les circonstances dans lesquelles le dommage est survenu, puisqu’il doit se prononcer in concreto […] »9
Cela fut rappelé notamment par deux arrêts de la Cour d’appel de Mons, selon lesquels, pour déterminer l’existence
7 Cf. ci-après.
8 P. VAN OMMESLAGHE, « Chapitre 4 – Le lien de causalité », in Tome II – Les obligations, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 1607-1646.
9 Op. cit
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du lien de causalité, le juge doit rechercher les conditions sine qua non en reconstruisant mentalement le cours des événements et en omettant les faits litigieux, afin de se demander comment les événements se seraient déroulés sans la faute, toutes choses restant égales par ailleurs10
Appliquée à la question du lien causal requis par l’article 30bis des lois coordonnées le 3 juin 1970, cette théorie suppose donc une analyse en deux temps :
• il s’agit d’abord de déterminer quel eût été l’état de l’intéressé s’il n’avait pas exercé la profession qui a été la sienne, toutes autres choses étant égales par ailleurs,
• puis de comparer cet état et l’état observé concrètement.
Dès lors qu’il s’agit de déterminer si l’exercice de l’activité professionnelle est, au moins partiellement, la cause de l’affection dont la reconnaissance est sollicitée, dans le cas individuel et concret, il ne peut être fait abstraction d’aucun des éléments susceptibles d’avoir concouru à la survenance ou à l’aggravation de l’état observé : sauf à analyser, de manière exhaustive, tous les facteurs susceptibles, dans le cas d’espèce, de provoquer ou d’aggraver l’affection dont la reconnaissance est sollicitée, il est impossible de déterminer que l’exercice de l’activité professionnelle a eu un effet en modifiant l’état qui aurait résulté de la conjonction de ces divers autres facteurs.
Le constat que, dans le cas d’espèce, l’état de l’intéressé est compatible avec son âge, son poids, l’existence de pathologies antérieures ou d’antécédents traumatiques, la pratique antérieure d’un sport… doit donc conduire à considérer l’existence du lien causal entre cet état et l’exercice de la profession comme non établi11
B. Distinction entre risque professionnel et lien causal direct et déterminant
L’existence d’une exposition au risque professionnel de contracter une maladie provoquée par l’influence nocive considérée est une condition nécessaire à l’existence d’un lien causal individuel mais non suffisante.
Comme expliqué ci-avant au point A, le risque professionnel repose sur le constat que l’exposition à l’influence nocive subie par l’assuré social est telle qu’elle constitue, au sein des groupes de personnes exposées, la cause prépondérante de la maladie et non qu’elle est la cause de cette maladie dans le cas individuel.
On ne peut donc induire du constat d’un risque professionnel que, dans le cas individuel, c’est bien l’exposition à l’influence nocive qui est la cause de l’affection qui pourrait être due à un traumatisme, à la pratique d’une activité sportive, à la sénescence de l’organisme, à une malformation congénitale ou à toute autre cause…
Cela a été rappelé par divers arrêts et jugements12 : le risque professionnel n’est, en effet, qu’une potentialité basée sur le constat d’une causalité statistique, épidémiologique alors que le lien causal direct et déterminant vise un lien causal individuel et concret
10 Mons, 18e ch., 29 janvier 2016, R.G. n° 2012/RG/793, www.judidat. be ; Mons, 2e ch., 25 octobre 2016, J.T., 2016, liv. 6670, p. 767.
11 Cf. Cour trav. Liège, 17 mai 2018, R.G. n° 2017/AL/547.
12 Cour trav. Liège, 13 février 2015, R.G. n° 2012/AL/544 ; 4 novembre 2014, R.G. n° 2014/AL/44 ; 4 décembre 2012, R.G. n° 2012/AL/71 ; Trib. trav. Liège, div. Liège, 18 décembre 2015, R.G. n° 405.813 ; 21 mars 2014, R.G. n° 405.827 ; 8 novembre 2013, R.G. n° 399.532 ; 10 septembre 2013, R.G. n° 398.832 ; 28 juin 2013, R.G. n° 413.473 ; 19 avril 2013, R.G. n° 410.443 ; 26 mars 2013, R.G. n° 398.221.
C. Le caractère certain du lien causal direct et déterminant
La charge de la preuve d’établir que, sans l’exercice de l’activité professionnelle, l’état dont la reconnaissance au titre de maladie professionnelle est revendiqué n’eût pas été identique, incombe à l’assuré social.
Ce constat doit être établi avec certitude, un lien « possible », « probable »… ne peut suffire ; le lien causal ne peut se déduire du constat d’une exposition au risque professionnel et posant que « la possibilité d’un lien causal est insuffisante : la relation causale entre l’exposition au risque et la maladie doit être certaine »13
Dès lors, s’il existe un doute quant au fait que l’état de l’intéressé est différent de ce qu’il eût été sans l’exercice de l’activité professionnelle ou s’il est impossible de faire ce constat, le lien causal doit être considéré comme non prouvé14
Ainsi, la seule conviction d’un médecin, fût-il expert, est insuffisante si elle ne s’appuie pas sur un raisonnement concret tenant compte de tous les facteurs envisageables15
Le choix d’apprécier le lien causal requis par l’article 30bis au travers de la théorie de l’équivalence des conditions confirme encore cette nécessaire certitude puisqu’il est unanimement admis dans cette théorie que le lien de causalité entre la faute et le dommage doit être certain16. Le doute ou l’incertitude quant au lien de causalité équivaut donc au constat que cette condition n’est pas remplie17
III. LES MALADIES EN RELATION AVEC LE TRAVAIL : LE BURN-OUT
A. Notion de maladies en relation avec le travail
L’article 62bis des lois coordonnées le 3 juin 1970 prévoit, en son § 1er :
« FEDRIS peut contribuer à la prévention des maladies professionnelles en finançant des mesures au bénéfice de personnes victimes d’une maladie en relation avec le travail. Les maladies en relation avec le travail sont des maladies, non visées aux articles 30 et 30bis, qui, selon les connaissances médicales généralement admises, peuvent trouver leur cause partielle dans une exposition à une influence nocive, inhérente à l’activité professionnelle et supérieure à celle subie par la population en général, sans que cette exposition, dans des groupes de personnes exposées, constitue la cause prépondérante de la maladie. »
Il n’est pas possible d’établir qu’une exposition aux conflits, au stress, à une surcharge de travail, à des exigences qualitatives constitue en soi, sur base des connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante du burn-out au sein des groupes de personnes qui y sont exposées.
13 Cf. Cour trav. Liège, 26 mars 2019, R.G. n° 2018/AL/148.
14 Cour trav. Liège, 21 février 2017, R.G. n° 2016/ AL/191 ; 29 juin 2016, R.G. n° 2012/AL/99 ; 20 avril 2015, R.G. n° 2013/AL/247 ; 4 novembre 2014, R.G. n° 2014/AL/44 ; 6 mars 2012, R.G. n° 2011/AL/39.
15 Cour trav. Liège, 16 janvier 2014, R.G. n° 2013/AL/247 ; 21 juin 2013, R.G. n° 2012/AL/653 ; et Trib. trav. Liège, div. Huy, 24 juin 2015, R.G. n° 2015/1849 ; Trib. trav. Liège, div. Verviers, 7 mai 2015, R.G. n° 13/1155/A ; Trib. trav. Hainaut, div. Charleroi, 10 avril 2014, R.G. n° 13/178/A.
16 B. DUBUISSON, V. CALLEWAERT, B. DE CONINCK et G. GATHEM, La responsabilité civile – Chronique de jurisprudence (1996-2007), vol. 1, Le fait générateur et le lien causal , Bruxelles, Larcier, coll. du Journal des tribunaux, 2009, pp. 364 et s.
17 Cass., 1er avril 2004, Pas., 2004, p. 527.
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Même au sein de groupes exposés à des exigences quantitatives et qualitatives élevées, il n’est pas établi que cette exposition en constitue la cause prépondérante.
Si ce constat empêche la reconnaissance du burn-out au titre de maladie professionnelle, on ne peut dénier que l’exercice de l’activité professionnelle peut entraîner une exposition à des exigences en termes de rendement ou de qualité de travail qui peuvent influer sur le développement de cette maladie18. C’est en ce sens qu’il a été envisagé de considérer cette maladie comme étant en relation avec le travail.
B. Le projet-pilote burn-out
L’arrêté royal du 7 février 2018 prévoit un projet-pilote s’inscrivant dans le cadre de la mission de prévention de FEDRIS telle que prévue à l’article 6bis des lois coordonnées le 3 juin 1970 (mission inscrite dans ces lois coordonnées par la loi du 13 juillet 2006, portant des dispositions diverses en matière de maladies professionnelles et d’accidents du travail et en matière de réinsertion professionnelle).
L’objectif poursuivi par cet arrêté royal est de confirmer la faisabilité et la validité d’un trajet d’accompagnement de travailleurs menacés ou atteints à un stade précoce de burnout19, qui doit permettre le maintien au travail ou la reprise rapide du travail par ces travailleurs.
Si les résultats sont positifs, ce trajet qui vise actuellement des groupes-cible précis (travailleurs des services financiers hors assurance et caisse de retraite et des institutions hospitalières ou d’hébergement médicalisé) pourrait, à l’avenir et après évaluation, faire l’objet d’une généralisation via un programme pérenne dans le cadre de la prévention des maladies en relation avec le travail, comme prévu par l’article 62bis des lois coordonnées.
Les étapes du trajet peuvent être synthétisées de la manière suivante :
A. Le travailleur qui a introduit une demande est pris en charge en deux étapes :
1) le diagnostic de burn-out est confirmé par des professionnels indépendants, sous convention avec FEDRIS ;
2) sur la base du rapport fourni par ce psychologue et l’accord de FEDRIS, un trajet de prise en charge est assuré par des professionnels indépendants, sous convention avec FEDRIS.
B. Le trajet d’accompagnement comprend des prises en charge centrées sur la personne et sur le milieu de travail selon les modalités suivantes :
1) le nombre de séances peut être variable et différents types de prises en charge sont prévus,
2) les séances peuvent être suivies en dehors des heures de travail,
3) la confidentialité est garantie tout au long de la prise en charge,
4) seules les informations nécessaires à la prise en charge sont partagées entre professionnels soumis au secret médical.
IV. L’INCAPACITÉ DE TRAVAIL ET LA NOTION DE CONSOLI-
DATION
A. Notions d’incapacité de travail temporaire et permanente
L’article 34 des lois coordonnées le 3 juin 1970 renvoie aux articles 22 et 23 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail en ce qui concerne l’indemnisation de l’incapacité de travail temporaire en prévoyant quelques adaptations de texte et certaines règles de prise en charge tenant compte de la spécificité de la matière.
Ainsi, en ses alinéas 4 et 5, l’article 34 pose deux conditions spécifiques à l’indemnisation d’une période d’incapacité de travail temporaire :
- la période d’incapacité de travail temporaire doit durer au moins 15 jours ;
- la période antérieure de plus de 365 jours avant la demande de l’assuré social n’est pas indemnisable.
L’article 52 ajoute une condition de prise en charge supplémentaire qui est que la demande doit être introduite au cours de la période d’incapacité temporaire de travail, interrompue ou non par une ou plusieurs périodes de reprise de travail, ou au cours de la période où se manifestent les symptômes de la maladie professionnelle.
Ce renvoi de la législation organisant la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles vers la législation organisant celle des dommages résultant des accidents de travail est une conséquence logique de la ratification par la Belgique de la Convention n° 18 de l’Organisation internationale du travail (1925) porte, en son article 1er, point 1 :
« Tout Membre de l’Organisation internationale du Travail ratifiant la présente convention s’engage à assurer aux victimes de maladies professionnelles ou à leurs ayants droit une réparation basée sur les principes généraux de sa législation nationale concernant la réparation des accidents du travail. »
Cette convention est, d’ailleurs, à l’origine de la première législation relative aux maladies professionnelles, promulguée en 1927.
L’objectif de parallélisme avec la législation relative aux accidents de travail a encore été rappelé dès la première page de l’exposé des motifs du projet devenu la loi du 24 décembre 1963 relative à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles et à la prévention de celles-ci20
Il y est, en effet, question d’une « harmonisation plus étroite entre le régime de réparation des dommages causés par les maladies professionnelles et celui des dommages résultant des accidents du travail »21
Ainsi, l’incapacité de travail temporaire est déterminée, en matière de maladies professionnelles, d’après les possibilités de travail de la victime dans la profession qu’elle exerçait avant le début de l’incapacité initiale ou dans une profession appropriée qui peut lui être confiée à titre provisoire22. Il s’agit de la même définition que celle qui vaut en matière d’accidents de travail.
L’incapacité de travail est qualifiée de temporaire aussi longtemps que l’état de la personne, résultant de la maladie professionnelle ou de l’accident du travail, est susceptible d’évolution. Elle prend fin par le décès de la personne, par la guérison ou par la consolidation des séquelles.
18 Sur le burn-out comme maladie, voy. Cour trav. Bruxelles, 22 février 2022, ci-après.
19 Stade 1 ou 2 défini par un expert indépendant de Fedris, le Docteur I. Hansez, professeur en médecine du travail à l’Université de Liège.
20 M.B., 31 décembre 1963.
21 Doc. parl., Sénat, 1962-1963, n° 237 (29 mai 1963).
22 P. DELOOZ et D. KREIT, « L’incapacité de travail temporaire », in Les maladies professionnelles, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 127.
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Par un arrêt du 30 mars 1987, la Cour de cassation a décidé que le juge qui constate que le taux de l’incapacité de travail d’une victime d’un accident de travail s’est modifié à une certaine date ne décide pas légalement que l’incapacité est déjà devenue permanente avant cette date23
Force est de constater, par ailleurs, que l’incapacité de travail permanente recouvre également la même réalité dans les deux régimes visant à indemniser le risque professionnel.
Ainsi, l’article 35, alinéas 1 et 2, des lois coordonnées le 3 juin 1970 est libellé d’une manière similaire à celle de l’article 24, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971 :
• article 35 : Lorsque l’incapacité de travail temporaire devient permanente, une allocation annuelle de 100 p.c. déterminée d’après le degré de l’incapacité permanente, remplace l’indemnité temporaire à partir du jour où l’incapacité présente le caractère de la permanence.
Lorsque l’incapacité de travail est permanente dès le début, une allocation annuelle de 100 p.c., déterminée d’après le degré de l’incapacité permanente, est reconnue à partir du début de l’incapacité […]
• article 24 : Si l’incapacité est ou devient permanente, une allocation annuelle de 100 p.c., calculée d’après la rémunération de base et le degré d’incapacité, remplace l’indemnité journalière à dater du jour ou l’incapacité présente le caractère de la permanence.
La notion d’incapacité de travail permanente n’est pas autrement définie dans l’une et l’autre loi et c’est la Cour de cassation qui en a donné, dans chaque secteur, une définition, laquelle est similaire :
• en matière d’accident de travail, la Cour de cassation a défini l’incapacité de travail permanente comme « la perte ou la diminution du potentiel économique de la victime sur le marché général de l’emploi »24 et a précisé qu’elle s’évalue « non seulement en fonction de l’incapacité physiologique, mais encore en fonction de l’âge, de la qualification professionnelle, de la faculté d’adaptation, de la possibilité de rééducation professionnelle et de la capacité de concurrence sur le marché général de l’emploi »25 ;
• en matière de maladie professionnelle, la Cour de cassation a défini l’incapacité de travail permanente comme « la perte ou la diminution du potentiel économique de la victime sur le marché général du travail » et a précisé qu’elle s’évalue « non seulement en fonction de l’incapacité physiologique mais encore en fonction de l’âge, de la qualification professionnelle, de la faculté d’adaptation, de la possibilité de rééducation professionnelle et de la capacité de concurrence de la victime sur le marché général de l’emploi »26
B. Notion de consolidation
La similitude des textes légaux et de la définition donnée aux notions d’incapacité de travail temporaire et d’incapacité de travail permanente, empêche de soutenir qu’il faudrait envisager les choses de manière différente et qu’il n’y aurait pas de consolidation en matière de maladies professionnelles.
Le moment, expressément visé par l’article 35 des lois coordonnées, où l’incapacité présente le caractère de la per-
23 Cass., 30 mars 1987, R.G. n° 5592, Pas., 1987, I, 909.
24 Cass., 3 avril 1989, J.T.T., 1989, p. 362.
25 Cass., 10 mars 1980, Pas., 1980, I, p. 838.
26 Cass., 11 septembre 2006, S.05.0037.F, Pas., 2006, 1690, concl. J.-F. LECLERCQ ; Chr. D.S., 2007, 197.
manence est bien la consolidation, c’est-à-dire le moment à partir duquel l’éventuelle incapacité de travail qui subsiste devient permanente.
Cette consolidation est définie comme le moment auquel les séquelles de la maladie se stabilisent et que, selon les prévisions médicales, celles-ci ne sont plus susceptibles d’évolution.
Un argument est parfois évoqué pour justifier l’absence de consolidation en matière de maladies professionnelles : la possibilité de solliciter la révision de l’incapacité de travail permanente à tout moment alors que cette possibilité n’est ouverte que pendant trois ans en matière d’accidents de travail.
Cet argument est incorrect puisqu’au-delà de la période triennale, il est toujours possible de solliciter l’indemnisation d’une aggravation temporaire ou définitive de l’incapacité de travail permanente au travers soit de la reconnaissance d’une période d’incapacité de travail temporaire, soit de l’octroi d’une allocation d’aggravation.
C. Les conditions de la prise en charge d’une aggravation
Comme mentionné ci-avant, le parallélisme voulu entre les régimes d’indemnisation des dommages liés aux accidents de travail et aux maladies professionnelles doit conduire à appliquer les mêmes conditions à la prise en charge d’une éventuelle aggravation de l’incapacité de travail permanente.
La jurisprudence s’est abondamment prononcée sur cette question dans le cadre de la législation relative aux accidents du travail et plus particulièrement l’article 72 de la loi du 10 avril 1971 qui prévoit la possibilité d’une action en révision des indemnités acquises.
Ainsi, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser les conditions de l’action en révision des indemnités acquises suite à un accident de travail et a notamment posé le principe que la modification de l’état de santé de la victime doit être due aux conséquences de l’accident du travail27
Les juridictions du fond ont suivi cet enseignement et considéré que, pour pouvoir donner lieu à une révision des indemnités acquises, la modification de l’état physique de la victime doit être imputable, à tout le moins partiellement, à l’accident. En revanche, aucune révision ne pourra avoir lieu lorsque la lésion provoquée par l’accident est aggravée par une cause étrangère à ce dernier28
La victime d’un accident de travail ne peut prétendre à la moindre réparation si l’aggravation de son état trouve son origine exclusive dans une cause totalement étrangère à l’accident29
Cela est tout à fait transposable en matière de maladies professionnelles, sous la réserve que l’origine des lésions n’est pas, ici, l’événement soudain qualifié d’accident de travail mais bien l’exposition professionnelle à l’influence nocive qualifiée de risque professionnel
La prise en charge d’une éventuelle aggravation de l’incapacité de travail permanente suppose donc que les deux conditions suivantes soient remplies :
• une aggravation effective et objectivée de l’état de santé de l’assuré social ;
• l’exposition au risque professionnel doit avoir joué un rôle non pas dans l’état global objectivé dans le
27 Cass., 15 avril 2002, S.01.0017.F, Pas., 2002, 297, p. 985 et s. ; rappelé notamment par Cour trav. Bruxelles, 16 avril 2007, R.G. n° 47.217. 28 Cour trav. Liège, 15 septembre 2003, R.G. n° 26.424 ; 19 janvier 2004, R.G. n° 30.132 ; 16 janvier 2006, R.G. n° 32.450.
29 Cour trav. Mons, 6 septembre 2010, R.G. n° 1997/AM/14.874.
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cadre de la demande en révision, mais dans l’évolution constatée.
Cette seconde condition est fondamentale dès lors qu’il y aura nécessairement, dans l’état objectivé dans le cadre de l’examen de la demande en révision, une part « professionnelle » de l’incapacité de travail et celle-ci est précisément ce qui est indemnisé en application de la décision précédente.
C’est bien l’évolution constatée dans l’incapacité de travail qui doit résulter de l’exposition au risque professionnel30
La Cour du travail de Liège a confirmé cette approche en indiquant que le demandeur en révision doit établir :
- « une modification de son état de santé et le fait que cette modification résulte de la maladie professionnelle, ce qui suppose le caractère évolutif de la maladie en question ;
- que cette modification doit entraîner une aggravation de l’incapacité permanente de travail »31.
La charge de démontrer l’évolution ET que celle-ci est encore liée à l’exposition au risque professionnel incombe à l’assuré social de sorte que si on ne peut établir de manière certaine que l’aggravation constatée a été causée au moins en partie par l’exposition au risque professionnel, cette aggravation n’est pas prise en charge dans le régime des maladies professionnelles.
Cette preuve sera d’autant plus difficile à rapporter que le délai entre la fin de l’exposition au risque professionnel et l’objectivation de l’aggravation est long : cette durée accroît la possibilité et aussi l’effet de facteurs intercurrents comme un traumatisme, le vieillissement, un état pathologique ou autre.
30 Cour trav. Liège, 16 juin 2020, R.G. n° 2019/AL/229.
31 Cour trav. Liège, 18 août 2020, R.G. n° 2019/AL/618.
V. CONCLUSION
En tant qu’institution publique de sécurité sociale gérée paritairement, Fedris contribue à la protection et à la promotion de la santé des travailleurs en milieu professionnel aussi bien sur le plan de la prévention, comme nous l’avons vu notamment avec le burn-out comme maladie en relation avec le travail, que sur le plan de l’indemnisation correcte des dommages d’origine professionnelle.
Les lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci coordonnées le 3 juin 1970 prévoient deux méthodes de reconnaissance d’une maladie professionnelle ; un ensemble de maladies énumérées sur une liste pour lesquelles la preuve du lien causal individuel n’est pas requise et la possibilité pour toute autre maladie d’être reconnue moyennant la preuve qu’elle trouve sa cause dans l’exercice de l’activité professionnelle dans le cas concret (c’est le lien causal direct et déterminant développé infra).
L’article 65 prévoit que toute convention contraire aux dispositions est nulle de plein droit, signant ainsi leur caractère d’ordre public.
Enfin, la charge de la preuve de l’exposition à un risque professionnel et de l’atteinte sur le plan médical incombe légalement au demandeur, comme celle du lien causal direct et déterminant lorsque la maladie ne figure pas sur la liste.
En conclusion, la matière des maladies professionnelles est fort complexe et fera encore couler beaucoup d’encre.
Frédéric PATRIS, Conseiller et responsable du Département juridique, service contentieux, études et recouvrement de Fedris
Véronique MARCHAND, Attachée au service contentieux de Fedris
INTRODUCTION
1. Cette étude propose une analyse des conditions de reconnaissance des maladies professionnelles indemnisables. Les quelques propos introductifs qui suivent démarrent par un bref état des lieux, puis précisent les objectifs et l’optique de départ de cette étude, et, enfin, en détaillent l’objet concret.
2. Entamons le bref état des lieux par le rappel d’une évidence : cette branche spécifique de la sécurité sociale que constitue la réparation des maladies professionnelles est particulièrement délaissée par la recherche juridique1. De
* « Vergoedbare beroepsziekten: conceptuele, theoretische en praktische benadering » (n.d.l.r.).
1 De sorte qu’on ne retrouve pas les échanges fructueux qui ont marqué l’évolution de l’autre branche du risque professionnel (les accidents du travail). Voy. pour une présentation des apports croisés de la Cour de cassation, de son Avocat général et de la recherche académique sur le terrain du concept d’accident du travail, M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, La notion d’accident (sur le chemin) du travail : état des lieux, Bruxelles, Kluwer, coll. « Études pratiques de droit social », 2011, pp. 23 à 37. Par ailleurs, dans la matière des maladies professionnelles, la Cour de cassation n’a été saisie que rarement, ce qui contraste avec l’abondance de sa jurisprudence (et donc d’apports interprétatifs de premier plan) dans la branche des accidents du travail.
plus, si la branche bénéficie d’une législation relativement stable, cette dernière ne brille pas par sa clarté2 et apparaît à bien des égards lacunaire (le nombre de notions non définies en atteste à suffisance). Dans le même temps, la législation, dans son état actuel, n’est pas irriguée par des options politiques clairement affirmées, compréhensibles et qui font sens. Cet état de fait a entraîné dans le chef de FEDRIS3 le développement d’interprétations, qui se déclinent, sur notre terrain d’analyse, par des critères administratifs internes de reconnaissance, appliqués au stade de l’instruction des demandes. Ces critères résultent d’options
2 Comme nous aurons l’occasion de le démontrer, les quelques modifications législatives intervenues embrouillent davantage qu’elles n’éclairent.
3 FEDRIS est, pour rappel, l’institution de sécurité sociale chargée de statuer sur les demandes et d’indemniser les travailleurs assujettis aux lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970 (ci-après « lois coordonnées ») et les travailleurs relevant de l’arrêté royal du 21 janvier 1993 relatif à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles en faveur de certains membres du personnel appartenant aux administrations provinciales et locales, affiliés à l’Office national de sécurité sociale des administrations provinciales et locales.
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Les maladies professionnelles indemnisables : approches conceptuelle, théorique et pratique*
sous-jacentes qui, à quelques exceptions près, ne font pas l’objet de publicité, de sorte que, par ailleurs, l’influence des aspects budgétaires sur la prise en compte et l’évaluation des données scientifiques ne peuvent être appréciées.
Dans un tel contexte, les juridictions du travail, instance de contrôle des décisions administratives en sécurité sociale, sont évidemment amenées à jouer un rôle essentiel4. Chargées d’appliquer la loi au cas particulier, et donc de déterminer les droits de l’assuré social justiciable à un régime de sécurité sociale, les juridictions du travail sont tenues, pour apprécier dans le cas d’espèce la réunion des conditions objectives d’octroi (dont l’interprétation et l’application relèvent de leur office), d’en dégager le sens et la portée, et, le cas échéant, de valider, nuancer ou écarter les interprétations administratives5. Cet exercice prend place dans un contexte particulier. D’abord, ce contentieux apparaît toujours très marqué géographiquement6. Ensuite, il est caractérisé par une très forte inégalité entre les parties au litige sur le plan de l’égalité des armes. FEDRIS est, doit-on le rappeler, une institution de sécurité sociale spécialisée7, et donc terriblement bien armée pour défendre son point de vue (concrètement ses critères de reconnaissance). Enfin, le
4 La doctrine a très tôt souligné l’importance du contrôle judiciaire : après avoir rappelé que le Fonds de prévoyance de l’époque centralise les demandes, statue sur leur recevabilité, les instruit, arrête l’indemnisation et la verse, il est indiqué que : « La loi ne livre cependant pas les parties à l’arbitraire du Fonds de Prévoyance : elle prévoit un recours en justice » (J. MOLDAVER, Le problème social des maladies professionnelles et sa solution en droit belge, Bruxelles, ULB, coll. « Travaux de l’école des sciences politiques et sociales », 1939, p. 107). L’importance du contentieux social a également été soulignée en France, pays à propos duquel il a été écrit : « C’est ainsi que les juges ont acquis ici, plus que dans aucune autre branche de la sécurité sociale […] une importance qui ne se dément pas au fil des ans. À cet égard, s’interroger sur le fait que la jurisprudence soit ou non une source de droit semble totalement superfétatoire ici, tant les interprétations tirées par le juge sont à l’origine d’évolutions que ne renierait pas le législateur lui-même. Depuis plus d’un siècle, ce sont en effet les juges, qui nous permettent de répondre à la question de savoir ce que le droit protège et d’en tirer les conséquences pour dire ensuite ce qu’il répare » (A. EMANE, « La santé au travail sous l’angle de la protection et de la réparation des risques professionnels. Évolutions et perspectives », La Documentation française (revue française des affaires sociales), 2008/2, p. 282).
5 On rappelle que, concernant tant les conditions d’octroi que l’évaluation et l’étendue de la réparation, les juridictions du travail statuent sur des droits subjectifs et disposent d’un contrôle de pleine juridiction ; voy. M. DELANGE, « Les pouvoirs du juge dans le droit de la sécurité sociale », éd. Commission Université-Palais, 2002, pp. 5-130.
J.-F. NEVEN et H. MORMONT, « Les pouvoirs du juge dans le contentieux de la sécurité sociale », Le contentieux du droit de la sécurité sociale, Limal, Anthemis, coll. « Perspectives de droit social », 2012, pp. 423-424, relèvent également l’applicabilité de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme, dont ils rappellent qu’il impose à la juridiction saisie le respect de l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif comme des parties en cause, et celle de disposer d’une plénitude de juridiction, impliquant qu’elle « soit compétente pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont elle se trouve saisie ». Il en découle donc que la décision administrative litigieuse et toutes les options administratives d’interprétation tombent dans le champ de ce contrôle.
6 Pour des raisons sans doute historiques qui restent obscures, la grande majorité du contentieux (les demandes en justice) est concentré dans le ressort de la cour d’appel de Liège. On ne doit donc pas s’étonner de la prépondérance des décisions « liégeoises » parmi la jurisprudence accessible et les nombreuses citations des arrêts de la cour du travail de Liège dans le présent texte.
7 Outre ses missions en matière d’indemnisation, elle peut également intervenir auprès d’autres organismes et services publics (en vue d’expertises médicales) ou au sein des entreprises (enquêtes de détermination du risque) (art. 6 des lois coordonnées). FEDRIS est dotée d’un organe (le conseil scientifique), dont la mission est notamment d’étudier les maladies et de rechercher celles susceptibles de donner lieu à réparation ainsi que d’émettre des propositions ou avis (art. 16 des lois coordonnées). Cet organe est enfin assisté de « commissions médicales » (art. 17, § 5, des lois coordonnées).
contrôle judiciaire se meut dans un contexte pluridisciplinaire. La matière conduit en effet à rechercher les éléments permettant d’affirmer l’imputabilité d’une maladie au travail subordonné de la victime, terrain où peuvent se confronter des disciplines variées et complexes – dont certaines sont au cœur des critères administratifs opposés à la victime – et avec lesquelles le juriste est peu familiarisé8
Il est donc un fait certain : l’analyse juridique est en la matière complexe, d’autant que le juriste ne peut prétendre appréhender de manière fine les analyses et méthodologies dominant les autres disciplines. Cet aspect « technicien » explique sans doute le peu d’attrait de la branche sur le plan de la recherche juridique9
3. La présente étude présente une partie des résultats des recherches relatives aux concepts (conditions d’octroi) menées dans le décours des formations organisées par l’Institut de formation judiciaire sur la thématique des maladies professionnelles. Elle est également l’occasion de revenir sur la jurisprudence récente10.
Nous n’avons évidemment nullement la prétention d’épuiser le sujet. L’ambition est en effet surtout de contribuer à nourrir la réflexion juridique dans cette branche (délaissée) de la sécurité sociale. Cette étude adopte néanmoins une approche spécifique ; elle est irriguée par la question de l’effectivité du droit à la réparation du risque professionnel, « née exclusivement des nécessités sociales »11 et qui ressortit à part entière au droit de la protection sociale des travailleurs12
8 La matière présente en effet la particularité d’interagir avec plusieurs disciplines, dont la médecine, les sciences biomédicales (toxicologie, biologie, ergonomie, etc.), la psychologie et la sociologie au travail, les mathématiques et sciences de l’ingénierie, etc. Il a été observé que ce terrain « scientifique » entraîne un « manque de légitimité ressentie par les juges » pour se prononcer sur la question de la causalité, de sorte qu’ils ne « se permettent que très rarement de dépasser [l] es appréciations médicales restrictives » émises par l’administration (A. LE DIGUERHER et A. MARCHAND, « Le difficile accès au droit de la réparation des victimes du travail en France : l’épreuve de la construction des preuves », in V. DE GREEF et J.-Fr. NEVEN (dir.), Quel droit de la santé au travail après la pandémie de Covid-19 ? Actes en hommage à Laurent Vogel , P.U.B., à paraître).
9 En 1963, la rare doctrine déplorait déjà l’absence d’examens doctrinaux sérieux et d’une recension analytique de la jurisprudence (« La jurisprudence très intéressante dont seul dispose le Fonds […] n’a jamais été ni rassemblée, ni coordonnée, ni étudiée dans son ensemble »), empêchant le développement d’une « philosophie juridique qui aurait subi l’épreuve du temps et de la critique » (A. DEROUX et J. VIAENE « Essai de phénoménologie en matière d’assurance maladies professionnelles », R.D.S., 1963, p. 257). En 2022, nous pourrions poser le même constat : il persiste toujours très peu d’analyses doctrinales et il n’existe toujours aucune publication systématique de la jurisprudence, pourtant abondante (ni d’analyse qualitative de celle-ci). Enfin, on peut aussi observer que la matière n’intéresse pas davantage la recherche dans le domaine des sciences sociales, ce qui contraste avec nos voisins français, où les études abondent.
10 Il s’agit essentiellement de la jurisprudence de la cour du travail de Liège, rendue sur la période 2020-2021. Les décisions citées dans ce texte sont, sauf indication contraire, accessibles sur le site (dont l’accès est totalement libre) de l’asbl Terra Laboris : www.terralaboris.be
11 Selon l’expression empruntée à S. DAVID, Responsabilité civile et risque professionnel , Bruxelles, Larcier, 1958, p. 37.
12 Nous visons par ce terme la protection contre les risques sociaux, en l’espèce celui de voir la capacité à gagner sa vie par le fruit de son travail amoindrie ou annihilée par le travail subordonné. Le droit de la réparation des risques professionnels constitue en effet « une branche de protection des salariés » (M. KEIM-BAGOT, « Autour de la pensée d’Yves Saint-Jours. Droit de la responsabilité civile et sécurité sociale », Droit Ouvrier, septembre 2021, pp. 492-493). Dans cette perspective, il nous semble indispensable de dégager une analyse du régime selon laquelle les droits qu’il garantit ne seraient pas uniquement tributaires de l’application mécanique de la règle relative à la charge de la preuve, dont le fardeau – nonobstant les difficultés objectives d’administration de la preuve – pèse pour l’essentiel sur l’assuré social malade. Cela est d’autant plus important que le phénomène de non-recours au droit est très marqué dans le secteur,
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Cette question de l’effectivité13 nous conduit ainsi à garder en arrière-plan de la réflexion certains principes directeurs propres aux régimes de sécurité sociale, tels que la nécessité d’un accès effectif aux prestations et l’accès aisé au contrôle judiciaire de pleine juridiction des actes administratifs14. Ce type de perspective suppose nécessairement que les conditions d’octroi soient clairement énoncées et qu’en outre, elles soient démontrables et vérifiables. Ensuite, l’examen sous l’angle de l’effectivité conduit nécessairement à s’intéresser aux finalités du régime de réparation, et à tâcher de dégager une interprétation qui les respecte. Ce faisant, nous serons amenés à questionner l’action des pouvoirs législatif et exécutif (c’est-à-dire les lois et arrêtés) ainsi que certaines des options d’interprétation proposées par l’administration, qui peuvent à certains égards apparaître dogmatiques.
4. Nous avons enfin pris le parti de considérer le lecteur comme averti de la matière, ce qui permet d’éluder certains aspects supposés connus15. Aussi nous limiterons-nous, à ce stade introductif, à souligner quelques particularités sur le plan normatif.
Le régime est – comme pour son « frère » organisant la réparation des accidents du travail – régi par deux lois organiques, selon le secteur (public ou privé) dont relève le travailleur. Il s’agit des lois coordonnées du 3 juin 1970 pour le secteur privé et de la loi du 3 juillet 1967 pour le secteur public16. Cette dernière opère un renvoi aux articles 30 et 30bis des lois coordonnées pour ce qui est de la notion de « maladie professionnelle ». Par contre, la condition d’indemnisation, d’avoir été exposé au risque professionnel de la maladie, est régie de manière autonome dans chaque secteur. En effet, la disposition des lois coordonnées (art. 32)
pour des raisons diverses (touchant à la sous-déclaration des maladies professionnelles, l’instruction et les pratiques administratives, les difficultés d’administration de la preuve, la durée et la complexité des procédures judiciaires, etc.), que nous n’avons pas l’occasion de développer ici.
13 Entendue comme la qualité du droit à produire des effets qui correspondent à ses finalités (voy. à ce sujet, Y. LEROY, L’effectivité du droit au travers du questionnement en droit du travail, Paris, L.G.D.J., 2011).
14 Voy, sur la question de l’accessibilité aux juridictions du travail, S. GILSON, M. GLORIEUX, S. PALATE et A. ROGER, « Les dépens en matière de sécurité sociale », Le contentieux du droit de la sécurité sociale, Limal, Anthemis, coll. « Perspectives de droit social », 2012, p. 361. Rappelons également que les dispositions procédurales applicables en matière de sécurité sociale témoignent de la volonté d’assurer cet accès aisé, tendant vers la gratuité et le déformalisme.
15 Pour des examens plus (ou moins) détaillés, voy. notamment P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, 3e éd., Bruxelles, Larcier, coll. « Droit social », 2015 ; S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013, pp. 454-512, ainsi que la contribution de D. DE BRUCQ dans le Guide social permanent.
16 Loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public, ci-après « la loi du 3 juillet 1967 ». Rappelons qu’il s’agit d’une loicadre, de sorte que ses dispositions doivent être lues conjointement avec celles de l’arrêté royal qui la rend applicable et l’exécute. Les principaux arrêtés royaux sont les suivants : arrêté royal du 5 janvier 1971 relatif à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles dans le secteur public ; arrêté royal du 12 janvier 1973 relatif à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles en faveur de certains membres du personnel des provinces, des communes, des agglomérations et fédérations de communes, des associations de communes, des centres publics d’aide sociale et des caisses publics de prêt ; arrêté royal du 21 janvier 1993 relatif à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles en faveur de certains membres du personnel appartenant aux administrations provinciales et locales, affiliés à l’Office national de sécurité sociale des administrations provinciales et locales ; arrêté royal du 30 mars 2001 portant la position juridique du personnel des services de police (PjPol).
ne s’applique pas aux personnes assujetties à la loi du 3 juillet 1967 (secteur public)17. Pour celles-ci, c’est l’arrêté royal d’exécution applicable qui prévoit la condition. Chacun des arrêtés d’exécution organise – de la même manière – une présomption générale d’exposition au risque professionnel, dispensant ainsi la victime de la charge de l’établir18. Enfin, aucun desdits arrêtés royaux ne contient de définition de la notion de risque professionnel.
5. L’examen que nous proposons est structuré en quatre chapitres.
Dans un premier temps (chapitre I), et logiquement vu l’approche adoptée, nous reviendrons sur les finalités du régime, qui se dégagent des travaux liés à l’adoption de la loi consacrée à la réparation des accidents du travail. De ce point de départ, nous allons examiner et interroger les différentes évolutions intervenues dans la législation qui nous occupe. Dans un deuxième temps (chapitres II et III), nous allons procéder à un examen plus détaillé et technique de la législation, et plus particulièrement des exigences de preuve, dans le système de la liste et dans le système hors liste. Nous y exposerons quelques éléments de réflexion sur leur interprétation, à l’aune des finalités de protection assignées au régime.
Le chapitre est ainsi consacré à l’analyse du système de la liste, où – pour tenter d’illustrer le propos – l’examen d’une des maladies de la liste sera proposé, celle du code 1.606.22 (troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs causés par le travail répétitif ou les postures défavorables), qui présente la particularité d’une influence des aspects individuels sur le niveau du risque. Nous reviendrons notamment sur les interrogations quant à la portée des exigences causales prévues par le code et la nature des interactions qu’elles entretiennent avec la condition d’exposition au risque professionnel de la maladie. L’examen sera opéré dans les deux secteurs (public et privé). Enfin, cette partie est l’occasion de revenir de manière substantielle sur la condition complexe à tous points de vue de l’exposition au risque professionnel de la maladie du secteur privé.
Ensuite (chapitre III), le même exercice sera opéré pour le système ouvert, l’illustration étant opérée par le biais d’une maladie psychosociale également multifactorielle : le burnout. Comme pour le système de la liste, nous examinerons le droit à la réparation dans les deux secteurs (public et privé), ce qui permettra de poursuivre (plus brièvement cependant) l’analyse sur la condition d’exposition au risque professionnel au regard d’une maladie qui ne bénéficie pas d’études et de mesures de type statistique.
Enfin, le chapitre IV tentera, de manière plus prospective, de résumer et synthétiser brièvement les développements repris aux chapitres précédents, en présentant une interprétation du contenu (objet) des différentes conditions et exigences de preuve pour les deux types de maladies et dans les deux secteurs.
17 Cass., 4 avril 2016, S.14.0039.F, Pas., 2016, p. 757, Chr. D.S., 2019, p. 314, note J.J., www.terralaboris.be, note B. GRAULICH et S. REMOUCHAMPS, « Condition d’exposition au risque dans le secteur public : la référence (traditionnelle) à l’article 32 des lois coordonnées n’a pas lieu d’être », publié le 30 mai 2016 ; Cass., 10 décembre 2018, S.18.0001.F, Chr. D.S., 2019, p. 270, note, R.D.S., 2019, pp. 353-372, note A. YERNAUX, « La présomption d’exposition au risque professionnel dans le régime d’indemnisation des maladies professionnelles du secteur public ».
18 Pour le secteur privé, une présomption existe (instaurée par l’arrêté royal du 6 février 2007, sur pied de l’actuel article 32, alinéa 4 des lois coordonnées), mais est très limitée : elle ne vise que certaines maladies de la liste, pour lesquelles l’exposition est reconnue dès lors que l’industrie ou la profession se trouve énumérée au regard de la maladie en cause.
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CHAPITRE 1er : CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES CONCEPTS AU DÉPART DE LA PRÉSOMPTION D’ORIGINE
6. Ce premier chapitre commence par l’identification des finalités du régime de protection. Nous verrons que le fondement juridique sous-tendant son existence (le risque professionnel) emporte deux principes directeurs, celui de l’imputabilité (la présomption d’origine) et le caractère forfaitaire de la réparation, dont nous rappellerons les conséquences (nos 7 et 8). Nous examinerons ensuite comment le droit a concrètement mis en œuvre ces finalités dans la branche, et ses évolutions (nos 9 à 24). Nous terminerons par un constat : les évolutions tendent à vider d’effet la présomption d’origine, qui est pourtant la contrepartie du forfait, alors que lui ne cesse d’être renforcé (nos 25 et 26).
Section 1. La présomption d’origine et sa traduction par le système de la liste
§ 1er. Le fondement (nouveau) du risque professionnel et les principes qui en découlent
7. Le régime de réparation des maladies professionnelles a le même fondement juridique que celui des accidents du travail19, celui du risque professionnel Rappelons que ce fondement20 est, en droit, totalement novateur. Le législateur s’est volontairement départi de celui (classique) de la responsabilité civile, selon lequel c’est la faute qui génère le droit à la réparation. Le législateur a en effet opté pour un fondement inédit21. Le risque professionnel désigne les atteintes à la santé créées par le travail subordonné. Le principe au départ de ce fondement est que ce travail subordonné place le travailleur dans un milieu naturel, technique et humain sur lequel s’exerce l’autorité de l’employeur et qui l’expose à de possibles atteintes à sa santé. Dans ce nouveau système juridique, le milieu du travail subordonné est le fait générateur de l’obligation de réparer22, et ce parce que le « fait du travail »23 est reconnu comme la source du risque pour le travailleur de subir des accidents et de développer des maladies. Les objectifs poursuivis 24 – qui se dégagent dans le contexte immédiatement postérieur aux événements insur-
19 Voy. à ce sujet, J. MOLDAVER, Le problème social des maladies professionnelles et sa solution en droit belge, Bruxelles, ULB, coll. « Travaux de l’école des sciences politiques et sociales », 1939.
20 Inspiré des lois européennes préexistantes (surtout celle française du 9 avril 1898) ainsi que de l’idée « selon laquelle les accidents étant un risque propre au contrat de travail, “l’équité et l’humanité” exigent que ce risque soit réparti entre les deux parties, patron et ouvrier, qui concourent à son exécution » (S. DAVID, précité, p. 17).
21 Le législateur de 1903 a ainsi mis sur pied un des « ovni » juridiques créés par le droit social (alors à ses balbutiements). On peut constater que l’exercice de comparaison avec les figures juridiques préexistantes (dont celle de la responsabilité civile) est largement embrouillé par la circonstance que le fondement et le droit qui en découle résultent en grande partie de la conflictualité sociale et des compromis caractéristiques de la concertation sociale (voy. ainsi les comparaisons opérées par S. DAVID dans son ouvrage précité, qui, à notre estime, mettent surtout en lumière la spécificité du droit de la réparation des risques professionnels). En France, il a ainsi été rappelé que, dans le système mis en place par la loi du 9 avril 1898, « le risque chasse la faute, en échange de la réparation forfaitaire », ce système « reposant sur le risque et non la faute » (M. KEIM-BAGOT, « Autour de la pensée d’Yves Saint-Jours. Droit de la responsabilité civile et sécurité sociale », précité, p. 492).
22 Voy. à ce sujet l’étude de S. DAVID précité ainsi que J. MOLDAVER, précité, pp. 11 et suiv.
23 Entendu ici dans le sens qui lui donné dans la branche des accidents du travail : tout ce que le milieu naturel, technique et humain du travail rend possible.
24 Comme décrits par S. DAVID, précité, p. 16.
rectionnels de 1886 – sont d’une part d’« assurer aux victimes une réparation certaine » et d’autre part de « supprimer autant que possible les procès irritants ». Il s’agit donc de construire un système qui évite les inconvénients majeurs d’une réparation conditionnée à la preuve d’une faute en lien causal avec le dommage. Pour le travailleur, le constat est que les exigences de preuve empêchent concrètement son indemnisation, ce qui est socialement inacceptable. Le nouveau fondement procède ainsi tout d’abord d’une volonté de garantir la réparation, de la rendre certaine25. Pour l’employeur, il s’agit d’éviter les procès et de limiter les charges de la réparation26, objectifs dont découlent les principes du forfait et l’immunité. On a ainsi souligné : « En même temps qu’il accordait aux victimes d’accidents du travail et à leurs ayants droit l’avantage d’une réparation certaine, le législateur de 1903 rayait expressément l’application des articles 1382 et suivants du Code civil dans les rapports entre les membres de l’entreprise […]. C’est le système du “bloc” du risque : les réparations légales constituent un forfait absolu tant au profit du patron que de la victime »27
8. Ces quelques développements révèlent les deux principes cardinaux caractérisant le droit de la réparation des risques professionnels, qui sont indissociables : la présomption d’origine et le principe du forfait.
La présomption d’origine prend la forme d’une présomption d’imputabilité : la responsabilité des accidents et des maladies des travailleurs subordonnés est imputée à l’employeur dépositaire de l’autorité28. Ces accidents et maladies
25 « Pour être efficace à l’égard des victimes, le nouveau système de réparation des accidents du travail requérait un mécanisme fonctionnant avec plus d’automatisme que celui de la responsabilité subjective à base de faute » (S. DAVID, précité, p. 20).
26 Cet objectif se comprend à l’aune du développement jurisprudentiel de la fin du dix-neuvième siècle : à partir essentiellement de l’obligation contractuelle de sécurité attachée au contrat de travail (dont les contours commençaient à être tracés, dégageant un embryon de droit de la prévention des risques), la jurisprudence retenait de plus en plus souvent la responsabilité civile de l’employeur en cas d’accident ou de maladie, et donc une obligation de réparation intégrale (voy. à ce sujet M. SOJCHER-ROUSSELLE, Droit de la sécurité et de la santé de l’homme au travail, Bruxelles, Bruylant, 1979, pp. 129 à 136, qui explique que l’adoption de la loi de 1903 a été promue dans les milieux patronaux par ce développement jurisprudentiel). J. MOLDAVER précise que cette jurisprudence faisait peser un risque grave sur les chefs d’entreprise et que « la loi avait pour but de diminuer la gravité de ce risque, grâce au système du forfait, et à le rendre plus facilement supportable, en favorisant le recours à l’assurance » (J. MOLDAVER, précité, p. 14, note infrapaginale n°25). Il s’agissait donc d’éviter les procédures judiciaires en indemnisation, à l’occasion desquelles la jurisprudence commençait à ébaucher des règles de prévention pour retenir la faute-fait générateur, et qui débouchaient sur une obligation étendue de réparation. C’est dans cette perspective que se dégage l’objectif d’assurer la « paix sociale » (éviter les procès en responsabilité civile de l’employeur, jugés comme troublant ses rapports avec son personnel) ; cet objectif sera largement mobilisé par la Cour constitutionnelle dans son examen de la constitutionnalité du forfait.
27 S. DAVID, précité, p. 23.
28 Nous nous permettons ici une précision terminologique. L’imputabilité est généralement définie en droit comme le mécanisme d’attribution individuelle de l’obligation de réparer le dommage, et vise ainsi à désigner celui qui doit assumer l’indemnisation. Il s’intéresse donc à la relation entre le fait générateur du dommage et la personne qui doit le réparer. Cette acception, fortement influencée par les principes en matière de responsabilité civile, conduit à différencier l’imputabilité de la causalité, cette dernière désignant le rapport (de cause à effet) entre un événement et une conséquence. L’imputabilité relèverait ainsi davantage du droit (étant le produit des normes) alors que la causalité serait davantage le domaine des faits matériels (cf. L. MAZEAU, « L’imputation de la responsabilité civile dans le contexte d’incertitude scientifique et technologique », Cahiers Droit, Sciences et Technologies (en ligne), 2014/4, pp. 145-158). Comme on le verra, l’établissement du caractère professionnel de l’accident et de la maladie suppose de dégager le rapport devant exister entre le milieu du travail et l’accident ou la maladie. Ce faisant, on cherche
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sont supposés découler de l’activité subordonnée organisée par l’employeur. En d’autres termes, le fondement attribue un caractère professionnel aux dommages à la santé des travailleurs subordonnés.
Le second principe réside dans le caractère forfaitaire de la réparation, cadenassé par l’immunité de responsabilité empêchant le recours au droit commun29. Il s’agit de la contrepartie de la réparation voulue comme certaine, et qui – dans la logique de compromis qui domine la théorie du risque professionnel – assume l’objectif de limitation des charges30. Le forfait limite l’étendue de la réparation au dommage professionnel, évalué sur des bases théoriques31 L’une des caractéristiques du forfait s’exprime par le biais de la rémunération de base, qui sert au calcul des prestations de réparation. Celle-ci traduit en effet, juris et de jure, la capacité de gain de la victime à la date de la survenance du risque32. Cette expression forfaitaire de la valeur économique du travailleur implique que les atteintes antérieures à la santé ne peuvent faire obstacle à la réparation, puisqu’elles sont censées déjà reflétées par la rémunération prise en compte. Ainsi, les « conditions personnelles » du travailleur, telles que par exemple l’obésité, une faible constitution, une personnalité nerveuse ou l’existence d’arthrose doivent être tenues comme déjà prises en compte (étant fictivement reflétées dans la rémunération perçue). Il en découle qu’elles ne peuvent être à nouveau retenues pour arrêter le droit à la réparation, même si elles jouent un rôle (causal) dans le développement du dommage indemnisable.
à établir tant une causalité (telles conditions de travail influencent la survenue de l’accident ou le développement de la maladie) qu’une imputabilité (l’accident ou la maladie est attribuable au travail subordonné et donc à l’employeur). Il n’est donc pas évident, dans la matière examinée, d’arrêter une distinction nette entre la causalité et l’imputabilité. Nous avons donc pris le parti d’employer ces termes de manière synonyme, pour désigner le rapport (l’association) entre le travail et la maladie.
29 La règle de l’immunité est actuellement contenue aux articles 46 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, 51 des lois coordonnées et 14 de la loi du 3 juillet 1967.
30 « À la règle de l’indemnisation certaine des victimes d’accidents du travail, le législateur de 1903 a apporté un certain nombre de correctifs destinés à rendre les charges patronales supportables, à faciliter les calculs économiques de l’assurance et à raréfier les procès » (S. DAVID, précité, p. 21). La limitation du dommage indemnisé s’explique aussi par d’autres considérations. D’une part, l’incertitude causale inhérente aux sciences médicales, qui entrave l’établissement du lien causal entre le fait du travail et le risque couvert (les accidents et les maladies). D’autre part, la préoccupation déjà relevée de tenir compte du « profit » retiré par le travailleur de l’activité subordonnée, et, enfin, la circonstance que se trouvent couvertes des hypothèses où le risque découle aussi de la faute (non intentionnelle) de la victime.
31 L’objet du dommage réparé est ainsi limité à une partie du dommage matériel, celui portant sur la réduction de la capacité de gain (à savoir les possibilités d’obtenir une créance de salaire dans le cadre d’occupations subordonnées ou en d’autres termes la réduction de la valeur économique du travailleur sur le marché de l’emploi salarié). Par ailleurs, ce dommage limité est évalué sur des bases forfaitaires, au départ de la rémunération de base (sur laquelle nous reviendrons dans un instant) et via des limitations diverses (par exemple, le taux de remplacement de l’incapacité temporaire, qui a évolué de 50 % à 90 % dans le secteur privé ou les réductions appliquées aux rentes calculées sur la base d’un certain taux, actuellement de 1 à 9 %).
32 Ceci signifie que la valeur économique du travailleur sur le marché de l’emploi est réputée trouver son exacte traduction dans la rémunération perçue au moment du risque (plus exactement dans le secteur privé, les douze mois qui précèdent sa survenance). Ce principe est régulièrement affirmé par la Cour de cassation dans le secteur des accidents du travail, généralement en cas d’accidents successifs : voy. ainsi Cass., 6 mars 1968, Pas., 1968, I, p. 847 (la note renvoyant à Cass., 20 juillet 1916, Pas., 1917, I, p. 210 et Cass., 27 novembre 1958, Pas., 1959, I, p. 316) ; Cass., 15 janvier 1996, Pas., 1996, I, p. 70, Chr. D.S., 1996, p. 619, note, J.T.T., 1996, p. 258 ; Cass., 21 juin 1999, Pas., 1999, I, p. 938, J.T.T., 1999, p. 717 et J.L.M.B., 2000, p. 1021, obs. N. SIMAR.
La théorie du risque professionnel emporte donc une fiction originelle, à double composante inextricable : le travail salarié cause des accidents et des maladies dont l’origine est ainsi légalement imputée, en contrepartie d’une indemnisation limitée. Pour reprendre les termes de Paul Leclercq, la loi « considère comme étant toujours coauteurs de l’atteinte à l’intégrité de la personne le chef d’entreprise et l’ouvrier » et « dans une certaine mesure, partage entre eux la responsabilité du dommage »33
Il découle donc directement du système mis en place que la réparation ne porte pas nécessairement sur le dommage imputable au travail ; le dommage indemnisé peut avoir d’autres causes que l’activité professionnelle subordonnée, tels l’état pathologique antérieur de la victime, les prédispositions dont elle est affectée ou d’autres activités non assujetties34. En d’autres termes, toute exigence de monocausalité est exclue par le fondement même donné aux régimes de réparation des risques professionnels. Il est donc permis d’affirmer que la théorie du risque professionnel exclut l’idée que les risques couverts (l’accident et la maladie) doivent avoir pour seule cause le travail.
9. La traduction en droit de ces principes suppose des mécanismes aptes à répondre à leurs objectifs. Il s’agit en effet, outre de préciser la nature et les contours du forfait, d’arrêter les conditions auxquelles sera, concrètement, subordonné le bénéfice de la présomption d’origine. Ce terrain est celui des éléments de définition des risques protégés (l’accident du travail et la maladie professionnelle) et celui du système de preuve (les règles arrêtant le partage du risque de la preuve) qui, ensemble, déterminent la qualification professionnelle du risque. C’est en effet la combinaison de ces deux types de normes qui concourt à définir et organiser des conditions d’octroi, dans le respect des finalités du
33 Conclusions M. l’Avocat général P. LECLERCQ avant Cass., 6 mars 1930, Pas., I, 1930, p. 146. Il y souligne encore les conséquences du fondement en ces termes : « la loi a supprimé l’esprit de justice absolue et individuelle qui inspire le droit commun, pour y substituer une justice de classes, des demi-justices individuelles ». Il compare ainsi le régime du droit commun (où la victime est indemnisée des conséquences dommageables de la faute, uniquement de celles-ci mais de manière complète et intégrale) à celui du risque professionnel (où la réparation est assurée de manière non uniforme, c’est-à-dire, selon les cas, au-delà ou en deçà des conséquences découlant réellement de l’activité professionnelle). Le législateur de 1963 évoque, dans le même sens, un « partage forfaitaire de responsabilité » (Doc. parl., Sénat, sess. 1962-1963, n° 237, p. 9).
34 J. MOLDAVER, précité, p. 102, commentant un arrêté royal inscrivant dans la liste « les lésions de l’appareil respiratoire dues à l’action certaine et exclusive de poussières d’origine professionnelle », rappelle que ce type de définition exige un lien causal exclusif, ce qui s’oppose « violemment au principe du forfait que le législateur de 1927 avait entendu adopter avec la portée qu’il avait dans la législation sur les accidents du travail ». Le législateur de 1963 le rappellera également, à propos de la suppression de l’ajout opéré dans la loi de 1927 par l’arrêté-loi du 25 septembre 1945 (limitant la réparation au dommage « résultant directement et exclusivement » du risque professionnel) (Doc. parl., Sénat, sess. 1962-1963, n° 237, p. 3). Voy. encore D. DE BRUCQ, Guide social permanent. Sécurité sociale : commentaires, Partie I, Livre V, tome II, chapitre II, section 2, n° 490, qui rappelle : « Sur le plan juridique, la réparation forfaitaire s’oppose donc fondamentalement au partage des causalités car elle est indivisible ou elle ne l’est pas ». On retrouve les mêmes propos sous la plume d’Yves Saint-Jours, qui, commentant l’arrêt de la Cour de cassation française du 19 décembre 2002 (rejetant la thèse de la causalité unique), précise que le système d’indemnisation du risque professionnel, et spécialement sa dimension forfaitaire, s’oppose à toute exigence de monocausalité (où le travail serait la cause exclusive de la maladie professionnelle indemnisable) : « un forfait ne se divise pas sous peine de ne plus être lui-même » (Y. SAINT-JOURS, « Maladies professionnelles : l’origine multifactorielle d’une maladie n’est pas exclusive de son caractère professionnel », note sous Cass. fr., 19 décembre 2002, Dalloz , 2003, n° 17, pp. 1113-1114).
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fondement : assurer une couverture certaine (présentant une certaine forme d’automaticité) et dispenser le travailleur de la preuve du caractère professionnel du risque.
Dans quelle mesure le législateur, en arrêtant les éléments de définition des notions et le régime de preuve, assure-t-il le respect de la présomption d’origine et du principe de la pluricausalité ?
Dans le régime des accidents du travail et surtout depuis la loi du 10 avril 1971, tant les éléments de définition que le régime de preuve qui en distribue la charge concourent à la traduction active de ces principes. Il suffit à la victime de pointer un événement soudain (un élément matériel, qui peut être de toute nature) survenu alors qu’elle se trouvait sous l’autorité (même virtuelle) de l’employeur et une lésion (n’importe quel ennui de santé). La cause professionnelle en termes d’imputabilité (l’accident a pour cause le travail) et sur le plan médical (le lien causal entre l’événement survenu et le dommage) est ensuite présumée par l’effet de deux présomptions légales. La victime ne doit ainsi prouver que des éléments matériels concrets et bénéficie des présomptions établissant l’origine professionnelle du dommage faisant l’objet de la demande de réparation.
Cette construction – dont la performance se mesure à l’aune de sa capacité à appréhender les évolutions et mutations constantes des conditions de travail – a sans doute été facilitée par la possibilité d’appréhender le caractère professionnel du risque couvert (l’accident) par le biais de l’événement le caractérisant ; de ce point de départ factuel (l’événement générateur), l’imputabilité professionnelle se vérifie par des critères de nature temporelle et spatiale. Est en effet couvert tout ce qui se produit sous l’autorité de l’employeur, sauf démonstration de son caractère totalement étranger au milieu du travail.
Un tel raisonnement peut difficilement être transposé pour appréhender le caractère professionnel d’une maladie Pour pouvoir procéder ainsi (c’est-à-dire en prenant comme point de départ la pathologie), il faudrait que les sciences soient en mesure de déterminer l’étiologie de toutes les maladies, qu’elles aient étudié et arrêté la nocivité de tous les types de contraintes caractérisant les milieux de travail subordonnés, par essence hétérogènes et, enfin, déterminé l’incidence de ces dernières sur les maladies. Ce chemin conduit nécessairement à une impasse. D’une part, il se heurte aux limites de la science en envahissant un champ (la santé humaine) où « le doute est la règle, la certitude l’exception »35. D’autre part, il se heurte à l’absence de cartographies des expositions professionnelles36
35 Selon l’expression empruntée à C. CATZ, C. ROUGE-MAILLART, P. PATARD et R. CLÉMENT, « Causalité juridique et imputabilité médicale : l’incidence de l’approche juridique du lien de causalité sur la pratique expertale en droit de la réparation du dommage corporel », Médecine & Droit, n° 168, 2021, p. 48. Ainsi : « Les critères d’objectivation ont été moins évidents à définir car, si l’accident se caractérise par un événement soudain, la maladie est, elle, le résultat d’un processus complexe, souvent insidieux, dont les causes ne sont pas facilement identifiables. Souvent multifactorielle, la cause d’une maladie professionnelle […] n’est jamais déterminable avec certitude. La plupart du temps, elle est le fruit d’une exposition chronique à un ou plusieurs risques professionnels qui peuvent se combiner à des facteurs de risques relevant de la sphère extraprofessionnelle. Rien ne distingue par ailleurs cliniquement une maladie professionnelle d’une maladie “ordinaire” » (A. LE DIGUERHER et A. MARCHAND, précité).
36 A. Le Diguerher et A. Marchand (op. cit.) soulignent ainsi qu’« il n’existe pas de mémoire institutionnelle, encore appelée “traçabilité”, de ces expositions », citant D. LEJEUNE, La traçabilité des expositions professionnelles, Paris, La Documentation française, 2008 et J. TAKALA, « Eliminating occupational cancer in Europe and globally », OSH WIKI, NetWorking Knowledge. Dans le contexte belge,
Ces réflexions faites, nous allons examiner ce que le législateur a concrètement mis en place pour assurer les finalités du régime de réparation des maladies professionnelles. Cet examen est opéré chronologiquement, en vue d’embrasser le point de départ et les évolutions.
§ 2. Le point de départ : le système de la liste
10. Le régime mis en place par la loi du 24 juillet 1927 consiste en la simple transposition de la Convention OIT n° 1837 Cette dernière qualifie, en son article 2, les maladies professionnelles comme suit : « les maladies et les intoxications produites par les substances inscrites sur le tableau […] lorsque les maladies ou les intoxications surviennent à des travailleurs appartenant aux industries et professions [assujetties] qui y correspondent dans ledit tableau ». Ce système d’imputation est, pour reprendre la terminologie usitée en Belgique, un « système de liste ». Le tableau (ou la liste) contient alors une double entrée, les « maladies » d’une part, et les industries ou professions d’autre part.
Le point de départ de ce système – élaboré sous l’ère industrielle – nous semble être la reconnaissance que certaines industries ou professions sont dangereuses, c’està-dire comportent en elles-mêmes, vu leurs procédés ou la nature des matières utilisées, le risque de la maladie38 L’approche apparaît ainsi fondée sur les possibilités d’atteinte à la santé que le milieu de travail entraîne, ou, en d’autres termes, le risque généré par ledit milieu39. En désignant la maladie et l’industrie, le système admet l’existence d’une occupation à risque, ce qui suffit à ouvrir le droit à la réparation. Ainsi, pour prendre un exemple de l’époque, l’intoxication par le plomb est reconnue comme professionnelle si le travailleur est occupé (par exemple) au « traitement des minerais contenant du plomb » ou à la « fabrique du zinc ou du plomb »40. Dans ce système donc, le risque professionnel est reconnu d’emblée, par type de maladies déterminées. Ce système de définition des maladies professionnelles par le biais d’une liste a des conséquences probatoires bien admises. Il « dispense le travailleur de devoir fournir la preuve de l’origine professionnelle de l’affection et de la relation de cause à effet entre la maladie et l’activité exercée »41. En d’autres termes, « le problème de la preuve du lien causal [est] résolu par l’établissement de la liste des maladies indemnisables, qui seule ouvre le droit à la réparation et qui crée une véritable présomption juris et de jure en faveur des victimes et de leurs ayants-droit. En contrepartie d’un dommage strictement limité et partiellement réparé, la
il a été souligné qu’« il n’existe pas de réelles données d’exposition disponibles au niveau du travailleur individuel » (Commission de réforme des Maladies professionnelles du 21e siècle. Rapport final , SPF Sécurité sociale, p. 41 – ce document est disponible sur différents site web, dont celui de la KULeuven et www.researchgate.net , et in Revue belge de sécurité sociale, vol. 60, 2018/3, pp. 301 à 355).
37 Convention n° 18 sur les maladies professionnelles du 10 juin 1925, ratifiée par le Belgique par la loi du 23 juillet 1927 (M.B., 17 novembre 1927).
38 Dans le tableau de la Convention, qui mentionne au titre des maladies l’infection charbonneuse (maladie infectieuse causée par une bactérie) et les intoxications au plomb et au mercure, c’est donc le danger d’être infecté ou intoxiqué qui est légalement reconnu. Ainsi, pour l’infection charbonneuse, le risque est admis (notamment) pour les « ouvriers en contact avec des animaux charbonneux » et en cas d’activité impliquant la « manipulation de débris d’animaux » ou leur transport.
39 La notion de risque désignant les conséquences néfastes (le dommage) qui peuvent se manifester à la suite d’une exposition à un facteur donné.
40 Voy. l’arrêté royal du 30 janvier 1928.
41 D. DE BRUCQ, précité, Partie I, Livre V, Titre I, chapitre I, n° 190.
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preuve du rapport de causalité s’établit donc à l’aide d’une présomption absolue »42. La Recommandation européenne de 196643 précise dans le même sens que : « Dans la mesure où elle repose sur le système “de la liste” (ou sur le système dit mixte qui comporte également une liste) – comme c’est le cas pour les législations des six États membres – toute législation relative à la réparation des maladies professionnelles fait bénéficier le travailleur d’une présomption d’origine professionnelle de la maladie dont il est atteint, dès lors que cette maladie figure à la liste et que son activité professionnelle le met en contact avec l’agent nocif, générateur d’une telle maladie »44. L’objet de cette présomption est ainsi d’affirmer « la relation de cause à effet entre l’activité professionnelle et la maladie constatée »45
Nous pouvons donc conclure que le droit à la réparation des maladies professionnelles est né en arrêtant un système de définition du risque social (la maladie) dont la réparation est admise (la maladie professionnelle) en se fondant sur la dangerosité des conditions matérielles de travail et en reconnaissant légalement l’existence des dangers du travail (le risque professionnel) par le biais des occupations à risque listées. On peut donc conclure que ce système décline concrètement la présomption d’origine. Il n’oblige en effet pas à établir que le travail a contribué au développement de la maladie46, ni que la pathologie est la résultante effective des dangers auxquels l’activité professionnelle a exposé la victime. En d’autres termes encore, la démonstration de l’existence matérielle du risque dans le cadre de l’activité professionnelle47 présume légalement l’origine de la maladie. L’origine professionnelle se déduit ainsi de l’exposition à des situations du travail où le risque de la liste est présent.
11. Dans un tel système, on a souligné48 que le travailleur pouvait encore buter sur une difficulté, celle de prouver que sa pathologie correspond à la « maladie » listée (ainsi, dans l’exemple précité du plomb, la preuve que la pathologie présentée relève de la catégorie médicale des intoxications saturnines). Certains systèmes de liste ont contourné la difficulté en ajoutant des entrées au tableau49
42 D. DE BRUCQ, précité, Partie I, Livre V, Titre II, chapitre II, section 3, n° 70.
43 Recommandation 66/462/CEE de la Commission du 20 juillet 1966 aux États membres relative aux conditions d’indemnisation des victimes de maladies professionnelles ( J.O.C.E., n° 147, 9 août 1966, p. 2696).
44 Point 3 de l’Exposé des motifs.
45 Voy. encore la réponse de la Commission à la question écrite n° 626/82 (7 juin 1982) (84/C38/71) : « L’inscription d’une maladie sur la liste nationale ou dans un tableau donne à la victime un droit quasi automatique à la réparation, en déchargeant celle-ci du fardeau de la preuve. C’est ce qu’il est convenu d’appeler la présomption d’origine ».
46 Compte tenu du jeu du forfait, c’est le rôle du travail sur le développement de la pathologie qui est pertinent, et non uniquement le rôle joué sur son apparition
47 Qui, dans le système de 1927, se vérifie par l’appartenance de l’activité à celles listées.
48 J. MOLDAVER, précité, p. 85.
49 Ce qui est le cas du système français, qui fonctionne par « tableaux », tous structurés de la façon suivante (voy. l’introduction aux tableaux figurant sur le site web de l’INRS : « Guide d’accès et commentaires ») : le titre de chaque tableau énonce la nuisance prise en compte. Par tableau, existe (i) une colonne à gauche énumérant les pathologies ou symptômes reconnus comme pouvant être liés à la nuisance mentionnée dans le titre, (ii) une colonne à droite énumérant (de manière limitative ou indicative) les travaux et activités exposant à la nuisance et susceptibles de provoquer les atteintes reprises dans la colonne de gauche et, enfin, (iii) une colonne centrale où figure le délai de prise en charge et, parfois, la durée d’exposition requise. Le délai de prise en charge est le laps de temps qui sépare la cessation de l’activité professionnelle à risque de l’apparition de la maladie.
Quelle que soit la manière dont fonctionne ce type de système (« tableau »), le point commun est qu’il exprime des conditions de reconnaissance qui doivent être remplies pour que l’imputabilité professionnelle soit légalement présumée. En effet, le risque professionnel (cause présumée de la maladie) se trouve défini par les diverses exigences exprimées, qui peuvent toucher à la nature de la pathologie ou à l’activité à risque.
Ces exigences sont de nature à restreindre considérablement l’efficacité de la présomption d’origine. Pour ce motif, la Recommandation précitée de 1966 a incité les États membres à supprimer les restrictions au jeu de la liste au vu du rôle qu’assure le mécanisme de la liste (garantir la présomption d’origine). La Recommandation évoque à ce propos les conditions de reconnaissance touchant à la pathologie ellemême (symptomatologie ou description des manifestations cliniques), celles portant « une énumération des activités, travaux ou milieux professionnels de nature à exposer le travailleur au risque considéré » ou encore imposant une durée minimale d’exposition ou un délai maximal de prise en charge. La Recommandation tient ces restrictions pour « généralement arbitraires », précisant que : « les réalités médicales ne peuvent pas être inscrites dans un cadre de limites impératives, car les manifestations cliniques et l’évolution des maladies peuvent présenter des variations importantes suivant la constitution et la manière de réagir de chaque malade. En outre, l’évolution technique entraîne des modifications des conditions et, le cas échéant, des délais dans lesquels un travailleur peut subir les effets de certains agents nocifs générateurs de maladies professionnelles »50. Ajoutons à ces considérations la circonstance que ces critères peuvent n’avoir guère de sens au vu des caractéristiques présentées par une majorité de maladies d’origine professionnelle : « la plupart ne sont pas d’origine mono-factorielle, mais peuvent être occasionnées par le cumul (et souvent l’interaction) de nombreux facteurs professionnels et extraprofessionnels, et sont influencées par des phénomènes de susceptibilité individuelle ; il est donc difficile d’isoler la contribution spécifique des facteurs professionnels. De plus, les caractéristiques cliniques et biopathologiques de la plupart des pathologies induites par des facteurs professionnels ne sont habituellement pas différentes de celles d’autres origines »51
Aussi et à juste titre, la Recommandation plaide-t-elle pour l’abrogation des conditions impératives, de manière « à donner son plein effet à une appréciation par les médecins compétents en la matière, de la relation de cause à effet sur laquelle est fondée l’attribution des prestations »52, à compléter par une « enquête faite sur le lieu du travail » avec le concours de l’employeur, des représentants du personnel et des services de prévention de l’entreprise53
12. Le système que nous venons de décrire est resté en vigueur en Belgique jusqu’au début des années soixante, limitant le champ d’application de la réparation aux situations de travail à risque mentionnées dans la liste ; il fallait nécessairement être occupé dans les entreprises, professions ou activités listées pour accéder à la réparation.
En 1963, le champ d’application s’ouvre à tous les travailleurs assujettis à la branche par l’abandon de la seconde entrée de la liste. Cette modification s’explique par la révi-
50 Recommandation 66/462/CEE, précitée, point 6.
51 M. GOLBERG et E. IMBERNON, « Quels dispositifs épidémiologiques d’observation de la santé en relation avec le travail ? », Revue française des affaires sociales, 2008/2-3, p. 19.
52 Recommandation 66/462/CEE, précitée point 9.
53 Recommandation 66/462/CEE, précitée, point 10.
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sion du système de financement de la branche, qui intègre la sécurité sociale54. Concomitamment, la loi conditionne le droit à la réparation à l’exigence (nouvelle) d’une « exposition au risque professionnel de la maladie » pendant une période de travail assujettie.
Le législateur s’est montré très peu loquace sur cette (nouvelle) condition et son concept55, qu’il n’a pas davantage défini. Sa portée n’apparaît pas donc pas clairement. Vu le peu d’attention réservée à cette condition et le contexte de son introduction (remplacer un système délimitant le champ d’application par un autre), on peut en induire que la condition vise à vérifier que le risque désigné par la liste a été présent au cours d’un travail assujetti. Cette interprétation nous semble soutenue par la circonstance que cette exigence ne sera pas reprise par la loi du 3 juillet 1967 ellemême, mais (uniquement) par ses arrêtés royaux d’exécution (dont le rôle principal est de fixer le champ d’application de la loi), lesquels, de plus, ont présumé d’emblée son existence pour les activités professionnelles relevant de leur champ d’application.
Parallèlement, il faut constater que la liste – qui est commune aux secteurs privés et publics et reste dressée par le Roi (sur pied de l’actuel article 30 des lois coordonnées) –désigne (toujours) des risques56. La nouvelle condition est en rapport avec cette liste des risques57 : sauf à se prévaloir d’une présomption dispensant de la preuve, le travailleur doit établir avoir été exposé dans le cadre de son activité professionnelle assujettie au risque repris dans la liste.
Dans cette logique, le risque professionnel est identifié par la liste. La pathologie corrélée à ce risque (c’est-à-dire celle qui est susceptible de se développer en raison de la nuisance visée) est indemnisable si l’exposition à ce risque dans
54 L’exposé des motifs évoque ainsi la « généralisation de la réparation » « qui constitue le corollaire de la solidarité financière des employeurs sur le plan national » (Doc. parl., Sénat, sess. 1962-1963, n° 237, pp. 8 et 9). J. Ugeux explique que le système de 1927 envisageait surtout le risque industriel, qui délimitait non seulement les travailleurs admissibles à la réparation mais circonscrivait surtout le système de financement. Seuls cotisaient les entreprises visées par les risques de la liste, via un système complexe de déclaration et de fixation des cotisations (J. UGEUX, « L’assurance contre les maladies professionnelles », 50 ans de sécurité sociale… et après ?, vol. 5, Quand le travail nuit à la santé, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 18). L’auteur rappelle que « la loi de 1963 répond à une nécessité de plus en plus en ressentie de modifier complètement le financement en assurant la solidarité entre toutes les entreprises, et la deuxième liste, celle des entreprises, a été abandonnée » (ibid.). Pour une description par le menu détail du mécanisme de financement antérieur pointant son aspect arbitraire, voy. A. DEROUX et J. VIAENE, « Essai de phénoménologie en matière d’assurance maladies professionnelles (suite et fin) », R.D.S., 1963, pp. 249-262.
55 Pour rappel, il a simplement été précisé que cette condition additionnelle vise à éviter l’indemnisation d’une maladie contractée « fortuitement » au travail (Doc. parl., Sénat, sess. 1962-1963, n° 237, p. 8).
56 Malgré la diversité des libellés (cf. infra , n° 14), force est de constater qu’il est toujours possible d’identifier, pour chaque code, un agent causal (par exemple, l’agent biologique responsable de la pathologie infectieuse listée). Le législateur a ainsi lui-même évoqué une liste des « risques » (Doc. parl., Sénat, sess. 1962-1963, n° 237, p. 9 : « la liste de ces maladies devra, comme par le passé, être établie en fonction du risque qui y donne lieu »). Voy. également J. VIAENE, « L’assurance contre les maladies professionnelles en mutation », R.B.S.S., 1982, p. 224, qui évoque les « risques mentionnés dans une liste de maladies professionnelles établies par le Roi ».
57 Le Conseil d’État a ainsi souligné les liens entre la liste des maladies et la nouvelle condition d’exposition au risque de la maladie, en notant que la liste des maladies professionnelles dressée par le Roi doit être établie en fonction du risque qui y donne lieu, « à peine de rendre impossible l’application de certains autres articles [celui énonçant la condition d’exposition au risque et celui concernant l’écartement préventif] […] où il est question des risques de la maladie professionnelle » (Doc. parl., Sénat, sess. 1962-1963, n° 237, p. 49).
le cadre d’une activité professionnelle assujettie est avérée (par l’effet d’une présomption non renversée ou par les éléments du cas). En l’absence d’une présomption concernant la condition d’exposition au risque professionnel de la maladie, le nouveau système perd en automatisme. Néanmoins, il s’inscrit toujours dans la logique de la présomption d’origine : l’origine professionnelle de la maladie (l’imputabilité) reste présumée ; elle ne s’établit pas directement, mais s’affirme par le biais de la circonstance matérielle de l’exposition au risque visé dans un cadre professionnel assujetti.
En pratique cependant, les choses sont nettement moins évidentes, en raison, comme nous allons le développer dans la section suivante, de la manière dont la liste des maladies est rédigée, du rôle assigné à la condition d’exposition au risque professionnel dans l’examen du risque listé et des évolutions concernant cette condition d’exposition au risque professionnel, qui surviennent – paradoxalement – après l’introduction du système ouvert.
Section 2. Évolutions juridiques et pratiques du régime, vers l’incohérence au regard du fondement ?
13. Si la liste belge des maladies professionnelles énumère des risques, en pratique cependant leur définition ne ressort pas seulement de son libellé : elle se prolonge dans la condition d’exposition au risque professionnel. Jusqu’à l’introduction du système ouvert, cette forme d’éclatement de la définition du risque n’est pas franchement exprimée. Elle se décline surtout au travers des « critères d’exposition » dégagés par FEDRIS, aboutissant à confondre les deux conditions (celle d’être atteint d’une maladie de la liste et celle d’avoir été exposé au risque professionnel de la liste) (§ 1er). Quoique le système ouvert requière – en dérogation à la présomption d’origine – la preuve de l’étiologie professionnelle, les exigences du risque professionnel validant la présomption d’origine vont être maintenues, et même renforcées dans le secteur privé, tandis que les quelques interventions législatives vont accentuer la confusion entre les deux conditions (§ 2). Le résultat de cette évolution aboutit à des constats paradoxaux, appelant à une (ré)interprétation de la condition d’exposition au risque professionnel (§ 3).
§ 1er . Le système de la liste : le risque professionnel, appréhendé par le biais de critères non nécessairement légaux 14. Comme on l’a vu, la liste des maladies est fixée par le Roi.
Les travaux préparatoires de la loi de 196358 confirment que l’habilitation conférée par l’actuel article 30 rompt avec la logique de la loi de 1927. Cette dernière donnait pour mission au pouvoir exécutif de dresser la liste « avec mention, pour chacune d’elles, des industries ou professions où elles donnent lieu à réparation » (ce qui correspond à la seconde entrée de la liste). Ces mots ayant été supprimés à dessein, l’habilitation de l’actuel article 30 porte uniquement sur la liste des maladies et non sur les restrictions du champ d’application. Aussi, au départ, l’arrêté royal applicable « dresse les maladies professionnelles dont les dommages donnent lieu à réparation » (au sens de l’article 30 des lois coordonnées).
Selon l’article 1 er de l’arrêté royal du 28 mars 1969 « donnent lieu à réparation […] les maladies professionnelles suivantes ». Suit une énumération classifiée à l’aide de codes numérotés, regroupés selon le type de risques :
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58
Doc. parl., Sénat, sess. 1962-1963, n° 237, p. 49.
« 1.1. Maladies professionnelles provoquées par les agents chimiques suivants »59,
« 1.2. Maladies professionnelles de la peau causées par des substances et agents non compris sous d’autres positions »60,
« 1.3. Maladies professionnelles provoquées par l’inhalation de substances et agents non compris sous d’autres positions »61,
« 1.4. Maladies professionnelles infectieuses et parasitaires »62,
« 1.6. Maladies professionnelles provoquées par des agents physiques »63, et
« 1.7. Maladies professionnelles qui ne peuvent être classées dans une autre catégorie »64
L’examen de cet arrêté royal pose quelques questions, que nous aborderons plus loin. À ce stade, arrêtons-nous sur l’intitulé donné à la majorité des catégories précitées (« maladies professionnelles provoquées par … »). Il paraît évident que, vu l’objet de l’arrêté royal (énumérer les maladies professionnelles, à savoir le risque admis), l’intitulé n’exprime pas en tant que tel une exigence de causalité que le travailleur devrait démontrer. D’une part, l’objet même de la liste (énumérer les risques admis, et donc dispenser de
59 Y sont reprises une série de substances chimiques, listées comme telles.
60 Cette catégorie est subdivisée entre les « affections cutanées et cancers cutanés dus » aux agents cités (groupe « 1.201 » couvrant les codes 1.201.01 à 1.201.09, où on retrouve la suie, le goudron, etc.) et les « affections cutanées provoquées dans le milieu professionnel par des substances non considérées sous d’autres positions » (1.202).
61 Les codes de cette catégorie mentionnent soit une pathologie précise qui désigne cependant une maladie due à un agent causal précis (ainsi de la pneumoconiose, la silicose, l’asbestose, la farinose et la sidérose par exemple) soit une pathologie au contour plus ou moins large (les « affections broncho-pulmonaires », les « troubles respiratoires », l’« asthme », la « rhinite », etc.) accompagnée de l’agent causal, ce qui donne un libellé de type : telle affection « provoquée par » ou « due à » tel agent.
62 Les codes du groupe visent les maladies provoquées par un agent biologique (infectieux ou parasitaire). La plupart des codes consistent dans l’énoncé d’une pathologie précise, mais qui désigne en réalité l’agent causal (infectieux), tel que le paludisme, la dengue ou le tétanos. Pour certains codes du groupe, le libellé contient une exigence complémentaire : il énonce de plus l’activité professionnelle exposante (ce qui limite les bénéficiaires), tels que les codes 1.403.03 (« Hépatite A du personnel exposé au contact avec des eaux usées contaminées par des matières fécales »), 1.404.01 (« Tuberculose chez les personnes travaillant dans les institutions de soins, le secteur des soins de santé, l’assistance à domicile, la recherche scientifique, les services de police, les ports aériens et maritimes, les prisons, les centres d’asile et d’accueil pour illégaux et sans-abri et chez les travailleurs sociaux »), 1.404.02 (« Hépatite virale chez le personnel s’occupant de prévention, soins, assistance à domicile ou travaux de laboratoire et autres activités professionnelles dans des institutions de soins où un risque accru d’infection existe »), 1.404.03 (« Autres maladies infectieuses du personnel s’occupant de prévention, soins, assistance à domicile ou travaux de laboratoire et autres activités professionnelles dans des institutions de soins où un risque accru d’infection existe ») et les codes 1.404.04 et 1.404.05 (qui concernent les maladies provoquées par le SARS-CoV-2, et qui ne visent que des personnes dont l’activité professionnelle répond à des critères bien précis). Nous reviendrons ultérieurement sur ce type d’exigence explicitement exclue de la liste par le législateur de 1963 (n° 23 infra).
63 Les codes de cette catégorie citent la pathologie, de manière parfois (très) précise, et l’agent causal. On retrouve donc le même type de libellé que pour certains codes d’autres groupes : telle affection « provoquée par » ou « due à » tel agent. En outre, le code 1.606.21 contient – comme certains codes du groupe 1.4 – une exigence quant à l’activité professionnelle (en l’occurence être « artiste de spectacle »).
64 À nouveau, la majorité des libellés conjuguent une pathologie (parfois précise) et l’agent causal (donnant donc le même type de formule que pour les groupes 1.4 et 1.6, cf. la note infrapaginale précédente). Enfin, l’un des codes, le n° 1.701, exige un délai d’exposition minimum.
la preuve de la causalité) s’y oppose. D’autre part, la lecture littérale aboutirait à des incongruités lorsque le risque est identifié par une pathologie (puisqu’il faudrait lire, par exemple, « maladies professionnelles provoquées par la silicose »).
15. Les motivations qui sous-tendent la rédaction de la liste, tant quant au choix des risques reconnus que des options du libellé arrêté, sont très largement inconnues. D’une part, les arrêtés royaux sont majoritairement dépourvus d’exposés explicatifs (les rapports au Roi étant très rares). D’autre part, les avis rendus par les instances de FEDRIS (conseil technique devenu conseil scientifique65, et comité de gestion), systématiquement invoqués dans le préambule des arrêtés royaux, ne sont pas accessibles. Il est donc impossible d’identifier et d’analyser les options et choix de l’exécutif.
Marc Vandeweerdt, médecin auprès de FEDRIS, expose que pour les maladies qui ne sont pas « spécifiques » (c’està-dire non liées à un seul agent causal, ce qui est le cas de toutes les maladies contemporaines), « un examen épidémiologique approfondi s’impose avant de songer à qualifier la maladie en question de maladie professionnelle. Il faut prouver, en s’inscrivant dans la conception probabiliste de la causalité au sens de [SUSSER], que l’exposition a provoqué une augmentation importante du nombre de cas de maladie, par rapport à la population non exposée, sans que cette augmentation puisse s’expliquer par d’autres facteurs »66
À suivre cette précision67, la liste serait dominée par des évidences statistiques tirées de la discipline de l’épidémiologie. Nous allons par conséquent y réserver quelques commentaires explicatifs, avant de revenir au libellé de la liste des maladies.
16. L’épidémiologie est une discipline qui vise à la compréhension des causes des maladies, en vue de l’amélioration des traitements ou de leur prévention. L’épidémiologie analytique « recherche la cause des atteintes à la santé en étudiant le rôle de l’exposition à certains facteurs susceptibles d’intervenir dans l’apparition des maladies »68
Elle « procède par comparaisons, principalement entre des
65 L’Exposé des motifs de la loi de 1963 précise que « Le Roi, pour dresser la liste, peut s’entourer de toutes les garanties scientifiques nécessaires et c’est en vue de faciliter sa tâche qu’un conseil technique, ayant notamment pour mission de détecter les maladies professionnelles, a été institué » (Doc. parl., Sénat, sess. 1962-1963, n° 237, p. 8).
66 M. VANDEWEERDT, « La causalité dans l’assurance contre les maladies professionnelles », R.D.S., 1995, p. 430.
67 Que rejoignent en partie les travaux préparatoires de la loi de 2006. Quoique ceux-ci ne brillent pas par leur clarté et soient censés concerner la condition de l’article 32 des lois coordonnées, ils évoquent néanmoins explicitement les conditions d’inscription d’une maladie professionnelle sur la liste, précisant que le critère d’inscription est « la force du rapport de causalité » entre la « nature des activités professionnelles comportant un risque » et « la nature de la maladie » : « Si ce rapport causal, dans des groupes de personnes exposées, est suffisamment fort, l’inscription dans la liste des maladies professionnelles est possible. Si ce rapport causal, toujours au niveau des populations exposées, est plutôt faible, il n’est pas question de maladie professionnelle » ou « pour pouvoir parler d’une maladie professionnelle, il faut au moins que dans les groupes de personnes exposées à une influence nocive déterminée, la maladie soit plus fréquente que dans la population en général » (Doc. parl., Chambre, sess. 2003-2004, doc. 51, n° 1334/001, p. 16).
68 E. BOURGKARD, V. DEMANGE et C. AUBRY, « L’épidémiologie en santé au travail (I). Définitions et concepts », Documents pour le médecin du travail n° 112, INRS, 2007, p. 478, disponible sur le site www.inrs.fr, et qui précise que « la recherche des associations entre les problèmes de santé et les expositions nécessite l’apport de diverses disciplines, dont, entre autres, la toxicologie, l’ergonomie, la psychologie », de sorte que l’épidémiologie « ne saurait expliquer à elle seule les mécanismes qui déclenchent les problèmes de santé ».
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groupes de sujets exposés à des facteurs ou non, ou entre des groupes de sujets malades ou non-malades »69
Cette discipline dégage ainsi une « probabilité de causalité »70.
Elle estime par des calculs mathématiques (l’analyse statistique) la probabilité de l’existence réelle d’une association entre un facteur donné (le facteur de risque professionnel examiné) et une pathologie ainsi que la force de cette association. La mesure statistique d’association (qui quantifie l’association entre un facteur d’exposition et une maladie donnée) se réalise par le calcul d’un odd ratio ou d’un risque relatif71, qui s’interprètent avec leur intervalle de confiance à 95 %. Cet intervalle de confiance s’explique par la circonstance que ces analyses se font au départ de données issues d’un échantillonnage d’une « population-source »72
De plus, les données d’exposition au facteur examiné des personnes entrant dans le champ de l’étude (celles composant l’échantillon) sont recueillies selon différentes méthodes, dont l’usage d’une « matrice emplois-expositions », qui procède aussi par des estimations73
69 Ibid., p. 482. « L’objectif d’une étude épidémiologique analytique est de rechercher, dans une population donnée, l’existence éventuelle d’une relation entre une exposition et un effet sur la santé et d’en estimer la force. Cependant, il est impossible de conclure à une association en observant uniquement les sujets atteints de la maladie. Pour considérer qu’un facteur de risque est très fréquent chez les malades, il faut comparer sa fréquence chez les non-malades. De la même façon, il est nécessaire de comparer l’incidence de la maladie chez des sujets par rapport à des sujets non exposés » (E. BOURGKARD, V. DEMANGE et C. AUBRY, « L’épidémiologie en santé au travail (III). Clés pour une lecture efficace d’études épidémiologiques analytiques », Documents pour le médecin du travail n° 114, INRS, 2008, p. 176, disponible sur le site www.inrs.fr).
70 Selon l’expression de D. CHOUDAT, « Critères de reconnaissance des maladies professionnelles », Archives des maladies professionnelles, n° 61, 2000/4, p. 234. I. Lutte explique de son côté que les données recueillies pour ces études subissent un traitement statistique : « elles sont soumises à une technique d’analyse mathématique permettant d’établir des modèles probabilistes et de faire des prévisions. La statistique est ainsi un outil de prévision, c’est-à-dire un outil permettant de déterminer avec une prévision plus ou moins grande des événements probables » (I. LUTTE, « Les statistiques en expertise : un bien ou un mal ? », L’évaluation et la réparation du dommage corporel. Questions choisies, Limal, Anthemis, Série « Actualités du dommage corporel : collection médico-légale », n° 14, 2013, p. 126).
71 L’odd ratio est utilisé dans les enquêtes « cas-témoins », où sont examinés le nombre d’exposés dans des groupes identifiés par la présence ou non de la maladie dont l’étiologie est étudiée (soit des groupes malades-non malades). Le risque relatif est utilisé dans les enquêtes de cohorte où est examinée l’apparition de la maladie étudiée dans les groupes exposés/non exposés.
72 Puisque l’étude se fait sur un échantillon de la population-source (elle-même distincte de la « population-cible », à savoir celle à qui les résultats vont être généralisés), l’odd ratio ou le risque relatif constitue une estimation de la valeur exacte (ceci dès lors qu’il est admis que l’échantillon influe sur le résultat). L’intervalle de confiance (joint à ces mesures) comporte une borne inférieure et une borne supérieure. L’intervalle de confiance à 95 % exprime l’idée qu’il y a 5 % de chances que la valeur réelle soit située totalement hors des deux bornes et qu’il y a 95 % de chances que la valeur exacte soit comprise entre les deux bornes (voy. E. BOURGKARD, V. DEMANGE et C. AUBRY, « L’épidémiologie en santé au travail (III). Clés pour une lecture efficace d’études épidémiologiques analytiques », précité, p. 181). D. CHOUDAT explique ainsi que « les modèles ne sont […] pas des équations précises mais des bandes d’incertitude plus ou moins larges autour d’une valeur vraisemblable » (précité, p. 233). 73 « Ces matrices donnent la correspondance entre les intitulés d’emplois (en général définis par la combinaison d’une profession et d’un secteur d’activité) et des indices d’exposition à une ou plusieurs nuisances » (A. DESCATHA et al., « Développement d’une matrice emplois-expositions française (« Made ») pour l’évaluation des contraintes biomécaniques », S.P.S.P., vol. 30, 2018/3, p. 334). Il s’agit donc d’estimations d’exposition moyenne, qui pallient, pour la réalisation des études, l’absence de données (fiables) sur l’exposition individuelle. « Les matrices ne permettent pas de tenir compte de la
Aussi, l’approche de la reconnaissance des maladies professionnelles par la détermination de la probabilité de causalité n’est, selon certains, « applicable qu’à un nombre limité de nuisances et de pathologies »74 ; elle « ne concerne que quelques affections qui comportent à la fois des mesures précises des expositions individuelles et des relations dose-effet établies »75
Observons ainsi que, vu les méthodologies mises en œuvre, l’épidémiologie présente, tout comme les données scientifiques, des limites76. Si la décision d’inscription d’un risque sur la liste est fondée sur cette discipline, ces limites doivent nécessairement avoir été acceptées. Néanmoins, ce type de données scientifiques n’est pas nécessairement déterminant d’autres considérations d’ordre politique entrant manifestement en ligne de compte77. L’histoire belge démontre du reste que les évidences statistiques n’ont pas toujours entraîné l’inscription sur la liste78 et on ne peut
variabilité des expositions à l’intérieur d’un emploi et peuvent entraîner des erreurs de classement » (E. BOURGKARD, V. DEMANGE et C. AUBRY, « L’épidémiologie en santé au travail (II). Étapes d’une étude épidémiologique en milieu professionnel », Documents pour le médecin du travail n° 114, INRS, 2008, p. 15, disponible sur le site www.inrs.fr). Rappelons que le « biais de classement » est, en épidémiologie, une erreur de classement des sujets dans le groupe (exposé/ non exposé ou malade/non malade). Voy. également D. CHOUDAT, précité, p. 227, l’auteur précisant ainsi que les matrices « sont des outils pour les enquêtes épidémiologiques, mais leur utilité est limitée pour estimer l’exposition d’un individu ».
74 D. CHOUDAT, précité, p. 235. Il précise en effet que « la probabilité de causalité ne concerne actuellement que quelques affections, chez des sujets dont l’exposition peut être bien précisée, avec des relations dose-effet établies par des modèles mathématiques ». Il souligne que « des relations dose-effet fiables n’ont été établies que pour quelques nuisances et quelques affections professionnelles » (p. 224) et qu’il est très complexe de recenser les expositions individuelles, les seules données systématiquement disponibles étant l’intitulé du métier et la durée de l’activité professionnelle (p. 234).
75 D. CHOUDAT, « Risque, fractions étiologiques et probabilité de causalité en cas d’expositions multiples », Archives des maladies professionnelles, n° 64, 2003/6, p. 365. Précisons encore que la relation « dose-effet » (ou « exposition-effet » ou encore « exposition/dose-réponse ») – qui peut être recherchée par les études épidémiologiques –désigne la corrélation entre la dose (exposition à un facteur) et l’effet sur la santé ; elle mesure la réponse de l’organisme à la quantité reçue. Cet indicateur permet d’arrêter un niveau minimum (« seuil ») d’exposition. Il est surtout applicable pour les agents toxiques et ne peut pas être défini pour toutes les nuisances (European Commission, Directorate-General for Employment, Social Affairs and Inclusion, Information notices on occupational diseases. A guide to diagnosis, Publications Office, 2009, p. 6).
76 « Les connaissances épidémiologiques et expérimentales permettent de retenir une origine ou une composante professionnelle avec une marge d’incertitude » (D. CHOUDAT, « Critères de reconnaissance des maladies professionnelles », précité, p. 224). D’autres auteurs ont souligné le caractère ambigu des résultats des études épidémiologiques en raison des « facteurs de confusion, des modifications d’effet et des variations d’exposition et d’expression des maladies », qui sont issus « de la diversité des populations humaines, de celle des postes de travail et de leur interaction » (K. LIPPEL, K. MESSING, S. STOCK, N. VENIZA, « La preuve de la causalité et l’indemnisation des lésions attribuables au travail répétitif : rencontre des sciences de la santé et du droit », Windsor Yearbook of Access to Justice, 1999, p. 53).
77 Dont principalement des questions budgétaires, comme le démontrent les différentes contributions (d’historiens et de sociologues) rassemblées dans C. CAVALIN, E. HENRY, J.-N. JOUZEL et J. PELISSE (dir.), Cent ans de sous-reconnaissance des maladies professionnelles, Paris, Presses des Mines, coll. « Sciences sociales », 2020.
78 Citons ainsi le cas emblématique de la silicose. Alors que l’origine professionnelle ne faisait aucun doute, elle ne sera inscrite que par l’effet de l’arrêté royal du 18 janvier 1964, mais en contrepartie d’une prise en charge à 50 % par l’État (voy. à ce sujet, E. GEERKENS, « Quand la silicose n’était pas une maladie professionnelle. Genèse de la réparation des pathologies respiratoires des mineurs (1927-1940) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 56, 2009/1, pp. 127141 ainsi que « La pneumoconiose des ouvriers mineurs en Belgique
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exclure que le choix politique s’affirme également en dehors de telles évidences79
17. Revenons au libellé de la liste belge des maladies professionnelles, pour constater que la plupart de codes (entrées) se limitent à définir la nuisance constitutive du risque80. Par contre, d’autres contiennent des critères de reconnaissance.
Dans le premier cas, le risque listé ne limite pas les maladies potentiellement visées, soit parce qu’aucune mention n’existe quant à ce, soit parce que la mention existante désigne un nombre indéfini de pathologies. Toutes les maladies pouvant être mises en relation – même partiellement – avec l’agent causal pourraient donc être examinées sous le bénéfice de la liste. En d’autres termes, puisque c’est le risque qui est listé, toutes les atteintes possiblement en relation avec celui-ci entrent en ligne de compte. Prenons un exemple pour illustrer ce propos : lorsque la liste reprend, au titre du risque, un cancérogène avéré81, les pathologies désignées sont nécessairement celles appartenant à la famille des cancers, voire, le cas échéant, des types de cancers corrélés à la substance listée82
L’administration sélectionne cependant les maladies admises à la réparation en appliquant des critères administratifs complétant les exigences de la liste. Marc Vandeweerdt explique qu’« un système de liste contient, en principe, une description claire, à la fois de l’exposition au risque et de la pathologie correspondante », de sorte que « lorsque la liste des maladies professionnelles ne donne pas de description exacte de la maladie professionnelle ou de son exposition au risque, il appartient à l’organe d’exécution de donner un contenu aux notions décrites légalement. En vue de garantir la sécurité du droit et l’équité envers les assurés, il faut faire usage de critères auxquels sont comparés les cas individuels. L’élaboration de ces critères est une des tâches du Conseil technique, l’organe scientifique d’avis du FMP »83. FEDRIS
(c.1937-c.1970) », in J. RAINHORN (dir.), Santé et travail à la mine. XIXe-XXIe siècles, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2014, pp. 59-79). Le cas des troubles musculosquelettiques des membres supérieurs est également parlant, puisqu’il faut attendre 2012 pour l’élargissement du code au-delà des seuls artistes de spectacle, alors que les études scientifiques abondaient pour affirmer l’étiologie professionnelle.
79 Comme cela semble être le cas pour l’arthrose de l’épaule, très longtemps admise en relation avec le risque des vibrations (soit sous le code 1.605.11) alors que, à suivre les explications présentées récemment par FEDRIS devant les juridictions du travail, aucune étude de type statistique n’aurait avancé l’existence d’une corrélation significative entre l’exposition aux vibrations mécaniques d’engins tenus à la main et l’atteinte à l’épaule.
80 À l’inverse du système de liste français, dont nous avons déjà précisé le fonctionnement en « tableaux ».
81 Tels, par exemple, ceux identifiés par les travaux de l’IARC, qui classifie les agents cancérigènes en trois catégories : groupe 1 (cancérigène avéré pour l’homme), groupe 2 (probablement cancérigène (2A) ou possiblement cancérigène (2B) pour l’homme) et groupe 3 (probablement non cancérigène pour l’homme). L’IARC (International Agency for Research on Cancer ou CIRC pour Centre international de recherche sur le cancer) est une agence de l’OMS, spécialisée dans le cancer et dont l’objectif est de promouvoir la collaboration internationale dans la recherche contre le cancer. À l’échelle internationale, ses travaux « représentent la référence en matière de recherche étiologique sur le cancer » (A. LE DIGUERHER et A. MARCHAND, précité).
82 Par exemple, les cancers du sang pour le benzène, qui est un leucémogène (c’est-à-dire capable d’induire des leucémies).
83 M. VANDEWEERDT, « La causalité dans l’assurance contre les maladies professionnelles », R.D.S., 1995, p. 439. On trouve le même propos sous la plume de Jacqueline Ugeux : « Des critères d’exposition, de diagnostic, de réparation et de prévention sont nécessaires pour assurer le traitement équitable et efficace des demandes. Les médecins et les ingénieurs du Fonds des maladies professionnelles en ont élaboré et en élaborent, les proposent au Conseil technique
utilise ainsi des critères d’exposition, par exemple un « seuildose »84 ou des critères diagnostiques qui visent à limiter les affections admises85. Comme le souligne Marc Vandeweerdt, « les critères d’exécution revêtent une importance au moins égale à celle de la description des maladies professionnelles dans la liste ».
Il faut en conclure que la définition concrète du risque réparable au stade de l’examen administratif de la demande de réparation est hybride, reposant sur un texte réglementaire (le libellé du code) et sur l’interprétation administrative. Cette méthode a non seulement pour effet de confondre le risque de la liste et la condition d’exposition au risque professionnel de la maladie (nous y reviendrons) mais de plus elle emporte une délégation de fait à l’administration sur le terrain des conditions d’octroi86. Ce glissement emporte que les conditions d’octroi des prestations de sécurité sociale servies par la branche s’avèrent concrètement définies par l’administration (et non le législateur ou le gouvernement)87. Ce n’est qu’à l’intervention des juridictions du travail – qui ne sont pas liées par ces critères administratifs88 – qu’un réel débat médico-légal peut s’engager sur les conditions d’imputabilité de la pathologie89. C’est donc sur le terrain judiciaire que ce débat se noue concrètement, ce qui confirme avant qu’ils soient soumis à l’approbation du Comité de gestion » (J. UGEUX, précité, p. 21).
84 La notion de « dose-effet » a été précisée supra (note infrapaginale n° 75). Le seuil désigne un niveau de durée ou d’intensité minimale. Cette mesure de quantification est ainsi utilisée pour admettre le lien causal entre l’exposition et la maladie.
85 Cf. la contribution de Messieurs LUTS et FRANÇOIS, « De rol van de Dienst Preventie en Risicobepaling », ci-avant, qui précise que les critères d’exposition et de reconnaissance de FEDRIS reprennent des informations médicales (critères de diagnostic), des renseignements concernant les agents causals (critères d’exposition) et des renseignements administratifs (critères d’indemnisation).
86 Cette délégation est, à l’occasion, assumée par le gouvernement. Ainsi, le rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 12 octobre 2012 introduisant le code 1.606.22 (M.B., 7 novembre 2012, pp. 6681266813) – sur lequel nous reviendrons au chapitre II – précise : « Pour rencontrer la notion d’exposition au risque professionnel contenue à l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées et pour garantir l’égalité de traitement, les critères d’exposition doivent nécessairement être généraux et s’appliquer à tous les travailleurs. Dans le cas d’espèce, étant donné la multitude de structures tendineuses pouvant être atteintes, il est donc indispensable d’établir des critères généraux d’exposition pour chaque type de tendinite. Le but n’est pas de développer dans le présent arrêté ces critères techniques. Ce travail est laissé à l’organisme chargé de l’application de la réglementation, le Fonds des maladies professionnelles, assisté de son Conseil scientifique. Cette approche permet d’assurer un débat scientifique ouvert et multidisciplinaire ainsi que d’éventuelles révisions en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques ».
87 De plus, il faut constater que FEDRIS ne communique que très peu sur ses options. Son site web reprend certaines brochures qui détaillent les conditions exigées et donc les différents filtres à travers lesquels passent les demandes. Cependant, ces brochures ne concernent que certains codes de la liste, et donc une partie seulement des critères administratifs arrêtés. Cela pose incontestablement un problème de transparence et de publicité, que nous n’aurons pas la possibilité de développer ici mais qui mériterait incontestablement une analyse approfondie.
88 La jurisprudence a très tôt affirmé le caractère indicatif et non contraignant de ces critères administratifs d’exposition, tout en mettant en avant l’importance d’apprécier le risque professionnel en fonction des facteurs individuels de réceptivité (voy. notamment C. trav. Liège, 26 juin 1989, R.G. 15.023/88, www.terralaboris.be ; C. trav. Liège, 22 octobre 1990, J.T.T., 1991, p. 247). Le caractère non contraignant des critères administratifs est unanimement reconnu. Rappelons que, puisque ces critères traduisent une interprétation administrative des conditions d’octroi, ils ne peuvent lier le juge, chargé de statuer en pleine juridiction sur les droits subjectifs.
89 Exercice empreint d’une complexité certaine lorsqu’il s’agit de transposer des approches fondées sur l’étude de population avec des outils statistiques à un cas individuel, qui doit être jugé dans sa dimension concrète.
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l’importance de la jurisprudence en la matière, et donc des recours en justice contre la décision administrative90
18. On peut donc, à ce stade de l’analyse, poser le constat que le système fermé de la liste repose sur le risque professionnel (la possibilité d’être atteint par une maladie en raison d’une nuisance identifiée et présente dans l’activité professionnelle), dont les conditions de reconnaissance se trouveraient en pratique éclatées entre les précisions du code et les exigences de la condition d’exposition au risque professionnel. Ce faisant, la condition d’être atteint de la maladie de la liste et celle d’avoir été exposé au risque professionnel de la maladie se trouvent totalement imbriquées, au point de se confondre. Dans cette approche, la condition d’exposition au risque professionnel apparaît avoir pour objet concret de définir les atteintes qui peuvent être admises comme étant en relation causale avec le risque de la liste. La confusion (assimilation) entre la notion de la « maladie professionnelle » (de la liste – art. 30) et celle de l’exposition au risque professionnel (les critères de l’article 32) se constate également dans les maigres précisions fournies par le législateur ou le Roi91
Cette interpénétration entre le risque de la liste (censé définir la maladie professionnelle) et la condition d’exposition au risque professionnel (censée vérifier que le risque existait pendant le travail assujetti au régime) brouille la compréhension, rendant confuse l’appréhension des conditions d’octroi. Si les deux conditions distinctes se confondent, comment définir les exigences de l’une par rapport à l’autre ? La question n’est pas purement théorique. Cet exercice est en effet indispensable lorsque la condition d’exposition au risque professionnel est présumée (et donc lorsque le tra-
90 Notons au passage que la mobilisation des critères administratifs n’est pas précisée dans la motivation des décisions prises par FEDRIS, de sorte qu’ab initio, le travailleur ne sait pas que le rejet est fondé sur des critères non contraignants. Ceci pose à nouveau la question de la transparence, couplée ici aux obligations de motivation des décisions des institutions de sécurité sociale, sur pied de la Charte de l’assuré social ou de la législation relative à la motivation formelle des actes administratifs. Ces aspects ne seront pas davantage traités ici.
91 L’assimilation de la maladie professionnelle de la liste à la condition d’exposition au risque professionnel est ainsi opérée de manière flagrante dans l’exposé des motifs de la loi de 2006 (Doc. parl., Chambre, sess. 2003-2004, doc. 51, n° 1334/001). Voy. notamment les extraits cités à la note infrapaginale n° 67, où la maladie professionnelle est définie par le biais des critères de l’article 32 repris dans la définition insérée en 1994. Voy. encore les passages suivants : « une faible augmentation du risque [professionnel – notion art. 32] ne suffit pas pour considérer la maladie comme maladie professionnelle au sens de l’article 30 » et après description des critères de définition de la maladie en relation avec le travail (ceux de l’article 32, en « réduit ») « Ces éléments établissent clairement la différence entre la maladie professionnelle (article 30) et la maladie en relation avec le travail ». Enfin, le choix de définir la maladie en relation avec le travail (que le législateur oppose à la maladie professionnelle de l’article 30) par le biais des critères du risque professionnel de l’article 32 en « atténué » donne à penser que les critères de l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées concourent à définir ce qu’est une maladie professionnelle au sens de l’article 30. Le rapport au Roi qui précède l’arrêté royal du 12 octobre 2012 introduisant le code 1.606.22 opère la même assimilation (« À l’occasion de l’inscription de cette nouvelle rubrique dans la liste des maladies professionnelles, il paraît opportun de rappeler la spécificité de la législation sur les maladies professionnelles, qui implique nécessairement l’existence d’une maladie et d’une exposition à un risque professionnel. La force du rapport de causalité entre la maladie et les activités professionnelles comportant un risque doit être suffisamment fort pour justifier l’inscription dans la liste des maladies professionnelles. Pour pouvoir parler d’une maladie professionnelle, il faut au moins que dans des groupes de personnes exposées à une influence déterminée, la maladie soit significativement plus fréquente que dans la population générale. Le caractère professionnel de la maladie s’établit au niveau du groupe et non au niveau de l’individu »).
vailleur est dispensé de la preuve de l’exposition au risque professionnel).
§ 2. Le système ouvert, cause paradoxale du renforcement du rôle de la condition d’exposition au risque professionnel ?
19. Quoique les rôles respectifs du risque listé et de la condition d’exposition au risque professionnel restent confus, on peut conclure que le système de la liste est dominé par le risque professionnel. C’est l’existence du risque listé dans le milieu concret de travail de la victime qui caractérise l’imputabilité professionnelle. Si ce risque existe dans ce milieu, la pathologie qui peut y être corrélée est juridiquement imputée à l’activité professionnelle, même si dans la réalité la cause de l’atteinte se situe ailleurs. Si, effectivement, ce sont les résultats des investigations de type épidémiologique qui déterminent l’inscription d’un risque dans la liste, il en découle nécessairement que le risque professionnel repose sur des probabilités de causalité (telle situation peut causer tel effet), appréciées au départ d’hypothèses théoriques concernant les expositions concrètes des groupes de personnes prises en compte par l’étude mobilisée92 C’est dans cet état de l’application administrative du droit que le législateur fait enfin suite aux recommandations de l’Union européenne93. Avec la loi du 29 décembre 1990, la Belgique a introduit un « système ouvert », c’est-à-dire une possibilité d’indemnisation hors du système de la liste94 C’est l’objet de l’article 30bis des lois coordonnées : « Donne également lieu à réparation dans les conditions fixées par le Roi95, la maladie qui, tout en ne figurant pas sur la liste visée
92 Les nuisances (l’exposition) concrètes subies par les populations examinées ne sont pas en règle prises en compte, ce qui est du reste impossible en l’absence de mesures et d’enregistrements systématiques des niveaux réels (individuels) d’exposition des travailleurs.
93 La première Recommandation est celle du 23 juillet 1962 de la Commission aux États membres concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles ( J.O.C.E ., n° 2188/62, 31 août 1962). Elle pointe l’insuffisance d’un système de reconnaissance et d’indemnisation sur la seule base d’une liste. Si la « garantie pour les travailleurs, grâce à la notion de présomption d’origine qui s’y attache », du système de la liste est soulignée, le sont également les « conditions limitatives trop restrictives (travaux, symptômes, délais) » qui figurent sur les listes nationales et leurs conséquences directes : la limitation de la couverture, rejetant nombre de travailleurs. La Recommandation invite les États membres à prévoir, à côté de l’introduction des maladies de la liste européenne dans les listes nationales, un droit à la réparation « lorsque la preuve sera suffisamment établie par le travailleur intéressé qu’il a contracté en raison de son travail une maladie qui ne figure pas sur la liste nationale ». Le système ouvert ne bénéficie donc pas, dans l’option européenne, de la présomption d’origine (réservé au système de la liste). L’origine professionnelle est en effet à établir par le travailleur, qui supporte donc le risque de la preuve. La Recommandation de 1966, qui reprend les mêmes principes, précise néanmoins que la preuve pourrait être rapportée par l’organisme assureur, qui « doit en tout état de cause prendre d’office toutes initiatives nécessaires à la recherche de l’origine professionnelle de la maladie ». Notons qu’une telle obligation découle en tout état de cause, en droit belge, des obligations d’instruction imposées par la Charte de l’assuré social, dont l’article 11 concrétise le devoir de prudence et de minutie, issu des principes généraux de bonne administration.
94 L’exposé des motifs précise qu’« il convient donc, dans l’intérêt même des victimes d’étendre le champ d’application des lois coordonnées aux maladies d’origine professionnelle qui ne figurent pas sur la liste, lorsque les victimes ou leurs ayants droit prouvent l’existence d’un rapport causal entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie » (Doc. parl., Sénat, sess. 1990-1991, n° 1115-1, p. 46).
95 Cette nébuleuse référence aux « conditions fixées par le Roi » est explicitée par l’exposé des motifs (op. cit., p. 47) : cette faculté permet au Roi, si l’incidence budgétaire de la création du système ouvert « se révélait excessive par rapport aux prévisions », de fixer « des modalités particulières d’indemnisation des victimes ». Cette faculté n’a pas été mise en œuvre. Son existence confirme cependant que la limitation
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à l’article 30 des présentes lois, trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession. La preuve du lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie est à charge de la victime et de ses ayants droit ».
L’origine professionnelle de la maladie doit donc être établie par la victime. Il n’y a aucune transposition de la présomption d’origine pour ce second type de maladie, qui découlerait par définition d’un risque qui n’est pas (encore) listé. En contrepartie de la possibilité de solliciter la réparation de n’importe quelle maladie96, le travailleur a la charge de la preuve de l’imputabilité ; il doit établir que son travail (concret) est la cause d’une maladie déterminée (celle dont il demande la réparation). Néanmoins, le principe du forfait est maintenu dans son intégralité (puisque la réparation réservée aux deux types de maladie est la même)97 20. Ce type d’approche entame donc sérieusement l’équilibre du fondement du risque professionnel, puisqu’à la limitation de l’indemnisation ne répond plus l’imputabilité légale. Le déséquilibre se trouve encore accentué par la circonstance que la réforme maintient, pour ce second type de maladie, la condition d’exposition au risque professionnel98
Il est certes parfaitement logique, au vu du système de financement, de vérifier que le « travail-cause de la maladie » (la situation de travail invoquée) a été exercé dans une profession assujettie. Cependant, en pratique, la condition de l’exposition au risque professionnel déborde de cette sphère, en concourant à la fixation du risque listé (comme nous l’avons expliqué supra). Ce faisant, la condition n’a plus guère de sens. Pourquoi en effet vouloir approcher l’imputabilité au travail sous l’angle de probabilités d’une atteinte à la santé en raison de l’exposition dans le milieu du travail à des nuisances (c’est-à-dire par le prisme du risque), alors qu’il s’agit de vérifier si un travail concret donné est la cause d’une pathologie déterminée ? Les niveaux d’analyse sont nécessairement différents, selon que l’existence d’un risque est déjà reconnue ou non. Le système « hors liste » se justifie en effet par l’inexistence de données scientifiques permettant d’affirmer l’existence d’une association (abstraite) entre une nuisance et une pathologie et donc la détermination d’un risque et son intégration dans la liste. L’analyse de l’imputabilité d’une maladie non listée ne peut nécessairement être menée à un tel niveau, devant au contraire l’être au niveau individuel.
Le maintien formel de la condition d’exposition au risque professionnel après l’émergence d’une nouvelle catégorie de maladie (caractérisée non par un risque listé mais par la causalité individuelle) appelait, logiquement à notre sens, une modification dans l’approche même de la condition d’exposition au risque professionnel. On aurait ainsi pu reve-
de l’impact budgétaire ne peut passer par une interprétation restrictive du droit à la reconnaissance de la maladie hors liste.
96 Le système ouvert belge l’est totalement, c’est-à-dire qu’il ne prévoit aucune restriction quant au type de maladie ni quant à sa gravité (à l’inverse par exemple du système français, où le taux d’incapacité permanente doit atteindre un seuil minimal pour que la maladie soit indemnisable).
97 Avec de plus, comme nous l’avons signalé dans la note infrapaginale n° 95, la possibilité de restreindre, pour les maladies hors liste, les prestations (et donc de réduire l’objet couvert par la réparation forfaitaire).
98 Dans le secteur privé, l’article 32 des lois coordonnées est complété d’un dernier alinéa : « Pour une maladie au sens de l’article 30bis, il incombe en outre à la victime ou à ses ayants droit de fournir la preuve que la victime a été exposée au risque professionnel pendant la période déterminée à l’alinéa 1er ». Dans le secteur public, les arrêtés royaux d’exécution n’ont pas davantage été modifiés, de sorte que la condition d’indemnisation joue pour les deux types de maladie (étant néanmoins présumée).
nir à l’objet logique de la condition que nous avons identifié supra (n° 12) : définir les bénéficiaires de la réparation eu égard au financement. Cette condition aurait ainsi pu être celle imposant la vérification matérielle de ce que le travail-cause de la maladie (parce qu’il emporte le risque de la liste ou constitue la cause de la maladie hors liste) est bien un travail assujetti. Ce faisant, la condition d’exposition au risque de la maladie serait conceptuellement détachée de la définition même du risque de la liste, lui permettant de jouer son rôle de condition autonome susceptible d’être appliquée aux deux types de maladies, tout en répondant à son objectif de départ.
Une telle interprétation s’imposait à notre sens d’autant plus qu’en 1990, le droit à la réparation des risques professionnels consacré dans le secteur public utilisait déjà les lois coordonnées pour définir les maladies professionnelles, tout en développant une autre méthode de détermination de la condition d’exposition au risque professionnel, qui y est présumée dans tous les cas99. Pour ce second motif, il s’imposait donc de différencier les maladies professionnelles d’une part et la condition d’exposition au risque d’autre part. 21. Telle n’est cependant pas la position de FEDRIS. Jacqueline Ugeux fait référence à une note du 3 mars 1994 de son comité de gestion100, qui permet de comprendre que, pour l’administration, il y a lieu d’appréhender la causalité de la maladie hors liste d’une manière collective et probabiliste, soit de la même manière que le concept du « risque professionnel » qui caractérise le système de la liste. Après avoir développé sa lecture (restrictive) des termes « déterminant et direct » de l’article 30bis101, le texte définit en effet la maladie hors liste comme un « risque professionnel », devant ainsi présenter les caractéristiques générales du risque professionnel – dont l’imputabilité102 –, et affirme expressément que : « La preuve d’un lien de causalité […] doit s’appuyer sur le calcul de probabilités à partir de données scientifiques et épidémiologiques ».
Avec un tel point de départ, la conception de la condition d’exposition au risque professionnel développée jusque-là est vouée à se maintenir, nonobstant l’effet pervers évident qu’elle entraîne. Elle conduit en effet à n’admettre que les pathologies qui devraient être dans la liste (puisqu’elles
99 Assimilant ainsi l’exposition au risque professionnel à l’exercice de l’activité professionnelle auprès d’un employeur public auquel la loi a été rendue applicable.
100 J. UGEUX, précité, p. 25. Le contenu de cette note rapporté par cet auteur se trouve reproduit dans la brochure éditée par le F.M.P. en novembre 1997 (qui évoque une décision du comité de gestion du 9 mars 1994) : « Fonds des maladies professionnelles : le système ouvert – plaintes dorsales et travail astreignant pour le dos », R.B.S.S., vol. 40, 1998/2, p. 443, également disponible sur le site www.fedris. be
101 À laquelle la Cour de cassation n’adhérera pas, une fois saisie de leur interprétation. Cf. Cass., 2 février 1998, Pas., 1998, I, p. 58, Chr. D.S., 1998, 527, R.B.S.S., 1999, p. 573, note D. DE BRUCQ, « Maladies professionnelles hors liste, condition de causalité, arrêt de la Cour de cassation, 2 février 1998, FMP c. V » et Cass., 22 juin 2020, S.18.0009.F, J.T.T., 2021, p. 21. Nous y reviendrons au Chapitre III.
102 Le texte dispose ainsi : « Aux termes de l’article 30bis, peuvent seules donner lieu à réparation les maladies dont le risque est inhérent à la profession et au risque professionnel desquels certains travailleurs sont plus exposés que le reste de la population. Le risque doit être présent non sous la forme d’une menace fortuite mais sous celle d’un danger plus ou moins constant. Le travailleur qui contracte fortuitement une maladie à son travail, sans que son travail n’entraîne un risque accru de cette maladie, n’est pas exposé à un risque professionnel mais simplement aux risques ordinaires de la vie quotidienne. II y a risque professionnel si l’exposition à l’effet nocif est inhérente à l’exercice de la profession et est nettement supérieure aux risques auxquels est exposée la population en général et dans la mesure également où cette exposition est, selon les connaissances médicales généralement admises, de nature à provoquer la maladie ».
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rencontrent les exigences de l’inscription sur la liste, voy. n° 15, supra), mais qui n’y sont pas encore103. Cependant, une telle intention (réduisant les maladies hors liste réparable à une antichambre de la liste) ne ressort nullement des travaux préparatoires de la loi de 1990, et n’est absolument pas conforme aux recommandations européennes104
Néanmoins, mais sans du tout l’assumer explicitement, le législateur du secteur privé empruntera ce chemin, comme en témoigne l’évolution de l’article 32 des lois coordonnées. Par la loi du 21 décembre 1994, le législateur modifie sur plusieurs aspects cette disposition du secteur privé105, en insérant notamment une définition du risque professionnel. Le législateur n’exprime cependant aucune volonté de limiter l’indemnisation des maladies hors liste et d’utiliser la condition d’exposition au risque professionnel à cette fin. Aucune considération substantielle soutenant la modification n’est en réalité avancée106
Outre des modifications d’ordre technique107, deux apparaissent substantielles (elles sont détaillées ci-après, aux nos 22 et 23). La première (détaillée au n° 22) s’inscrit clairement dans le prolongement de la vision dégagée dans la
103 Ainsi que le reconnaît Marc Vanderweerdt : « Lorsque le rapport de causalité entre l’exercice de la profession et une maladie n’est pas suffisamment établi pour inscrire l’affection sur la liste, cette dernière ne pourra certainement pas être reconnue dans le cadre du système ouvert » (M. VANDEWEERDT, « Le “système ouvert” dans l’assurance contre les maladies professionnelles », R.B.S.S., 1994, p. 1023).
104 Dont on rappelle qu’elles sont citées – manifestement au titre d’une source d’interprétation – par la Cour de cassation dans ses arrêts rendus sur l’article 30bis
105 Loi du 21 décembre 1994 portant des dispositions sociales et diverses (M.B., 23 décembre 1994).
106 Les travaux préparatoires sont des plus laconiques sur le motif de l’introduction de cette définition. Ils précisent que « suite à un avis unanime rendu par le Comité de gestion du FMP le 12 janvier 1994 et compte tenu de la place de plus en plus importante prise au cours des dernières années par les maladies a-spécifiques, il a paru opportun d’introduire dans les lois coordonnées une définition du risque professionnel » (Doc. parl., Sénat, sess. ord. 1994-1995, n° 1218/1, p. 5) et que : « Compte tenu de l’évolution dans le domaine de la réparation des maladies professionnelles reconnues et, en particulier, de la place de plus en plus importante prise au cours des dernières années par les maladies professionnelles aspécifiques et eu égard à la loi du 29 décembre 1990 […] [qui a inséré l’article 30bis des lois coordonnées], il s’imposait d’insérer d’urgence une définition de la notion de risque professionnel dans l’article 32 desdites lois coordonnées » (ibid., p. 16).
107 La première de ces modifications concerne l’alinéa 1er de l’article 32 (qui conditionne la réparation à l’exposition au risque professionnel pendant une période de travail assujettie). Il est modifié pour préciser explicitement que la condition vise les deux types de maladie (celles définies par le risque professionnel et celle définie par la causalité « déterminante et directe »). Formellement, cela ne change rien, les maladies hors liste étant à l’évidence déjà visées par la condition. Il semble qu’en 1994, le législateur ait voulu différencier les « maladies professionnelles » (celles visées par la liste) des « maladies au sens de l’article 30bis ». Cette différence sémantique reste cependant cantonnée à l’article 32, puisqu’ailleurs dans les lois coordonnées il n’est question, pour désigner les deux types de maladie, que des « maladies professionnelles ».
La deuxième modification technique porte sur l’alinéa instaurant la possibilité de présumer la condition (ancien alinéa 2, devenu l’actuel alinéa 4). La modification vise à préciser que la présomption – à arrêter par le Roi – ne joue que pour les maladies de la liste. Rappelons que l’arrêté royal instaurant dans le secteur privé la présomption ne concerne que les maladies de la liste. On ne voit de plus pas bien l’intérêt de l’ajout législatif, puisqu’il paraît très peu probable qu’il puisse exister une présomption d’exposition au risque d’une maladie qui n’est pas définie par le risque (et donc d’une maladie qui ne figure pas sur la liste).
Signalons enfin une dernière modification, qui concerne l’article 16 des lois coordonnées qui décrit les prérogatives du conseil scientifique. La référence à l’article 32, alinéa 2 (qui concerne la présomption d’exposition) est remplacée par la disposition correspondante dans la nouvelle mouture de l’article 32 (devenue l’alinéa 4).
note citée par Ugeux. Toutes deux renforcent la confusion entre la définition du risque (par la liste) et la condition d’exposition au risque professionnel, sans aucune attention aux conséquences de cette option qui n’apparaissent avoir en aucune manière été perçues.
22. Le législateur ajoute – et il s’agit là de la première de deux modifications que nous allons examiner – une définition du risque, qui de facto correspond à la définition donnée par la note précitée du comité de gestion. Cet ajout devient l’alinéa 2 de l’article 32. La définition prend sa configuration actuelle, comportant une dimension matérielle (qui porte sur la nature de « l’influence nocive », laquelle doit être inhérente à l’activité professionnelle et « nettement plus grande » que celle que subit la population en général) et une dimension causale (un lien entre l’influence ainsi décrite et la maladie)108
Cette dimension causale est alors examinée sous l’angle de la possibilité que l’influence nocive puisse constituer une des causes du développement de la maladie. Elle s’ajoute aux exigences causales exprimées par l’article 30bis. On peine ainsi à distinguer les niveaux d’examen des rapports causals, outre que – comme nous l’avons déjà précisé – le sens de l’exigence de l’exposition à un risque pour apprécier une maladie définie par un rapport causal individuel pose question. La jurisprudence a néanmoins pu éclaircir leur ordre d’examen, comme nous le verrons au chapitre III (n° 62).
23. La seconde modification substantielle apportée à l’article 32 est l’insertion d’un nouvel alinéa, devenant l’alinéa 3 de la disposition. Il confère au Roi le pouvoir de fixer, pour les deux types de maladie, « des critères d’exposition sur proposition du Comité de gestion et après avis du Conseil technique ». L’exposé des motifs109 précise à son sujet que : « Les critères d’exposition fixés par le Conseil technique [actuellement le conseil scientifique] pour certaines maladies professionnelles n’ayant en vertu de l’article 16, alinéa 1er, 3°, des lois coordonnées, qu’une valeur d’avis et n’étant, en tant que tels, pas admis par certains tribunaux et cours du travail, il est conféré au Roi la possibilité de fixer, sur proposition du comité de gestion et après avis du conseil technique, des critères d’exposition pour certaines maladies professionnelles afin de donner force de loi à ces critères »110
Le législateur permet donc au Roi d’arrêter, code de la liste, des « critères d’exposition » contraignants, qui devraient être remplis pour que la condition d’exposition au risque professionnel (du secteur privé) soit reconnue comme satisfaite.
À notre connaissance, il n’y a pas d’arrêté royal arrêtant spécifiquement de tels critères d’exposition. Par contre, les préambules de certains des arrêtés royaux modifiant celui de 1969 dressant la liste des maladies citent explicitement
108 L’exigence concernant cette dernière évoluera en 2006. Nous y reviendrons infra (n° 24).
109 Doc. parl., Sénat, sess. 1994-1995, n° 1218/1, p. 16.
110 Le texte alors en vigueur de l’article 16, alinéa 1er, 3°, disposait que le conseil technique est chargé de « faire toute proposition ou de donner son avis sur tout problème, soit d’initiative, soit à la demande du ministre de la Prévoyance sociale ou du comité de gestion, et notamment en ce qui concerne l’application de l’article 32, alinéa 2 ». Cet alinéa 2 visait la présomption d’exposition au risque (comme on l’a vu, la disposition migrera, avec la loi examinée, vers l’alinéa 4, entraînant une modification de l’article 16 pour assurer la concordance). Les travaux préparatoires désignent donc les avis du conseil sur la présomption, ce qui est assez curieux vu que la présomption est fixée par arrêté royal. La référence pourrait indiquer – à supposer une certaine rationalité dans le chef du législateur, qui ne va pas de soi – que les critères d’exposition auraient pour objet (ou pour effet) de présumer l’existence du risque professionnel.
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la nouvelle disposition (art. 32, al. 3), de sorte qu’il faut conclure que la faculté mise sur pied par la loi de 1994 a bien été utilisée mais curieusement au sein même de la définition des risques de la liste.
Ainsi111, l’arrêté royal du 9 juillet 2001 (qui a inséré notamment le code 1.701 « Affections de caractère allergique provoquées par le latex naturel après un mois au moins d’exposition au risque professionnel ») vise, dans son préambule, « l’article 32, alinéa 3, remplacé par la loi du 21 décembre 1994 » suite à la remarque à ce propos de la section de législation du Conseil d’État112. Ce dernier a invité le Gouvernement à faire de même pour le préambule de l’arrêté royal du 27 décembre 2004, qui insère le code 1.605.03, lequel ne se limite pas à fixer une pathologie-risque (causée par des vibrations mécaniques ou le port de charges), mais pose diverses exigences spécifiques (d’exposition), concernant tant la pathologie que le délai de prise en charge113. La section de législation du Conseil d’État souligne en effet que l’arrêté en projet fixe aussi des modalités relatives à l’exposition au risque professionnel et que son fondement juridique est l’article 32, alinéa 3, qu’elle demande en conséquence d’ajouter au préambule114. Enfin, l’article 32, alinéa 3 est aussi cité dans le préambule de l’arrêté royal du 22 janvier 2013 qui modifie le code 1.404.01115
Il apparaît ainsi que certains libellés de la liste intègrent des « critères d’exposition » au sens de l’article 32, concernant donc la notion de risque professionnel au sens des lois coordonnées (secteur privé). Or, dans le même temps, leur portée quant à l’examen de la condition de l’article 32 n’est précisée nulle part. Ni le législateur ni le Roi ne précisent en effet l’articulation entre ces critères et ceux de la notion de risque professionnel selon l’article 32116. En outre, la méthode
111 À titre exemplatif (dès lors que l’examen exhaustif de tous les arrêtés n’a pas été opéré).
112 Voy. l’avis n° 31.131/1 du 22 février 2001.
113 Pour rappel, le libellé de ce code est le suivant : « Syndrome mono ou polyradiculaire objectivé de type sciatique, syndrome de la queue de cheval ou syndrome du canal lombaire étroit : - consécutif à une hernie discale dégénérative provoquée par le port de charges lourdes ou par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège, à la condition que le syndrome radiculaire se produise pendant l ’exposition au risque professionnel ou, au plus tard, un an après la fin de cette exposition, ou - consécutif à une spondylose-spondylarthrose dégénérative précoce au niveau L4-L5 ou L5-S1, provoquée par le port de charges lourdes ou par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège ».
114 Avis n° 37.743/1 du 28 octobre 2004.
115 Ce code concerne la « Tuberculose chez les personnes travaillant dans les institutions de soins, le secteur des soins de santé, l’assistance à domicile, la recherche scientifique, les services de police, les ports aériens et maritimes, les prisons, les centres d’asile et d’accueil pour illégaux et sans-abri et chez les travailleurs sociaux ». L’arrêté royal modifie la liste des travailleurs (professions ou activités) visés. Avant l’arrêté royal du 22 janvier 2013, le code visait le « personnel s’occupant de prévention, soins, assistance à domicile, recherches et autres activités professionnelles dans des institutions de soins où un risque accru d’infection existe ». Le nouveau libellé procède donc par une énumération exhaustive des secteurs professionnels (« lieu de travail ») « à risque », ce qui constitue effectivement un critère d’exposition au risque (et non la définition de celui-ci). Notons que ni le Conseil d’État ni le préambule ne citent l’article 48 des lois coordonnées (qui autorise le Roi à limiter le droit à la réparation, pour « des raisons d’ordre médical », « aux travailleurs de certaines industries, professions ou catégories d’entreprise » et n’a pas de pendant au sein de la loi du 3 juillet 1967). Cette dernière disposition constitue néanmoins pour certains le fondement légal des précisions du code relatives à l’activité professionnelle (P. DELOOZ et D. KREIT, précité, p. 70 ; P. DENIS, Droit de la sécurité sociale, T. I, Bruxelles, Larcier, 1993, p. 234). Cela nous semble douteux, la disposition n’étant pas visée par les préambules.
116 Prenons, pour illustrer la difficulté, l’exemple des critères d’exposition insérés dans la liste liés à la profession ou au « lieu de travail », soit la méthode du code 1.404.01 examiné ci-dessus (cf. la note in-
légistique choisie, qui intègre des critères d’exposition au risque professionnel (sur pied de l’article 32) au sein de la liste (dressée sur pied de l’article 30) pose évidemment la question de l’appréhension de ces critères lorsque le travailleur relève du secteur public, pour lequel l’article 32 n’est pas applicable et l’exposition au risque professionnel présumée. La méthode est donc peu cohérente. Elle l’est d’autant moins qu’elle s’est trouvée doublée en 2002 de la possibilité d’inscrire des critères d’exposition dans une annexe de l’arrêté royal de 1969 lui-même intitulée « Critères d’exposition concernant certaines maladies professionnelles »117. Le rôle de l’annexe est précisé par l’article 1erbis de l’arrêté royal de 1969 inséré dans la foulée et libellé comme suit : « Pour les maladies professionnelles énumérées dans l’annexe au présent arrêté, l’exposition au risque professionnel de la maladie doit répondre aux critères définis dans ladite annexe ». Comme on l’a vu, malgré l’existence (et le but) de l’annexe, des critères d’exposition ont continué à être intégrés dans le libellé même du code (définition de la maladie), sans être repris dans l’annexe. Celle-ci n’a ainsi été utilisée que pour les pathologies causées par l’amiante (codes 9.308, 9.310 et 1.301.21) et celles causées par le SARS-CoV-2 (codes 1.404.04 et 1.404.05).
24. La dernière étape de l’évolution est la loi du 13 juillet 2006118, venue modifier la définition du risque professionnel contenue à l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées, dans un contexte bien particulier : l’insertion dans les lois coordonnées d’un nouveau dispositif de prévention, présenté comme l’extension des « missions sociales » de FEDRIS, à frapaginale précédente), qui est aussi utilisée dans d’autres codes concernant des pathologies infectieuses. L’analyse qui nous semble la plus logique est celle qui sépare l’identification du risque par la liste et les critères d’exposition. D’une part, le risque identifié par la liste est (de manière implicite) l’agent biologique à l’origine de la pathologie infectieuse. D’autre part, il n’est admis (critère d’exposition – article 32) que pour certaines catégories de travailleurs, à savoir ceux listés pour lesquels la fonction ou le lieu de travail sont reconnus comme générant le risque de la pathologie infectieuse. Ce faisant, l’énumération des « activités » ou du « secteur professionnel » exprime la reconnaissance que la fonction expose professionnellement au risque biologique de la liste (ce qui rejoint le système de la liste à double entrée de 1927). La logique sur le plan de l’exposition au risque serait ainsi que l’activité professionnelle ou le lieu du travail visé est reconnu comme entraînant un contact avec un véhicule possible de l’agent infectieux, et donc comme exposant au risque de contamination par l’agent (puisque l’activité ou le lieu de travail est reconnu comme entraînant le contact avec le véhicule de transmission). Cette interprétation n’est néanmoins pas celle de FEDRIS à suivre le document « Tuberculose comme maladie professionnelle : critères relatifs au diagnostic et à l’exposition au risque professionnel. Critères approuvés par le Conseil scientifique du Fonds des maladies professionnelles le 31 mai 2011 » (www.fedris.be, dont il faut relever que, malgré la date reprise dans l’intitulé du document, il se réfère au libellé actuel du code issu de l’arrêté royal déjà cité du 22 janvier 2013). La position qui s’induit de ce document est que les critères d’exposition exprimés par le code ne suffisent pas ; ils doivent être « complétés » par d’autres critères pour que le risque professionnel de l’article 32 soit admis. Notons au passage que les exigences complémentaires posées dans le document ne trouvent pas assise dans la documentation scientifique (les études épidémiologiques) qu’il présente. Ceci confirme que les exigences développées ne sont pas nécessairement issues des constats scientifiques mais apparaissent mitigées par d’autres considérations (dont la plus évidente est celle de l’incidence budgétaire).
117 Cette faculté est ouverte par l’arrêté royal du 26 mai 2002, dont le préambule cite « l’article 32, alinéa 3, remplacé par la loi du 21 décembre 1994 ». Cet arrêté introduit en outre dans la liste deux nouvelles maladies, dont le « cancer du larynx provoqué par l’amiante », pour laquelle des critères d’exposition sont mentionnés dans l’annexe.
118 Loi du 13 juillet 2006 portant des dispositions diverses en matière de maladies professionnelles et d’accidents du travail et en matière de réinsertion professionnelle (M.B., 1er septembre 2006).
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savoir la « maladie en relation avec le travail »119. La modification porte sur le dernier élément de la définition (la dimension causale), les explications données par les travaux préparatoires n’évoquant cependant à son égard que les maladies de la liste120. Suite à cette modification, l’influence nocive (la dimension matérielle du risque) ne doit plus seulement être susceptible de causer la maladie ; elle doit constituer, « dans les groupes de personnes exposées », « la cause prépondérante de la maladie ». Littéralement, pour satisfaire à la condition, l’exposition concrète au danger (le travail exercé) doit être la cause significative de la maladie dont la réparation est demandée. En outre, cet examen causal pourrait devoir intervenir in abstracto121, sans considération pour les facteurs de réceptivité individuels, qui influent pourtant sur la probabilité de développer la maladie suite à l’exposition à un danger122 et qui étaient, à ce titre, effectivement pris en compte par la jurisprudence123
Les travaux préparatoires n’examinent pas l’incidence de la modification pour les maladies hors liste, alors même qu’ils semblent assimiler la définition de la maladie de la liste et la condition d’exposition au risque professionnel. Le législateur n’affirme donc pas que les maladies hors liste devraient répondre à un examen causal fondé sur un risque appréhendé en termes de population (« collectivement »), ce qui constitue, comme nous l’avons déjà relevé, une logique totalement inappropriée au système ouvert. Cependant, la condition s’applique aux deux types de maladie dans les mêmes termes, de sorte que l’interprétation valant dans un système devrait valoir dans l’autre.
Par ailleurs, la modification met aussi à mal la logique du système de la liste, puisqu’elle pourrait supprimer l’apport de l’inscription du risque dans la liste, dès lors que les victimes seraient tenues – en contrariété avec la présomption d’origine – d’établir que l’exposition au risque de la liste est la cause de leur maladie.
Une évolution majeure de ce type appelait incontestablement des explications détaillées du législateur, précisant
119 Ce nouveau dispositif de prévention – inséré à l’article 62bis des lois coordonnées – est distinct de celui de l’écartement préventif et n’existe pas dans le secteur public. Il est censé permettre à FEDRIS d’agir en amont de la survenance de la maladie, par le biais de prestations concrètes visant à éviter l’apparition des maladies professionnelles. Ce dispositif n’est, à l’heure actuelle, mis en œuvre que pour les pathologies dorsales (cf. l’arrêté royal du 17 mai 2007 fixant l’entrée en vigueur de l’article 44 de la loi du 13 juillet 2006 et portant exécution de l’article 62bis des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, M.B., 11 juin 2007).
120 Puisque, comme on l’a vu, les deux conditions sont purement et simplement assimilées. Voy. ainsi les extraits cités supra , note infrapaginale n° 91, et pour un examen (plus complet) des travaux préparatoires, S. R EMOUCHAMPS , « L’indemnisation des dommages générés par les incidents psychosociaux dans les régimes de réparation des risques professionnels », in D. DUMONT et P.-P. VAN GEHUCHTEN (dir.), Actualités en matière de bien-être au travail, Bruxelles, Bruylant, coll. UB3, 2015, pp. 173-286 ; L. VOGEL , « De la silicose des mineurs aux lombalgies des infirmières », R.D.S., 2015, pp. 505-510.
121 Cf. la référence aux « groupes de personnes exposées ». Il est d’ailleurs affirmé dans l’exposé des motifs que « Le caractère professionnel de la maladie s’établit au niveau du groupe, non au niveau de l’individu ».
122 Voy. ainsi M. VANDEWEERDT, « Le “système ouvert” dans l’assurance contre les maladies professionnelles », précité, p. 1017 : « Des facteurs individuels propres à la personne exposée jouent, par ailleurs, un rôle important dans la manière dont des influences externes exercent leur effet nocif », étant entendu qu’il vise parmi ces “facteurs externes” les conditions de travail.
123 Voy. les références citées par S. R EMOUCHAMPS , « L’indemnisation des dommages générés par les incidents psychosociaux dans les régimes de réparation des risques professionnels », précité, notes infrapaginales nos 185 et 188.
à tout le moins une volonté politique d’alourdir les exigences de preuve à charge des victimes, de limiter l’accès au système ouvert, voire encore – le cas échéant – de contredire la jurisprudence qui examinait la dimension causale de la condition d’exposition au risque professionnel dans une approche individuelle. Or aucune volonté de ce type n’est précisée, la loi étant au contraire présentée comme améliorant les droits consacrés par la législation (par le biais de la nouvelle méthode de prévention). Non assumée sur le plan politique, l’orientation exacte de cette modification législative nous semble toujours obscure, et en tout état de cause sujette à interprétation.
§ 3. Conclusion : nécessité d’une interprétation cohérente compatible avec la théorie du risque professionnel
25. Nous avons déjà esquissé les conséquences de l’évolution décrite ci-avant, ainsi que les différentes incohérences dont elle procède ou qu’elle génère. Nous y revenons pour clôturer ce chapitre général.
Rappelons qu’il faut également garder à l’esprit que le risque professionnel est une notion juridique, que son interprétation par le juge a pour objet de trancher un cas individuel, que l’interprétation littérale n’est pas nécessairement la plus indiquée124 et, enfin, que tant le contexte (sécurité sociale) que l’aptitude réelle de l’assuré social à la preuve doivent être pris en compte.
26. La première conséquence qui peut être tirée de l’évolution précitée concerne le système de la liste.
La portée de la présomption d’origine issue de la reconnaissance (et donc l’inscription) du risque dans la liste apparaît sinon annihilée à tout le moins sérieusement entravée par les exigences découlant de la condition d’exposition au risque professionnel. L’inscription du risque dans la liste est supposée traduire la reconnaissance (légale) que l’agent listé constitue un risque d’affecter négativement la santé du travailleur (sur pied d’évidences issues des probabilités statistiques ou de choix politiques). Dans l’interprétation administrative, le risque de la liste sert cependant exclusivement à identifier l’influence nocive qui devra répondre aux exigences de l’article 32. L’inscription du risque dans la liste ne présume donc rien pour le travailleur. Celui-ci devrait tout d’abord démontrer son caractère professionnel (par le biais des propriétés de l’influence nocive considérée), de sorte que l’inscription même du risque ne dirait rien sur son aspect professionnel spécifique (propre au milieu professionnel et par opposition aux expositions de la population en général). En outre, il faudrait encore démontrer la réalité du risque en tant que tel, c’est-à-dire que l’influence nocive emporte la possibilité de l’atteinte à la santé (dimension causale ou médicale), le cas échéant (selon l’interprétation retenue) selon le même référentiel que celui qui régit l’inscription du risque dans la liste (la probabilité épidémiologique), qui demeurerait cependant sans effet. Si on suit cette analyse, la liste ne présumerait plus rien, ne contenant que des dangers125. Le principe de la présomption d’origine déclinée par le
124 Comme le démontrent les arrêts rendus par la Cour de cassation sur pied de l’article 30bis, où la Cour s’inspire à l’évidence du cadre et de la ratio legis pour définir les exigences légales. Rappelons également que les travaux préparatoires de la loi de 2006 utilisent les termes « déterminant et direct » en lieu et place de « prépondérant », et que la majeure partie des précisions données sur la nouvelle définition de l’article 32 par les travaux préparatoires de la loi de 2006 concernent en réalité la notion de maladie professionnelle au sens de l’article 30.
125 Au sens du Code du bien-être au travail, qui définit le danger comme un objet, une substance, un processus ou une situation dont la propriété ou la capacité intrinsèque est susceptible de causer un dom-
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système de liste se trouverait donc vidé d’une partie importante de son effet, celui de reconnaître la réalité du risque d’atteinte à la santé des travailleurs subordonnés.
La circonstance que l’administration de la preuve de la dimension causale du risque professionnel au sens de l’article 32 devrait s’opérer par un moyen d’ordre statistique (et donc nécessairement d’une manière « collective ») ne constitue pas un allégement de la preuve, puisque c’est cette dimension causale qui caractérise la notion de risque et le distingue du danger. Or, elle resterait à charge du travailleur, qui devrait donc établir l’existence même du risque professionnel, sans que son inscription dans la liste ait encore le moindre effet. Le système de la liste n’assure donc plus la moindre certitude sur le droit à la réparation, et expose au contraire le travailleur aux incertitudes scientifiques, qui sont la règle. Prenons à nouveau l’exemple du benzène pour illustrer ce dernier problème : le travailleur exposé à cet hémototoxique et qui présente une leucémie (un cancer du sang) ne serait indemnisé que pour autant encore que les recherches scientifiques aient réussi à (déjà) corréler au benzène le soustype précis de leucémie qu’il présente. La réparation serait ainsi tributaire des avancées scientifiques, renvoyant ainsi le travailleur aux incertitudes médicales, nonobstant l’inscription de la substance cancérigène dans la liste.
La deuxième conséquence concerne la possibilité de démontrer une maladie hors liste indemnisable, et donc l’efficience du système ouvert. Celui-ci consacre le droit pour le travailleur d’apporter la preuve que la pathologie qu’il présente est causée par son travail (assujetti), alors même que le risque professionnel n’est pas avéré (ce qui justifie, dans la logique du système mixte, sa non-inscription dans la liste des maladies professionnelles). Pourtant, et quand bien même il démontrerait le lien de cause à effet entre la pathologie et l’exercice de son activité professionnelle assujettie, la réparation serait encore conditionnée à la causalité probabiliste, qui suppose l’existence d’études et de données de nature à l’affirmer. Or il est fort probable qu’elles n’existent pas, ou pas en suffisance.
Dans les deux cas, les incohérences constatées ont pour cause la notion de risque professionnel de l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées et son interprétation. Dès lors que la condition est formulée de manière identique pour les deux types de maladie, l’interprétation à dégager doit donner un contenu matériel assurant l’efficience à la fois de la reconnaissance du risque par le biais de l’inscription sur la liste et le droit à démontrer une maladie « hors liste ». Pour les maladies de la liste, l’enjeu est de donner un effet, un sens réel à l’inscription sur la liste, ce qui suppose de déterminer les relations entre le risque de la liste et les exigences de l’exposition au risque en réservant une portée concrète à la mention du risque dans la liste. Pour le système ouvert, l’enjeu est d’éviter d’imposer une preuve qui n’est pas administrable par l’assuré social, ce qui est le cas si sont exigées des études épidémiologiques qui n’existent pas.
27. Enfin, l’omniprésence de la condition d’exposition au risque professionnel telle qu’elle s’est développée au départ de l’article 32 des lois coordonnées pose la question de la conception actuelle de la présomption d’origine. Elle pourrait ne plus s’opérer au départ du système applicable (liste ou hors liste) mais reposer sur l’existence d’une présomption légale d’exposition au risque professionnel. La ligne de partage se trouverait ainsi de facto déplacée de la maladie (liste
mage (art. I.1-4, 1°). La probabilité que ce dommage se présente à la suite de l’exposition au danger – inhérente à la notion de risque – ne serait donc pas reconnue mais dépendrait entièrement de l’appréciation de la condition d’exposition au risque professionnel.
ou hors liste) vers le secteur (public ou privé) applicable, vu que, dans le secteur public, la présomption s’applique à toutes les maladies (système ouvert et fermé), sans aucune condition.
Ce potentiel basculement de la ligne de partage est, à nos yeux, la résultante des interprétations qui se sont développées dans le secteur privé autour de la définition du risque professionnel, dont on peut raisonnablement supposer qu’elles visent à limiter radicalement la reconnaissance de maladies hors liste et des pathologies susceptibles d’être examinées dans la liste dont l’origine ne sera pas (ou plus) jugée suffisamment professionnelle, en-dehors cependant de toute affirmation politique de cet ordre. Il n’aura pas échappé que cette visée désigne les principales maladies contemporaines, dont les troubles musculo-squelettiques et les affections psychosociales. Il est aussi patent que ces interprétations ont été favorisées par des interventions législatives manifestement peu réfléchies pour ne pas dire incohérentes, et qui n’assument en tout cas pas une option de couverture restrictive.
Nous y voyons une raison supplémentaire de poursuivre la réflexion sur l’interprétation, dans l’objectif d’une efficience réelle du régime, qui pourrait rééquilibrer son centre de gravité.
28. Nous allons tenter, au travers des chapitres suivants, d’aborder ces questions d’interprétation, par un examen concret des conditions de reconnaissance dans les deux systèmes.
CHAPITRE II : CONDITIONS D’OCTROI DE LA MALADIE DE LA LISTE – APPROCHE ILLUSTRÉE PAR LE CODE 1.606.22
29. Ce chapitre concerne la maladie de la liste inscrite sous le code 1.606.22, qui appartient à la « famille » des troubles musculo-squelettiques, souvent désignés sous le signe, que nous reprendrons, « TMS ». L’analyse y consacrée, qui mobilise la jurisprudence, permet d’explorer et de tenter de résoudre les questions d’interprétation qui ont été identifiées dans le premier chapitre. L’analyse prend à cette fin appui sur les constats et commentaires y opérés. Nous réserverons tout d’abord quelques commentaires sur les TMS (section 1), qui permettent d’arrêter quelques caractéristiques pertinentes, à savoir leur essence professionnelle et leur nature multifactorielle. Nous allons ensuite (section 2) examiner le libellé du code, qui présente la particularité de citer (de manière large) la pathologie et de l’associer à un risque bénéficiant d’une définition (relativement) précise. Au-delà de l’examen des exigences de preuve, le type de libellé permet de revenir sur la nature des précisions causales du code et son incidence dans le secteur public, où la condition d’exposition au risque est présumée. Nous examinerons ensuite la condition d’exposition au risque professionnel (Section 3), d’abord dans le secteur public (§ 1er), dont l’examen est évidemment facilité par la présomption, puis dans le secteur privé (§ 2). Cette dernière partie regroupe l’essentiel des considérations développées autour de cette condition, dans le prolongement des réflexions clôturant le Chapitre I.
Section 1 : Quelques précisions sur le phénomène des TMS
30. La notion de « troubles musculo-squelettiques » ou « TMS » désigne un concept « parapluie » : elle désigne des atteintes diverses (douleurs, diminution d’amplitude de mouvement, gonflement, engourdissement, picotement, perte de sensibilité, etc.) touchant les articulations, muscles, ligaments, tendons, vaisseaux ou nerfs périphériques de l’appareil loco-
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moteur (le dos et les membres supérieurs et inférieurs)126
Selon l’EU-OSHA127, « les troubles musculo-squelettiques (TMS) d’origine professionnelle affectent principalement le dos, le cou, les épaules et les membres supérieurs, ainsi que les membres inférieurs. Ils regroupent toute blessure ou trouble des articulations ou d’autres tissus. Les problèmes de santé comprennent aussi bien les petits maux que les troubles plus sévères nécessitant un arrêt de travail ou un traitement médical. Dans le cas de troubles plus chroniques, ils peuvent même entraîner une invalidité ou une incapacité de travail ». Sur les causes, l’EU-OSHA précise : « En règle générale, les TMS n’ont pas une cause unique. Les facteurs de risque peuvent être multiples et s’additionner, notamment les facteurs physiques et biomécaniques, les facteurs organisationnels et psychosociaux, ainsi que les facteurs individuels ». Les TMS sont associés principalement à des efforts, mouvements, postures et vibrations, mais aussi à l’organisation du travail et aux risques psychosociaux128.
Selon l’INRS129, « les TMS-MS130 sont un exemple emblématique des nouveaux risques professionnels dont sont victimes les salariés. Au regard du nombre de salariés atteints, le terme d’épidémie est justifié ». « La survenue des TMS-MS est irréductiblement la conséquence d’une diversité de facteurs de risque. Cependant, grâce aux études épidémiologiques, il est établi que l’épidémie de TMS-MS observée dans la plupart des pays industrialisés est massivement déterminée par le travail ». Le document rapporte que les « macrodéterminants » expliquant l’explosion des cas résident dans l’organisation du travail : augmentation des cadences et de la charge de travail, pression temporelle plus importante, travail partagé, sous-effectifs, etc. Il est également expliqué que les TMS-MS ne s’inscrivent pas dans un modèle mécaniste : les différents facteurs augmentent la probabilité d’apparition de la pathologie. Il s’agit donc de « mala-
126 « La dénomination “troubles musculo-squelettiques” (TMS) liés au travail (workrelated musculoskeletal disorders) regroupe des affections douloureuses des tissus mous péri-articulaires et des nerfs périphériques secondaires à une hypersollicitation d’origine professionnelle du membre supérieur. Cela concerne des affections codifiées médicalement (syndromes canalaires et tendinopathies à l’exclusion des étiologies inflammatoires générales, tumorales ou infectieuses) et des syndromes douloureux non spécifiques localisés (cervicalgies, scapulalgies, épicondylalgies) ou multiples » (Y. ROQUELAURE, « Actualités concernant les troubles musculo-squelettiques du membre supérieur en relation avec le travail répétitif », Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, vol. 201, 2017/7-8-9, p. 1150).
127 https://osha.europa.eu/fr/themes/musculoskeletal-disorders (consulté le 4 janvier 2022). L’EU-OSHA est l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail (SST), qui se décrit comme l’agence d’information de l’Union européenne en la matière.
128 Les aspects psychosociaux du travail sont notamment le rythme de travail soutenu, une importante charge de travail et une faible autonomie, l’absence de pause (ou de possibilité d’alterner les postures de travail) et l’ensemble des facteurs générant stress/fatigue/anxiété, qui augmentent le risque de développement des TMS. Y. ROQUELAURE, précité, p. 1152 et suiv. explique que : « Le stress peut augmenter le risque de TMS par plusieurs mécanismes », décrivant les mécanismes extrinsèques et intrinsèques. Il précise, sur les premiers : « Les mécanismes extrinsèques du stress associent une perturbation du geste professionnel (gestes saccadés par exemple) et une augmentation de la charge musculo-squelettique induite par la pression temporelle, l’intensification du travail, la diminution des temps de récupération et la diminution des coopérations dans le travail ».
129 L’INRS (l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) est un organisme français au cœur du dispositif de prévention en santé et sécurité au travail dans ce pays (voy. www.inrs.fr). Les extraits cités ci-après sont issus de la brochure (disponible en ligne) Les troubles musculosquelettiques du membre supérieur (TMS-MS). Guide pour le préventeur », INRS, 2011.
130 Troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs.
dies multifactorielles à composante professionnelle »131. Le document de l’INRS précise que « l’influence des facteurs de risque professionnels est prépondérante par rapport à celle des facteurs de risque non professionnels » : « les TMS résultent d’abord de l’application de contraintes biomécaniques soutenues ou répétées, associées à l’état de stress ». Le document insiste également sur l’importance de l’aspect individuel : les TMS-MS résultent généralement d’un déséquilibre entre les sollicitations biomécaniques et les capacités fonctionnelles du travailleur (qui dépendent notamment de son âge, de son sexe, de son état physiologique et psychologique ainsi que de ses antécédents personnels). Aussi, si l’intensité des sollicitations et leur répartition dans le temps sont un facteur de poids, le niveau du risque dépend surtout des capacités fonctionnelles individuelles, de sorte qu’ « aucun niveau de risque ne peut être proposé sans tenir compte de celles-ci » : « le référentiel doit être humain et non environnemental ». En outre, il faut tenir compte de l’ajustement permanent des paramètres corporels aux contraintes, de sorte que, pour une même tâche effectuée au même poste, les sollicitations peuvent être très différentes selon la stratégie gestuelle mise en œuvre par les opérateurs132
31. Ces quelques précisions scientifiques permettent de poser le constat que les troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs présentent une essence professionnelle scientifiquement bien établie, mais que leur apparition ou leur développement est intrinsèquement tributaire tant de la personne du travailleur que de l’organisation concrète de son travail dans ses aspects matériels et immatériels. Ces paramètres s’accommodent particulièrement mal d’une appréhension abstraite du risque, c’est-à-dire qui serait détachée des particularismes de la tâche professionnelle concrète et de son environnement (notamment psychosocial) ainsi que des facteurs personnels de réceptivité (tels qu’une fragilité ou une pathologie préexistante).
32. Le régime belge des maladies professionnelles appréhende les TMS, plusieurs codes de la liste les visant133
131 Y. ROQUELAURE, précité, p. 1152 relève dans le même sens que « Les TMS sont des affections multifactorielles répondant au modèle des maladies liées au travail, définies par l’OMS comme des “maladies pour lesquelles l’environnement de travail et la réalisation du travail contribuent de manière significative, mais non exhaustive, à leur étiologie multifactorielle” ».
132 Voy. également K. LIPPEL, K. MESSING, S. STOCK et N. VENIZA, « La preuve de la causalité et l’indemnisation des lésions attribuables au travail répétitif : rencontre des sciences de la santé et du droit », Windsor Yearbook of Access to Justice, 1999, p. 53 : « D’abord, l’être humain possède des muscles, des tendons, des articulations, dont le développement varie d’un individu à l’autre. Le même mouvement n’affecte pas toutes les personnes de la même façon. Par ailleurs, face à un emploi donné, les personnes auront des capacités différentes de l’exercer, utiliseront des manières différentes de l’approcher et vivront des effets différents. De plus, deux postes supposément identiques peuvent ne pas avoir le même microclimat, la même orientation, etc. Les travailleurs sont exposés à un large éventail de produits chimiques, de postures contraignantes, de variations de microclimat, éléments qui peuvent tous conditionner les effets sur le système musculo-squelettique. Ils ajustent leur façon de faire leur tâche à ces conditions et aux changements physiologiques qu’elles créent. Par exemple, quand un travailleur a une tendinite à l’avant-bras, souvent il modifiera sa façon d’utiliser son bras quand il exécute des tâches manuelles, pour diminuer la douleur. Ces modifications biomécaniques changent la charge physique sur les muscles et les tendons d’autres parties du bras et peuvent rendre ces dernières plus susceptibles de subir d’autres lésions musculo-squelettiques. Il existe donc une énorme variabilité d’expositions qui peuvent être difficilement prises en compte dans une étude qui implique un grand nombre de personnes ».
133 Le code 1.606.22 concerne les TMS touchant les membres supérieurs en association à certains risques (mouvements en force et répétitifs
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Le code examiné – qui concerne les TMS des membres supérieurs en relation avec le travail répétitif ou les postures défavorables – a été inséré par l’arrêté royal du 12 octobre 2012, de sorte que c’est à partir de cette inscription que la couverture de ce risque par le système de la liste a été généralisée134
Section 2. Le code de la maladie et la portée de l’inscription du risque dans la liste
33. Le code 1.606.22 – inséré par l’arrêté royal du 12 octobre 2012 – est libellé comme suit :
« Maladies atteignant les tendons, les gaines tendineuses et les insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs dues à une hyper-sollicitation de ces structures par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif, ou par des postures défavorables ».
Le libellé présente la particularité de définir à la fois un type de pathologie et le risque auquel elle est due. À ce stade, deux commentaires peuvent être faits.
Tout d’abord, la définition donnée de la « maladie » est large. La définition retenue vise en effet n’importe quelle altération de la santé (« maladies » 135) qui touche les « organes » listés des membres supérieurs. Le code couvre toutes les « tendinopathies » des membres supérieurs, sans restriction ni exigence particulière notamment sur le plan diagnostique et de la manière de l’établir 136. En d’autres termes, le code ne limite pas les pathologies admises à certaines tendinopathies. Il suffit donc que la pathologie présentée par la victime entre dans la catégorie large définie par le code (« tendinopathies »).
Ensuite, le code identifie précisément le risque. Celui-ci correspond aux situations de travail impliquant une « hyper-sollicitation » résultant soit de mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif, soit des postures défavorables137. Le risque désigné par le code se réfère donc aux contraintes biomécaniques, dont on sait
ou postures défavorables). D’autres codes de la liste concernent soit d’autres localisations, soit d’autres risques. Ainsi, les codes 1.605.01 et 1.605.02 concernent la même localisation (membres supérieurs), mais un autre risque (les vibrations mécaniques), le code 1.605.03 concerne certaines pathologies lombaires en association avec le port de charges lourdes et les vibrations mécaniques, le code 1.606.21 concerne les risques de surmenage des tendons chez les artistes de spectacle, etc.
134 On l’a déjà dit : « La tendinite n’[était] reconnue comme la maladie professionnelle que chez les artistes de spectacle alors que d’autres professions peuvent provoquer cette même affection » (M. VANDEWEERDT, « Le “système ouvert” dans l’assurance contre les maladies professionnelles », précité, p. 1024).
135 Cf. la définition de la « maladie » donnée par le Centre national de ressources textuelles et lexicales : « Altération de l’état de santé se manifestant par un ensemble de signes et de symptômes perceptibles directement ou non, correspondant à des troubles généraux ou localisés, fonctionnels ou lésionnels, dus à des causes internes ou externes et comportant une évolution ».
136 Il a ainsi été jugé que l’absence d’examen d’imagerie médicale objectivant ces atteintes n’est pas un obstacle en soi si des rapports médicaux du secteur thérapeutique attestent de leur existence (C. trav. Liège, div. Liège, 20 avril 2021, R.G. 2020/AL/286) et que « la définition du code 160622 ne requiert pas une apparition de la maladie concomitante à l’exposition au risque professionnel pas plus qu’elle ne fixe un délai dans lequel cette maladie doit apparaître au regard de la période d’exposition. L’atteinte peut d’ailleurs présenter une forme aiguë ou chronique » (C. trav. Liège, div. Neufchâteau, 26 mai 2021, R.G. 2020/AU/36).
137 Relevons ainsi que le code n’exige pas que les deux situations (mouvements répétitifs en force et avec des postures défavorables) soient rencontrées (l’une suffisant). Il permet cependant également de prendre en compte le cas où les deux situations le seraient effectivement.
qu’elles ne constituent qu’un des facteurs (professionnels) causals des TMS.
34. Nous avons relevé au Chapitre I (cf. le n°23 supra) que certains codes de la liste contiennent des critères d’exposition (sur pied de l’article 32, alinéa 3, des lois coordonnées), qui concernent donc la condition d’exposition au risque professionnel de la maladie. Est-ce le cas pour le code examiné ? Pour résoudre cette question, et puisque la mise en œuvre de l’article 32, alinéa 3, a été détectée via le préambule d’arrêtés royaux insérant (ou modifiant) les codes de la liste, il y a lieu d’examiner celui de l’arrêté royal insérant le code 1.606.22, qui, en outre, contient un « rapport au Roi »138 Le préambule de l’arrêté royal ne fait pas état d’une mise en œuvre de l’article 32, alinéa 3, des lois coordonnées, ce qui résulte d’un choix délibéré. En effet, l’avant-projet soumis à la section de législation du Conseil d’État citait dans son préambule l’article 32, alinéa 3. Le Conseil d’État a signalé sa circonspection quant à cette référence, précisant que le fondement légal est à trouver à l’article 30 et ajoutant ne pas percevoir en quoi l’article 32, alinéa 3, « pourrait procurer un fondement juridique au projet »139. Suite à la proposition faite de supprimer la référence à cet article, le préambule de l’arrêté royal adopté ne la contient plus. En outre, le rapport au Roi précise explicitement que les critères d’exposition ne pourraient être insérés dans le code (par voie d’un arrêté royal), mais doivent être arrêtés par l’administration140. Enfin, l’examen du libellé du code confirme l’absence de critères d’exposition en tant que tels. On peut en effet constater que si le code permet in abstracto d’identifier un groupe professionnel à risque (les personnes dont l’activité professionnelle emporte les contraintes listées, c’est-à-dire les hyper-sollicitations causées par des mouvements en force et répétitifs ou par des postures défavorables), il n’en demeure pas moins que le libellé en lui-même ne désigne pas un groupe professionnel, mais uniquement un des facteurs causals des tendinopathies.
Ces précisions permettent de conclure que le code de la liste examiné ne contient pas de critère d’exposition au risque professionnel au sens de l’article 32, comme c’est le cas pour nombre des autres codes de la liste.
35. Le code 1.606.22 inscrit donc un risque (les agents causals précités) et un type de pathologie (les tendinopathies des membres supérieurs), mais sans viser d’affections concrètes ni poser d’exigences en termes d’exposition au risque. Néanmoins, ce type d’association (pathologie et risque) donne un libellé (fréquent, comme relevé supra, n° 14) désignant une pathologie « due à » l’agent causal listé.
Ce type de libellé pose la question de l’objet de la preuve pesant sur l’assuré social ; dans quelles conditions peut-on
138 Il s’agit de celui précédant l’arrêté royal du 12 octobre 2012 déjà cité, qui a inséré le code examiné (M.B., 7 novembre 2012, pp. 6681266813).
139 Avis n° 51.647/1/V du 26 juillet 2012.
140 De plus, à suivre le rapport au Roi, le code identifierait simplement l’influence nocive (à savoir un danger au sens entendu par le Code du bien-être au travail, cf. la définition rappelée en note infrapaginale n° 125), mais non le risque en tant que tel (notion qui suppose une probabilité de survenance d’un dommage – la maladie – en raison de l’exposition au danger, cf. la note infrapaginale précitée). Nous avons déjà signalé (n° 26 supra) qu’une telle interprétation ne peut être privilégiée, sous peine de vider l’effet utile de l’inscription dans la liste. Rappelons à nouveau que l’effet de l’inscription dans la liste est la reconnaissance d’un risque, et non simplement d’un danger. Cela étant, ces « explications » du rapport au Roi permettent d’affirmer que le code n’entend pas fixer des critères touchant à la condition d’exposition au risque professionnel, et ne met donc pas en œuvre la possibilité conférée par l’article 32, alinéa 3, des lois coordonnées, qui est la question que nous tâchons de résoudre à ce stade de l’analyse.
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retenir que la preuve de la maladie de liste est effectivement apportée ?
Puisque le système de la liste décrit des risques, l’inscription d’un risque doit nécessairement emporter la reconnaissance de son existence, c’est-à-dire que la situation à risque décrite (les hyper-sollicitations visées) est susceptible d’entraîner le développement de la maladie visée (une tendinopathie). En d’autres termes, l’inscription signifie que les contraintes biomécaniques citées entraînent la probabilité d’apparition ou d’aggravation d’une tendinopathie.
Cette perspective, qui s’appuie sur la logique même de la liste belge (décrite au Chapitre I), permet de conclure que l’objet de la preuve pesant sur l’assuré social (être atteint de la maladie de la liste) ne peut être la démonstration que les contraintes (le risque) sont susceptibles de causer la tendinopathie qu’il présente. Pour établir l’existence d’une maladie de la liste, il suffit que la pathologie appartienne à la famille des tendinopathies, soit les maladies susceptibles d’être causées par les contraintes (le risque) listées.
En ce sens, l’existence de la maladie de la liste ne pourrait être considérée comme exclue que dans l’hypothèse où la science médicale permet d’affirmer que la pathologie présentée par le travailleur ne peut être due au risque mentionné (les hyper-sollicitations). Si, par contre, elle n’exclut pas l’incidence des contraintes listées sur l’atteinte constatée dans le cas individuel, le travailleur doit pouvoir bénéficier de l’effet de l’inscription du risque dans la liste, et donc de la présomption d’origine attachée à ce système de définition des maladies professionnelles.
L’approche qu’on peut constater dans la jurisprudence examinée sur le terrain de la preuve de la maladie de la liste (pour ce code ou les autres de la liste) repose également sur la nécessité de préserver la logique du système de liste. Elle rappelle ainsi qu’il faut se garder d’exiger, au stade de la démonstration de la maladie de la liste, la preuve du lien causal entre la pathologie et le risque professionnel de celle-ci. Dans cette approche, qui rejoint celle développée par J. Viaene et D. Lahaye141, la jurisprudence n’exige en général qu’un lien théorique plausible entre l’atteinte présentée par la victime et le risque listé142. Cette approche ne nous
141 J. VIAENE et D. LAHAYE, « Medische en juridische causaliteit – De betekenis van de door de wetgever “erkende” beroepsziekten », R.W., 1975-1976, pp. 481 et suiv., qui précisent qu’il y a lieu de se référer aux connaissances générales de la science médicale en ce qui concerne les agents nocifs cités. Ainsi, lorsque la maladie est désignée par référence à un agent causal, la victime doit uniquement prouver que la littérature médicale admet, en termes tout à fait généraux, que de telles affections peuvent être provoquées par celui-ci. Aussi, la preuve ne concerne-t-elle pas le cas individuel du travailleur, soit le rapport de causalité entre la maladie qu’il présente et l’agent cité. La preuve vise un lien général, de nature médicale ou scientifique. Pour ces auteurs, il suffit que la médecine ait avancé la possibilité de contracter l’affection en cas d’exposition à l’agent.
142 Voy. ainsi, dans la jurisprudence récente, sur le code 1.606.22 :
- C. trav. Liège, div. Liège, 21 janvier 2020, RG 2019/AL/217 : « Sans pouvoir exiger sur cette base de démontrer le lien de causalité effectif et individuel entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de la contracter, ce qui ruinerait la présomption de causalité prévue légalement et irréfragablement au départ de la démonstration de l’existence de la maladie et de l’exposition au risque, la victime qui revendique la reconnaissance d’une maladie reprise sous ce code 1.606.22 doit cependant démontrer que l’atteinte tendineuse peut être due, sous un angle médical général, à l’exposition professionnelle envisagée, c’est-à-dire à une hyper-sollicitation de ces structures par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif, ou par des postures défavorables ».
- C. trav. Liège, div. Liège, 20 octobre 2020, R.G. 2020/AL/62 :« La victime qui revendique la reconnaissance d’une maladie reprise sous ce code 1.606.22 doit démontrer que l’atteinte tendineuse peut être due, sous un angle médical général, à l’exposition pro-
semble pas inconciliable avec celle que nous proposons ci-dessus. En effet, au vu des études sur les TMS, tissant clairement le lien avec l’activité professionnelle143, le lien plausible exigé peut être retenu dès lors que la science médicale n’exclut pas une incidence des contraintes listées sur le développement de l’atteinte présentée par le travailleur.
Section 3. La condition d’exposition au risque professionnel
36. La condition de l’exposition au risque professionnel de la maladie vient se superposer à l’admission du risque dans la liste. La preuve de l’existence d’une maladie de la liste (c’est-à-dire d’une pathologie entrant dans le champ du code et pouvant être reliée au risque listé) ne dit encore rien sur l’existence, dans les activités professionnelles assujetties, du risque désigné (les contraintes biomécaniques listées). Tel est incontestablement le rôle de la condition d’exposition au risque professionnel de la maladie, qui opère ainsi la vérification que le risque listé existe pendant une ou plusieurs périodes de travail assujetties. La condition assume cependant dans la pratique administrative un autre rôle, celui de vérifier que les contraintes caractérisant le risque en cause, telles qu’elles se présentent concrètement dans les
fessionnelle envisagée, c’est-à-dire à une hyper-sollicitation de ces structures par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables » (également repris par C. trav. Liège, div. Neufchâteau, 26 mai 2021, R.G. 2020/AU/36) ;
- C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/AL/152, qui retient qu’il revient uniquement au travailleur de prouver, en termes tout à fait généraux, que les tendinites qu’il présente peuvent être provoquées par une hyper-sollicitation ;
- C. trav. Liège, div. Liège, 4 juin 2021, R.G. 2020/AL/455 : « lorsque la maladie est désignée par référence à un agent causal, la victime doit uniquement prouver que la littérature médicale admet, en termes tout à fait généraux, que de telles affections peuvent être provoquées par celle-ci […]. La preuve vise un lien général, de nature médicale ou scientifique. […] l’objet de la preuve porte sur le fait que la maladie a pu être provoquée, à tout le moins partiellement, par l’agent causal, sans exiger la preuve que la maladie a été effectivement causée par l’agent causal » (également repris par C. trav. Liège, div. Liège, 5 novembre 2021, R.G. 2021/AL/77, inédit) ; Voy. également, dans le même sens concernant d’autres codes de la liste :
- C. trav. Liège, div. Liège, 28 octobre 2021, R.G. 2020/AL/492, qui retient qu’il faut, mais il suffit, que la littérature médicale admette en termes tout à fait généraux que l’affection puisse avoir été provoquée par l’agent causal ;
- C. trav. Mons, 8 septembre 2021, R.G. 2020/AM/310 : « Il faut se garder d’imposer à la victime la preuve d’un élément pour lequel une présomption joue en sa faveur, sous peine de vider de toute substance le mécanisme d’allègement du fardeau de la preuve mis en place par le législateur. Aussi, peut-on poser le principe suivant : la condition a trait au rapport existant entre l’agent causal cité et la maladie invoquée par le travailleur et ne peut porter atteinte à la présomption irréfragable de causalité. Ainsi, lorsque la maladie est désignée par référence à un agent causal, la victime doit uniquement prouver que la littérature médicale admet, en termes tout à fait généraux, que de telles affections peuvent être provoquées par celle-ci. Cette interprétation permet de préserver les principes à la base d’un système fondé sur la liste et, en conséquence, la présomption irréfragable qui en découle » ;
- C. trav. Liège, div. Liège, 18 mars 2021, R.G. 2020/AL/86 (concernant le code 1.605.03, et citant C. trav. Liège, 4 juin 2007, R.G. 34.005/06 et C. trav. Liège, 5 janvier 2009, R.G. 35.061/08) : « dans le souci de ne pas soustraire au travailleur le bénéfice de cette présomption légale de causalité, il faut se limiter à exiger de sa part, quand il prouve qu’il est atteint de la maladie indiquée sous le code 1.605.03, qu’il présente une affection “ayant pu être provoquée” (et non pas “provoquée”) par le port de charges lourdes (ou par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège) ».
143 Ce qui explique l’inscription du risque dans la liste, de sorte que des considérations du même type pourraient être retenues pour les autres maladies de la liste.
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activités professionnelles considérées entraînent effectivement la possibilité de développer la pathologie précise dont est atteint le travailleur. En d’autres termes, la condition est utilisée pour vérifier, in concreto, l’existence même du risque. Dès lors que le travailleur supporte la charge de la preuve de la condition, il lui revient donc d’établir que sa maladie est la résultante possible (probable) de l’exposition au risque listé, alors même que, puisque le risque est dans la liste, il existe nécessairement de preuves scientifiques (ou une volonté politique) admettant un lien de cause à effet entre ces contraintes et la maladie (en l’espèce les tendinopathies).
Dans les lignes qui suivent, nous allons tenter de proposer une analyse de cette condition, dans le secteur public (§1er) et le secteur privé (§ 2). Pour ce dernier, l’analyse approfondira les critères de l’article 32, alinéa 2, en lien avec les considérations développées dans la section au Chapitre I, et tendra ainsi à une interprétation conciliable avec le système ouvert. L’essentiel des développements sur la condition d’indemnisation telle que définie par l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées figure donc au § 2.
§ 1er . Le secteur public : la condition est présumée
37. Dans le secteur public, l’appréhension de la condition est simplifiée par la présomption générale d’exposition au risque. Celle-ci, pour le code examiné, n’est pas mise à mal par l’infiltration de « critères d’exposition » dans la définition de la maladie-risque listée (cf. n° 34 supra). Le jeu de la présomption d’exposition au risque professionnel est ainsi entièrement préservé.
La condition d’exposition au risque professionnel est donc présumée, ce qui dispense la victime de faire la démonstration de la réalité de l’exposition au risque professionnel et de l’aptitude concrète de ses conditions de travail à influer sur le développement de la maladie. La preuve contraire – le renversement de la présomption – est autorisée. L’objet de la preuve contraire porte sur l’inexistence de l’exposition au risque professionnel.
L’indemnisation est donc uniquement tributaire du non-renversement de la présomption. Nous centrons dès lors l’analyse sur la manière dont la présomption peut être renversée144, c’est-à-dire sur la détermination plus concrète de l’objet de la preuve contraire145 38. Commençons par des observations d’ordre général. Tout d’abord, la preuve contraire doit être démontrée par l’employeur public. Celui-ci ne peut donc se limiter à présenter des éléments qui tendraient à établir qu’existerait un doute sur l’existence effective du risque professionnel dans le milieu de travail. Le doute ne peut en effet renverser la présomption.
Ensuite, la charge de la preuve repose ici sur une partie qui dispose incontestablement d’une réelle aptitude à la preuve. L’employeur public est en effet le titulaire des obligations de prévention des risques déclinées par la législation sur le bien-être au travail, qui impose notamment
144 Nous n’aborderons pas la question de la légalité de la présomption (examiné précédemment : S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », précité, pp. 469 à 473) et renvoyons aux arrêts ayant rencontré l’argument, dont C. trav. Liège, 9 septembre 2020, R.G. 2019/AL/344 ; C. trav. Mons, 25 novembre 2020, R.G. 2019/AM/197 et 2019/AM/199 ; C. trav. Liège, div. Liège, 21 janvier 2021, R.G. 2019/AL/354.
145 Les considérations développées à ce sujet sont globalement transposables à la question du renversement de la présomption érigée dans le secteur privé par l’arrêté royal du 6 février 2007 (que nous viserons explicitement dans l’énumération opérée au Chapitre IV).
une veille constante en matière de danger et de risques146 L’employeur est donc déjà censé disposer d’outils lui permettant d’appréhender la preuve à administrer et – compte tenu de l’autorité dont il dispose sur l’ensemble des aspects de l’activité professionnelle du travailleur et de l’aide des services de prévention – il est en mesure d’opérer toutes les investigations matérielles nécessaires.
Enfin, sur le plan méthodologique, il faut garder à l’esprit que le risque correspond à une possibilité d’atteinte à la santé. Le concept désigne en effet les effets probables découlant de l’exposition à un danger. Cette caractéristique influence nécessairement l’objet de la preuve ; exclure une possibilité suppose de démontrer une impossibilité. Il faudra donc démontrer que les circonstances propres au milieu du travail (les activités professionnelles assujetties prises en considération) excluent toute probabilité de développer la maladie de la liste. En conséquence, il n’est nullement certain que les études de type épidémiologique puissent être utilement mobilisées. Il faudrait en effet, pour qu’elles présentent une pertinence eu égard à l’objet de la preuve contraire, que leur objet et méthodologie permettent de constater qu’elles étudient effectivement la question examinée (eu égard encore à la pathologie présentée par le travailleur) et que leurs résultats affirment effectivement une impossibilité. 39. Pour déterminer encore plus précisément l’objet de la preuve contraire (et donc l’impossibilité à établir), il est nécessaire de s’arrêter plus concrètement sur la notion même de risque professionnel applicable au secteur public. Nous savons qu’elle est autonome, de sorte que les critères de l’article 32 des lois coordonnées ne sont pas applicables (cf. le n° 4 supra). Les arrêtés royaux ne définissant pas cette notion, c’est la jurisprudence qui doit en arrêter les éléments. Cette définition propre a été dégagée par la cour du travail de Liège, dans l’arrêt du 9 septembre 2020147, qui fait manifestement autorité148 :
« le milieu professionnel doit générer un danger potentiel pour la santé (un risque) pouvant provoquer la maladie (c’est en ce sens que l’agent nocif doit être inhérent à la profession entendue au sens large du terme), l’exposition doit être suffisante (en durée, en fréquence ou en intensité) pour créer le risque que le travailleur contracte la maladie, elle doit être plus grande que celle subie par la population en général ». Il en résulte que l’objet de la preuve contraire se déploie essentiellement sur le lien de cause à effet (dans ses aspects matériel et médical) : il faut établir que le milieu de travail
146 Ceci découle des obligations en matière d’analyse des risques imposées à tous les employeurs entrant dans le champ d’application de cette législation. L’analyse des risques suppose que soit dressé (et actualisé) un inventaire non seulement des dangers mais également des risques, ces derniers devant en outre être évalués. Voy. notamment, parmi les principes généraux de la prévention, les articles suivants du Code du bien-être au travail : l’article I.2-5 (qui impose le développement d’une « stratégie relative à l’analyse des risques » dans le cadre du système dynamique de gestion des risques), l’article I.2-6 (qui contient les règles générales en matière d’analyse des risques) et l’article I.2-12 (qui impose l’évaluation régulière du système dynamique de gestion des risques).
147 C. trav. Liège, div. Liège, 9 septembre 2020, R.G. 2019/AL/344, ciaprès dans ce numéro. La cour s’est prononcée dans une espèce concernant une maladie hors liste.
148 Cet arrêt établit une définition sur la base d’un nombre important de sources d’interprétation et est ainsi particulièrement circonstancié. Vu ces qualités, c’est du reste à cette définition que se réfère actuellement FEDRIS, tout comme on peut constater qu’elle est aussi suivie par la jurisprudence (voy. ainsi C. trav. Liège, div. Liège, 17 décembre 2020, R.G. 2019/AL/572 ; C. trav. Liège, div. Liège, 21 janvier 2021, R.G. 2019/AL/354 ; C. trav. Liège, div. Liège, 17 juin 2021, R.G. 2020/ AL/280, inéd. ; C. trav. Liège, div. Liège, 20 juillet 2021, R.G. 2020/ AL/110 ; C. trav. Liège, div. Liège, 4 octobre 2021, R.G. 2020/AL/468).
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considéré n’est en aucune manière susceptible d’entraîner la pathologie présentée par le travailleur. La preuve contraire nous semble ainsi avoir été correctement circonscrite en jurisprudence de la manière suivante : « Pour renverser la présomption, l’employeur doit établir que le milieu professionnel n’a pas soumis la victime au danger potentiel de contracter la maladie ou de l’aggraver, en raison soit de l’inexistence d’une influence nocive potentielle, soit de l’insuffisance de celle-ci pour constituer un danger de contracter ou d’aggraver la maladie, compte tenu des spécificités propres à la victime »149
40. Nous allons maintenant appliquer ces considérations générales au cas de la maladie listée qui nous occupe (1.606.22).
Tout d’abord, la preuve de l’inexistence du risque professionnel peut consister dans la démonstration de l’absence des contraintes biomécaniques listées dans le cadre des activités professionnelles assujetties. C’est le cas le plus évident : il n’y a pas d’exposition matérielle au risque listé.
Si cette exposition existe, l’examen se poursuit au départ de la nature et des spécificités des contraintes biomécaniques. Il tombe sous le sens que ces contraintes doivent avoir été correctement circonscrites, par le biais d’une étude concrète utilisant une méthodologie pertinente150. Au départ de cet inventaire, l’objet de la preuve contraire peut se déployer dans deux directions.
D’une part, il peut concerner la prévalence des contraintes ainsi répertoriées dans les activités non professionnelles, puisque la définition retenue du risque professionnel intègre cette dimension (en ce sens que l’exposition doit être plus grande que celle que subit la population en général151). Si la preuve est apportée que les contraintes professionnelles sont de même nature et de même ampleur que celles subies en dehors de l’exercice de cette activité professionnelle, le risque professionnel peut être exclu.
D’autre part (et enfin), l’examen peut porter sur l’absence de probabilité d’apparition ou d’aggravation de la maladie présentée par le travailleur dans les conditions concrètes de l’exposition. On touche alors au cœur du concept de risque, qui – en tant que virtualité – ne pourrait être infirmé que si toute possibilité d’influence sur le développement de la maladie est effectivement exclue. Cette preuve nous semble, dans le système de la liste, particulièrement exigeante, puisque la probabilité d’un dommage à la santé en raison de l’exposition aux contraintes du risque découle en soi de l’inscription dans la liste.
Pour infirmer l’existence de la probabilité, il faudrait donc s’intéresser, dans le détail, à plusieurs paramètres. Tout d’abord, l’atteinte (la pathologie) concrète présentée par le travailleur. Ensuite, les contraintes listées telles qu’elles ont été déterminées, couplées aux autres facteurs professionnels susceptibles d’influer sur la possibilité de développement de la maladie. Enfin, les facteurs individuels, personnels au travailleur, dont ceux qui peuvent le prédisposer à développer la maladie. L’inexistence du risque ne peut être retenue que si, en fonction de ces différents facteurs, on peut conclure (avec un degré de vraisemblance suffisamment élevé) que
149 Trib. trav. Liège, div. Dinant, 5 octobre 2021, R.G. 20/400/A.
150 L’analyse des risques qui est censée préexister à cet examen peut être un outil utile pour administrer cette preuve, dont la pertinence ne pourra cependant être vérifiée qu’après examen de la stratégie (méthodologie) mise en œuvre et de la vérification que les contraintes subies personnellement par le travailleur concerné ont été effectivement prises en compte.
151 Sur la notion de « population en général » et le raisonnement permettant d’affirmer que ce viseur désigne les activités non professionnelles, voy. infra , n° 47.
les contraintes professionnelles concrètes sont trop faibles, trop espacées ou trop peu importantes pour qu’une telle possibilité puisse effectivement se concevoir.
Dans ce cadre, l’absence de confirmation d’une association entre les contraintes (concrètes) et la pathologie (concrète) dans la littérature scientifique n’est évidemment pas suffisante. En effet, les études de population n’auront sans doute jamais examiné la situation concrète du travailleur, de sorte que leurs résultats ne peuvent être généralisés au cas individuel, dans le cadre de l’examen de la preuve contraire. En outre, l’absence d’affirmation d’une étiologie professionnelle par l’épidémiologie signifie généralement qu’elle n’a pas pu être démontrée et non automatiquement qu’existerait une certitude de son inexistence.
41. La jurisprudence accessible sur le sujet n’est pas encore très abondante. Il a été jugé que la présomption n’est pas renversée par l’invocation de l’existence d’autres activités non assujetties152 ou par la préexistence de la pathologie (c’est-à-dire avant le début de l’activité professionnelle considérée)153. Également, qu’« il est erroné de déduire des données sur l’exposition au risque à partir des lésions, la même exposition pouvant donner lieu à des conséquences différentes sur chaque organisme »154. Enfin, dans un cas où l’examen de l’exposition avait été opéré sur la base de la méthode OCRA (dont question infra, n° 56), qu’un score (selon l’évaluateur) de 11,33 et 10,05 – qui signale un risque faible ou très faible, mais néanmoins existant – n’infirme pas le risque professionnel155
§ 2. Le secteur privé : les exigences de l’article 32 des lois coordonnées
42. Compte tenu de l’importance pratique de cette condition et sa complexité particulière, nous allons débuter l’examen par une analyse détachée du risque propre aux TMS (A), en revenant sur les différents aspects de la définition légale. Nous reviendrons ensuite à la maladie 1.606.22 (B), pour laquelle l’appréciation administrative de l’exposition s’opère sur la base d’une « méthode » standardisée (OCRA).
A. Généralités
43. Dans le secteur privé, l’efficience de la présomption d’origine attachée à l’inscription de la maladie sur la liste dépend de l’interprétation qui va être donnée aux exigences – et particulièrement à celle de nature causale – de la condition d’indemnisation inscrite à l’article 32 des lois coordonnées. On l’a dit, c’est la portée de ces critères qui conditionne à la fois l’efficience du système de la liste (la préservation de l’effet de la présomption d’origine) et celle du système hors liste (où l’enjeu est de pouvoir établir la condition). La détermination concrète du contenu de ces critères devrait donc tendre à assurer l’efficience des deux systèmes. Nous proposons une analyse dans cette perspective.
44. Le point de départ est « l’influence nocive ». Celle-ci correspond aux facteurs, agents ou situations susceptibles
152 Trib. trav. Liège, div. Dinant, 5 octobre 2021, R.G. 20/400/A.
153 C. trav. Liège, div. Liège, 20 juillet 2021, R.G. 2020/AL/110 : « la préexistence de la pathologie ne suffit pas à exclure une exposition au risque d’aggraver cette pathologie pendant le travail assujetti ».
154 C. trav. Liège, div. Liège, 4 octobre 2021, R.G. 2020/AL/468.
155 Trib. trav. Liège, div. Dinant, 4 novembre 2016, R.G. 14/1017/A. Cette analyse nous semble parfaitement logique, vu que la méthode OCRA est une méthode de quantification du risque. Dès lors que, selon cette méthode, le risque existe, même s’il est qualifié de « faible », il est exclu de considérer qu’il n’y aurait une impossibilité de développer/ aggraver la maladie.
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de nuire à la santé et qui ont pu affecter le travailleur. Elle trouve donc sa source dans le travail assujetti et s’examine au regard de la situation concrète de travail. Dans le système de la liste, l’influence nocive est celle désignée par le risque listé.
(1) Les caractéristiques matérielles de l’exposition
45. L’influence nocive prise en compte doit tout d’abord répondre à des critères d’ordre matériel : être inhérente à l’exercice de la profession et être nettement plus grande que celle subie par la population en général. Il s’agit donc de vérifier si les contraintes concrètes (l’influence nocive) – et non la pathologie – sont inhérentes à l’activité professionnelle au sens large et prévalent davantage dans le milieu professionnel du travailleur qu’en dehors d’une activité professionnelle.
46. Les contraintes sont inhérentes lorsqu’elles découlent du travail au sens large.
Dans une contribution antérieure, nous avions relevé l’existence en jurisprudence d’une discussion sur le cadre d’examen, à savoir s’il faut examiner l’exercice de la profession sensu stricto (soit un cadre théorique fondé sur des tâches stéréotypées dégagées de caractéristiques générales du métier) ou le milieu du travail au sens large156. Nous y avions expliqué en quoi le second cadre nous semblait le plus pertinent. La jurisprudence récente paraît également le retenir157
156 S. REMOUCHAMPS, « Les régimes de réparation des risques professionnels (accident du travail et maladie professionnelle) et le harcèlement ou la violence au travail : l’indemnisation impossible ? », Le bien-être au travail , Limal, Anthemis, 2016, pp. 424 à 426. Ces discussions ne semblent plus d’actualité puisque FEDRIS admet maintenant que le cadre d’examen porte sur les conditions de travail concrètes du travailleur et donc sur l’activité et ses conditions d’exercice réelles, et non la « profession » appréhendée in abstracto (cf. F. PATRIS et V. MARCHAND, « Les maladies professionnelles : quelques notions importantes – la question du burn-out », ci-avant).
157 Voy. C. trav. Liège, 9 septembre 2020, R.G. 2019/AL/344, ci-après, et C. trav. Liège, div. Liège, 22 janvier 2021, R.G. 2019/AL/621, qui retient que l’exigence de l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées selon laquelle l’influence nocive doit être inhérente à l’exercice de la profession ne signifie pas qu’il faille – comme le soutenait alors Fedris – distinguer la profession du milieu du travail : l’exercice de la profession doit être entendu de manière large et englober tant les actes techniques de l’exercice effectif de la profession que les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée et donc l’environnement professionnel et le milieu du travail.
On trouve cependant des décisions qui retiennent que le cadre d’examen de la condition est collectif (voy. ainsi C. trav. Liège, div. Liège, 20 janvier 2020, R.G. 2019/AL/213, juportal et C. trav. Liège, div. Liège, 10 janvier 2022, R.G. 2021/AL/229, ci-après), et ce sur la base de la mention suivante des travaux préparatoires de la loi de 2006 : « Pour pouvoir parler d’une maladie professionnelle, il faut au moins que dans des groupes de personnes exposées à une influence nocive déterminée, la maladie soit plus fréquente que dans la population générale. Le caractère professionnel de la maladie s’établit au niveau du groupe, non au niveau de l’individu ». Outre que les incidences de l’assertion sur la portée de l’examen ne sont pas claires, il nous semble que la référence aux « groupes » (dans la citation aux travaux préparatoires) concerne uniquement le dernier critère (la dimension causale) puisque le critère de la prévalence dans la population en général examine celle de l’influence nocive (le facteur de risque) et non de la maladie. Notons enfin une position intermédiaire retenue en jurisprudence : C. trav. Bruxelles, 8 juillet 2021, R.G. 2016/AB/1206 (citant C. trav. Bruxelles, 7 juin 2021, R.G. 2019/AB/916, ci-après), selon laquelle l’exposition à l’influence nocive doit être appréciée en fonction de la profession exercée par la victime et non dans son seul chef individuel. Néanmoins, l’arrêt retient que la profession ne doit pas être considérée de manière abstraite mais bien de façon concrète en tenant compte des conditions dans lesquelles la victime exerce cette profession. Il faut avoir égard, notamment, aux tâches accomplies et aux mouvements que celles-ci lui imposent, au matériel et aux dispositifs de protection utilisés, au milieu de travail, à la durée du travail et de la carrière, etc.
47. Les contraintes inhérentes effectivement retenues doivent en outre être « nettement » plus grandes que celles subies par la « population en général ». À nouveau, il y a lieu d’éclaircir la portée de ces deux termes.
Concernant ce « nettement », son sens courant doit conduire à retenir que les facteurs nocifs auxquels expose le travail doivent être clairement ou indiscutablement plus grands que ceux auxquels est exposée la population de référence.
Celle-ci – « la population en général » – a été identifiée comme suit dans les travaux préparatoires de la loi de 2006 : « la population qui n’est pas exposée dans le cadre d’une activité professionnelle »158. Puisque le sens de la condition est de vérifier le caractère professionnel de l’exposition, en vue d’évaluer l’impact sur la maladie d’activités professionnelles assujetties, il est logique que la population de référence désigne les activités extra-professionnelles, de manière à comparer les influences professionnelles à celles auxquelles tous sont exposés dans la vie quotidienne. Ce faisant, le critère permet de contrôler que la maladie n’a pas été contractée fortuitement au travail, puisque les influences nocives alléguées comme déterminant son développement sont spécifiques au milieu professionnel par opposition aux dangers rencontrés dans la vie en général.
Enfin, cette interprétation permet la vérification concrète du critère. S’il était fait référence à autre chose que ce que tout un chacun connaît, la condition ne pourrait être en pratique ni prouvée ni vérifiée par le juge. En effet, il n’existe pas de données sur les contraintes subies dans la vie en général ni sur un niveau global d’exposition de la population incluant les expositions professionnelles nécessairement multiples et variées. Si l’on prend comme cadre de référence les contraintes habituelles de la vie courante (extra-professionnelles), le critère peut être contrôlé, ce que chacun subit dans ce cadre relevant de l’évidence, et constitue un « fait notoire » d’« expérience commune »159. Compte tenu de l’absence de mesure des nuisances subies par la population (au sens entendu ci-avant), ce sont donc surtout les caractéristiques de l’influence examinée (leurs spécificités) qui vont guider l’appréciation, tout un chacun étant en mesure de vérifier si l’exposition concrète existe – et dans quelle ampleur – dans la vie extra-professionnelle. Ainsi, par exemple, tout un chacun est en mesure de percevoir la différence entre la conduite non professionnelle (pour faire ses courses ou conduire les enfants à l’école) et la conduite professionnelle, c’est-à-dire dans un régime de travail normal (temps plein). Il est évident que les expositions respectives aux vibrations mécaniques ne seront en rien similaires, l’exposition étant plus grande dans la sphère professionnelle. Si de plus, les vibrations sont spécifiques à un engin particulier
158 Doc. parl., Chambre, doc. n° 51 1334/004, p. 5.
159 Voy., sur ces concepts, J. VAN COMPERNOLLE, « L’interdiction faite au juge de fonder sa décision sur des faits acquis de science personnelle », in C. CHAINAIS et al. (dir.), L’office du juge, Bruxelles, Bruylant, 2017, pp. 75-77 et les nombreuses références citées. L’auteur relève que les faits que le juge peut néanmoins prendre en considération – qui ne doivent pas être prouvés (cf. l’article 8.3, alinéa 2, du nouveau Code civil) et sont soumis au contrôle de la Cour de cassation – constituent « des connaissances dégagées de l’expérience courante », permettant l’application du droit aux faits de la cause. Il s’agit donc de ce que toute personne normalement informée connaît ou peut découvrir par des sources généralement accessibles ou de faits que toute personne peut expérimenter dans la vie courante. C’est ainsi qu’on a pu retenir que l’exposition au risque dans la profession de nettoyeuse est manifestement plus importante que celle subie par la population en général (C. trav. Liège, 1er décembre 2017, R.G. 2016/AL/758, ayant fait l’objet d’un arrêt de rejet Cass., 15 février 2021, S.18.0100.F ; C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/AL/152).
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(requis par le milieu professionnel), il est patent qu’il n’y a pas de correspondance avec le milieu extra-professionnel.
Le critère examine ainsi si les contraintes professionnelles existent ou non aussi dans la vie extra-professionnelle, et dans l’affirmative, si elles sont clairement plus grandes dans la sphère professionnelle que dans la vie privée. Il suffit que l’influence nocive soit « plus grande », et que ce constat puisse être posé clairement. La loi n’impose pas que les contraintes soient « beaucoup » plus grandes160. Par conséquent, si les contraintes sont rencontrées par moins de 50 % de la population de référence, il faut conclure, a contrario, que l’influence nocive professionnelle est bien plus grande que celle subie par la population en général, puisque seule une partie de celle-ci – moins de la moitié – y est exposée.
48. Que peuvent apporter à l’examen de cette question les études épidémiologiques de type « cas-témoins »161, qui comparent les expositions à un facteur donné dans le groupe des malades (les cas) et dans le groupe des non-malades (les témoins) ?
A priori, leur usage pourrait être intéressant puisque ces études donnent un aperçu de l’exposition au facteur de risque étudié au sein d’un groupe de personnes (les malades et les non malades) issues d’une « population-source ». Il faudrait cependant encore que la sélection des sujets et les mesures d’exposition opérées pour les besoins de l’étude puissent permettre de procéder à la comparaison désignée par le critère légal, à savoir vérifier la prévalence de l’exposition hors du contexte professionnel à des contraintes (facteurs) de même nature que celles subies concrètement par le travailleur dans son activité professionnelle. Ceci suppose que, dans le groupe des non-malades, l’origine des expositions mesurées dans l’étude soit effectivement et uniquement extra-professionnelle, que la mesure de l’exposition des sujets corresponde à la réalité (ce qui n’est pas le cas si c’est une matrice qui a été utilisée) et que la nature de l’exposition mesurée soit comparable à celle du travailleur. Il est douteux que ces éléments puissent être vérifiés, et remplis. Cette question a surgi en jurisprudence162 au départ de l’étude EPILIFT163. Ses données comportent en effet le pour-
160 De sorte que la position de FEDRIS, qui assimile le mot « nettement » à « beaucoup » ne nous semble pas pouvoir être suivie. Notons qu’il ne s’agit pas de la seule exigence posée puisque pour l’administration, le critère exige que l’exposition soit beaucoup plus fréquente, d’une durée beaucoup plus longue et d’une intensité beaucoup plus importante (cf. F. PATRIS et V. MARCHAND, « Les maladies professionnelles : quelques notions importantes – la question du burnout », ci-avant). Le cumul d’exigences en termes de fréquence, durée et intensité nous paraît très largement dépasser ce qu’expriment les termes légaux (« nettement plus grand »), même s’il n’est pas exclu que l’évaluation concrète puisse s’appuyer sur l’un ou l’autre de ces critères. Ainsi, par exemple, on peut estimer que les contraintes liées à des activités d’ordre ménager sont nécessairement « nettement plus grandes » pour une personne qui entretient des ménages dans le cadre des titres-services que celles qui sont subies en général dans la vie privée, puisque ces contraintes se rencontrent pendant un temps important (le temps consacré au travail), soit dans une proportion (durée) nettement plus grande que celle nécessaire pour satisfaire aux besoins normaux d’un ménage dans la vie privée. Ces besoins n’exigent habituellement pas d’y consacrer, par exemple, 20h ou 38h par semaine chaque semaine.
161 Il s’agit des « études malades-non-malades » dont traite la contribution de P. BRUX, « Évaluation de l’exposition au risque de maladie professionnelle », ci-avant.
162 Voy. C. trav. Liège, div. Liège, 10 janvier 2022, R.G. 2021/AL/229, ciaprès.
163 Voy. la contribution de P. BRUX, ci-avant, qui explique qu’EPILIFT est une étude « cas-témoins » examinant l’association entre les pathologies lombaires et la manutention manuelle de charges. Il précise que l’exposition à ce risque des personnes des deux groupes (soit les personnes atteintes de la pathologie dont l’étiologie est l’objet de la recherche et les personnes indemnes de la maladie choisies par ha-
centage de personnes du groupe « témoins » exposées aux différents niveaux de dose (permettant une comparaison avec celle retenue – par la méthode MDD – dans le cas du travailleur). Or, cependant, le groupe-témoins de l’étude EPILIFT a été extrait de la population allemande sur une base volontaire ; les « témoins » (non-malades) sont des citoyens tirés au sort, dont certains ont pu être exposés professionnellement164. Ainsi, la comparaison ne s’opère ainsi pas entre ceux qui n’ont pas été exposés professionnellement (du tout) à la manutention de charge (l’influence nocive) et ceux qui l’auraient été dans un cadre professionnel. Ces développements permettent le constat que l’usage des données d’études de ce type ne peut faire sens pour examiner le critère qui nous occupe que si l’origine de l’exposition mesurée au sein du groupe témoin (les non-malades) est effectivement extra-professionnelle, pour autant encore que les facteurs de l’influence nocive du cas d’espèce soient bien identiques à ceux que mesure l’étude. Il est donc très peu probable que les études épidémiologiques constituent un outil pertinent pour apprécier la prévalence de l’exposition aux nuisances (« l’influence nocive »).
Notons que ces considérations n’ont pas été abordées dans l’arrêt précité, qui se prononce par contre sur l’interprétation du pourcentage issu des données de la méthode dont question ci-avant. En l’espèce, la dose cumulée atteinte par l’assuré social (concrétisant l’influence nocive subie par lui) est réputée par l’étude atteinte par 30,6 % des personnes du groupe « témoins ». La question tranchée est de savoir ce que dit ce pourcentage sur l’exposition de la « population en général » (soit le critère légal qui nous occupe). L’arrêt retient que « des valeurs d’exposition au risque qui sont atteintes par 30,6 % de la population supposent que 69,4 % de la population n’y est pas soumise. Une telle proportion implique de considérer que l’exposition établie par EPILIFT est nettement plus grande que celle subie par la population en général », ce qui rejoint l’interprétation défendue plus haut (n° 47 in fine)165
sard au sein de la population allemande âgée entre 25 et 70 ans) a été mesurée par la méthode MDD (dont il décrit également la méthode d’évaluation de l’exposition).
164 De manière importante de surcroît, puisqu’avant que les mesures de prévention des pathologies lombaires soient imposées. En outre, il paraît certain que ces « témoins » ont bien été exposés professionnellement. Il faut en effet relever que la méthode de mesure de l’exposition employée (MDD) opère sur la base d’une activité professionnelle (les tâches exercées sur une journée et en utilisant des postures prédéfinies et des équations y associées). Il apparaît donc que les expositions mesurées dans le groupe-témoins (non-malade) sont des expositions professionnelles. Rappelons que l’objet de l’étude est de détecter le pourcentage des exposés parmi les malades et non-malades, afin d’établir ou d’infirmer une association statistique entre le facteur examiné (la manutention) et la maladie dont l’étiologie est examinée (pathologie lombaire). L’étude ayant été menée en vue de la reconnaissance (dans le système allemand) des maladies professionnelles, il est de plus logique que les expositions prises en compte dans les deux groupes soient une exposition professionnelle. Ce sont sans doute les raisons pour lesquelles le groupe-témoins a été constitué ‘au hasard’, au départ des registres de la population, et non en recherchant une population qui n’aurait pas été exposée professionnellement à la manutention.
165 Notons enfin sur le sujet que C. trav. Liège, div. Liège, 21 janvier 2021 (R.G. 2019/AL/454, inédit) ne se prononce pas sur cette question, et n’affirme donc pas qu’une exposition qui serait retenue chez 20 % à 40 % de la population « témoin » ne serait pas « nettement plus grande » que celle subie dans la profession. La question en litige dans cette affaire était en effet le lien causal « déterminant et direct » de l’article 30bis, et l’arrêt retient qu’il n’est pas établi (l’expert l’ayant estimé probable mais non certain, relevant de manière incidente l’absence de caractère « anormal » de l’exposition, au motif que le niveau d’exposition du travailleur est atteint chez 21 % de la population témoin, c’est-à-dire au sein des « non-malades »).
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(2) La dimension causale
49. Enfin, la définition de l’article 32 contient un dernier critère, d’ordre causal : l’influence nocive (détaillée ci-avant) doit constituer, dans le groupe des personnes exposées et selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie. Ce critère est particulièrement complexe à appréhender.
Relevons tout d’abord que, nonobstant les termes légaux166, il est admis que ce n’est pas la démonstration positive du lien causal entre la pathologie et la situation de travail à risque qui est exigée, mais – dans le respect de la notion même de risque – « seulement » la possibilité que le développement de la maladie soit (au moins en partie) la conséquence de l’exposition167. Les discussions portent sur la manière dont la preuve de cette possibilité doit être administrée et les outils de mesure de son intensité.
Pour FEDRIS, la loi impose une « approche collective » excluant toute prise en compte des données de réceptivité personnelles au travailleur (dont celles qui expliqueraient que, dans son cas comme dans celui d’autres atteints des mêmes prédispositions, l’influence nocive constitue bien un risque de développement de la maladie). L’exposition concrète devrait être comparée à des « seuils collectifs, statistiques » issus de l’épidémiologie, qui arrêteraient ainsi le niveau d’exposition qui doit être atteint pour que l’influence nocive constitue la « cause prépondérante » de la maladie. Ce niveau d’exposition résulterait tout d’abord d’études examinant, par affection, toutes ses causes possibles et identifiant pour chacune le nombre de maladies qu’elle provoque au sein des groupes exposés168. À défaut, le niveau d’exposition serait fonction de la mesure statistique de l’association (le risque relatif ou l’odd ratio) qui devrait indiquer un doublement du nombre de cas dans les groupes de personnes exposées169
166 Qui disposent que « l’exposition à l’influence nocive » « constitue » « la cause prépondérante de la maladie ». Aussi, le critère textuel n’est pas celui de la vraisemblance (au sens de ce qui est probable) mais celui de la « cause prépondérante », c’est-à-dire un lien entre la cause (les caractéristiques de l’influence nocive qui constitue le risque) et l’effet (la pathologie), soit ce qu’est censé présumer l’inscription du risque dans la liste.
167 Voy. ainsi, par exemple, C. trav. Liège, div. Liège, 21 janvier 2021, R.G. 2020/AL/272, qui retient que « cette notion de cause prépondérante vise un danger éventuel et non un danger certain ou réalisé ».
168 Il nous semble que ce type d’études n’existe pas (cf. le recensement des méthodes et objectifs des types d’études menées en épidémiologie par E. BOURGKARD, V. DEMANGE et C. AUBRY, « L’épidémiologie en santé au travail (I). Définitions et concepts », Documents pour le médecin du travail n° 112, INRS, 2007, pp. 477 à 485, disponible sur le site www.inrs.fr). Il est par ailleurs douteux qu’une démarche opérant un « partage causal » soit scientifiquement pertinente. P. Lucas explique en effet qu’en cas de « cumul causal » (c’est-à-dire de concurrence des causes), il est impossible d’opérer un partage causal : « le partage causal, la proportion causale, relèvent plus de la boule de cristal de la voyante que du raisonnement médical » (P. LUCAS, « Le médecin expert et la causalité », Consilio, 2014/3, p. 133). Enfin, on voit mal comment une maladie plurifactorielle (dont l’apparition est tributaire d’une conjonction de causes, qui interagissent entre elles) pourrait de manière réaliste faire l’objet d’examens isolant chaque cause.
169 Rappelons que ces mesures examinent si le facteur de risque entraîne une augmentation de la probabilité d’apparition de la maladie. S’il est égal à 1, l’association est réputée inexistante. S’il est supérieur à 1, il est dit « statistiquement significatif », pour autant encore que la borne inférieure de l’intervalle de confiance atteigne la valeur 1. Ainsi, un RR ou OR égal à 3 (pour lequel la borne inférieure de l’intervalle de confiance est au moins égale à 1) signifie que les sujets exposés au facteur de risque ont une probabilité 3 fois plus élevée de présenter la maladie que les non-exposés (voy. E. BOURGKARD, V. DEMANGE et C. AUBRY, « L’épidémiologie en santé au travail (III) », précité, p. 181). On comprend que la thèse du « doublement » appliquée à ces
Cette thèse implique que la décision sur le critère causal serait entièrement fondé sur les études épidémiologiques, ce qui ne peut être raisonnablement affirmé sur base ni du texte légal ni des travaux préparatoires de la loi de 2006. Cela signifierait en outre que les critères d’octroi des prestations seraient l’existence d’études suffisamment probantes au regard des exigences de la discipline et les résultats de l’analyse statistique qu’elles proposent. Peut-on sérieusement concevoir que le législateur imposerait un mode de preuve précis, qui pourrait ne pas exister ? La question se pose avec autant d’acuité que FEDRIS elle-même ne réalise pas ce type d’études, de sorte que sa position fait en réalité dépendre l’octroi des prestations de sécurité sociale de travaux assumés par d’autres organismes ou groupements d’intérêts170,171
50. En réalité, l’administration de la preuve n’est pas réglementée. En la matière, la preuve est libre, et peut donc légalement être administrée par toutes voies, dont l’expertise judiciaire ou les présomptions de l’homme.
Rappelons encore qu’un élément peut être considéré comme prouvé si le juge est convaincu de sa réalité172 et que ce dernier peut forger sa conviction sur une vraisemblance forte (« haut degré de vraisemblance ») tirée des éléments du dossier173. Le juge est ainsi toujours amené à opérer ses propres inductions, quelle que soit la nature des éléments
mesures suppose que le RR/OR atteigne au moins la valeur 2. Telle est du reste la position de FEDRIS reprise dans plusieurs arrêts.
170 La chose n’est pas neutre puisque les enjeux financiers et industriels jouent un rôle important sur la production des savoirs, notamment quant à la démonstration scientifique des pleins effets des nuisibles sur la santé des humains. L’exemple du risque de cancer du poumon provoqué par la cigarette est suffisamment parlant quant à l’influence de l’industrie sur la production des savoirs. E. Counil souligne ainsi (faisant référence à D. MICHAELS, Doubt is their product: how industry’s assault on science threatens your health , New York, Oxford University Press, 2008) l’existence de « […] stratégies d’entreprises finançant des études de complaisance afin de préserver leurs intérêts économiques en retardant l’obtention d’un consensus sur la causalité par la création de controverses plus ou moins artificielles » (E. COUNIL, « Le travail comme analyseur des tensions dans la construction épidémiologique de causes et de responsabilités », Sociologie au travail [en ligne], vol. 61, n° 2, avril-juin 2019, et, dans le même sens, E. HENRY, « Fabriquer des irresponsables », Sociologie du Travail [en ligne], vol. 61, n° 2, avril-juin 2019, l’auteur précisant que la « méconnaissance des liens entre travail et santé peut provenir de logiques systématiques de production d’ignorance déployées par des industriels, comme cela a été démontré dans les cas de la silice, de l’amiante et du plomb »).
171 Observons enfin que, si la preuve épidémiologique est la seule qui soit recevable pour administrer légalement la preuve, la conséquence logique n’est pas d’en imposer la production par l’assuré social malade, puisque l’institution de sécurité sociale spécialisée elle-même s’en dispense pour des motifs de coûts et que cela contreviendrait au principe (décliné sur le plan judiciaire par une série de mesures) de la gratuité du contentieux de la sécurité sociale. La conséquence serait de déférer la question à un expert, fût-ce pour lui commander une étude épidémiologique. On aperçoit d’emblée les limites pragmatiques d’une telle solution, tant en termes de durée des procédures judiciaires que de conséquences financières pour son promoteur indirect (FEDRIS), qui supporte les dépens, et donc le coût des mesures d’instruction.
172 La Cour de cassation exige ainsi que le juge ait exprimé sa conviction quant à la réalité de l’élément (voy. notamment Cass., 5 décembre 2011, S.11.0001.F, Pas., 2011, p. 2714, Chr. D.S., 2013, p. 247 ; Cass., 9 juin 1997, Pas., 1997, I, p. 267). Ceci s’applique évidemment au lien causal, et donc à la dimension causale objet du présent examen.
173 Cass., 19 octobre 1987, Pas., 1988, I, p. 184, Chr. D.S., 1988, p. 84, Bull. Ass., 1988, p. 448, obs. L.V.G. Il a ainsi été rappelé que « la certitude exigée en matière de causalité doit se comprendre comme une certitude judiciaire, c’est-à-dire celle qui emporte la conviction du tribunal par un degré très élevé de vraisemblance du lien causal » (J.-L. FAGNART, « La causalité », in X., Responsabilités. Traité théorique et pratique, Kluwer, p. 164, l’auteur citant Civ. Bruxelles, 10 février 2005, J.L.M.B., 2006, p. 1193).
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de preuve invoqués par les parties. Cette appréciation n’est pas supprimée par la dimension scientifique des éléments soumis à l’appréciation du juge ; ces éléments sont en effet traités dans un contexte juridique (et judiciaire) qui n’a pas pour objet de « valider des expériences scientifiques »174 ou de « dire le vrai »175. En outre, « la causalité scientifique et la causalité juridique ne sont pas des notions qui coïncident car la science est loin de n’être faite que de certitudes. Il appartient au juge de déterminer si, des éléments retenus par l’expert scientifique, il peut déduire une certitude juridique »176
Le juge reste donc le décideur et arrête son jugement sur la base de l’ensemble des éléments soumis. La « preuve épidémiologique » peut donc constituer un des éléments de son analyse, mais ne peut pas s’y substituer.
51. Reste encore à éclaircir les références au « groupe de personnes exposées » et « aux connaissances médicales généralement admises ».
Ces dernières ne désignent pas (nécessairement) l’épidémiologie177. Le médecin (le cas échéant expert) peut se pro-
174 Selon l’expression de K. LIPPEL, qui rappelle que « le droit ne cherche pas à valider des expériences scientifiques, il cherche à déterminer le sort d’un travailleur en particulier » (K. LIPPEL, « L’incertitude des probabilités en droit et en médecine », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, vol. 22, 1991-1992/2, p. 462).
175 Voy. O. MINGELET, « L’expertise et la vérité dans le procès civil », in La preuve et la difficile quête de la vérité judiciaire, Limal, Anthemis, coll. C.U.P., vol. 126, 2011, pp. 64 et 65 : « La preuve scientifique se veut objective (car fondée sur une méthodologie qui a pour but de poser un diagnostic “objectif” sur le monde). Cette “preuve scientifique” est toutefois reçue dans un cadre contingent du procès civil, qui ambitionne de son côté d’atteindre une “preuve judiciaire”, qui ne vise pas seulement à établir la vérité des choses, mais aussi à dire ce qui est “juste” » ou P. BRUN (« Raffinements ou faux-fuyants ? Pour sortir de l’ambiguïté dans le contentieux du vaccin contre le virus de l’hépatite B », Rec. Dalloz , 2011, p. 316 et s.), cité par P. LUCAS, précité, p. 137 : « La vérité judiciaire n’a jamais prétendu épouser la vérité scientifique, même s’il est bien évident que la première peut se nourrir de la seconde ».
176 J.-L. FAGNART, précité, p. 166, qui cite Liège, 24 octobre 2007, J.L.M.B., 2007, p. 1747. L’auteur explique encore : « Le juge doit donc traduire le rapport d’expertise en écartant de celui-ci les doutes propres au raisonnement scientifique, sans toutefois faire abstraction des incertitudes réelles ». On trouve le même type d’analyse chez P. LUCAS, précité, qui rappelle que « lorsque l’expert ne peut ni exclure ni affirmer la causalité médicale », « il doit expliquer au décideur les raisons de ce caractère hypothétique et son degré de vraisemblance », l’auteur citant encore H. FABRE : « À partir de cette analyse argumentée, intelligible et documentée, le juriste recherchera s’il existe des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes l’autorisant à admettre un lien de causalité juridique ».
K. LIPPEL, précité, p. 450 explique encore que le « haut degré de probabilité » n’est pas perçu de la même manière par le juriste que par le médecin. En médecine, « la certitude nécessaire pour confirmer l’incidence étiologique est élevée », « selon les exigences de la formation scientifique ou médicale, le degré de probabilité se situe plutôt à 95 %, et parfois même à 99 % », l’auteur rappelant que le scientifique a toujours la « possibilité d’abstention » (c’est-à-dire de ne pas répondre à la question posée), faculté dont le juge ne dispose pas. Enfin, on peut encore citer la jurisprudence de la Cour de cassation française, qui retient que l’approche probabiliste fondée sur les présomptions graves, précises et concordantes « ne peut être déduite exclusivement de l’absence de lien scientifique et statistique », sans chercher si les éléments du dossier constituent de telles présomptions, de sorte que, ce faisant, « la Cour de cassation rappelle aux juges du fond que la causalité juridique peut se passer de la certitude scientifique » (C. CATZ, C. ROUGE-MAILLART, P. PATARD et R. CLÉMENT, précité, p. 49, l’arrêt cité étant Cass. fr., 22 mai 2008, nos 06-10.967 et 06-14.952).
177 On observera d’ailleurs que l’OIT précise que « la relation de cause à effet » (entre l’exposition dans un milieu de travail et une maladie) est « établie sur la base de données cliniques et pathologiques, des antécédents professionnels et de l’analyse des tâches, et de l’identification et de l’évaluation des facteurs de risques professionnels et du rôle d’autres facteurs de risque » et que « Les données épidémiologiques et toxicologiques » font partie des éléments « utiles pour déterminer la relation de cause à effet entre une maladie professionnelle et l’exposition à cette maladie dans un milieu de travail ou une activité pro-
noncer sur une relation entre un facteur et une affection – ce qui est du reste fréquent dans les autres branches du droit (en ce compris dans la branche du risque professionnel178). Le médecin procède en effet par une « démarche objective et scientifique, fondée sur l’examen clinique, l’analyse du dossier et les données acquises et consensuelles de la science »179. Le médecin est donc en mesure de donner un avis tenant compte des « connaissances médicales généralement admises » puisque ce sont ces connaissances qu’il mobilisera nécessairement pour élaborer son avis.
La portée de la référence aux « groupes de personnes exposées » est plus complexe à analyser. L’interrogation principale est celle de « l’individualisation », c’est-à-dire la prise en compte dans l’évaluation de la dimension causale du risque des aspects individuels influant sur la probabilité du développement de la maladie. Cette mention s’oppose-t-elle à la prise en compte des facteurs personnels dans l’examen de la possibilité ? La réponse à cette question influence en outre la pertinence des « seuils » d’exposition, qui ne tiennent pas compte des spécificités individuelles. Nous ne prétendons pas disposer de réponses toutes faites à ces questions complexes, et proposons ci-après quelques pistes de réflexion (n° 52) ainsi qu’une présentation de la jurisprudence récente (n° 53).
52. Nous l’avons déjà dit, avant la modification de l’article 32 par la loi de 2006, la jurisprudence s’accordait sur l’individualisation du risque, en partant du constat que la possibilité de survenance d’un dommage (la maladie ou son aggravation) est tributaire des facteurs personnels de réceptivité. C’est d’ailleurs cette réalité qui explique qu’on impose aux employeurs de procéder aux analyses de risques en incluant le niveau individuel180. La littérature spécialisée sur les TMS le confirme encore, puisque le risque de développement de la maladie est fonction non seulement des conditions matérielles d’exécution de la tâche (les contraintes biomécaniques et les aspects organisationnels de la tâche relevant des aspects psychosociaux du travail) mais aussi des aspects personnels (cf. supra, n° 31). Les différents facteurs causals peuvent enfin s’amplifier l’un l’autre181, dans une proportion qui n’est pas nécessairement aisée à établir ou quantifier.
fessionnelle spécifiques » (OIT, Liste des maladies professionnelles de l’OIT, précité, pp. 8 et 9). Rappelons encore que la Recommandation de 1966 privilégiait déjà l’appréciation clinique et médicale (n° 11, supra).
178 Cf. le secteur des accidents du travail, où la question du lien causal entre l’état présenté par la victime après l’accident (qui peut consister en une maladie) et l’événement soudain est systématiquement déférée à un médecin-expert, et où on ne constate pas de mobilisation – dans le raisonnement – de l’épidémiologie.
179 P. LUCAS, précité, p. 116. Dans le même sens, K. LIPPEL et al., précité, p. 54 qui exposent que le clinicien opère « une synthèse des informations provenant de plusieurs disciplines et notamment la physiothérapie, les sciences biomécaniques, l’épidémiologie et la médecine du travail ».
180 Art. I-2.6 du Code du bien-être au travail (« L’analyse des risques s’opère au niveau de l’organisation dans son ensemble, au niveau de chaque groupe de postes de travail ou de fonctions et au niveau de l’individu »). Rappelons également que le conseiller en prévention-médecin du travail – l’un des acteurs de la prévention des risques en entreprise – a pour mission au travers des examens médicaux de prévention, notamment, « d’éviter l’occupation de travailleurs à des tâches dont ils seraient incapables, en raison de leur état de santé, de supporter normalement les risques » (art. I.4-3, Code du bien-être au travail). L’impact individuel sur la nature du risque professionnel est donc bien admis en prévention et ce constat ne peut être nié lorsqu’il s’agit d’appliquer la législation sur la réparation des risques professionnels.
181 Nous visons ici les effets multiplicateurs, à savoir le cas où la combinaison de facteurs augmente beaucoup plus le risque que chacun pris isolément.
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On peut donc poser un constat : la prise en compte des aspects individuels dans l’approche du risque est tout à fait pertinente.
Quelle portée conférer alors à la mention relative aux « groupes de personnes exposées », appuyée par l’affirmation des travaux préparatoires selon laquelle « pour pouvoir parler de maladie professionnelle, il faut au moins que dans des groupes de personnes exposées à une influence nocive déterminée, la maladie soit plus fréquente que dans la population générale. Le caractère professionnel de la maladie s’établit au niveau du groupe, non au niveau de l’individu » ?
Au vu de la rétrospective opérée dans le premier chapitre, on peut formuler l’hypothèse que cette référence au « groupe » provient de la conception (administrative) de la condition d’exposition au risque professionnel, destinée à prolonger la définition du risque de la liste par l’énonciation d’autres caractéristiques que celles inscrites dans le code (voy. supra, n° 18). Le niveau d’analyse serait ainsi le même que celui de l’inscription du risque dans la liste. Or celui-ci n’approche pas la causalité de manière directe, mais de manière médiate par le biais de probabilités de causalité, dégagées dans une perspective d’étude de population, avec pour objectif d’éviter le fardeau de l’établissement de la causalité sur le plan individuel. Ce faisant, la facilitation de la preuve serait la seule raison d’être de l’exclusion des facteurs individuels, alors que, concrètement, elle empêche de tenir compte du niveau de risque réellement subi par le travailleur. Si on poursuit cette logique, la mention relative aux « groupes » influencerait la nature de l’aspect causal, conduisant à une approche causale fonction des liens théoriques – appréhendés au niveau d’une population à définir –entre l’influence nocive et le développement de la maladie.
Dans cette interprétation, le nœud du problème se déplace du côté de la détermination de la « population » et de la manière dont l’approche causale devrait se réaliser.
Dans l’appréciation de ces questions, on ne peut perdre de vue que les outils d’examen de l’approche causale probabiliste typique de l’épidémiologie manqueront dans bon nombre des cas, tant pour les maladies hors liste que pour celles de la liste. En effet, hors liste, l’influence nocive n’est pas un facteur reconnu de risque mais bien les conditions spécifiques de travail, qui désigneront sans doute un groupe trop précis ou trop étroit pour avoir fait (ou pouvoir faire) l’objet d’un examen de type statistique. Il en va de même si l’exposition concrète du travailleur au risque de la liste est aussi particulière (s’éloignant ainsi des expositions « types » qui pourraient avoir été étudiées). En outre, le critère causal de l’article 32 suppose de confronter la pathologie à une exposition concrète « personnalisée » (dépendante des caractéristiques de l’influence nocive), ce qui n’est pas l’objet des examens d’ordre statistique182. Enfin, on comprend mal pourquoi la prise en compte des facteurs individuels
182 Comme expliqué supra , bon nombre d’études approchent l’exposition des sujets (personnes intégrant l’étude) par le biais de « matrices emplois-expositions ». Or celles-ci ne sont que des estimations (« moyenne ») et ne permettent pas de tenir compte de la variabilité des expositions à l’intérieur d’un emploi (E. BOURGKARD, V. DEMANGE et C. AUBRY, « L’épidémiologie en santé au travail (II). Étapes d’une étude épidémiologique en milieu professionnel », Documents pour le médecin du travail n° 114, INRS, 2008, p. 15). Le juge devrait ainsi mobiliser une étude qui ne dit en réalité rien sur le cas qui lui est soumis. Comme le souligne la doctrine canadienne, les études fondées sur les statistiques ne concernent jamais la question posée au juge : tel travail (aux conditions spécifiques de son exercice concret) entraîne-t-il la possibilité de développer telle pathologie (dans son histoire et affectant une personne déterminée présentant ses propres « conditions personnelles ») ? (K. LIPPEL, « L’incertitude
influençant l’existence du risque ne pourrait pas intervenir dans la sélection des sujets de la population examinée, dès lors que cela fait par ailleurs sens sur le plan causal en raison des spécificités connues de la maladie.
Ce faisant, l’appréciation de la possibilité (« scientifique ») d’un impact possible de l’exposition concrète du travailleur sur le développement de la pathologie ne doit pas nécessairement être approchée par les généralités tirées des études épidémiologiques. Selon les cas, un examen individualisé peut s’imposer, au départ des caractéristiques de l’exposition réelle (concrète) et des facteurs de risques connus de la maladie (en ce compris, le cas échéant, les facteurs de réceptivité et les prédispositions). Ces données caractérisent l’exposition de la « population » pertinente (le groupe exposé auquel appartient le travailleur, déterminé sur la base des données concrètes du risque considéré). L’analyse par un médecin (expert) des caractéristiques de la maladie du travailleur (dont son évolution par rapport à l’exposition), couplée aux connaissances médicales sur le facteur de risque et la pathologie, devrait être de nature à dégager une conclusion sur l’objet de l’examen.
Ce dernier, comme déjà précisé, est de savoir si les facteurs professionnels (le cas échéant combinés aux facteurs individuels) peuvent avoir une influence « prépondérante » sur le développement de la pathologie, de telle sorte que le « risque professionnel » existe. Tel sera le cas si le lien de cause à effet apparaît suffisamment probable, constat qui peut découler de l’examen d’un médecin expert, après confrontation des données disponibles, dont le cas échéant les probabilités mathématiques.
53. Poursuivons la réflexion par l’examen de la jurisprudence récente, dont les enseignements ne sont cependant pas très aisés à dégager et qui vont sans doute, sur cette question très complexe, continuer à évoluer. Nous nous limitons ici à présenter les principes repris dans les arrêts cités183
Une première décision nous paraît assez représentative de la tendance actuelle de la jurisprudence sur la question de l’individualisation184. Le raisonnement part du constat que « le caractère professionnel de la maladie s’établi[t] au niveau du groupe et non de l’individu », d’une manière collective ou statistique (ceci sur la base des précisions que donnent les travaux préparatoires de la loi de 2006). Il s’en induit ensuite que « l’exigence de prépondérance suppose que dans les groupes de personnes exposées à une influence nocive déterminée, la maladie soit plus fréquente que dans la population en général »185. Néanmoins, il est également retenu que « l’exposition implique nécessairement un examen individuel dès lors qu’il faut vérifier que sur le terrain, les conditions de travail ont bien exposé le travailleur au risque de la maladie ». Aussi, « l’examen collectif, au sein du groupe nettement plus exposé au risque que la population en général, n’empêche toutefois pas que le risque de
des probabilités en droit et en médecine », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, vol. 22, 1991-1992/2, p. 462).
183 Pour que l’on puisse dégager réellement les méthodologies d’examen effectivement mises en œuvre dans la jurisprudence, celle-ci devrait faire l’objet d’une analyse plus fine, centrée sur la manière dont les principes énoncés sont appliqués dans les cas concrets (ce que nous n’avons pas eu la possibilité de réaliser dans le cadre de cette étude).
184 C. trav. Liège, div. Liège, 2 février 2021, R.G. 2019/AL/443.
185 Ce point de départ se trouve dans d’autres arrêts, dont C. trav. Liège, div. Liège, 31 mai 2021, R.G. 2020/AL/362, dans lequel le libellé de la mission concernant le critère causal pose cependant la question de savoir si l’influence nocive (en l’espèce les vibrations mécaniques) est susceptible d’avoir causé les lésions dont l’intéressé se plaint. Comme on le constate, l’aspect « collectif » repris dans l’énoncé des principes ne se trouve pas dans la mission, ce qui laisse à l’expert toute latitude sur la méthode et les éléments lui permettant de forger son opinion.
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contracter la maladie du fait de l’exposition à des agents ou des conditions de travail bien définies doit en outre s’apprécier en fonction des caractéristiques propres de chaque agent (chacun étant susceptible de réagir différemment face à un risque déterminé), en ce compris l’éventuelle prédisposition pathologique »186
Dans cette optique, et comme le précise l’arrêt, il y a donc « une double approche collective et individuelle »187. Si la formule peut paraître a priori illogique, c’est qu’en réalité elle exprime la nécessité de combiner les niveaux d’approche pertinents. La double approche doit porter, à notre sens, sur l’aspect causal : pour l’appréhender, il faut à la fois adopter une perspective théorique (examen sur le plan du « groupe » et des connaissances générales sur la nuisance en cause, parmi lesquelles figurent notamment les études de type épidémiologique lorsqu’elles existent) et concrète (combiner avec les aspects du cas)188
186 Dans le même sens, C. trav. Liège, div. Liège, 20 janvier 2020, R.G. 2019/AL/213, juportal (« […] au sein du groupe nettement plus exposé au risque que la population en général, le risque de contracter la maladie du fait de l’exposition à des agents ou des conditions de travail bien définis doit s’apprécier en fonction des caractéristiques propres de chaque individu (chacun étant susceptible de réagir différemment face à un risque déterminé), en ce compris d’éventuelles prédispositions pathologiques. Rien ne permet d’affirmer que le législateur de 2006 aurait entendu se départir de cette individualisation au sein du groupe exposé »). Voy. également C. trav. Liège, 5 mars 2018, R.G. 2017/AL/71 (au sein du groupe nettement plus exposé au risque que la population générale, le risque de contracter la maladie du fait de l’exposition à des agents ou des conditions de travail bien définis doit s’apprécier en fonction des caractéristiques propres de chaque agent, en ce compris d’éventuelles prédispositions pathologiques) et, dans le même sens : C. trav. Liège, div. Liège, 10 juin 2021, R.G. 2020/ AL/385 ; C. trav. Liège, div. Liège, 18 mars 2021, R.G. 2020/AL/86 ; C. trav. Liège, div. Liège, 4 novembre 2020, R.G. 2019/AL/213. Voy. encore C. trav. Bruxelles, 8 novembre 2021, R.G. 2015/AB/11, inédit (« […] au sein du groupe nettement plus exposé au risque que la population générale, le risque de contracter la maladie considérée du fait de l’exposition à des agents ou à des conditions de travail bien définis doit s’apprécier en fonction de chaque individu, selon ses caractéristiques propres en ayant égard même à ses éventuelles prédispositions pathologiques, chacun pouvant réagir différemment face à un risque déterminé ») et C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/AL/428 (« le risque de contracter la maladie, du fait de l’exposition à des agents ou des conditions de travail définis, doit s’apprécier en fonction de chaque individu, selon ses caractéristiques propres, chacun pouvant réagir différemment face à un risque déterminé »), la cour citant encore P. DELOOZ et F. KREIT, qui rappellent que les prédispositions pathologiques doivent être prises en compte pour apprécier l’importance de l’exposition professionnelle au risque, celleci étant suffisante quand elle a aggravé l’état antérieur ou contribué à déclencher ou à accélérer la survenance de la maladie.
187 Voy. également C. trav. Liège, div. Liège, 28 juin 2019, R.G. 2018/ AL/224, qui retient que l’article 32 n’impose aucune méthode – collective ou individuelle, qualitative ou quantitative – de l’appréciation de la notion d’exposition au risque et estime que « le critère d’exposition doit faire l’objet d’une double approche, à la fois collective, pour que soit vérifié si les critères qu’énonce l’article 32, alinéa 2, se trouvent ou non réunis dans le groupe professionnel concerné, et individuelle, pour que soit appréciée l’incidence qu’a eue, sur l’organisme (ou le psychisme) de la victime en fonction de ses caractéristiques propres, l’exposition qu’elle a subie dans l’exercice concret des gestes, mouvements, postures et comportements qu’implique l’accomplissement de sa profession ».
188 Voy. en ce sens la mission décrite dans C. trav. Liège, div. Liège, 20 octobre 2020, R.G. 2020/AL/62. L’expert est invité à se prononcer sur la condition en deux temps. Tout d’abord en évaluant – par une méthode à préciser qui pourrait être OCRA – l’exposition au risque, « qui traduit la durée et l’intensité de cette exposition en rapport avec la maladie dont souffre » l’intéressé. Ensuite, « dans l’affirmative d’une causalité potentielle collective », l’expert est invité à dire si l’intéressé « répond in concreto à la condition d’exposition au risque professionnel », à savoir « si l’exposition qu’il a subie atteint un degré suffisant d’exposition, sur la période concernée, en fonction de ses conditions de travail réellement présentes, compte tenu de ses caractéristiques propres et d’une éventuelle prédisposition ». Manifeste-
Dans cette perspective, le « groupe des exposés » constitue une catégorie de personnes (population) ad hoc, composée au départ des données de l’exposition concrète du travailleur, ce que confirme un autre arrêt189 : le « groupe de personnes exposées » – pour lequel le législateur n’a prévu aucune condition de sélection – correspond « aux travailleurs ayant le même degré d’exposition que l’assuré social, peu importe que ce groupe de personnes soit restreint ».
Dans cette approche, l’usage des « seuils » (préconisé par FEDRIS) n’a pas beaucoup de sens. Il a ainsi été jugé190 que fixer des critères d’exposition (par exemple en intensité ou en durée) serait inéquitable car chaque travailleur réagit différemment à une dose identique d’effet nocif, de sorte qu’on ne peut admettre, pour une réparation personnelle, qu’il y aurait un seuil d’exposition en dessous duquel il n’y aurait pas ou plus de risque. D’autres décisions relèvent qu’aucun critère ni aucune norme n’est imposé par la loi191, ce qui laisse place à une appréciation au cas par cas : « La preuve de l’exposition au risque de contracter la maladie ne dépend pas du dépassement d’une norme théorique généralisée mais bien de l’atteinte par le travailleur concerné d’un seuil qui peut causer ce risque dans son cas, sans négliger les autres critères, dont celui qui impose une analyse du risque au niveau du groupe de travailleurs »192
À côté de cette approche « mixte », qui intègre les aspects individuels, persiste une approche qui paraît davantage axée sur l’appréciation collective, ainsi que l’exprime l’arrêt Polypal du 6 février 2017193
La jurisprudence a enfin eu à se prononcer sur l’exigence de FEDRIS quant au niveau du risque relatif exigé. Comme on l’a précisé ci-avant, le postulat est que le risque relatif de 2194 constituerait la traduction statistique de l’exigence de prépondérance de l’article 32. Cette thèse procède de l’idée que l’épidémiologie est le mode de preuve de la condition, ce
ment, la cour cherche à être informée sur les deux niveaux d’analyse, de manière à en disposer pour se prononcer sur la condition.
189 C. trav. Liège, div. Liège, 22 janvier 2021, R.G. 2019/AL/621.
190 C. trav. Liège, div. Liège, 18 mars 2021, R.G. 2020/AL/86.
191 Sur ce point, la jurisprudence est unanime.
192 C. trav. Liège, div. Liège, 20 octobre 2020, R.G. 2020/AL/62. Voy. également, C. trav. Liège, div. Neufchâteau, 26 mai 2021, R.G. 2010/ AU/36 et C. trav. Liège, div. Liège, 19 mars 2021, R.G. 2017/AL/396.
193 C. trav. Liège, div. Liège, 6 février 2017, R.G. 2015/AL/512. Cette affaire concerne un risque de la liste (benzène). La cour retient que « l’appréciation de l’imputabilité est collective, statistique », de sorte que l’exposition peut être retenue comme la cause prépondérante de la maladie si existe « une simple corrélation positive entre l’exposition au risque et le nombre de cas plus élevé au sein de la population exposée qu’au sein de la population générale, à condition qu’elle soit suffisamment importante et plausible » ou le constat que « parmi deux groupes, l’un exposé à l’agent pathogène et l’autre non, on constate une prévalence suffisamment accrue et plausible de la pathologie au sein du groupe exposé ». Ce niveau d’analyse apparaît détaché des aspects individuels, et emprunte le vocabulaire de l’épidémiologie. L’arrêt ajoute que ni « l’élévation de la fréquence requise, ni l’intensité de la plausibilité pour que la pathologie puisse être reconnue comme […] maladie professionnelle » ne sont fixées par le législateur, de sorte que l’application concrète « est abandonnée aux lumières du juge » (ce qui rejoint l’idée de l’absence d’un seuil, puisque la causalité devra être arrêtée au cas par cas). On retrouve les mêmes développements dans une affaire plus récente : C. trav. Liège, div. Liège, 10 janvier 2022, R.G. 2021/AL/229, affaire dans laquelle l’exposition a été examinée par le biais d’une méthode mathématique de mesure (MDD et EPILIFT), soit un cadre normalisé qui se prête davantage à un examen « collectif ». Si ces méthodes standardisées démontrent le risque, mais que sont discutés le niveau où placer le seuil ou les conclusions à tirer des résultats de la méthode, il n’est pas étonnant que l’examen judiciaire s’opère dans ce cadre « statistique », et n’aborde pas l’individualisation.
194 La position présentée par FEDRIS et reprise dans l’arrêt précité du 10 janvier 2022 est en réalité que la borne inférieure de l’intervalle de confiance du risque relatif doit être de 2, ce qui est encore plus exigeant.
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qui ne peut être suivi, comme nous l’avons montré. La thèse est par ailleurs rejetée par plusieurs arrêts195
On peut le constater, les décisions examinées opèrent une articulation de logiques de population avec le cas individuel soumis. Ce faisant, les juridictions du travail combinent plusieurs niveaux d’analyse pour dégager leur conviction, qui est le propre de l’office du juge, où la recherche de la vérité judiciaire s’opère par la confrontation de l’ensemble des données disponibles propres au dossier (cf. supra, n° 50). On perçoit aisément l’aspect (très) fastidieux du travail judiciaire, ainsi – dans le même temps – que son caractère indispensable, puisque ce n’est que dans le cadre judiciaire que l’examen individualisé de la demande est réellement opéré.
B. Application au cas du code 1.606.22
54. Après ces considérations théoriques, venons-en au cas des TMS visés par le code 1.606.22, pour discuter l’application des principes au cas particulier de cette maladie.
Nous allons d’abord revenir sur les critères de l’article 32 examinés supra (n° 55) avant d’aborder l’instrument d’évaluation de l’exposition utilisé par FEDRIS (OCRA) (n° 56) et sa réception en jurisprudence (n° 57).
55. Tout d’abord, examinons l’influence nocive. Les contraintes biomécaniques inscrites dans le code constituent évidemment le point de départ, puisqu’il s’agit du risque listé. Il faudra dès lors examiner dans le détail – et dans la mesure du possible mesurer – les mouvements en force et répétés, ainsi que répertorier les postures de travail et les contraintes biomécaniques qu’elles impliquent196. Dès lors que les aspects psychosociaux du travail influent sur ces contraintes et leur capacité de nuisance, ceux-ci doivent également être recherchés, évalués et pris en compte197.
L’influence nocive consiste donc dans les gestes et postures de travail examinés au sein de l’organisation du travail (ses aspects psychosociaux). On voit mal comment dénier que ces éléments sont inhérents à l’activité professionnelle. Celle-ci les détermine en effet, de sorte que les contraintes ne peuvent être considérées comme étrangères à cette activité, et sont donc spécifiques à celle-ci. Quant au critère de l’importance de l’influence eu égard aux nuisances subies par la population en général, à nouveau le critère apparaît peu discutable. On voit en effet mal comment retenir que les contraintes professionnelles caractéristiques du risque existeraient dans une mesure comparable dans les activités extra-professionnelles. Il faudrait en effet qu’existent des cas
195 C. trav. Liège, div. Liège, 19 mars 2021, R.G. 2017/AL/396 et C. trav. Liège, div. Liège, 24 juin 2021, R.G. 2020/AL/399, qui retiennent qu’il ne ressort pas des principes applicables en la matière qu’il faille que le risque soit multiplié par 2 par rapport à la population non exposée pour que l’on puisse reconnaître une exposition au risque professionnel, étant uniquement exigé un risque significativement plus important dans l’exercice de la profession que dans le milieu extraprofessionnel. Dans l’arrêt du 10 janvier 2022 déjà cité (R.G. 2021/AL/229), la cour relève que l’affirmation avancée par FEDRIS « ne repose pas sur le prescrit légal, qui ne définit pas la notion de cause prépondérante ». Après avoir conclu que l’application concrète de la notion est abandonnée aux lumières du juge, la cour précise ne pas apercevoir « de raison de fixer comme seuil absolu un risque relatif de 2 ». Dans le cas d’espèce, le risque relatif était cependant de 2,7 alors que FEDRIS exigeait 3,3, parce que ce « seuil » correspond au risque relatif pour lequel la borne inférieure de l’intervalle de confiance est 2. La cour rejette cette exigence.
196 Ce qui requiert incontestablement un évaluateur spécialisé et imposera à notre sens le recours à l’expertise. On conçoit en effet mal que, dans ce contentieux qui relève de la sécurité sociale, l’accès à la justice soit conditionné à la production d’un rapport spécialisé dont les coûts resteraient à charge du travailleur. Nous reviendrons brièvement sur le recours à l’expertise dans la conclusion.
197 Ce qui, à nouveau, suppose une expertise tout à fait spécifique.
d’« hyper-sollicitations » extra-professionnelles rencontrés de manière habituelle (par tout un chacun) dans la vie en général198.
Reste à examiner la dimension causale. Le risque listé est décrit de manière plutôt précise par le code et il correspond en outre à des contraintes biomécaniques citées dans la littérature scientifique comme l’une des causes des tendinopathies (cf. n° 30 supra). En conséquence, l’examen de l’exposition audit risque ne suppose que la vérification d’« hyper-sollicitations » au regard des mouvements imposés par le travail et correspondant à ceux listés (par exemple une répétitivité marquée, associée à des efforts de préhension ou de manipulation ; le maintien de postures statiques ou non naturelles) en tenant compte du contexte psychosocial de la réalisation des mouvements et postures. Ceci suppose incontestablement une analyse au cas par cas, afin d’apprécier – sur l’angle médico-technique (par exemple ergonomique) – si l’« hyper-sollicitation » peut être admise. 56. Pour apprécier l’exposition au risque professionnel, FEDRIS utilise néanmoins une méthode standardisée, la « check-list OCRA ». Il en est donc systématiquement question devant les juridictions du travail. Il s’agit d’un des deux outils de la « méthode OCRA » (Occupational Repetitive Actions)199. Celle-ci porte sur les tâches répétitives qui impliquent la manipulation de charges faibles à une fréquence de répétition élevée et n’examine donc que (certaines) contraintes biomécaniques, sans prendre en compte les aspects psychosociaux du travail.
La « méthode OCRA » est une méthode de quantification des risques, qui cherche donc à dresser une échelle de risques en vue de l’établissement de priorités de prévention200. Précisons brièvement qu’en prévention, l’analyse des risques vise successivement « l’identification des dangers », « la définition et la détermination des risques » et leur « évaluation »201. Les méthodes de quantification portent sur ce dernier aspect de l’analyse, pour une finalité précise (la programmation de la prévention), de sorte qu’elles sont destinées à guider le choix des mesures de prévention à déployer en priorité lorsque de tels choix s’imposent (de telle sorte à cibler prioritairement les risques qui entraînent les dommages les plus graves)202. Ces méthodes de type ranking sont pour la plupart de nature quantitative (et non qualitative), exprimant le risque en chiffres. Aussi ne s’agit-il pas « de méthodes destinées à détecter les risques » : « elles sont un moyen pour ceux qui sont chargés du management du risque de mettre au point une stratégie et de fixer des priorités »203
198 Y. ROQUELAURE mentionne dans l’article précité (cf. le tableau en page 1153), au titre des « hyper-sollicitations extraprofessionnelles », la « pratique intensive d’un sport sollicitant les membres », la « pratique intensive du bricolage » et la « pratique intensive du jardinage ». Rien ne permet d’affirmer que ces pratiques de loisir intensives se rencontrent habituellement chez tout un chacun, de sorte qu’elles devraient être considérées comme représentatives des contraintes subies par la « population en général ».
199 Le premier outil est l’« indice OCRA » ou « OCRA Index » et le second – la check-list – en est une version simplifiée. J. MALCHAIRE, Classification de méthode d’évaluation et/ou de prévention des risques de troubles musculo-squelettiques, ETUI, 2011, p. 42 explique que la check-list est plus simple et rapide à manier, mais elle ne se substitue pas à l’évaluation de l’exposition au moyen de l’indice OCRA plus précis. J.-P. Zana explique dans le même sens que l’indice OCRA – plus complexe – permet une analyse détaillée en vue d’une évaluation complète des tâches répétitives (J.-P. ZANA, « Le travail répétitif : de la compréhension à l’action », Documents pour le médecin du travail , n° 127, décembre 2011, p. 441).
200 J. MALCHAIRE, précité.
201 Art. I.2-6 du Code du bien-être au travail.
202 Voy., L’analyse des risques, SPF ETCS, janvier 2021, disponible sur le site www.emploi.belgique.be, p. 42.
203 Ibid
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La méthode OCRA donne ainsi un score, qui traduit – dans l’objectif précité (définir les actions prioritaires) – un « niveau de risque » sur une échelle de 6 niveaux204. Le premier est qualifié d’« optimal » et le deuxième d’ « acceptable ». Le niveau qualifié de « moyen » (l’avant-dernier niveau) est attribué aux scores de 14,1 à 22,5 (au-delà, on atteint le dernier niveau, soit un niveau dit « élevé »). Le score de l’outil check-list est le résultat d’une addition de points, attribués à partir de mesures et données prises en compte dans la méthode auxquelles une valeur fixe (prédéfinie) est attribuée205
Ce type d’approche chiffrée du niveau de risque ne fait pas l’unanimité206 et sa pertinence nous semble également discutable puisque, comme déjà relevé, le niveau de risque est fonction des capacités fonctionnelles individuelles207
Quoique la check-list et ses scores n’aient pas été développés en vue de juger de l’existence d’un risque professionnel au sens de l’article 32 des lois coordonnées, FEDRIS l’utilise néanmoins pour fixer des critères de « seuil ». La méthode est donc utilisée pour vérifier la « prépondérance » de l’exposition. Le critère de seuil principal est le niveau du score global donné par la check-list : il doit atteindre 14,1 (soit l’avant-dernier niveau de risque de la méthode)208. Mais pas seulement. L’examen de la jurisprudence démontre en
204 Cf. le tableau repris par J.-P. ZANA, précité, p. 442.
205 « La méthode OCRA […] est basée sur une check-list qui liste les tâches représentatives de l’activité journalisée en tenant compte de 5 facteurs : récupération, répétitivité, force, posture et facteurs ajoutés. Pour chaque facteur, un score de 1 à 10 est attribué. Les scores sont additionnés puis multipliés par un coefficient lié à la durée de la tâche envisagée » (C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/ AL/152).
La méthode suivie pour arrêter ces points et pondération ne fait pas l’objet d’une description accessible au grand public. Ceci permet de pointer une difficulté récurrente pour le juriste confronté à ces méthodes : l’accès à une information gratuite, vulgarisée et fiable lui permettant d’appréhender les différents aspects de la méthode et d’en évaluer la pertinence au regard de la règle légale et de ses conditions d’application. Dans sa contribution ci-avant, P. BRUX signale que les « valeurs-limites sur les scores » seraient globalement bien validées par des études épidémiologiques. Ainsi, seul l’examen de ces études pourrait permettre de donner un avis circonstancié sur la qualité de la méthode et, surtout, sa pertinence pour appréhender la condition légale. On rappelle encore les difficultés suscitées par l’abstraction en épidémiologie (à savoir l’écart entre l’exposition prise en compte et l’exposition réellement subie par le travailleur), bien illustrées par K. LIPPEL et al., précité, spécialement p. 65 (« […] une étude épidémiologique exige les mêmes mesures pour chaque sujet. Mais les mêmes mesures sont pertinentes seulement si tous les travailleurs exposés font les mêmes tâches sans grande variabilité ni de tâche ni de méthodes de travail. Cette situation est rare. La plupart des entreprises sont des organismes complexes présentant une grande variabilité dans les postes de travail et dans l’organisation du travail »).
206 La littérature de la prévention souligne ainsi que, dans ce type de méthode, « le score résulte le plus souvent de la globalisation de différents facteurs (forces, postures…). Or, si l’on peut en effet admettre qu’une réduction de force entraîne une réduction du risque, reste à prouver que, compte tenu des pondérations internes entre facteurs de risque, l’ échelle du score traduit l ’ échelle du risque » (Fiches d’aide « Niveau 3, Analyse », fiche n° 10. Ce document est l’une des fiches accompagnant la brochure Troubles musculo-squelettiques (TMS), qui est un des documents de la « Série Stratégie SOBANE » édités par le SPF ETCS. Celui cité est disponible sur le site www.deparisnet.eu ainsi que sur le site web de FEDRIS).
207 Voy. les extraits du guide de l’INRS cités au n° 30.
208 L. Vogel a relevé à propos de ce « seuil » que : « Les auteurs de la checklist indiquent, pour les scores pour lesquels le FMP considère que le risque professionnel est inexistant, que l’on observe une prévalence significative de pathologies des membres supérieurs. Ainsi, le FMP considère qu’il n’y aurait pas de risque professionnel pour un score se situant entre 11,1 et 14 de la check-list OCRA tandis que ses auteurs relèvent qu’avec un tel score, entre 8,5 et 10,7 % des travailleurs seront atteints par une pathologie des membres supérieurs. Il y a donc là un risque professionnel avéré » (L. VOGEL, précité, p. 521).
effet que d’autres exigences sont ajoutées au score en tant que tel (par exemple pour les pathologies de l’épaule), de sorte que la méthode employée paraît mitigée par d’autres critères, plus restrictifs encore.
57. Concernant tant le recours à la méthode en tant que telle que les exigences relatives à ses résultats, la jurisprudence les considère – de même que tous les autres critères administratifs d’exposition – comme indicatifs et non décisifs.
Ainsi, il a été jugé que : « La méthode OCRA, comme toute autre méthode, n’est qu’indicative et l’expert qui est amené à se prononcer sur un cas particulier doit apprécier l’atteinte par la victime d’un seuil qui peut causer ce risque dans son cas »209. En conséquence, la circonstance que la méthode OCRA appliquée par FEDRIS donne un score en deçà de 14,1 n’empêche pas la désignation d’un médecin-expert, ni la reconnaissance de l’exposition au risque210
Il a également été jugé que le critère additionnel concernant l’épaule ne s’imposait pas211.
209 C. trav. Liège, div. Liège, 20 octobre 2020, R.G. 2020/AL/62. Voy. également C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/AL/428, qui retient que « les barèmes d’évaluation n’ont pas de valeur contraignante et qu’ils n’ont pour fonction que de guider l’évaluateur (en l’espèce l’expert judiciaire et la cour) dans son analyse ». Cet arrêt retient également que « La méthode OCRA a pour objet d’évaluer le risque de troubles musculo-squelettiques, et donc notamment le risque de tendinopathies sur l’ensemble des membres supérieurs. Cette méthode a donc tout à fait vocation, à elle seule, à analyser l’exposition au risque lié aux tendinites des épaules ». Cette considération ne fait pas l’unanimité, comme en témoigne C. trav. Liège, div. Liège, 20 octobre 2020, R.G. 2020/AL/62, qui demande à l’expert désigné, s’il entend utiliser OCRA comme méthode d’évaluation de l’exposition au risque, de s’en justifier (ce dont on peut induire que cette méthode n’est pas reconnue d’emblée comme pertinente). En outre, le libellé de la mission évoque la question des postures « qui ne sont pas prises en compte par la méthode OCRA », soulignant qu’elle « ne prend en compte qu’une posture » (« réalisation d’activités à la hauteur ou au-dessus du niveau des épaules (c’est-à-dire au moins 90°) »). Un arrêt plus ancien souligne la perplexité de la cour face à la méthode : « la Cour ignore si le choix de la méthode OCRA était nécessairement le plus adapté à la pathologie » (C. trav. Liège, div. Liège, 23 mai 2016, R.G. 2014/AL/383, inédit).
210 C. trav. Liège, div. Liège, 10 juin 2021, R.G. 2020/AL/385, qui, rejetant l’idée d’un seuil contraignant, considère que, quoique le score OCRA désigne un risque catégorisé comme « faible » (12,6), l’expert a pu induire de la description détaillée des tâches et des constatations médicales que l’exposition au risque est démontrée. Notons que C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/AL/428 retient que « selon cette méthode, dont le sérieux scientifique est reconnu, un score de 14,1 permet de considérer que l’exposition au risque est acquise ». Cette considération nous semble critiquable, dès lors que le risque existe en réalité dès que le score atteint (à tout le moins) 2,3 (qui désigne le seuil du troisième niveau : « très bas »). On rappelle à nouveau que la quantification vise à donner la priorité aux actions de prévention, et non à désigner un seuil pour la reconnaissance d’une maladie professionnelle indemnisable.
211 C. trav. Bruxelles, 11 juillet 2017, R.G. 2016/AB/154 ; C. trav. Liège, div. Liège, 1er décembre 2017, R.G. 2016/AL/758, qui a fait l’objet d’un pourvoi rejeté par Cass., 15 février 2021, S.18.0100.F. Dans ce dernier arrêt, la cour du travail retient que l’expert n’est pas lié par le critère administratif, de sorte qu’il peut admettre l’exposition, même en l’absence du critère, en se fondant sur les « conditions concrètes d’exécution du contrat de travail » (et non des « considérations générales et abstraites ») et sur les constatations médicales. Une expertise concluant également à l’exposition au risque pour une pathologie de l’épaule malgré l’absence du critère additionnel a également été jugée convaincante par C. trav. Liège, div. Liège, 21 janvier 2021, R.G. 2020/AL/272. Voy. encore C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/AL/428, qui rejette également le caractère contraignant du critère et rappelle qu’il ne figure ni dans la loi, ni dans l’arrêté royal ayant introduit le code ; C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/AL/152, qui suit également l’expert, qui avait conclu à l’exposition au risque professionnel nonobstant la circonstance que le critère n’était pas (tout à fait) rencontré.
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Relevons enfin une décision212 qui retient l’exposition au risque sur la base d’une expertise dont les travaux (avis ergonomique) prennent en compte la présence d’aspects psychosociaux (évalués sur la base du questionnaire de Karasek), ceux retenus comme influant sur le niveau du risque étant, dans le cas d’espèce, une forte demande psychologique, une faible latitude décisionnelle et un faible soutien social.
En conclusion, pour cette maladie, comme pour les autres, on trouve en jurisprudence une analyse multivariée, les juridictions du travail croisant les analyses médicales individualisées (confrontant l’évaluation clinique aux connaissances sur les facteurs de risque) et celles qui portent sur la population (approchées par la méthode OCRA). Globalement, l’examen judiciaire procède donc par une analyse du risque réel, qui tient compte des aspects propres à la personne du travailleur.
III. CONDITIONS D’OCTROI DE LA MALADIE HORS LISTE –APPROCHE ILLUSTRÉE PAR LE BURN-OUT
58. Nous proposons de poursuivre (et de terminer) l’étude par un examen des conditions de reconnaissance dans le système hors liste au départ d’une pathologie précise, le burn-out213
Nous allons tout d’abord présenter brièvement cette pathologie, en réservant quelques mots au « projet-pilote » en la matière, mis sur pied dans la branche des maladies professionnelles (section 1). Nous examinerons ensuite les exigences de preuve dans le système ouvert, essentiellement en vue d’une présentation de la jurisprudence récente à leur sujet (section 2) : après avoir tracé le schéma d’examen (l’ordre d’analyse) des conditions (§ 1er), nous aborderons les différentes étapes identifiées, à savoir la preuve de la maladie (§ 2), la condition d’exposition au risque professionnel (§ 3) et le lien « déterminant et direct » de l’article 30bis (§ 4).
Section 1 : Introduction au phénomène
59. Le burn-out ou syndrome d’épuisement professionnel est un phénomène dont la mise en lumière est relativement nouvelle, mais qui fait l’objet d’études de plus en plus nombreuses. Les sources le concernant ne font donc que s’accumuler. Nous allons nous limiter à une brève introduction, au départ de quelques données.
Le Conseil supérieur de la santé (ci-après CSS) donne du burn-out la définition synthétique suivante214 : « un épuisement résultant du manque (prolongé) de réciprocité entre l’investissement et ce qui est reçu en retour ». La définition plus aboutie – mettant en lumière ses différentes caractéristiques – est libellée comme suit215 :
« Le burn-out est : - un processus multifactoriel - qui résulte de l’exposition prolongée (plus de 6 mois)
212 C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/AL/428.
213 L’examen opéré est plus bref dès lors que nous avons déjà étudié la problématique de l’indemnisation des pathologies psychosociales ; voy. S. R EMOUCHAMPS , « L’indemnisation des dommages générés par les incidents psychosociaux dans les régimes de réparation des risques professionnels », précité et S. REMOUCHAMPS, « Les régimes de réparation des risques professionnels (accident du travail et maladie professionnelle) et le harcèlement ou la violence au travail : l’indemnisation impossible ? », précité.
214 Conseil supérieur de la santé, Burn-out et travail, septembre 2017, CSS n° 9339, www.health.belgium.be
215 P. 11 de l’avis. Cette définition est fondée sur une revue de la littérature scientifique (dont les données et le contexte sont décrits dans l’avis).
- en situation de travail
- à un stress persistant, à un manque de réciprocité entre l’investissement (exigences du travail, demandes) et ce qui est reçu en retour (ressources), ou un déséquilibre entre des attentes et la réalité du travail vécue, - qui provoque un épuisement professionnel (à la fois émotionnel, physique et psychique) : fatigue extrême que les temps de repos habituels ne suffisent plus à soulager et qui devient chronique, sentiment d’être totalement vidé de ses ressources. Cet épuisement peut aussi avoir un impact sur le contrôle de ses émotions (irritabilité, colère, pleurs…) et de ses cognitions (attention, mémoire, concentration), et peut à son tour provoquer des changements dans les comportements et les attitudes :
• Une distanciation mentale : la personne se détache et devient cynique. Il s’agirait en fait d’une mesure d’adaptation (inefficace) aux exigences auxquelles la personne ne peut plus faire face : progressivement, elle se désengage de son travail, diminue son investissement et met son entourage à distance, voire développe des conceptions péjoratives à propos des personnes avec qui elle travaille ; mais cette distance forme alors elle-même un problème.
• Ce qui résulte en un sentiment d’inefficacité professionnelle : diminution de l’accomplissement personnel au travail, dévalorisation de soi, la personne ne se sent plus efficace dans son travail ».
L’intérêt de la définition ainsi donnée est qu’elle synthétise les différentes études et analyses existantes et confirme qu’en Belgique, il existe un consensus quant à l’existence et la définition du phénomène216
L’avis du CSS précise encore que : « Le burn-out est […] largement lié au contexte professionnel, à l’organisation du travail ». L’OMS217 retient que « le terme de burn-out ou d’épuisement professionnel désigne spécifiquement des phénomènes relatifs au contexte professionnel et ne doit pas être utilisé pour décrire des expériences dans d’autres domaines de la vie », de sorte que « le contexte professionnel » est vu comme « un élément consubstantiel au burn-out »218. Dans son rapport, la Commission de réforme des maladies professionnelles confirme le constat : « Les causes sont à rechercher principalement dans le travail »219
On peut donc poser le constat que le burn-out est un risque professionnel220. Ce constat est de plus explicitement confirmé par la législation de la prévention, qui le couvre au titre d’un risque psychosocial au sens de l’article 32/2 de la
216 L’absence de définition admise comme consensuelle est en effet souvent mise en avant quand il est question d’appréhender, en droit, ce phénomène. Ainsi, en 2012, ce motif a été utilisé en France pour l’écarter de l’examen opéré par le groupe de travail de la Commission des pathologies professionnelles du Conseil d’orientation sur les conditions de travail (Ministère du Travail français), mandaté pour émettre des recommandations en vue de la reconnaissance, dans le système ouvert, des pathologies psychiques d’origine professionnelle.
217 Qui classifie, au sens du CIM-11, le burn-out comme un syndrome (ensemble de symptômes) relevant des « phénomènes liés au travail » (voy. L. TIMMERMANS, Burn-out en entreprise : aspects juridiques et prévention, Wolters Kluwer, série « Entreprise et droit social », n° 2020/1, p. 9).
218 L. TIMMERMANS, précité, p. 5, l’auteur concluant que, pour l’OMS, le terme « burn-out professionnel » est tautologique.
219 Commission de réforme des Maladies professionnelles du 21e siècle. Rapport final , SPF Sécurité sociale, p. 16.
220 Ce que confirme encore l’examen du burn-out par l’OIT (voy. Document technique sur les maladies problématiques inscrites sur la liste proposée en remplacement de la liste des maladies professionnelles figurant dans l’annexe à la recommandation (n° 194) sur la liste des maladies professionnelles, 2002, B.I.T., 2009, p. 19).
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loi du 4 août 1996221. Le burn-out est cité dans le Code du bien-être au travail, à côté du stress, comme une des conséquences néfastes susceptibles de découler de situations de travail. L’employeur est donc tenu de détecter les situations à risque222 en vue d’éliminer le risque (prévention primaire). Rappelons également que le législateur a accordé une attention très appuyée à la prévention des risques psychosociaux, ce qui en un sens en confirme la gravité et l’impact sur la santé des travailleurs223
Précisons encore trois éléments qui peuvent être pertinents pour l’analyse.
D’abord, le burn-out – comme toutes les maladies professionnelles contemporaines – est une pathologie multifactorielle. Elle n’a donc pas le travail comme cause unique224 « Toutefois, la plupart des études s’accordent pour dire que les facteurs liés au travail – un déséquilibre entre des exigences de travail et des ressources professionnelles – ont un rôle davantage déterminant dans l’apparition d’un burnout »225. Ensuite, l’appréhension du phénomène et de ses causes suppose une approche totalement individualisée. En effet, les déterminants professionnels sont spécifiques au milieu de travail particulier propre au travailleur (l’ensemble des composantes caractérisant son travail concret, desquelles découlent les contraintes et le manque de ressources). Comme il s’agit d’une pathologie psychique, elle ne peut s’appréhender que sur un plan individuel, chacun réagissant différemment face à un même événement stressant226 et chacun ayant des attentes, une personnalité, des valeurs et des soutiens ou des contraintes extra-professionnels différents. Enfin, la lecture des facteurs du risque peut présenter une coloration subjective si l’on se place sur le terrain de la perception que peut avoir le travailleur de tel ou tel aspect du travail227.
221 Cette disposition de la législation consacrée à la prévention des risques au travail définit les risques psychosociaux comme suit : « la probabilité qu’un ou plusieurs travailleurs subissent un dommage psychique qui peut également s’accompagner d’un dommage physique, suite à l’exposition à des composantes de l’organisation du travail, du contenu du travail, des conditions de travail, des conditions de vie au travail et des relations interpersonnelles au travail, sur lesquelles l’employeur a un impact et qui comportent objectivement un danger ».
222 Art. I.3-1, du Code : « Lors de l’analyse des risques réalisée […] l’employeur identifie notamment les situations qui peuvent engendrer des risques psychosociaux au travail. Il tient compte notamment des situations qui peuvent mener au stress et au burn-out occasionnés par le travail ou à un dommage à la santé découlant de conflits liés au travail ou de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail ».
223 On trouve en effet une série de dispositions spécifiques dédiées à ce risque (qui fait donc l’objet d’un encadrement normatif très poussé) tant dans la loi du 4 août 1996 (qui n’envisage aucun autre risque d’une manière aussi détaillée) que dans le Code du bien-être au travail (qui en traite dans le livre Ier, soit celui consacré aux « principes généraux »). Les dispositions pénales sont aussi nombreuses et précises pour ce risque, à l’inverse de tous les autres (de sorte que, même sur le volet répressif, on doit constater un focus très marqué sur ce risque).
224 Il est également influencé par des caractéristiques individuelles, telles que celles liées à la personnalité. Un auteur a ainsi précisé que « les sujets dynamiques, compétents, fortement engagés dans leur travail et idéalistes sont plus à risque de présenter un burn-out » (V. BACHY, « Burn-out : recentrage clinique d’un terme à la mode », in La souffrance au travail. Dialogue interdisciplinaire autour du burn-out, Limal, Anthemis, 2019, p. 27).
225 L. TIMMERMANS, précité, p. 32. L’auteur pose cette conclusion après un examen détaillé des causes répertoriées dans la littérature pertinente (pp. 17 à 32), passant en outre en revue les différents facteurs causals professionnels.
226 Voy. A. ZORBAS, « Le harcèlement : point de vue psychologique », in C.-E. CLESSE et A. NAYER (dir.), Du risque professionnel au bien-être. Approches juridique et psychologique, Limal, Anthemis, 2012, p. 70.
227 Ces perceptions et ressentis sont très importants en prévention (raison pour laquelle la législation impose la participation des travail-
60. La liste des maladies professionnelles ne contient pas de rubrique de risque consacrée aux risques psychosociaux (cf. n° 14, supra). Seul le système ouvert est susceptible de jouer, aucune donnée n’étant cependant accessible quant au traitement des demandes dans ce système.
Le burn-out a néanmoins fait l’objet d’une prise en charge identifiable. Il est en effet visé par un « projet-pilote de prévention visant à éviter l’aggravation d’une maladie » au sens de l’article 6bis des lois coordonnées228. Cette disposition a été insérée en 2003229, pour les pathologies dorsales. L’objectif avancé par l’exposé des motifs est de permettre à FEDRIS de « tester certains modèles de prévention des maladies professionnelles » et, par le biais de l’expérience acquise, de « décider en connaissance de cause des conditions d’inscription de la maladie sur la liste ainsi que du mode de prévention de ladite maladie »230. L’article 6bis a donc été inséré avant la création, en 2006, de la catégorie des « maladies en relation avec le travail », pour lesquelles les interventions de prévention sont mieux précisées mais supposent un arrêté royal définissant, par pathologie, la maladie en relation avec le travail concernée231
Le burn-out n’est concerné que par un « projet-pilote ». Le caractère paradoxal de ce choix a été souligné en doctrine232. En tous cas, force est de constater que le phénomène du burn-out, nonobstant son lien indiscutable avec le travail, n’est appréhendé par la branche des maladies professionnelles qu’à l’extrême marge. La chose ne manque pas d’interpeller. D’une part, dès lors que la pathologie concerne un nombre important de travailleurs233. D’autre part, dès
leurs pour la réalisation de l’analyse des risques psychosociaux). Ils permettent en effet d’indiquer de possibles dangers au sein des situations de travail qui génèrent des plaintes, qui pourront ainsi être mis au jour et investigués.
228 Cf. l’arrêté royal du 7 février 2018 déterminant les conditions d’un projet-pilote visant la prévention du burn-out en relation avec le travail, M.B., 7 mai 2018.
229 Loi-programme du 22 décembre 2003, art. 60, M.B., 31 décembre 2003.
230 Doc. parl., Chambre, n° 51-0473/001, p. 38.
231 Cf. l’article 62bis des lois coordonnées. L’appréhension du burn-out dans le cadre d’un « projet-pilote » au sens de l’article 6bis donne à penser que ce type de projet est davantage utilisé afin d’affiner les conditions de reconnaissance d’une « maladie en relation avec le travail » que celles d’une maladie professionnelle de la liste. Rappelons également que les pathologies dorsales avaient aussi été traitées dans le cadre d’un projet-pilote avant de bénéficier d’une intervention dans le cadre des « maladies en relation avec le travail » (voy. l’arrêté royal du 16 juillet 2004 déterminant les conditions dans lesquelles le Comité de gestion du Fonds des maladies professionnelles peut décider d’un projet-pilote de prévention visant à éviter l’aggravation de maladies dorsales, M.B., 6 août 2004, ainsi que l’arrêté royal du 17 mai 2007 fixant l’entrée en vigueur de l’article 44 de la loi du 13 juillet 2006 et portant exécution de l’article 62bis des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, M.B., 11 juin 2007).
232 Voy. l’étude de L. TIMMERMANS, précitée, pp. 147 à 155. L’auteur note – à juste titre – que l’objectif perceptible du projet-pilote sur le plan de la prévention est d’éviter qu’une maladie présentant certains liens avec le travail s’aggrave dans le contexte professionnel, finissant par présenter les caractéristiques d’une maladie professionnelle indemnisable. Or, « vu que le burn-out est défini comme consubstantiel au travail, il est conceptuellement difficile de soutenir qu’une action préventive pourrait éviter que le contexte professionnel ne devienne déterminant dans les causes du burn-out – il l’est déjà – » (p. 154).
233 Si l’on s’en réfère aux statistiques de l’INAMI disponibles sur son site web, www.inami.fgov.be, consulté le 13 mars 2022 (voy. les statistiques et le verbo « Incapacité de travail de longue durée : combien de burn-out et de dépressions de longue durée ? Quel coût pour l’assurance indemnités ? »). Les données sont relatives au nombre de personnes, au 31 décembre, en invalidité pour « troubles mentaux » et présentent l’évolution sur la période 2016-2020. Elles rapportent qu’au 31 décembre 2020, au sein des malades de longue durée au mo-
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lors que le quasi-mutisme de la branche de réparation du risque professionnel tranche singulièrement avec l’activisme du législateur en matière de prévention ; on a souligné l’attention très importante qu’il consacre aux risques psychosociaux.
Précisons enfin que la circonstance que le burn-out fasse l’objet d’un « projet-pilote » n’empêche nullement que la pathologie puisse être admise à la réparation des maladies professionnelles. Si les conditions d’octroi sont réunies, le droit à la réparation doit être accordé234
Section 2 : Conditions de reconnaissance et d’indemnisation
61. Les conditions de la réparation d’un burn-out dans le régime des maladies professionnelles sont celles de la maladie « hors liste ».
Pour approcher ces conditions, nous allons procéder en trois temps. Il faut tout d’abord clarifier l’articulation des trois conditions (une maladie dont la cause « déterminante et directe » est l’exercice de la profession, l’exposition au risque professionnel de cette maladie et le lien causal entre cette exposition et la maladie) (§ 1er). Une fois l’ordre d’examen ainsi établi, nous le suivrons, passant en revue les trois conditions, à savoir l’existence d’une maladie (§ 2), la condition d’exposition au risque professionnel (§ 3) et le lien causal spécifique au système hors liste (la causalité « déterminante et directe ») (§ 4). Ces derniers examens sont l’occasion d’une part de revenir sur la condition d’exposition au risque professionnel d’une pathologie qui ne bénéficie pas de mesure de la dose nocive ni de « seuil » et d’autre part de présenter l’état actuel de la jurisprudence sur le lien « déterminant et direct ». Nous mobiliserons dans ces examens la jurisprudence récente235.
§1er. L’articulation des conditions
62. Nous avons relevé supra (n° 22) que la dimension causale figurant dans la définition du risque professionnel s’ajoute aux exigences causales contenues à l’article 30bis Si on opère une lecture littérale, il faudrait prouver que l’exercice de la profession est la cause « déterminante et directe » de la maladie, mais aussi que cette profession (dont l’exercice entraîne la maladie) comporte en outre une influence néfaste susceptible de causer la maladie et, enfin, que c’est l’exposition à cette influence qui est la cause de la maladie. On peine ainsi à différencier les niveaux d’examen des rapports causals.
La jurisprudence récente nous semble avoir résolu la question de ces approches causales en précisant la preuve à charge de la victime de la manière et dans l’ordre qui suit.
tif de « troubles mentaux » (36,87 % des invalides), 19,37 % le sont pour burn-out (selon donc le diagnostic posé par le secteur thérapeutique) pour 46,10 % en « dépression ». Sur la période 2016-2020, il a été constaté une augmentation de 38,72 % pour les deux pathologies, dont « +32,53 % » pour le burn-out. Le nombre de personnes potentiellement concernées par un burn-out est donc important.
234 Comme le confirment les quelques décisions rendues à propos de cette pathologie, citées infra. C’est aussi ce qui explique que les pathologies lombaires – nonobstant leur « traitement » à l’aide d’un projet-pilote puis du dispositif de la « maladie en relation avec le travail » – sont aussi examinées dans le système ouvert.
235 Quelques nouvelles décisions ont en effet été rendues en matière de risques psychosociaux depuis nos études précédentes déjà citées consacrées aux pathologies psychosociales. Toutes celles citées dans cette étude, sauf une, concernent le secteur public. Ce constat n’étonne guère, puisque la présomption d’exposition au risque dans ce secteur simplifie radicalement l’examen des conditions d’octroi, comme d’ailleurs l’absence de passage par les filtres de l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées.
Tout d’abord, il y a lieu de vérifier si la preuve de la pathologie (c’est-à-dire l’atteinte médicale, l’ennui de santé en tant que tel) est apportée par la victime. Ensuite, il faut vérifier si la condition d’exposition au risque professionnel peut être retenue. Soit la condition est présumée (secteur public) de sorte que l’exposition au risque professionnel est établie par la loi et doit donc être retenue sauf démonstration de la preuve contraire. Soit la condition n’est pas présumée (secteur privé), de sorte que la victime doit la démontrer. Enfin, il faut examiner le rapport causal (exigé par l’article 30bis) entre la pathologie et l’exposition au risque, dont la preuve repose également sur la victime.
Cette méthode impose un double examen du rapport causal. Tout d’abord, le premier niveau d’analyse porte sur la nocivité des composantes concrètes de l’exercice de l’activité professionnelle, qui doivent comprendre des dangers susceptibles d’influer sur le développement de la maladie (condition d’exposition au risque). Ensuite, le second niveau d’analyse porte sur le rapport de causalité entre cet exercice (qui caractérise le risque) et la maladie, à savoir le lien causal « déterminant et direct » repris à l’article 30bis, qui consiste en ce que, sans le premier, la seconde ne serait pas survenue telle qu’elle est constatée.
§ 2. La maladie (pathologie)
63. En général, la première étape – celle de l’existence d’une pathologie – ne pose pas de difficulté. La question est en effet d’ordre strictement médical et pourra être démontrée, sinon par le dossier médical produit, du moins par le recours à l’expertise.
64. Dans le cas du burn-out, il faut garder à l’esprit que ce qui importe n’est pas le diagnostic lui-même236 mais la reconnaissance médicale de l’existence des symptômes permettant d’attester d’une altération de la santé. Pour qu’ensuite, dans l’examen des critères de l’article 32, alinéa 2, les constats dégagés par la littérature spécialisée sur le burnout soient entièrement applicables, il faudra encore pouvoir rattacher la pathologie aux caractéristiques admises du burn-out. À ce sujet, le CSS recommande la méthode du « diagnostic médical d’exclusion » et cite divers outils d’aide au diagnostic237. Enfin, on pourrait également, le cas échéant, utiliser le canevas diagnostique qui a nécessairement dû être développé dans le cadre du « projet-pilote » dont question supra238
236 Ou la circonstance que la « maladie » soit classifiée au niveau international en tant que telle, aucune condition de ce type ne figurant dans l’article 30bis
237 Dont l’« échelle de Maslach & Jackson » (MBI pour Maslach Burnout Inventory), l’Oldenburg Burn-out Inventory et le Copenhagen Burn-out Inventory. Signalons encore que le SPF ETCS a développé un outil de détection précoce du burn-out (explicité dans le document Recherche sur le burn-out en Belgique. Synthèse, projet HUT/P/VC/ PSY6/F2, 2012-2013, disponible sur le site internet du SPF Emploi).
238 L’éligibilité est en effet fonction de la condition énoncée à l’article 3, 2°, de l’arrêté royal précité du 7 février 2018 (« être menacé ou atteint à un stade précoce par un syndrome d’épuisement professionnel suite à un risque psychosocial en relation avec le travail ») tandis que le « trajet d’accompagnement » prévoit « une à deux séances de confirmation du diagnostic chez un intervenant burn-out et une séance supplémentaire d’orientation dans le cas où le diagnostic rédigé serait négatif et entraînerait un refus de prise en charge par FEDRIS » (art. 5, § 1er, 1°). FEDRIS explique sur son site web que : « À la réception de cette demande, une première analyse est réalisée par FEDRIS pour vérifier que le travailleur rentre bien dans le scope du projet-pilote. FEDRIS lui proposera de rencontrer un intervenant burn-out que le travailleur choisira dans une liste d’intervenants préalablement sélectionnés. Cet intervenant effectuera une à deux séances de consultation qui auront pour but de confirmer ou non le diagnostic d’un stade précoce de burn-out » (www.fedris.be,
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Il a été jugé que la « maladie doit […] être médicalement objectivable », que « le burn-out peut être objectivé », la question du diagnostic devant « être examinée à travers une casuistique délibérative, dans laquelle l’expert désigné […] apportera un éclairage objectif »239. Il a également été rappelé que la maladie hors liste peut consister dans une « atteinte à la santé mentale », que les pathologies d’ordre psychologique ne peuvent être taxées de « supputations médicales infondées » et que le burn-out est une maladie240
Notons enfin que, lorsque la question de l’existence de l’atteinte est déférée à l’expert, il est aussi interrogé sur le diagnostic de la pathologie avancé par l’assuré social dans le cadre de la procédure241
§ 3. L’exposition au risque professionnel
A. Le secteur public
65. La condition étant présumée, le travailleur n’a pas à apporter la moindre preuve. Le seul examen pertinent est – le cas échéant – celui du renversement de la présomption.
L’objet de la preuve ne diffère pas de celui déjà examiné supra (n° 40). Nous y renvoyons donc, soulignant néanmoins que, dans le système hors liste, aucun risque n’est prédéterminé. Aussi, l’analyse doit s’opérer au départ des caractéristiques de l’activité professionnelle considérée qui doivent être appréhendées de manière la plus large (c’est-àdire en incluant toutes les composantes concrètes du milieu du travail et leurs interactions éventuelles). Le risque professionnel pourrait tout d’abord être infirmé par le constat de sa prévalence dans les activités non professionnelles : si ces caractéristiques sont aussi subies de la même manière par la « population en général », c’est-à-dire en dehors des activités professionnelles (dans le cadre privé), il n’y a pas de risque professionnel. À défaut, le risque professionnel pourrait être écarté si la possibilité d’apparition ou d’aggravation de la maladie présentée par le travailleur dans les conditions concrètes de l’exposition peut être effectivement exclue. Pour affirmer ceci, la méthodologie employée doit permettre de constater que les caractéristiques concrètes de l’activité sont soit dénuées de toute nocivité (aucun impact possible
page « Projet-pilote burn-out » consulté le 28 mars 2022). L’avis du CSS précité précise (p. 14) l’existence d’un « canevas développé par le CITES à l’intention de FEDRIS pour l’expertise de dossiers liés au burn-out », « composé de six parties : anamnèse, étiologie (facteurs professionnels, facteurs d’amortissement, facteurs d’aggravation), antécédents (psychiatriques), sémiologie (symptômes physiques, cognitifs et affectifs, comportementaux), traitements et évolutions, examens complémentaires et conclusions (reprise des facteurs qui permettent de conclure à un burn-out) ».
239 C. trav. Mons, 25 novembre 2020, R.G. 2019/AM/197 et 2019/AM/199.
240 C. trav. Liège, div. Liège, 21 janvier 2021, R.G. 2019/AL/354. La question du diagnostic est renvoyée à l’expert, chargé de se prononcer sur l’existence du burn-out « en tenant compte des symptômes qu’il estimera en relation avec cette maladie ». Voy. également C. trav. Liège, div. Liège, 9 septembre 2020, R.G. 2019/AL/344, ci-après, qui, comme le premier arrêt cité, rappelle qu’il existe des études confirmant l’existence de pathologies d’ordre psychologique en lien avec les risques psychosociaux. La circonstance que la législation de la prévention le mentionne explicitement (cf. la définition citée supra) est aussi soulignée. [Voy. encore : C. trav. Bruxelles, 25 février 2022, ci-après.]
241 Voy. C. trav. Liège, div. Liège, 21 janvier 2021, R.G. 2019/AL/354 et C. trav. Liège, div. Liège, 22 janvier 2021, R.G. 2019/AL/621. Cette approche limite l’examen au diagnostic avancé, et non à la pathologie effectivement présentée par le travailleur, ce qui nous semble peu compatible avec le cadre d’examen (le droit subjectif à la reconnaissance d’une maladie hors liste). Dans cette approche, la victime doit donc veiller à explorer en amont de la procédure le plus correctement possible la question du diagnostic invoqué.
sur la santé), soit d’une nature telle (en termes d’intensité et de répétitivité par exemple) qu’il est impossible qu’elles aient pu contribuer au développement de la maladie. Dans ce dernier examen, les interactions des composantes du travail entre elles, et avec les aspects personnels, doivent être prises en compte.
B. Le secteur privé
66. La question est évidemment plus complexe dans le secteur privé dès lors que l’influence nocive doit satisfaire aux différents filtres de l’article 32, que nous avons déjà passés en revue (nos 42 et suiv.). Nous allons tenter une approche théorique pour le burn-out, aux fins surtout de mettre en exergue les questions que soulève le type de maladie examiné, au vu notamment des « caractéristiques » mises en exergue plus haut : plurifactorialité, caractère indispensable d’une approche individualisée du risque et présence d’une composante subjective.
67. Le point de départ de l’analyse est l’influence nocive. Dans le cas des maladies hors liste, l’influence nocive s’identifie aux circonstances concrètes de l’exercice de la ou des activités professionnelles qui sont avancées par le travailleur comme facteur causal professionnel et qui doivent être de nature à pouvoir affecter la santé.
Dans le cas du burn-out, l’influence nocive consiste dans les composantes concrètes du travail correspondant aux catégories de facteurs des risques psychosociaux242 que le travailleur sera en mesure d’identifier et préciser. Il lui faudra donc décrire le contexte professionnel et organisationnel, duquel pourra se dégager le constat d’une exposition à des facteurs pouvant provoquer un déséquilibre entre les ressources à sa disposition et les exigences (contraintes) de son travail243.
Dans l’hypothèse où existe une analyse de risques psychosociaux spécifique de la situation de travail concernée (que ce soit sous la forme d’une analyse de risque réactive 244 ou dans le cadre du traitement d’une demande d’intervention psychosociale formelle), les rapports et avis qui en résultent seront sans doute fort utiles tant pour décrire les composantes nocives que pour l’analyse spécialisée sur le plan de la qualification dans la catégorie des risques psychosociaux 245
Arrêtons-nous enfin sur la question de la « subjectivité », qui a été identifiée par certains comme une difficulté246. Si les
242 Composantes énumérées par l’article 32/2 de la loi du 4 août 1996. Il pourrait ainsi être fait référence aux composantes touchant à l’intensité et l’organisation du travail (surcharge de travail, imprécision des missions, objectifs irréalistes, etc.), aux exigences émotionnelles (confrontation à la souffrance, à la mort par exemple), à l’autonomie et la marge de manœuvre, aux spécificités des relations interpersonnelles et de l’organisation du travail (conflits, manque de soutien du collectif de travail, management délétère, etc.), aux conflits de valeurs, à l’insécurité de l’emploi, etc. (cette typologie, nullement exhaustive, est empruntée à la « fiche mémo » (mars 2017) Repérage et prise en charge cliniques du syndrome d’épuisement professionnel ou burn-out » de la Haute autorité de santé française, www.has-sante.fr).
243 Observons que cette analyse, au départ de la description des aspects problématiques du travail, requiert une réelle spécialisation pluridisciplinaire puisqu’elle suppose une expertise clinique et des aspects organisationnels du travail.
244 Celle visée par l’article I.3-4 du Code du bien-être au travail.
245 De sorte qu’il s’agit d’outils qui permettent d’apporter, à tout le moins, un commencement de preuve, cf. C. trav. Liège, div. Liège, 22 janvier 2021, R.G. 2019/AL/621 (la pathologie psychosociale invoquée en l’espèce étant une dépression).
246 L. TIMMERMANS, précité, pp. 82 et 156. L’auteur insiste sur l’aspect subjectif en matière d’appréhension de risques psychosociaux (que nous avons aussi relevé), estimant que cette « subjectivité » pose problème sur le plan de la condition d’exposition au risque professionnel
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ressentis et, surtout, les conséquences de l’exposition à une nuisance de nature psychosociale peuvent différer d’un individu à l’autre, cela n’implique pas que les aspects psychosociaux du travail relèveraient d’une appréciation subjective et ne pourraient pas être objectivés. Les contraintes et les manques de ressources découlent en réalité d’une série de circonstances factuelles du travail, qui présentent donc une réalité matérielle et ne peuvent être critiquées comme subjectives, c’est-à-dire entièrement dépendantes de la perception du travailleur. La législation de la prévention confirme du reste ce constat, puisqu’elle organise des analyses des situations à risque, au départ précisément des réalités de terrain. En conclusion, la « subjectivité » évoquée n’exclut pas l’identification (objective) d’une influence nocive.
68. Une fois l’influence déterminée (ou en d’autres termes l’exposition concrète confirmée), il faut vérifier la rencontre des aspects matériels de l’exposition (exposition à l’influence inhérente à l’exercice de la profession et nettement plus grande que celle subie par la population en général). Les constats à ce sujet seront évidemment fonction de la nature et des caractéristiques des composantes du travail, dénoncées comme source du risque247
Concernant le premier élément, rappelons l’importance de la question du cadre d’analyse, à savoir s’il faut (ou non) examiner le milieu du travail au sens large (voy. supra, n° 46). Le cadre large préconisé – et retenu dans la jurisprudence récente – apparaît le seul adapté si on ne veut pas exclure de facto toute possibilité d’indemnisation des risques psychosociaux.
69. Enfin, il faut aborder la dimension causale. Les difficultés touchent essentiellement à deux éléments, qui découlent des caractéristiques mêmes des risques psychosociaux.
D’une part, il y a l’influence des facteurs extra-professionnels, au premier rang desquels les caractéristiques personnelles du travailleur. Les risques psychosociaux appellent – comme d’autres – une lecture de la causalité probable qui suppose une prise en compte des aspects individuels. Nous avons déjà abordé cette question et conclu que la tendance actuelle en jurisprudence autorise une approche qui prenne en compte ces aspects personnels dits de « susceptibilité » (voy. supra, n° 53).
D’autre part, il n’existe (à l’heure actuelle) aucun instrument de mesure de type « seuil-dose », qui objectiverait un seuil théorique quantitatif d’exposition au-delà duquel un certain niveau de prévalence de la maladie serait constaté ou en deçà duquel l’absence d’effet sur la santé pourrait être affirmée. Ce type de mesure se dégage d’études de type épidémiologique, qui supposent que puissent être arrêtées des expositions comparables (de sorte que les comparaisons « exposé/non exposé » ou « malade/non malade » puissent être opérées). Or le burn-out n’est pas caractéristique d’une activité professionnelle précise dans un secteur d’activité
donné248 mais du travail concret et de son organisation, de sorte qu’il y a une très grande variabilité des expositions249 En outre, faute d’une définition qui réunisse un consensus au niveau international, les données des différentes études menées à cet échelon sont difficilement rapprochables250
Cela ne signifie pas pour autant l’absence de « connaissances médicales généralement admises » permettant de juger de la possibilité que l’influence participe au développement du burn-out et d’apprécier son intensité, même au point de vue collectif (où serait examinée la nocivité intrinsèque potentielle des composantes relayées). Nous avons déjà précisé que l’appréhension de la condition n’impose pas nécessairement le recours à des grilles d’analyse statistique. Le constat de l’existence d’un risque n’implique pas nécessairement des calculs de ce type, ce qui est « probable » pouvant également être évalué à l’aide d’autres indicateurs, tels que la plausibilité factuelle ou médicale. Évaluer un risque, c’est en effet extrapoler la possibilité qu’un dommage survienne pendant l’exposition du travailleur aux facteurs du risque professionnel (les aspects potentiellement nocifs du travail), en fonction des données existantes (la nature de l’exposition, l’influence des autres paramètres de la situation de travail, dont les éventuelles mesures de prévention existantes, et les caractéristiques personnelles du travailleur susceptibles d’influencer la survenue ou l’aggravation du dommage). Ceci suppose donc de tenir compte de l’ensemble des facteurs entrant en jeu et des interactions/réactions entre ces différents facteurs.
C’est ainsi qu’il a été jugé que la question pouvait être déférée à un expert, les différentes études sur les risques psychosociaux permettant de retenir un commencement de preuve que l’influence nocive de la charge psychosociale peut constituer la cause prépondérante de ce type de troubles psychiques251. Cette approche ne peut qu’être approuvée, dès lors que la littérature spécialisée en la manière admet le caractère déterminant du facteur professionnel dans l’étiologie d’un burn-out
§ 4. Le lien causal entre la pathologie et l’exposition au risque professionnel
70. La dernière condition porte sur le lien « déterminant et direct » énoncé par l’article 30bis des lois coordonnées.
(« nous avons vu qu’en fonction des traits de personnalité du travailleur, et de ses perceptions subjectives des contraintes de travail, il n’est pas certain que d’autres travailleurs, placés dans les mêmes circonstances, développent également un burn-out »).
247 Ainsi, dans son arrêt du 9 septembre 2020 déjà cité (R.G. 2019/ AL/344, ci-après), la cour du travail de Liège examine la question de savoir si l’exposition est plus grande que celle subie par la population en général au départ des spécificités du risque psychosocial concret pointé par le travailleur, qui touche dans le cas d’espèce aux relations interpersonnelles entre la victime et son supérieur hiérarchique (« hyperconflit »), la cour retenant que, dans la vie privée, il n’y a pas de soumission hiérarchique, puisque chacun peut « éviter par choix les contacts avec une personnalité avec laquelle il développe des incompatibilités ».
248 Notons cependant que certains secteurs d’activité sont admis comme davantage touchés. Sont ainsi cités « le secteur public, le secteur médical, paramédical et les assistants sociaux, l’enseignement, et, enfin, les banques et assurances » (V. BACHY, précité, p. 27). Le choix sectoriel opéré par le projet-pilote évoqué supra (n° 60) confirme la chose. Les secteurs actuellement visés par celui-ci sont d’une part les « services financiers, hors assurance et caisse de retraite (section K64 du NACE BEL 2008) » (il s’agit de celles initialement visées) et d’autre part les activités hospitalières, des médecins généralistes ou spécialistes, des praticiens de l’art infirmier, le transport par ambulance, la revalidation ambulatoire et les activités de soins résidentiels pour personnes âgées ou avec un handicap moteur ainsi pour personnes avec un handicap mental, un problème psychiatrique ou toxicodépendantes (« section Q86.1, Q86.210, Q86.220, Q86.903, Q86.905, Q86.906, Q87.1, Q87.2 et Q87.3 du NACE BEL 2008 ») (cette deuxième catégorie ayant été incluse par l’arrêté royal du 28 décembre 2020, dans le contexte de la crise sanitaire du Covid-19).
249 L’approche de l’exposition en termes quantitatifs nous semble en elle-même déjà compliquée. Notons néanmoins à ce propos l’étude (au sein d’une entreprise de grande taille) relayée par C. BUGLI et P. MESTERS, « Comment évaluer le stress professionnel et le burnout ? Étude diagnostic de la prévention des risques psychosociaux au sein d’une entreprise belge », Bulletin juridique & social , janvier 2018, n° 599 (pp. 7 à 10) et n° 600 (pp. 7 à 9).
250 Ce qui explique le constat posé par le CSS de l’absence de données fiables de prévalence de la maladie (voy. son avis, précité, pp. 15 et 16).
251 C. trav. Liège, div. Liège, 22 janvier 2021, R.G. 2019/AL/621.
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Celui-ci est explicité par la jurisprudence comme le lien de cause à effet entre l’exposition au risque professionnel (les caractéristiques nocives issues de l’exercice de la profession) et la pathologie. Avant d’en venir brièvement au cas du burn-out (n° 73), nous allons d’abord présenter la nature du lien causal sur la base de la jurisprudence récente (n° 71) pour ensuite discuter la méthodologie d’examen avancée par FEDRIS (n° 72).
71. FEDRIS a défendu une interprétation très restrictive du lien causal exigé par l’article 30bis. Celle-ci avait concrètement pour effet d’exclure du droit à l’indemnisation les maladies dont la cause principale reconnue ne serait pas le facteur professionnel. Aussi, les maladies dont le développement est reconnu comme influencé par l’exercice de la profession (qui constituerait ainsi un facteur d’aggravation) se trouveraient exclues du champ de la réparation252
Cette interprétation n’a pas été suivie par la Cour de cassation dans son premier arrêt de 1998 déjà cité, dont l’enseignement est confirmé par celui du 22 juin 2020253. La Cour relève ainsi que le risque professionnel (l’exercice de la profession) ne doit pas nécessairement être la cause exclusive ou prépondérante de la maladie254. Le lien causal n’est pas exclu par la circonstance que d’autres causes jouent également, telles qu’une prédisposition255. La Cour précise en outre que l’article 30bis « n’impose pas que la victime ou l’ayant droit établisse l’importance de l’influence exercée par la prédisposition, notamment que cette influence est moindre que celle de l’exercice de la profession ». Enfin, en estimant le raisonnement de la cour du travail correct en droit, elle confirme que le lien causal doit être retenu même si l’exercice de la profession n’a joué qu’un rôle aggravant et que l’impact de la profession dans le développement de la maladie n’est que modeste.
On doit en conclure que le lien causal exigé par l’article 30bis existe lorsqu’il est établi que la maladie ne serait pas survenue telle qu’elle s’est présentée (au moment et dans l’ampleur constatée) sans l’exercice de la profession, même si l’exposition au risque n’a joué qu’un rôle aggravant modeste.
Cet enseignement est suivi par les juridictions du travail. Nous proposons un petit florilège des formulations qu’elles ont adoptées, et qui permettent d’approcher plus précisément l’objet de la preuve pesant sur l’assuré social.
Un arrêt du 20 avril 2021256 retient que « le lien causal ne doit pas être exclusif (les maladies sont principalement multifactorielles), principal ou évident (la maladie devrait alors être inscrite dans la liste et le système hors liste serait vidé de son intérêt pour ne jouer qu’un rôle de “pré-liste”), l’impact de l’exposition au risque professionnel sur l’apparition ou le développement de la maladie peut être modeste ». Aussi, « le facteur professionnel peut coexister avec d’autres facteurs dont les prédispositions pathologiques qui ont une incidence sur le déclenchement ou l’évolution de la maladie ; l’exercice de la profession ne doit pas être la cause “unique” ou “prépondérante” de la maladie. L’exigence légale n’im-
252 M. VANDEWEERDT, « Le “système ouvert” dans l’assurance contre les maladies professionnelles », R.B.S.S., 1994, 1022.
253 Cass., 22 juin 2020, S.18.0009.F, J.T.T., 2021, p. 21, et ci-après.
254 La Cour retient qu’« il ne ressort pas de ces travaux préparatoires que, par les termes “déterminante et directe”, l’article 30bis dispose que le risque professionnel doit être la cause exclusive ou prépondérante de la maladie. Le lien de causalité prévu par l’article 30bis entre l’exercice de la profession et la maladie ne requiert pas que l’exercice de la profession soit la cause exclusive ou prépondérante de la maladie ».
255 « Cet article n’exclut pas une prédisposition ».
256 C. trav. Liège, div. Liège, 20 avril 2021, R.G. 2020/AL/89. Voy. également C. trav. Liège, div. Liège, 21 janvier 2021, R.G. 2019/AL/354.
pose pas que l’ayant- droit doive établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition ou par toute autre cause potentielle étrangère à l’exercice de la profession ». En conséquence, « la cause est directe et déterminante s’il est médicalement reconnu que la maladie ne se serait pas déclarée ou se serait déclarée dans d’autres conditions et, notamment, ne se serait pas déclarée au moment où elle est apparue ou se serait déclarée moins gravement sans le facteur professionnel »257
Un arrêt du 20 juillet 2021258 considère que « si la cause doit être réelle et manifeste, elle ne doit pas être exclusive ni même principale. Dès lors, la victime ne doit même pas établir que l’influence des éventuelles prédispositions est moindre que celle de l’exercice de la profession, le lien causal doit être considéré comme existant dès lors que, sans le risque, la maladie ne serait pas survenue telle quelle ».
Un autre arrêt du 18 mars 2021259 énonce que « le lien causal est prouvé lorsque la victime prouve que l’exercice de la profession a, parmi d’autres facteurs, causé la maladie ou l’a aggravée ».
Dans une autre espèce260, l’exigence est détaillée comme suit : pour admettre le lien causal direct et déterminant, la cour doit vérifier si l’assuré social aurait présenté la même maladie (de même nature, au même moment, avec la même intensité) s’il n’avait pas été exposé au risque professionnel. Cette preuve est faite si l’expert, au regard de ses connaissances médicales, de l’intensité et de la longueur de l’exposition au risque, de la constitution du travailleur, des éléments de son anamnèse, estime certain que l’activité professionnelle a joué un rôle dans l’apparition des lésions.
72. FEDRIS soutient que l’analyse de la causalité ainsi définie suppose de suivre une méthodologie précise, à savoir qu’il doit procéder à une analyse exhaustive de tous les facteurs possibles, susceptibles de provoquer ou aggraver la maladie, pour ensuite conclure, sur la base de ces causes possibles, que l’état de santé ne serait pas le même que celui constaté.
Cette méthodologie revient à exiger une « preuve par exclusion », à savoir que le dommage (en l’occurrence la pathologie telle qu’elle se présente et dans la mesure constatée) n’a pas d’autres causes possibles que le facteur professionnel. Un tel examen n’est envisageable que si toutes les autres causes possibles sont connues, puisque cette méthodologie impose la démonstration qu’il n’y a aucune autre explication à la situation médicale examinée (la pathologie telle qu’elle se présente) que l’interférence du facteur professionnel261. Or les facteurs étiologiques possibles ne sont pas nécessairement déterminables pour toutes les pathologies. En outre, et surtout, cette approche revient in fine à imposer au travailleur de démontrer que la cause unique de la pathologie est l’exercice de la profession ou, à tout le moins, qu’elle en est la cause principale, par la démonstration d’une incidence trop faible des causes concurrentes. Cette approche heurte clairement l’enseigne-
257 Ce dernier libellé se trouve aussi dans d’autres décisions, dont C. trav. Liège, 9 septembre 2020, R.G. 2019/AL/344, ci-après.
258 C. trav. Liège, div. Liège, 20 juillet 2021, R.G. 2020/AL/110. Dans cette affaire (du secteur public, où la condition d’exposition est présumée) les deux atteintes préexistaient à l’exposition au risque, la question examinée étant l’aggravation en lien causal avec l’exposition. La question déférée à l’expert est de déterminer « si les lésions [tendinite bilatérale et arthrose des membres supérieurs] se présentent telles quelles […] entre autres à cause de l’exposition [du travailleur] à l’aggravation de son risque. Si l’exposition a avec certitude aggravé la maladie, le lien causal est établi ».
259 C. trav. Liège, div. Liège, 18 mars 2021, R.G. 2020/AL/86.
260 C. trav. Liège, div. Liège, 30 avril 2021, R.G. 2020/AL/152.
261 Voy. J.-L. FAGNART, précité, pp. 110 et 111.
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ment jurisprudentiel détaillé supra. Elle ne peut donc être suivie.
Cette approche ne nous semble d’ailleurs pas retenue par la jurisprudence, qui estime qu’un lien de cause à effet peut être affirmé positivement sur le plan médical (par l’expert), sans nécessairement que ce dernier doive suivre une méthodologie contraignante, telle que celle avancée par FEDRIS. Relevons ainsi que, dans la décision soumise à la censure de la Cour de cassation et qui a abouti à son arrêt précité du 22 juin 2020, la cour du travail de Liège avait relevé que si « le lien causal déterminant et direct entre l’exposition au risque [professionnel] et la maladie est prouvé, il n’est pas nécessaire d’examiner de manière détaillée tous les autres facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur l’apparition et le développement de la maladie professionnelle ». À l’évidence, l’approche préconisée par FEDRIS n’est donc pas retenue, puisque l’examen de tous les facteurs possibles n’est pas jugé nécessaire. La Cour de cassation n’a pas censuré cette partie du raisonnement, estimant au contraire que par celui-ci et les autres considérations citées (dont l’impact modeste de l’exercice de la profession sur le développement de la maladie), « l’arrêt fait une exacte application de l’article 30bis des lois coordonnées ». Il a également été jugé dans le même sens que « sur le plan méthodologique, il est possible mais pas indispensable qu’un médecin expert estime devoir éliminer certains facteurs étiologiques pour asseoir sa conviction que l’exposition est en lien causal déterminant et direct avec la maladie. Toutefois, une fois que l’expert et après lui le juge estiment que le lien causal déterminant et direct entre l’exposition au risque et la maladie est prouvé, il n’est pas nécessaire d’examiner de manière détaillée tous les autres facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur l’apparition et le développement de la maladie professionnelle. Les autres facteurs étiologiques ne pourront en effet jamais gommer l’impact de l’exposition au risque, fût-il modeste, sur l’apparition ou le développement de la maladie »262
73. Le burn-out, on l’a dit, est une pathologie multifactorielle, donc nécessairement la résultante de l’action de plusieurs causes, dont toutes – mais également leurs interactions exactes – ne sont pas nécessairement déterminables.
Il a ainsi été jugé263 que « peu importe que le burn-out soit une pathologie multifactorielle et qu’il ait pu, aussi, être développé par d’autres facteurs que l’exercice de la profession, pourvu que ce dernier ait eu un impact, fût-il modeste sur l’apparition ou le développement de la maladie ». L’objet de la preuve est ainsi défini comme suit : la maladie ne serait pas survenue ou aurait été moins grave sans l’exercice de la profession.
Observons encore que, dès lors que le burn-out est par nature professionnel (cf. supra, n° 59), si ce diagnostic est
262 C. trav. Liège, 5 mars 2018, R.G. n°2016/AL/502, C. trav. Liège, div. Liège, 20 juillet 2021, R.G. 2020/AL/110. Voy. également C. trav. Liège, div. Liège, 26 janvier 2021, R.G. 2020/AL/270 (l’expert, qui retient que la pathologie – lombarthrose – trouve l’une de ses causes dans l’exercice de la profession au regard des éléments propres à l’intéressé (la durée et l’intensité de l’exposition et la pathologie concrètement présentée), n’était pas tenu d’examiner les autres facteurs en lien causal avec la maladie, ni d’envisager leur importance ou l’impact sur le développement de celle-ci ») ; C. trav. Liège, 21 janvier 2021, div. Liège, R.G. 2019/AL/354 (« il suffit de constater un impact de cette exposition sur l’apparition ou le développement de la maladie qui peut être modeste, sans devoir quantifier l’importance de toutes les autres causes potentielles étrangères à l’exposition au risque professionnel », de sorte que l’arrêt censure la méthode qui consiste à « quantifier l’importance des facteurs [causals], les classe[er] en termes de prépondérance, de prédominance », puisque ce qui importe est en effet uniquement l’existence d’un impact du facteur professionnel, même modeste).
263 C. trav. Mons, 25 novembre 2020, R.G. 2019/AM/197 et 2019/AM/199.
effectivement retenu dans le cas d’espèce, l’influence certaine de l’exposition doit être nécessairement être admise.
CHAPITRE IV : ESSAI DE SYNTHÈSE QUANT AUX CONDITIONS D’OCTROI
74. Ce dernier chapitre tente, dans une perspective plus prospective, de synthétiser les options d’interprétation que nous avons avancées tout au long des chapitres précédents. Il s’agit ainsi d’énumérer les différentes conditions d’indemnisation en précisant l’objet de la preuve, selon les interprétations explicitées précédemment. Avant de nous y atteler, quelques commentaires s’imposent.
Tout d’abord, vu l’objectif (qui domine notre étude) d’assurer l’effectivité du droit à la réparation, il conviendrait de définir le plus clairement possible l’objet des preuves à administrer, en veillant dans cet exercice d’identification à arrêter un objet susceptible d’être effectivement prouvé par l’assuré social (c’est-à-dire dont la preuve est réellement accessible). À défaut, la victime n’est pas en mesure de présenter des éléments de preuve (qui pourraient être jugés) pertinents ni bénéficier de la moindre prévisibilité quant aux exigences qui seraient contrôlées dans le cadre du traitement judiciaire de son dossier. L’exercice d’énumération auquel nous allons procéder ne peut cependant atteindre le niveau de détail requis, puisqu’il faudrait pour ce faire envisager l’énumération par pathologie. Les précisions données restent ainsi cantonnées à des généralités sur l’objet de la preuve. Ensuite, puisque le régime de preuve diffère selon qu’il s’agit d’une maladie de la liste ou hors liste, la présentation est opérée séparément selon le système applicable. Nous décrirons donc d’une part l’objet des preuves dans le système de la liste (section 1) et d’autre part, cet objet dans le système hors liste (section 2). Pour chaque système de définition de la maladie professionnelle, il sera en outre tenu compte des conséquences du jeu d’une présomption d’exposition au risque professionnel.
Par ailleurs, la présentation est centrée sur l’énumération des exigences de preuve. Nous n’aborderons donc pas les questions touchant en pratique à l’administration de la preuve. Nous nous limitons à ce sujet à rappeler que, lorsque la preuve repose sur la victime, divers palliatifs existent néanmoins. Nous entendons par là tout d’abord ceux qui peuvent être tirés des obligations d’instruction qui pèsent sur FEDRIS et les autorités publiques (l’employeur et le service médical compétent), sur pied tant des principes de bonne administration que des obligations reprises dans la Charte de l’assuré social, et qui les obligent à des démarches proactives destinées à compléter les informations fournies par la victime et soutenir celle-ci dans l’administration de la preuve. Ensuite, parmi les palliatifs disponibles figurent les mesures d’instruction qui peuvent être ordonnées par le juge, au premier rang desquelles l’expertise.
Enfin, le lecteur n’oubliera pas (cf. le point n° 50) que ce n’est pas une preuve « certaine » qui doit être constatée, mais des éléments permettant au juge d’établir sa conviction, celle-ci pouvant régulièrement se dégager d’un haut degré de vraisemblance. Ce qui compte n’est donc pas la certitude scientifique, mais l’existence d’éléments pertinents rendant suffisamment vraisemblable l’élément juridique à établir.
Section 1 : Le système de la liste
75. Dans le système de la liste, la réparation est due si deux conditions se trouvent réunies.
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§ 1er La victime doit démontrer l’existence de la maladie de la liste
76. La première condition est celle de l’existence de la maladie de la liste. La charge de la preuve repose sur la victime.
L’objet de la preuve, ainsi que nous l’avons détaillé au point n° 35, doit s’appréhender au regard du libellé de la liste (le risque listé, et les éventuelles précisions sur celui-ci ou sur la pathologie). Les exigences qui y sont inscrites devront donc être établies.
Lorsque le code ne contient pas ou peu de précisions sur la maladie, le travailleur doit établir que sa pathologie appartient à la famille de celles susceptibles d’avoir été influencées par le risque listé, ou, en d’autres termes, le groupe de maladies pour lequel la science médicale admet un lien plausible avec le risque. L’illustration donnée pour le code 1.606.22 s’appuie sur les données scientifiques qui affirment une association (en général) entre le risque listé et un groupe de pathologies (les tendinopathies). Ainsi, pour cette maladie, l’objet de la preuve est le suivant : la pathologie présentée dans le cas individuel appartient à la famille des tendinopathies des membres supérieurs.
§ 2. La condition d’exposition au risque professionnel doit être rencontrée
77. La deuxième condition est celle de l’exposition au risque professionnel de la maladie. À cet égard, il faut distinguer deux hypothèses : celle où la condition est présumée (a) et celle où la preuve reste à charge de la victime (b).
A. Si la condition est présumée, la réparation est due sauf preuve contraire
78. La condition est légalement présumée dans deux hypothèses : d’une part, pour les travailleurs relevant de la loi du 3 juillet 1967 (secteur public) et, d’autre part, pour ceux qui, relevant des lois coordonnées (secteur privé) peuvent bénéficier de l’application de la présomption d’exposition au risque professionnel établie par l’arrêté royal du 6 février 2007.
La présomption a pour effet que la condition doit être tenue pour établie. L’examen porte donc uniquement sur les éléments avancés par FEDRIS ou l’employeur public et leur aptitude à établir la preuve contraire, soit des éléments concrets qui permettent d’affirmer que les circonstances propres au milieu du travail (les activités professionnelles assujetties prises en considération) excluent toute probabilité de développer la maladie de la liste.
Quoique la définition du risque professionnel qui doit être exclu diffère entre les secteurs public et privé, l’analyse en matière de preuve contraire est largement identique.
Il s’agira d’établir soit l’inexistence matérielle de l’exposition au risque listé (c’est-à-dire l’absence, dans les milieux du travail considérés, d’une exposition à l’agent causal listé), soit, si cette exposition n’est pas discutable, qu’elle ne présente pas les caractéristiques du risque professionnel. Ce dernier examen peut porter sur les deux types de composantes du risque (matériel et causal).
Sur le volet matériel, l’objet de la preuve est fonction de la définition du risque professionnel, qui diffère selon le secteur applicable (public ou privé). Dans le secteur privé, il faut établir que l’influence nocive (les aspects concrets du milieu du travail qui caractérisent le risque listé) n’est pas inhérente (spécifique) aux milieux professionnels assujettis ou qu’elle n’est pas nettement plus grande que celle subie
dans les activités exercées dans la vie courante. Dans le secteur public, seule la dernière question est pertinente ; il y a lieu d’établir que le risque de la liste constaté dans le milieu du travail serait de même nature et de même ampleur dans les activités non professionnelles.
Sur le volet causal, l’objet de la preuve est l’absence de probabilité d’apparition ou d’aggravation de la maladie présentée par le travailleur dans les conditions concrètes de l’exposition. Les éléments de preuve avancés doivent permettre d’affirmer (avec un degré de vraisemblance suffisamment élevé) une impossibilité, ce qui suppose la démonstration que la nature des contraintes professionnelles concrètes est telle qu’il est inconcevable qu’elles aient pu avoir une influence sur la pathologie.
Comme nous l’avons souligné, l’absence d’étude qui aurait affirmé la possibilité du lien de cause à effet ne suffit pas, au même titre que les autres éléments qui ne feraient que jeter un doute sur l’existence du risque.
B. Lorsque la condition n’est pas présumée (secteur privé) : la preuve repose sur le travailleur
79. Lorsque la condition n’est pas présumée, sa preuve incombe au travailleur. Cette hypothèse n’est susceptible de se rencontrer que dans le secteur privé. La vérification de l’existence d’une exposition au risque professionnel doit s’opérer à l’aide des critères de l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées (examinés aux nos 44 à 53).
Il faut ainsi tout d’abord établir que l’influence nocive (dégagée au départ du risque listé) – et non la pathologie – est inhérente à l’activité professionnelle au sens large (le milieu du travail pris en considération) et prévaut clairement davantage dans le milieu professionnel du travailleur qu’en-dehors d’une activité professionnelle.
Ensuite, une fois l’influence nocive prise en compte, il faut constater que l’exposition à celle-ci rend possible la maladie (son apparition ou son aggravation) ; le développement de la maladie doit avoir été rendu (au moins en partie) possible par l’exposition à l’influence nocive. Cette preuve ne dépend pas (exclusivement) de la discipline épidémiologique, et peut se dégager d’un faisceau d’éléments convergents.
Section 2 : Le système hors liste
80. Dans le système hors liste, la réparation est due si trois conditions sont réunies. Nous les présentons selon l’ordre d’examen détaillé au n° 62.
Premièrement , le travailleur doit établir l’atteinte médicale, l’ennui de santé en tant que tel. Il s’agit ici d’une preuve d’ordre médical.
Deuxièmement , la condition d’exposition au risque professionnel doit être vérifiée. La condition est présumée dans le secteur public, mais non dans le secteur privé. La condition s’examine donc différemment selon la législation applicable.
Dans le secteur public , c’est l’examen de la preuve contraire qui est pertinent. L’objet de celle-ci ne diffère pas de celui que nous avons détaillé pour les maladies de la liste, à la différence que l’examen s’opère au départ de toutes les caractéristiques du milieu du travail, et non du risque (précis) visé dans la liste.
Dans le secteur privé, la preuve de la condition incombe à l’assuré social. Les étapes d’examen sont identiques à celles énoncées supra (n° 79), étant entendu que les « influences nocives » ne sont pas limitées ; toutes celles qui apparaissent pertinentes eu égard à la pathologie en cause doivent être prises en considération. Les influences pertinentes sont celles qui sont mises en relation, par la littérature scien-
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tifique ou l’analyse médicale, avec le type de pathologie présentée par la victime.
Troisièmement, le travailleur doit établir le rapport causal (exigé par l’article 30bis) entre la pathologie et l’exposition au risque professionnel. L’objet de cette preuve est que la maladie ne serait pas survenue telle qu’elle se présente (au moment et dans l’ampleur constatée) sans l’exercice de la profession, même si l’exposition au risque n’a joué qu’un rôle aggravant modeste. Pour le dire autrement, il doit être médicalement reconnu que la maladie ne se serait pas déclarée ou se serait déclarée dans d’autres conditions et, notamment, ne se serait pas déclarée au moment où elle est apparue ou se serait déclarée moins gravement sans le facteur professionnel. Le lien causal doit donc aussi être retenu dans l’hypothèse où l’exposition au risque (le travail concret) n’a eu qu’un effet aggravant.
CONCLUSION
81. Pour conclure cette étude, quelques considérations autour des enjeux qu’impliquent les conditions juridiques de reconnaissance des maladies professionnelles.
Certes, les conditions d’octroi déterminent tout d’abord et essentiellement un droit individuel à l’indemnisation. La reconnaissance de la maladie professionnelle indemnisable est en effet le préalable – la condition d’octroi – indispensable pour que le travailleur accède à la réparation forfaitaire. Le droit à la réparation présente donc une dimension économique individuelle incontestable. Il touche cependant aussi à l’équité sociale, en ce sens que le régime de réparation – acquis social historique – concerne ceux qui mettent leur force de travail à disposition d’autres, qui en déterminent les conditions, et donc les risques264.
Le droit à la réparation a cependant une portée plus large, dès lors qu’il compense l’insuffisance de la prévention des risques professionnels. C’est l’absence (ou le cas échéant l’échec) de celle-ci qui impose la voie de l’indemnisation. Or, dans l’état actuel du droit, il existe peu de mécanismes dotant d’une réelle effectivité le droit de la santé et de la sécurité au travail265. Ses prescriptions sont ainsi loin d’être respectées dans tous les milieux de travail. Ce faisant, le droit des travailleurs à la prévention primaire (éviter les risques) et secondaire (éviter les dommages découlant des risques) n’a que peu d’efficience concrète, la prévention – lorsqu’elle est mise en œuvre – se concentrant le plus souvent sur le niveau tertiaire de la prévention (réduire les dommages). Dès lors que cet état de fait est globalement accepté au sein de la société, il renvoie nécessairement la question vers la branche de la sécurité sociale qui en assume l’indemnisation, à savoir les régimes de réparation des risques professionnels.
264 Dans une telle relation, le donneur d’ordre (l’employeur) détermine les conditions de travail au sens large, à savoir toutes celles qui découlent – directement ou indirectement – de la nature de l’activité générale déployée par lui et de celle spécifique au travailleur (et qui fait l’objet de la relation de travail) ainsi que de l’ensemble des aspects organisationnels de ces activités, qu’ils soient le fait de choix de l’employeur (motivés par des considérations commerciales, budgétaires ou financières) ou qu’ils découlent des contraintes liées aux activités en cause. Ces aspects sont, isolément ou de manière combinée, susceptibles d’induire des atteintes à la santé des travailleurs. C’est précisément parce que ces risques découlent de l’activité subordonnée – et sont donc imposés – que le droit à la réparation des dommages effectivement présentés constitue un acquis social et une exigence d’équité sociale.
265 Voy. J.-Fr. NEVEN et S. REMOUCHAMPS, « Renforcer le contentieux stratégique en matière de santé au travail », in V. DE GREEF et J.-F. NEVEN (dir.), Quel droit de la santé au travail après la pandémie de Covid-19 ? Actes en hommage à Laurent Vogel , P.U.B., à paraître.
De plus, la Recommandation de 1962 sur les maladies professionnelles rappelle que « la reconnaissance qu’une affection est liée à un risque professionnel fait porter une attention particulière sur ce risque et entraîne une amélioration de la prévention puisque le danger est mis en lumière, que les mesures préventives sont préconisées et que des contrôles plus efficaces peuvent s’exercer lorsque le risque existe », tout en soulignant que les travaux et recherches menés en vue de la reconnaissance des maladies professionnelles aident « indirectement, mais de façon non négligeable, la prévention des maladies professionnelles et faciliteront la tâche des médecins du travail »266. L’indemnisation – qui suppose la reconnaissance des maladies professionnelles – est donc un levier de la prévention : « Au-delà de la dimension individuelle de l’indemnisation, il existe ainsi une dimension collective à travers la mise en visibilité de risques déterminés et de leur impact sur la santé »267
Or, plus les conditions d’accès à la réparation sont restrictives, plus ces apports individuels et collectifs disparaissent.
Soulignons encore les enjeux qui se cachent derrière la qualité de la législation elle-même. Son caractère imprécis laisse une importante marge d’appréciation et d’interprétation, dont dérivent une série de difficultés auxquelles se confronte l’ensemble des acteurs de la branche. Nous nous limitons ici à quelques considérations. Tout d’abord, il est patent que cette imprécision a favorisé (voire entraîné) des logiques et pratiques administratives de généralisation et d’abstraction de l’examen du risque professionnel, qui en occultent la réalité (contribuant ainsi au phénomène d’« invisibilisation »). Les possibilités concrètes pour les assurés sociaux de contester les positions administratives –et donc d’obtenir un examen individualisé de leur cas – sont fonction de l’aide que le travailleur doit pouvoir trouver sur le plan juridique et technique (notamment médical). Or, les acteurs spécialisés font défaut sur une grande partie du territoire268. De plus, le terrain judiciaire est, dans les faits, extrêmement conflictuel. FEDRIS multiplie en effet les contestations269, notamment en vue d’empêcher le recours à l’expertise270 ou de faire valider ses options d’interprétation.
266 Voy. également Commission de réforme des Maladies professionnelles du 21e siècle. Rapport final , SPF Sécurité sociale, p. 9 : « La plupart des recherches entreprises dans différents pays indiquent qu’une reconnaissance des maladies professionnelles contribue généralement à une amélioration de la prévention ».
267 Ibid.
268 L’expertise est concrètement – tout comme le contentieux judiciaire – très localisée dans la région liégeoise.
269 Sans discuter ici les mérites de ces contestations et des stratégies judiciaires constatées sur le terrain, il faut néanmoins souligner que ces pratiques conduisent les victimes à vivre un marathon judiciaire, ce qui peut les décourager de recourir à la justice, alors que, rappelons-le, elles sont malades.
270 La complexité technique de la matière n’est pas discutable (les développements qui précèdent en témoignent indiscutablement). Pourtant l’examen de la jurisprudence démontre que FEDRIS conteste – semble-t-il systématiquement – le recours à l’expertise sollicité par l’assuré social pour administrer, via cette mesure d’instruction, les éléments de preuve à sa charge. Si les juridictions du travail ne sont pas insensibles aux arguments exigeant des assurés sociaux des éléments de preuve étayant une contestation sérieuse, il a néanmoins été opportunément rappelé que « le droit de recours effectif d’un assuré social contre une décision de FEDRIS suppose de placer la barre des exigences qui permettent de désigner un expert à un niveau raisonnable » (C. trav. Liège, div. Liège, 22 mai 2017, R.G. 2015/AL/340, inéd.), de même qu’a été constatée « l’asymétrie dans les savoirs et dans les ressources entre FEDRIS et les assurés sociaux » : « Si FEDRIS compte dans ses rangs des médecins et des ingénieurs spécialisés qui ont accès à la littérature médicale et technique spécialisée dans le domaine des maladies professionnelles, les assurés sociaux sont en difficulté objective lorsqu’il s’agit d’apporter des éléments pertinents
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Or, si ces dernières peuvent à la rigueur271 se concevoir dans le contexte d’un traitement administratif avec des moyens humains limités d’une masse de demandes, les pratiques d’abstraction se heurtent à la réalité de l’examen judiciaire. Constitutionnellement, le juge est en effet l’interprète de la loi, donc nécessairement amené à développer une lecture de la législation qui ne peut être polluée par des « partis pris » pragmatiques touchant à la gestion des demandes ou aux aspects budgétaires. En outre, le juge est tenu de dégager une solution dans un cas individuel et ses circonstances concrètes, lesquelles ne peuvent être écartées au
de nature à établir une exposition au risque. C’est pour ce motif que, dans la matière des maladies professionnelles, le recours à l’expertise est un mode de preuve particulièrement adapté chaque fois qu’une contestation raisonnable est portée devant le juge » (C. trav. Liège, div. Liège, 5 mars 2018, R.G. 2016/AL/502). La réflexion à ce sujet peut être prolongée du côté de la raison d’être des juridictions spécialisées (« pallier [le] déséquilibre entre les parties et [les] moyens insuffisants de ceux qui n’ont pas nécessairement la capacité de soutenir un débat sur des questions complexes ») et de la circonstance que le droit de la preuve est conçu « pour un contexte contradictoire basé sur l’égalité des parties », qui se ne retrouve pas dans le contentieux des maladies professionnelles, de sorte qu’une application « trop rigide » de ces règles peut « produire une injustice structurelle » sabotant le droit à la réparation instauré par le législateur (K. LIPPEL, « L’incertitude des probabilités en droit et en médecine », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, vol. 22, 1991-1992/2, pp. 467 et 469).
271 Mais en retrait des exigences de la Charte de l’assuré social et des principes de bonne administration.
profit d’approches abstraites. La complexité du jugement qui en découle – avec la charge de travail qui y est liée – est incontestablement un enjeu autonome, qui devrait inciter à revoir les cadres et moyens de la justice mais également à éclaircir et simplifier la réglementation, en tenant compte des réalités en termes d’accessibilité des données (spécialement celles qui portent sur l’exposition professionnelle des travailleurs) et, de préférence, en opérant des liens avec les obligations de prévention.
Enfin, l’exploration minutieuse de la législation et de son application mène à un constat paradoxal. Dans certains cas, il semble plus aisé d’obtenir la reconnaissance du droit à la réparation sur le terrain du droit commun, c’està-dire dans le cadre du triptyque de la responsabilité civile. L’atrophie du risque professionnel indemnisé par la sécurité sociale entraîne corrélativement une réduction considérable du champ d’application de l’immunité de l’employeur. Sans doute le terrain de sa responsabilité civile devrait-il être effectivement investi par les travailleurs pour qu’on redécouvre l’intérêt d’un régime de réparation au fondement spécifique, dont l’un des moteurs est aussi la protection des intérêts des employeurs.
Sophie REMOUCHAMPS
Avocate, maître de conférences à l’ULB (Centre de droit public et social) asbl Terra Laboris
Asbest: stand van zaken – tien jaar later*
INLEIDING
1. In deze bijdrage worden enkele belangrijke rechterlijke uitspraken inzake de asbestschadevergoedingsproblematiek geduid1. Deze bijdrage sluit daarmee aan bij het tien jaar eerder in dit tijdschrift gepubliceerde overzicht ‘Sur le front de l’amiante’ van L. Vogel2
1. ONTWIKKELING VAN HET ASBESTFONDS
2. Het gebruik van asbest is een van de meest controversiële kwesties in de industriële mineralenindustrie. Asbestmineralen werden in het verleden op grote schaal ontgonnen en commercieel geëxploiteerd. Asbestmineralen (een verzamelnaam voor verschillende soorten silicaatmineralen) beschikken over een aantal bijzonder nuttige eigenschappen: een groot isolerend vermogen, onbrandbaarheid en slijtvastheid. Asbest is echter een wolf in schapenvacht gebleken. Doordat asbestvezels in het lichaam niet afbreekbaar zijn, kan bloostelling eraan ernstige gezondheidsschade opleveren. In de loop der jaren is het besef gegroeid dat asbest zeer schadelijk kan zijn voor de gezondheid. Toch werden asbeststoffen nog tot eind van de vorige eeuw op grote schaal geproduceerd en gebruikt in alle industriële landen. In België geldt pas sinds
* “Le point sur l’amiante, dix ans après” (n.v.d.r.).
1 Deze tekst is een herwerking en een actualisering van mijn bijdrage “Analyse van de wet van 5 mei 2019 tot verbetering van de schadeloosstelling voor asbestslachtoffers: een (eerste) doorbreking van de verjaring bij persoonsschadevorderingen”, RW 2019-20, 1403-1410.
2 Soc.Kron. 2012, 277-281.
eind 1998 een totaal verbod op het gebruik, het hergebruik en het op de markt brengen van asbesthoudende producten. Binnen de Europese Unie werd een compleet verbod tegen het op de markt brengen van asbesthoudende materialen zelfs pas sinds 2005 definitief van kracht3
3. Met de Programmawet (I) van 27 december 20064 werd een Schadeloosstellingsfonds voor asbestgetroffenen opgericht (hierna verkort: het ‘Asbestfonds’) binnen het Fonds voor de beroepsziekten5, de voorloper van het huidige Fedris6 Door de oprichters wordt in de memorie van toelichting verwezen naar de ravages die asbest heeft aangericht en het massale gebruik ervan in het verleden, hoewel de toxiciteit ervan reeds vele decennia eerder zou zijn aangetoond. Asbestgetroffenen zouden een unieke en specifieke maatschappelijke positie bekleden, op grond waarvan ze recht zouden hebben op een bijzondere vergoedingsregeling binnen het socialezekerheidsrecht7. Het Asbestfonds opereert autonoom
3 Zie hierover E. DE KEZEL, Asbest, gezondheid en veiligheid. Ontwikkelingen in het aansprakelijkheidsrecht, Antwerpen, Intersentia, 2013 (deel 2: de regulering van asbest in nationaal en internationaal verband).
4 Programmawet (I) 27 december 2006, BS 28 december 2006 (hierna verkort: ‘Programmawet’).
5 Art. 114 Programmawet.
6 Sinds 1 januari 2017 is het Fonds voor de beroepsziekten gefuseerd met het Fonds voor arbeidsongevallen via het nieuw opgerichte Federaal agentschap voor de beroepsrisico’s (Fedris) (KB 23 november 2017 tot wijziging van de arbeidsongevallen- en beroepsziektenwetgeving ter uitvoering van artikel 16 van de wet van 16 augustus 2016 met betrekking tot de fusie van het Fonds voor arbeidsongevallen en het Fonds voor de beroepsziekten)
7 Zie ook in deze zin het Nederlandse regeringskabinet: Kamerstukken (1996/97, 25000 XV nr. 58, 5-6).
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van het aansprakelijkheidsrecht. Het kan asbestgetroffenen rechtstreeks vergoeden, wat de slachtoffers bevrijd van hun juridische lijdensweg, te weten een zware en onzekere proceslast. Dat is met name van belang bij mesothelioom, een kanker aan het long- of buikvlies8, veroorzaakt door asbest, waar de gemiddelde doorlooptijd tussen de diagnose en het overlijden slechts twaalf tot achttien maanden bedraagt. Asbestgetroffenen die een beroep doen op het Asbestfonds (of op een gelijkaardige buitenlandse vergoedingsregeling) verliezen wel het recht om een aansprakelijkheidsvordering in te stellen tegen de werkgevers/bedrijven die bijdragen aan het Asbestfonds9, behoudens het bewijs van opzettelijke fout.
4. Met ‘opzet’ wordt voor de regeling Asbestfonds gelijkgesteld, en dit naar analogie van de notie opzet in de beroepsziektenregeling10:
“Iedere derde aansprakelijke die het slachtoffer heeft blijven blootstellen aan het risico van bloostelling aan asbest terwijl een Belgische overheid hem een bevel met betrekking tot asbest of met een weerslag op de blootstelling aan asbest heeft gegeven en waaraan geen gevolg wordt gegeven of waarnaar hij zich niet strikt voegt en dit binnen de vastgestelde termijn, wordt beschouwd als een persoon die de ziekte opzettelijk heeft veroorzaakt11.”
5. Gelet op de grote latentie waarmee de wetgever destijds is overgegaan tot het uitvaardigen van asbestreglementering en de belangrijke beperkingen van de inspectiediensten bij het handhaven van asbestbeschermende maatregelen, is deze mogelijkheid veeleer theoretisch, minstens wat de belangrijke asbestblootstellingen in het verleden betreft. Het Asbestfonds kan na de betaling van een vergoeding wel verhaal uitoefenen tegen de schadeveroorzaker. Indien de veroorzaker evenwel een bijdrage heeft geleverd aan het Asbestfonds, kan het Asbestfonds dit verhaal enkel uitoefenen bij de hierboven vermelde ‘opzettelijke fout’, wat ook de mogelijkheid tot regres door het Asbestfonds zelf uitermate theoretisch maakt12
6. Het Asbestfonds trad in werking op 1 april 200713. Bij de oprichting van het Asbestfonds werd bepaald dat deze nieuwe socialezekerheidsregeling geldt voor alle slachtoffers van asbestziekten14 (destijds echter enkel: mesothelioom, asbestose en met asbestose gelijkgestelde bilaterale diffuse pleuraverdikkingen)15. Bijzonder revolutionair was wel, en daarop
8 Mesothelioom is een zeldzame vorm van kanker aan het longvlies (pleuraal mesothelioom) of aan het buikvlies (peritoneaal mesothelioom), veroorzaakt door een blootstelling aan asbest. Buikvlieskanker treedt doorgaans op na een hoge beroepsmatige blootstelling aan asbest. Longvlieskanker kan ook optreden na een korte blootstelling aan asbest. Louter in theorie kan één asbestvezel mesothelioom veroorzaken. De kans dat mesothelioom ontstaat na het inademen van één vezel is echter verwaarloosbaar klein. Hoe hoger de concentratie aan ingeademde asbestvezels, hoe groter het risico wordt ingeschat. Symptomen van mesothelioom zijn pijn in de borst, kortademigheid, hoesten en vermagering.
9 Art. 125, § 1 Programmawet. Opmerkelijk is dat, hoewel de wetgever heeft bepaald dat de Koning via bestuursmaatregel (Koninklijk Besluit) de categorieën van werknemers kan aanduiden die bijdrageplichtig zijn aan het Asbestfonds, er uiteindelijk geen selectie is gemaakt onder de werkgevers die het risico op asbestschade door hun activiteiten hebben verhoogd.
10 Art. 51 Beroepsziektenwet (wetten betreffende de preventie van beroepsziekten en de vergoeding van de schade die uit die ziekten voortvloeit, gecoördineerd op 3 juni 1970, BS 27 augustus 1970).
11 Art. 125, § 2 Programmawet.
12 Art. 125, § 1 Programmawet.
13 KB ter uitvoering van hoofdstuk VI, van titel IV van de Programmawet (I) van 27 december 2006 tot oprichting van een Schadeloosstellingfonds voor asbestslachtoffers van 11 mei 2007, BS 29 mei 2007.
14 Art. 118 Programmawet.
15 In art. 1, 6° en 7° KB 11 mei 2007 ter uitvoering van hoofdstuk VI, van titel IV van de Programmawet (I) van 27 december 2006 tot
sloeg de bepaling ‘alle’, dat niet alleen de als gevolg van een professionele blootstelling getroffenen van een asbestziekte, maar ook de als gevolg van een niet-professionele blootstelling (huisgenoten, consumenten, buurtbewoners) getroffenen in aanmerking komen voor een vergoeding. Verwacht wordt dat de komende jaren het aantal niet-professionele asbestgetroffenen proportioneel zal stijgen omwille van de asbestveiligheidsreglementering die een blootstelling in de professionele sfeer vanaf eind de jaren 1970 sterk verminderde. Het Asbestfonds heeft in 2017 ook nog een preventieve opdracht gekregen16
2. TWEE MARKANTE ASBESTUITSPRAKEN
7. Het afgelopen decennium sprongen twee markante asbestuitspraken van burgerlijke rechtscolleges in het oog, met name het vonnis van de rechtbank van eerste aanleg (22ste Kamer) te Brussel van 28 november 201117 en het arrest van de eerste kamer van het hof van beroep te Brussel van 29 maart 201718 in een zelfde zaak van niet-professionele blootstelling. Beide uitspraken vormden ook een belangrijke trigger voor de wetgever, die het lot van asbestgetroffenen de afgelopen jaren verder ter hand heeft genomen (zie hierna randnrs. 11 e.v.).
8. De feiten van deze zaak kunnen als volgt worden samengevat. Een vrouw, die in de onmiddellijke nabijheid van een voormalig asbestbedrijf woonde van 1957 tot 1991, kwam daardoor, en via de werkkledij van haar echtgenoot, in aanraking met asbest. Haar echtgenoot was tot 1986 werkzaam geweest bij dit naburige asbestbedrijf. In 1999 werd vastgesteld dat de vrouw aan een asbestgerelateerde kanker (mesothelioom) leed. De vrouw overleed het jaar nadien. In tussentijd had ze een aansprakelijkheidsvordering ingesteld tegen het (voormalige) asbestbedrijf (Eternit).
Wat de burgerrechtelijke verjaring betreft die het bedrijf opwierp, oordeelde de eerste rechter dat het schadegeval onder toepassing van de overgangsregeling van de verjaringswet van 1998 valt19. Het hof van beroep sloot zich daarbij aan. Beide rechtscolleges oordeelden ook dat de vordering nog
oprichting van een Schadeloosstellingfonds voor asbestslachtoffers worden de ziekten ‘mesothelioom’ en ‘asbestose’ als volgt gedefinieerd: ‘mesothelioom’: primaire maligne epitheliale, sarcomateuze of gemengde tumor van de pleura, het peritoneum of het pericard; ‘asbestose’: de longfibrose, veroorzaakt door asbest. Zijn voor de toepassing van onderhavig besluit gelijkgesteld aan asbestose de diffuse bilaterale pleuraverdikkingen, veroorzaakt door asbest.
16 Het Asbestfonds heeft als bijkomende taak, op voorstel van het Beheerscomité voor de beroepsziekten, preventieprojecten en projecten van academisch onderzoek te financieren die verband houden met de asbestproblematiek (art. 113 Programmawet). De nieuwe wet van 5 mei 2019 heeft daar nu aan toegevoegd: ‘projecten ter begeleiding van de slachtoffers’.
17 Rb. Brussel (22ste k.) 28 november 2011, AR 00/5546/A, www.juportal.be
18 Brussel 29 maart 2017, AR 2012/AR/1747, www.juportal.be
19 De overgangsbepaling van de wet van 27 juli 1998 (art. 10) bepaalt dat een vordering tot vergoeding van schade die ontstaan is voor de inwerkingtreding van de nieuwe wet (dus voor 27 juli 1998) in ieder geval op 27 juli 2018 (te weten twintig jaar na inwerkingtreding van de wet) verjaart, tenzij de verjaring op grond van de (oude) dertigjarige verjaringstermijn reeds eerder zou zijn ingetreden. Door de nieuwe verjaringstermijnen (vijfjarige korte verjaringstermijn en twintigjarige lange verjaringstermijn) een aanvang te laten nemen vanaf de inwerkingtreding van de nieuwe wet (en niet vanaf het ontstaan van de vordering) heeft de wetgever willen voorkomen dat bestaande vorderingen door de inwerkingtreding van de nieuwe Verjaringswet en de daarin voorziene verkorte termijnen van de ene op de andere dag zouden verjaren. De overgangsregeling vindt toepassing in die gevallen waarin zowel het schadeverwekkend feit als het intreden van schade voor de inwerkingtreding van de nieuwe Verjaringswet zijn te situeren, voor zover de oude verjaringstermijn nog niet is verstreken (zie hierover P. DE SMEDT, “Toepassing in de tijd van de gewijzigde verjaringstermijnen” in H. BOCKEN
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niet verjaard was. De door de eerste rechter aangestelde deskundige had bevestigd dat de vrouw overleden was als gevolg van een blootstelling aan asbest in haar (leef)milieu en dat er geen formeel bewijs kon worden geleverd dat de blootstelling aan asbest zich vóór 1970 situeerde. Volgens beide rechtscolleges deed de blootstelling aan asbest zich aldus voor tot in 1991, ogenblik waarop de getroffene verhuisd was. O.i. kan deze redenering vanuit epidemiologisch oogpunt nochtans wel worden bekritiseerd. Er moet immers rekening worden gehouden, wat de statistische risicoberekening betreft, tussen een mogelijke blootstelling voor én na de jaren 1980. Vanaf de jaren 1980 werd een dwingende asbestveiligheidsregelgeving uitgevaardigd, waardoor de omvang van de blootstelling na verloop van tijd zeer verschillend was. Medisch-klinisch is het op dit moment nog niet duidelijk of en welke risico’s een geringe blootstelling aan asbest in de leefomgeving oplevert. Wel kan worden vastgesteld dat wegens de lange latentietijd tussen de blootstelling aan asbest en mesothelioom (zie hierna), de kans dat een geval van mesothelioom veroorzaakt werd door een asbestblootstelling twee decennia geleden of eerder, voorafgaand aan de manifestatie van de ziekte, statistisch bijzonder klein is20
9. De eerste rechter nam, wat de uiteindelijke vaststelling van fout betreft, aan dat het voormalige asbestbedrijf ernstig tekortgeschoten was door het niet-waarschuwen voor gezondheidsrisico’s bij de productie van asbest. Het hof oordeelde dat het bedrijf – aangezien het gaat om voor het bedrijf (soms al lang) bekende gevaren of risico’s – te weinig heeft gedaan voor de bescherming van zijn werknemers en omwonenden. Ook hierin is het hof de eerste rechter gevolgd. Uit de beide uitspraken blijkt dat het zowel voor de rechtbank als voor het hof niet veel uitmaakte of Eternit als werkgever van de echtgenoot dan wel als verontreiniger van het leefmilieu in de omgeving werd aangesproken. Van een onderneming die asbest produceert en in het verkeer brengt, mag eenzelfde zorgvuldigheid worden verwacht tegenover derden (huisgenoten en omwonenden), als het tegenover de eigen werknemers in acht heeft te nemen, was de gedachte. O.i. kan de zorgvuldigheidsplicht die werkgevers in acht moeten nemen tegenover hun eigen werknemers, echter niet zomaar een-op-een worden doorgetrokken naar huisgenoten en buurtbewoners, tegenover wie geen bijzondere contractuele zorgplicht als werkgever bestaat.
10. Het hof van beroep heeft de vergoedingen die uiteindelijk werden uitgekeerd, wel sterk verminderd. De door de eerste rechter toegekende schadevergoeding van 250.000 euro meer intresten werd herleid tot een schadevergoeding van 24.820 euro meer intresten. Er werd geen cassatieberoep aangetekend tegen deze uitspraak van het hof van beroep te Brussel die, net zoals de eerste uitspraak van de rechtbank te Brussel, veel media- en politieke aandacht kreeg.
3. WETGEVENDE TUSSENKOMSTEN TOT VERBETERING VAN DE POSITIE VAN ASBESTGETROFFENEN: VERRUIMING VAN DE CATEGORIE AANSPRAAKGERECHTIGDEN21
11. Zoals hierboven vermeld, heeft de wetgever na deze uitspraken het lot van de asbestgetroffenen verder ter hand genomen. De wetgever heeft de verjaringstermijn in asbestschadezaken gewijzigd (zie randnr. 20 e.v.). Daarnaast heeft de wetgever de categorie van de aanspraakgerechtigden op
e.a., De herziening van de bevrijdende verjaring door de Wet van 10 juni 1998, De gelijkheid hersteld?”, Antwerpen, Kluwer, 1999, p. 146).
20 Zie hierna randnr. 21, met verwijzing naar epidemiologische studie.
21 Wet 5 mei 2019 tot verbetering van de schadeloosstelling voor asbestslachtoffers, BS 22 mei 2019 (hierna verkort: de ‘wet (van) 5 mei 2019’).
De wet 5 mei 2019 trad in werking op 1 juni 2019.
een asbestvergoeding verruimd22. Oorspronkelijk konden enkel personen die getroffen zijn door mesothelioom en asbestose (en de met asbestose gelijkgestelde bilaterale diffuse pleuraverdikkingen23) en, in geval van overlijden, hun eventuele nabestaanden24, aanspraak maken op een vergoeding van het Asbestfonds25. Dit in tegenstelling tot bijvoorbeeld het Asbestfonds in Frankrijk (‘FIVA’), waarbij alle asbestgetroffenen aanspraak kunnen maken op een vergoeding, ook in geval van ‘gewone’ pleurale plaques26 Dat is destijds een weloverwogen keuze van de wetgever geweest. In Frankrijk nemen sedert de oprichting van het FIVA de gevallen van longkanker en pleurale plaques bijvoorbeeld het grootste gedeelte van het budget van het Asbestfonds voor hun rekening27. Hoewel longkanker en larynxkanker, veroorzaakt door asbest, bijvoorbeeld al erkend werden als beroepsziekte op de lijst van beroepsziekten28 (sinds 1999, resp. 2002), vielen ze nog buiten de regeling van het Asbestfonds. Dat bleek vanuit het perspectief van de maatschappelijke erkenning van ‘alle’ asbestgetroffenen moeilijk vol te houden.
12. Krachtens de wet van 5 mei 2019 komen sinds 1 september 2019, naast de hierboven reeds vermelde asbestgerelateerde aandoeningen (asbestose en mesothelioom), krachtens artikel 118, 4° en 5° nu ook larynxkanker, veroorzaakt door asbest, en longkanker, veroorzaakt door asbest, voor vergoeding in aanmerking. Zeer recent, afgelopen juni 202229, werd bovendien ook eierstokkanker, veroorzaakt door asbest, bijkomend toegevoegd aan de lijst van vergoedbare asbestgerelateerde aandoeningen in het kader van het Asbestfonds30
22 De aanzet tot deze wetswijziging was het wetsvoorstel van Valerie VAN PEEL , Renate HUFKENS en Yoleen VAN CAMP houdende wijziging van het Burgerlijk Wetboek en van de Programmawet (I) van 27 december 2006 wat de schadeloosstelling voor asbestslachtoffers betreft, Parl.St. Kamer 2015-16, nr. 54K2002/001. Ook andere wetsvoorstellen strekten ertoe de positie van asbestslachtoffers te verbeteren op het vlak van de uitbreiding van het aantal asbestziekten, de verjaring van asbestschadevorderingen en het opheffen of het beperken van de immuniteitsregeling ten aanzien van de aan het Asbestfonds bijdrageplichtigen, met name: het wetsvoorstel van Muriel GERKENS en Anne DÉDRY tot wijziging van de Programmawet (I) van 27 december 2006, wat het Asbestfonds betreft, Parl.St. Kamer 2015-16, nr. 54K1666/001 en het wetsvoorstel van Catherine FONCK ertoe strekkende de werking van het Asbestfonds te verbeteren en beter rekening te houden met de asbestslachtoffers, Parl.St. Kamer 2016-17, nr. 54K2453/001.
23 Art. 1, 7 KB 11 mei 2007 ter uitvoering van hoofdstuk VI, van titel IV van de Programmawet (I) van 27 december 2006 tot oprichting van een Schadeloosstellingfonds voor asbestslachtoffers.
24 Indien het slachtoffer geen aanvraag heeft ingediend met toepassing van deze wet, beschikken de rechthebbenden over een termijn van zes maanden te rekenen van het overlijden van het slachtoffer om een aanvraag in te dienen, voor zover het overlijden na 31 maart 2007 heeft plaatsgevonden (art. 120, § 2, 3° Programmawet).
25 Art. 118, § 1 en 2 Programmawet.
26 Pleurale plaques zijn goedaardige verdikkingen van de pleura die reeds bij een relatief lage en korte expositie aan asbest kunnen optreden. De aan- of afwezigheid van pleurale plaques heeft geen invloed op de mogelijkheid om later een asbestgerelateerde kanker te ontwikkelen, maar vormt wel een ‘bewijs’ van de aanwezigheid van een asbestblootstelling bij de getroffene.
27 Zie jaarverslagen Fiva, www.fiva.fr.
28 Zie http://fedris.be/sites/default/files/assets/NL/Medische_documentatie_ BZ/Lijsten/belgische_lijst_van_de_beroepsziekten_1.pdf
29 Wet 14 juni 2022 tot wijziging van de Programmawet (I) van 27 december 2006, teneinde eierstokkanker toe te voegen aan de lijst van de ziekten die door het Asbestfonds worden vergoed, BS 9 augustus 2022 (hierna verkort: de ‘wet (van) 14 juni 2022’).
30 In de medische literatuur wordt al langere tijd een verband gelegd tussen de blootstelling aan asbest en het risico op het ontstaan van eierstokkanker. Cohortstudies van vrouwen die langdurig werden blootgesteld aan asbest op het werk, waaronder een studie van vrouwen in het Verenigd Koninkrijk die gasmaskers vervaardigden tijdens de Tweede Wereldoorlog, vermeldden een verhoogd risico op
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Bovendien werd daarnaast nog een opening gecreëerd om ook andere asbestgerelateerde ziekten makkelijker te erkennen via koninklijk besluit. In de plaats van de met asbestose gelijkgestelde bilaterale diffuse pleuraverdikkingen werd immers bepaald dat ook “andere ziekten […] waarvan is bewezen dat ze op een beslissende manier het gevolg zijn van een blootstelling aan asbest” nu in aanmerking kunnen komen voor erkenning. Artikel 118 van de Programmawet luidt vandaag dus in die zin:
“Kunnen aanspraak maken op een tegemoetkoming door het Asbestfonds, onder de voorwaarden bepaald bij of krachtens deze wet de personen – alsook de rechthebbenden van deze personen – die getroffen zijn door:
1° mesothelioom;
2° asbestose;
3° andere ziekten bepaald door de Koning bij een besluit vastgesteld na overleg in de Ministerraad en waarvan is bewezen dat ze op een beslissende manier het gevolg zijn van een blootstelling aan asbest;
4° larynxkanker, veroorzaakt door asbest;
5° longkanker, veroorzaakt door asbest;
6° eierstokkanker, veroorzaakt door asbest (…).”
13. De erkenningsvoorwaarden en -modaliteiten verschillen daarbij wel nog naargelang van de soort asbestziekte.
Bij mesothelioom moet de aanvrager het bewijs leveren van een blootstelling aan het asbestrisico in België. Hij moet geen causaal verband aantonen tussen de blootstelling en de ziekte. Voor de overige asbestziekten moeten slachtoffers wel nog het bewijs leveren van een blootstelling aan het asbestrisico conform de medische en diagnostische criteria bepaald binnen de beroepsziekteregeling.
Voor larynxkanker en longkanker, veroorzaakt door asbest, is deze voorwaarde (in tegenstelling tot wat het geval is bij de andere asbestgerelateerde ziekten) nu expliciet in de Programmawet ingeschreven. Artikel 118 van de Programmawet (I) van 27 december 2006 (laatste lid) bepaalt met ingang van 1 juni 2019: “Aangaande de in 4° en 5° bedoelde ziekten [larynxkanker en longkanker] wordt met het oog op de tegemoetkoming van het Asbestfonds verondersteld dat het slachtoffer op gelijkaardige wijze aan asbest werd blootgesteld als vereist voor de erkenning van deze aandoeningen als beroepsziekten.”
Dit betekent concreet dat het slachtoffer van longkanker op dit moment, om in aanmerking te komen voor een vergoeding binnen de regeling Asbestfonds, zal moeten aantonen dat hij of zij beroepsmatig is blootgesteld geweest aan asbest gedurende tenminste tien jaar voor het verschijnen van de ziekte, én dat er minstens aan één van de volgende criteria voldaan is:
(1) het verrichten van beroepswerkzaamheden vóór 1985 gedurende minstens tien jaar in één van de limitatief opgesomde asbestgerelateerde beroepen (zoals asbestspinnerijen en weverijen, vervaardiging van frictie- en isolatiemateriaal, van brandbestendige deuren enz.), tenzij kan worden aangetoond dat de totale beroepsblootstelling minder dan 25 asbestvezeljaren bedroeg31;
eierstokkanker (zie hierover, met verdere verwijzingen, R. DOLL en J. PETO, “Effects on health of exposure to asbestos”, Report for the Health and Safety Commission, HSE Books 1985, zie www.hse. gov.uk/asbestos/exposure.pdf; zie recent ook onder meer J. LADOU, a.w., 285-290; E.D. ACHESON, M.J. GARDNER e.a., “Mortality of two groups of women who manufactured gas masks from chrysotile and crocidolite asbestos: a 40-year follow-up”, Br. J. Ind. Med. 1982, 344-348; S.D. HELLER, R.E. GORDON e.a., “Asbestos exposure and ovarian fiber burden”, Am. J. Ind. Med. 1996, 435-439).
31 Omdat het risico op blootstelling aan asbest vandaag het grootst is bij verwijderingsoperaties, geldt de beperking tot de periode voor 1985
(2) een beroepsmatige blootstelling aan asbest van minstens 25 asbestvezeljaren.
Het slachtoffer van larynxkanker zal dan weer moeten aantonen dat zijn blootstelling aan asbest ten minste 20 jaar vóór het verschijnen van de ziekte een aanvang heeft genomen én dat de betrokkene een beroepsblootstelling aan asbest heeft gehad die in het totaal ten minste 25 asbestvezeljaren bedraagt om in aanmerking te komen voor een vergoeding binnen het Asbestfonds. In beide gevallen is dit bewijs niet vereist wanneer kan worden aangetoond dat er ook sprake is van een aanwezigheid van asbestose of bilaterale diffuse pleuraverdikkingen, veroorzaakt door asbest. Voor de vergoeding van de sinds 2022 nieuw erkende eierstokkanker, veroorzaakt door asbest, is deze vereiste niet in de wet zelf ingeschreven. De website van het AFA vermeldt wel dat hier het bewijs van een asbestblootstelling gedurende een minimumduur van tien jaar voltijdse beroepswerkzaamheden moet worden geleverd, waarbij sprake moet zijn geweest van een significante asbestblootstelling32.
14. O.i. staan al deze criteria op gespannen voet met het uitgangspunt van de wettelijke regeling een tegemoetkoming te verstrekken aan alle slachtoffers van een asbestgebonden aandoening33. Het extrapoleren van de gegevens uit ‘high risk exposure areas’ in de professionele sfeer naar ‘low risk exposure areas ’ in het leefmilieu laat sowieso ook wetenschappelijk veel onduidelijkheid bestaan34
De vraag rijst dan ook of deze criteria die zijn uitgewerkt voor een asbestblootstelling in de professionele sfeer, zomaar kunnen worden toegepast op slachtoffers in het leefmilieu, omdat de aard en de intensiteit van de blootstelling in het leefmilieu per definitie anders zal zijn, én omdat het bewijs van de blootstelling, door middel van het aantonen van het vereiste aantal effectieve asbestvezeljaren, veel moeilijker te leveren zal zijn (zie reeds hierboven). O.i. zullen, naast de werknemers, vooral de zelfstandigen die in het verleden met asbest hebben gewerkt, het bewijs kunnen leveren van een voldoende aantal asbestvezeljaren om in aanmerking te komen voor een vergoeding op grond van een vastgestelde larynxkanker of longkanker. De wetgever heeft zodoende de rechten op een tegemoetkoming van het Asbestfonds aan milieuslachtoffers van longkanker, larynxkanker of eierstokkanker toch wel in zeer belangrijke mate ingeperkt.
15. Overigens moeten de aanvrager(s) ook altijd het bewijs leveren van een blootstelling aan het asbestrisico in België. Voor de slachtoffers van mesothelioom is dat voldoende. Hoe benadeelden van de overige asbestgerelateerde aandoeningen (en dan met name van de drie nieuw opgenomen ziekten: larynxkanker, longkanker en eierstokkanker) echter aannemelijk zullen kunnen maken dat zij zijn blootgesteld geweest aan het asbestrisico in België, is nog niet duidelijk. Het Asbestfonds zou aan de hand van een vragenlijst de meest waarschijnlijke oorzaak van blootstelling (in België of in het buitenland) trachten te achterhalen, hetgeen tot op
niet inzake beroepsactiviteiten die betrekking hebben op de afbraak van installaties en gebouwen die asbestmaterialen bevatten, en op de sanering van asbesthoudende bedrijven.
32 www.asbestfonds.be/home, geraadpleegd op 20 september 2022.
33 Vgl. M . VANDEWEERDT, «De noodzaak van blootstellingscriteria bij de uitvoering van de wet op de beroepsziekten», BTSZ 1989, 275-285.
34 R.H. WHITE, I. COTE, L. ZEISE, M. FOX, F. DOMINICI, T.A. BURKE, P.D. WHITE, D.B. HATTIS en J.M. SAMET, “State-ofthe-Science workshop report: Issues and approaches in low-dose-response extrapolation for environmental health risk assessment”, Environ Health Perspect. 2009, 283-287; M.M. MAULE, C. MAGNANI, P. DALMASSO, D. MIRABELLI, F. MERLETTI en A. BIGGERI, “Modeling mesothelioma risk associated with environmental asbestos exposure”, Environ Health Perspect. 2007, 1066-1071.
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vandaag niet problematisch zou zijn35. In geval van niet-professionele blootstellingen kunnen hier echter ook zware bewijsproblemen ontstaan.
16. Het Asbestfonds komt tegemoet ten voordele van iedere persoon getroffen door een ziekte die verband houdt met asbest, op voorwaarde uiteraard dat deze aanvraag uitmondt in een positieve beslissing van Fedris (art. 120, § 1, lid 1 Programmawet (I) 27 december 2006). Hierna volgt een overzicht van de door het AFA erkende gevallen van asbestgetroffenen in de periode 2011-202036:
4. ACTUELE VERGOEDINGSBEDRAGEN PER ASBESTZIEKTE
17. Wat de uit te keren vergoedingen betreft, lijst artikel 10 van het koninklijk besluit van 11 mei 2007 ter uitvoering van hoofdstuk VI, van titel IV van de Programmawet (I) van 27 december 200638 (hierna verkort: KB 11 mei 2007) de (te indexeren) bedragen op per erkende asbestziekte.
De asbestgetroffene heeft vandaag recht op volgende vergoedingen:
1° een forfaitaire maandelijkse rente van 2.059,20 euro indien hij getroffen is door mesothelioom. Daarnaast en bijkomend nog een forfaitaire vergoeding van 11.262 euro die gestort wordt binnen de maand volgend op de erkenning39;
2° een maandelijkse rente per procent lichamelijke ongeschiktheid, indien de benadeelde getroffen is door asbestose (art. 10 KB 11 mei 2007)40. Hier werd niet in een bijkomende forfaitaire vergoeding voorzien door de nieuwe wet.
Voor larynxkanker, longkanker en eierkanker, veroorzaakt door asbest, worden dezelfde vergoedingsbedragen toegekend als voor asbestose41, zodat de huidige vergoedingsbedragen als volgt schematisch kunnen worden weergegeven:
Aandoening Rechthebbende Uitkering
Mesothelioom Benadeelde Forfaitaire vergoeding van 11.262 euro
Maandelijkse rente van 2.059,20 euro
Nabestaande(n) Forfaitaire vergoeding
Overlevende partner: 41.184 euro
Overlevende kinderen: 34.320 euro
Overlevende voormalige partner die een onderhoudsuitkering genoot: 20.592 euro
Asbestose en met asbestose gelijkgestelde
bilaterale diffuse pleuraverdikkingen
Larynxkanker, veroorzaakt door asbest
Longkanker, veroorzaakt door asbest
Eierstokkanker, veroorzaakt door asbest
Benadeelde Maandelijkse rente van 20,59 euro x % invaliditeit42
Nabestaande(n) Forfaitaire vergoeding
Overlevende partner 20.592 euro
Overlevende kinderen: 17.160 euro
Overlevende voormalige partner die een onderhoudsuitkering genoot: 10.296 euro
18. In geval van overlijden komt het Asbestfonds tegemoet ten voordele van de rechthebbenden (overlevende
38 BS 29 mei 2007, erratum BS 11 juni 2007.
39 Art. 120, § 1, 3° Programmawet.
Hoewel over de weigeringsbeslissingen van Fedris in asbestdossiers voor de (daartoe bevoegde)37 arbeidsrechtbanken af en toe betwisting wordt gevoerd, valt op dat deze uitspraken nauwelijks gepubliceerd of becommentarieerd worden in de rechtsliteratuur.
35 Informatie verkregen van het Asbestfonds.
36 Statistisch jaarverslag Fedris, https://fedris.be/sites/default/files/assets/NL/Statistieken/Statistische_jaarverslagen_BZ/statistischverslag_2020.pdf, geraadpleegd op 20 september 2022.
37 Tegen de beslissingen betreffende de tegemoetkomingen van het Asbestfonds kan bij de arbeidsrechtbank beroep worden ingesteld, op straffe van verval binnen drie maanden na de betekening van de bestreden beslissing (art. 124 Programmawet (I) 27 december 2006).
40 Art. 120 Programmawet voorziet ook in een vergoedingsregeling voor hulp van derden voor asbestslachtoffers: “Indien de toestand van de persoon die door de in artikel 118 bedoelde ziekte getroffen wordt, de geregelde hulp van een andere persoon volstrekt noodzakelijk maakt, kan hij vanaf de dag van de aanvraag aanspraak maken op een bijkomende vergoeding, vastgesteld in functie van de noodzakelijkheid van deze hulp, op basis van het gewaarborgd gemiddeld maandelijks minimumloon, zoals voor een voltijds werknemer is vastgesteld bij collectieve arbeidsovereenkomst, gesloten in de schoot van de Nationale Arbeidsraad en van toepassing is op de datum waarop de bijkomende vergoeding wordt toegekend, voor zover die persoon geen vergoeding geniet voor dezelfde aandoening op grond van de wetten [inzake arbeidsongevallen en beroepsziekten].”
41 BS 9 augustus 2022.
42 Deze vergoeding wordt met de helft verminderd wanneer voor dezelfde ziekte een andere vergoeding wordt ontvangen van Fedris in het kader van de beroepsziektenregeling.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 552
Mesothelioom Aantal erkende gevallen 2011 184 2012 188 2013 212 2014 181 2015 208 2016 210 2017 228 2018 189 2019 227 2020 193 Asbestose Aantal erkende gevallen 2011 25 2012 15 2013 16 2014 8 2015 6 2016 7 2017 4 2018 2 2019 3 2020 8 Met asbestose gelijkgestelde ziekten Aantal erkende gevallen 2011 63 2012 29 2013 25 2014 26 2015 23 2016 34 2017 19 2018 14 2019 11 2020 10 Longkanker, veroorzaakt door asbest Aantal erkende gevallen 2020 71 Larynxkanker, veroorzaakt door asbest Aantal erkende gevallen 2020 4
partner43) en de kinderen van het slachtoffer die op het tijdstip van zijn overlijden te zijnen laste zijn (wat de kinderen betreft: nog gerechtigd zijn op kinderbijslag en in ieder geval tot 18 jaar)44. Het Asbestfonds keert ook een vergoeding voor begrafeniskosten uit die overeenkomt met de werkelijke kosten, met een maximum van 1.126,20 euro, aan de persoon die deze heeft gedragen, op voorwaarde dat geen enkele vergoeding als dusdanig werd toegekend krachtens de wetgeving inzake arbeidsongevallen en beroepsziekten45
19. De wetgever heeft via de wet van 5 mei 2019 ook de aanvangstermijn van de vergoedingsregeling versneld: de maandelijkse forfaitaire rente is nu verschuldigd vanaf de eerste dag van de maand waarin het bestaan van de erkende ziekte werd geobjectiveerd (lees: gediagnosticeerd). De wetgever heeft daarbij toch een zekere beperking van de inlooptermijn vooropgesteld: de schadeloosstelling kan niet eerder van start gaan dan de eerste dag van de vierde maand die voorafgaat aan de maand waarin de aanvraag werd ingediend46.
5. DE DOORBREKING VAN DE VERJARINGSTERMIJN VOOR ASBESTGETROFFENEN
20. Vanuit dogmatisch oogpunt wel de meest opmerkelijke vernieuwing die de wetgever recent naar aanleiding van de asbestschadeproblematiek heeft doorgevoerd, is de schrapping van de ‘lange’ buitencontractuele verjaringstermijn voor asbestgetroffenen die een aansprakelijkheidsvordering wensen in te stellen tegen de schadeveroorzaker, en de doorbreking van de verjaringstermijn in reeds verjaarde zaken. Het is al langer bekend: het recht op toegang tot de rechter kan op gespannen voet komen te staan met de wettelijke fictie dat rechtsvorderingen verjaren. Dat is met name het geval in asbestschadezaken, waar de vordering tot schadevergoeding al verjaard kan zijn nog voor de benadeelde kennis heeft gekregen van zijn schade.
21. Een van de kenmerken van asbestgerelateerde ziekten is dat er een zeer lange incubatieperiode kan verlopen tussen de periode van blootstelling aan asbest en het eigenlijke intreden van de ziekte: het gaat hier om langetermijnaansprakelijkheden of ‘risico’s met een lange staart’. In geval van asbestose kan de latentietijd tien tot twintig jaar bedragen, in geval van longkanker twintig tot dertig jaar en in geval van mesothelioom zelfs twintig tot meer dan veertig jaar. De termijn tussen het eerste moment van asbestblootstelling en het moment waarop de ziekte mesothelioom zich manifesteert, wordt statistisch steeds langer en bedraagt nu al gemiddeld 45 jaar. In het geval van een intense blootstelling (zoals een blootstelling aan asbest in de professionele sfeer) is de latentietijd gemiddeld korter dan in het geval van een geringe blootstelling aan asbest (zoals een blootstelling in het leefmilieu), waardoor verwacht wordt dat bij de stijgende groep van leefmilieuslachtoffers, de latentietijd nog kan stijgen. Dit concluderen Italiaanse onderzoekers na de
43 Naar de door het huwelijk of door de wettelijk samenleving met het rechtstreekse slachtoffer verbonden partner wordt in deze bijdrage verwezen als ‘partner’ (cf. art. 120, § 2 Programmawet). Zie ook V. ORBAN, “Régimes juridiques de communauté de vie et indemnisation des accidents mortels du travail : quand les ménages ne sont pas tous logés à la même enseigne”, Soc.Kron. 2022, 181-199. Zie ook de recente arresten van het Arbeidshof Antwerpen van 20 augustus 2019, 20 januari 2020 en 19 april 2021 (AR 2019/AA/35) en het arrest van het Grondwettelijk Hof van 28 mei 2020 (AR nr. 78/2020) over het begrip ‘partner’ in de zin van de Programmawet.
44 Art. 120, § 2 Programmawet.
45 Art. 120, § 3 Programmawet.
46 Art. 120, § 1, tweede lid Programmawet.
analyse van de gegevens van 2.544 patiënten die tussen 1993 en 2001 mesothelioom hebben ontwikkeld47
22. Naar huidig verjaringsrecht moet de benadeelde zijn (buitencontractuele) vordering tot schadevergoeding instellen binnen de vijf jaar, te rekenen vanaf de dag waarop hij kennis heeft gekregen van zijn schade en van de identiteit van de aansprakelijke schadeveroorzaker, daarbij ook rekening houdend met de lange ‘absolute’ termijn, die twintig jaar bedraagt, te rekenen vanaf de schadeverwekkende gebeurtenis.
Het belang van de rechtszekerheid dat wordt gediend door verjaring staat evenwel al langere tijd ter discussie in het geval van asbestgerelateerde gezondheidsschade. De figuur van de verjaring brengt naar zijn aard mee dat eventuele onbillijkheden jegens degene die door de verjaring zijn recht of zijn rechtsvordering verliest, op de koop toe moeten worden genomen omwille van de rechtszekerheid die een vaste termijn eist. Het gevolg is dat een schadeveroorzaker na het verstrijken van de verjaringstermijn niet meer in rechte kan worden aangesproken door de benadeelde, ook al verkeerde die laatste zelfs niet in de mogelijkheid eerder een vordering in te stellen, bijvoorbeeld omdat hij geen kennis kon hebben van zijn schade voor het verstrijken van de verjaringstermijn. Daar kan tegen worden ingebracht, dat het verjaren van een vordering eigenlijk alleen te rechtvaardigen is wanneer de benadeelde in staat was om zijn vordering geldend te maken, maar daar niet toe is overgegaan.
23. Het Europees Hof voor de Rechten van de Mens heeft in een belangrijk principearrest van 11 maart 201448 in een asbestzaak (het betrof een discussie over de Zwitserse beroepsziektenregeling) nu echter uitdrukkelijk bepaald dat, hoewel het recht op toegang tot de rechter geen absoluut recht is en onderworpen kan worden aan wettelijke beperkingen (zoals bv. het uitwerken van procedureregels), een beperking de uitoefening van dat recht niet onmogelijk mag maken. Doordat de vordering tot schadevergoeding van asbestgetroffenen verjaard kan zijn vooraleer hun schade is ingetreden of kenbaar geworden, worden zij in die omstandigheden in de kern van hun recht op toegang tot de rechter getroffen. Met die boodschap waarschuwde het Europees Hof de nationale lidstaten. Te rigide consequenties van de verjaringsregeling kunnen niet onverkort worden gehonoreerd wanneer ze een inbreuk inhouden op artikel 6 van het Europees Verdrag voor de Rechten van de Mens, het recht op toegang tot de rechter.
24. Ook de Belgische wetgever volgt nu deze lijn in asbestschadezaken. Artikel 125, § 5 van de Programmawet bepaalt in die zin dat in de gevallen waarin voor het slachtoffer in de regeling Asbestfonds ook nog een burgerlijkeaansprakelijkheidsvordering openstaat49, de vordering tot vergoeding van de schade door letsel of overlijden verstrijkt na vijf jaar te rekenen van de dag volgend op die waarop het slachtoffer zowel met de schade als met de daarvoor aansprakelijke persoon bekend is geworden, waarbij de lange ‘absolute’ termijn voortaan dus buiten beschouwing wordt gelaten50
47 A. M ARINACCIO e.a., “Analysis of latency time and its determinants in asbestos related malignant mesothelioma cases of the Italian register”, European Journal of Cancer 2007, 2722-2728.
48 EHRM 11 maart 2014 (Moor e.a./Zwitserland ), appl.n°s. 52067/10 en 41072/11, ECHR (069) 2014, zie http://hudoc.echr.coe.int
49 Art. 6 wet 5 mei 2019 tot verbetering van de schadeloosstelling voor asbestslachtoffers.
50 Men neemt aan dat het kennisvereiste naar Belgisch recht subjectief dient te worden ingevuld. De vijfjarige verjaringstermijn neemt dus een aanvang op het ogenblik dat de benadeelde effectief kennis heeft gekregen van zijn schade, en niet op het ogenblik dat de benadeelde
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25. De wetgever heeft daarnaast ook gekozen voor de nog veel meer revolutionaire optie om de verworven verjaring met terugwerkende kracht te doorbreken in zaken die op het ogenblik van de inwerkingtreding van de wet reeds verjaard zijn. Via artikel 10 van de wet van 5 mei 2019: “Een nieuwe verjaringstermijn van vijf jaar begint te lopen vanaf de dag volgend op die waarop de onderhavige wet in werking treedt voor de rechtsvorderingen tot vergoeding van schade voortvloeiend uit lichamelijke letsels of het overlijden, indien:
1. het feit waardoor de ziekte is veroorzaakt, zich heeft voorgedaan voor de inwerkingtreding van deze wet;
2. de aansprakelijke persoon de ziekte opzettelijk, zoals omschreven door artikel 125, § 2, tweede lid van de Programmawet (I) van 27 december 2006, heeft veroorzaakt, en
3. het slachtoffer en zijn rechthebbenden vóór de inwerkingtreding van deze wet kennis hebben gekregen van de schade voortvloeiend uit lichamelijk letsel of het overlijden, maar hun rechtsvordering tot vergoeding van deze schade op het ogenblik van de inwerkingtreding van deze wet reeds was verjaard.”
26. Hoewel de doorbreking van een verworven verjaring potentieel zeer verreikende gevolgen kan hebben voor het aantal schadevorderingen en de mogelijke haalbaarheid van de dekking daarvan op de verzekeringsmarkt (nog) niet in kaart is gebracht, zal deze wetswijziging naar onze verwachting geen al te grote schokken in het rechtsverkeer teweegbrengen. Hierboven werd al opgemerkt dat de mogelijkheid om (voormalige) asbestverwerkende bedrijven nog aansprakelijk te stellen op grond van ‘opzet’, zeker wat betreft blootstellingen in het (verre) verleden, eigenlijk illusoir is, waardoor deze wetswijziging vooral symbolisch van aard is.
27. Wel valt te verwachten dat deze wetswijziging haar schaduw vooruit zal werpen en dat er ook in de interne Belgische rechtspraktijk nog verdere pogingen zullen worden ondernomen om ook in andere gevallen van persoonsschadezaken de verjaringsregeling te doorbreken. Juridisch kan men immers vragen stellen bij de beslissing om één specifieke categorie van slachtoffers van gezondheidsschade bijzondere hulp te bieden en andere niet, in het licht van het grondwettelijke gelijkheidsbeginsel. Het wettelijk systeem van de
redelijkerwijze kennis had kunnen krijgen van zijn schade, dit is het moment waarop de schade objectief vaststelbaar wordt (gediagnosticeerd wordt), en de benadeelde ook weet wie hij daarvoor aansprakelijk kan stellen.
verjaring zal o.i. daarom onder steeds grotere druk komen te staan bij persoonsschadevorderingen. Het ligt dan ook voor de hand dat de absolute verjaringstermijn in de toekomst voor alle gevallen van persoonsschade komt te vervallen. De vordering tot vergoeding van schade zou dan, in de regel, verjaren na vijf jaar, nadat het slachtoffer bekend is geworden met de schade én met de aansprakelijke partij.
28. Belangrijk te benadrukken is wel dat het bij de nieuwe verjaringsregeling in de wet van 5 mei 2019 enkel gaat om asbestpersoonsschadevorderingen. Het gaat dus niet om vorderingen van consumenten en andere ‘asbestgebruikers’ in wier woning of gebouwen asbest nog aanwezig is en die nu zitten met de vraag wie voor de kosten van het verwijderen daarvan moet opdraaien. Deze vraag is overigens des te belangrijker in het kader van het Vlaamse ‘actieplan asbestafbouw’, dat maatregelen voorziet voor een asbestafbouwbeleid in Vlaanderen tegen 204051
6. BESLUIT
Hoewel slachtoffers van longkanker, larynxkanker en eierstokkkanker, veroorzaakt door asbest, nu ook een beroep kunnen doen op het Asbestfonds, blijkt bij nader inzien dat de verwachtingen van met name milieuslachtoffers hier niet te hooggespannen mogen zijn. Weinig zaken lijken zich te lenen voor de zware bewijslast die op hen rust. Ook de mogelijkheid tot het doorbreken van een reeds verworven verjaring bij opzet van de schadeveroorzaker in het (verre) verleden lijkt eerder theoretisch. De betekenis daarvan zal vooral symbolisch van aard zijn. Voor toekomstige asbestgerelateerde persoonsschadevorderingen wordt de lange absolute verjaringstermijn van twintig jaar geschrapt. Gelet op het feit dat de nieuwe regeling beperkt is tot asbestschadeslachtoffers, gaat het hier niet zozeer om een fundamentele herinrichting van het burgerrechtelijke verjaringssysteem, maar veeleer om een politieke en morele kwestie. Nochtans kan en zal deze nieuwe wetswijziging ongetwijfeld ook een belangrijke reflexwerking hebben naar andere gevallen van persoonsschade, en is hij in die zin wel een belangrijke mijlpaal.
Evelien DE KEZEL Rechter arbeidsrechtbank Gent en verbonden aan de Universiteit Antwerpen
51 S. DE MULDER , “Actieplan asbestafbouw: bescherming tegen nieuwe blootstellingscontext en betere handvaten voor toezichthouders”, T00 2019/1, 407-410.
Jurisprudence : droit du travail Rechtspraak: arbeidsrecht
Arbh. Antwerpen (afd. Antwerpen, 8e k.) 28 januari 2021
Zet.: M. Vercruysse, raadsh.; G. Riebs en F. Borremans, raadsh. soc. zak.
Pleit.: Mrs. K. Stappers, H. Boujdaini en J. Buelens
Stad Mortsel t/ S. (A.R. nr. 2019/AR/452)
CONTRAT DE TRAVAIL – RUPTURE – BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL – AMIANTE – LANCEUR D’ALERTE – DROIT DE RETRAIT – PAS DE MOTIF GRAVE – DÉLÉGUÉ SYNDICAL – DISCRIMINATION –CONVICTIONS SYNDICALES – RÉACTION EXCESSIVEMENT PRÉCAUTIONNEUSE OU AGRESSIVE – ABUS DU DROIT DE LICENCIER
ARBEIDSOVEREENKOMST – BEËINDIGING – WELZIJN OP HET WERK – ASBEST – KLOKKENLUIDER – RECHT VAN WERKWEIGERING – GEEN DRINGENDE REDEN – VAKBONDSAFGEVAARDIGDE – DISCRIMINATIE – VAKBONDSOVERTUIGING – OVERDREVEN VOORZICHTIGE OF AGRESSIEVE REACTIE – MISBRUIK VAN ONTSLAGRECHT
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 554
Le fait qu’un ouvrier polyvalent des services techniques de la ville, également délégué syndical, ait, malgré l’avis positif du Contrôle du bien-être au travail, ainsi que du comité de consultation, et malgré l’ordre des autorités communales, refusé de travailler dans un hangar où l’amiante n’avait pas été complètement enlevé, ne constitue pas un motif grave justifiant le licenciement sans préavis ni indemnité.
La ville n’apporte pas non plus la preuve que le licenciement était fondé uniquement sur des motifs non discriminatoires et n’était pas fondé sur les convictions syndicales de l’intéressé. Les convictions syndicales, en tant que critère protégé par la loi anti-discrimination, couvrent à la fois l’affiliation à un syndicat et l’activité syndicale.
De plus, le licenciement, en représailles, d’un travailleur qui, à la suite de la découverte d’amiante sur le lieu de travail, a, même de manière peut-être excessivement précautionneuse ou agressive, soulevé la question de la sécurité de ses collègues et de la sienne propre, constitue un abus du droit de licencier.
Het feit dat een polyvalent arbeider in de technische dienst van de stad, tevens syndicale afgevaardigde, ondanks het positief advies van het Toezicht Welzijn op het Werk, evenals van het overlegcomité, en ondanks het bevel van het stadsbestuur weigert te werken in een loods waar asbest niet helemaal verwijderd is, maakt geen dringende reden uit tot ontslag.
De stad brengt het bewijs ook niet aan dat het ontslag uitsluitend gebaseerd was op niet-discriminerende gronden en niet was ingegeven door de syndicale overtuiging. De syndicale overtuiging als beschermd criterium volgens de Antidiscriminatiewet heeft zowel betrekking op het lidmaatschap van een vakorganisatie als op de syndicale activiteit. Het ontslag als represaille omdat de werknemer na de ontdekking van asbest op de werkplek, het, zelfs op een misschien te voorzichtige of agressieve manier, opnam voor de veiligheid van zijn collega’s en zichzelf, maakt bovendien een misbruik van ontslagrecht uit.
Op basis van gegevens van het Fonds voor de Beroepsziekten en ABEVA (vereniging voor asbestslachtoffers in België) sterven jaarlijks in België ongeveer 800 personen ten gevolge van asbest, waarvan een 200-tal aan mesothelioom. Dit cijfer zal de komende jaren vermoedelijk nog stijgen. Redenen te over om hier aandacht aan te besteden.
De heer S. was sinds 15 november 2010 werkzaam bij de stad Mortsel met een arbeidsovereenkomst voor onbepaalde duur als polyvalent arbeider bij de technische dienst.
De heer S. stond samen met zijn collega’s in voor diverse onderhoudswerken in de gebouwen van de stad Mortsel en diende onder meer prestaties te leveren in één van de (oude) loodsen, met name loods 40.
De technische dienst van de stad Mortsel is opgesplitst in twee delen: de arbeiders die instaan voor het uitvoerende werk (‘de werf’ genaamd) en de dienst die instaat voor het voorbereidend projectmatig werk. De brug tussen deze twee diensten is een leidinggevende functie die sinds 2016 ingevuld werd door de heer M.
Daarnaast was de heer S. tevens vakbondsafgevaardigde voor ACV – Openbare Diensten en in die hoedanigheid zetelde hij ook in het overlegcomité.
In haar oude gebouwen werd de stad Mortsel geconfronteerd met asbest. Op 15 mei 2003 werd door IGEAN reeds een asbestinventaris opgemaakt met betrekking tot loods 40. Er was asbest aanwezig in het dak, de stookplaats, het magazijn en een tussenwand.
Met de brochure Asbest, een stille killer, van 2013, informeerde de Externe Dienst voor Preventie en Bescherming op het Werk (Provikmo) de werknemers over asbest en wees op de volgende risico’s:
“(…) Risico’s van asbest
Gezien asbestvezels tot 50 keer fijner zijn dan een menselijk haar, kunnen we ze tot diep in de longen inademen waar dan schade kan worden aangericht.
Tijdens de blootstelling aan deze vezels ervaart men geen noemenswaardige klachten. Dit is nu juist het verraderlijke. Men is geneigd het risico te onderschatten.
Na jaren kunnen zich ernstige gezondheidsproblemen voordoen:
Asbestose (een vorm van stoflong): deze ziekte, met een ernstige kortademigheid tot gevolg, kan ontstaan bij personen die vrij intensief of langdurig werden blootgesteld. Deze ziekte is geen kanker, maar daarom niet minder ernstig;
Long- en keelkanker;
Mesothelioom van het long- of het buikvlies – een kanker, specifiek veroorzaakt door asbest.
Het risico op kanker kan theoretisch ontstaan na het inademen van één asbestvezel.
Bij een intensievere of langdurige blootstelling en wanneer bovendien ook wordt gerookt, wordt het risico heel wat groter.
Sinds er duidelijke bewijzen zijn gegeven van het verband tussen asbest en het ontstaan van deze ernstige ziekten, werd door de wetgever een uitdoofscenario uitgewerkt.
Eerst werden de toepassingen van losgebonden asbest verboden en in 1998 werd een verbod van kracht op de productie, de verkoop en het gebruik van asbestcement, de meest toegepaste vorm. Nu geldt er in ieder geval een totaal verbod.
Het is niet omdat er nu een verbod is, dat het probleem is opgelost. In vele woningen, bedrijven en installaties vinden we nog asbesttoepassingen terug. Bij schade, bij het uitvoeren van werken en het behandelen van het asbestafval kan dus nog altijd een ernstig risico ontstaan.
Tijdens het overlegcomité van 14 december 2015 werd het volgende besproken omtrent asbest:
(...)
E. licht toe dat er een procedure voor de omgang met asbest werd voorbereid. Deze procedure zal verder uitgewerkt met de vakbonden (sic).
Enerzijds zal er een basisopleiding worden gegeven aan alle arbeiders van stadswerken over asbest, IGEAN zal deze opleiding voorzien. De opleiding zal doorgaan in groepen van circa 10 à 15 personen. Ten tweede zal de asbestinventaris geactualiseerd worden en ter beschikking worden gesteld op de technische dienst en stadswerken. Het is nog niet duidelijk in welke vorm dit zal zijn. Over het aanbrengen van stickers op plaatsen met asbest zal nog worden nagedacht. Ten derde zal door de technische dienst een procedure worden opgesteld die in de toekomst zal worden gevolgd om werken binnen de gebouwen van de stad uit te voeren. Hiervoor zal een werkgroep worden opgericht. J. vraagt om dit ook toe te passen voor werken die uitbesteed worden.
K. vraagt om ook opleiding te voorzien voor medewerkers van de technische dienst. Het is belangrijk dat deze medewerkers over dezelfde info beschikken.
Hiervoor wordt gedacht aan P., de toezichters ...
Vanuit ACV wordt er gevraagd om ook de militanten te betrekken bij de rondgang voor de asbestinventaris.
De heer S. doet de suggestie om te werken met een LMRAkaartje (last minute risicoanalyse). Een LMRA is een korte risicobeoordeling die door de medewerker wordt uitgevoerd bij het starten van werken. J. zegt dat dit overeenkomt met de take five procedure en zeer nuttig kan zijn. (...)”
Op 22 februari 2016 werd de asbestinventaris van 15 mei 2003 geactualiseerd door IGEAN. Als opmerking wordt vermeld:
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 555
(…)
IV. TEN GRONDE
1. Feiten
(…)
“Vanzelfsprekend blijft een regelmatige controle noodzakelijk en dienen verdachte materialen aan een nader onderzoek onderworpen te worden, voordat ze behandeld worden.
De nodige maatregelen dienen steeds getroffen bij afbraak en dit door een gespecialiseerde
In juni 2016 werd een opleiding “Asbest verwijdering eenvoudige handelingen” georganiseerd waaraan ook de heer S. deelnam.
In 2016 werden er ook renovatiewerken uitgevoerd, onder meer aan loods 40 waarbij asbest diende verwijderd te worden.
De verwijdering van asbest gebeurt op een verschillende wijze al naargelang het soort asbest. Hierbij wordt een onderscheid gemaakt tussen gebonden en niet-gebonden asbest. Bij gebonden asbest zitten de vezels stevig vast in het dragermateriaal (vb. golfplaten, leien of buizen). Bij niet-gebonden asbest zitten de vezels min of meer los (vb. asbesthoudende kachelkoord of plaaster-isolatie met juten doek rond isolatiebuizen). Bij deze laatste vorm komen de vezels gemakkelijker vrij, zeker als het materiaal wordt beschadigd of gemanipuleerd.
Het dak van loods 40 bevatte gebonden asbest en werd verwijderd door de bvba Coordinat-ED. Het niet-gebonden asbest in loods 40 werd verwijderd door de bvba Asbest Partners Belgium. Het werkplan van deze laatste vermeldt expliciet dat de methode van de “Hermetische zone” werd gehanteerd.
Na de werken werd op 6 juli 2016 door de nv Fibrecount een meting uitgevoerd naar de aanwezigheid van asbestvezels, onder meer in loods 40. De concentraties aan vezels bedroegen telkens minder dan 0,010 vezels/crn3 waarmee onder de wettelijke norm van 0,1 vezel/cm3 werd gebleven (Codex over het welzijn op het werk, Boek VI, Titel 3, Hoofdstuk I, artikel VI.3-2, 40).
Naar aanleiding van werken die zij dienden uit te voeren in loods 40 stootten een aantal werknemers van de stad Mortsel in april 2017 op een wit poeder, mogelijk asbest. Naar aanleiding hiervan werden op 27 april 2017 nieuwe stalen genomen door de nv Fibrecount, waarbij op verschillende plaatsen Chrysotiel (‘witte asbest’) werd aangetroffen.
Op 28 april 2017 adviseerde IGEAN de stad Mortsel om de ruimte af te sluiten, er geen werken meer te laten uitvoeren, deze te laten reinigen door een erkende asbestverwijderaar en na verwijdering een luchtmeting te laten uitvoeren. Ook de technisch deskundige van de FOD Werkgelegenheid, Arbeid en Sociaal Overleg, Toezicht op het Welzijn op het Werk (verder “FOD WASO”) en IGEAN gingen akkoord met de voorgestelde werkwijze. De FOD WASO wees er wel nog op dat een goede (lucht)meting niet gelijk is aan het feit dat er zich geen asbestresten meer kunnen bevinden op deze locatie.
Er vond aldus in de periode van 4 tot 8 mei 2017 een nieuwe reiniging van loods 40 plaats door de nv Asbest Partners Belgium.
Op 8 mei 2017 vond een nieuwe analyse plaats door de nv Fibrecount, waarbij een concentratie aan vezels onder de 0,01 vezel/m3 werd vastgesteld en die opnieuw onder de grenswaarde van 0,1 vezel/cm3 lag.
Op 12 mei 2017 werd de “Procedure Werken met asbest”, nadat deze mondeling was toegelicht, uitgehangen.
Op 24 mei 2017 vond er een nieuwe controle plaats door SGS waarbij opnieuw asbestsporen (Chrysotiel) werden gevonden.
Tussen 21 en 25 augustus 2017 werd loods 40 voor een derde keer gereinigd door nv Asbest Partners Belgium.
Op advies van IGEAN en de FOD WASO werden op 24 augustus 2017 en op 6 september 2017 visuele inspecties en luchtmetingen uitgevoerd waarbij geen visueel waarneembare resten werden aangetroffen. Tijdens de luchtmeting op 24 augustus 2017 werd geen verhoging van het aantal vezels vastgesteld.
Tijdens het overlegcomité van 11 september 2017, waarop de heer S. niet aanwezig was, werd het volgende besproken omtrent de asbestproblematiek:
“(...) H. licht toe.
In het kader van dit dossier werd de Arbeidsinspectie, FOD Werkgelegenheid, Arbeid en Sociaal Overleg gecontacteerd. Uit
hun conclusie blijkt dat de luchtmeting in de betreffende ruimte het meest belangrijk is.
Vrijdag 8 september 2017 werden de nodige luchtmetingen gedaan op de grond en in de hoogte, met goed resultaat. Er waren geen zichtbare brokstukken meer aanwezig in de ruimte.
Dit definitieve advies wordt doorgestuurd naar FOD Werkgelegenheid, Arbeid en Sociaal Overleg.
Conclusie is dat werken in de betrokken hangar mogelijk is. Niet werken wordt beschouwd als werkweigering.
Verenigingen worden ook op de hoogte gebracht. J. beaamt dat het werk veilig kan hervat worden.
Besluit: De vergadering is akkoord (...)”
Via mail van 22 september 2017 bevestigde de FOD WASO dat de ruimte opnieuw veilig kon gebruikt warden door de werknemers.
De werknemers van de stad Mortsel werden aldus verzocht het werk in loods 40 opnieuw aan te vatten. Zo dienden de heer S. en zijn collega, D., op 21 september 2017 werken uit te voeren in deze loods. Tijdens dit werk troffen zij asbestverdachte materialen aan op een stalen legger (‘gording’) in het dak, hetgeen zij onmiddellijk hebben gemeld aan het diensthoofd stadswerken, de heer M. De prestaties in loods 40 werden gestaakt.
Op 22 september 2017 verzocht de stad Mortsel de heer S. om het werk in loods 40 te hervatten, wat door de heer S. werd geweigerd.
Bij aangetekende brief van 25 september 2017 werd de heer S. ontslagen om dringende reden. Bij aangetekende brief van 28 september 2017 werd de heer S. in kennis gesteld van de motieven voor het ontslag als volgt:
“(...) Wij sluiten aan bij onze ontslagbrief van 25 september jl. en doen u met onderstaande brief opgave van de dringende redenen, welke wij weerhouden om uw ontslag te rechtvaardigen:
1. De voornaamste reden welke wij inroepen is uw herhaalde werkweigering i.v.m. tewerkstelling in gebouw MG40. Dit magazijn werd in het voorjaar van 2016 gesaneerd met opvolgende luchtmeting en voorlopig opgeleverd op 30 augustus 2016. I.v.m. de asbestproblematiek heeft onze stad alle nodige wettelijke maatregelen gerespecteerd, opleidingen gegeven, vergaderingen georganiseerd, werk- en beschermingsmiddelen ter beschikking gesteld, procedures op punt gesteld, bijkomende niet-verplichte maatregelen georganiseerd en het magazijn in kwestie werd aan verscherpte controle onderworpen, Niettemin hebben zich de volgende feiten voorgedaan.
2. In april 2017 dienen er werken door de medewerkers van de werf waaronder uzelf, uitgevoerd te worden in MG40, Documenten asbestsanering loods MG 40 zijn overhandigd aan de werfmedewerkers, bij de uitvoering van de werken stoten de medewerkers op een stuk golfplaat. U rapporteert dit aan de leidinggevende van de werf op een respectloze en agressieve manier waarbij u beschuldigingen uit dat men met opzet medewerkers in onveilige situaties laat werken. Diensthoofd personeel, A., is hiervan getuige. In navolging van de melding wordt enerzijds actie ondernomen tot een nieuwe reiniging van MG 40 en het uitvoeren van luchtmetingen alsook een gesprek met uzelf ingepland. Hierbij geeft u aan dat u verwacht van de werkgever dat u in een asbestvrije omgeving kan werken, kortom dat de norm nul moet zijn.
Na de reiniging en luchtmeting door een gespecialiseerd bedrijf wordt in mei de MG40 terug vrijgegeven. U meldt opnieuw de werken niet te kunnen aanvangen omdat U naar eigen zeggen stolen zou hebben genomen in MG 40 en brokstukken zou hebben gevonden en deze zou hebben opgestuurd voor analyse. Dit zonder medeweten van een leidinggevende en tijdens de enige snipperdag (vakantie) in die periode van uw diensthoofd. U heeft collega’s op de werf gevraagd om mee te betalen voor de analyse van het staal dat niet door de stad Mortsel gevraagd werd. Indien dit zo is, hebt u hiermee de procedures die binnen onze stadsdiensten voor deze situatie voorhanden zijn, niet alleen naast u neergelegd maar een daadwerkelijke controle en toezicht onmogelijk gemaakt.
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Rekening houdend met KB van 16 maart 2006 betreffende de bescherming van de werknemers tegen de risico’s van blootstelling aan asbest dienen we als werkgever ervoor te zorgen dat de blootstelling aan asbest zo klein mogelijk is, m.a.w. dat de concentratie van vezels in de lucht ten allen tijde lager is dan de grenswaarde van 0,1 vezel/ cm3. Het labo dat instaat voor de luchtmetingen werkt met de grenswaarde van 0,01 vezel/cm3. Dit wil zeggen dat werd voldaan aan een norm die 10 keer strenger is dan de verplichte norm. Het vrijgeven van de loodsen was dus volkomen conform. Gezien de situatie van MG 40 moeilijk te deblokkeren bleef, werd er een extra onderhandelingscomité ingepland op 27 juni waarbij de stand van zaken in dit dossier werd toegelicht en extra vragen werden beantwoord. Eveneens werd benadrukt dat ondanks er begrip is dat emoties kunnen oplopen, het belangrijk is op een respectvolle manier in overleg te gaan met elkaar. Essentieel is dat wij als werkgever, met inachtneming van de wettelijke bepalingen, het werk moeten en magen organiseren en deze werkverdeling dient te worden opgevolgd. Niettemin werd op 29 juni 2017 een feitenverslag lastens uzelf opgemaakt naar aanleiding van een incident die dag en aangetekend aan u gezonden; hierin werden verscheidene voorvallen aangehaald aangaande onaanvaardbare communicatie van uw zijde, zijnde geroep en getier.
Vervolgens werd in het kader van het deblokkeren van deze situatie eveneens advies gevraagd aan de FOD Werkgelegenheid, Arbeid en Sociaal Overleg Toezicht op het Welzijn op het Werk – Directie Antwerpen ingewonnen. Dit advies werd verfijnd door de preventieadviseur van IGEAN en vervolgens uitgevoerd door de stad Mortsel in de maand augustus. Bijkomende reinigingen werden gedaan van de visueel zichtbare asbeststukken, deze werden na de cleaning gecontroleerd door een extern erkend laboratorium, de preventieadviseur en onze eigen diensten aan de hand van een rondgang. Eveneens hebben er persoonlijke en stationaire luchtmetingen plaatsgevonden tijdens dewelke er luchtverplaatsingen plaatsvonden (simulatie van werken werden uitgevoerd, poorten open onder toezicht van erkend laboratorium) die beiden opnieuw aangaven dat de concentratie van vezels in de lucht tijdens de hele test lager was dan de grenswaarde van 0,01 vezel/cm3 (ongebonden asbest).
6.
Gelet op bovenstaande (asbestinventaris aanwezig en ter inzage, uw opleiding asbestverwijdering eenvoudige handelingen betaald door uw werkgever stad Mortsel, gekende procedure(s) i.p.v. asbest, PBM en beschermkledij voorradig) was overvloedig aangetoond dat er verder werken kunnen uitgevoerd worden binnen MG 40. Dit werd meegedeeld in het vakbondsoverleg van 11 september. Indien medewerkers dit niet doen, kan dit beschouwd worden als werkweigering.
In de week van 18 september werd opgedragen de werken terug aan te vangen. U hebt op uw vraag inzage gekregen in de resultaten van de metingen van het labo en de rapportering van Kiwa met betrekking tot interventies in MG 40. De asbestinventaris wordt volgens de procedure bewaard op de werf en niet meegeven aan de medewerker.
Op 21 september 2017 is er telefonisch gemeld dat u opnieuw brokstukjes asbest en asbest “verdacht” stof van het vroegere onderdak in MG40 had gevonden en dit op de 5de stolen gording in het dak waar jullie lager werken dienden uit te voeren. Dit werd gemeld aan het diensthoofd stadswerken, de heer M., die onmiddellijk ter plaatse kwam. Er is een procedure die gevolgd moet worden in het geval dat medewerkers (gebonden) asbest vinden. Deze procedure werd opgestart.
Op vrijdag 22 september 2017 - circa 8.00 u weigerde u het werk in MG 40 aan te vatten, ook in de (afgezonderde) gedeelten van de MG40 waar geen asbest of indicatie werden aangetroffen. Ook na een afzonderlijk gesprek na de koffiepauze (circa 9.45 u) in de kantoren van de stadswerf met uw diensthoofd om tot een oplossing te komen, weigerde u. Gezien deze blijvende impasse werd er i.s.m. met het bestuur contact opgenomen.
In het kader van deze feiten wordt u dan ook opnieuw gehoord door B., afdelingshoofd grondgebiedszaken wnd., de heer M., diensthoofd stadswerken en F., stadssecretaris wnd.
Ook in dit gesprek bent u meermaals uitgevlogen en stelde u dat u de wettelijke normen niet aanvaardt, geen vertrouwen meer hebt in uw werkgever, dat na afbraak de norm 0 moet zijn en dat u niet meer in dit magazijn wil werken en wij maar een andere arbeider dit werk moeten laten doen. Dit alles ondanks de aanmoediging van uw diensthoofd om in de ruimte waar geen asbest is gevonden op 21 september 2017 wel de werken verder te zetten en in het geval van werken in stof de speciale PBM te dragen.
Wij kunnen dit niet aanvaarden. Dergelijke houding is niet alleen qua vorm respectloos, maar betreft een zuivere bevelsweigering zonder enige grondslag. U bent polyvalent arbeider en moet deze werken uitvoeren. De asbestproblematiek is belangrijk en wordt door ons als dusdanig behandeld maar het is een vast gegeven dat er gelet op het bestaand patrimonium – trouwens niet alleen binnen onze stad – nog jarenlang met asbest zal moeten worden omgegaan. Wij hebben alle wettelijke maatregelen nageleefd en na uw eerdere werkweigering rekening gehouden met enige emotionaliteit en omwille hiervan een nieuwe bijkomende cleaning gedaan met bijhorende luchtmetingen, welke allen, zoals voorheen, gunstig waren.
Uw herhaalde bevelsweigeringen en het negeren van het werkgeversgezag is een aantasting van de essentie van de arbeidsovereenkomst.
U negeert het recht en de plicht van de werkgever om de werkzaamheden te organiseren en veroorzaakt gezags- en gezichtsverlies, waardoor elke verdere samenwerking en vertrouwen onmogelijk is geworden.
De u toekomende documenten en bedragen einde dienst zullen u eerstdaags worden overgemaakt. (...)”
2. Beoordeling
2.1. Ontslag om dringende reden
(…)
2.1.2. Gegrondheid
(…)
2.1.2.2. concreet
De aan de heer S. verweten feiten werden al samengevat onder punt 2.1.1. (zie hierboven). Het betreft feiten van 22 september 2017 en ook een aantal vroegere feiten.
- de feiten van 22 september 2017
Op het overlegcomité van 11 september 2017 was afgesproken dat het veilig was om te werken in loods 40 en dat niet werken zou beschouwd warden als werkweigering.
In de week van 18 september 2017 startten de heer S. en zijn collega D. de hen opgedragen werkzaamheden in loods 40.
Het wordt niet betwist dat de heer S. en zijn collega D. op 21 september 2017 asbestverdacht materiaal aantroffen in loods 40, daaropvolgend naar de heer M. belden, en dat deze te plaatse kwam. Volgens de heer S. nam de heer M. enkele brokstukjes in ontvangst en liet hij hun weten dat hij de toepasselijke procedure zou volgen.
Volgens de schriftelijke getuigenverklaring van D. dd. 23 oktober 2017 is de heer M. op 21 september 2017 inderdaad ter plaatse komen kijken, en zei hij “ik ga er werk van maken”, waarna de werkdag er op zat. Wat er nadien eventueel nog gebeurd zou zijn die dag, blijkt niet uit het dossier.
Toen de heer S. de dag nadien, op 22 september 2017, de opdracht kreeg de werken in loods 40 te hervatten, heeft hij dit
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naar eigen zeggen geweigerd wegens het duidelijk aanwezige risico van asbest en de aankondiging van de dag ervoor dat de procedure zou worden gevolgd.
Deze werkweigering was volgens de stad Mortsel ongeoorloofd om meerdere redenen.
Vooreerst weigerde de heer S. volgens de stad Mortsel niet enkel te werken in loods 40 maar ook in een andere ruimte dan degene waar het asbestverdacht materiaal werd aangetroffen. Dit blijkt echter uit niets. Integendeel, de heer S. betwist dit en concretiseert dit ook door te stellen dat hij in de namiddag nog een golfplaten dak legde in opdracht van zijn directe overste. De stad Mortsel gaat hier echter helemaal niet op in. Nochtans rust de bewijslast van de feiten die ten grondslag liggen aan het ontslag om dringende reden op haar. Het arbeidshof acht het dan ook niet bewezen dat de heer S. ook weigerde te werken in een andere ruimte waar geen asbestverdacht materiaal werd gevonden.
Voorts werden volgens de stad Mortsel de asbestverdachte materialen reeds verwijderd op 21 september 2017, zodat de werken conform de procedure gewoon hervat konden worden. Dat de procedure (…) werd gevolgd is echter een loutere bewering waarvan geen bewijs voorligt.
De procedure “werken met asbest” is als volgt:
Werkvoorbereiding:
In samenspraak met de werkleiders en /of diensthoofd uitvoerende diensten dient er een werkvoorbereiding opgemaakt te worden. Hierin dienen de risico’s opgesomd te worden en moeten de preventiemaatregelen geformuleerd zijn.
Gevaar = asbest
Risico = blootstelling aan asbest door er ondoordacht mee om te gaan
Volgende stappen dienen doorlopen worden:
Op welke locatie moeten deze werken uitgevoerd worden
Raadplegen van de geactualiseerde asbestinventaris van deze locatie
=> Indien geen geactualiseerde asbestinventaris beschikbaar => preventieadviseur (IGEAN) contacteren
=> Indien er geen asbesthoudende materialen geformuleerd zijn in de inventaris dan kan het werk voortgaan
=> Indien er asbesthoudende materialen geformuleerd zijn in de inventaris.
Als het noodzakelijk is om het asbest te verwijderen om het werk uit te voeren. Vastgebonden asbest => als het gaat over een eenmalige kleine verwijdering/handeling dan kan dit uitgevoerd worden door personen binnen de organisatie die hiervoor een specifieke opleiding hebben gevolgd. De specifieke veiligheidsvoorschriften (stofmasker FFFP3, wegwerp overal, handschoenen) dienen in acht genomen te worden.
Vastgebonden asbest => als het gaat over een grotere hoeveelheid dan dient er een gespecialiseerde firma gecontacteerd te worden voor de verwijdering.
Ongebonden asbest => voor de verwijdering dient er altijd een gespecialiseerde firma gecontacteerd te worden.
Bij twijfel over een materiaal moet er steeds een staal genomen en onderzocht worden.
Na de verwijdering van het asbest en de vrijgave van de ruimte kan het werk voortgaan. Tijdens de werken:
Wanneer er tijdens de uitvoering van de werken een vermoeden is van asbesthoudend materiaal.
Contact opnemen met werkleider en/of diensthoofd uitvoerende diensten
In samenspraak met de werkleider en/of diensthoofd uitvoerende diensten dient de asbestinventaris te raadplegen.
=> Zie punt 2 hoger in procedure.
Bij twijfel over een materiaal moet er steeds een staal genomen en onderzocht worden.
Na de verwijdering van het asbest en de vrijgave van de ruimte kan het werk voortgaan.”
De procedure is dus verschillend, afhankelijk van de vraag over welke hoeveelheid en welke soort asbest het gaat. Volgens de heer S. ging het om brokstukjes asbest en verdacht stof (zie ook de ontslagmotiveringsbrief van 28 september 2017) en dienden er luchtmetingen en staalnames uitgevoerd te worden. De procedure bepaalt inderdaad dat dit laatste het geval is bij twijfel. De stad Mortsel stelt dan wel dat er geen twijfel was maar maakt niet concreet over welk soort asbestverdacht materiaal het in casu zou zijn gegaan en welke concrete stappen die volgens de procedure moeten worden genomen zij heeft gevolgd. In de ontslagmotiveringsbrief van 28 september 2017 wordt louter vermeld dat “de procedure werd opgestart”. In conclusies wordt zonder meer gesteld dat “het materiaal werd verwijderd” zonder enige toelichting. Dit volstaat niet als bewijs dat de stad Mortsel de voorziene procedure volgde alvorens de heer S. op 22 september 2017 te bevelen het werk te hervatten. In tegenstelling tot wat de stad Mortsel beweert gaat het hier niet om een post factum argument. Op het moment dat de heer S. het werk moest hervatten, moest hij erop kunnen vertrouwen dat de situatie conform de procedure was afgehandeld.
Aangezien de stad Mortsel niet betwist dat door de heer S. en zijn collega asbestverdacht materiaal (brokstukjes asbest en verdacht stof) werd aangetroffen op 21 september 2017, maar niet bewijst dat zij de voorziene procedure volgde — en dit dus ook als dusdanig kenbaar maakte aan de heer S. — alvorens de heer S. op 22 september 2017 te bevelen het werk te hervatten, is niet bewezen dat de heer S. een wettig bevel zou hebben geweigerd.
De afspraken die gemaakt werden op het overlegcomité van 11 september 2017 kunnen immers geen afbreuk doen aan de noodzaak om indien er alsnog ergens asbestverdachte materialen zouden worden gevonden, de daartoe voorziene procedure te volgen.
Hetzelfde geldt voor de bevestiging door de FOD WASO en IGEAN dat veilig kon worden gewerkt. Het in ondergeschikte orde door de stad Mortsel aangeboden getuigenbewijs is om deze reden dan ook niet ter zake dienend en wordt afgewezen.
De stad Mortsel voert ook aan dat de heer S. er geen problemen mee zou hebben een collega in dezelfde ruimte te laten werken, wat zou moeten blijken uit het feitenverslag dat de stad Mortsel op 22 september 2017 opstelde. De eerste rechters1 hebben hier terecht geen rekening mee gehouden. Immers de weigering van de heer S. om dit verslag te ondertekenen impliceert dat hij het met de inhoud niet eens was. De inhoud van dit verslag werd verder uitdrukkelijk betwist door de raadsman van de heer S. in diens eerste aangetekende brief gericht aan de stad Mortsel van 6 december 2017.
De stad Mortsel is tevens van oordeel dat de heer S. zich onmogelijk opstelde door een “nulnorm” te eisen, daar waar zij alles in het werk gesteld heeft (met zelfs 10 keer strengere grenswaarden dan wettelijk vereist) om de veiligheid van haar werknemers te garanderen en het gewoon niet mogelijk is om de aanwezigheid van asbest volledig uit te sluiten. Gezien de weigering door de heer S. om het werk te hervatten in essentie gesteund was op het aantreffen van visueel waarneembare brokken asbest en verdacht stof, is duidelijk dat hij met de zogenaamde nulnorm niet doelde op waarden van luchtmetingen maar op het visueel aanwezig zijn van asbest. Ondanks het feit dat het volledig uitsluiten van de aanwezigheid van asbest niet mogelijk blijkt te zijn, zoals de stad Mortsel stelt, mag een werknemer minstens verwachten dat er geen zichtbaar asbestmateriaal meer aanwezig is op de werkplaats, en dat wanneer dit wel het geval is, de situatie conform de procedure wordt afgehandeld zodat met zekerheid vaststaat dat het veilig is vooraleer het werk moet worden hervat. Het is dus niet correct te stellen dat de heer S. het onmogelijke zou hebben geëist.
Ter zijde weze opgemerkt dat wat het aanwezig zijn in de lucht van asbestvezels betreft, één van de maatregelen om de blootstelling op de arbeidsplaats tot een minimum te beperken en in ieder
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1 Arbrb. Antwerpen (afd. Antwerpen) 26 juni 2019, A.R. nr. 18/2592/A.
geval onder de grenswaarde te houden volgens artikel VI.3-38., § 1, tweede lid, c van de Codex Welzijn op het Werk wel degelijk inhoudt dat de werkgever de arbeidsprocédés zo moet inrichten dat er geen asbestvezels vrijkomen of dat, indien zulks onmogelijk is, er geen asbestvezels in de lucht vrijkomen (onderlijning door het arbeidshof).
Verder kan geen belang gehecht worden aan de niet bewezen insinuatie dat de heer S. de brokstukken zelf zou hebben geplaatst.
Dat de maat voor de heer S. vol was en dat hij zich daarover danig heeft opgewonden op 22 september 2017 kan hem in casu niet ten kwade worden geduid gezien loods 40 in het verleden inderdaad al meermaals door gespecialiseerde firma’s werd gereinigd waarna er toch nog asbest werd aangetroffen, en onder meer in april 2017 bleek dat hijzelf en zijn collega twee weken lang gewerkt hadden in een door asbest gecontamineerd gebouw (zie ook verslag overleg van 12 juni 2017).
Ondanks het feit dat de eerste rechters van oordeel waren dat het niet bewezen was dat de stad Mortsel de toepasselijke procedure volgde alvorens de heer S. het bevel te geven om het werk in loods 40 te hervatten, heeft de stad Mortsel in hoger beroep in dat verband geen bijkomende stukken of informatie aangereikt. Hetzelfde geldt voor de overweging van de eerste rechters dat de heer S. enkel weigerde te werken in de ruimte waar de asbestmaterialen werden aangetroffen.
Op basis van de voorliggende stukken treedt het arbeidshof het oordeel van de eerste rechters bij dat het bewijs niet wordt geleverd van een onterechte dan wel onredelijke werkweigering op 22 september 2017 zodat de feiten van die datum niet van aard zijn om het ontslag om dringende reden te rechtvaardigen.
- vroegere feiten
Er wordt door de stad Mortsel in haar brief van 28 september 2017 ook verwezen naar voorvallen in april en mei 2017 waarbij de heer S. aankaartte dat er toch nog asbest aanwezig was in loods 40. Bij staalnames door de stad Mortsel zowel op 27 april 2017 als op 24 mei 2017 bleek echter dat ondanks de eerdere reinigingen in juli 2016 en mei 2017, nog asbestsporen of indicaties van asbest werd aangetroffen in loods 40. Bijgevolg weigerde ook toen de heer S. niet ten onrechte het werk aan te vatten. De stad Mortsel betwist overigens niet dat de asbestverwijdering en reiniging initieel niet behoorlijk werden uitgevoerd waardoor zij uiteindelijk tot driemaal toe opnieuw liet reinigen.
In haar syntheseberoepsconclusie beperkt de stad Mortsel trouwens de bespreking van de “eerdere incidenten” tot de beweerde onaanvaardbare communicatie van de heer S. die al zou dateren sedert 2015.
Zij legt thans in hoger beroep een aantal getuigenverklaringen voor in verband met voorvallen van respectloos en agressief gedrag van de heer S. Deze verklaringen ten behoeve van de stad Mortsel dateren van jaren na de feiten en gaan allen uit van werknemers van de stad Mortsel (verklaring van 4 mei 2020 van mevrouw A., bediende bij de dienst HR, verklaring van 17 april 2020 van de heer M., coördinator/diensthoofd dienst stadswerken en verklaring van 6 mei 2020 van de heer B., ambtenaar) zodat deze verklaringen weliswaar niet zonder meer kunnen worden ter zijde geschoven maar anderzijds wel omzichtig moeten worden benaderd gelet op het ondergeschikt verband.
Het arbeidshof twijfelt er op basis van de voorgelegde stukken niet aan dat de heer S. heftig en emotioneel uit de hoek kan komen. C. spreekt van een “vurige, soms overweldigende stijl”. In tempore non suspecto, meer bepaald in het verslag van een functioneringsgesprek van 28 september 2015 werden echter veel mildere bewoordingen gebruikt: “Peter is een betrokken werknemer die vriendelijk en zelfstandig zijn werk uitvoert, maar is soms te emotioneel met het aanbrengen van zijn mening”. Het arbeidshof kan zich dan ook niet van de indruk ontdoen dat aan het beweerde agressieve gedrag
van de heer S. thans een groter belang wordt toegedicht dan op het moment van het ontslag het geval was.
Van een vakbondsmilitant kan en mag bovendien verwacht worden dat hij zich streng opstelt en toeziet op de strikte naleving van de geldende procedure gelet op de gezondheidsrisico’s. Een zekere heftigheid en geagiteerdheid gepaard gaande met de opeenvolgende incidenten die te maken hadden met de asbestproblematiek kunnen de heer S. in de gegeven omstandigheden niet ten kwade worden geduid.
- besluit:
Er is geen sprake van een onterechte werkweigering op 22 september 2017, ook niet in samenhang met of in het licht van de beweerde voorheen voorgevallen feiten.
De stad Mortsel levert niet het bewijs van een ernstige tekortkoming die elke professionele samenwerking tussen de werkgever en de werknemer onmiddellijk en definitief onmogelijk maakt.
Bij gebrek aan rechtsgeldig ontslag om dringende reden heeft de heer S. recht op een verbrekingsvergoeding.
Er is geen cijfermatige betwisting.
Het bestreden vonnis wordt op dit punt bevestigd.
2.2. Discriminatie
2.2.1. Vooraf
(…) De “syndicale overtuiging” is een beschermd criterium (artikel 3 Antidiscriminatiewet).
Het criterium syndicale overtuiging heeft zowel betrekking op het lidmaatschap van een vakorganisatie, de syndicale overtuiging als op de syndicale activiteit (I. VERHELST en S. RAETS “Discriminatie op de arbeidsplaats: gewikt en gewogen”, Or. 2011/4, 118).
(…)
Indien het tegenbewijs niet kan geleverd worden dat het verschil in behandeling uitsluitend gesteund is op geoorloofde criteria, mag ook aangetoond worden dat het verschil in behandeling op grond van het verboden criterium gerechtvaardigd is in het kader van een rechtvaardigingsmogelijkheid die de Antidiscriminatiewet toelaat.
De rechter zal moeten nagaan of deze rechtvaardiging — binnen de krijtlijnen van de Antidiscriminatiewet — kan worden aanvaard. Hierbij mag niet uit het oog worden verloren dat voor een directe discriminatie op grond van syndicale overtuiging een zogenaamd “open” rechtvaardigingssysteem wordt gehanteerd vgl. (vgl. S. SOTTIAUX, “De rechtvaardigingsgronden in het federale discriminatierecht” in C. BAYART, S. SOTTIAUX en S. VAN DROOGHENBROECK, De nieuwe federale antidiscriminatiewetten, Brugge, die Keure, 2008, 232; Y. STOX, Discriminatie en identiteit, Brussel, Larcier, 2010, 96). Dergelijke discriminatie kan dus worden gerechtvaardigd door een legitiem doel, dat met passende en noodzakelijke middelen wordt nagestreefd.
2.2.2. Concreet
De heer S. dient feiten te bewijzen die het bestaan van een discriminatie op grond van zijn syndicale overtuiging kunnen doen vermoeden.
Het volstaat niet aan te tonen dat een van de door de wetgeving beschermde criteria op hem toepasbaar is, noch dat hij het voorwerp is geweest van een ongunstige behandeling. De heer S. dient tevens de feiten te bewijzen die erop lijken te wijzen dat die ongunstige behandeling is ingegeven door ongeoorloofde motieven (vgl. hierboven reeds geciteerde rechtspraak van het Grondwettelijk Hof dd. 12 februari 2009 – Arbh. Brussel, 18 december 2018, nr. 2017/ AB/729, JTT 2019, 317).
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2.2.2.1. Syndicale overtuiging
Uit het dossier blijkt dat het criterium “syndicale overtuiging” op de heer S. van toepassing was. Hij was vakbondsafgevaardigde van het ACV-openbare diensten en kwam in die hoedanigheid op voor de belangen van de werknemers. In het bijzonder heeft hij zich steeds toegelegd op de asbestproblematiek en deze meermaals aangekaart bij de stad Mortsel, naar aanleiding van concrete voorvallen en op vergaderingen (zie bv. reeds het verslag van het overlegcomité dd. 14 december 2015).
Hij was degene die in april en mei 2017 aankaartte dat er ondanks eerdere reinigingen toch opnieuw asbest werd aangetroffen in loods 40 (zie brief van de stad Mortsel dd. 28 september 2017). Beide keren bleek dat het protest van de heer S. terecht was.
Deze opeenvolgende incidenten creëerden een terugkerend patroon waardoor wantrouwen ontstond bij de werknemers. In het bijzonder naar aanleiding van het feit dat twee arbeiders, waaronder de heer S. zelf, twee weken lang werkzaamheden hadden uitgevoerd in een met asbest gecontamineerd gebouw, werd een overleg georganiseerd over de asbestproblematiek op 12 juni 2017, waar onder meer de heer S. het woord voerde.
Het is dan ook duidelijk dat de heer S. zich in zijn hoedanigheid van vakbondsafgevaardigde in het bijzonder toelegde op het asbestdossier en dat zijn weigering om te werken in een loods waar asbest was aangetroffen en waarvan niet bleek dat de geldende procedure werd gevolgd alvorens het bevel te krijgen de werken te hervatten op 22 september 2017, hier onlosmakelijk mee verbonden was en een uiting was van zijn syndicale overtuiging.
De reden van het ontslag is dus een feit dat het bestaan van een discriminatie op grond van zijn syndicale overtuiging kan doen vermoeden.
2.2.2.2. Ongunstige behandeling
Ook is duidelijk dat de heer S. het voorwerp was van een ongunstige behandeling, namelijk een ontslag om dringende reden. Uit de schriftelijke getuigenverklaring van D. dd. 23 oktober 2017 blijkt daaromtrent prima facie dat de heer S. op basis van voormeld beschermd criterium ongunstiger werd behandeld dan een collega in een vergelijkbare situatie zou worden behandeld. De heer Van Hoof was de directe collega van de heer S., die de werkzaamheden in loods 40 samen met de heer S. uitvoerde en die samen met de heer S. de asbestverdachte materialen aantrof op 21 september 2017 – maar afwezig was wegens verlof op 22 september 2017.
D. verklaarde uitdrukkelijk dat zijn overste (de heer B.) hem meldde dat – in geval hij zou weigeren om verder te werken in de ruimte waar de asbestverdachte resten werden gevonden — het voor hem “waarschijnlijk niet direct ontslag ging zijn, maar dat ik dan wel op gesprek moest komen bij hem en de stadssecretaris”.
Er is geen reden om te twijfelen aan de geloofwaardigheid van deze gedetailleerde verklaring die kort na de feiten werd afgelegd en voldoet aan de bepalingen van artikel 961/1 e.v. Ger.W. Aangezien de heer Van Hoof nog in dienst was van de stad Mortsel op het moment van deze verklaring, had hij er zeker geen enkel belang bij om een verklaring af te leggen in het voordeel van de heer S., wat zijn geloofwaardigheid ten goede komt. Overigens betwist de stad Mortsel de hierboven geciteerde uitspraak van de heer B. niet. De stad Mortsel stelt wel dat hieruit niet met zekerheid kan afgeleid worden dat de weigering door een “gewone werknemer” in dezelfde omstandigheden niet tot zijn ontslag zou hebben geleid en verwijst ook naar andere mogelijke hypotheses die echter niet overtuigen. Deze post factum argumentatie neemt niet weg dat de uitspraak van de heer B. het bestaan van een discriminatie kan doen vermoeden.
2.2.2.3. Ongeoorloofde motieven
De heer S. dient dan vervolgens de feiten te bewijzen die erop lijken te wijzen dat die ongunstige behandeling is ingegeven door ongeoorloofde motieven.
De eerste rechters waren van oordeel dat het ontslag van de heer S. onlosmakelijk verbonden was met de asbestproblematiek en dat de heer S. werd gestraft omwille van zijn assertiviteit en omwille van het feit dat hij strikt toezag op het welzijn van de werknemers die hij vertegenwoordigde, en dat dit het vermoeden schept dat hij werd gediscrimineerd omwille van het feit dat hij zijn rol als vakbondsafgevaardigde ter harte nam.
Echter volgens de stad Mortsel hebben de eerste rechters bij hun beoordeling ten onrechte al te veel belang gehecht aan de schriftelijke getuigenverklaring van mevrouw K., die volgens de stad Mortsel ongeloofwaardig is.
Het gaat in deze verklaring over het overlegcomité van 27 juni 2017, dat integraal aan de asbestproblematiek was gewijd, en in het bijzonder de sfeer schetste waarin zich dit overleg afspeelde.
Om het gebrek aan geloofwaardigheid van de verklaring van mevrouw K. aan te tonen legt de stad Mortsel thans van haar kant vier schriftelijke getuigenverklaringen voor.
Het arbeidshof overloopt de getuigenverklaringen van beide partijen hieronder.
De verklaring van mevrouw K., de toenmalige vakbondssecretaris, luidt als volgt:
“Van 2008 tot 2017 was ik vakbondssecretaris ACV-openbare diensten en [volgde] ik o.a. de werkgever Stad Mortsel op waar de heer S. een aantal jaren actief was als ACV-militant. Bij de Stad Mortsel is er nooit volledig sociale vrede geweest maar tijdens de periode van stadssecretaris E. heerste er wel een constructieve samenwerking. Zij was in staat om op de juiste manier te communiceren met alle medewerkers. Zij paste haar aanpak en stijl op een correcte en effectieve manier aan wanneer ze in conflict kwam met één van de arbeiders. In 2016 ging zij onverwachts uit dienst en in de overgangsperiode naar een nieuwe aanstelling werd er iemand waarnemend aangeduid. In diezelfde periode dienden er zich moeilijke syndicale dossiers aan. De constructieve sfeer sloeg als snel om naar een bitsige sfeer waarin werkgever en vakbonden elkaar moeilijk konden vinden. De werkgever werd op dat ogenblik voornamelijk vertegenwoordigd door politici.
Een van die moeilijke dossiers was het asbestdossier. Het ACV was goed vertegenwoordigd op de werkvloer. Een aantal militanten waren onmiddellijk betrokken partij wat in combinatie met de geladenheid rond het thema asbest al snel voor een gespannen sfeer zorgde. In het nabije verleden hadden zich enkele situaties voorgedaan waarvan de arbeiders het vertrouwen in hun opdrachtgevers kwijt waren. De technische dienst is opgesplitst in twee delen: de arbeiders die instaan voor het uitvoerende werk (de werf genaamd) en de technische dienst die instaat voor het voorbereidend projectmatig werk. De brug tussen deze twee diensten is een leidinggevende functie die op dat ogenblik sinds kort ingevuld werd door de heer M.
De Stad Mortsel had al een tijd last van enkele structureel organisatorische problemen. Een personeelsverloop op elk niveau zorgde voor instabiliteit. Daarbij kwam dat communicatie en samenwerking een groot pijnpunt was. De twee diensten werkten zo goed als niet samen. Vaak kwamen arbeiders terecht in werksituaties die onvoldoende voorbereid waren. Wanneer ze dit signaleerden werd het vaak geïnterpreteerd als ‘moeilijk doen’. Dit zorgde voor een slecht imago van de arbeiders waar de politiek zich meer en meer aan begon te ergeren. Al snel werden signalen uitgesproken door de arbeiders afgedaan als stemmingmakerij. De Stad Mortsel is nooit in staat geweest om zichzelf kritisch te benaderen. Ze nemen eerder een verheerlijkende houding aan. ik ben er dan ook van overtuigd dat dit rechtstreeks de aanleiding is voor de slechte sfeer en het daaruit voortvloeiend personeelsverloop.
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Op het ogenblik dat het asbestdossier in 2017 in voile gang was, waren we dus volop op zoek naar een nieuwe samenwerking met nieuwe medewerkers bij de stad Mortsel. Met de komst van de waarnemend secretaris, de effectieve secretaris en Marc waren er bij aanvang goede intenties en pogingen tot een overleg, maar al snel sloeg het om. Er werd een top-downhouding aangenomen waarin wij als vakbond overtuigd moesten warden van het grote gelijk van de Stad Mortsel. Elke uitlating van Peter, die zich in een machteloze en kwetsbare positie bevond, werd persoonlijk genomen. Als vakbondssecretaris heb ik vanuit mijn rol Peter uit de wind willen zetten door mij zo goed mogelijk in te werken in het asbestdossier. Ter voorbereiding van het overleg van 12 juni hebben we vanuit het ACV een dossier voorbereid waarin we inhoudelijk op contradicties en lossen eindjes stootten. Het verslag van het syndicaal overleg omvat de details. Hierbij alvast de belangrijkste elementen:
- Onduidelijkheid over welke reinigingsprocedures er juist gebeurd zijn. Telkens de meest ‘budgetvriendelijke’? Gene opvolging/controle vanuit de stad. - Geen checklist noch logboek na de werken in 2016 die kan aantonen wat er juist geruimd werd. Geen opvolging/ controle vanuit de stad.
Telkens luchtmetingen die negatief waren, terwijl de kleefstalen wel positief waren. Geen opvolging/ controle vanuit de stad.
- Het advies van IGEAN en FOD WASO, niet opgevolgd door de stad:
° Na negatieve luchtmeting nog altijd aangewezen om de ruimte grondig te laten reinigen
° Een goede luchtmeting staat niet gelijk aan het feit dat er zich geen asbestresten meer kunnen bevinden.
° Reiniging moet minstens bestaan uit een beperkte interventie met 4 mensen en stofzuigers.
Nadien staalname, indien positief grondig stofzuigen. Er gebeurde geen staalname.
Op basis van een uitgebreide nota hebben we op het syndicaal overleg al snel het woord gekregen. Het was duidelijk dat de werkgever zich slechts minimaal had voorbereid. Na afloop werd meer duidelijk dat de werkgever slechts met 1 doelstelling het syndicaal overleg voerde: het dossier minimaliseren en afvoeren. Het was opvallend dat de irritaties bij de secretaris en de burgemeester danig groot waren. Telkens Peter aanstalten nam om iets te zeggen, werd er geblazen, met de open gedraaid en keken de secretaris en de burgemeester elkaar veelzeggend aan. Met veel moeite werden er een aantal afspraken gemaakt. Er werd bijvoorbeeld specifiek benoemd dat we als vakbond het bestuur verzochten om het nodige begrip en vertrouwen op te brengen voor elkaar zodat irritatie vermeden kon worden. In het verslag staat dit verkeerdelijk opgenomen als een vraag vanuit het bestuur. ik heb dit bewust benoemd net omwille van de vrees dat de werkgever rancuneus zou kunnen handelen. En zo geschiedde.
Enkele weken later ging ik uit dienst en de eerstvolgende aanleiding leidde tot het ontslag van Peter. Een andere heel betrokken militant was op dat moment ook uit dienst. Vanaf dat ogenblik waren alle kritische factoren in het asbestdossier uit de weg.” (onderstreping door het arbeidshof).
Wat de vier schriftelijke getuigenverklaringen betreft die de stad Mortsel voorlegt, stelt het arbeidshof vast dat de verklaringen van mevrouw A. van 4 mei 2020, de heer Mark M. van 17 april 2020 en van de heer B. van 6 mei 2020 niets vermelden in verband met het overlegcomité van 27 juni 2017.
De enige getuigenverklaring waarin effectief iets over het overlegcomité op 27 juni 2017 wordt verklaard is die van C. In haar verklaring van 26 april 2020 probeert C. naar eigen zeggen een “weerwoord en weerlegging” te bieden aan de verklaring van mevrouw K. Haar verklaring luidt als volgt:
“Sinds 2013 ben ik schepen in de stad Mortsel en o.a. bevoegd voor personeel en organisatie. Het ontslag van dhr. S. en de omstan-
digheden die daartoe aanleiding gaven, heb ik dus niet steeds vanop de eerste rij, maar wel als verantwoordelijk beleidsmaker opgevolgd. Dat geeft het voordeel de context wat ruimer te kunnen zien. Na lang intern beraad — heeft een verklaring als bevoegde schepen wel zin? — trek ik toch de stoute schoenen aan.
Een en ander is ingegeven door het gewicht dat de verklaring van de toenmalige vakbondssecretaris mevrouw K. in het arrest heeft gekregen. In haar verklaring maakt zij brandhout van de stad Mortsel als werkgever, hekelt zij de slechte samenwerking met de werknemersvertegenwoordiging en zet ze in één beweging de huidige algemeen directeur en de politici als rancuneus weg. Die drie elementen zijn volgens mevrouw K. de context waarbinnen en ik citeer: ‘het verwijderen als kritische factor in het asbestdossier` en dus het ontslag van dhr. S. te kaderen zijn. Deze tendentieuze interpretatie vraagt op zijn minst een weerwoord en weerlegging.
In 2013, bij de start van de vorige legislatuur tref ik inderdaad een organisatie aan die geplaagd wordt door organisatorische problemen en door personeelsverloop op cruciale plaatsen, met name op de werf waar dhr. S. werkzaam was. Een organisatie ook waar toenmalig secretaris mevrouw E. – ondanks haar vele capaciteiten en blijkbaar constructieve relatie met vakbondssecretaris mevrouw K. zoals blijkt uit de verklaring – er niet in slaagde een juiste manier van communiceren te vinden, laat staan dat die efficiënt en correct was. Ook de transitie naar een waarderend personeelsbeleid, een transparante personeelsorganisatie verder weg van het schepenmodel en dus met een sterk(er) managementteam (sic) én met een grote betrokkenheid van alle actoren, ook de vakbond als partner dus, zoals afgesproken in het bestuursakkoord en vormgegeven met de toenmalige administratie, kwam niet echt van de grond onder haar leiding. Dat leidde eind 2016 tot het vertrek van mevrouw E. en de aanstelling van de waarnemende secretaris (de huidige HR Manager) en een paar maanden later de huidige algemeen directeur.
‘Pour la petite histoire’: mevrouw K. informeerde en solliciteerde in april 2016 bij mij naar de functie als HR manager bij de stad Mortsel. Een functie waarvan zij wist uit haar contacten met secretaris E., dat die zou opengesteld worden. En die zij zelf graag had willen invullen. Omdat zij zich helemaal kon vinden in de visie op ‘Personeel en Organisatie’ van het bestuursakkoord. lk vind het nu toch wat vreemd dat iemand wil komen werken bij een stad die ‘zichzelf verheerlijkende politici zonder enig zelfkritisch inzicht’ heeft. Die vacature van HRM is uiteindelijk ingevuld door de toenmalig waarnemende secretaris die er volgens mevrouw K. mee voor zorgde dat de sfeer ‘bitsig’ en topdown werd in de periode in aanloop naar het ontslag van dhr. S. Over 2 jaar later natrappen – rancune dus – gesproken? Verder verwijst mevrouw K. naar een syndicaal overleg op 12 juni 2017 waar ook ik als schepen aanwezig was. Mijn lezing van de feiten is toch iets anders:
- De stad was zeer goed voorbereid en had die voorbereiding ook overgemaakt aan het ACV.
- Dhr. S. heeft daar alle ruimte gekregen om gesteund en aangevuld door mevrouw K. zijn verhaal te brengen.
- De stad heeft toen bij monde van de burgemeester, de algemeen directeur en mijzelf toelichting gegeven bij de vele vragen die er waren.
- Er was veel begrip vanuit het bestuur voor de persoonlijke situatie en gevoeligheid van dhr. S. die hij toelichtte ter zitting. Zijn familie betreurde nl. een sterfgeval t.g.v. (sic) asbestose.
- Als er al sprake was van irritatie dan was dat over het volgende: dhr. S. aanvaardde de wettelijke metingen (IGEAN, FOD WASO) niet en eiste een absolute niet-aanwezigheid en dus nulmeting van asbest. Wat niet strookte met de uitoefening van zijn taak binnen de stad. De opleiding ‘eenvoudige handelingen’, de ter beschikking gestelde PBM’s, de zeer voorzichtige houding van zijn leidinggevende t.a.v. asbest en de opgemaakte asbestinventaris van het stedelijk patrimonium zorgde er net voor dat dhr. S. en zijn collega’s wel veilig konden werken.
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- ‘Oogrollen en veelbetekenende blikken tussen de burgemeester en de algemeen directeur’ en een poging om het dossier te ‘minimaliseren en af te voeren’ is echt wel Hineininterpretierung Onmiddellijk na dit syndicaal overleg had ik nog een gesprek met dhr. S. In zijn eigen vurige, soms overweldigende stijl, trachtte hij mij te overtuigen van de noodzakelijkheid van ‘nul’ asbest op de werkplek. Regelmatig moest ik hem aanmanen tot rust. Maar hij sloot wel af met dat hij zich gehoord voelde en hij had appreciatie voor de openheid tot gesprek alhoewel er duidelijk verschillende meningen waren over hoe de taak als stadswerfmedewerker met een ‘opleiding eenvoudige handelingen’ diende uitgevoerd te worden.
Toen dhr. S. zijn ontslag aanhangig maakte bij de arbeidsrechtbank, spraken we met de zeer verontrustte opvolger/vervanger van mevrouw K., L., over het asbestdossier en de rol van dhr. S. hierin. Mevrouw K. was op dat ogenblik nl. niet meer actief als vakbondssecretaris. En al snel bleek het volgende en ik parafraseer: “dit dossier werd niet intern besproken bij ACV of met mijzelf”, “de stad heeft een ijzersterke uitgangspositie en dossieropbouw” en “wij zullen dhr. S. als vakbond niet verdedigen”.
Het is dan ook heel jammer dat er, ondanks een persoonlijke vraag van mijzelf, geen verklaring kon afgelegd worden door het ACV om dit te staven. Hetzelfde gebeurde trouwens bij de FOD WASO die ook niet schriftelijk wilde verklaren wat ook al wel duidelijk in de door de stad Mortsel overgemaakte stukken aan de rechtbank stond nl. dat de stad Mortsel alle procedures correct volgde en dat het veilig was om te werken.
Met de komst van een nieuwe algemene directeur, geflankeerd door een nieuwe HR manager en een steeds beter werkend managementteam – en eigen stoef stinkt maar toch ook de goede tandem met het college van burgemeester en schepenen – kon er medio 2017 werk gemaakt worden van de noodzakelijke transitie in ‘personeel en organisatie’. En dat in opperbeste samenwerking en ‘samen denken’ met alle stakeholders en waar de beide vakbonden in onze organisatie een cruciale rol kregen. Het feit dat zij dat hele proces en de resultaten ervan meenemen als good practice voor andere lokale besturen, is zeker een kers op de taart.
De stad Mortsel heeft nu een vooruitstrevende rechtspositieregeling, een nieuwe organisatiestructuur, een personeelsbeleid dat vertrekt vanuit waardering, sterktes en talenten van medewerkers. En dat allemaal voor de start van een nieuwe legislatuur in 2019 en de verplichte hervorming naar één lokaal bestuur.
Loopt alles perfect? Nee. Maar dat geeft steeds ruimte voor verbetering. Werken we aan welzijn en betere loonvoorwaarden binnen het ons opgelegde wettelijke kader? Uiteraard! Een oude vraag van de vakbond tot optrekking van de maaltijdcheques werd ingeschreven in het nieuwe bestuursakkoord en we maken nu — in overleg met de vakbonden — werk van een cafetariaplan. Gebeuren er nog werken aan gebouwen waarbij er een asbestinventaris is? Jo, met de inachtneming van alle veiligheidsprocedures. Er werden trouwens nooit — en dat is letterlijk te nemen — zoveel brokstukken gevonden als ten tijde van dhr. S. zijn laatste werkmaanden in onze organisatie. Wat bij twee arbeiders van de stad op een onbewaakt ogenblik de opmerking ontlokte (maar ook zij willen dit niet schriftelijk, ook niet anoniem verklaren uit angst voor represailles?): “Misschien heeft Peter de brokstukken er wel zelf gelegd om zijn grote gelijk te halen”.
Als persoonlijke eindnoot moet me dit nog van het hart: een ontslag — en zeker één om dringende redenen — hakt steeds zwaar in op een medewerker. Ook financieel. Een beslissing tot ontslag (ook om dringende redenen) mag nooit lichtzinnig genomen worden en dient zeer goed onderbouwd te worden. Wat de stad Mortsel, naar mijn bescheiden mening, zeer ernstig nam. Als werkgever een dwingend ontslag door de rechtbank zien omgezet worden naar een ontslag met verbrekingsvergoeding is (financieel) vervelend. Een veroordeling voor syndicale discriminatie is echter andere koek. De verklaring van mevrouw K., ten persoonlijke titel én niet als vakbondssecretaris geschreven, speelde daar een grote rol in. Ik hoop
dat mijn verklaring nuancering en tegengewicht heeft gebracht.” (onderstreping door het arbeidshof)
- geloofwaardigheid van de getuigenverklaringen
In beginsel hebben getuigenissen, net als feitelijke vermoedens, een zogenaamde “vrije bewijswaarde”. De rechter beoordeelt hun bewijswaarde dus soeverein, wat betekent dat hij afhankelijk van het geval geen of meer geloofwaardigheid aan de ene of andere verklaring kan hechten. Dat beginsel vindt zijn grondslag in de leer van de innerlijke overtuiging. Aangezien sinds de invoering van de schriftelijke getuigenverklaringen in het Ger.W (artikel 961/2 Ger.W) zowel de schriftelijke verklaring als het mondelinge getuigenverhoor een vrije bewijswaarde hebben, staan ze juridisch-theoretisch qua bewijswaarde op een gelijke hoogte (vgl. SAMOY, I., VANDENBUSSCHE, W., Schriftelijk en getuigenbewijs. “Wanneer niets is wat het lijkt.” Over schriftelijk bewijs, bewijsovereenkomsten en de nieuwe wetgeving inzake de schriftelijke getuigenverklaring, In: X., Bewijsrecht [Vormingsprogramma 2012-2013], 189-255 – 2014).
Aldus moet de geloofwaardigheid en de bewijswaarde van de verklaringen die in casu voorliggen in concreto worden getoetst. Alleszins weze vastgesteld dat alle voorgelegde verklaringen beantwoorden aan de wettelijke vereisten.
De stad Mortsel vindt dat de verklaring van mevrouw K. niet geloofwaardig is en dat “de subjectiviteit ervan af druipt”. Het arbeidshof ziet echter geen reden om te twijfelen aan de geloofwaardigheid van de verklaring van mevrouw K., gezien deze in overeenstemming is met de stukken van het dossier. Zo bevestigen het verslag van het overleg van 12 juni 2017 en de e-mail van mevrouw K. van 7 juni 2017 dat de hele bespreking tijdens het overlegcomité van 12 juni 2017 gebeurde aan de hand van de nota zoals door de vakorganisatie van de heer S. voorbereid en opgesteld. Uit de e-mail van mevrouw K. van 7 juni 2017 blijkt ook dat de vakorganisatie vragende partij was om het dossier “voor eens en altijd goed door (te praten) zodat we met goede afspraken verder kunnen”.
Aan de geloofwaardigheid van de verklaring van mevrouw K. wordt geen afbreuk gedaan door de verklaring van C., die werd opgesteld met het doel om de verklaring van mevrouw K. te weerleggen (wat ook letterlijk wordt vermeld). Gezien C. schepen is bij de stad Mortsel moet haar verklaring omzichtig worden benaderd. Verder wordt ook hier de geloofwaardigheid in concreto beoordeeld. Hierbij moet echter worden vastgesteld dat de verklaring van C. op een aantal punten geen bevestiging vindt in de stukken van het dossier. Zo stelt de stad Mortsel dat uit de verklaring van C. zou blijken dat er wel een goede samenwerking was met de vakorganisaties. Echter in tegenstelling tot de verklaring van mevrouw K. vindt de verklaring van C. op dit vlak geen steun in de stukken. Immers C. stelt dat ook de stad Mortsel, net als het ACV, een voorbereiding voor dit overlegcomité had gemaakt en bezorgd, maar dit blijkt absoluut niet uit het verslag van het overlegcomité, waar als inleiding wordt vermeld: “De aanwezigen zijn in het bezit van een nota van het ACV-openbare besturen, die als basis dient voor de bespreking”. In het verslag worden telkens de vragen en bedenkingen van het ACV-openbare diensten vermeld, met daaronder de repliek van het bestuur en de preventieadviseur. Nergens wordt verwezen naar een nota van de stad Mortsel. Dergelijke nota wordt door de stad Mortsel ook niet voorgelegd of vermeld in conclusies.
C. stelt verder wel dat de heer S. op het overlegcomité alle ruimte kreeg om zijn verhaal te doen en dat er begrip was voor zijn persoonlijke situatie en gevoeligheid, maar ontkent anderzijds niet dat er sprake was van irritatie, oogrollen en veelbetekenende blikken tussen de burgemeester en de algemeen directeur, dewelke te maken zouden hebben gehad met het steevast refereren door de heer S. naar de zogenaamde nulnorm (zie echter reeds hierboven onder punt 2.1.2.2).
Bepaalde vermeldingen in de verklaring van C. zijn overigens allesbehalve objectief. Zij verwijt mevrouw K. dat zij uit rancune
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haar verklaring zou hebben afgelegd, vermeldt op een insinuerende manier dat er nooit zoveel brokstukken gevonden zijn als ten tijde van de heer S. zijn laatste werkmaanden, en beweert dat de vakorganisatie de heer S. niet zou hebben willen verdedigen, terwijl dit alles nergens uit blijkt, wat evenmin de geloofwaardigheid van deze verklaring ten goede komt.
Hoe dan ook is de verklaring van C. niet strijdig met de verklaring van mevrouw K. wat betreft de aanwezigheid van organisatorische en communicatieproblemen en personeelsverloop, en het feit dat de noodzakelijke transitie inzake personeel en organisatie naar een andere, nieuwe samenwerking met de nieuwe medewerkers van de stad Mortsel plaatsvond medio 2017, toen het asbestdossier in volle gang was.
Het is dus duidelijk dat de gebeurtenissen in het asbestdossier sedert 2015 tot medio 2017 elkaar opvolgden en zich opstapelden vóór deze transitie, zodat het wel degelijk geloofwaardig is dat hierdoor de arbeiders het vertrouwen kwijt waren in hun opdrachtgevers, die hierop reageerden met ergernis, in het bijzonder ten opzichte van de heer S.
De stad Mortsel slaagt er niet in om de getuigenverklaring van mevrouw K. te weerleggen.
Het is gelet op het voorgaande, in het bijzonder de verklaring van mevrouw K., bewezen dat het feit dat de heer S. zich als vakbondsafgevaardigde inzette voor de belangen van de werknemers in de asbestproblematiek een doorn in het oog was van de stad Mortsel. Dit wijst er op dat de ongunstige behandeling van de heer S. was ingegeven door ongeoorloofde motieven, en meer bepaald een represaille was wegens zijn assertiviteit en het feit dat hij als vakbondsafgevaardigde strikt toezag op het welzijn van de werknemers die hij vertegenwoordigde. Ook dit is een feit dat het bestaan van een discriminatie kan doen vermoeden.
Dat zowel bij de heer Van Hoof als een 35-tal andere collega’s, de overtuiging bestaat dat de heer S. werd ontslagen omdat hij opkwam voor de gezondheid en veiligheid van het personeel, kortom zijn plicht als vakbondsafgevaardigde uitoefende, is volgens de stad Mortsel slechts de uiting van hun mening en geen feit, maar dit gegeven zet wel de andere elementen kracht bij die erop lijken te wijzen dat het ontslag was ingegeven door ongeoorloofde motieven.
2.2.2.4. Besluit
De voormelde feiten doen vermoeden dat het ontslag van de heer S. is ingegeven door zijn syndicale overtuiging.
Het komt in deze omstandigheden aan de stad Mortsel toe dit vermoeden te weerleggen door aan te tonen dat er geen sprake is van discriminatie.
In casu stelt de stad Mortsel dat het ontslag niet ingegeven was door de syndicale overtuiging van de heer S., maar door zijn ongerechtvaardigde werkweigering en ongeoorloofde communicatie. Er zou dus geen causaliteit bestaan tussen de deelname van de heer S. aan de besprekingen van de asbestproblematiek en het ontslag nu de directe aanleiding zijn (herhaalde) werkweigering was in combinatie met de eerdere incidenten die zich hebben voorgedaan. Echter de werkweigering was om redenen die hierboven al besproken werden niet ongeoorloofd (punt 2.1) en onlosmakelijk verbonden met de asbestproblematiek zodat ook het ontslag hier onlosmakelijk mee is verbonden. Ook de verweten vroegere voorvallen zijn quasi telkens gelinkt aan zijn optreden inzake de asbestproblematiek.
De stad Mortsel stelt nu wel dat de heer S. zich niet achter zijn syndicale overtuiging kan verschuilen om zich respectloos, onbeleefd en agressief te gedragen, maar vermeldde in de ontslagbrief dd. 25 september 2017 dat om dringende reden een einde werd gemaakt aan de arbeidsovereenkomst “wegens insubordinatie”, en leidde zelf haar ontslagmotiveringsbrief van 28 september 2017 in met de woorden: “De voornaamste reden welke wij inroepen is uw herhaalde werkweigering i.v.m. tewerkstelling in gebouw MG40.”
In de ontslagmotiveringsbrief werden de niet-discriminerende gronden waarnaar de stad Mortsel verwijst, zijnde het beweerde agressieve en deloyale gedrag, slechts in bijkomende orde aangehaald, als omstandigheid die het zwaarwichtig karakter van de feiten van 22 september 2017, kracht bij diende te zetten en zeker niet als de essentie van de ontslagreden.
De manier waarop de heer S. soms communiceerde, was duidelijk niet de voornaamste reden van het ontslag, terwijl de stad Mortsel het bewijs moet leveren dat het ontslag uitsluitend gebaseerd was op niet discriminerende gronden.
De stad Mortsel slaagt er samengevat niet in te bewijzen dat de ongunstige behandeling van de heer S. niet gebaseerd was op zijn syndicale overtuiging maar uitsluitend op andere, geoorloofde criteria, dan wel gerechtvaardigd zou zijn door een legitiem doel, dat met passende en noodzakelijke middelen wordt nagestreefd.
Overeenkomstig artikel 18, § 2, 2° van de Antidiscriminatiewet heeft het slachtoffer dat een schadevergoeding vordert wegens discriminatie in het kader van de arbeidsbetrekkingen, recht op een forfaitaire schadevergoeding voor materiële en morele schade gelijk aan het brutoloon voor zes maanden, tenzij de werkgever aantoont dat de betwiste ongunstige of nadelige behandeling ook op niet-discriminerende gronden getroffen zou zijn. In dat laatste geval wordt de forfaitaire schadevergoeding voor materiële en morele schade beperkt tot drie maanden brutoloon. Er is dus enkel een grond tot beperking van de schadevergoeding wanneer de ongunstige behandeling hoe dan ook was gebeurd, zelfs als het slachtoffer niet had beantwoord aan het criterium van onderscheid. Dit laatste is echter niet het geval nu de reden van het ontslag precies onlosmakelijk verbonden was met de syndicale overtuiging van de heer S.
Er is geen grond om de vergoeding te beperken tot drie maanden loon nu niet is aangetoond dat het ontslag ook zou zijn getroffen op niet-discriminerende gronden.
Het bestreden vonnis wordt ook op dit punt bevestigd.
2.3. Misbruik van ontslagrecht
2.3.1. De generieke gemeenrechtelijke formulering van rechtsmisbruik toegepast op het recht tot ontslag van de werkgever houdt in dat hij zich daaraan schuldig maakt wanneer hij dat recht gebruikt op een wijze die kennelijk de grenzen te buiten gaat van wat een normale en redelijke werkgever in dezelfde omstandigheden zou doen (vgl. Cass. 1 februari 1996, Arr. Cass. 1996, 319). De gemeenrechtelijke verplichting te goeder trouw te handelen, vormt de grondslag van de figuur van het rechtsmisbruik. De vereiste kennelijke overschrijding van de redelijke grenzen kan zowel betrekking hebben op de niet-mededeling van de redenen voor het ontslag als op die redenen zelf, dan wel de omstandigheden van het ontslag.
Zoals de CAO nr. 109 voorziet in een schadevergoeding wegens kennelijk onredelijk ontslag, kan een werknemer die wordt ontslagen zonder wettig motief, maar zich niet kan beroepen op die CAO, aanspraak maken op een schadevergoeding op grond van artikel 1134 van het Oud Burgerlijk Wetboek: dergelijk ontslag miskent de regels van de goede trouw, die ook gelden bij het einde van een overeenkomst, en gaat kennelijk de grenzen te buiten van wat een normaal en redelijk werkgever doet (vgl. VAN EECKHOUTTE, W., “Een kennelijk redelijker ontslagrecht. De rechten van de werknemer i.v.m. de motivering van zijn ontslag”, TSR 2015, 653-767, nr. 189).
Opdat er sprake zou zijn van rechtsmisbruik bij ontslag, is vooreerst een fout vereist die onderscheiden is van het niet in acht nemen van de regelen betreffende het beëindigen van de arbeidsovereenkomst. De fout kan bestaan in het motief zelf van het ontslag of in de omstandigheden waarmee het gepaard gaat. Naast een fout onderscheiden van de miskenning van de ontslagregelen, vereist het bestaan van rechtsmisbruik bij ontslag een bijzondere materiële of morele schade die onderscheiden is van die welke wordt veroorzaakt door het ontslag zelf, namelijk schade die is veroorzaakt door met het ontslag gepaard gaande omstandigheden. De forfaitaire opzeg-
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gingsvergoeding vergoedt op zich alle schade die, zowel materieel als moreel, uit de beëindiging van de arbeidsovereenkomst voortvloeit.
2.3.2. Hierboven werd al geoordeeld dat het ontslag van de heer S. gebaseerd is op een ongeoorloofd motief. Het ontslag omwille van een door de Antidiscriminatiewet 2007 beschermd criterium is in geen geval de handelwijze van een voorzichtige en zorgvuldige werkgever.
Echter in de mate dat de aangevoerde fout betrekking heeft op het ontslagmotief, wordt de hieruit voortvloeiende schade reeds gedekt door de schadevergoeding wegens discriminatie op basis van syndicale overtuiging.
Hierboven werd al geoordeeld dat het ontslag een represaille was omdat de heer S. het opnam voor de veiligheid van zijn collega’s en zichzelf inzake de asbestproblematiek. Precies om personeelsafgevaardigden te beschermen tegen represailles van de werkgever wanneer ze opkomen voor de belangen van de werknemers, wordt in de Wet van 19 maart 1991 houdende bijzondere ontslagregeling voor de personeelsafgevaardigden in de ondernemingsraden en in de comités voor veiligheid, gezondheid en verfraaiing van de werkplaatsen alsmede voor de kandidaat-personeelsafgevaardigden, voorzien in een ontslagbescherming voor de personeelsafgevaardigden die onder deze wet ressorteren, wat echter niet het geval is voor de heer S.
De handelwijze van de stad Mortsel geeft blijk van een uitoefening van het ontslagrecht op een wijze die kennelijk de grenzen overschrijdt van een normale uitoefening door een voorzichtige en zorgvuldige werkgever en dient als fout te worden beschouwd.
De heer S. verwijst ook naar het feit dat hij niet gehoord zou zijn geweest voorafgaand aan zijn ontslag, maar uit het dossier blijkt dat hij op 22 september 2017 wel degelijk zijn standpunt naar voor heeft kunnen brengen omtrent de tekortkoming die hem werd aangerekend.
Er kan aanvaard worden dat de heer S. door de fout van de stad Mortsel een bijkomende morele schade heeft geleden door de aantasting van zijn persoonlijke en professionele reputatie, los van de schade die al vervat zit in de verbrekingsvergoeding en de schadevergoeding wegens discriminatie op basis van syndicale overtuiging. De heer S. reikt echter geen elementen aan die een hoger bedrag verantwoorden dan de vergoeding zoals deze door de eerste rechters ex aequo et bono bepaald werd op 2.500,00 euro.
Het is passend het bestreden vonnis ook op dit punt te bevestigen.
(…)
NOOT
Dit arrest verscheen in RABG 2021, 1160, met noot M. DECONYNCK, “De vele risico’s van de strijd tegen asbest” [Ontslag vakbondsafgevaardigde], RABG 2021, 1180-1184; zie ook F. DORSSEMONT, “Vakbondsafgevaardigdeklokkenluider kan na ontslag discriminatie inroepen wegens syndicale overtuiging”, Juristenkrant 2021, afl. 427, 4-5; en J. JACQMAIN, «Ne pas sonner le tocsin – surtout sur un air syndical», Soc.Kron. 2022, 76.
Cour Trav. Bruxelles (4e ch.), 22 février 2022
Siège : A. Schoenmaekers, cons. ; G. Marijsse et G. Ruelle, cons. soc. Min. publ. : H. Funck, av. gén. (avis conf.)
Plaid. : MMes F. Dossche loco P.-H. Delvaux, et E. Carlier
Allianz Belgium s.a. c/ D. (R.G. n° 2018/AB/294)
CONTRAT DE TRAVAIL – AVANTAGES COMPLÉMENTAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE – ASSURANCE COLLECTIVE EN CAS D’INCAPACITÉ DE TRAVAIL – BURN OUT – MALADIE
Un contrat d’assurance collective en cas d’incapacité de travail résultant d’une maladie s’applique à un cas de burn-out, même si celui-ci constitue aussi un risque psycho-social. En effet, le burn-out se manifeste en l’espèce par une altération de la santé, des symptômes objectifs ou objectivables, et une invalidité économique reconnue par le médecin-conseil de l’assureur et l’expert judiciaire, et permet un traitement thérapeutique adapté selon les standards médicaux reconnus.
ARBEIDSOVEREENKOMST – AANVULLENDE VOORDELEN AAN DE SOCIALE ZEKERHEID – GROEPSVERZEKERING BIJ ARBEIDSONGESCHIKTHEID – BURN-OUT – ZIEKTE
Een collectieve verzekeringsovereenkomst in geval van arbeidsongeschiktheid wegens ziekte is van toepassing bij burn-out, zelfs als burn-out ook een psychosociaal risico is. In casu manifesteert de burn-out zich immers door een aantasting van de gezondheid, objectieve of objectief verifieerbare symptomen en een door de medisch adviseur van de verzekeraar en de gerechtsdeskundige erkende economische invaliditeit, en maakt ook een passende therapeutische behandeling volgens erkende medische normen mogelijk.
25 avril 2014 par lui-même et le Docteur M., psychiatre, qui rapporte un diagnostic de burn-out.
I. LES FAITS
1. Monsieur D. a travaillé comme employé au service de la S.A. Cogebi du 19 juin 1995 au 22 janvier 2015.
Dans le cadre de cet emploi, il bénéficiait auprès de la compagnie d’assurance S.A. Allianz Belgium d’une assurance collective en cas d’incapacité de travail.
2. Monsieur D. a été en incapacité de travail à partir du 20 janvier 2014 jusqu’à la fin de la relation de travail au 22 janvier 2015.
3. Monsieur D. a été reconnu, durant cette période, incapable de travailler au sens de l’article 100 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, et a été indemnisé de ce chef par sa mutuelle.
4. Monsieur D. a introduit auprès d’Allianz une ‘déclaration en cas d’incapacité de travail’, complétée le 22 avril 2014 par Cogebi et le
5. Par un courrier du 6 mai 2014, Allianz a invité Monsieur D. à communiquer à son médecin-conseil « un rapport médical complet concernant l’affection, qui justifie [son] incapacité actuelle ».
6. Monsieur D. a transmis un certificat médical daté du 21 mai 2014, du Docteur M..
7. Par un courrier du 11 juin 2014, Allianz a invité Monsieur D. à communiquer à son médecin-conseil le questionnaire joint, complété par lui-même et son médecin-traitant.
8. Monsieur D. a transmis le questionnaire daté du 20 juin 2014 et complété par le Docteur M., psychiatre, rapportant un diagnostic de burn-out
9. Par courrier du 25 juillet 2014, Allianz a informé Monsieur D. de son refus d’intervention. Ce courrier est rédigé comme suit:
« Nous avons bien reçu les documents concernant votre incapacité de travail du 20/01/2014. D’après les renseignements que
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 564
(…)
vous avez bien voulu nous fournir, nous ne pouvons intervenir dans ce sinistre.
Nous nous référons directement aux conditions générales et particulières du contrat qui prévoient que:
- l’invalidité physiologique doit être évaluée par référence au Barème officiel belge des invalidités ou au Guidebarème européen d’évaluation médicale des atteintes à l’intégrité physique et psychique.
- l’invalidité économique doit avoir pour origine une maladie dont les symptômes objectifs doivent permettre au médecin de poser un diagnostic.
- l’invalidité économique est appréciée sans référence à la fonction ou l’emploi que vous exercez pour l’instant mais en fonction du marché général du travail.
Nous sommes d’avis que ces conditions ne sont pas remplies.
La cause de votre incapacité d’un point de vue étiologique et scientifique ne permet pas d’établir le diagnostic d’une maladie mais relève de la situation socio-professionnelle particulière dans laquelle vous évoluez au moment de la déclaration de sinistre. » (...)
II. LE JUGEMENT DU TRIBUNAL DU TRAVAIL.
1. Monsieur D. a demandé au Tribunal du travail francophone de Bruxelles de condamner Allianz au paiement d’un montant de 30.176,89 €, majoré des intérêts judiciaires et d’une indemnité de procédure liquidée ä la somme de 4.400 €.
2. Par un jugement du 9 janvier 2018, le tribunal du travail francophone de Bruxelles a décidé (…) avant dire droit, [de désigner] en qualité d’expert, le docteur Enio RANALLI, lequel (…) aura pour mission de :
- donner son avis pour toute la période litigieuse courant du 20.1.2014 au 22.1.2015;
- déterminer, pour cette période, l’invalidité physiologique et économique de Monsieur DELBECQ et, pour chacune, son degré, en fonction des indications reprises aux points nos 36 à 39 du présent jugement ; (…)
V. EXAMEN DE LA CONTESTATION.
1. Quant à la demande d’une rente en cas d’incapacité de travail
Allianz doit payer à Monsieur D. un montant de 30.176,89 € à titre de rente en cas d’incapacité de travail.
Cette décision est motivée par les raisons suivantes.
1. Allianz soutient que le burn-out de Monsieur D. n’est pas une maladie telle que définie au contrat et qu’il ne peut dès lors prétendre aux garanties qui y sont prévues.
Le présent litige concerne donc l’application d’une assurance collective en cas d’incapacité de travail, souscrite par l’employeur de Monsieur D., à savoir Cogebi, auprès de la compagnie d’assurance Allianz.
Il convient ainsi d’examiner les conditions générales et particulières de cette assurance collective en cas d’incapacité de travail, afin de déterminer si Monsieur D. peut ou non bénéficier de la rente qui y est prévue.
2. L’article 23 de la loi du 4 avril 2014 sur les assurances précise : « § 1er. Les conditions générales, particulières et spéciales, les contrats d’assurance dans leur ensemble, ainsi que toutes les clauses prises séparément doivent être rédigées en termes clairs et précis. Ils ne peuvent contenir aucune clause de nature à porter atteinte à l’équivalence entre les engagements de l’assureur et ceux du preneur d’assurance.
§ 2. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au preneur d’assurance prévaut dans tous les cas. Si le preneur d’assurance et l’assuré ne sont pas une seule et même
personne, c’est l’interprétation la plus favorable à l’assuré qui prévaut. »
3. L’article 7 des conditions générales du contrat d’assurance collective stipule:
« En cas d’invalidité économique résultant d’une maladie d’une grossesse, d’un accouchement, d’un accident de la vie privée ou du travail de l’assuré principal, le contrat d’assurance maladie collectif garantit les prestations définies aux conditions particulières et l’exonération du paiement des primes de la présente assurance. ».
L’article 14 des conditions générales du contrat d’assurance collective décrit la maladie comme:
« toute altération d’origine non accidentelle de la santé de l’assuré principal, présentant des symptômes objectifs qui permettent d’établir un diagnostic ainsi que le traitement thérapeutique adapté selon les standards médicaux reconnus ».
4. Selon la définition de l’article 14 des conditions générales du contrat d’assurance collective, une maladie est donc :
- une altération de la santé de l’assuré ;
- présentant des symptômes objectifs ; - qui permettent d’établir un diagnostic ; - qui permettent un traitement thérapeutique adapté selon les standards médicaux reconnus.
5. L’article 14 des conditions générales du contrat d’assurance collective prévoit comme seule exclusion du contrat d’assurance, l’altération de l’état de santé d’origine accidentelle.
6. L’article 14 des conditions générales du contrat d’assurance collective ne prévoit pas d’exclusion des maladies qui seraient d’origine professionnelle.
Le fait que le burn-out devrait être considéré comme un risque psychosocial au sens de la loi du 4 août 1996 n’est pas de nature à [l’] exclure (…) de la couverture prévue par le contrat d’assurance d’Allianz.
7. Le fait qu’Allianz ait développé un produit spécifique (manifestement postérieur au contrat d’assurance litigieux, puisque l’exemplaire déposé par Allianz porte la date de 2016) pour rencontrer la problématique des risques psychosociaux, est sans incidence en l’espèce, puisque la maladie d’origine professionnelle résultant d’un risque psychosocial n’est pas formellement exclue par les conditions générales et particulières applicables en l’espèce.
8. Il faut donc examiner si Monsieur D. remplit les conditions de l’article 14 des conditions générales du contrat d’assurance collective.
9. Tout d’abord, il faut examiner si Monsieur D. avait une altération de la santé.
Les considérations quant à la reconnaissance du burn-out, par les instances légales belges et supranationales, sont sans incidence puisque les conditions générales et particulières du contrat d’assurance collective ne renvoient pas à cette reconnaissance en tant que maladie.
Il résulte du certificat médical établi le 21 mai 2014 par le docteur M. que Monsieur D. présentait une altération de la santé, puisqu’il souffrait de : « aboulie, troubles de la concentration, crises d’angoisse, douleur rétrosternales et insomnies ».
10. Ensuite, il faut examiner si Monsieur D. présentait des symptômes objectifs.
En l’occurrence, le docteur M., consulté par Monsieur D., fait état de symptômes objectifs (...).
Si, ni les conditions générales, ni les conditions particulières du contrat d’assurance collective n’exigent, pour qu’un symptôme soit considéré comme objectif, qu’ils soient quantifiables, force est de constater, contrairement à ce que soutient Allianz, que par des tests neurologiques ou psychologiques, il est possible de mesurer l’intensité des symptômes, notamment la fréquence d’insomnies, le degré de concentration, etc.
11. La troisième condition est également remplie, puisqu’un diagnostic a pu être posé pour l’altération de l’état de santé de Monsieur D.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 565
Le docteur M. constate chez Monsieur D. une aboulie, des troubles de la concentration, des crises d’angoisse, une douleur rétrosternale et des insomnies, qui font conclure à un burn-out
12. Le burn-out de Monsieur D. permet un traitement thérapeutique adapté selon les standards médicaux reconnus.
La notion de traitement thérapeutique n’est pas définie par le contrat d’assurance.
Il faut donc se référer à la définition courante du terme « thérapeutique », à savoir un traitement pour guérir une maladie, médical ou non.
En l’occurrence, il résulte du certificat médical susmentionné que Monsieur D. suivait un traitement thérapeutique adapté selon les standards médicaux reconnus, à savoir qu’il prenait les médicaments Deanxit, Lysanxia et Loramet.
13. La cour conclut dès lors que les quatre conditions prévues à l’article 14 des conditions générales du contrat d’assurance collective sont bel et bien remplies.
14. L’article 8.3 des conditions générales prévoit que les prestations sont servies pour autant que l’assuré principal soit atteint d’une invalidité économique répondant aux conditions et au taux minimum précisé aux conditions particulières.
L’article 8.2 des conditions particulières du contrat d’assurance collective prévoit que l’invalidité économique doit être de 25 % au moins.
C’est donc bien l’invalidité économique, et non l’invalidité physiologique, qui doit être d’au moins 25 %.
L’article 9 des conditions générales du contrat d’assurance collective précise :
« L’importance des prestations versées dépend du degré de l’invalidité économique reconnue par le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances.
Si le degré d’invalidité économique est égal ou supérieur à 67 %, l’incapacité de travail est considérée comme totale.
Le montant des prestations correspondant dans ce cas au montant assuré.
Lorsque le degré d’invalidité économique est inférieur à 67 %, l’incapacité de travail partielle et les prestations servies sont proportionnelles à ce degré. »
Selon la définition reprise au point 12 de la section « définitions » des conditions générales du contrat d’assurance collective, l’invalidité économique est :
« Une diminution de la capacité de travail de l’assuré principal, consécutive à une invalidité physiologique. Le degré d’invalidité économique est déterminé en tenant compte uniquement des possibilités pour l’assuré principal de se réadapter dans une activité professionnelle qui soit compatible avec ses connaissances et ses aptitudes, sans faire référence à la fonction exercée au moment de la survenance du sinistre ».
L’invalidité économique renvoie donc à l’incapacité à travailler, évaluée non par rapport à l’emploi habituel de l’assuré principal, mais bien à ses capacités à se réadapter dans une activité professionnelle quelconque.
Selon la définition reprise au point 13 de la section « définitions » des conditions générales du contrat d’assurance collective, l’invalidité physiologique est :
« Une diminution de l’intégrité physique ou psychique de l’assuré principal dont le degré est fixé par décision médicale et tenant compte du Barème officiel belge des invalidités et du Guidebarème européen évaluation médicale des atteintes à l’intégrité physique et psychique et de tout autre document officiel appelé à les compléter. ».
Cette dernière définition, et le renvoi au Barème officiel belge des invalidités, n’implique toutefois pas qu’il faut évaluer l’invalidité physiologique.
Puisque l’article 8.2 des conditions particulières du contrat d’assurance collective fixe le degré [minimum] d’invalidité au regard de l’invalidité économique, que l’article 9 des conditions générales du
contrat d’assurance collective définit la prestation au regard de cette même notion d’invalidité économique et que la notion d’invalidité physiologique est indifférente à la détermination de la capacité au travail, l’ensemble des dispositions susmentionnées, doit être interprété comme exigeant la détermination d’une invalidité économique de plus de 25 %.
15. Monsieur D. était en incapacité de travail du 20 janvier 2014 au 22 janvier 2015.
Il a été reconnu comme inapte au travail par sa mutuelle, sur base de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.
II en résulte que, pour pouvoir prétendre aux indemnités, passé le délai primaire des six mois, donc à partir du 20 juillet 2014, Monsieur D. doit être considéré comme inapte à plus de 66 % de reprendre un emploi quelconque sur le marché général de l’emploi. Il démontre donc bel et bien, pour cette période, une incapacité économique de 67 % au moins sur le marché général de l’emploi.
En ce qui concerne la période antérieure, à savoir la période du 20 janvier 2014 au 20 juillet 2014, la cour estime que Monsieur D. démontre bel et bien avoir été en incapacité économique de 67 % au moins sur le marché général de l’emploi.
Monsieur D. produit une attestation du 20 mai 2014 du docteur M., ainsi que des certificats médicaux d’incapacité de travail total du 20 janvier 2014, 4 février 2014, 8 mai 2014 27 juin 2014, 5 septembre 2014, 29 octobre 2014, 28 novembre 2014, et 13 janvier 2015.
Par courrier du 29 août 2014 un « gestionnaire santé » d’Allianz a fait savoir au précédent conseil de Monsieur D. que :
« Les documents médicaux qui nous ont été transmis ont été examinés par notre médecin-conseil. La cause de l’incapacité de travail mentionné est explicitement le burn-out
Le diagnostic posé par le médecin de Monsieur D. et l’incapacité de travail y afférente n’ont aucun cas été remis en doute.
L’assureur a confirmé à Monsieur D. que la cause de l’incapacité est effectivement trouvée dans la situation socio-économique de l’assuré et la fonction qu’il exerce au moment de la capacité.
Cette situation n’entre pas dans les garanties offertes par le contrat...».
Il ressort donc clairement de ce qui précède que le médecinconseil d’Allianz n’a jamais contesté que Monsieur D. subissait une incapacité de travail totale.
Il n’y a dès lors pas lieu d’ordonner une expertise médicale, conforme à l’article 16 des conditions générales du contrat d’assurance collective, puisque cet article 16 vise toute contestation relative à la reconnaissance ou le degré d’invalidité.
Surabondamment, la cour constate que les parties ont procédé à une expertise judiciaire, ordonnée par le premier juge dans son jugement du 9 janvier 2018. Étaient présents lors de cette expertise, notamment le docteur Jacques Degrooff, médecin-conseil d’Allianz ainsi que l’avocat d’Allianz.
L’expert désigné par le tribunal, docteur Enio Ranalli, a conclu, dans son rapport définitif, que Monsieur D. présentait bien, durant la période du 20 janvier 2014 au 22 janvier 2015, une incapacité économique de plus de 66 % sur le marché général du travail.
16. Puisqu’il ressort clairement des pièces du dossier que Monsieur D. présentait une incapacité économique de plus de 66 % sur le marché général du travail du 5 janvier 2014 au 22 janvier 2015 il a droit à une rente de la part de la compagnie d’assurances Allianz.
(...)
Allianz est dès lors redevable à Monsieur D. d’un montant de 30.176,89 euros (soit 48.824,26 euros - 18.747,36 euros).
La demande est non fondée.
L’appel est non fondé. (…).
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 566
(…)
L’invalidité physiologique doit être fixée (définition 13) uniquement « en tenant compte » du ‘Barème officiel belge des invalidités’ ou du ‘Guide barème européen d’évaluation médicale des atteintes à l’intégrité physique et psychique’ ; elle ne doit pas être définie ‘conformément’ à ces barèmes. Il ne s’agit donc que d’un outil, qui peut d’ailleurs être ‘complété par tout autre document officiel’.
Or, M. DELBECQ cite, sans qu’ALLIANZ BELGIUM y trouve à redire :
- au ‘Barème officiel belge’, les articles 647 (‘anxiété ou angoisses’) et 648 (‘dépression non endogène’) ;
- au ‘Guide barème européen’, la reprise, parmi les maladies psychiatriques, des ‘troubles persistants de l’humeur’ et de l’état dépressif.
L’invalidité physiologique subie par M. DELBECQ peut être fixée « en tenant compte » de ces définitions ; le burn-out correspond à une ‘anxiété ou des angoisses’, à une ‘dépression non endogène’ et, certainement, à un ‘trouble persistant de l’humeur’1 (…)
Par ailleurs, comme le tribunal l’a relevé, le burn-out constitue également un ‘trouble du psychisme’, au sens de l’article 11, alinéa 2, du même règlement. Dire cela n’est pas l’amalgamer avec d’autres troubles tel celui de la fatigue chronique ou de la fibromyalgie.
Certes, comme l’a dit le Conseil supérieur de la Santé dans un rapport de septembre 2017, que cite la s.a. ALLIANZ BELGIUM, le burn-out « reste encore pour beaucoup une notion floue aux contours mal définis », mais ceci tient à ce que, même si nous sommes au XXIe siècle, nos connaissances sur le psychisme et le cerveau humain sont encore très fragmentaires.
Comme le dit ALLIANZ BELGIUM 2 , le burn-out est « généralement défini comme un ‘syndrome d’épuisement professionnel’ ». C’est même cette définition que l’Académie française recommande pour l’usage en français 3
Un syndrome, c’est un « ensemble bien défini de symptômes qui peut s’observer dans plusieurs états pathologiques différents et qui ne permet pas à lui seul de déterminer la cause et la nature de la maladie » (Petit Robert , 1980) ; une « association de plusieurs symptômes, signes ou anomalies constituant une entité clinique reconnaissable, soit par l’uniformité de l’association des manifestations morbides, soit par le fait qu’elle traduit l’atteinte d’un organe ou d’un système bien défini » (Petit Robert , 1996) ; un « ensemble des symptômes caractéristiques, qui se produisent en même temps, dans un certain nombre d’affections », c’est-à-dire des « états du corps malade » (dictionnaire Flammarion, 1999). Le Petit Larousse 2001 dit aussi : « ensemble de signes, de symptômes, de troubles dont les causes sont inconnues ou multiples (par opposition à maladie) [la distinction entre syndrome et maladie est parfois appliquée d’une façon approximative dans le langage médical] ».
7. Pour l’opposer à la ‘maladie’, l’intimé et son médecin conseil définissent le burn-out comme « un état d’esprit caractérisé par l’épuisement, un sentiment d’inefficacité, une démotivation et des comportements dysfonctionnels au travail ». ALLIANZ BELGIUM renvoie aussi à une étude de la KUL, qui évoque une « perte de contrôle (…) [qui] engendre une humeur dépressive chez la personne ».
Un ‘état d’esprit’, une ‘humeur’ … ces termes prêtent à sourire. Depuis le Corpus hippocratique, attribué à Hippocrate, et jusqu’au XIXe siècle, la médecine héritée de l’Antiquité a traité les maladies comme des ‘humeurs’ ; la ‘théorie des humeurs’ a été la base quasi unique de la médecine occidentale.
1 Sur la notion d’ humeur, voir ci-dessous n° 7.
2 Cf. conclusions, p. 6, en renvoyant aux dictionnaires Larousse et à l’O.M.S. 3 www.academie-francaise.fr/burn-out : « Ce terme anglais, emprunté au vocabulaire des techniques spatiales, a dans ce domaine très spécialisé des équivalents français. La presse s’en est fâcheusement emparée pour désigner ce qui s’intitule proprement le « syndrome d’épuisement professionnel » et, plus souvent encore, l’état d’intense fatigue, la sensation d’avoir perdu toute énergie, auxquels font allusion les commentateurs sportifs lorsqu’ils disent familièrement qu’un joueur ou un athlète est ‘carbonisé’, ‘vidé’, etc. Dans tous les cas, on aura recours aux termes français et on évitera de faire usage de ce mot anglais ».
Pour les Anciens, le corps est constitué des quatre éléments fondamentaux : air, feu, eau et terre, lesquels possèdent quatre qualités : chaud ou froid, sec ou humide :
- le feu : chaud et sec ;
- l’air : chaud et humide ;
- la terre : froide et sèche ;
- l’eau : froide et humide.
Ces éléments, mutuellement antagoniques (l’eau et la terre éteignent le feu, le feu fait évaporer l’eau), doivent coexister en équilibre pour que la personne soit en bonne santé. Tout déséquilibre mineur entraîne des ‘sautes d’humeur’, tout déséquilibre majeur menace la santé du sujet.
Selon leur prédominance, ces éléments vont déterminer les quatre tempéraments fondamentaux :
- celui chez qui domine la bile jaune : venant du foie, elle donne un caractère bilieux (feu, chaud et sec), plutôt « enclin à la colère » et à la violence ; le bilieux dégage une impression de force et de contrôle ;
- celui chez qui domine l’atrabile ou bile noire : venant de la rate, elle donne un caractère mélancolique ou anxieux ; l’atrabilaire (terre, froid et sec) « se dit de celui qu’une bile noire et aduste rend triste et chagrin » ;
- celui chez qui domine la pituite ou phlegme ou lymphe : rattachée au cerveau, elle donne un caractère lymphatique ; le flegmatique (eau, froid et humide), se dit de l’homme calme et imperturbable, qui garde son sang-froid et est presque apathique ;
- celui chez qui domine le sang : produit par le foie et reçu par le cœur, il donne un caractère sanguin ou jovial, chaleureux ; le sanguin (air, chaud et humide) est « celui en qui le sang prédomine sur les autres humeurs. Il est d’humeur gaie, parce qu’il est sanguin, d’un tempérament sanguin » 4
Cette théorie a conduit à la mise en place de diagnostics et de traitements farfelus. La saignée est par exemple une conséquence directe de cette théorie car le but est de « chasser » les humeurs, mais dans les faits, il était largement plus probable que la saignée tuait le malade.
Les découvertes scientifiques du XIXe siècle ont discrédité cette théorie en raison de la méconnaissance notamment du rôle des organes, de la circulation sanguine, de la chimie de base 5
8. Un autre argument avancé par ALLIANZ BELGIUM est que le burn-out ne devrait pas forcément être traité par des moyens médicaux mais plutôt par des mesures appropriées dans l’organisation du travail, les conditions et lieux de travail, les relations internes.
Comme on l’a vu, ceci ne se vérifie pas entièrement en l’espèce, puisque, comme d’autres, M. DELBECQ a été traité par des médicaments.
Mais indépendamment de cela, s’il est exact que la cause immédiate du burn-out peut souvent être identifiée dans une difficulté relationnelle locale, dans l’exercice du travail convenu, il n’empêche qu’il a sa cause dans une multiplicité de facteurs, et donc pas seulement dans des facteurs professionnels ; et qu’il peut entraîner une inaptitude au moins temporaire pour l’ensemble du marché du travail ; il exprime alors un ‘épuisement pour le travail’ en général, de sorte que même des mesures organisationnelles n’ont pas toujours l’effet souhaité.
Quoi qu’il en soit, la maladie ne peut se définir par son traitement ni par ses conséquences.
9. Comme le tribunal l’a dit, le fait que le burn-out ne soit pas repris comme une maladie ou comme une maladie professionnelle dans les classifications nationales ou internationales, ou soit reconnu comme un risque psycho-social, n’est pas déterminant. Le règlement dont question ne se réfère pas non plus de manière exclusive à ces classifications.
(…)
§ 2. Discrimination fondée sur l’état de santé actuel ou futur
11. Mais il y a plus, et mon Office doit en l’espèce soulever un moyen non invoqué par les parties, mais d’ordre public.
4 Les définitions de ce paragraphe, mises entre guillemets, sont celles de l’Académie française dans ses éditions de 1694 et 1762.
5 Ce qui précède est inspiré de Wikipedia, v° Théorie des humeurs
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 567 Avis du ministère public
En effet, le fait que le burn-out soit exclu des prestations prévues par le contrat d’assurance collective ‘incapacité de travail’ pourrait apparaître comme une discrimination directe fondée sur l’état de santé actuel ou futur, au sens des articles 3, 4 (6°, 7° et 17°) et 5 (§§ 1, 2, 2°, et 3, premier tiret) de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.
(…) 15. En l’espèce, le fait de ne pas prendre en compte pour une prestation complémentaire de sécurité sociale, telles celles litigieuses, prévues au contrat d’assurance collective ‘incapacité de travail’, une situation
de santé telle le burn-out ou ‘syndrome d’épuisement professionnel’, alors que cette situation est établie par un examen médical, et que des maladies plus ‘normales’ le sont, m’apparaît de prime abord comme créant une distinction non justifiée par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne sont pas appropriés et nécessaires, au sens de l’article 7 de la loi du 10 mai 2007.
(…)
Cass. (3e ch.), 22 juin 2020
Henri FUNCK
Jurisprudence : maladies professionnelles
Rechtspraak: beroepsziekten
Siège : C. Storck, prés. ; K. Mestdagh et M. Delange (rapp.), prés. sect. ; A. Lievens et E. de Formanoir, cons. Min. publ. : J.-M. Genicot, av. gén. Plaid. : Me Geinger
Agence fédérale des risques professionnels c/ O.F. (S.18.0009.F)
MALADIE PROFESSIONNELLE – MALADIE HORS LISTE – LIEN DE CAUSALITÉ – PRÉDISPOSITION
Le lien de causalité, prévu par l’article 30bis des lois coordonnées du 3 juin 1970, entre l’exercice de la profession et la maladie ne requiert pas que l’exercice de la profession soit la cause exclusive ou prépondérante de la maladie. Cet article n’exclut pas une prédisposition et n’impose pas que la victime ou l’ayant droit établisse l’importance de l’influence exercée par la prédisposition, notamment que cette influence est moindre que celle de l’exercice de la profession.
(…)
En vertu de l’article 30bis des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, donne également lieu à réparation dans les conditions fixées par le Roi, la maladie qui, tout en ne figurant pas sur la liste visée à l’article 30, des maladies professionnelles dont les dommages donnent lieu à réparation, trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.
Après les recommandations des 23 juillet 1962 concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles et 20 juillet 1966 relative aux conditions d’indemnisation des victimes des maladies professionnelles, la recommandation de la Commission de l’Union européenne 90/326/CEE du 22 mai 1990 concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles, puis la recommandation 2003/670/CE du 19 septembre 2003 concernant la liste européenne des maladies professionnelles qui la remplace, recommandent aux États membres de s’employer à introduire dans leurs dispositions nationales un droit à l’indemnisation pour les maladies professionnelles dont l’origine et le caractère professionnel peuvent être établis.
La Commission ne propose aucune limite à la preuve de l’origine et du caractère professionnel de la maladie.
Les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 1990 portant des dispositions sociales, qui introduit l’article 30 bis dans les lois coordonnées, précisent que cette disposition a pour but, « dans l’intérêt même des victimes, d’étendre le champ d’application des lois coordonnées aux maladies d’origine professionnelle qui ne figurent pas sur la liste, lorsque les victimes ou leurs ayants droit prouvent l’existence d’un rapport causal
BEROEPSZIEKTE – ZIEKTE BUITEN DE LIJST – OORZAKELIJK VERBAND – VOORAFGAANDE AANLEG VOOR DE ZIEKTE
Het oorzakelijk verband, bepaald in artikel 30bis Beroepsziektenwet, tussen de beroepsuitoefening en de ziekte vereist niet dat de beroepsuitoefening van het beroep de uitsluitende of doorslaggevende oorzaak van de ziekte is. Dit artikel sluit een bepaalde aanleg niet uit en schrijft niet voor dat het slachtoffer of de rechthebbende het belang van de invloed van deze aanleg bewijst met name dat deze invloed minder groot is dan die van de beroepsuitoefening.
entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie ».
Il ne ressort pas de ces travaux préparatoires que, par les termes « déterminante et directe », l’article 30bis dispose que le risque professionnel doit être la cause exclusive ou prépondérante de la maladie.
Le lien de causalité prévu par l’article 30bis entre l’exercice de la profession et la maladie ne requiert pas que l’exercice de la profession soit la cause exclusive ou prépondérante de la maladie; cet article n’exclut pas une prédisposition et n’impose pas que la victime ou l’ayant droit établisse l’importance de l’influence exercée par la prédisposition, notamment que cette influence est moindre que celle de l’exercice de la profession.
L’arrêt1 considère que « le lien causal doit être considéré comme existant dès lors que, sans le risque [professionnel], la maladie ne serait pas survenue telle quelle » et que, « si l’exposition [du défendeur] au risque [professionnel] a avec certitude aggravé la maladie, le lien causal [entre l’exercice de la profession et la maladie] est établi », même si l’« impact [sur l’apparition ou le développement de la maladie est] modeste », que, même s’« il est possible mais pas indispensable qu’un médecin-expert estime devoir éliminer certains facteurs [de la maladie] pour assoir sa conviction que l’exposition [au risque professionnel] est en lien causal déterminant et direct avec la maladie », « une fois que l’expert et après lui le juge judiciaire estiment que le lien causal déterminant et direct entre l’exposition au risque [professionnel] et la maladie est prouvé, il n’est pas nécessaire d’examiner de manière détaillée tous les autres 1 Cour Trav. Liège, 23 janvier 2017.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 568
facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur l’apparition et le développement de la maladie professionnelle » et il conclut que « le lien de causalité qui existerait entre l’accident du travail dont [le défendeur] a été victime le 11 mars 2002 » n’est pas pertinent pour déterminer « si la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession exercée ».
Par ces considérations, l’arrêt fait une exacte application de l’article 30bis des lois coordonnées.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs, La Cour
Rejette le pourvoi (…)
Arbh. Gent (afd. Gent, 1e k.) 2 mei 2013 en 5 oktober 2017
Zet.: M. Demedts, raadsh.; A. Vanhaecke (I), E. Van Heck (II) en L. Reygaert, raadsh. soc. zak. Pleit.: Mrs. T. Verstraete loco J. Sucaet, en I. De Pauw (I) en G. De Reu (II) loco D. Van De Gehuchte
R.M. t/ Fedris (A.R. nr. 2012/AG/182)
MALADIE PROFESSIONNELLE – SYSTÈME OUVERT – LIEN DE CAUSALITÉ – AUDITION D’UN EXPERT NONOBSTANT LA CONCLUSION CONTRAIRE DU RAPPORT D’EXPERTISE – GROUPE DE PERSONNES
Le lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de la maladie est démontré par l’audition de l’expert, nonobstant la réponse négative initiale de l’expert à la question de la causalité. Le commentaire de l’expert selon lequel l’arthrose au niveau du groupe pourrait ne pas apparaître à l’âge de 40 ans n’exclut pas un lien de causalité à un âge plus avancé.
BEROEPSZIEKTE – OPEN SYSTEEM – OORZAKELIJK VERBAND –VERHOOR VAN DE DESKUNDIGE NIETTEGENSTAANDE ANDERSLUIDENDE CONCLUSIE IN HET DESKUNDIG VERSLAG – GROEP VAN PERSONEN
Het oorzakelijk verband tussen de ziekte en de blootstelling aan het beroepsrisico van de ziekte wordt aangetoond door het verhoor van de deskundige, niettegenstaande de deskundige in eerste instantie de vraag omtrent het causaal verband negatief beantwoordde. De opmerking van de deskundige dat de artrose op het niveau van de groep wellicht niet op 40-jarige leeftijd zou optreden, sluit het causaal verband op een latere leeftijd niet uit.
2 mei
2013 (…)
R.M. (°1964) verklaart dat hij vanaf 1982 tot en met 2003 als fabrieksschoorsteenbouwer/ijzerbinder quasi ononderbroken zwaar werk heeft verricht, dat belastend was voor hoofdzakelijk de benen, knieën en rug.
In de periode vanaf 31 augustus 1992 tot en met 21 januari 2004 bestond zijn werk uit het pneumatisch en manueel afschieten van paalkoppen, bouwen van riolen, algemenen bekistings- en betonwerken, alsook het bekisten van waterzuiveringsinstallaties in moddertoestanden.
Omdat R.M. niet meer in staat was dergelijke zware arbeid nog te verrichten, trad hij na 21 januari 2004 in dienst van de bvba D. als projectleider.
Op 26 juni 2003 deed hij een aanvraag bij het Fonds voor Beroepsziekten tot schadeloosstelling wegens chondropathie van de beide knieën. Deze ziekte komt niet voor op de Belgische lijst van de erkende beroepsziekten.
Bij beslissing van het Fonds voor Beroepsziekten van 1 maart 2005 werd de aanvraag afgewezen met als reden: “Uit alle medische gegevens die ons ter staving van uw aanvraag meegedeeld werden, blijkt niet dat de ziekte waarvoor schadeloosstelling gevraagd wordt op een determinerende en rechtstreekse wijze het gevolg is van de beroepsuitoefening.”
(…)
De eerste rechter1 stelt vast dat het bestaan van een knieartrose niet ter discussie staat, als het feit dat R.M. in de periode 1982 tot 2002, en vooral tot 1996, zwaar kniebelastende arbeid heeft uitgeoefend.
De eerste rechter stelt bovendien vast dat er volgens de deskundige bij R.M. meerdere voorbeschikkende factoren zijn die het vroegtijdig optreden van knieklachten en degeneratieve afwijkingen ter hoogte van de knieën kunnen verklaren en dat de kniebelastende 1 Arbrb. Gent (1e k.) 5 september 2011, A.R. nr. 00/172.721/A.
activiteiten sneller tot meer uitgesproken klachten hebben geleid, doch zonder dat er van deze activiteiten een rechtstreeks en determinerend schadelijk effect is uitgegaan.
De eerste rechter besluit dat er weliswaar geen monocausaliteit vereist is opdat er sprake is van een beroepsziekte, doch dat de deskundige de vereiste dat de invloed van de beroepsactiviteit determinerend of met andere woorden bepalend moet zijn, niet vervuld acht.
(…)
5. Bespreking (…)
5.2. De gegrondheid van het hoger beroep
5.2.1. De betwisting tussen de partijen betreft de vraag of de appellant voldoet aan alle voorwaarden gesteld aan de erkenning van een beroepsziekte in de zin van artikel 30 bis van de Beroepsziektenwet.
In dit zogeheten “open systeem” (buiten de lijst van beroepsziekten bedoeld in artikel 30 van de Beroepsziektenwet) dient het slachtoffer naast het bestaan van de ziekte en de blootstelling aan het beroepsrisico van de ziekte, ook het oorzakelijk verband tussen beide aan te tonen.
Artikel 30bis van deze wet bepaalt in dit verband:
“Geeft eveneens aanleiding tot schadeloosstelling, onder de voorwaarden bepaald door de Koning, de ziekte die niet voorkomt op de lijst, bedoeld in artikel 30 van deze wetten, maar die op een determinerende en rechtstreekse wijze het gevolg is van de beroepsuitoefening. Het bewijs van het oorzakelijk verband tussen de ziekte en de blootstelling aan het beroepsrisico van deze ziekte valt ten laste van het slachtoffer of zijn rechthebbenden”.
Krachtens artikel 32, tweede lid van de Beroepsziektenwet (zoals van toepassing op het ogenblik van de aanvraag van de appellant) is er sprake van een beroepsrisico, indien de blootstelling aan de schadelijke invloed inherent is aan de beroepsuitoefening en beduidend groter is dan de blootstelling van de bevolking in het algemeen, en indien “deze blootstelling volgens algemeen aanvaarde medische
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 569
inzichten van aard is om de ziekte te veroorzaken” (cf. art. 32, tweede lid Beroepsziektenwet, voor de aanpassing ervan bij wet van 13 juli 2006).
Aan de hand van de bevindingen van de deskundige, aangesteld in het kader van de procedure in eerste aanleg, stelde de eerste rechter vast dat het bestaan van een ziekte, nl. knieartrose, niet ter discussie staat, net zomin als het feit dat de appellant in de periode 1982 tot 2002 en voornamelijk tot 1996 zwaar kniebelastende arbeid heeft uitgeoefend.
De deskundige komt in het advies aan de rechtbank ook tot het besluit dat de blootstelling aan de schadelijke invloed van het beroep inherent is aan de beroepsuitoefening en beduidend groter is dan de blootstelling van de bevolking in het algemeen en dat deze blootstelling van aard is om de ziekte te kunnen veroorzaken.
Een en ander maakt ook geen voorwerp uit van betwisting in hoger beroep.
De vereiste dat de letsels of ziekte op determinerende en rechtstreekse wijze het gevolg moet zijn van de beroepsuitoefening, is volgens de deskundige daarentegen niet vervuld.
De appellant is het oneens met dit advies, dat ook door de eerste rechter werd bijgetreden.
5.2.2. Het arbeidshof dient vooreerst vast te stellen dat beide partijen de vereiste betreffende het causaal verband tussen de ziekte en de beroepsuitoefening op een verschillende wijze uitleggen.
De geïntimeerde gaat ervan uit dat om “determinerend” te zijn, de beroepsuitoefening de overwegende, beslissende of doorslaggevende oorzaak van de ziekte moet zijn.
Dit kan, in tegenstelling tot hetgeen de geïntimeerde klaarblijkelijk aan de hand van een verkeerde lezing van het arrest van het Hof van Cassatie van 2 februari 2008 wil aantonen, niet worden afgeleid uit de parlementaire voorbereidingen.
In de parlementaire voorbereiding werd het doel van de invoering van artikel 30 bis van de Beroepsziektenwet omschreven als volgt:
“Het is dus passend, in het voordeel van de slachtoffers zelf, om het toepassingsgebied van de samengevoegde wetten op de beroepsziekten, die niet op de lijst staan, uit te breiden voor die gevallen waarin de slachtoffers of hun rechthebbenden een oorzakelijk verband kunnen bewijzen tussen de ziekte en de blootstelling aan het beroepsrisico van deze ziekte.” (Memorie van toelichting, Belgische Senaat, S-1115-1, 1990-91, blz. 46-47).
Noch uit artikel 30 bis van de Beroepsziektenwet, noch uit de parlementaire voorbereiding blijkt voor het overige dat het beroepsrisico de uitsluitende of overwegende oorzaak van de ziekte moet zijn (cf. Cass. 2 februari 1998, Arr.Cass. 1998, 148).
Het volstaat dat het gaat om een rechtstreekse oorzaak, die determinerend of bepalend is, doch dit neemt niet weg dat het ook om een gedeeltelijke oorzaak kan gaan. Een voorbeschiktheid sluit de erkenning van een beroepsziekte niet uit en legt aan het slachtoffer evenmin het bewijs op van de hoegrootheid van de invloed van deze ongeschiktheid (cf. Cass. 2 februari 1998, Arr.Cass. 1998, 147).
5.2.3. In het kader van het deskundigenonderzoek komt dr. O. tot het besluit dat aan de voormelde voorwaarde inzake causaliteit niet is voldaan.
Het arbeidshof stelt vast dat het deskundigenonderzoek grondig is gevoerd en dat de opmerkingen gemaakt op het voorlopig verslag door de deskundige zijn ontmoet.
Dit neemt echter niet weg dat het deskundigenverslag naar het oordeel van het arbeidshof niet voldoende opheldering biedt om volgende redenen.
5.2.3.1. De deskundige oordeelde dat de artrose zich vrij vroeg in de professionele loopbaan heeft gemanifesteerd en te beperkt is om de beroepsbelasting, in de aanwezigheid van andere factoren die eveneens verantwoordelijk kunnen zijn, als de determinerende en rechtstreekse oorzaak te zien.
Hij verklaart naar aanleiding van de verschijning voor de eerste rechter dat de uitoefening van de beroepsactiviteit sneller en meer klachten kan hebben uitgelokt, maar dat de objectieve evolutie van de artrose voldoende kan verklaard worden zonder de specifieke beroepsuitoefening (pv van verhoor van 6 december 2010).
5.2.3.2. De uitgangspunten die de deskundige heeft aangenomen, worden betwist. Het arbeidshof is van oordeel dat hierover ook nog vragen blijven bestaan.
5.2.3.2.a) Dit geldt vooreerst voor de vaststelling omtrent de ernst van de artrose.
Uit het deskundigenverslag blijkt dat dr. O. uitgaat van een beperkte artrose. Hij noteert wel dat de arthroscopische bevindingen van 18 februari 2009— d.i. na het voorlopig deskundigenverslag — gepaard gaan met een klinisch sterker gestoord bilan dan zuiver radiologisch kon worden verwacht.
Of een en ander van meetaf aan correct kon worden ingeschat, is dan ook niet duidelijk.
5.2.3.2.b) De appellant stelt dat de andere factoren, nl. betreffende de voorbeschiktheid, die als mogelijke oorzaken zijn opgegeven door de deskundige, verkeerd zijn ingeschat. Dit geldt volgens de appellant in het bijzonder voor de asafwijking die dr. O. aanhaalt.
Het arbeidshof stelt in dit verband vast dat de behandelende orthopedist, dr. V., na het definitief deskundigenverslag attesteert dat deze asafwijking niet dermate ernstig is en dat iedere asafwijking niet noodzakelijk aanleiding geeft tot artrose, vooral ook niet bij jonge mensen.
Deze opmerkingen zijn weliswaar vrij laat geformuleerd en hebben geen betrekking op alle andere factoren van voorbeschiktheid aangehaald door de deskundige, doch dit sluit niet uit dat het in de analyse gemaakt door de deskundige om een belangrijk element kan gaan. In het deskundigenverslag wordt immers ook gewezen op de vermelding in de brochure van de geïntimeerde dat het bestaan van een statiekafwijking in varus, hoe gering ook, volstaat om een artrose als niet professioneel te beschouwen.
In welke mate dergelijk uitgangspunt in het geval van de appellant en gelet op de opmerkingen van dr. V. kan worden gehandhaafd, is vooralsnog niet duidelijk.
5.2.3.2.c) De appellant beroept zich ter staving van zijn stelling tenslotte op de bevestiging door dr. V. van het causaal verband tussen de beroepsuitoefening en de artrose.
Uit het attest van 23 februari 2011 blijkt dat dr. V. tot het besluit komt dat de letsels die de appellant vertoont het gevolg zijn van zijn arbeidsomstandigheden en van de repetitieve stress ten gevolge van zijn arbeid. Hij licht dit ook toe aan de hand van de overdruk veroorzaakt door het continu hurken en knielen (stuk 40 dossier appellant).
Dr. V., die tegelijk noteerde dat de klachten zich reeds op jonge leeftijd hebben gemanifesteerd, blijkt de gevolgen van de relatief beperkte duur van de professionele belasting aldus anders in te schatten.
Op deze stelling biedt het deskundigenverslag geen rechtstreeks antwoord aangezien dr. V. zijn visie pas na het deskundigenonderzoek kenbaar heeft gemaakt.
Dit is in de gegeven omstandigheden en rekening houdend met de vaak vrij complexe aard van het causaliteitsvraagstuk, op zich echter geen afdoende reden om zijn bemerkingen zonder meer ter zijde te laten.
5.2.3.4. Op grond van de voormelde overwegingen besluit het arbeidshof dat het advies van dr. O. alsnog niet afdoende opheldering biedt omtrent het causaal verband tussen de beroepsuitoefening en de ziekte opgelopen door de appellant en dat het aangewezen is om aanvullend onderzoek te bevelen ten einde te trachten hierover meer duidelijkheid te bekomen, alvorens definitief te oordelen (art. 984 Ger.W.). (…)
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1.4. De deskundige is verschenen en werd gehoord op de buitengewone openbare terechtzitting van 25 maart 2016. Hiervan werd een proces-verbaal van verhoor opgesteld. (…)
3. BESPREKING
3.1. De erkenning als beroepsziekte
3.1.1. (…) Daartoe werd dr. C., orthopedisch chirurg, aangesteld als deskundige (cf. arrest van 2 mei 2013).
Dr. C. adviseerde in eerste instantie dat de vraag omtrent het causaal verband tussen de opgelopen letsels en de beroepsuitoefening negatief te beantwoorden is. In het licht van de hieraan voorafgaande besprekingen in zijn voorlopige en definitieve verslagen en gelet op de aanhoudende betwisting tussen de partijen over (1) de interpretatie van het advies, (2) de criteria die door de deskundige al dan niet in aanmerking zijn genomen bij de beoordeling van het causaal verband en (3) de wijze van inschatting van de gevolgen van de beroepsomstandigheden, werd bij arrest van dit arbeidshof, deze afdeling en kamer van 7 januari 2016 geoordeeld dat verdere verduidelijking bij dit advies geboden was.
Bij hetzelfde arrest werd beslist om de deskundige hieromtrent zelf aan het woord te laten en hem om verduidelijking te vragen in het kader van een verhoor (cf. art. 985 Ger.W.), alvorens verder te oordelen.
3.1.4. Het arbeidshof stelt vast dat het verhoor van de deskundige, dr. C., ter zake de nodige opheldering heeft verschaft en dat de geïntimeerde inmiddels verklaart zich met betrekking tot het causaal verband tussen de beroepsuitoefening van de appellant en de letsels, te houden aan het oordeel van het arbeidshof.
De vereiste causaliteit werd aan de hand van het verhoor ook aangetoond en dit om volgende redenen.
3.1.4.a) In het kader van het verhoor heeft de deskundige vooreerst nader toegelicht welke voorafbestaande toestand er in aanmerking te nemen is, nl. de varusstand (0-benen) – als gevolg waarvan de appellant meniscusscheuren heeft opgelopen –, en een meniscusprobleem onder de vorm van een discoiede meniscus.
Hij voegt hieraan toe: “Omwille van deze voorbeschiktheid en in combinatie met de job zijn de meniscusscheuren en naderhand de beginnende artrose veroorzaakt. De heer Martens was niet gemaakt voor de uitvoering van zware kniebelastende arbeid. Indien hij bijvoorbeeld bureelwerk had verricht, was dit waarschijnlijk niet gebeurd.”
3.1.4.b) Ten aanzien van de uitgangspunten, op basis waarvan de deskundige dr. C. tot zijn oorspronkelijke eindconclusie inzake het causaal verband is gekomen, verklaart hij in de eerste plaats dat hij in verband met de criteria opgenomen in de brochure van het Fonds voor Beroepsziekten (thans Fedris) nota heeft genomen van het feit dat een varusstand en meniscusletsels als niet-professionele oorzaken van knieartrose worden aangewezen.
Het arbeidshof stelt vast dat dit ook als dusdanig is vermeld in de bedoelde brochure van het Fonds voor Beroepsziekten van maart 1999.
Dit neemt echter niet weg dat in de inleidende nota van dezelfde brochure ten aanzien van niet-professionele oorzaken van knieartrose tegelijk wordt uiteengezet dat zij niet “als algemene en absolute uitsluitingscriteria worden gehanteerd, aangezien in het open systeem elk dossier individueel moet worden onderzocht en de beroepsoorsprong van de knieartrose in bepaalde (zeldzame) gevallen toch als determinerend kan worden beschouwd (...)” (cf. Criteria voor de diagnose en de vergoeding van
artrose van de knie ten gevolge van mechanische overbelasting, FBZ, maart 1999, blz. 7).
Vanuit individueel oogpunt verklaart de deskundige in het kader van zijn verhoor op 25 maart 2016 ten aanzien van de appellant het volgende:
“In het geval van de heer Martens kan ik bevestigen dat, individueel beschouwd, zijn beroep als fabrieksschoorsteenbouwer en bekister zeer kniebelastend was en medeoorzaak was van de opgelopen letsels en artrose, samen met zijn voorbeschiktheid.”
Aldus werd door de deskundige, individueel beschouwd, zeer duidelijk bevestigd dat de beroepsuitoefening als een rechtstreekse en determinerende (mede)oorzaak van de opgelopen letsels en artrose aan te wijzen is en dat de voorafbestaande toestand in het geval van de appellant niet belet dat aan deze wettelijke voorwaarde is voldaan.
3.1.4.c) Ter verklaring van zijn oorspronkelijk advies verwijst de deskundige, dr. C., in het kader van het verhoor daarnaast ook naar een tweede element, nl. het feit dat hij nota heeft genomen van de toelichting door de raadgevende geneesheer van de geïntimeerde, die aangaf dat volgens artikel 32 van de Beroepsziektenwet de causaliteit tussen letsel en beroep moet gelden voor iedereen die het beroep uitoefent.
Na de bevestiging, individueel beschouwd, van het causaal verband tussen de beroepsuitoefening en de ziekte, merkt de deskundige ter zake ten aanzien van de beroepsgroep op: “Iemand anders met normale knieën die hetzelfde beroep uitoefent, zal waarschijnlijk geen artrose vertonen op 40-jarige leeftijd. Dit is het verschil tussen een ziekte door het beroep en een beroepsziekte.”
Een en ander doet echter geen afbreuk aan de voormelde conclusie dat de beroepsuitoefening in het geval van de appellant als een rechtstreekse en determinerende oorzaak te beschouwen is.
De vraag naar de causaliteit op het niveau van de beroepsgroep heeft betrekking op de vereiste van de blootstelling aan het beroepsrisico. In dit verband kan enkel worden herhaald dat de voorwaarden van artikel 32, tweede lid van de Beroepsziektenwet – zoals geformuleerd voor de wijziging doorgevoerd bij wet van 13 juli 2006 – geen voorwerp van betwisting uitmaken in het kader van het huidig geding in hoger beroep (cf. hoger punt 3.1.2.). Voor wat deze voorwaarden betreft, zoals destijds in artikel 32 omschreven, werd door de deskundige aangesteld door de eerste rechter, ook zeer duidelijk geadviseerd dat de blootstelling aan het beroepsrisico van aard was om de ziekte te kunnen veroorzaken.
Ten overvloede past het ook op te merken dat de verwijzing door de deskundige, dr. C., naar de causaliteit tussen de ziekte en de beroepsuitoefening op het niveau van de beroepsgroep –waarvan er in artikel 32 van de Beroepsziektenwet pas sprake is na de wetswijziging bij wet van 13 juli 2006 –, op zich niet impliceert dat aan deze voorwaarde ter zake niet zou zijn voldaan. In zijn verhoor van 25 maart 2016 wordt in dit verband immers enkel opgemerkt dat de artrose op het niveau van de groep wellicht niet op 40-jarige leeftijd zou optreden, doch wordt het causaal verband op een latere leeftijd niet uitgesloten.
3.1.5. Op grond van de voormelde overwegingen besluit het arbeidshof dat de appellant afdoende aantoont dat de ziekte aan de beide knieën op een rechtstreekse en determinerende wijze het gevolg is van zijn beroepsuitoefening.
De vordering van de appellant om de beslissing van de geïntimeerde van 1 maart 2005 te vernietigen, is gegrond 2
(…)
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 571 5 oktober 2017
2 Hervorming Arbrb. Gent 5 september 2011, A.R. nr. 00/172.721/A.
Arbh. Brussel (5e k.) 21 oktober 2019
Zet.: C. Corbisier, raadsh.; E. Magnus en T. De Rijck, raadsh. soc. zak.
Pleit: Mrs. M. Raats loco E. Laevens, en L. Coenen loco K. Timmerman
Fedris t/ S. (A.R. nr. 2018/AB/732)
MALADIE PROFESSIONNELLE – INCAPACITÉ TEMPORAIRE PARTIELLE – EMPLOI À PLEIN TEMPS SANS PERTE DE SALAIRE – PAS D’INDEMNISATION
Si la victime a travaillé à temps plein pendant la période d’incapacité partielle et temporaire de travail et n’a dès lors subi aucune perte de salaire, elle ne peut prétendre à une indemnisation.
(…)
7.
Fedris stelde beperkt hoger beroep in, namelijk enkel wat betreft de beslissing van de eerste rechter1 over de vergoedbaarheid van de tijdelijke arbeidsongeschiktheid.
De overige beschikkingen van de eerste rechter worden als dusdanig niet betwist in hoger beroep.
8.
Wat betreft de vergoedingen voor de tijdelijke arbeidsongeschiktheid:
De Beroepsziektenwet2 is van toepassing op de vordering van de heer S.
Artikel 34 van deze wet bepaalt: “De vergoeding, toegekend omwille van volledige of gedeeltelijke tijdelijke ongeschiktheid kan ten vroegste 365 dagen voor de datum van de aanvraag ingaan.”.
De heer S. deed een aanvraag op 15 september 2014. Bijgevolg kan hij slechts aanspraak maken op vergoedingen voor tijdelijke ongeschiktheid voor de periode vanaf 15 september 2013.
9.
Vanaf 1 oktober 2014 tot 22 juni 2016 was de heer S. volledig tijdelijk arbeidsongeschikt.
Artikel 34 van de Beroepsziektenwet bepaalt in dat verband: “Wanneer de ziekte een tijdelijke en algehele arbeidsongeschiktheid
1 Arbrb. Leuven (4e k.) 19 juni 2018, A.R. nr. 16/548/A.
2 Wetten betreffende de preventie van beroepsziekten en de vergoeding van de schade die uit die ziekten voortvloeit, gecoördineerd bij KB 3 juni 1970.
BEROEPSZIEKTE – GEDEELTELIJKE TIJDELIJKE ARBEIDSONGESCHIKTHEID – VOLTIJDSE TEWERKSTELLING ZONDER LOONVERLIES – GEEN VERGOEDING
Het slachtoffer kan geen aanspraak maken op een vergoeding voor de periode van de gedeeltelijke, tijdelijke arbeidsongeschiktheid, wanneer het slachtoffer gedurende die periode voltijds heeft gewerkt en geen loonverlies heeft geleden.
ten gevolge heeft, ontvangt de getroffene de vergoedingen waarvan sprake in artikel 22 van de wet van 10 april 1971 op de arbeidsongevallen.”. Artikel 22 van de Arbeidsongevallenwet bepaalt dat wanneer het ongeval een tijdelijke en algehele arbeidsongeschiktheid veroorzaakt, de getroffene vanaf de dag die volgt op het begin van de arbeidsongeschiktheid recht heeft op een dagelijkse vergoeding gelijk aan 90 % van het gemiddeld dagbedrag.
10.
In de periode voordien, namelijk van 15 september 2013 tot en met 30 september 2014, was de tijdelijke arbeidsongeschiktheid slechts gedeeltelijk, namelijk ten belope van 10 %.
Uit het deskundigenverslag blijkt dat de heer S. vanaf juni 2013 tot 1 oktober 2014 voltijds gewerkt heeft. Het wordt niet betwist dat hij in die periode geen loonverlies heeft geleden. Bijgevolg kan hij voor die periode geen aanspraak maken op vergoedingen.
Artikel 34 van de Beroepsziektenwet bepaalt in dat verband immers: “Is of wordt de tijdelijke ongeschiktheid gedeeltelijk, dan zijn de bepalingen van artikel 23 van de wet van 10 april 1971 op de arbeidsongevallen toepasbaar.” Overeenkomstig artikel 23 van de Arbeidsongevallenwet is er geen recht op een vergoeding gezien de heer S. geen loonverlies leed.
11.
Tenslotte bepaalt artikel 35 van de Beroepsziektenwet: “Wanneer de tijdelijke arbeidsongeschiktheid blijvend wordt, vervangt een jaarlijkse vergoeding van 100 pct. bepaald naar de graad van de blijvende ongeschiktheid, de tijdelijke vergoeding te rekenen van de dag waarop de ongeschiktheid van bestendige aard is.”. (…)
Cour Trav. Bruxelles (6e ch.), 6 janvier 2020
Siège : F. Bouquelle, prés. ch. ; O. Willocx et V. Pirlot, cons. soc. Plaid. : MMes J.-M. Tihon, et A. Delvoye
Fedris c/ K. (R.G. n° 2018/AB/295)
MALADIE PROFESSIONNELLE– INTÉRÊTS – PRISE DE COURS –EXIGIBILITÉ DE LA PRESTATION – PRISE DE DÉCISION – DÉLAI DE QUATRE MOIS – PRISE DE COURS DE LA PRESTATION
Lorsque Fedris prend avec retard une décision octroyant une indemnité pour maladie professionnelle, les intérêts moratoires sur ces prestations ne courent qu’à partir de l’échéance du délai de quatre mois qu’il a pour prendre une telle décision, et au plus tôt à partir de la date de prise de cours de la prestation.
BEROEPSZIEKTE – INTRESTEN – AANVANG – OPEISBAARHEID VAN DE UITKERING – BESLUITVORMING – TERMIJN VAN VIER MAANDEN – AANVANGSDATUM VAN DE UITKERING
Wanneer Fedris te laat is met het nemen van een beslissing tot toekenning van een vergoeding voor beroepsziekten, lopen de verwijlintresten op deze uitkeringen pas vanaf het verstrijken van de termijn van vier maanden waarover het agentschap beschikt om een dergelijke beslissing te nemen, en ten vroegste vanaf de datum waarop de uitkering verschuldigd wordt.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 572
(…)
Monsieur K. a introduit une demande d’indemnisation d’une maladie professionnelle le 8 mars 2006.
Par une décision du 21 novembre 2006, le Fonds des maladies professionnelles – aujourd’hui dénommé FEDRIS – a reconnu la maladie et a accordé à monsieur K. une indemnité pour incapacité de travail temporaire au taux de 90 % à partir du 25 avril 2005.
Le Fonds des maladies professionnelles a procédé à une révision d’office en 2010. Par une décision du 7 juin 2010, le Fonds a accordé à monsieur K., à nouveau, une indemnité pour incapacité de travail temporaire au taux de 90 % à partir du 25 septembre 2009.
Le Fonds a procédé à une nouvelle révision d’office en 2013. Par une décision du 6 novembre 2013, le Fonds a accordé à monsieur K. une indemnité pour incapacité de travail temporaire au taux de 90 %, cette fois pour une durée déterminée du 7 juin 2010 au 30 novembre 2013. Le Fonds a cessé tout paiement en faveur de monsieur K. à partir du mois de décembre 2013. (…)
LE JUGEMENT DU TRIBUNAL DU TRAVAIL
Par un jugement prononcé le 5 décembre 2017, le tribunal du travail du Brabant wallon, division Wavre a décidé ce qui suit :
« Déclare la demande fondée,
Met à néant la décision querellée du 6 novembre 2013 ;
Dit pour droit que la maladie pour laquelle monsieur K. demande réparation, trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de l’activité professionnelle exercée en Belgique depuis 1970 : syndrome psycho-organique induit par des solvants organiques (P052), de type 2b ;
Fixe la date de consolidation au 1er décembre 2013 avec une incapacité permanente partielle de 65 % dont 40 % d’invalidité physique/psychique ;
Condamne en conséquence FEDRIS au paiement, à partir du 1er décembre 2013, des allocations annuelles pour incapacité permanente correspondant au taux indiqué ainsi qu’à un salaire de base correspondant à 25.166,59 € sous déduction de celles qui auraient déjà été réglées à ce jour (…).
Condamne FEDRIS aux intérêts moratoires au taux légal à dater du 27 décembre 2013 puis judiciaires à dater du 15 octobre 2014 sur l’ensemble des sommes dues (…).
EXAMEN DE LA CONTESTATION
1. Les intérêts
Les lois coordonnées du 3 juin 1970 relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci ainsi que leurs arrêtés d’exécution ne déterminent pas1 le délai dans lequel FEDRIS doit prendre une décision sur les droits d’un assuré social. L’arrêté royal du 26 septembre 1996 2 se borne à indiquer que FEDRIS doit prendre une décision dès qu’il a terminé l’instruction d’une demande de réparation, d’une demande de révision ou d’une révision d’office (article 13 de l’arrêté royal).
Il y a dès lors lieu de se référer au droit commun en matière de prestations de sécurité sociale, à savoir la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la Charte » de l’assuré social. En vertu de l’article 10 de la Charte3, l’institution de sécurité sociale statue au plus tard dans les quatre mois de la réception de la demande ou du fait donnant lieu à l’examen d’office.
1 Dans leur version applicable en l’espèce.
2 Arrêté royal déterminant la manière dont sont introduites et instruites par Fedris les demandes de réparation et de révision des indemnités acquises.
3 Sans préjudice d’un délai plus court prévu par des dispositions particulières, inexistantes en matière de maladies professionnelles.
En vertu de l’article 12 de la Charte4, il est procédé au paiement des prestations au plus tard dans les quatre mois de la notification de la décision d’octroi et au plus tôt à partir de la date à laquelle les conditions de paiement sont remplies. Lorsqu’une décision administrative de refus ou d’octroi insuffisant de prestations est réformée en justice et que des prestations sont octroyées par les juridictions du travail, la date à laquelle elles doivent – devaient – être payées n’est pas modifiée : elles sont exigibles, le cas échéant rétroactivement, au plus tard dans les quatre mois de la notification de la décision administrative réformée5
Les lois coordonnées et les arrêtés d’exécution ne comportent pas de dispositions relatives aux intérêts dus sur l’indemnisation. En vertu de l’article 20 de la Charte de l’assuré social6, si la décision d’octroi est prise avec un retard imputable à une institution de sécurité sociale, les intérêts sont dus à partir de l’expiration du délai visé à l’article 10 (date ultime pour prendre la décision) et au plus tôt à partir de la date de prise de cours de la prestation. En l’espèce, FEDRIS a procédé à une révision d’office. FEDRIS n’a pas déposé de dossier relatif à cette révision, de sorte que les seules pièces auxquelles la cour peut avoir égard sont les différentes décisions prises par FEDRIS.
Il ressort de ces décisions que monsieur K. a été indemnisé pour une incapacité de travail temporaire de 90 % du 25 avril 2005 au 30 novembre 2013. FEDRIS a procédé à une révision d’office médicale en 2013. Il indique dans ses conclusions avoir fait procéder à un examen neurologique le 27 juillet 2013, qui l’a conduit à mettre fin à la reconnaissance d’une incapacité temporaire. C’est le motif – révélé en cours de procédure en première instance – de la décision, prise le 6 novembre 2013, de mettre fin à l’indemnisation de l’incapacité temporaire de travail. Le fait qui a donné lieu au réexamen d’office des droits de monsieur K. est donc l’examen neurologique du 27 juillet 2013.
Suite à ce fait, FEDRIS n’a pas notifié à monsieur K. de décision au sujet d’une incapacité permanente. Ni octroi, ni refus n’a été décidé, alors qu’il y avait manifestement matière à prendre une décision à ce sujet après plus de huit années d’incapacité temporaire à 90 %.
La décision n’a pu être prise que par le tribunal du travail, par son jugement du 5 décembre 2017, dans le cadre du recours intenté par monsieur K.
Monsieur K. s’est donc trouvé confronté à une décision prise avec (grand) retard au sujet de son droit à une allocation pour incapacité permanente de travail. Ce retard est imputable à FEDRIS, qui a eu connaissance dès le 27 juillet 2013 du fait devant donner lieu à un examen d’office et devait savoir, compte tenu des particularités du dossier, qu’il s’imposait de statuer sur l’incapacité permanente.
En vertu de l’article 10 de la Charte, FEDRIS aurait dû statuer sur le droit de monsieur K. à une allocation pour incapacité permanente au plus tard dans les quatre mois de ce fait, soit au plus tard le 27 novembre 2013.
4 Sous la même réserve.
5 Voy. C.A., 8 mai 2002, n° 78/2002 et 16 février 2005, n° 35/2005 ; Cass., 27 septembre 2010, S.09.0101.F, www.cass.be ; Cass., 10 février 2003, J.T.T., 172 ; C. trav. Liège, 27 juin 2018, J.T.T., 2019, 78 ; « Sociale zekerheid : honderdduizend of niets, stop je of ga je verder ? », Discours prononcé par M. J.-F. LECLERCQ, procureur général, à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le 3 septembre 2007, J.T.T., 2009, p. 694, n° 57-60 : « Les bénéficiaires assurés sociaux peuvent prétendre, à la même date, à des intérêts moratoires sur les prestations qui leur sont dues, que celles-ci soient accordées en exécution d’une décision administrative ou d’une décision judiciaire (...) La décision judiciaire sur la contestation relative au droit aux prestations de sécurité sociale est en effet un acte récognitif de ce droit, de sorte que l’existence du droit peutêtre reconnue avec effet rétroactif et que l’obligation qui en résulte dans le chef de l’institution redevable des prestations, devient exigible aux échéances postérieures à la naissance du droit ».
6 Sans préjudice d’un délai plus court prévu par des dispositions particulières, inexistantes en matière de maladies professionnelles.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 573 LES FAITS
En vertu de l’article 20 de la Charte, les intérêts sur les allocations sont dus à partir de cette date et au plus tôt à partir de la date de prise de cours de la prestation, soit au plus tôt le 1er décembre 2013.
Toutefois, la saisine de la cour du travail est limitée par l’étendue de l’appel principal et de l’appel incident. Monsieur K. demande
la confirmation du jugement qui condamne FEDRIS aux intérêts à dater du 27 décembre 2013 et FEDRIS demande que la date de prise de cours des intérêts soit fixée ultérieurement. La cour du travail ne peut dès lors pas fixer la date de prise de cours des intérêts au 1er décembre 2013. L’appel principal sera rejeté. (…)
Arbh. Antwerpen (afd. Hasselt, 7e k.) 16 maart 2020
Zet.: A. Vareman, raadsh.; Dumont en Geuten, raadsh. soc. zak. Pleit.: Mrs. Vandenholt en Rachels
M. V.D.H. t/ Fedris (A.R. nr. 2017/AH/192)
MALADIE PROFESSIONNELLE – INTÉRÊTS MORATOIRES ET JUDICIAIRES – POINT DE DÉPART
Lorsque l’acte introductif d’instance a été déposé avant la date à laquelle les prestations de sécurité sociale deviennent exigibles, les intérêts judiciaires sont dus dès la première date.
BEROEPSZIEKTE – MORATOIRE EN GERECHTELIJKE INTRESTEN –
STARTDATUM
Wanneer de gedinginleidende akte is ingediend vóór de datum waarop de socialezekerheidsuitkeringen verschuldigd worden, zijn de gerechtelijke intresten verschuldigd vanaf de eerste datum.
3.2 Wettelijke intresten
De heer V.D.H. vordert wettelijke intresten vanaf 7 november 2011. Volgens de heer V.D.H. is de wettelijke intrest verschuldigd vanaf de datum waarop de verschuldigde en vervallen vergoedingen opeisbaar zijn geworden. Hij verwijst hiervoor naar het arrest van het arbeidshof Luik van 8 november 2000 (overgenomen in het neergelegde vonnis van de arbeidsrechtbank Hasselt van 6 oktober 2010) en het cassatiearrest van 10 februari 2003.
De heer V.D.H. is van oordeel dat de verwijderingspremie opeisbaar is vanaf de dag na het einde van het recht op de verwijderingspremie. Hij stelt dat hij recht heeft op een verwijderingspremie van 90 dagen vanaf 8 april 2011 tot en met 6 november 2011 en op wettelijke intrest vanaf 7 november 2011 tot en met 5 maart 2017 en gerechtelijke intrest vanaf de datum waarop het inleidend verzoekschrift werd neergelegd ter griffie, meer bepaald vanaf 6 maart 2017.
Volgens Fedris kunnen de wettelijke intresten op grond van artikel 10 van de Wet Handvest sociaal verzekerde slechts toegekend worden na afloop van de termijn van onderzoek ofwel in casu ten vroegste vanaf 22 maart 2017.
De Beroepsziektewet bevat geen bepalingen over de intresten op de vergoedingen die ze voorziet noch over de aanvang van deze intresten.
Artikel 20 van de Wet Handvest sociaal verzekerde bepaalt dat (onverminderd bepalingen die in casu niet van toepassing zijn) de prestaties enkel voor de rechthebbenden-sociaal verzekerden van rechtswege intrest opbrengen vanaf hun opeisbaarheid en ten vroegste vanaf de datum voortvloeiend uit artikel 12. Indien de beslissing tot toekenning genomen werd met een vertraging die te wijten is aan een instelling van sociale zekerheid is de interest evenwel verschuldigd vanaf het verstrijken van de in artikel 10 bedoelde termijn en ten vroegste vanaf de datum waarop de prestatie ingaat.
Artikel 12, eerste lid Wet Handvest sociaal verzekerde bepaalt dat (onverminderd bepalingen die in casu niet van toepassing zijn) de prestaties uitgekeerd worden uiterlijk binnen vier maanden na de kennisgeving van de beslissing tot toekenning en ten vroegste vanaf de dag waarop de uitbetalingsvoorwaarden vervuld zijn.
Overeenkomstig artikel 10, eerste lid Wet Handvest sociaal verzekerde beslist (onverminderd de bepalingen die in casu niet van toepassing zijn) de instelling van sociale zekerheid binnen vier maanden na de ontvangst van het verzoek of na het feit dat aanleiding geeft tot het ambtshalve onderzoek die in artikel 8 zijn beoogd.
Alhoewel de artikelen 12 en 20 Wet Handvest sociaal verzekerde verwijzen naar een toekenningsbeslissing, oordeelde het Grondwettelijk Hof in het arrest van 8 mei 2002 (nr. 78/2002; met betrekking tot een zaak over vergoedingen in het kader van de Beroepsziektewet) dat artikel 20 Wet Handvest sociaal verzekerde de artikelen 10 en 11 van de Grondwet schendt, wanneer het in die zin wordt geïnterpreteerd dat het niet van toepassing is op de sociaal verzekerde rechthebbenden wier prestaties worden uitbetaald ter uitvoering van een uitvoerbare rechterlijke beslissing waarbij de administratieve beslissing tot weigering van erkenning van de verzwaring van de arbeidsongeschiktheid teniet wordt gedaan.
Dezelfde bepaling schendt de artikelen 10 en 11 van de Grondwet volgens het Grondwettelijk Hof niet, wanneer zij in die zin wordt geïnterpreteerd dat zij van toepassing is op de sociaal verzekerde rechthebbenden wier prestaties worden uitbetaald ter uitvoering van een uitvoerbare rechterlijke beslissing waarbij de administratieve beslissing tot weigering van erkenning van de verzwaring van de arbeidsongeschiktheid teniet wordt gedaan.
Het Grondwettelijk Hof overwoog:
“B.6.2. Door ten gunste van de sociaal verzekerden verwijlintresten in te voeren wou de wetgever «een algemeen en gezond principe» bevestigen teneinde «de gerechtigde [te] beschermen tegen de traagheid van de administratieve diensten, zodat die aangespoord wordt de eigen werking te verbeteren» (Parl.St. Kamer 1991-92, nr. 353/1, p. 7).
B.6.3. Aangezien de verwijlintresten strekken tot het herstel van de schade die wegens de vertraging in de uitvoering van een verbintenis wordt geleden, verantwoordt niets dat de sociaal verzekerde die nadeel heeft van een vergissing van het bestuur, verschillend wordt behandeld ten opzichte van diegene die door vertraging bij het bestuur schade lijdt.
B.7. Uit hetgeen voorafgaat vloeit voort dat artikel 20 van de wet van 11 april 1995 tot invoering van het «handvest» van de sociaal verzekerde, in die zin geïnterpreteerd dat het niet van toepassing is op de sociaal verzekerde rechthebbenden wier prestaties worden uitbetaald ter uitvoering van een uitvoerbare rechterlijke beslissing waarbij de administratieve beslissing tot weigering van erkenning van de verzwaring van de arbeidsongeschiktheid teniet wordt gedaan, niet bestaanbaar is met de artikelen 10 en 11 van de Grondwet.
(…)
B.9 Het Hof stelt vast dat aan artikel 20 van de wet van 11 april 1995 een andere interpretatie kan worden gegeven. Volgens die interpretatie valt het in artikel 20 vervatte begrip ‘opeisbaarheid’ samen met het ontstaan van het recht, zodat de verwijlintresten
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 574
(…)
beginnen te lopen vanaf de datum waarop het recht op de prestaties is ontstaan, dat wil zeggen de datum waarop de prestaties hadden moeten worden uitbetaald.
B.10. In die interpretatie bestaat het in de prejudiciële vragen aangevoerde verschil in behandeling niet: de sociaal verzekerde rechthebbenden kunnen, op dezelfde datum, aanspraak maken op verwijlintresten op de hun verschuldigde prestaties, ongeacht of die ter uitvoering van een administratieve beslissing of van een rechterlijke beslissing worden toegekend.”
Het Hof van Cassatie heeft in een arrest van 10 februari 2003 aanvaard dat de regel van artikel 20 van de Wet Handvest sociaal verzekerde van toepassing is wanneer tegen de administratieve beslissing waarbij die prestaties werden geweigerd of waarbij het recht erop werd beperkt, een rechtsvordering is ingesteld. Het bestreden arrest had het Fonds voor de beroepsziekten (hierna FBZ), bij toepassing van artikel 20 van de Wet Handvest sociaal verzekerde, veroordeeld tot betaling van interest op de achterstallige prestaties, met ingang van 1 januari 1997 (datum waarop de Wet Handvest sociaal verzekerde in werking is getreden) vanaf de onderscheiden data waarop de verschuldigde en vervallen vergoedingen opeisbaar zijn geworden.
Het FBZ voerde voor het Hof van Cassatie tegen deze beslissing aan dat artikel 1153 van het Burgerlijk Wetboek diende te worden toegepast, omdat artikel 20 van de Wet Handvest sociaal verzekerde verwijst naar de datum bedoeld in artikel 12 van de Wet Handvest sociaal verzekerde, en deze laatste bepaling, die een administratieve beslissing tot toekenning veronderstelt, in casu geen toepassing kon vinden. Deze redenering wordt door het Hof van Cassatie verworpen met volgende overweging: “uit de omstandigheid dat de datum waarop de prestaties opeisbaar worden mogelijk een andere is dan die welke voortvloeit uit de toepassing van artikel 12, namelijk wanneer tegen de administratieve beslissing waarbij die prestaties werden geweigerd of waarbij het recht erop wordt beperkt, een rechtsvordering wordt ingesteld, volgt niet dat artikel 20, eerste lid, in zoverre het bepaalt dat de prestaties van rechtswege interest opbrengen te rekenen van de opeisbaarheid ervan, in een dergelijk geval buiten toepassing dient te worden gelaten ten gunste van artikel 1153, derde lid, van het Burgerlijk Wetboek”.
Thans wordt door Fedris niet meer opgeworpen dat artikel 20 van de Wet Handvest sociaal verzekerde niet kan toegepast worden.
In het arrest van 10 februari 2003 spreekt het Hof van Cassatie zich evenwel niet uit over de vraag vanaf wanneer de prestaties als “opeisbaar” moeten worden beschouwd voor de toepassing van artikel 20 van de Wet Handvest sociaal verzekerde. Er dient immers opgemerkt te worden dat in de zaak waarop het cassatiearrest betrekking had, de aanvraag tot herziening d.d. 6 mei 1996 dateerde van vóór de inwerkingtreding van de Wet Handvest sociaal verzekerde (met name 1 januari 1997) en de wettelijke intrest een aanvang nam op de datum van de inwerkingtreding van deze wet.
In zijn mercuriale van 3 september 2007 wees procureur-generaal J.-F. Leclercq op de interpretatie die werd voorgestaan door het Arbitragehof (thans Grondwettelijk Hof), volgens dewelke de interest van rechtswege reeds begint te lopen vanaf de datum waarop de prestaties betaald hadden moeten worden, indien de administratie van meet af aan de prestaties terecht had toegekend. Volgens hem leek deze oplossing beter aan te sluiten bij de essentiële doelstelling van het Handvest, de rechtsbescherming van de sociaal verzekerde te verbeteren. Zij kon bovendien juridisch gerechtvaardigd worden op grond van de overweging dat de beslissing van de rechter, die uitspraak doet over het betwiste recht op socialezekerheidsprestaties geldt als een verklaring van het recht op de prestaties, zodat het bestaan van dat recht met terugwerkende kracht kan worden erkend en de verbintenis die hieruit volgt voor de tot betaling van de prestaties gehouden instelling opeisbaar werd op de vervaldagen die vielen na het ontstaan van dat recht1
1 Cf. J.F. LECLERCQ, “Sociale zekerheid: honderdduizend of niets, stop je of ga je verder? Sécurité sociale : stop ou encore?”, openingsrede uitgesproken op de
Dit alles sluit niet uit dat er rekening dient gehouden te worden met de artikelen 10 en 12 van de Wet Handvest sociaal verzekerde. Het arbeidshof is van oordeel dat de verwijlsintresten van rechtswege verschuldigd zijn ten vroegste bij het verstrijken van de (gecumuleerde) termijnen van artikel 10 en artikel 12 van de Wet Handvest sociaal verzekerde 2
De interest van rechtswege begint te lopen vanaf de datum waarop de prestaties betaald hadden moeten worden, indien de administratie van meet af aan de prestaties terecht had toegekend.
Cruciaal aanknopingspunt in artikel 10 van de Wet Handvest sociaal verzekerde is de datum van de aanvraag.
Het arbeidshof stelt vast dat partijen niet betwisten dat de aanvraag van de heer V.D.H. tot het bekomen van een vergoeding wegens definitieve werkverwijdering dateert van 21 november 2016.
Fedris is van oordeel dat op basis van artikel 10 van de Wet Handvest sociaal verzekerde de intresten slechts toegekend worden na afloop van de termijn van onderzoek of in casu ten vroegste vanaf 22 maart 2017.
Afgezien van de vraag of de wettelijke intresten dienen te lopen vanaf vier maanden na de aanvraag (21 maart 2017) of vier maanden na de tijdige beslissing van 6 februari 2017 (6 juni 2017), stelt het arbeidshof vast dat het verzoekschrift neergelegd ter griffie van de arbeidsrechtbank waarbij deze verwijderingspremie werd gevorderd, reeds dateert van 6 maart 2017, zodat vanaf deze datum de gerechtelijke intresten reeds zijn beginnen te lopen. Aangezien de startdatum van de gerechtelijke intresten zich situeert voor de startdatum van de wettelijke intresten kunnen deze laatste niet toegekend worden, aangezien de wettelijke intresten worden ‘geabsorbeerd’ door de gerechtelijke intresten, die in dit geval eerder beginnen te lopen 3
Er zijn bijgevolg gerechtelijke intresten verschuldigd vanaf 6 maart 2017. (…)
NOOT
Levert de gedinginleidende akte automatisch gerechtelijke intresten op?
Praktijkjuristen weten vaak niet goed wat ‘interesten’ zijn. Het geannoteerde arrest, waarbij een vroeger arrest van 25 oktober 2004 wordt overgenomen, lijkt mij een overdreven belang te hechten en autonomie toe te kennen aan de zogenaamde ‘gerechtelijke interesten’.
In tegenstelling tot wat velen denken en wat hier lijkt te worden herhaald, bestaan geen moratoire, wettelijke, compenserende of gerechtelijke interesten als aparte categorieën.
Er bestaan eigenlijk alleen verwijlintresten en compenserende interesten. Die laatste vergoeden de schade die een derde door het plegen van een fout heeft geleden; zij worden voornamelijk toegepast bij onrechtmatige daad of misdrijf.
In burgerlijke zaken is de interest gewoonlijk slechts moratoir, dit wil zeggen dat zij, zoals in artikel 1153 van het oud BW staat, slechts de schade vergoedt die door de te late betaling is geleden.
Met het zogenaamde “wettelijke” interest worden eigenlijk twee onderscheiden begrippen bedoeld:
- hetzij de moratoire interesten waarvan het beginsel bij wet is vastgelegd, zoals in artikel 10 van de wet van 12 april 1965 betreffende de bescherming van het loon van werknemers of in artikel 20 van de
plechtige openingszitting van het Belgische Hof van Cassatie op 3 september 2007, www.cass.be, p. 46-47).
2 Cf. P. DELOOZ en D. KREIT, Les maladies professionnelles, Brussel, Larcier, 2015, 250; Arbh. Brussel 12 september 2019, A.R. nr. 2018/AB/850; Arbh. Luik 27 november 2018, A.R. nr. 2017/AN/197, jure.juridat.just.fgov.be; Arbh. Luik 14 november 2005, JTT 2006, 60; Arbh. Antwerpen 25 oktober 2004, Soc.Kron 2005, 410; Arbh. Antwerpen 1 april 2004, Soc.Kron. 2006, 607.
3 Cf. Arbh. Antwerpen 25 oktober 2004, Soc.Kron. 2005, 410.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 575
wet van 11 april 1991 tot instelling van het handvest van de sociaal verzekerde4;
hetzij de moratoire interesten waarvan het tarief bij wet is vastgelegd5, zoals in artikel 2 van de wet van 5 mei 1865 betreffende de lening tegen intrest , gewijzigd bij wetten van 27 december 2006 en 8 juni 2008. De zogenaamde ‘gerechtelijke interesten’ – een zuiver praetoriaans begrip, want in geen enkele wet bepaald – zijn de verwijlintresten die lopen vanaf de ingebrekestelling door de gedinginleidende akte. Vele practici en rechters zijn eraan gewend geraakt een onderscheid te maken tussen gewone verwijlintresten en gerechtelijke interesten, maar er is geen wezenlijk verschil tussen beiden. Indien, zoals in de gevallen waartoe de bovengenoemde arresten hebben geleid, de gedinginleidende akte is opgesteld voordat de gevraagde uitkering
4 Art. 1153, derde lid oud BW: “Die schadevergoeding is verschuldigd (…) te rekenen van de dag der aanmaning tot betaling, behalve ingeval de wet ze van rechtswege doet lopen.”
5 Art. 1153, vierde lid oud BW: “Indien er opzet van de schuldenaar is, kan de schadevergoeding de wettelijke interest te boven gaan.”
daadwerkelijk verschuldigd was – in casu minder dan acht maanden vóór de datum waarop de socialezekerheidsinstelling deze daadwerkelijk moest betalen – kan deze akte geen uitkering betaalbaar stellen die nog niet verschuldigd is. Dit zou betekenen dat aan de gedinginleidende akte een bijna “magisch”, “sacramenteel” karakter wordt toegekend: automatisch een schuld doen ontstaan die misschien nog niet bestaat ...
Het staat de rechtszoekende vrij om in rechte op te treden wanneer hij dat wil, maar het is aan de rechter om te bepalen wanneer de schuld ontstaat en zijn vordering dan ook uitwerking heeft; het is niet noodzakelijkerwijs door het enkele feit van het instellen van een rechtsvordering dat de vordering bestaat en opeisbaar is.
Indien de uitkering nog niet verschuldigd is, kan de ingebrekestelling door de gedinginleidende akte ten vroegste pas ingaan op de datum waarop de uitkering verschuldigd wordt – in de twee bovengenoemde gevallen niet op 17 november 2000 en 6 maart 2017, zoals het arbeidshof besliste, maar op 27 november 2000 en 22 maart 2017.
Henri FUNCK
Arbrb. Gent (afd. Gent, 3e k.) 24 februari 2020
Zet.: K. Nevens, recht.; K. Van Steenkiste en R. Deschacht, recht. soc. zak. Pleit.: Mrs. S. De Wispelaere en D. Van de Gehuchte
V.D. t/ Fedris (A.R. nr. 17/550/A)
MALADIE PROFESSIONNELLE – PSYCHOSYNDROME ORGANIQUE – CHARTE DE L’ASSURÉ SOCIAL – RETARD DANS LA DÉCISION –INTÉRÊTS MORATOIRES
1. L’exposition au psychosyndrome organique, mentionné dans la liste des maladies professionnelles sous le code 1711 a été prouvée, en tenant compte des conclusions des différents autres médecins qui ont également diagnostiqué ce syndrome, ou du moins ont conclu qu’il y avait et qu’il y a des arguments suffisants à cet égard.
2. L’article 20 de la Charte de l’assuré social s’applique également à la relation entre un assuré social et Fedris. Si la décision d’octroi a été prise avec un retard imputable à une institution de sécurité sociale, des intérêts moratoires sont dus à partir de l’expiration du délai visé à l’article 10 et au plus tôt à partir de la date à laquelle la prestation prend effet. Il s’agit d’un délai de quatre mois à compter de la réception de la demande de l’assuré social, qui s’applique également à Fedris.
BEROEPSZIEKTE – ORGANISCH PSYCHOSYNDROOM – HANDVEST SOCIAAL VERZEKERDE – VERTRAGING IN DE BESLUITVORMING –VERWIJLINTREST
1. De blootstelling aan organisch psychosyndroom, zoals vermeld in de lijsten van de beroepsziekten en onder de code 1711 is bewezen, rekening houdend met de bevindingen van de verschillende andere artsen die ook deze diagnose stelden of minstens concludeerden dat er ter zake voldoende argumenten waren en zijn.
2. Artikel 20 van het Handvest Sociaal Verzekerde is ook van toepassing op de verhouding tussen een sociaal verzekerde en Fedris. Indien de beslissing tot toekenning genomen werd met een vertraging die te wijten is aan een instelling van sociale zekerheid zijn de intresten verschuldigd vanaf het verstrijken van de in artikel 10 bedoelde termijn en ten vroegste vanaf de datum waarop de prestatie ingaat. Het betreft een termijn van vier maanden na de ontvangst van het verzoek van de sociaal verzekerde, die ook geldt voor Fedris (…)
Vaststelling van een beroepsziekte en eventuele gevolgen ervan
Het slachtoffer van een beroepsziekte heeft recht op schadeloosstelling voor gedeeltelijke of volledige tijdelijke arbeidsongeschiktheid, voor gedeeltelijke of volledige blijvende arbeidsongeschiktheid, voor de tijdelijke of definitieve stopzetting der beroepsactiviteit in de bij wet bepaalde voorwaarden, voor de kosten voor geneeskundige verzorging, de prothesen en orthopedische apparaten inbegrepen, eveneens volgens de bij wet bepaalde voorwaarden (art. 31 gecoördineerde Beroepsziektewetten).
De schadeloosstelling neemt wat betreft de tijdelijke en blijvende arbeidsongeschiktheid de vorm aan van een vergoeding (art. 34, 34bis en 35 gecoördineerde Beroepsziektewetten).
Artikel 30 van de gecoördineerde Beroepsziektewetten bepaalt dat de Koning de lijst opmaakt van de beroepsziekten die tot schadeloosstelling aanleiding geven. Dit gebeurde bij KB van 28 maart 1969.
Artikel 30bis van de gecoördineerde Beroepsziektewetten voegt hieraan nog toe dat ook ziektes die niet voorkomen op de lijst,
onder de voorwaarden bepaald door de Koning, eveneens aanleiding geven tot schadeloosstelling, indien bewezen wordt dat zij op een determinerende en rechtstreekse wijze het gevolg is van de beroepsuitoefening.
Het is voor de toekenning van schadeloosstelling op grond van de Beroepsziektewetten dus eerst en vooral van belang te bepalen door welke ziekte een persoon is getroffen, om vervolgens na te gaan of dit een beroepsziekte is, en om ten slotte zo nodig te bepalen wat de periodes van tijdelijke en blijvende arbeidsongeschiktheid zijn, alsook de graad hiervan, alsmede te bepalen welke medische en andere kosten de beroepsziekte teweeg heeft gebracht of brengt.
Om die reden ging de rechtbank over tot aanstelling van een gerechtsdeskundige.
De gerechtsdeskundige dr. F. D. gaf het volgende advies aan de rechtbank:
“De heer D. lijdt aan een organisch psychosyndroom zoals vermeld in de lijsten van de beroepsziekten onder de code 1711. Deze aandoening is het gevolg van het werken met solventen gedurende zijn loopbaan als offsetdrukker, tot eind april 2015.
De tijdelijke arbeidsongeschiktheid heeft een aanvang genomen eind april 2015.
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-
De graad van de blijvende arbeidsongeschiktheid ten gevolge van deze beroepsziekte houdt rekening met de cognitieve stoornissen en met de moeheid en bedraagt 30 % en nam een aanvang op 1/1/2017.
De klachten over de onderste ledematen worden hierbij niet in rekening gebracht aangezien ze losstaan van de beroepsziekte.
Er zijn geen prothesen, orthopedische toestellen of functionele bijhorigheden nodig.”
Op vraag van de partijen verduidelijkte de gerechtsdeskundige dat de tijdelijke arbeidsongeschiktheid een aanvang nam op 9 april 2015. Eisende partij verduidelijkt dat de arbeidsongeschiktheid in feite daags nadien, op 10 april 2015 een aanvang nam. De gerechtsdeskundige verklaarde zich hiermee akkoord.
De partijen sluiten zich aan bij de bevindingen van de gerechtsdeskundige.
Ook de rechtbank sluit zich hier bij aan. Het deskundigenverslag steunt immers op objectieve medische vaststellingen en een grondige studie van het dossier. Er werd onder andere rekening gehouden met de bevindingen van verschillende andere artsen, die ook de diagnose OPS stelden, of minstens concludeerden dat er ter zake voldoende argumenten waren en zijn. De rechtbank stelt vast dat de deskundige waarop verwerende partij tijdens het administratief onderzoek een beroep deed (dr. D., forensisch psychiater) uiteindelijk alleen staat in zijn diagnose dat OPS niet geobjectiveerd kan worden.
Eisende partij heeft bijgevolg overeenkomstig de geldende wettelijke bepalingen recht op een vergoeding voor algehele tijdelijke arbeidsongeschiktheid van 10 april 2015 tot 31 december 2017.
Hij heeft vanaf 1 januari 2017 ook recht op een vergoeding voor een blijvende arbeidsongeschiktheid van 30 %.
Hij heeft ten slotte ook recht op een vergoeding, overeenkomstig de bij wet bepaalde voorwaarden, van de kosten voor geneeskundige verzorging, die verband houden met de beroepsziekte.
De gecoördineerde Beroepsziektewetten bevat geen bijzondere bepaling inzake de toekenning van intresten op de verschuldigde vergoedingen. Artikel 20 van het Handvest van de sociaal verze-
kerde, dat ook van toepassing is op de verhouding tussen een sociaal verzekerde en FEDRIS, bepaalt dat bij ontstentenis van gunstigere regeling, op sociale zekerheidsprestaties van rechtswege interest verschuldigd is vanaf hun opeisbaarheid en ten vroegste vanaf de datum voortvloeiend uit artikel 12. Dit laatste artikel bepaalt dat, behoudens gunstigere regeling, de prestaties uitgekeerd worden uiterlijk binnen vier maanden na de kennisgeving van de beslissing tot toekenning en ten vroegste vanaf de dag waarop de uitbetalingsvoorwaarden vervuld zijn.
Indien de beslissing tot toekenning genomen werd met een vertraging die te wijten is aan een instelling van sociale zekerheid is de interest evenwel verschuldigd vanaf het verstrijken van de in artikel 10 bedoelde termijn en ten vroegste vanaf de datum waarop de prestatie ingaat. De termijn waarnaar verwezen wordt, betreft een termijn van vier maanden na de ontvangst van het verzoek van de sociaal verzekerde, die thans ook geldt voor FEDRIS.
Het Arbeidshof te Luik heeft in een arrest van 27 november 2018 geoordeeld dat inzake vergoedingen inzake een beroepsziekte, intresten verschuldigd zijn op de datum van maandelijkse opeisbaarheid, en ten vroegste 4 maanden na de bestreden beslissing van FEDRIS, die in de voorliggende zaak was genomen binnen een termijn van 4 maanden (JTT 2019, 78).
Artikel 1, § 1 van het KB van 10 december 1987 tot vaststelling van de wijze van betaling van de vergoedingen die verschuldigd zijn krachtens de op 3 juni 1970 gecoördineerde wetten betreffende de schadeloosstelling voor beroepsziekten, bepaalt dat de tijdelijke vergoedingen verschuldigd zijn op dezelfde tijdstippen als de betaalbaarheid van de lonen. § 2 van ditzelfde artikel bepaalt dat de jaarlijkse vergoedingen maandelijks na vervallen termijn betaalbaar zijn.
Eisende partij heeft bijgevolg recht op intresten van rechtswege vanaf de datum van opeisbaarheid, en ten vroegste vanaf 25 oktober 2015. Het voormalige Fonds voor Beroepsziekten ontving zijn aanvraag immers op 25 juni 2015, en had vanaf die datum vier maanden om te beslissen. De beslissing werd echter pas genomen op 15 juli 2016, dus buiten de termijn van 4 maanden.
(…)
Cour Trav. Bruxelles (6e ch.), 13 mai 2020
Siège : F. Bouquelle, prés. ch. ; F. Wouters et A. Langhendries, cons. soc. Plaid. : MMes M. Leclercq, et J.-M. Tihon
C. c/ Fedris (R.G. n° 2018/AB/375)
MALADIE PROFESSIONNELLE – DE LA LISTE – EXPOSITION AU RISQUE – PRÉSOMPTION RÉFRAGABLE – CONTESTATION PAR FEDRIS, SANS PREUVE – PAS D’EXPERTISE JUDICIAIRE
Lorsqu’à propos d’une maladie professionnelle de la liste, pour laquelle l’exposition au risque est présumée, FEDRIS refuse son intervention en raison de l’absence d’une telle exposition, mais ne dépose aucune pièce à ce sujet et que l’intéressé, quant à lui, dépose une attestation médicale attestant cette exposition au risque, celle-ci est établie, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une mesure d’expertise.
(…)
LES FAITS
Monsieur C. a travaillé au service des cliniques universitaires St. Luc du 5 novembre 1973 au 30 juin 1993 en qualité de chercheur et analyste (voyez le formulaire 501F).
Le Dr Poiré, hématologue, atteste que monsieur C. est atteint d’une leucémie myéloïde aiguë diagnostiquée en 2011. Ce même médecin indique qu’en tant que scientifique au sein des laboratoires
BEROEPSZIEKTE – UIT DE LIJST – BLOOTSTELLING AAN HET RISICO – WEERLEGBAAR VERMOEDEN – BETWISTING DOOR FEDRIS, ZONDER BEWIJS – GEEN GERECHTELIJKE EXPERTISE
Wanneer FEDRIS in verband met een op de lijst voorkomende beroepsziekte, waarvoor blootstelling aan het risico wordt vermoed, weigert op te treden wegens het ontbreken van een dergelijke blootstelling, maar ter zake geen enkel bewijsstuk voorlegt en wanneer de betrokkene een medisch attest indient waaruit deze blootstelling aan het risico blijkt, staat dit laatste vast, zonder dat een deskundigenonderzoek nodig is.
de l’UCL, il a été de façon répétée exposé à des produits chimiques tels que le benzène à une époque où les sécurités relatives à l’exposition à ces produits n’étaient pas définies et que cette exposition répétée au benzène durant sa vie professionnelle est un facteur inducteur bien connu de leucémie myéloïde aiguë (certificat médical du 18 mars 2019).
Monsieur C. a introduit auprès du Fonds des maladies professionnelles (FMP, actuellement dénommé FEDRIS) une demande de réparation d’une maladie professionnelle, plus précisément la leucémie myéloïde aiguë visée sous le code 1.121.01 de la liste des
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 577
maladies professionnelles. Sa demande a été enregistrée par le FMP le 19 juin 2013.
Le FMP a notifié à monsieur C. une décision de refus d’indemnisation datée du 14 août 2015 au motif que, selon le Fonds, monsieur C. n’a pas été exposé au risque de cette maladie professionnelle. (…)
DISCUSSION
(…)
2.1. La maladie
FEDRIS ne conteste pas que monsieur C. souffre de leucémie myéloïde aiguë.
Cette maladie relève de la liste des maladies professionnelles établie par arrêté royal1, sous le code 1.121.01 : « Maladies professionnelles provoquées par les agents chimiques suivants : benzène ».
2.2. L’exposition au risque
Suivant l’article 32, premier alinéa, des lois coordonnées, la réparation des dommages résultant d’une maladie est due lorsque la victime de cette maladie a été exposée au risque professionnel de cette maladie pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle elle appartenait à l’une des catégories bénéficiaires de la loi.
Le 2ème alinéa de ce même article précise qu’il y a risque professionnel :
- lorsque l’exposition à l’influence nocive est inhérente à l’exercice de la profession et est nettement plus grande que celle subie par la population en général ;
- et dans la mesure où cette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie.
En règle, la preuve de l’exposition au risque, ainsi définie, doit être apportée par le travailleur qui demande indemnisation.
Toutefois, l’exposition au risque est présumée pour ce qui concerne certaines maladies de la liste, lorsque la victime a effectué un travail dans les industries ou les professions énumérées par l’arrêté royal du 6 février 2007 fixant la liste des industries, professions ou catégories d’entreprises dans lesquelles la victime d’une maladie professionnelle est présumée avoir été exposée au risque de cette maladie. Il s’agit des professions présumées nocives. Cette présomption ne vaut que jusqu’à preuve du contraire2
L’arrêté royal du 6 février 2007 vise, sous le code 1.121.01, les « activités professionnelles comportant l’utilisation du benzène et des produits contenant du benzène ». L’exercice de telles activités
1 Arrêté royal du 28 mars 1969 dressant la liste des maladies professionnelles donnant lieu à réparation et fixant les critères auxquels doit répondre l’exposition au risque professionnel pour certaines d’entre elles.
2 Article 32, alinéa 4, des lois coordonnées.
fait naître une présomption d’exposition au risque des maladies provoquées par le benzène.
FEDRIS a refusé son intervention pour cause d’absence d’exposition au risque. Il ne dépose cependant aucune pièce à ce sujet et ne donne, dans le cadre de la procédure judiciaire, aucune explication sur les motifs de son refus.
Monsieur C., quant à lui, dépose une attestation médicale (certificat médical du 18 mars 2019) dont il ressort :
- qu’en sa qualité de scientifique au sein des laboratoires de l’UCL, il a été de façon répétée exposé à des produits chimiques tels que le benzène à une époque où les sécurités relatives à l’exposition à ces produits n’étaient pas définies ; monsieur C. a donc subi une exposition à l’influence nocive du benzène, inhérente à l’exercice de la profession et nettement plus grande que celle subie par la population en général ; - et que cette exposition répétée au benzène durant sa vie professionnelle est un facteur inducteur bien connu de leucémie myéloïde aiguë ; en d’autres termes, cette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie.
FEDRIS n’oppose aucune contestation médicale sérieuse à ces preuves apportées par monsieur C., qui renforcent la présomption légale d’exposition au risque.
Il est dès lors établi, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une mesure d’expertise, que monsieur C. a été exposé au risque de la maladie professionnelle dont il souffre, à savoir une leucémie myéloïde aiguë, pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle elle appartenait à l’une des catégories bénéficiaires de la loi.
[3.]
Dès lors que la maladie et l’exposition au risque sont démontrées, le travailleur ne peut obtenir d’indemnisation que pour autant que le lien causal entre l’exposition au risque et la maladie dont il souffre soit reconnu.
S’il s’agit d’une maladie faisant partie de la liste établie par arrêté royal, comme c’est le cas en l’espèce, le lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque de cette maladie est présumé de manière irréfragable par l’article 32, alinéa 1er, de la loi. Par conséquent, dès lors que la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie sont établies, le travailleur ne doit pas prouver que la maladie a bien été causée par ce risque. Cette relation de cause à effet est présumée par la loi elle-même, sans que la preuve du contraire soit admise. Conformément aux principes qui viennent d’être rappelés, le lien causal entre l’exposition au risque et la maladie est présumé de manière irréfragable, au bénéfice de monsieur C. [4.]
Monsieur C. satisfait donc aux conditions pour bénéficier de l’indemnisation prévue par la loi en faveur des travailleurs atteints d’une maladie professionnelle3. (…)
3 Réformation de Trib. Trav. fr. Bruxelles, 20 février 2018.
Cour Trav. Liège (div. Liège, 3e ch. E), 9 septembre 2020
Siège : M. Duriaux, cons. ; P. Ciborgs et M.-R. Fortuny-Sanchez, cons. soc. Plaid. : MMes S. Remouchamps, C. Lorgeoux, et L. Depaepe
E.M. c/ Zone de police 5343 Montgomery (R.G. n° 2019/AB/344)
MALADIE PROFESSIONNELLE – SECTEUR PUBLIC – EXPOSITION
AU RISQUE – CHARGE PSYCHOSOCIALE AU TRAVAIL – BURN-OUT – EFFORTS ACCRUS
1. L’article 32 des lois coordonnées le 3 juin 1970, n’est pas applicable au secteur public.
BEROEPSZIEKTE – OVERHEIDSSECTOR – BLOOTSTELLING AAN HET RISICO – PSYCHOSOCIALE LAST – BURN-OUT – GROTERE INSPANNING
1. Artikel 32 van de gecoördineerde wetten van 3 juni 1970 is niet van toepassing op de overheidssector.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 578
2. Pour que la condition d’exposition au risque soit établie dans le secteur public :
- le milieu professionnel doit générer un danger potentiel pour la santé (un risque) pouvant provoquer la maladie ; c’est en ce sens que l’agent nocif doit être inhérent à la profession entendue au sens large du terme ;
- l’exposition doit être suffisante en durée, en fréquence ou en intensité pour créer le risque que le travailleur contracte la maladie ; elle doit être plus grande que celle que subit la population en général.
3. La charge psychosociale subie au travail – les ‘risques psychosociaux au travail’ au sens de la loi du 4 août 1996 – peut constituer un agent nocif qui cause un burn-out
4. Le facteur professionnel peut coexister avec d’autres facteurs, dont les prédispositions pathologiques, qui ont eu une incidence sur le déclenchement ou l’évolution de la maladie ; l’exercice de la profession ne doit pas être la cause ‘unique’ ou ‘prépondérante’ de la maladie. L’ayant-droit ne doit pas établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition ou par toute autre cause potentielle étrangère à l’exercice de la profession.
5. Les efforts accrus que la victime doit fournir à la suite de sa remise au travail dans l’accomplissement de ses tâches professionnelles normales font partie de l’incapacité.
2. Om de voorwaarde van blootstelling aan risico’s in de overheidssector vast te stellen moet:
de beroepsomgeving een potentieel gevaar voor de gezondheid opleveren (een risico) dat de ziekte kan veroorzaken; in die zin moet het schadelijke agens inherent zijn aan het beroep, in de ruime zin van het woord;
- de blootstelling voldoende lang, frequent of intensief zijn om het risico te creëren dat de werknemer de ziekte oploopt; de blootstelling moet groter zijn dan die van de algemene bevolking.
3. De psychosociale belasting op het werk – de “psychosociale risico’s op het werk” bedoeld door de Welzijnswet Werknemers – kan een schadelijk agens vormen dat een burn-out veroorzaakt.
4. De beroepsfactor kan samengaan met andere factoren, waaronder pathologische predisposities, die van invloed zijn geweest op het ontstaan of de ontwikkeling van de ziekte; de uitoefening van het beroep mag niet de “enige” of “doorslaggevende” oorzaak van de ziekte zijn. De eiser hoeft het belang van de invloed die wordt uitgeoefend door de aanleg of door enige andere mogelijke oorzaak die geen verband houdt met de uitoefening van het beroep, niet aan te tonen.
5. De grotere inspanningen die het slachtoffer na zijn terugkeer op het werk moet leveren om zijn normale beroepswerkzaamheden te verrichten, maken deel uit van de ongeschiktheid.
Madame M. s’est, depuis cette date, régulièrement trouvée en incapacité de travail.
LES FAITS
Madame M., née le (…), a arrêté sa scolarité en 1988 avant l’obtention du diplôme secondaire supérieur et a enchaîné divers travaux non qualifiés (service traiteur d’une grande surface, emballeuse dans une grande surface, accueil chez un dentiste et en « article 60 » au service d’accueil d’un CPAS, divers emplois intérimaires comme employée polyvalente). Madame M. sent la vocation de l’aide à autrui et forme le projet de devenir agent de police de quartier.
Après avoir passé son CESS au jury central en 2003-2004 et après avoir acquis la nationalité belge (étant, à l’origine, de nationalité française), elle entreprend, en 2005, de passer les épreuves de sélection «candidat inspecteur», qu’elle réussit. Elle suit alors les cours à l’École régionale et intercommunale de police à Bruxelles et effectue des stages à la police à partir du 2 mai 2005. Le 9 mai 2006, elle obtient un diplôme pour avoir réussi la formation de base d’inspecteur de police.
À la mi-mai 2006, elle commence sa carrière professionnelle au service de proximité du cadre opérationnel du corps de police locale de la zone « 5343 Montgomery », zone de police pluri-communale couvrant les communes d’Etterbeek, de Woluwe-Saint-Pierre et de Woluwe-Saint-Lambert.
Par délibération du conseil de police du 30 juin 2006, elle sera nommée inspecteur de police (INP) à dater du 1er juillet 2006 et engagée au sein de cette zone de police, au service de proximité intégré dans le commissariat de Woluwe-Saint-Lambert, dirigé par le commissaire N. Cette carrière sera suspendue à partir du 18 décembre 2007 (mise en disponibilité pour maladie) et prendra fin le 15 avril 2010 (décision d’inaptitude définitive au service prise par la Commission d’Aptitude du Personnel des Services de Police – CAPSP).
Madame M. a eu à se plaindre de comportements déplacés de son supérieur direct, Monsieur M., inspecteur principal (INPP) et chef du service de proximité et ce, à dater d’un fait survenu le 13 juillet 2006.
Elle expose qu’en date du 13 juillet 2006, Monsieur M. a dessiné des pénis sur des photos privées lui appartenant. Les relations se sont dégradées à partir de ce moment jusqu’en date du 23 novembre 2006, point culminant du conflit au cours duquel Monsieur M. a tenu des propos provocants et agressifs à son encontre.
L’employeur a, en octobre 2006, proposé à Madame M. d’être déplacée au service proximité d’Etterbeek pour éviter les contacts avec Monsieur M. qui est maintenu sur le site en déplaçant son bureau à un étage supérieur. Madame M. refusera le transfert craignant que Monsieur M. qui est en contact avec ce service ait fait précéder son arrivée d’une mauvaise réputation.
Madame M. a été affectée, à sa demande, à la cellule EPO (enquêtes policières d’office) au sein du département des opérations à Woluwe-Saint-Pierre et ce, à partir du 1er janvier 2007 par décision du chef de corps, Monsieur B., du 11 janvier 2007.
Elle ne s’est pas bien intégrée dans ce service en raison de son état psychologique affaibli, du sentiment de dévalorisation engendré par la nature du travail confié (tâches purement administratives) et du fait que son arme de service lui a été retirée au départ d’une demande d’exemption temporaire du port d’arme.
Elle a demandé un 4/5e temps médical. Dans le décours de cette demande, le médecin du CESI (qui l’a acceptée par diminution du nombre d’heures de prestation journalière mais non du nombre de jours de prestation par semaine comme souhaité par le médecin traitant) a décidé d’un retrait d’arme durant 1 mois avant de décider d’un retrait définitif le 28 mars 2007. Cette décision a été contestée et a été rapportée par le chef de corps : l’arme a été restituée le 6 août 2007.
Madame M. demandera un 4/5e temps non plus médical mais dans le cadre d’une réduction du temps de travail pour libérer une journée par semaine, ce qui sera accordé à partir du 1er avril 2007. Madame M. devra y renoncer pour des raisons financières, elle formulera une demande en ce sens en août 2007 et la fin de cette réduction du temps de travail prendra effet au 1er avril 2008.
À la suite d’un incident avec son nouveau chef de service, Monsieur G., elle a été mise en incapacité de travail par son médecin traitant partir du 3 octobre 2007. Cette incapacité de travail s’est prolongée et Madame M. a été mise en disponibilité à partir du 18. Décembre 2007 avant d’être déclarée temporairement inapte en août 2008 et définitivement inapte à partir du 15 avril 2010.
Madame M. avait sollicité l’intervention de Madame J., psychologue et personne de confiance pour la ZP à partir du 7 août 2006. Une médiation a été mise en place, en vain.
Un rapport d’intervention a été établi.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 579
(…)
-
Une plainte a été déposée par Madame M. le 23 novembre 2006 auprès du service des enquêtes internes. Il s’agit d’une procédure administrative.
Une note de fonctionnement est établie le 5 mars 2007 sur base du résultat de l’enquête préalable qui contient plusieurs témoignages et l’audition de Monsieur M. (…)
Le chef de corps a décidé de ne pas entamer de poursuite disciplinaire et de s’en tenir à la note de fonctionnement qui est déposée dans le dossier personnel de Monsieur M.
Le 24 novembre 2006, le commissaire principal C. décide, suite au dépôt de cette plainte et dans l’attente de son résultat, que Monsieur M. occupera exclusivement le bureau du 2e étage et ne pourra plus se rendre sur le plateau du service de proximité jusqu’à nouvel ordre ; en cas de besoin absolu de prendre quelque chose dans son ancien bureau, il est tenu de s’adresser à l’INPP B. et d’éviter tout contact avec Madame M.
Le 25 novembre 2006, Monsieur M. rédige un « rapport à charge de l’INP M. » à l’attention de sa hiérarchie, les commissaires principaux N. et C. Le rapport est dressé pour, notamment, comportement irrespectueux et vexatoire. Il y relate les faits survenus le 23 novembre 2006.
Le 5 décembre 2006, Madame M. a déposé une plainte formelle pour harcèlement moral, harcèlement sexuel et violence à l’encontre de Monsieur M.
(…)
La Commission d’aptitude du personnel des services de police (en abrégé CAPSP) a, par décision du 27 mai 2008, considéré que l’affection dont souffre Madame M. (anxiété et dépression réactionnelle avec risque d’autolyse) devait être reconnue comme maladie grave et de longue durée, ce qui lui ouvre le droit, durant la période de disponibilité, à un traitement d’attente égal au salaire complet.
Madame M. se trouvait en disponibilité depuis le 18 décembre 2007 et percevait un traitement d’attente à 60 % de son traitement.
Par décision du 19 août 2008, la CAPSP a considéré, au vu des éléments médicaux constituant le dossier ainsi que ceux recueillis lors de la séance, que Madame M. est physiquement temporairement inapte au service pour une période de 9 mois prenant cours le 1er septembre 2008.
Par délibération du 30 septembre 2008, le conseil de Police a pris acte de cette mise à la pension temporaire.
(…)
Par une décision du 15 avril 2010, la CAPSP a considéré, au vu des éléments médicaux constituant le dossier ainsi que ceux recueillis lors de la séance, que Madame M., qui souffre de harcèlement au travail, PTSD, dépression et anxiété, est physiquement définitivement inapte au service.
- des faits de harcèlement moral étant des manifestations d’hostilité, moqueries publiques, isolement, refus de parler et même de répondre lorsqu’elle adressait la parole à Monsieur M. ; - des faits de violence exprimés par une violence verbale, des injures, des menaces de coups et blessures, des crachats, … Monsieur M. a contesté s’être rendu coupable de quelconques moqueries publiques ou crachats, avoir fait des grimaces, avoir intimidé Madame M., avoir fait mine de lui cracher dessus, l’avoir isolée ou lui avoir refusé de lui répondre lorsqu’elle lui adressait la parole. Il souligne que seuls deux incidents sont avérés : celui du 13 juillet 2006 (Monsieur M. a dessiné un pénis avec un marqueur à encre effaçable sur une carte postale représentant un doigt tendu accrochée sur l’ordinateur de Madame M.) et celui du 23 novembre 2006 (Monsieur M. est pris à partie dans une discussion entre collègues relative au retard de traitement des procès-verbaux ; Madame M. intervient dans la conversation de manière agressive en stigmatisant le fonctionnement du service ; un peu plus tard dans la journée – alors que Monsieur M. avait informé le commissaire principal de l’incident – Madame M. a interpellé Monsieur M. de manière agressive devant de nombreux membres du service et ce dernier a réagi en lui disant que si elle était sa fille, il lui donnerait une gifle dans la figure, marmonnant les termes de « connasse » et « pétasse ») qu’il convient de replacer dans leur contexte (contexte de plaisanterie qui régnait au sein du service de proximité pour le premier fait et un contexte d’agressivité pour le second).
Par un arrêt du 25 juin 2014, la cour du travail de Bruxelles a tranché ce litige et a débouté Madame M. de sa demande.
L’arrêt relève qu’une série de difficultés relationnelles et de problèmes rencontrés par Madame M. (difficultés d’intégration au sein du service EPO, difficultés relationnelles avec le médecin du travail, difficultés relationnelles et altercation avec Monsieur G., son nouveau chef hiérarchique) ne concernent pas Monsieur M.
L’arrêt a ensuite analysé les griefs formulés à l’encontre de Monsieur M. en distinguant six incidents ou griefs
1° le 13 juillet 2006, avoir fait un dessin grivois sur une carte postale appartenant à Madame M.
La réalité de ce grief n’est pas contestée mais Monsieur M. se défend, sans être contredit, de toute intention malveillante, d’une volonté de blesser ou d’offenser Madame M.
Il avance son caractère blagueur reconnu par tous ses collègues et connu de Madame M. Ce contexte est mis en exergue dans le rapport d’intervention de Madame J., psychologue, et permet de considérer que Madame M. n’était pas spécialement visée par Monsieur M., coutumier de cet humour égrillard. Madame M. a reconnu avoir été plus choquée par l’altération de ses affaires personnelles que par le thème du dessin.
II.
LA PROCÉDURE DISTINCTE EN INDEMNISATION DU DOMMAGE MORAL SUBI SUITE AU HARCÈLEMENT MORAL, SEXUEL ET À LA VIOLENCE AU TRAVAIL
Madame M. a, par requête du 18 janvier 2010, introduit une procédure à l’encontre de son employeur et de Monsieur M., son chef hiérarchique direct, en vue d’obtenir leur condamnation in solidum au paiement d’une somme provisionnelle de 10 000 EUR à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, sexuel et violence commis par Monsieur M., supérieur hiérarchique direct, sur base de la loi du 4 août 1996 sur le bien-être au travail.
Il est précisé que la demande d’indemnisation vise le dommage non couvert par la demande préalablement introduite de reconnaissance d’une maladie professionnelle. Madame M. poursuit donc l’indemnisation d’un préjudice moral, d’une perte de chance, notamment.
Madame M. invoque :
- des faits de harcèlement sexuel à charge de Monsieur M. qui a dessiné des pénis en érection sur ses photographies privées ;
L’arrêt considère que l’attitude de Monsieur M. n’est pas opportune mais qu’il s’agit d’une blague malencontreuse que Monsieur M. faisait apparemment à tous les nouveaux.
2° avoir été violemment rejetée par Monsieur M. devant plusieurs collègues alors qu’elle tentait de rétablir le dialogue suite à l’incident décrit dans le premier grief.
La cour ne retient pas le fait à défaut de preuve, Monsieur M. (qui expose que, blessé par les remarques que Madame M. lui a adressées suite au dessin, il a préféré ne pas polémiquer) a refusé de l’écouter parce qu’il devait prendre un train, en fin de service, pour rentrer chez lui et lui a demandé de revenir le lendemain.
La cour de céans souligne que la version des faits données par Monsieur M. au sein des conclusions de synthèse de la ZP ne mentionne plus ce contexte mais ceci : « Avant de partir à la fin de la journée, Madame M. a lancé : « Allé, M., on en reste là » et ce, en présence d’une personne civile en audition et de différents collègues.
Elle peut difficilement reprocher à Monsieur M. de lui avoir répondu « Nan » au lieu de « Non » (pour autant que cela ait réellement été le cas), alors même qu’elle ne respectait pas les règles minimales de respect à l’égard de son supérieur, voire les règles élémentaires de la politesse, en n’ajoutant pas « Monsieur
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 580
» devant le nom de famille de son supérieur. Il faut d’ailleurs souligner que ce comportement est récurrent dans le chef de Madame M. Elle ne peut, en outre, pas reprocher à Monsieur M. de lui avoir répondu devant une personne externe au service et des collègues alors qu’elle-même avait pris la parole en présence de ces personnes »
3° le 5 août 2006, avoir fait obstacle avec son corps pour empêcher Madame M. de prendre des clés.
Le fait n’est pas établi. Monsieur M. expose qu’alors que Madame M. lui avait vertement demandé de se bouger, il lui a fait observer qu’il était déjà contre le bureau et qu’elle avait de la place pour passer
4° le 23 novembre 2006, avoir dit violemment « tais-toi, fais ton travail connasse, sinon tu vas avoir une claque dans ta gueule » et « pétasse ».
Monsieur M. reconnaît avoir réagi à l’agressivité de Madame M. en lui disant que si elle était sa fille, elle aurait une gifle et avoir marmonné les termes de « bécasse » et «pétasse ».
Dans le contexte décrit d’énervement généré par l’attitude provocante de Madame M., les faits sont inadmissibles mais non constitutifs de violence.
5° pour le surplus, l’arrêt considère que Madame M. n’établit pas avoir été victime de grimaces ou d’intimidations de la part de Monsieur M.
6° de même, l’arrêt considère qu’il n’est pas établi que Monsieur M. a délibérément ignoré Madame M. et l’a mise à l’écart.
L’arrêt considère que toute communication professionnelle n’a pas été rompue mais qu’il est reconnu par Monsieur M. qu’il a entendu prendre ses distances vis-à-vis de Madame M. pour ne pas être accusé de faits de harcèlement. Dans ce contexte, il a reconnu avoir adopté une attitude de méfiance qui s’est traduite par un manque de dialogue tout en restant ouvert à toute question relative au service.
L’arrêt considère donc que les griefs tels qu’exposés par Madame M. ne sont pas objectivés et qu’ils ne présentent pas, en toute hypothèse, le caractère répétitif requis par la législation. Le comportement de Monsieur M. n’a pas toujours été adéquat mais il n’est pas établi que ce dernier ait abusé de l’autorité inhérente à sa position hiérarchique.
Un des témoins estime qu’hormis le dessin sur la carte postale, c’est Madame M. qui a provoqué les différends auxquels Monsieur M. a réagi brusquement.
Madame M. a reconnu avoir appelé Monsieur M. par son nom et s’être volontairement abstenue de le saluer au motif qu’elle avait fait suffisamment d’efforts. Elle a contribué au maintien du climat conflictuel et ces relations conflictuelles ne peuvent être qualifiées de harcèlement moral au sens de l’article 32ter de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs tel qu’applicable au moment des faits.
L’arrêt ne retient pas les rapports médicaux produits – en ce y compris le rapport établi par l’expert W. Poelman dans le cadre de la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle à laquelle Monsieur M. n’est pas partie – comme probants à l’égard de Monsieur M., s’agissant de pièces unilatérales.
III. LA DEMANDE ORIGINAIRE
La demande originaire a été introduite par requête du 30 septembre 2009.
Madame M. sollicite qu’il soit dit pour droit qu’elle est atteinte de la maladie professionnelle dont elle demande réparation (condamnation aux allocations et indemnités légales dues en raison de l’incapacité permanente depuis sa date de prise de cours, aux frais exposés, outre les intérêts légaux et les dépens).
Madame M. vise une maladie hors liste étant décrite comme suit : ‘syndrome dépressif’ et avant dire droit, postule une expertise médicale.
Madame M. avait introduit auprès de son employeur une demande d’admission et d’indemnisation de cette maladie en date du 11 avril 2008. Le certificat médical accompagnant la demande a été établi par le médecin traitant de Madame M., le docteur Goffinet: « syndrome dépressif dans le cadre du travail dû à harcèlement et stress à répétition », provoqué par une tierce personne (choc dû à un harcèlement), avec un début d’incapacité de travail situé au 28 novembre 2006 et l’absence de tout trouble dépressif avant cette date.
Le 4 juin 2008, les conclusions médicales de l’Office médico-légal dépendant de l’administration de l’expertise médicale (en abrégé, OML et Medex) refusant la reconnaissance d’une maladie professionnelle au motif que le syndrome dépressif ne trouve pas sa cause directe et déterminante dans l’exercice de la profession sur base du dossier et dans l’état actuel des connaissances scientifiques lui ont été communiquées.
Le 24 avril 2009, l’OML confirme sa position dans le cadre du recours exercé par Madame M. en date du 13 juin 2008.
L’employeur a, par décision du 24 avril 2009, refusé de reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle.
IV. LA PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL DU TRAVAIL DE BRUXELLES : ANTÉCÉDENTS DE PROCÉDURE ET LE JUGEMENT DONT APPEL DU 29 AOÛT 2013
Par jugement du 11 janvier 2011, le tribunal a dit l’action recevable. Il a appliqué la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public (ci-après loi de 1967) et l’arrêté royal du 30 mars 2001 portant la position juridique du personnel des services de police (ci-après arrêté PJPOL).
Avant dire droit, il a désigné en qualité d’expert le docteur W. Poelman, neuropsychiatre, avec la mission de dire si les faits décrits et discutés (…) lui apparaissent de nature à entraîner – au titre de maladie professionnelle hors liste – les conséquences elles aussi décrites et constatées par ailleurs et si oui, pendant quelle(s) durée(s) et selon quel degré d’atteinte de la capacité de travail ou au contraire, de dire si l’état de Madame M. correspond à une maladie de la liste.
La motivation du jugement retient la présomption d’exposition au risque [tirée], dans le secteur public, de l’article X.III.4 de l’arrêté royal du 30 mars 2001.
Elle retient également une définition du lien causal direct et déterminant entre la maladie et l’exposition au risque conforme à l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du deux février 1998.
Elle évoque la procédure en reconnaissance du harcèlement, introduite par requête du 18 janvier 2010, en vue d’obtenir l’indemnisation d’un préjudice moral.
L’expert a déposé son rapport au greffe du tribunal du travail le 24 avril 2012.
Il conclut comme suit : les faits apparaissent de nature à entraîner au titre de maladie professionnelle hors liste une névrose d’angoisse dans le chef de Madame M.
Les conséquences sont les suivantes :
- incapacité temporaire totale
• à 67 % (sic) du 28 novembre 2006 au 14 février 2006
• à 20 % (sic) du 26 février 2007 au 14 août 2007
• à 40 % (sic) du 15 août 2007 au 17 décembre 2007
• à 67 % (sic) du 18 décembre 2007 au 2 août 2008
- incapacité permanente de travail de 20 % avec une incapacité permanente totale d’exercer le métier de policier à la ZP5343 ou des métiers en milieu fortement hiérarchisé (armée, police, pompiers, agents pénitentiaires, …).
L’expert a analysé l’ensemble des pièces communiquées par Madame M.
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Il a réalisé une anamnèse orientée (c’est-à-dire selon l’intéressée) recueillant notamment les antécédents médicaux qui ne mentionnent aucun antécédent neuropsychiatrique personnel.
Il a procédé à un examen mental.
Quant aux faits, l’expert retient d’un point de vue médico-psychologique, une agression à caractère sexuel par un supérieur hiérarchique s’agissant en l’occurrence d’un dessin significatif et d’autre part, ensuite, une attitude négativiste qui tendait à être systématique de la part du même supérieur hiérarchique.
En regard de la personnalité, l’expert souligne la fragilité narcissique de Madame M. qui atteignait enfin le but d’efforts considérables fournis pendant des années pour obtenir un poste de travail vocationnel étant celui d’inspecteur de police de proximité ; elle était en conséquence particulièrement sensible aux signes extérieurs d’intégration socio-professionnelle.
Dans une première discussion, l’expert met en relation de causalité la décompensation anxieuse en chronicisation et les faits dénoncés dans le milieu professionnel.
L’expert précise qu’il a égard aux faits tels que décrits par chacune des parties dans les nombreux rapports administratifs et médico-psychologiques en notant les observations du médecin-conseil de la ZP qui insiste sur le caractère partiel de la causalité et sur la bénignité de l’agression à caractère sexuel.
Les faits sont ceux qui se sont produits en 2006-2007 et non plus postérieurement (Madame M. évoque le maintien d’une attitude harcelante dans le chef de Monsieur M.).
La position est contestée par le médecin-conseil de la ZP qui impute l’état de Madame M. à un trouble de personnalité borderline, autrement dit à une cause extérieure au milieu professionnel.
L’expert considère que la décompensation est inhérente à la structure du milieu de travail par le constat d’une attitude ambivalente systém(at)ique dans le chef de l’employeur (à la fois soucieux du bien-être de Madame M. qui est écartée, par ailleurs, en l’absence de sanction à l’égard de son supérieur mis en cause).
L’expert a procédé au test CAPS (échelle du syndrome post-traumatique). Il explique qu’il s’agit d’un entretien structuré permettant l’évaluation du syndrome post-traumatique sur base des symptômes décrits dans le DSM-IV et de 5 phénomènes associés en précisant que la grille utilisée est une adaptation personnelle et une traduction de l’anglais.
Le score obtenu (69) entre dans la cotation pathologique qui prévoit un PTSD entre 60 et 79 et une PTSD sévère au-delà de 80.
L’expert considère que l’invalidité physiologique de Madame M. est assez importante, évaluée à un taux de 20 %, puisque l’examen mental met en évidence une perte des fonctions cognitives et une perte des fonctions sociales, outre l’envahissement de la conscience par des paniques, des ruminations mentales, des idées dépressives.
Il envisage un taux d’incapacité permanente partielle de 20 % en ayant, par ailleurs, détaillé les périodes d’incapacité temporaire totale qui ne font pas l’objet de contestation.
L’expert précise que les facteurs d’incapacité ne sont pas liés à la fonction d’inspecteur de police mais à l’environnement professionnel et que le pronostic est favorable à court ou moyen terme.
La date de prise de cours de l’incapacité permanente est fixée au 3 août 2008, date à laquelle Madame M. est mise en inaptitude définitive par son employeur.
Dans la discussion médico-légale, l’expert retient une décompensation inhérente à la structure du milieu professionnel très hiérarchisé qu’il décrit comme ambivalent : au départ d’une agression dont se plaint Madame M. à l’encontre de son supérieur hiérarchique, l’employeur réagit en soutenant Madame M. mais sans sanctionner Monsieur M. et c’est Madame M. qui sera de facto écartée de son poste.
La causalité entre la décompensation et les faits du dossier est directe et déterminante : Madame M., nonobstant ses antécédents, a repris sa vie en main à l’âge adulte et compense son déficit affectif lié à son passé par un fort engagement social, elle est libérée de ses
souffrances antérieures au moment de son engagement, elle est apte à exercer son travail. Les faits qui s’étirent du jour de l’agression à caractère sexuel jusqu’à la mise en inaptitude définitive de Madame M. et l’ambivalence de leur traitement par l’employeur mettront à mal cette aptitude.
Par jugement dont appel du 29 août 2013, le tribunal du travail de Bruxelles a dit la demande non fondée et a débouté Madame M. de ses prétentions. Il a condamné l’employeur aux dépens.
II a décidé de ne pas écarter le rapport d’expertise sur la base des critiques formulées par la ZP (violation des principes du contradictoire, de l’égalité des armes ou des droits de la défense) et a estimé ne pas pouvoir se prononcer sur son caractère convaincant et adéquat avant d’avoir examiné la demande de Madame M. tout en précisant qu’au-delà de la forme, le rapport apparaît motivé, détaillé et être le fruit d’une expertise menée dans le respect de la mission confiée et des dispositions applicables du Code judiciaire.
Sur le fond, après avoir énoncé les textes applicables et avoir rejeté le moyen d’illégalité de la présomption d’exposition au risque de maladie professionnelle prévu par l’article X.III.4 de l’arrêté royal du 30 mars 2001, élevé par la ZP, il s’est penché sur la question de savoir si cette présomption s’appliquait aux maladies ne figurant pas sur la liste. Il a répondu à cette question par la négative et a décidé, en conséquence, qu’il appartenait à Madame M. de démontrer les trois éléments constitutifs de la maladie professionnelle du système ouvert, à savoir : une maladie, une exposition au risque professionnel de la maladie et un lien causal déterminant et direct entre ces deux éléments.
Il a estimé que le premier élément était établi. En revanche, il a constaté que l’exposition au risque professionnel de la maladie n’était pas démontrée par Madame M. de sorte que celle-ci ne pouvait prétendre à la reconnaissance et à l’indemnisation d’une maladie professionnelle au sens des dispositions légales applicables.
L’exposition au risque professionnel est définie par référence à l’article 32 de la loi de 1970 et l’influence nocive qui est admise n’est pas considérée comme inhérente à l’exercice de la profession de policier ni d’une intensité nettement plus grande que celle subie par la population en général.
V. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DU TRAVAIL DE BRUXELLES ET L’ARRET DU 17 FÉVRIER 2016
(…)
Par un arrêt du 17 février 20161, la cour du travail de Bruxelles a dit les appels recevables mais non fondés et a confirmé le jugement du 29 août 2013 dans toutes ses dispositions.
(…)
VIII. LA DÉCISION DE LA COUR
(…)
VIII.2.2°- La demande de réparation d’une maladie professionnelle dans le secteur public
1. Les recommandations européennes
Les recommandations suivantes intéressent la matière des maladies professionnelles2:
- la recommandation du 23 juillet 1962 concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles3
1 J.T.T., 2016, 270 ; cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation, par un arrêt du 10 décembre 2018, Chr. D.S., 2019, 270, notes (n.d.l.r.).
2 Ces recommandations sont notamment énumérées dans un récent arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2020, S.18.0009.F ; Guide social permanent, tome
4 – Droit de la sécurité sociale: commentaire , Partie I – Livre V, Titre I – 10 –Partie I – Livre V, Titre I, Chapitre IV – 410 (87 p.), n° 520 et s.
3 J.O.C.E , réf. 2188/62 du 31 août 1962.
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- Le point 1 de l’exposé des motifs est le suivant : « Le traité instituant la Communauté économique européenne, dans son article 117, exprime la volonté des États membres de « promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre permettant leur égalisation dans le progrès » et, dans son article 118, déclare expressément que la Commission de la C.E.E. a pour mission de promouvoir une collaboration étroite entre les États membres dans le domaine social, notamment dans les matières relatives à la sécurité sociale et à la protection contre les maladies professionnelles ».
- la recommandation du 20 juillet 1966 relative aux conditions d’indemnisation des victimes des maladies professionnelles4
- la recommandation de la commission de l’Union européenne 90/326/CEE du 22 mai 1990 concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles.
- la recommandation 2003/670/CE du 19 septembre 2003 concernant la liste européenne des maladies professionnelles qui la remplace5
Une recommandation n’a pas de caractère contraignant.
Dans l’affaire préjudicielle C-322/88 Salvatore Grimaldi c/ Fonds des maladies professionnelles de Belgique6, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit : “À la lumière de l’article 189, cinquième alinéa, du traité CEE, les recommandations de la Commission du 23 juillet 1962, concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles, et 66/462 du 20 juillet 1966, relative aux conditions d’indemnisation des victimes de maladies professionnelles, ne sauraient par elles-mêmes créer des droits dans le chef de justiciables dont ceux-ci pourraient se prévaloir devant les juges nationaux. Cependant, ces derniers sont tenus de prendre les recommandations en considération en vue de la solution des litiges qui leur sont soumis, notamment lorsqu’elles sont de nature à éclairer l’interprétation d’autres dispositions nationales ou communautaires.”
2. La loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public, ci-après « la loi de 1967 »
L’article 1er de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public dispose que le régime institué par cette loi pour la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles est, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, rendu applicable par le Roi, aux conditions et dans les limites qu’Il fixe, aux membres du personnel définitif, stagiaire, temporaire, auxiliaire ou engagé par contrat de travail, qui appartiennent aux administrations, services, organismes et établissements qui sont ensuite énumérés.
Le point 11° vise les corps de police locale y compris les militaires visés à l’article 4, § 2, de la loi du 27 décembre 2000 portant diverses dispositions relatives à la position juridique du personnel des services de police, aussi longtemps qu’ils appartiennent au cadre administratif et logistique.
Il ressort, en effet, du commentaire des articles de la loi de 1967 : « Cet article définit le champ d’application de la loi. Celle-ci vise, en principe, tous les fonctionnaires et agents des services publics.
En raison de la complexité de la matière, nous vous proposons de déléguer au Roi le soin de préciser les modalités de mise en vigueur du nouveau régime. […]
4 J.O.C.E , réf. 2696/66 du 9 août 1966.
5 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A32003H0670
6 Arrêt du 13 décembre 1989, Rec., 1989, 4407 [ J.T.T., 1990, 137].
Certains agents bénéficient déjà d’un régime d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. C’est notamment le cas à la S.N.C.B. Il va de soi que là où les dispositions en vigueur donnent satisfaction aux intéressés, il serait contreindiqué de les remplacer par de nouvelles prescriptions. Les arrêtés d’application comporteront donc les exceptions nécessaires »7
L’article 2 précise qu’on entend par maladies professionnelles celles qui sont reconnues comme telles en exécution des articles 30 et 30bis des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970.
L’article 3 énumère, selon les modalités fixées par l’article 1er, les diverses indemnités auxquelles la victime a droit.
3. L’arrêté royal du 30 mars 2001 portant la position juridique du personnel des services de police, ci-après « l’arrêté PJPOL »
L’arrêté royal du 30 mars 2001 portant la position juridique du personnel des services de police dit « PJPOL » exécute l’article 1er de la loi de 1967 qui est, en application de son article X.III.2, déclarée applicable aux membres du personnel à l’exception de l’article 16 de la loi8
Le titre III traite des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Pour l’application de ce titre, il y a lieu d’entendre par :
- « l’autorité », en ce qui concerne les membres du personnel appartenant à la police locale, dans les zones pluricommunales : le conseil de police (article X.III.1.2°, b), 2)
- « l’arrêté », en ce qui concerne les membres du personnel appartenant à la police locale, dans les zones pluricommunales : un arrêté du conseil de police (article X.III.1.3°, b), 2)
- « la maladie professionnelle » :
1) les maladies professionnelles reconnues comme telles par les lois relatives à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles, coordonnées le 3 juin 1970 ;
2) les maladies professionnelles définies dans les conventions internationales obligatoires pour la Belgique, à partir du jour où ces conventions sont entrées en vigueur en Belgique et conformément à leurs dispositions (article X. III.1.5°).
L’arrêté PJPOL renvoie donc, comme le fait l’article 2 de la loi de 1967, à la définition de la maladie professionnelle applicable dans le secteur privé.
Le rapport au Roi ne précise rien d’autre que ceci, pour la matière qui nous occupe :
« La partie X traite des soins médicaux gratuits et du contrôle médical. En ce qui concerne ce dernier, une procédure très rapide et efficace a été prévue. Ensuite, on y trouve les dispositions d’exécution en matière d’accidents du travail et de maladies profession-
7 Doc. parl., Chambre, 1964-1965, n° 1023-1, p. 4.
8 L’article 16 met à charge du Trésor public, les rentes, allocations et indemnités accordées à certains membres du personnel ainsi que les frais de procédure, sauf si la demande est téméraire et vexatoire. Tel qu’en vigueur depuis le 1er juillet 2007, l’article 16 précise que les corps de police locale visés à l’article 1er, 11°, supportent la charge des rentes, allocations et indemnités accordées aux membres de leur personnel en application de la loi. Il en va de même des frais de procédure, sauf si la demande est téméraire et vexatoire. Le Roi fixe, au besoin, l’obligation de souscrire une assurance à cette fin. Dans ce cas, la victime et le réassureur n’ont pas d’action l’un contre l’autre.
L’article X.III.36 de l’arrêté PJPOL précise que les frais de procédure administrative, les frais de justice, sauf si la demande est téméraire et vexatoire, et les frais de déplacement tels qu’ils sont déterminés à l’article X.III.6, sont à charge et sont payés à l’intervention de l’autorité dont dépend le service visé à l’article X.III.7. (L’autorité désigne le service auquel tout accident susceptible d’être considéré comme un accident du travail ou toute maladie susceptible d’être considérée comme une maladie professionnelle doit être déclaré. Elle fait connaître ce service aux membres du personnel).
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nelles. Les règles en vigueur pour le secteur public ont également été suivies ici (loi du 3 juillet 1967) »9
4. Les articles 30 et 30bis des lois relatives à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles, coordonnées le 3 juin 1970, ci-après « la loi de 1970 »
Les lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juillet 1970 (ci-après la loi de 1970) définissent comme suit les maladies professionnelles :
- l’article 30 précise que le Roi dresse la liste des maladies professionnelles dont les dommages donnent lieu à réparation. Les maladies professionnelles faisant l’objet d’une convention internationale obligatoire pour la Belgique, donnent lieu à réparation à partir du jour de l’entrée en vigueur en Belgique de ladite convention.
- l’article 30bis (inséré par une loi du 29 décembre 1990 portant des dispositions sociales, MB 9 janvier 1991, en vigueur depuis le 19 janvier 1991) prévoit que donne également lieu à réparation dans les conditions fixées par le Roi, la maladie qui, tout en ne figurant pas sur la liste visée à l’article 30, trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession. La preuve du lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie est à charge de la victime ou de ses ayants droit.
5. L’article X.III.4 de l’arrêté PJPOL : l’exposition au risque professionnel
L’article X.III.4 de l’arrêté PJPOL prévoit que la réparation des dommages résultant d’une maladie professionnelle est due lorsqu’un membre du personnel, victime de cette maladie, a été exposé au risque professionnel de ladite maladie pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle il appartenait à une des catégories d’ayants droit en vertu des présentes dispositions. L’alinéa 2 de cet article précise que tout travail exécuté dans des administrations, services, établissements et institutions pendant les périodes mentionnées dans l’alinéa 1, est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir exposé la victime au risque visé dans cet alinéa.
Cet article ne définit donc pas la notion d’exposition au risque professionnel.
L’arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 201810 a dit que l’article X.III.4 exclut l’application de l’article 32 de la loi de 197011 auquel il ne se réfère pas d’avantage que la loi de 1967.
9 M.B., 31 mars 2001.
10 Cass., 10 décembre 2018, S.18.0057.F, Chr. D.S., 2019, 270 ; J.T.T., 2019, 122 (n.d.l.r.).
11 La notion d’exposition au risque professionnel a été introduite dans le secteur privé par une loi du 24 décembre 1963 qui a abandonné le système antérieur de la double liste (une liste des maladies et une liste des industries ou professions où les maladies donnent lieu à réparation).
L’article 32 de la loi de 1970 applicable dans le secteur privé dispose : al. 1er « La réparation des dommages résultant d’une maladie professionnelle ou d’une maladie au sens de l’article 30bis est due lorsque la personne, victime de cette maladie, a été exposée au risque professionnel de ladite maladie pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle elle appartenait à une des catégories de personnes visées à l’article 2 ou pendant la période au cours de laquelle elle a été assurée en vertu de l’article 3 ».
al. 2 « Il y a risque professionnel au sens de l’alinéa 1, lorsque l’exposition à l’influence nocive est inhérente à l’exercice de la profession et est nettement plus grande que celle subie par la population en général et dans la mesure où cette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie » (texte tel qu’en vigueur depuis le 01 septembre 2006, modifié par une loi du 13 juillet 2006).
al. 3 « Le Roi peut, pour certaines maladies professionnelles et pour des maladies au sens de l’article 30bis, fixer des critères d’exposition sur proposition du comité de gestion des maladies professionnelles et après avis du Conseil scientifique ».
La ZP estime que cette notion doit être parallèle dans le secteur privé et dans le secteur public et qu’il y a lieu de se référer à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle garante de la non-discrimination entre les deux secteurs. La Cour constitutionnelle a régulièrement rappelé, au départ des travaux préparatoires de la loi de 1967, le parallélisme qui doit exister entre le régime du secteur privé et celui du secteur public, en ce qui concerne la définition des notions d’accident du travail et de maladie professionnelle. La ZP soutient donc une application par analogie de l’article 32 de la loi de 1970 ce qui emporte la nécessité de considérer une exposition au risque liée à la profession, un risque suffisant, un risque accru, significativement plus important dans l’exercice de la profession que dans la population en général et qui s’apprécie par rapport à un groupe.
Si tel n’est pas le cas, la ZP considère qu’il convient de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle sur la compatibilité de l’article 32, al.2, de la loi de 1970 avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que la définition de risque professionnel de cet article 32, al.2, est appliquée dans le secteur privé et ne l’est pas dans le secteur public alors que les notions doivent être parallèles.
Madame M. souligne l’absence de définition de la notion dans l’arrêté PJPOL et l’interdiction faite par la Cour de cassation de se référer à l’article 32 de la loi de 1970. Il est renvoyé aux conclusions de Monsieur l’Avocat général Genicot qui précèdent l’arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2018 : l’article 32 ne peut pas être transposé dans le secteur public.
Elle retient une définition de la notion d’exposition au risque professionnel, centrée sur la potentialité de survenance d’un dommage au regard de l’exposition, dans le milieu du travail, à des situations potentiellement dangereuses, c’est-à-dire susceptibles de causer un dommage (menace sur la santé).
Les facteurs présents dans le milieu du travail qui produisent des effets potentiellement nocifs (exposition) doivent rendre l’atteinte à la santé possible.
La méthodologie suivie pour cerner cette notion repose sur : - les travaux préparatoires de la loi 24 décembre 1963 qui a introduit la condition d’exposition au risque dans le secteur privé (avant la mise en place, par la loi de 1967, d’un régime dans le secteur public qui retient également cette condition de réparation).
Le législateur explique que : « cette condition se justifie par le fait que certaines maladies peuvent trouver leur origine aussi bien dans un risque professionnel que dans les conditions extra-professionnelles. Exemple : le saturnisme. Il est à noter toutefois que le risque professionnel comprend le risque de contracter une maladie professionnelle par la seule présence sur les lieux du travail alors même que le travail effectué dans l’entreprise n’est pas susceptible de provoquer ladite maladie . (…)
Il (le texte) n’exclut pas la possibilité de subordonner la réparation à une durée minimum d’exposition au risque de celle-ci lorsqu’une telle durée minimum constitue un critère médical du caractère professionnel de cette maladie. »12
- le Rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 5 janvier 1971 (un des autres arrêtés royaux d’exécution de la loi de 1967 dans le secteur public) qui commente l’article 4 (dont le contenu est similaire à celui de l’article X.III.4 de l’arrêté PJPol) en précisant que : « Par risque professionnel, il faut entendre le risque de contracter une maladie non seulement par le travail de la victime dans les administrations, services, organismes
al. 4 « Est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir exposé la victime au risque, tout travail effectué pendant les périodes visées à l’alinéa 1 dans les industries, professions ou catégories d’entreprises énumérées par le Roi, par maladie professionnelle, sur avis du Conseil scientifique».
al. 5 « Pour une maladie au sens de l’article 30bis, il incombe à la victime ou à ses ayants droit de fournir la preuve de l’exposition au risque professionnel pendant les périodes visées à l’alinéa 1. »
12 Doc. parl., Exposé des motifs, Sén., sess. 1962-1963, n° 237, pp. 8-9.
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ou établissements, mais encore par sa seule présence sur les lieux du travail »
- le cadre européen étant les recommandations européennes des 23 juillet 1962 et 20 juillet 1966 qui doivent guider le juge national dans son interprétation des dispositions nationales. Ces recommandations prônent une approche individualisée de l’examen de la condition d’exposition au risque.
- le sens commun, il s’agit d’être confronté à la possibilité de subir un dommage dans le cadre de l’exercice de la profession.
- la définition des notions de « risque » et de « danger » en matière de prévention, telle que retenue par le code sur le bien-être au travail ou encore de « risque psychosocial ». Le risque est défini comme « la probabilité qu’un dommage ou une atteinte au bien-être des travailleurs se présente dans certaines conditions d’utilisation ou d’exposition à un danger et l’ampleur éventuelle de ce dommage ou de cette atteinte » (article I-1-4, 2°).
Le danger est défini comme « la propriété ou la capacité intrinsèque notamment d’un objet, d’une substance, d’un processus ou d’une situation, de pouvoir causer un dommage ou de pouvoir menacer le bien-être des travailleurs » (article I-1-4,1°)
La notion de risque psychosocial s’appuie sur la probabilité de survenue d’un dommage suite à l’exposition à des composantes (de l’organisation du travail, du contenu du travail, des conditions de travail, des conditions de vie au travail et des relations interpersonnelles au travail) qui comportent un danger (article 32/1 de la loi du 4 août 1996, tel qu’inséré par la loi du 28 février 2014).
- la non pertinence de la définition de l’article 32 de la loi de 1970, spécialement dans sa version issue de la loi de 2006, qui obéit à une logique propre au secteur privé.
Cette version exige que l’influence « constitue, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie »
Les travaux préparatoires n’identifient qu’un seul motif à la modification de la définition de la notion: éviter « toute confusion » entre les missions déjà entreprises par le Fonds (accorder la réparation des maladies professionnelles) et d’autres missions nouvelles dévolues par la loi, à savoir les missions de prévention, via le concept, inconnu dans le secteur public, de la « maladie en relation avec le travail » inséré à l’article 62bis de la loi de 1970.
La cour de céans
1.
A deux reprises13, la Cour de cassation a donc exclu l’application de l’article 32 de la loi de 1970 aux dispositions de la loi de 1967 applicable dans le secteur public et à celles des arrêtés d’exécution de cette loi qui prévoient la condition d’exposition au risque professionnel à laquelle ils subordonnent la réparation du dommage.
2.
La cour ne peut pas retenir la demande formulée par l’employeur de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle en ce que cette question vise la constitutionnalité de l’article 32, al. 2, de la loi de 1970 dès lors que cet article ne s’applique pas au litige.
Cette vision repose, en outre, sur un présupposé que la cour ne partage pas : la notion d’exposition au risque professionnel ne doit
13 Outre l’arrêt du 10 décembre 2018 qui concerne la présente cause, la Cour de cassation a rendu un arrêt en date du 4 avril 2016, S.14.0039.F [Chr. D.S., 2019, 314 (somm.), note J.J.] à propos de l’arrêté royal d’exécution du 21 janvier 1993 relatif à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles en faveur de certains membres du personnel appartenant aux administrations provinciales et locals.
pas être « parallèle » ou similaire dans les deux secteurs au regard des travaux préparatoires de la loi de 1967 qui ont retenu cette nécessité de parallélisme pour la définition des notions d’accident du travail et de maladie professionnelle, ce qui est réalisé par la référence aux articles 30 et 30bis
Il ressort en effet des travaux préparatoires de la loi de 1967 qu’il n’était «nullement question d’une extension pure et simple du régime du secteur privé au secteur public », le but est de faire bénéficier le personnel des services publics d’un régime comparable à celui qui est déjà applicable dans le secteur privé et de maintenir les régimes déjà en place et qui donnent satisfaction (par exemple au sein de chemins de fer)14
En effet, «le Gouvernement n’a pas jugé possible ni souhaitable de soumettre les agents des services publics aux mêmes dispositions que les ouvriers et les employés du secteur privé. Le statut des fonctionnaires comporte des particularités dont il convient de tenir compte et qui justifient, dans certains cas, l’adoption de règles propres. Le but visé reste cependant le même : donner à la victime une réparation appropriée du préjudice subi à la suite d’un accident du travail d’un accident survenu sur le chemin du travail et des maladies professionnelles»15
3.
La condition d’exposition au risque professionnel qui se retrouve dans les deux secteurs est une condition de réparation du dommage qui peut présenter des différences dans son contenu, dans ses critères de définition et dans son mode probatoire.
La condition est naturellement requise dans les deux secteurs et le socle commun vise à rattacher la maladie au milieu professionnel : le milieu professionnel doit générer un danger potentiel pour la santé (un risque), pouvant provoquer la maladie16
4.
L’article 29 de la loi du 24 décembre 1963 qui a introduit la notion d’exposition au risque professionnel était rédigé comme suit : « La réparation des dommages résultant d’une maladie professionnelle est due, lorsque la personne, victime de cette maladie, a été exposée au risque professionnel pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle elle appartenait à une des catégories de personnes visées à l’article 2 ou pendant la période au cours de laquelle elle a été assurée en vertu de l’article 3 », sans autre limitation.
Le système de la double liste (une liste pour les pathologies ou leurs agents causals et une liste de professions déterminées), mis en place à partir de 1927, qui associait des activités déterminées à des risques spécifiques, est abandonné17
Une maladie professionnelle est caractérisée par une exposition déterminée indépendamment du secteur, de la profession ou de l’activité où cette exposition a pu se produire.
Les travaux préparatoires visent une condition qui est abordée de manière suffisamment large pour garantir l’application correcte de la présomption légale de causalité entre un risque sur le lieu de travail et une maladie professionnelle. Le risque professionnel y est défini comme le « risque de contracter une maladie professionnelle par la seule présence de la victime sur les lieux de travail, alors même que le travail qu’elle effectue dans l’entreprise n’est pas susceptible de provoquer la maladie »18
14 Doc. parl., Ch., 1966-1967, n° 339/6, p.2.
15 Doc. parl., Ch., 1964-1965, n° 1023/1; Doc. parl., Sénat, 1966-1967, n° 242, pp. 2 -3 .
16 S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013/2, pp. 466.
17 Pour plus de précisions quant à l’évolution historique du droit de l’indemnisation des maladies professionnelles en Belgique, voy. L. VOGEL, « De la silicose des mineurs aux lombalgies des infirmières : réflexions critiques sur le droit des maladies professionnelles », R.D.S., 2015/3, pp. 484 et s. et Guide social permanent, Tome 4 – Droit de la sécurité sociale: commentaire , Partie I –Livre V, Titre I – 10 – Partie I – Livre V, Titre I, Chapitre IV – 410 (87 p.)
18 L. VOGEL, « De la silicose des mineurs aux lombalgies des infirmières : réflexions critiques sur le droit des maladies professionnelles », R.D.S., 2015/3, 491.
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C’est l’objectif repris au point 6 de la recommandation européenne du 20 juillet 196619 et dans son dispositif qui prônent la nécessité, sauf exception, d’éliminer la plupart des conditions limitant de manière impérative le droit à l’indemnisation en favorisant l’approche médicale et individualisée de l’analyse.
Ces conditions à éviter reposent sur le constat d’une symptomatologie particulière, sur la description de manifestations cliniques, sur une indication relative au degré de gravité de l’affection, sur une énumération des activités, travaux ou milieux professionnels de nature à exposer le travailleur au risque considéré, sur la mention d’une durée minimum de l’exposition au risque, sur la mention d’un délai maximum dans lequel la maladie doit survenir.
La recommandation souligne que ces conditions restrictives constatées dans les différentes législations des États-membres sont généralement arbitraires comme le prouve le fait que, lorsque, pour une même maladie professionnelle, de telles conditions existent dans plusieurs législations nationales, elles n’y sont en aucune manière identiques20
En 1990, la Commission a décidé de procéder à une mise à jour de la liste européenne des maladies professionnelles parce que cette liste a évolué dans chaque État membre depuis les recommandations de 1962 et 1966 et cela s’explique par plusieurs facteurs, tels que l’évolution des techniques, l’apparition de substances nouvelles, d’activités différentes et de contraintes plus variées sur le lieu de travail (c’est la cour qui souligne).
5. Au sein de HR RAIL, la matière est régie par le Règlement général des accidents du travail, des accidents sur le chemin du travail et des maladies professionnelles – Fascicule 572, adopté le 17 août 1970.
Selon le paragraphe 11 de ce Fascicule 572, les maladies professionnelles donnant lieu à réparation sont prévues par les dispositions légales en la matière.
Le texte renvoie à la définition des maladies professionnelles qu’en donne la loi de 1970.
Le paragraphe 13 du Fascicule 572 précise que pour prétendre à la réparation des dommages résultant d’une maladie professionnelle, la victime ou, le cas échéant, ses ayants droit, doivent fournir la preuve que le dommage subi :
1. a pour cause une maladie professionnelle ;
2. résulte de l’exposition suffisante de la victime au risque professionnel de ladite maladie pendant son service au sein d’une des sociétés des Chemins de fer belges (sans présomption d’exposition au risque professionnel dans ce régime).
6.
La dernière version de l’article 32, al.2, de la loi de 1970 démontre la spécificité au secteur privé de la définition qu’il donne à la notion d’exposition au risque professionnel s’agissant de distinguer un concept spécifique à ce secteur (celui de maladie en relation avec le travail), inexistant dans le régime du secteur public comme le souligne à juste titre Madame M. au départ de l’analyse des travaux préparatoires21, analyse que la cour partage.
19 Le texte est le suivant :
« 6. Le jeu de la présomption légale établie par l’existence de la liste des maladies professionnelles, et les conditions d’octroi de prestations dont sont assorties cellesci, permettent une application quasi automatique des dispositions législatives créées d’ailleurs à défaut d’une définition générale de la maladie professionnelle. Mais, compte tenu de l’état actuel des connaissances dans le domaine de la médecine du travail ainsi que des moyens d’investigation toujours plus développés mis à la disposition des experts, il est devenu nécessaire d’éliminer la plupart des conditions limitant de manière impérative le droit à indemnisation. Les réalités médicales ne peuvent être inscrites dans un cadre de limites impératives, car les manifestations cliniques et l’évolution des maladies peuvent présenter des variations importantes suivant la constitution et la manière de réagir de chaque malade. (…) ».
20 Un autre exemple du caractère arbitraire de ces limitations, dans la règlementation belge, est la limitation de la liste à l’entrée des tendinopathies pour les artistes du spectacle uniquement et ce, jusqu’en 2012.
21 « La proposition de modification de l’article 32, 2e alinéa, doit être lue en parallèle avec la proposition d’introduire l’article 62bis (...). En effet,
Cette version ne semble même se justifier qu’au regard d’une maladie professionnelle de la liste.
En effet, les travaux préparatoires justifient cette distinction entre maladie professionnelle et maladie en relation avec le travail comme suit (en contrariété avec l’esprit des recommandations européennes22) : « Cette distinction doit être clairement faite dans la loi, sinon on s’expose à beaucoup de confusion. Étant donné que la loi sur les maladies professionnelles ne permet pas de discussion en cas de maladie professionnelle (art. 30) à propos du rapport de causalité dans un cas individuel, la définition du risque professionnel doit préciser les conditions générales auxquelles doit répondre l’exposition pour pouvoir être reconnue comme cause de la maladie. L’exposition doit être suffisamment importante pour qu’elle constitue un risque d’apparition de la maladie. Des expositions de faible intensité ou de courte durée à certaines influences nocives ne signifient pas nécessairement une exposition impliquant un risque ».
7.
Une réflexion relative à la prévention des affections liées à la charge psychosociale était annoncée dans ce contexte de création de la notion de « maladie en relation avec le travail »23
L. Vogel vise une note de politique générale, du secrétaire d’État chargé des Affaires sociales, du 20 décembre 2011 qui se référait, dans le cadre du Fonds social européen, à une étude d’incidence du burn-out chez les travailleurs belges, [laquelle] concluait à une prévalence de 0,8 % (19 000 travailleurs en Belgique). Cette étude démontre ainsi que la charge psychosociale peut être considérée comme une cause très importante d’absentéisme dans l’entreprise. En concertation avec le Fonds des Maladies Professionnelles (FMP), il est prévu d’initier une réflexion relative à la prévention des affections liées à la charge psychosociale24
8.
Il est important de souligner que les recommandations européennes25 sur base desquelles l’article 30bis a été inséré dans la loi de 1970 visent à assurer l’indemnisation d’une victime qui prouve la réalité de sa maladie professionnelle : il convient d’assurer un droit à l’indemnisation des maladies professionnelles dont l’origine et le caractère professionnel peuvent être établis.
en introduisant la notion « maladie en relation avec le travail l» dans l’article 62bis, il est nécessaire de faire une distinction la plus claire possible entre les maladies professionnelles proprement dites (article 30) et les maladies en relation avec le travail (article 62bis). La différence essentielle entre maladie professionnelle et maladie en relation avec le travail, ne vise ni la nature des activités professionnelles comportant un risque ni la nature de la maladie mais la force du rapport de causalité entre les deux. Si ce rapport causal, dans des groupes de personnes exposées, est suffisamment fort, l’inscription dans la liste des maladies professionnelles est possible.
22 L. VOGEL, « De la silicose des mineurs aux lombalgies des infirmières : réflexions critiques sur le droit des maladies professionnelles », R.D.S., 2015/3, pp. 505 et sous le titre « La réforme de 2006 : le choix de l’incohérence ».
23 L. VOGEL, « De la silicose des mineurs aux lombalgies des infirmières : réflexions critiques sur le droit des maladies professionnelles », R.D.S., 2015/3, pp. 475 et sv. et pp. 505 et s.
24 Doc. parl., Chambre, 2010-2011, n° 531964/007, pp. 11-12 ; cette note annonçait, par ailleurs, l’introduction des tendinopathies dans la liste des maladies professionnelles.
Concernant le burn-out, des projets pour la prévention primaire sont en cours, voy. l’arrêté royal du 26 novembre 2013 pris en exécution de l’article 191, § 3, de la loi du 27 décembre 2006 portant des dispositions diverses (I) ; Guide social permanent, Tome 4 – Droit de la sécurité sociale: commentaire , Partie I –Livre V, Titre IV, Chapitre III – 10 – Partie I – Livre V, Titre IV, Chapitre III –5310 (123 p.) ; A. DE BONHOME , « Le burn-out coûte cher à la société, mais combien à l’employeur ? » in S. GILSON et A-C. SQUIFFLET (dir.), La souffrance au travail, dialogue interdisciplinaire autour du burn-out, Limal, Anthémis, 2019, pp. 107 à 120.
25 Les recommandations des 23 juillet 1962 concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles et 20 juillet 1966 relative aux conditions d’indemnisation des victimes des maladies professionnelles, la recommandation de la commission de l’Union européenne 90/326/CEE du 22 mai 1990 concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles, puis la recommandation 2003/670/CE du 19 septembre 2003 concernant la liste européenne des maladies professionnelles qui la remplace.
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Les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 1990 portant des dispositions sociales qui a introduit l’article 30bis dans la loi de 1970 précisent que cette disposition a pour but, « dans l’intérêt même des victimes, d’étendre le champ d’application des lois coordonnées aux maladies d’origine professionnelle qui ne figurent pas sur la liste, lorsque les victimes ou leurs ayants droit prouvent l’existence d’un rapport causal entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie ».
Interpréter restrictivement la notion d’exposition au risque professionnel ne permet pas d’assurer cet objectif puisque la preuve d’un lien causal individuel est alors rendue impossible à envisager par un mécanisme restrictif applicable en amont.
La doctrine souligne que le système ouvert doit remplir deux fonctions : une fonction collective permettant de combler progressivement les lacunes du système de liste et une fonction individuelle qui assure l’indemnisation des personnes qui arrivent à satisfaire la charge de la preuve26
9.
Cette condition d’exposition au risque professionnel se distingue de la simple exposition professionnelle : l’exposition doit, en effet, être suffisante (en durée, en fréquence ou en intensité par exemple) pour créer le risque que le travailleur contracte la maladie, elle doit être « tout simplement plus grande que celle subie par la population en général »27
Aucune norme minimale n’est établie pour définir la notion d’exposition au risque professionnel exigée par l’arrêté PJPOL.
10.
La recommandation européenne du 20 juillet 1966 qui traite des indications complémentaires de la liste (en vue essentiellement de les supprimer) permet de considérer que ces limitations sont de différentes natures, dont celle d’une « énumération des activités, travaux ou milieux professionnels de nature à exposer le travailleur au risque considéré ».
L’exposition au risque professionnel n’est donc pas liée à une profession particulière mais peut relever du milieu professionnel dans lequel évolue le travailleur indépendamment de son travail effectif.
Les travaux tout comme les milieux de travail peuvent exposer au risque.
La recommandation européenne utilise les termes suivants pour considérer l’exposition au risque professionnel : « (…) une personne, victime d’une maladie à laquelle son activité professionnelle l’a exposée à un degré plus élevé que l’ensemble de la population (…) »
La condition vise à rattacher la maladie au milieu professionnel, à une activité professionnelle au sens large du terme (et non à une profession spécifique, à un travail effectif).
Le constat posé est qu’aucun texte ne fait exclusivement référence à une profession spécifique. Il est fait usage de termes plus généraux, il est fait référence à des industries, des professions ou des catégories d’entreprises28. Les industries ou les catégories d’entre-
26 L. VOGEL, « De la silicose des mineurs aux lombalgies des infirmières : réflexions critiques sur le droit des maladies professionnelles », R.D.S., 2015/3, p. 504 qui souligne que : « Entre 1991 et 2012, les tendinites ont représenté environ 8 cas sur 10 dans les indemnisations accordées par le FMP sur la base du système ouvert. On est loin de l’objectif reconnu par les travaux parlementaires de la loi du 29 décembre 1990 suivant lesquels il fallait rendre le système de reconnaissance plus souple en fonction de la grande diversité des maladies causées par le travail dans les conditions actuelles. Les difficultés rencontrées ont un effet dissuasif certain : les demandes d’indemnisation restent peu nombreuses ».
27 P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, Bruxelles, Larcier, 2015, 3ème éd., p. 305-306 ; F. JASPAR et F. DEMET, « Les maladies professionnelles-secteur public », in M. DUMONT (dir.), Actualités de la sécurité sociale, Larcier, Commission Université-Palais, p. 840.
28 Les recommandations européennes depuis celle du 23 juillet 1962 utilisent des termes génériques pour inviter les États membres à introduire en plus de la liste, dans leurs dispositions législatives, réglementaires et administratives, un droit à réparation au titre de la législation sur les maladies professionnelles lorsque la preuve sera suffisamment établie par le travailleur intéressé qu’il
prises peuvent regrouper plusieurs professions et donc viser indistinctement plusieurs professions.
Beaucoup de maladies sont d’ailleurs communes à plusieurs professions.
Une profession ne ressemble pas à une autre même profession du fait de son exercice particulier lié à l’environnement professionnel, au milieu du travail.
Comme le souligne à juste titre Madame M., le Rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 5 janvier 1971 qui commente l’article 4 dont le contenu est similaire à celui de l’article X.III.4 de l’arrêté PJPol éclaire cette interprétation en visant le risque de contracter une maladie non seulement par le travail de la victime dans les administrations, services, organismes ou établissements, mais encore par sa seule présence sur les lieux du travail29
Dans son étude doctrinale, L. Vogel30 souligne que : « L’impact négatif du travail sur la santé a fait l’objet d’observations multiples tout au long de l’histoire. Cet impact ne résulte pas uniquement des conditions matérielles de la production (équipements, substances chimiques, etc.). Il est également déterminé par des rapports sociaux. La division du travail ne se limite pas à une distribution fonctionnelle et technique de tâches suivant des compétences propres aux individus. Elle a une dimension sociale, collective ».
Il cite, par exemple, le syndrome décrit par les téléphonistes, la « névrose des téléphonistes », qui ne leur est pas propre mais concerne “tous les emplois comportant, avec ou sans fatigue musculaire, un rythme excessivement rapide des opérations ainsi que des conditions de travail objectivement ou subjectivement pénibles, mécanisation des actes et monotonie, surveillance étroite, rapports humains dans l’entreprise altérés »31
11.
Il en va particulièrement de même pour les pathologies qui portent atteinte à la santé mentale, les pathologies liées aux risques psychosociaux tels le burn-out32 , les dépressions, le stress post-traumatique qui sont corrélés avec des risques du travail. Ces facteurs de nocivité ne dépendent pas nécessairement de la profession spécifiquement exercée mais bien des circonstances ou des conditions dans lesquelles cet exercice s’accomplit33
a contracté en raison de son travail, une maladie qui ne figure pas dans la liste nationale. L’exposé des motifs fait référence aux conditions de travail et invite les États membres à supprimer les conditions limitatives trop restrictives (travaux, symptômes, délais) en ce qu’elles ne permettent plus à la présomption d’origine de jouer ou excluent les travailleurs qui ne remplissent pas strictement les conditions de la loi et qui cependant ont indéniablement contracté une maladie dans l’exercice de leur profession. Les travailleurs seraient garantis d’une manière plus complète si la législation ouvrait en outre un droit à réparation pour des maladies ne figurant pas dans la liste nationale mais dont l’origine professionnelle serait suffisamment établie. Il est donc exclu d’exiger que la maladie survienne par le fait de l’exercice d’un travail spécifique, c’est toujours le cadre professionnel qui est visé.
29 Rapport au Roi qui précède l’arrêté royal du 5 janvier 1971, M.B., 19 janvier 1971.
30 L. VOGEL, « De la silicose des mineurs aux lombalgies des infirmières : réflexions critiques sur le droit des maladies professionnelles », R.D.S., 2015/3, pp. 475 et sv. et pp. 524 et s.
31 L. VOGEL, « De la silicose des mineurs aux lombalgies des infirmières : réflexions critiques sur le droit des maladies professionnelles », R.D.S., 2015/3, pp. 524-525.
32 V. JAMINON, « Le burn-out : un risque psychosocial ? Le point de vue d’un conseiller en prévention interne » in S. GILSON et A-C. SQUIFFLET (dir.), La souffrance au travail, dialogue interdisciplinaire autour du burn-out, Limal, Anthémis, 2019, pp. 37 et s.
33 Dans une communication de la Commission des Communautés européennes du 20 septembre 1996 concernant la liste européenne des maladies professionnelles, publiée sur le site https/// eur-lex-europa.eu , on peut lire : « (…) Pour certaines maladies, il est possible d’identifier une cause spécifique, alors que d’autres sont induites par plusieurs facteurs nocifs. Il existe en outre des maladies qui sont causées par les facteurs étiologiques inhérents aux circonstances dans lesquelles le travail est effectué, par exemple une mauvaise posture, un effort physique répété ou un stress psychique; ces maladies mériteraient donc d’être reconnues comme maladies professionnelles. (…) »
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L’auteur souligne à juste titre le caractère paradoxal de la situation actuelle qui impose aux employeurs d’organiser la prévention des risques psychosociaux sans que les travailleurs, victimes d’une maladie, puissent aisément, en dehors des dispositions spécifiques concernant le harcèlement moral et la violence au travail, prétendre à une indemnisation, à défaut d’ouverture du régime spécifique d’indemnisation du risque professionnel.
La recommandation de la Commission européenne du 19 septembre 2003 concernant la liste européenne des maladies professionnelles s’est emparée de la réalité des troubles de nature psychosociale liés au travail dont les États membres doivent promouvoir la recherche.
L’Organisation internationale du Travail (OIT) a également entamé des travaux en vue de la révision de la liste des maladies professionnelles, dès lors que beaucoup de données épidémiologiques témoignent d’une association significative entre les facteurs de risques psychosociaux et les troubles psychologiques chroniques à la fois avec des traits spécifiques (stress post-traumatique, burnout) et des traits non spécifiques (fatigue chronique, anxiété chronique, dépression, « troubles de l’adaptation »)34. La liste de l’OIT (mise à jour en 2010) inclut les troubles mentaux et du comportement (Recommandation de l’OIT n° 194 sur la liste des maladies professionnelles, 2002)35
À l’heure actuelle, en droit belge, la seule voie possible d’indemnisation de ce risque professionnel dans le secteur public et dans le régime des maladies professionnelles est bien celle de l’application de l’article 30bis de la loi de 1970 auquel la loi de 1967 renvoie.
Au sens de l’article X.III.4 de l’arrêté PJPOL, l’exposition au risque professionnel suppose que les conditions de travail puissent causer la maladie.
6. La présomption d’exposition au risque professionnel
L’alinéa 2 de l’article X.III.4 de l’arrêté PJPOL précise que tout travail exécuté dans des administrations, services, établissements et institutions pendant les périodes mentionnées dans l’alinéa 1, est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir exposé la victime au risque visé dans cet alinéa.
Cette présomption est calquée sur celle introduite dans le secteur public par l’arrêté royal du 5 janvier 1971 qui justifie comme suit la généralisation de la présomption : « Il n’est en effet pas possible d’établir dans le secteur public une liste de services comparables à la liste des industries, professions ou catégories d’entreprises à l’égard desquelles le risque de contracter certaines maladies déterminées est présumé, conformément à l’arrêté royal du 11 juillet 1909 pris en exécution des lois relatives à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles »36
L’auteur du texte a donc pris en compte le fait que le travailleur du secteur public est soumis à des exigences de mobilité et de changement plus importantes.
L’arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 2018 a également tranché la question de l’application de la présomption d’exposition au risque professionnel à une demande de réparation fondée sur une maladie hors liste.
La cour est liée par cette décision.
La motivation de la généralisation de la présomption ne peut pas viser, au moment où elle est précisée, les maladies hors liste qui ne sont pas encore prévues en droit belge à cette époque. L’intention n’a donc pas pu être exprimée.
Au contraire, quand l’arrêté PJPOL est pris, la présomption généralisée est également retenue, sans distinction, dans les deux systèmes (de la liste et hors liste) qui existent bien à l’époque.
La cour n’aperçoit pas en quoi le constat diffère d’un système à l’autre : il n’est pas plus facile de rapporter cette preuve dans le système hors liste, la présomption peut être renversée et le travailleur n’est pas dispensé de rapporter la preuve de la causalité effective individuelle entre sa maladie et l’exposition au risque professionnel, ce qui représente l’intérêt et l’objectif même du système ouvert37
7. La légalité de la présomption d’exposition au risque professionnel
La cour retient la légalité de la présomption d’exposition au risque professionnel de la maladie, spécifique au régime de réparation des maladies professionnelles dans le secteur public38
L’habilitation donnée au Roi se fonde sur l’article 1er, al. 1er, et l’article 3, al. 1er, de la loi de 1967 : l’article 3 prévoit la réparation des maladies professionnelles selon les modalités fixées par l’article 1er qui énonce que le Roi rend applicable le régime institué par la loi pour la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles, aux conditions et dans les limites qu’il fixe
La cour rejoint donc l’analyse retenue par Monsieur l’Avocat général Genicot dans ses conclusions qui précèdent l’arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2018 qui est également celle retenue par le jugement dont appel du tribunal du travail de Bruxelles du 29 août 2013. Le tribunal se réfère, en outre, à juste titre, à l’article 108 de la Constitution qui confère au Roi un pouvoir général d’exécution des lois qui L’autorise à dégager du principe de la loi et de son économie générale les conséquences qui en découlent naturellement d’après l’esprit qui a présidé à sa conception et les fins qu’elle poursuit39
La cour ne peut donc pas souscrire aux développements soutenus par l’employeur (…), qui conclut à l’illégalité de la présomption instaurée par l’arrêté PJPOL. L’habilitation ne se limite pas à fixer l’étendue du champ d’application personnel de la loi de 1967. Si tel était le cas, les termes « aux conditions et dans les limites qu’il fixe » seraient privés de tout effet utile. La cour ne considère pas que cette habilitation repose sur l’application, même indirecte, de l’article 32 de la loi de 1970.
La décision de la Cour de cassation du 10 décembre 2018 qui exclut l’application de l’article 32 de la loi de 1970 au secteur public, n’emporte donc pas l’illégalité de l’arrêté d’exécution PJPOL dès lors que l’habilitation du Roi repose exclusivement sur la loi de 1967.
8. Le lien causal direct et déterminant entre la maladie et l’exercice de la profession
37 Sur ce point et ses conséquences, la cour ne rejoint donc pas l’analyse développée par A. YERNAUX , « La présomption d’exposition au risque professionnel dans le régime d’indemnisation des maladies professionnelles du secteur public . Commentaire de Cass., 10 décembre 2018 », R.D.S., 2019/2, 359 et s.
38 P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, Bruxelles, Larcier, 2015, 3ème éd., p. 306 et sv. et les références citées ; A. YERNAUX, « La présomption d’exposition au risque professionnel dans le régime d’indemnisation des maladies professionnelles du secteur public. Commentaire de Cass., 10 décembre 2018 », R.D.S., 2019/2, 366 ; C. trav. Liège, 9 février 2018, RG 2017/ AL/411.
34 S. BILLY, P. BRASSEUR et J.-P. CORDIER, La prévention des risques psychosociaux au travail depuis la réforme de 2014 : aspects juridiques et pratiques, EPDS, 2016, Waterloo, Kluwer, p. 42.
35 www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_protect/---protrav/---safework/ documents/publication/wcms_473269.pdf
36 Rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 5 janvier 1971, Pasin., 1971, 9.
39 Le jugement cite C.E., 26 octobre 2001, n° 100.392 ; C.C., arrêt n° 125/2018 du 4 octobre 2018, rôle 6701 qui précise en sont considérant B.12.3. que : « L’article 23, alinéas 2 et 3, 2°, de la Constitution oblige le législateur compétent à garantir le droit à la sécurité sociale et à déterminer les conditions d’exercice de ce droit. Cette disposition constitutionnelle n’interdit cependant pas à ce législateur d’accorder des délégations au pouvoir exécutif, pour autant qu’elles portent sur l’exécution de mesures dont le législateur a déterminé l’objet. Elle n’impose dès lors pas au législateur de régler tous les éléments essentiels du droit à la sécurité sociale et ne lui interdit pas d’habiliter le pouvoir exécutif à régler ceux-ci ».
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Quant au lien de causalité direct et déterminant entre la maladie et l’exercice de la profession40, il doit être considéré – au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation41 et de ce qui a déjà été mis en exergue notamment par la cour du travail de Liège42 – que le lien causal ne doit pas être exclusif (les maladies sont principalement multifactorielles), principal ou évident (la maladie devrait alors être inscrite sur la liste et le système hors liste est vidé de son intérêt pour ne jouer qu’un rôle de « pré-liste »).
Ce raisonnement est conforme, comme le souligne à juste titre l’arrêt récent de la Cour de cassation du 22 juin 2020, - aux recommandations des 23 juillet 1962 concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles et 20 juillet 1966 relative aux conditions d’indemnisation des victimes des maladies professionnelles, à la recommandation de la Commission de l’Union européenne 90/326/CEE du 22 mai 1990 concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles, et à la recommandation
2003/670/CE du 19 septembre 2003 concernant la liste européenne des maladies professionnelles qui la remplace, qui recommandent aux États membres de s’employer à introduire dans leurs dispositions nationales un droit à l’indemnisation pour les maladies professionnelles dont l’origine et le caractère professionnel peuvent être établis43
La Commission ne propose aucune limite à la preuve de l’origine et du caractère professionnel de la maladie.
- aux travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 1990 portant des dispositions sociales, qui a introduit l’article 30bis dans les lois coordonnées, et précisent que cette disposition a pour but, « dans l’intérêt même des victimes, d’étendre le champ d’application des lois coordonnées aux maladies d’origine professionnelle qui ne figurent pas sur la liste, lorsque les victimes ou leurs ayants-droit prouvent l’existence d’un rapport causal entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie ».
Le facteur professionnel peut coexister avec d’autres facteurs dont les prédispositions pathologiques qui ont eu une incidence sur le déclenchement ou l’évolution de la maladie ; l’exercice de la profession ne doit pas être la cause « unique » ou « prépondérante » de la maladie44. L’exigence légale n’impose pas que l’ayant-droit doive établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition ou par toute autre cause potentielle étrangère à l’exercice de la profession.
Il s’agit donc d’une conception de la causalité issue de la théorie de l’équivalence des conditions sachant qu’au contraire de l’exposition au risque professionnel, qui vise une potentialité, le lien de causalité prévu par l’article 30bis doit être réel, plus que probable, en excluant tout doute raisonnable.
La cause est directe et déterminante s’il est médicalement reconnu que la maladie ne se serait pas déclarée ou se serait déclarée dans d’autres conditions et, notamment, ne se serait pas déclarée au moment où elle est apparue ou se serait déclarée moins gravement, sans le facteur professionnel.
2.
L’exercice de la profession n’est pas autrement défini par l’article 30bis et rejoint la notion d’exposition au risque professionnel également utilisée dans cet article.
40 S. REMOUCHAMPS, La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle, R.D.S., 2013/2, 489 et s.
41 Cass., 2 février 1998, Pas., 1998, I, p. 58 ; D. DE BRUCQ, « Maladie professionnelle hors liste, condition de causalité, arrêt de la Cour de cassation
2 février 1998 », R.B.S.S., 1999/3, p. 580 et sv. ; Cass. 22 juin 2020, S.18.0009.F.
42 C. trav. Liège, 25 mars 2016, 2015/AL/300 qui se réfère à D. DE BRUCQ, « Maladie professionnelle hors liste. Condition de causalité », R.B.S.S., 1998, p. 538 ; C. trav. Liège 4 mars 2016, R.G. 2015/AL/415.
43 D DE BRUCQ, « Maladie professionnelle hors liste, condition de causalité, arrêt de la Cour de cassation, 2 février 1998 FMP c/ V », R.B.S.S., 1999/3, p. 585.
44 C. trav. Liège, 28 juin 2000, 9e ch., R.G. 99/28084, juridat.be
La cour renvoie donc aux développements qui précèdent.
Rien ne justifie de retenir une définition restrictive liée à la prestation de travail en elle-même, ce qui signifierait que la maladie doit trouver sa cause dans la profession spécifiquement exercée.
Par comparaison avec le système de la liste prévu par l’article 30 de la loi de 1970, qui présume de manière irréfragable la causalité entre l’exposition au risque professionnel et la maladie, il faut envisager les lieux du travail, l’activité professionnelle qui ne peut pas être artificiellement extraite de l’ensemble, du contexte dans lequel elle se réalise.
La notion s’oppose à ce qui est extra-professionnel, pas à ce qui relève du contexte professionnel.
La cause doit être d’origine professionnelle.
Raisonner autrement revient à exclure les maladies qui ne sont pas spécifiquement en lien avec la tâche proprement dite mais qui sont en lien avec les conditions d’exercice de ce travail et donc, à exclure tous les facteurs professionnels communs à toutes ou nombreuses professions, dont les facteurs psycho-sociaux.
Raisonner autrement revient aussi à exclure de toute réparation, par exemple (certes caricatural), l’atteinte subie par une secrétaire qui travaillerait dans le même milieu de travail qu’un peintre, dans le même espace plus ou moins ouvert.
Tous deux respirent le même air toxique, tous deux sont atteints d’une même affection respiratoire consécutive à l’usage de la peinture sur les lieux du travail.
Le risque relève, pour le peintre, de sa tâche opérative, au contraire de la secrétaire occupée à des tâches administratives.
C’est ce qui a été expressément exclu par le législateur lorsqu’il a introduit par la loi du 24 décembre 1963, la condition d’exposition au risque professionnel (alors non autrement définie) dans le secteur privé.
L’exposé des motifs de cette loi45 précise que « ... le risque professionnel comprend le risque de contracter une maladie professionnelle par la seule présence sur les lieux du travail alors même que le travail effectué n’est pas susceptible de provoquer ladite maladie ».
Cette volonté exclut de considérer que l’exposition au risque professionnel soit inhérente à l’exercice de la profession au sens strict du terme, limité aux tâches effectuées.
L’exposition à l’influence nocive doit être inhérente à l’exercice de la profession (sur un lieu à risque ; la loi n’exige pas que l’exposition soit inhérente à l’exécution d’une tâche professionnelle précise ; le facteur «exposition au risque « est donc acquis au travailleur qui séjourne dans une section d’entreprise même sans y appartenir) 46
Un parallélisme intéressant peut être souligné avec le régime des accidents du travail qui exige, en application de l’article 7, al. 1er, de la loi du 10 avril 1971 que l’évènement soudain survienne dans le cours de l’exécution du contrat de travail et en application de l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967, dans le cours et par le fait de l’exercice des fonctions (et non dans le cours du travail ou des fonctions au sens de l’exécution des prestations de travail) qui est une notion plus large liée non pas à l’exécution du travail mais au fait de l’autorité de l’employeur47
45 Doc. parl., Exposé des motifs, Sénat, sess. 1982-1983, n° 237, p. 8.
46 Guide social permanent, Droit de la sécurité sociale, commentaires, Les maladies professionnelles, Kluwer, 2017, p. 150.
47 S. REMOUCHAMPS, « L’indemnisation des dommages générés par les incidents psychosociaux dans les régimes de réparation des risques professionnels », Actualités en matière de bien-être au travail , Bruxelles, Bruylant, 2015 ; L. VAN GOSSUM, N.SIMAR et M.STRONGYLOS, « Les accidents du travail », 8e éd., Bruxelles, Larcier, 2013, pp 62-63 ; S. GILSON et Z. TRUSGNACH, « Les risques psychosociaux constitutifs d’accidents du travail à la lumière de la jurisprudence » in S. GILSON et A-C. SQUIFFLET (dir.), La souffrance au travail, dialogue interdisciplinaire autour du burn-out, Limal, Anthémis, 2019, 102.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 589 1.
9. L’incapacité de travail et le taux des facteurs socio-économiques
La notion d’incapacité permanente de travail au sens de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles (article 3) applicable dans le secteur public est similaire à celle retenue par la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail applicable dans le secteur privé.
L’incapacité permanente de travail consiste dans la perte ou la diminution du potentiel économique de la victime sur le marché général de l’emploi.
Le marché général de l’emploi recouvre non seulement le métier exercé par la victime au moment où l’incapacité est fixée mais aussi l’ensemble des métiers qu’elle demeure apte à exercer.
Il s’agit d’apprécier l’inaptitude à gagner sa vie par son travail et non d’apprécier l’invalidité physiologique, l’atteinte à l’intégrité physique qui en est à la base mais qui n’est pas nécessairement le facteur déterminant.
L’incapacité recouvre donc la répercussion de l’invalidité physiologique sur la capacité concurrentielle de la victime, compte tenu de sa situation socio-économique48
Les critères d’appréciation relèvent donc, à côté de l’atteinte à l’intégrité physique, de la condition et de la formation de la victime au regard du marché général de l’emploi, des facteurs socio-économiques propres de la victime : l’âge, la qualification professionnelle, la faculté d’adaptation, la possibilité de rééducation professionnelle et la capacité de concurrence sur le marché général de l’emploi à l’exclusion de toute évolution conjoncturelle de l’économie49
Il ne peut être tenu compte des possibilités d’adaptation du poste de travail en fonction du handicap de la victime50
Concernant le critère de l’âge, conformément à la législation sur les accidents du travail, ce facteur est pris en compte en ce qu’il a de l’influence sur les capacités concurrentielles et non dans sa dimension d’accès effectif au marché du travail compte tenu de la conjoncture économique.
Plus l’âge avance, plus l’incidence de ce critère impactera, en principe, l’incapacité de travail dès lors que la faculté d’adaptation, de rééducation professionnelle et la capacité de concurrence se réduisent avec l’âge51
Comme en matière d’accident du travail, seul le dommage matériel correspondant à l’incapacité de travail est indemnisé, le dommage moral n’est jamais pris en considération et en ce sens, une simple pénibilité n’affectant pas la capacité de travail ne donne pas lieu à indemnisation.
Les efforts accrus que la victime doit fournir à la suite de sa remise au travail dans l’accomplissement de ses tâches professionnelles normales font par contre partie de l’incapacité52
48 L. VAN GOSSUM, N. SIMAR et M. STRONGYLOS, Les accidents du travail, 8e éd., 2013, Bruxelles, Larcier, 129 et sv.
49 [L. VAN GOSSUM et Y. GHYSELS, «Problèmes juridiques et pratiques en rapport avec l’évaluation des incapacités en accidents du travail], J.T.T., 2004, 444, qui citent : Cass., 10 mars 1980, Pas., 1980, I, 839 ; Cass., 24 mars 1986, J.T.T., 1987, 111 ; Cass., 22 septembre 1986, J.T.T., 1987, 2090 ; Cass., 3 avril 1989, Pas., 1989, I, 772 ; D. DESAIVE et M. DUMONT, «L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie en sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risques professionnels. Comment évaluer l’aspect médical ? » in Regards croisés sur la sécurité sociale, CUP 2012, Anthémis, 352 à 365 et pp. 372 à 379. P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, Bruxelles, Larcier , 2015, pp. 130 et suivantes.
50 L. VAN GOSSUM, N. SIMAR et M. STRONGYLOS, Les accidents du travail, 8e éd., 2013, Bruxelles, Larcier, 130.
51 D.DESAIVE et M. DUMONT, « L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie en sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risques professionnels. Comment évaluer l’aspect médical ? » in Regards croisés sur la sécurité sociale, CUP 2012, Limal, Anthémis, 352 - 365 et 375 ; P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, Bruxelles, Larcier, 2015, 130 -131.
52 M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, Accident (sur le chemin) du travail : responsabilité et subrogation légale , Et. Prat. de D.S., Waterloo, Kluwer, 2013, pp. 85 à 89.
VIII.3- L’application au cas d’espèce
VIII.3.1° - La recevabilité de la demande originaire
L’employeur soulève, en page 25 de ses conclusions de synthèse, un premier moyen d’irrecevabilité (à tout le moins de non-fondement) de la demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle dès lors que la législation en matière de maladie professionnelle ne serait pas applicable pour deux motifs :
- Madame M. a déjà demandé l’indemnisation de son dommage sur base de la loi du 4 août 1996 sur le bien-être au travail, elle a estimé que son état était imputable à des faits devant être qualifiés de harcèlement ;
- elle aurait dû introduire une demande d’indemnisation dans le cadre d’un accident du travail.
Madame M. précise ne pas comprendre cet argument d’irrecevabilité s’agissant de procédures distinctes et de qualifications distinctes.
La cour souligne que les motifs développés par l’employeur ne correspondent pas au dispositif de ses conclusions qui ne soutient pas l’irrecevabilité de la demande.
Le premier jugement du 11 janvier 2011 du tribunal du travail de Bruxelles, qui n’est pas visé par l’appel, a dit la demande recevable.
La cour confirme, en toute hypothèse, la recevabilité de la demande en réponse aux motifs développés en appel et au regard de l’arrêt du 25 juin 2014 de la cour du travail de Bruxelles.
Il existe en droit belge deux régimes spécifiques53 de réparation du risque professionnel, le régime des accidents du travail et le régime des maladies professionnelles.
Ces régimes ne reposent pas sur le mécanisme de droit commun de la responsabilité civile dont la faute est la pierre angulaire.
La notion de faute est inexistante dans ces régimes54, dont le mécanisme repose soit sur l’existence d’un évènement soudain (en accident du travail) soit sur l’exposition au risque professionnel (en maladie professionnelle) avec un régime probatoire du lien de causalité tout aussi spécifique.
L’indemnisation est forfaitaire, elle porte exclusivement sur l’atteinte à la capacité de gain.
L’autorité de chose jugée que l’employeur soulève – il s’agit d’une fin de non-recevoir et non d’un moyen au fond – ne trouve pas à s’appliquer : la demande visée par l’arrêt du 25 juin 2014 ne présente pas le même objet (le dommage réclamé est distinct et cela a été expressément précisé dans la demande du chef de harcèlement, qui vise le dommage non réparé en maladie professionnelle).
La cour n’a pas à trancher le présent litige sur base de la notion légale de harcèlement moral ou sexuel ou de violence au travail dont l’indemnisation repose sur le droit commun de la responsabilité, aménagé par la loi du 4 août 1996 sur le bien-être.
La question qui intéresse la cour de céans et qui est celle du risque professionnel est donc bien distincte de celle de la qualification de harcèlement, tranchée par ailleurs par l’arrêt du 25 juin 2014 de la cour du travail de Bruxelles.
La réparation du risque professionnel consécutif à de tels faits n’est pas visée par cette règlementation55. Seules les questions du cumul d’indemnités (le débat est toutefois sans intérêt puisque Madame M. a été déboutée de cette demande) ou, plus fondamentalement de l’immunité de l’employeur, comme le souligne le conseil de Madame M. en termes de plaidoiries, auraient pu se poser56
53 Guide social permanent, Tome 4 – Droit de la sécurité sociale: commentaire, Partie I –Livre V, Titre I – 10 – Partie I – Livre V, Titre I, Chapitre IV – 410 (87 p.)
54 La réparation n’est exclue qu’en cas de faute intentionnelle de la victime.
55 M. JOURDAN, « Harcèlement , violence au travail et risques professionnels », La loi relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral et sexuel au travail . Deux années d’application, coll. Etudes pratiques de droit social, Kluwer, 2005, p. 240
56 S. REMOUCHAMPS, « L’indemnisation des dommages générés par les incidents psychosociaux dans les régimes de réparation des risques professionnels », in D
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 590
L’arrêt du 25 juin 2014 ne rend donc pas la présente demande irrecevable (encore moins non fondée) dès lors que les conditions d’indemnisation ne se recoupent pas .
Le caractère intentionnel ou abusif qui conditionne la qualification des faits en harcèlement ou en violence au travail est sans incidence en réparation du risque professionnel.
Le caractère insistant du comportement se distingue du caractère répété de ce comportement (retenu par la loi du 11 juin 2002)57
Le stress se distingue aussi du harcèlement58, qui n’est qu’un des risques psychosociaux qui peuvent se présenter au travail.
L’effet positif de l’autorité de chose jugée par l’arrêt du 25 juin 2014, sous l’angle probatoire, ne permet pas non plus de conclure au rejet de la demande.
Au départ des faits considérés comme établis par cet arrêt du 25 juin 2014, il peut être retenu, sur base du rapport d’intervention du conseiller en prévention psychologue, que Madame M. a été blessée par une attitude qu’elle considère comme déplacée et que Monsieur M. a été vexé par la remarque publique émise par Madame M., estimant qu’elle aurait dû s’entretenir avec lui en privé (dans son audition relevée dans le cadre de l’enquête administrative interne, Monsieur M. précise : « Le lendemain, ce devait être un samedi, elle s’est adressée à moi de façon agressive et vexatoire. J’ai ressenti cela car je suis quand même son chef de service. Ne voyez pas cela par un manque de modestie de ma part. J’aurais accepté des remarques polies et me serait excusé de ce geste. J’ai mal pris cette manière de s’adresser à moi et ai haussé le ton à ce sujet »). Des tensions de plus en plus fortes commencent à prendre place au sein du commissariat, sous le regard des collègues, entre les deux protagonistes, jusqu’à l’explosion de ce conflit le 23 novembre 2006.
L’arrêt du 25 juin 2014 rejette la demande de reconnaissance de harcèlement au travail à défaut de caractère abusif et répété tout en retenant l’existence de relations conflictuelles. Monsieur M. ne le conteste pas puisqu’il explique qu’il s’est lui-même rendu auprès de sa hiérarchie le matin du 23 novembre 2006, suite aux critiques formulées par Madame M. quant au fonctionnement du service, « eu égard au conflit existant ».
Le manque de respect devenu mutuel s’explique à partir du moment où Monsieur M. ne respecte pas lui-même son rôle de chef de service en adoptant des attitudes déplacées (que l’arrêt qualifie d’inopportunes en soulignant le caractère inadmissible des termes employés par Monsieur M. le 23 novembre 2006).
La non-reconnaissance d’un phénomène d’isolement dans la procédure fondée sur le harcèlement n’anéantit pas la problématique d’absence de communication mise en évidence par les différentes déclarations de Monsieur M. : sur base de rumeurs, il a appris à se montrer méfiant à l’égard de Madame M. , attitude qui s’est traduite par un comportement de méfiance; la première intervention du commissaire N. invitait Monsieur M. et Madame M. à se saluer, à se respecter et à œuvrer pour le bien du service. La première tentative de médiation avec la personne de confiance se clôture par une promesse de rétablir une communication polie et respectueuse.
L’argument de l’employeur qui soutient le même moyen d’irrecevabilité (ou de non fondement) au motif que la demande relève du régime des accidents du travail et non de celui des maladies professionnelles eu égard aux faits ponctuels et précis soutenus par Madame M. n’est pas non plus fondé : les deux régimes se distinguent par la détermination de l’origine du risque professionnel et Madame M. ne soutient pas l’existence d’un évènement soudain mais bien d’un processus de dégradation des relations engendrant un hyperconflit.
DUMONT et P. VAN GEHUCHTEN (dir.), Actualités en matière de bien-être au travail, coll. UB, Bruxelles, Bruylant, p. 198.
57 M. JOURDAN, « Harcèlement , violence au travail et risques professionnels », in La loi relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral et sexuel au travail . Deux années d’application, coll. Etudes pratiques de droit social, Kluwer, 2005, 243-244.
58 Idem, p. 246.
(…)
VIII.3.3° - Le fondement de la demande originaire
(…)
b- La maladie
L’employeur considère que Madame M. ne rapporte pas la preuve de l’existence d’une maladie qui doit être médicalement diagnostiquée.
Il estime que la décision du Medex ne le lie pas, il se réfère à un arrêt de la Cour de cassation du 12 janvier 1998.
La cour considère que l’existence d’une pathologie dans le chef de Madame M. ne peut pas être sérieusement contestée.
Une maladie hors liste peut être, par définition, n’importe quelle maladie, sans limitation, sans exclusion59, la lésion peut être corporelle ou psychique c’est-à-dire porter atteinte à la santé mentale.
Les pathologies d’ordre psychologique ont fait l’objet d’études, par l’INRS par exemple, notamment en matière de harcèlement60. Il ne s’agit pas de suppositions médicalement infondées.
La cour s’est référée à la prévention spécifique des risques psychosociaux, dans ses développements relatifs à la notion de risque professionnel.
Comme l’a relevé le jugement (…), la pathologie de Madame M. est clairement objectivée par l’expert judiciaire qui la qualifie, dans ses conclusions, de névrose d’angoisse.
Cette pathologie est abondamment documentée par les certificats médicaux et rapports de psychologues produits par Madame M.
La ZP n’avance pas d’éléments médicaux remettant en cause ce constat. Au contraire, ses diverses interventions en cours d’expertise étaient essentiellement axées sur la causalité entre la pathologie, qu’elle reconnaissait donc, et les faits retenus par l’expert.
Plus fondamentalement, Madame M. a été reconnue comme souffrant d’une maladie grave et de longue durée et enfin, elle a été déclarée inapte au service, d’abord de manière temporaire puis définitivement.
Les décisions de la CAPSP ont été actées par des délibérations du Conseil de Police qui est également l’autorité compétente en matière d’accident du travail et de maladie professionnelle au sens de l’arrêté royal PJPOL.
Par ailleurs, l’article X.III.9 de l’arrêté PJPOL dispose que dans les trente jours de la réception de la déclaration, le service visé à l’article X.III.7 (le service désigné par l’autorité, connu des membres du personnel et auquel tout accident susceptible d’être considéré comme un accident du travail ou toute maladie susceptible d’être considérée comme une maladie professionnelle doit être déclaré) détermine s’il s’agit ou non d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, au sens de la loi du 3 juillet 1967 et notifie sa décision à la victime ou à ses ayants-droit.
S’il estime qu’il s’agit d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, le service visé à l’article X.III.7 transmet un exemplaire des formules et du certificat médical visés à l’article X.III.8, alinéas 2 à 4 y compris, à l’office médico-légal.
L’article X.III.10 §2 dispose qu’en cas de maladie professionnelle, l’office médico-légal détermine les aspects médicaux suivants :
1° la nature de la maladie
2° le pourcentage de l’invalidité permanente résultant de la maladie professionnelle
3° la date à partir de laquelle l’invalidité résultant de la maladie professionnelle présente un caractère permanent.
59 D. DE BRUCQ, « Maladie professionnelle hors liste, condition de causalité, arrêt de la Cour de cassation, 2 février 1998 FMP c/ V », R.B.S.S., 1999/3, 580.
60 M. JOURDAN, « Harcèlement , violence au travail et risques professionnels », in La loi relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral et sexuel au travail . Deux années d’application, coll. Etudes pratiques de droit social, Kluwer, 2005, 252-253.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 591
L’employeur ne peut donc pas soutenir ne pas être lié par la reconnaissance de cette pathologie.
L’arrêt de la Cour de cassation qu’il cite n’a pas la portée qu’il lui donne. Il convient de lire les observations doctrinales sous cet arrêt qui soulignent, s’agissant d’un autre arrêté royal d’exécution dans le secteur public – celui du 5 janvier 1971 – que l’autorité administrative est seule compétente pour renverser la présomption en précisant qu’il n’est pas contesté, nonobstant la limitation par cet arrêté d’exécution du rôle du Medex à la détermination du pourcentage d’invalidité permanente, que la compétence du Medex emporte également celle de reconnaître la maladie professionnelle61
L’arrêté PJPOL prévoit expressément la compétence de l’O.M.L. pour déterminer la nature de la maladie.
c- L’exposition au risque professionnel
(…)
La cour a, en droit (au point VIII.2.2°,5), défini la notion d’exposition au risque professionnel en excluant l’application de l’article 32, al. 2, de la loi de 1970 : le milieu professionnel doit générer un danger potentiel pour la santé (un risque) pouvant provoquer la maladie (c’est en ce sens que l’agent nocif doit être inhérent à la profession entendue au sens large du terme), l’exposition doit être suffisante (en durée, en fréquence ou en intensité) pour créer le risque que le travailleur contracte la maladie, elle doit être plus grande que celle subie par la population en général.
Madame M. bénéficie d’une présomption d’exposition au risque professionnel.
Il appartient donc à l’employeur de renverser cette présomption en rapportant la preuve de ce qu’il peut être exclu, avec la plus grande certitude que permettent les connaissances médicales, que Madame M. n’a pas été exposée au risque professionnel de contracter la névrose d’angoisse, dont elle démontre par ailleurs être atteinte, autrement dit, qu’il peut être exclu que les conditions de travail pouvaient causer la maladie.
En cas de doute sur la réponse affirmative à donner à cette question, c’est-à-dire dans le cas où ne peut être exclue une exposition au risque professionnel, l’exposition de l’intéressée doit être tenue pour acquise du fait que la présomption légale d’exposition qui la protège n’aura pas, dans cette hypothèse, été renversée par la preuve contraire.
L’employeur ne peut donc prétendre renverser la présomption en se référant aux conditions limitatives de la notion d’exposition au risque professionnel telle qu’il l’a définie par référence à l’article 32, al. 2, de la loi de 1970, et notamment soutenir que la dépression est une maladie commune et non spécifique à la profession de policier, en comparant la situation de Madame M. à celle d’un travailleur qui attraperait une grippe sur son lieu de travail.
En l’espèce, l’influence nocive, l’agent nocif est la charge psychosociale (devenue « risques psychosociaux au travail »62) subie au travail, par référence au concept tel que défini actuellement par la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail63 qui met l’accent sur la prévention de ce risque.
61 Obs. J. JACQMAIN sous Cass., 12 janvier 1998, Chr. D.S., 1998, 530.
62 La notion de « charge psychosociale » est devenue la notion de « risques psychosociaux » en 2014 par concordance à la littérature scientifique, pour clarifier la notion au regard d’une contrainte inhérente à l’exécution du travail, la prévention devant alors porter sur la surcharge, se détacher de l’exécution, du contenu du travail pour couvrir l’organisation du travail, les conditions de travail, les conditions de vie au travail, les relations interpersonnelles, la dimension collective qui en sont les éléments constitutifs : voy. sur ces développements, S. BILLY, P. BRASSEUR et J.-P. CORDIER, La prévention des risques psychosociaux au travail depuis la réforme de 2014 : aspects juridiques et pratiques, EPDS, 2016, Kluwer, 21.
63 La cour souligne que le titre de cette législation (« … lors de l’exécution de leur travail ») n’annonce pas une vision stricte du bien-être au travail dès lors que les articles 3, §1er, 1°, et 4, § 1er, al. 2, de la loi précisent que le bien-être est
Les risques psychosociaux au travail ont une reconnaissance légale spécifique récente, sous l’impulsion des recommandations internationales et européennes, mais ils préexistent naturellement à cette formalisation, qui s’est précisée au fil de temps.
Cette influence nocive de nature psychosociale ne se réduit pas au harcèlement moral ou sexuel et à la violence au travail tels que définis par la loi du 4 août 1996, et qui ne peut trouver à s’appliquer en l’espèce dès lors que Madame M. a été déboutée de cette reconnaissance.
Les faits subsistent tels que circonscrits supra au point VIII.3.1°. En application de l’article 32/1 de la loi du 4 août 1996, on entend par risques psychosociaux au travail, la probabilité qu’un ou plusieurs travailleurs subissent un dommage psychique qui peut également s’accompagner d’un dommage physique, suite à l’exposition à des composantes de l’organisation du travail, du contenu du travail, des conditions de travail, des conditions de vie au travail et des relations interpersonnelles au travail, sur lesquelles l’employeur a un impact et qui comportent objectivement un danger.
Dans le contexte psychosocial, sont visées en l’espèce, les relations interpersonnelles entre Madame M. et Monsieur M.
Madame M. vit une situation de souffrance relationnelle au travail qui se définit comme « une situation dans laquelle une personne – ou un groupe – exprime ou ressent un mal-être dû aux relations qu’elle vit sur son lieu de travail ou en lien avec celui-ci »64. Cette situation se développe au départ d’une attitude qui relève d’une forme d’emprise65 de la part de Monsieur M. [et] qui se traduit par des pratiques dysfonctionnantes sous le couvert de l’humour, dont la légitime désapprobation n’est pas admise par ce dernier en raison de sa qualité hiérarchique.
Les difficultés relationnelles ne relèvent pas, en l’espèce, d’un simple désaccord qui fait partie de la vie quotidienne au travail sans pouvoir être considéré comme nocif mais bien d’un désaccord aggravé qui a conduit à un conflit nocif, un affrontement entre les deux personnes66, un hyperconflit (conflit qui présente une intensité particulièrement grande du point de vue cognitif, émotionnel et comportemental), caractérisé par des phénomènes de bipolarisation (scission du milieu du travail en deux groupes) et de stigmatisation individuelle67
Les rapports rédigés par les intervenants spécialisés apportent les éléments utiles à l’appréciation concrète de la réalité de la situation conflictuelle et illustrent cet état de fait de bipolarisation (les témoignages, même peu nombreux, permettent de comprendre
recherché par des mesures qui ont trait à la sécurité du travail, à la protection de la santé du travailleur au travail, aux aspects psychosociaux du travail, à l’ergonomie, à l’hygiène du travail, à l’embellissement des lieux de travail, à l’environnement pour ce qui concerne l’influence des points précédents.
64 « Agir sur les souffrances relationnelles au travail ». Manuel de l’intervenant confronté aux situations de conflit, de harcèlement et d’emprise au travail, rédigé à la demande de la Direction générale Humanisation du travail du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, Université de Liège (Professeur JeanFrançois Leroy, Daniel Faulx) et ISW Limits (Ilse Devacht, Dirk Antonissen), Concepts et phénomènes de souffrance relationnelle au travail, Sophie DELVAUX, Ilse DEVACHT, Maai VANDEPOEL, Sien SCHRAEPEN, Daniel FAULX, septembre 2009, p.10, https://emploi.belgique.be/sites/default/files/fr/ modules_pages/publicaties/document/manuel-intervenant.pdf?id=5884
65 [Ibid., p. 16].
66 S. REMOUCHAMPS, « L’indemnisation des dommages générés par les incidents psychosociaux dans les régimes de réparation des risques professionnels », in D. DUMONT et P. VAN GEHUCHTEN (dir.) Actualités en matières de bien-être au travail, coll. ULB, Bruxelles, Bruylant, p. 186 ; S. BILLY, P. BRASSEUR et J.-P. CORDIER, La prévention des risques psychosociaux au travail depuis la réforme de 2014 : aspects juridiques et pratiques, EPDS, 2016, Kluwer, pp. 49 à 51.
67 S. BILLY, P. BRASSEUR, J.-P. CORDIER, La prévention des risques psychosociaux au travail depuis la réforme de 2014 : aspects juridiques et pratiques, EPDS, 2016, Kluwer, p. 51 ; « Agir sur les souffrances relationnelles au travail ». Manuel de l’intervenant confronté aux situations de conflit, de harcèlement et d’emprise au travail, rédigé à la demande de la Direction générale Humanisation du travail du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, Université de Liège (Professeur Jean-François Leroy, Daniel Faulx) et ISW Limits (Ilse Devacht, Dirk Antonissen), septembre 2009, p. 11, https://emploi.belgique.be/sites/default/files/ fr/modules_pages/publicaties/document/manuel-intervenant.pdf?id=5884
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que certains collègues admettent le comportement de Monsieur M. et d’autres pas, même sans l’exprimer. Madame M. a exprimé sa désapprobation) et de tentative d’emprise :
- le rapport rédigé par la personne de confiance en date du 10 avril 2008 souligne que Monsieur M. a l’habitude d’accueillir les nouveaux arrivants en leur faisant des blagues dans un registre douteux comme l’a subi Madame M. le 13 juillet 2006 (dessin d’un pénis sur une carte postale accrochée sur l’ordinateur de Madame M.) et le rapport rédigé par le conseiller en prévention psychosocial daté du 1er février 2007 confirme ce comportement
- le rapport rédigé par le conseiller en prévention psychosocial daté du 1er février 2007 relate :
«(…) En écoutant les témoins, nous avons constaté qu’il existait une réelle différence entre les ressentis des membres du personnel du Commissariat face aux comportements inappropriés de Monsieur M. En effet, certains semblent être indifférents et accepter, dans une certaine mesure, les attitudes et comportements déplacés de Monsieur M. alors qu’on peut comprendre, objectivement, qu’ils soient difficilement tolérables pour la plupart des gens. On remarque également que Monsieur M. reprochait à Madame M. de manquer de respect par rapport à sa position hiérarchique. Ce comportement peut cependant facilement s’expliquer à partir du moment où Monsieur M. ne respecte pas lui-même son propre rôle de chef de service en adoptant des attitudes déplacées (…)».
Madame M. est stigmatisée négativement par Monsieur M. qui s’en tient aux échos reçus relativement au comportement de Madame M. à l’école de police : une « fouteuse de merde », se moquant de l’autorité et de la hiérarchie.
L’affrontement est matérialisé par les plaintes relayées auprès de la hiérarchie par les deux protagonistes et la rédaction, in fine, par Monsieur M., après avoir adopté un comportement agressif et insultant, d’un rapport à charge de Madame M. qui devient une menace pour le service.
Les faits mêmes et la chronologie du dossier démontrent que l’employeur pouvait avoir un impact sur ces composantes et qu’elles comportaient objectivement un danger.
L’employeur a, à l’issue de la période d’exposition, en novembre 2006, pris des mesures de précaution et a rappelé la norme à Monsieur M., dans son rôle de supérieur hiérarchique.
La situation a été analysée objectivement par le conseiller en prévention psychosocial comme présentant un danger.
L’ensemble de ces éléments démontrent la réalité de l’exposition au risque professionnel. À tout le moins, dès lors que Madame M. bénéficie d’une présomption d’exposition, le doute qui pourrait encore subsister lui profite.
L’employeur ne démontre pas qu’il peut être exclu, avec la plus grande certitude possible, que Madame M. n’a pas été exposée au risque professionnel de contracter la névrose d’angoisse dont elle démontre par ailleurs être atteinte.
La cour considère que c’est bien le milieu professionnel qui a généré un danger potentiel pour la santé, pouvant provoquer la maladie en retenant la réalité de la problématique même des risques psychosociaux au travail qui s’inscrivent en l’espèce dans un lien hiérarchique.
En pages 34 et 35 de son rapport d’expertise, l’expert confirme le phénomène de « stress » lié au milieu professionnel, notamment au travers de l’aspect hiérarchique. Il fait référence à ce phénomène spécifique au milieu du travail qui se généralise en se fondant notamment sur une étude de l’INRS68 qui reconnaît que l’exposition
68 www.inrs.fr/risques/psychosociaux/ce-qu-il-faut-retenir.html ; de nombreuses autres études existent également en Belgique, voy. notamment V. JAMINON, « Le burn-out : un risque psychosocial ? Le point de vue d’un conseiller en prévention interne » in S. GILSON et A-C. SQUIFFLET (dir.), La souffrance au travail, dialogue interdisciplinaire autour du burn-out, Anthémis, 2019, 40-42.
à ces situations de travail peut avoir des conséquences sur la santé des salariés, notamment en termes de maladies cardio-vasculaires, de troubles musculosquelettiques, de troubles anxio-dépressifs, d’épuisement professionnel, voire de suicide.
Il s’agit de situations de travail qui peuvent exister dans tous les secteurs d’activité, où sont présents, combinés ou non du stress (déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes de son environnement de travail et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ), des violences internes commises au sein de l’entreprise par des salariés (harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes) des violences externes commises sur des salariés par des personnes externes à l’entreprise (insultes, menaces, agressions…) et qui peuvent être induites par l’activité elle-même ou générées par l’organisation et les relations de travail.
L’exposition est, en l’espèce, suffisante, nonobstant la courte carrière de Madame M., pour créer le risque qu’elle contracte la maladie au regard de la nature de l’influence nocive qui consiste en un hyperconflit (et non un désaccord même persistant) caractérisé en l’espèce par un processus dégénératif rapide qui a atteint une personne particulièrement fragile, comme en atteste également le rapport d’expertise.
L’exposition est, en l’espèce, plus grande que celle subie par la population en général dès lors que dans sa vie privée, le travailleur, Madame M., n’est pas soumis à un rapport hiérarchique et pourrait comme tout le monde éviter par choix les contacts avec une personnalité avec laquelle il développe des incompatibilités.
d- Le lien causal direct et déterminant entre la maladie et l’exercice de la profession
1.
L’employeur se base sur une définition de la condition qui a été établie par le comité de gestion de Fedris et qui se heurte à celle retenue par la cour.
Il se base, en outre, sur la vision restrictive de la notion d’exercice de la profession qui n’est pas celle retenue par la cour.
2.
Madame M. se base sur la jurisprudence de la Cour de cassation et sur une vision non restrictive de l’exercice de la profession, qui englobe le milieu professionnel et donc le conflit nocif à l’origine de la névrose d’angoisse développée par Madame M.
3.
La cour a retenu, en droit, une définition de la causalité requise par la règlementation applicable telle qu’elle est issue de la théorie de l’équivalence des conditions.
En l’espèce, (…) il est médicalement établi que la maladie dont souffre Madame M. ne se serait pas déclarée ou se serait déclarée dans d’autres conditions et, notamment, ne se serait pas déclarée au moment où elle est apparue ou, encore, se serait déclarée moins gravement, sans le facteur professionnel.
La prédisposition que Madame M. présente n’affecte pas cette reconnaissance. Il est donc indifférent de considérer, comme le fait l’employeur et bien qu’il ne s’agisse que d’une affirmation, que la stabilité psychique de Madame M. aurait été altérée en l’absence du facteur professionnel.
Aucun état antérieur n’est établi, il ne peut donc pas non plus être question d’un tel état qui évoluerait pour son propre compte nonobstant l’influence professionnelle.
La maladie dont souffre Madame M. n’est pas une atteinte spontanée mais elle est liée, par sa nature, à un traumatisme qui repose sur la situation conflictuelle vécue entre elle et Monsieur M. durant leur période de collaboration professionnelle. La maladie n’est pas interne à l’organisme de Madame M69
69 Les développements de l’employeur à ce propos ne sont pas pertinents s’agissant de se référer au cas d’analyse d’une maladie de la liste définie par un
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La chronologie d’apparition et de développement de cette maladie est précise et correspond aux faits traumatisants. Madame M. consulte la personne de confiance en août 2006 en réaction au premier fait survenu le 13 juillet 2006.
Cette conclusion est médicalement appuyée par l’ensemble des diagnostics médicaux posés par les différentes instances médicales et par les considérations du rapport d’expertise qui ont mis en évidence le lien de causalité entre la situation professionnelle et l’atteinte à la santé, tout comme la fragilité de Madame M. particulièrement en rapport avec son intégration socioprofessionnelle.
Les développements et les conclusions de l’expert, qui font suite aux préliminaires, traduisent bien que le lien de causalité apparaît avec un haut degré de vraisemblance médicale (…).
L’expert a détaillé chronologiquement l’évolution de la situation professionnelle, insistant sur l’ambivalence de la réaction de l’employeur, en parallèle de l’évolution de l’atteinte psychologique de Madame M., tout en tenant compte de sa personnalité particulièrement sensible aux signes extérieurs d’intégration socio-professionnelle. Il a donc expliqué le phénomène de décompensation et il retient de ces éléments, la causalité requise par la règlementation en précisant que la multicausalité ne s’y oppose pas.
Le médecin-conseil de l’employeur maintient en vain sa contestation quant à l’usage par l’expert, pour soutenir sa conclusion médicale, de l’échelle de CAPS qui retient un contexte post-traumatique. En effet, cet argument a été rencontré par l’expert, neuropsychiatre, qui justifie l’utilisation de ce test, dont il a adapté la grille, parce que ces items sont aspécifiques, ce que reconnaît le médecin-conseil de la ZP.
e - L’indemnisation
L’incapacité temporaire, la consolidation, l’incapacité permanente et le taux des facteurs socio-économiques
1.
L’expert a relevé les périodes d’incapacité temporaire suivantes :
I.T.T. à 67 % du 28 novembre 2006 au 14 décembre 2006 ;
I.T.T. à 20 % du 26 février 2007 au 14 août 2007 ;
I.T.T. à 40 % du 15 août 2007 au 17 décembre 2007 ;
I.T.T. à 67 % du 18 décembre 2007 au 2 août 2008.
(…)
3.
L’expert retient une invalidité physiologique assez importante. Il précise tenir compte de son expérience professionnelle clinique nécessaire à cette évaluation qui repose, en matière de santé mentale, sur des facteurs complexes en l’absence de barème de référence. Il fixe le taux d’invalidité à 20 % sur base des déficits suivants:
agent causal et nullement à la condition de causalité requise par l’article 30bis de la loi de 1970.
- la perte des fonctions cognitives qu’il a pu constater (concentration mentale déficitaire), - une perte des fonctions sociales (isolement), - l’envahissement de la conscience par des paniques, des ruminations mentales et des idées dépressives.
L’expert souligne la nécessité pour Madame M. d’une reconnaissance de sa souffrance dans le processus de réparation et un pronostic favorable à court terme pour proposer un taux d’incapacité de 20 %.
(…)
À la date de la consolidation retenue par l’expert, Madame M. est âgée de 34 ans. Si cette date doit être reportée au 15 avril 2010, l’appréciation ne s’en trouve pas modifiée, moins de deux ans s’écoulant entre ces deux dates sans aucune autre spécificité.
Les répercussions de l’invalidité sont fonctionnelles, s’agissant d’une atteinte aux capacités cognitives et sociales nécessaires à l’exercice de toute profession.
Madame M. a exercé des métiers non qualifiés avant d’obtenir le CESS qui lui a permis d’accéder à la formation de policier. Son expérience professionnelle est très réduite en cette qualité et très pauvre pour la période qui précède son engagement à ce titre.
Le marché général du travail qui reste accessible à Madame M. au prix d’efforts accrus est le marché du travail non ou peu qualifié dès lors qu’elle ne dispose d’aucun diplôme supérieur au CESS, n’a pas d’expérience professionnelle valorisante et que sa formation spécifique est perdue : Madame M. est inapte définitivement à l’exercice du métier de policier et l’exercice d’un métier en milieu fortement hiérarchisé est également exclu. La faculté d’adaptation, de rééducation et de formation est aussi affaiblie par la perte des fonctions cognitives et sociales.
Le marché général du travail qui reste accessible à Madame M. est donc fortement restreint.
Sur ces bases, la cour retient un taux de facteurs socio-économiques de 10 %, ce qui porte le taux d’incapacité à 30 %.
Le pronostic favorable mentionné par l’expert à l’issue du processus de reconstruction dont fait partie la reconnaissance et la réparation du dommage devra, le cas échéant, s’envisager dans le cadre d’une action en révision. (…)
NOTE
Sur le burn-out comme maladie professionnelle, voy. aussi Trib. Trav. Mons (div. La Louvière), 7 février 2019, Chr. D.S., 2019, 310 ; et l’intéressant ouvrage coordonné par S. GILSON et A.-C. SQUIFFLET, La souffrance au travail – Dialogue interdisciplinaire autour du burn-out, Anthemis, 2019, 251 p., dont en particulier : S. GILSON, « Le burn-out : cet obscur objet de déplaisir », V. JAMINON, « Le burn-out : un risque psycho-social ? » et R. GUEIBE, « Le burnout du soignant, une maladie de l’âme en deuil de son idéal ? ».
Cour Trav. Bruxelles (6e ch.), 7 juin 2021
Siège : F. Bouquelle, prés. ch. ; P. Wouters et A. Gerils, cons. soc. Plaid. : MMes J.-M. Tihon, et D. Castiaux
Fedris c/ P. (R.G. n° 2019/AB/916)
I. MALADIE PROFESSIONNELLE – DE LA LISTE – EXISTENCE DE LA MALADIE – INCLUANT UN AGENT CAUSAL – EXAMEN IN ABSTRACTO – EXPOSITION AU RISQUE PROFESSIONNEL – PROFESSION À CONSIDÉRER DE MANIÈRE CONCRÈTE
II. DROIT JUDICIAIRE – APPEL – EXPERTISE ORDONNÉE PAR LES PREMIERS JUGES ET ÉTENDUE EN DEGRÉ D’APPEL À DES ÉLÉMENTS NON VISÉS PAR LES PREMIERS JUGES – EFFET DÉVOLUTIF
I. BEROEPSZIEKTE – UIT DE LIJST – BESTAAN VAN DE ZIEKTE – MET INBEGRIP VAN EEN OORZAKELIJK AGENS – ONDERZOEK IN ABSTRACTO – BLOOTSTELLING AAN BEROEPSRISICO – CONCREET TE BESCHOUWEN BEROEP
II. GERECHTELIJK RECHT – HOGER BEROEP – DESKUNDIGENONDERZOEK DAT DOOR DE EERSTE RECHTERS IS BEVOLEN EN IN HOGER BEROEP IS UITGEBREID TOT ELEMENTEN DIE NIET DOOR DE EERSTE RECHTERS ZIJN BEHANDELD – DEVOLUTIEVE WERKING
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1. Au stade de l’existence de la maladie de la liste, il n’y a pas lieu d’examiner si l’agent causal visé par le code constitue la cause prépondérante de la maladie ni si la maladie a effectivement été causée par l’agent causal. Il faut vérifier si d’après les connaissances générales de la science médicale, cette maladie peut être provoquée par ledit agent causal, in abstracto
2. Pour qu’il soit question de risque professionnel, il faut que l’influence nocive soit inhérente à l’exercice de la profession de la victime. La profession doit être considérée de manière concrète, en tenant compte des conditions dans lesquelles la victime l’exerce. Rien n’impose de retenir une catégorie professionnelle entière (par exemple l’ensemble des aides-soignants). Au contraire, rien ne s’oppose à ce qu’on tienne compte du type de tâches accomplies quotidiennement, de la durée d’exposition à l’influence nocive, etc.
3. Le juge d’appel, en soumettant à l’expert des questions que le premier juge a estimé pouvoir trancher sans les soumettre à l’expert, réforme le jugement. Par conséquent, le dossier ne peut être renvoyé aux premiers juges conformément à l’article 1068 du Code judiciaire.
1. Om het bestaan van een ziekte uit de lijst vast te stellen hoeft niet te worden onderzocht of het in het wetboek genoemde oorzakelijke agens de belangrijkste oorzaak van de ziekte is, dan wel of de ziekte daadwerkelijk door het oorzakelijke agens is veroorzaakt. Onderzocht moet worden of de ziekte volgens de algemene kennis van de medische wetenschap in abstracto door het oorzakelijke agens kan worden veroorzaakt.
2. Wil er sprake zijn van beroepsrisico, dan moet de schadelijke invloed inherent zijn aan de uitoefening van het beroep van het slachtoffer. Het beroep moet concreet worden bekeken, rekening houdend met de omstandigheden waarin het slachtoffer het uitoefent. Het is niet verplicht een hele beroepscategorie (bijvoorbeeld alle zorghulpen) in aanmerking te nemen. Er is daarentegen geen reden om geen rekening te houden met het soort taken dat dagelijks wordt verricht, de duur van de blootstelling aan de schadelijke invloed, enz.
3. Door aan de deskundige vragen voor te leggen waarover de eerste rechter meende te kunnen beslissen zonder deskundig onderzoek, hervormt de rechter in hoger beroep het bestreden vonnis. Bijgevolg kan de zaak niet worden terugverwezen naar de eerste rechters overeenkomstig artikel 1068 van het Gerechtelijk Wetboek.
LES FAITS
Madame P. est née le (…) 1976. Elle travaille en qualité d’aide-soignante à temps plein dans une maison de repos et de soins pour personnes âgées (MRS) depuis le 4 novembre 1996.
Elle s’est trouvée en incapacité de travail du 27 mars au 29 juillet 2019.
Le 24 avril 2019, madame P. a introduit auprès de FEDRIS une demande de réparation d’une maladie professionnelle décrite par son médecin comme une épicondylite droite, répertoriée sous le code 1.606.22 de la liste des maladies professionnelles1
Par une décision du 30 juillet 2019, FEDRIS a rejeté cette demande au motif que madame P. n’a pas été exposée au risque de la maladie professionnelle. (…)
LE JUGEMENT DU TRIBUNAL DU TRAVAIL
Par un jugement du 24 octobre 2019, prononcé par défaut à l’égard de FEDRIS, le tribunal du travail du Brabant wallon, division Nivelles, a dit pour droit que madame P. a été soumise au risque au sens des articles 30 et 32 des lois coordonnées du 3 juin 1970 et a chargé le Dr. Detournay d’une mission d’expertise avant de statuer sur l’indemnisation.
EXAMEN DE LA CONTESTATION
Objet de la contestation
Les parties s’opposent essentiellement, à ce stade de la procédure, sur la condition d’exposition au risque.
FEDRIS soutient que :
- s’agissant de la maladie répertoriée sous le code 1.606.22 de la liste, l’exposition au risque doit comporter des gestes répétitifs et en force ou des postures défavorables ;
- la question de savoir si l’exposition à l’influence nocive constitue la cause prépondérante de la maladie doit s’analyser de manière collective pour l’ensemble du groupe des personnes exerçant la profession d’aide-soignant et aide-soignante.
Madame P. fait valoir que :
- les tâches qu’elle effectue quotidiennement induisent une hyper-sollicitation de ses tendons et muscles des bras par la répétition de mouvements nécessitant de la force et de postures défavorables ;
- cette hyper-sollicitation est inhérente à sa profession dans les conditions particulières dans lesquelles elle l’exerce, c’està-dire compte tenu des différentes tâches qu’elle accomplit quotidiennement.
Les principes applicables à la reconnaissance d’une maladie professionnelle
L’indemnisation du préjudice causé par une maladie professionnelle est régie par les lois coordonnées du 3 juin 1970 relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci.
Trois éléments sont requis pour qu’une personne bénéficiant de la loi puisse prétendre à une indemnisation pour maladie professionnelle :
- la victime doit présenter une maladie (articles 30 et 30bis des lois coordonnées) ;
- elle doit avoir été exposée au risque de cette maladie par l’exercice de sa profession (article 32) ;
- un lien de causalité doit exister entre l’exposition au risque et la maladie (article 30bis pour ce qui concerne les maladies hors liste).
Chacune de ces trois conditions doit être examinée par le juge1
2.1. La maladie
Toute maladie est susceptible d’être prise en considération. Il appartient à la personne qui sollicite l’indemnisation de prouver l’existence de la maladie.
Les lois coordonnées classifient les maladies en deux catégories :
- article 30 : les maladies qui figurent dans la liste de maladies professionnelles établie par l’arrêté royal du 28 mars 1969 dressant la liste des maladies professionnelles donnant lieu à réparation et fixant les critères auxquels doit répondre l’exposition au risque professionnel pour certaines d’entre elles, appelées en bref « maladies de la liste »,
- article 30bis : les maladies non reprises dans la liste dressée par l’arrêté royal du 28 mars 1969, dénommées usuellement « maladies hors liste ».
La désignation d’une maladie comme « maladie de la liste » (article 30 de la loi) ou « maladie hors liste » (article 30bis) relève
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(…)
1 Cass., 12 janvier 1998, Pas., 1998, 21.
d’une opération de qualification juridique des faits, du ressort du juge2
À propos des maladies de la liste, une difficulté d’interprétation surgit lorsque le libellé de la maladie dans la liste contient un agent causal. C’est le cas en l’espèce, où la maladie relève du code 1.606.22 : « Maladies atteignant les tendons, les gaines tendineuses et les insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs dues à une hyper-sollicitation de ces structures par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif, ou par des postures défavorables ».
La notion de lien causal intervient à trois degrés du raisonnement en matière de maladie professionnelle :
- dans la définition de certaines maladies de la liste, parmi lesquelles la maladie concernée en l’occurrence (code 1.606.22), il est requis que la maladie soit « due à » ou « causée par » ou « provoquée par » l’agent causal désigné ;
- dans la notion d’exposition au risque : cette exposition doit constituer, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie (voyez le point 2.2. ci-après) ;
le lien causal entre l’exposition au risque et la maladie dont la victime est atteinte est présumé pour les maladies de la liste (voyez le point 2.3. ci-après).
Sous peine de confusion, il convient de circonscrire la notion de lien causal à chaque étape du raisonnement.
Au stade de la vérification de l’existence de la maladie répertoriée sous le code 1.606.22, il n’y a pas lieu d’examiner si l’agent causal visé à ce code (« mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif » ou « postures défavorables ») constitue la cause prépondérante de la maladie dans les groupes de personnes exposées. Cet examen relève de l’étape suivante du raisonnement, à savoir la vérification de l’exposition au risque (voyez le point 2.2. ci-après).
Au stade de la vérification de l’existence de la maladie répertoriée sous le code 1.606.22, il n’y a pas non plus lieu d’examiner si la maladie a effectivement été causée à la victime par des « mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif » ou par des « postures défavorables ». Une telle exigence mettrait à mal la présomption irréfragable de causalité entre l’exposition au risque et la maladie de la liste, dont doit bénéficier la victime (voyez le point 2.3. ci-après).
Dès lors, pour statuer sur l’existence de la maladie invoquée, la cour n’examinera pas si celle-ci a été effectivement causée à la victime par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables ni si de tels mouvements ou postures constituent la cause prépondérante de la maladie dans les groupes de personnes exposées. À ce stade du raisonnement, la cour vérifiera si d’après les connaissances générales de la science médicale, cette maladie peut être provoquée par ce type de mouvements ou de postures3. Cet examen ne doit pas viser le cas de la victime en particulier, mais concerner la maladie et ses causes possibles, in abstracto
Le 2ème alinéa de ce même article précise qu’il y a risque professionnel lorsque les conditions suivantes sont cumulativement remplies :
- la victime a été exposée à une influence nocive pendant une période où elle bénéficiait de la loi ;
- l’exposition à l’influence nocive est inhérente à l’exercice de la profession ;
- l’exposition à l’influence nocive est nettement plus grande que celle subie par la population en général ;
- cette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie.
2. En règle, la preuve de l’exposition au risque, ainsi définie, doit être apportée par la victime. Il en va ainsi tant pour les maladies professionnelles « de la liste »4 que pour les maladies dites « hors liste »5 Toutefois, l’exposition au risque est présumée pour ce qui concerne certaines maladies de la liste, lorsque la victime a effectué un travail dans les industries ou les professions énumérées par l’arrêté royal du 6 février 2007 fixant la liste des industries, professions ou catégories d’entreprises dans lesquelles la victime d’une maladie professionnelle est présumée avoir été exposée au risque de cette maladie. Il s’agit des professions présumées nocives. Cette présomption ne vaut que jusqu’à preuve du contraire6
3. Lorsque le libellé de la maladie contient un agent causal, comme c’est le cas en l’espèce, cet agent constitue également l’influence nocive caractéristique de l’exposition au risque, pour autant que les autres conditions par lesquelles la loi définit l’exposition au risque soient remplies.
Pour ce qui concerne la maladie sous le code 1.606.22, l’influence nocive dont il faut vérifier l’existence est l’hyper-sollicitation des gaines tendineuses, ou des insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables.
4. Cette influence nocive doit être inhérente à l’exercice de la profession de la victime.
La profession ne doit pas être considérée de manière abstraite – en l’espèce, la profession d’aide-soignant ou d’aide-soignante dans son ensemble – mais bien de manière concrète en tenant compte des conditions dans lesquelles la victime exerce cette profession. Il faut avoir égard, notamment, aux tâches accomplies et aux mouvements que celles-ci requièrent dans son chef, au matériel et aux dispositifs de protection utilisés, au milieu de travail, à la durée du travail et de la carrière, etc.
L’exposition de la victime à l’influence nocive doit être nettement plus grande que celle subie par la population en général.
Enfin, l’exposition à l’influence nocive doit constituer, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie.
1. Suivant l’article 32, 1 er alinéa, des lois coordonnées, la réparation des dommages résultant d’une maladie visée à l’article 30 ou à l’article 30 bis des mêmes lois est due lorsque la victime de cette maladie a été exposée au risque professionnel de cette maladie pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle elle appartenait à l’une des catégories de personnes bénéficiaires de la loi.
À ce stade du raisonnement, il s’agit de déterminer l’existence et l’intensité d’une relation causale entre l’exposition à l’influence nocive et la maladie d’un point de vue collectif. Cette relation causale ne doit pas être vérifiée pour ce qui concerne la victime individuellement, mais bien de manière collective pour l’ensemble des travailleurs et les travailleuses faisant partie du même groupe. L’analyse individuelle du lien causal relève du point suivant du raisonnement (voyez le point 2.3. du présent arrêt).
Tant le texte de la loi (« dans les groupes de personnes exposées ») que ses travaux préparatoires7 indiquent clairement que la relation causale propre à l’exposition au risque est une notion collective : il s’agit d’apprécier si l’exposition à l’influence nocive
4 En vertu de l’article 32, alinéa 4, de la loi, lu a contrario
5 En vertu de l’article 32, alinéa 5, de la loi.
6 Article 32, alinéa 4, des lois coordonnées.
7 Exposé des motifs du projet de loi qui deviendra la loi du 13 juillet 2006, Doc. parl., Ch., 2003-2004, n° 511334/001, p. 5 et 6 ; commentaire des articles, ibid., p. 15 à 17.
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2.2. L’exposition au risque professionnel
2 Cass., 12 décembre 2016, S.15.0068.F.
3 S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013/2, 485.
telle que déjà définie constitue, dans le groupe de travailleurs et travailleuses dont fait partie la victime, la cause prépondérante de la maladie.
Il s’agit donc d’établir une comparaison entre un groupe de travailleurs et travailleuses et la population en général.
Il importe d’être particulièrement attentif à la définition du groupe de travailleurs et travailleuses à comparer avec la population générale. Rien n’impose de retenir une catégorie professionnelle entière – en l’espèce : l’ensemble des aides-soignants et aides-soignantes. Rien ne s’oppose au contraire à ce le groupe auquel appartient la victime soit déterminé plus précisément en fonction, notamment, du type de tâches accomplies quotidiennement, de la durée d’exposition à l’influence nocive, etc.
2.3. Le lien de causalité entre l’exposition au risque et la maladie
Dès lors que la maladie et l’exposition au risque sont démontrées, la victime ne peut obtenir d’indemnisation que pour autant que le lien causal entre l’exposition au risque et la maladie dont elle est atteinte soit reconnu.
L’analyse est cette fois individuelle : il s’agit de vérifier concrètement et individuellement la relation causale entre l’exposition au risque et la maladie dont la victime est affectée.
La manière dont ce lien de causalité doit être établi diffère selon qu’il s’agit d’une maladie « de la liste » ou d’une maladie « hors liste ».
S’il s’agit d’une maladie « de la liste », le lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque de cette maladie est présumé de manière irréfragable par l’article 32, alinéa 1er, de la loi. Par conséquent, dès lors que la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie sont établies, la victime ne doit pas prouver que la maladie a bien été causée par ce risque. Cette relation de cause à effet est présumée par la loi elle-même, sans que la preuve du contraire soit admise.
S’il s’agit d’une « maladie hors liste », la victime doit prouver le lien de cause à effet entre l’exposition au risque et la maladie dont elle souffre. Il est requis, en vertu de l’article 30bis des lois coordonnées, que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.
3. Application des principes en l’espèce
3.1. La maladie
Le médecin traitant de madame P. a attesté, le 24 avril 2019, que celle-ci est ou était atteinte d’une épicondylite latérale droite avec diminution de force et douleur irradiant vers la main droite et la nuque. La maladie relève selon lui du code 1.606.22 de la liste.
Il y a lieu de vérifier : - si madame P. est atteinte ou a été atteinte d’une maladie atteignant les tendons, les gaines tendineuses et les insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs ;
et si d’après les connaissances générales de la science médicale, indépendamment du cas particulier de madame P., cette maladie peut être provoquée par une hyper-sollicitation de ces structures par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif, ou par des postures défavorables.
La cour souhaite s’entourer de l’avis d’un médecin-expert avant de se prononcer sur cette question.
3.2. L’exposition au risque
Madame P. travaillait à temps plein comme aide-soignante en MRS depuis plus de 20 ans au moment où la maladie s’est déclarée. Elle allègue, dans ses conclusions, effectuer quotidiennement une série de tâches qu’elle décrit avec précision. FEDRIS n’a pas
effectué d’enquête sur le lieu de travail. Elle ne remet pas en cause, dans ses conclusions, le descriptif de tâches allégué par madame P. La cour considère donc que ce descriptif n’est pas contesté et le tient pour établi.
Il y a lieu de vérifier si :
- l’hyper-sollicitation des gaines tendineuses ou des insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables est inhérente à l’exercice de la profession de madame P., compte tenu de ses conditions de travail concrètes telles qu’elles ont été décrites dans ses conclusions et, le cas échéant, telles qu’elles seraient établies par des investigations de l’expert ;
- cette hyper-sollicitation est nettement plus grande que celle subie par la population en général ;
- cette hyper-sollicitation constitue, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante des maladies atteignant les tendons, les gaines tendineuses et les insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs dans le groupe de personnes exposées constitué des aides-soignants et aides-soignantes en MRS, occupé(e)s à temps plein depuis plus de 15 ans et effectuant quotidiennement un ensemble de tâches semblables à celles décrites par madame P. dans ses conclusions et, le cas échéant, établies par des investigations de l’expert.
La cour souhaite s’entourer de l’avis d’un médecin-expert avant de se prononcer sur cette question.
À ce stade de la procédure, le jugement attaqué ne peut être confirmé en ce qu’il a dit pour droit, sans avoir examiné ces critères, que madame P. a été soumise au risque de la maladie. Le tribunal s’est prononcé prématurément sur l’exposition au risque – certes par défaut. Le jugement doit à présent être réformé dans cette mesure.
3.3. Le lien causal
Cette question ne doit être examinée que pour autant que l’exposition au risque soit établie.
Si tel était le cas, s’agissant d’une maladie de la liste, le lien causal entre l’exposition au risque et la maladie de madame P. serait présumé sans qu’il soit permis de prouver le contraire.
Ce point ne nécessite donc pas de débat ni l’avis d’un expert.
(…)
POUR CES MOTIFS, LA COUR DU TRAVAIL, Statuant après avoir entendu les parties, Déclare l’appel recevable et fondé en ce que le tribunal a statué prématurément sur l’exposition au risque ; réforme le jugement attaqué dans cette mesure ;
Avant de statuer plus avant,
Confirme la désignation du Dr Michel DETOURNAY en qualité d’expert judicaire ;
Complète la mission d’expertise comme suit :
Quant à la maladie :
- Dire si madame P. est atteinte ou a été atteinte d’une maladie atteignant les tendons, les gaines tendineuses et les insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs ;
- Et dire si d’après les connaissances générales de la science médicale, indépendamment du cas particulier de madame P., cette maladie peut être provoquée par une hyper-sollicitation de ces structures par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables ;
Quant à l’exposition au risque :
Dire si l’hyper-sollicitation des gaines tendineuses et/ou des insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs par des mouvements nécessitant de la force et présentant un caractère répétitif ou par des postures défavorables est
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-
-
inhérente à l’exercice de la profession de madame P., compte tenu de ses conditions de travail concrètes ;
Dire si cette hyper-sollicitation est nettement plus grande que celle subie par la population en général ;
Dire si cette hyper-sollicitation constitue, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante des maladies atteignant les tendons, les gaines ten-
dineuses et les insertions musculaires et tendineuses des membres supérieurs dans le groupe de personnes exposées constitué des aides-soignants et aides-soignantes en MRS, occupé(e)s à temps plein depuis plus de 15 ans et effectuant quotidiennement un ensemble de tâches semblables à effectuées par madame P. (…)
Arbh. Brussel (5e k.) 6 september 2021
Zet.: C. Corbisier, raadsh.; H. Vermeulen en K. Collyns, raadsh. soc. zak. Pleit.: Mrs. D. Wouters, en M. Raats loco E. Laevens
G. t/ Fedris (A.R. nr. 2020/AB/481)
MALADIE PROFESSIONNELLE – SYSTÈME OUVERT – EXPOSITION AU RISQUE – DÉTERGENTS
La preuve d’une exposition n’est pas apportée lorsque la victime elle-même déclare qu’un seul incident d’inhalation s’est produit quelques mois après son engagement chez l’employeur, et qu’elle portait un masque buccal et se protégeait ainsi de toute émanation nocive. De plus, en tant que nettoyeuse, elle était soumise à une exposition beaucoup moins intense que, par exemple, aux maladies causées par l’ammoniac ou le chlore.
(…)
8.
In haar conclusies vermeldt mevrouw G. dat zij “dient erkend te worden als lijdend aan een erkende beroepsziekte”; verder vermeldt zij: “Volgende courante poetsmiddelen worden op de lijst van de beroepsziekten die aanleiding geven tot schadeloosstelling vermeld: Ammoniak (1.108.03), chloor (1.115.01).”.
In het formulier 503-N-2 “medisch getuigschrift schadeloosstelling voor een beroepsziekte”, vermeldde de huisarts op 13 oktober 2018 (dr. Lien Vanden Heuvel):
- bij de vraag naar de ”nauwkeurige diagnose”: “therapieresistente rhinosinusitis”;
- bij de vraag “bent u van mening dat de ziekte voorkomt in de Belgische beroepsziektelijst (zie bijlage)?”: “Geen idee gezien niet zeker welk product.”;
- bij de vraag naar het ontstaan van de ziekte vermeldde zij: “detergentblootstelling op 14/11/ 2013, inademen van het product en sindsdien constante neusverstopping”;
- bij de vraag naar de activiteit of agens dat de beroepsziekte vermoedelijk heeft veroorzaakt: “product uit plastiek fles zonder etiket. Detergent. Bij klanten thuis.”.
9.
Mevrouw G. brengt geen enkel attest voor waarin een arts verklaart dat zij zou lijden aan één van de beroepsziekten vermeld op de lijst van erkende beroepsziekten. Zij heeft nochtans de zeer gespecialiseerde artsen van het UZ Leuven geraadpleegd voor haar aandoeningen zoals blijkt uit de verslagen die de partijen neerleggen (verslagen van de dienst neus-keel-en oorziekten, prof. dr. Jorissen en prof. Dr. Hellings, en van de dienst beroepsmatige en milieugebonden aandoeningen (pneumologie-toxicologie UZ Leuven), prof. dr. N., en dr. K.).
Er zijn dan ook geen voldoende aanwijzingen die een onderzoek door een deskundige naar het al dan niet bestaan van een beroepsziekte op de lijst kunnen verantwoorden.
10.
Blijft dan de vraag of mevrouw G. aanspraak kan maken op schadeloosstelling voor een beroepsziekte die niet voorkomt op de lijst van erkende beroepsziekten.
BEROEPSZIEKTE – OPEN SYSTEEM – BLOOTSTELLING AAN BEROEPSRISICO – DETERGENTEN
Het bewijs van een blootstelling wordt niet geleverd wanneer het slachtoffer zelf verklaarde dat er slechts één inhalatie-incident was dat zich situeerde amper enkele maanden na zijn indiensttreding bij de werkgever en het slachtoffer bovendien verklaarde dat het een mondmasker droeg en zich dus beschermde tegen eventuele schadelijke dampen. Bovendien was het slachtoffer als schoonmaakster onderworpen aan een veel minder intense blootstelling dan bijvoorbeeld ziekten veroorzaakt door ammoniak of chloor.
11.
Het volgt uit de voormelde wettelijke bepalingen dat mevrouw G. het bewijs moet leveren:
- enerzijds dat zij is aangetast door een beroepsziekte;
- dat zij tijdens haar werk als schoonmaakster waarbij zij onderworpen was aan de Belgische sociale zekerheid was blootgesteld aan het beroepsrisico, met dien verstande dat er een beroepsrisico is, indien de blootstelling aan de schadelijke invloed inherent is aan de beroepsuitoefening en beduidend groter is dan de blootstelling van de bevolking in het algemeen, en indien deze blootstelling volgens algemeen aanvaarde medische inzichten, in groepen van blootgestelde personen de overwegende oorzaak van de ziekte vormt.
- en dat haar aandoeningen op een determinerende en rechtstreekse wijze het gevolg zijn van deze beroepsuitoefening (artikelen 2, 3 en 30 bis en 32 Beroepsziektenwet).
12.
In het aanvraagformulier 501-1-N verklaarde mevrouw G. op 10 december 2018 dat zij sinds 31 maart 2013 als poetshulp in dienst was van de werkgever Work@Home en wees zij deze werkgever aan als werkgever waar zij de beroepsziekte vermoedelijk had opgelopen. Zij vermeldde niets bij de vraag of zij nog in andere landen dan België had gewerkt.
In het verslag van 24 november 2015 van prof. dr. N. en dr. K. staat vermeld dat mevrouw G. in 2000 naar België kwam uit Albanië en van 2002-2010 zou gewerkt hebben als poetsvrouw en vanaf 2010 als poetsvrouw “familiehulp”.
13.
Wat betreft de beweerde blootstelling aan het beroepsrisico, heeft mevrouw G. zelf vanaf 2015 herhaaldelijk tegenover de gespecialiseerde artsen die zij consulteerde verklaard dat haar gezondheidsproblemen ontstonden na een inhalatie-incident op het werk (zie het verslag van 24 november 2015 van prof. dr. N. en dr. K.; en het hoger vermelde formulier 503-N-2 ingevuld door de huisarts op 13 oktober 2018).
In het verslag van 24 november 2015 van prof. dr. N. en dr. K. staat ook: ”Sedertdien ervaart patiënt vrij regelmatig rhinosinusale klachten en verdraagt ze geen blootstelling meer aan diverse geu-
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-
-
ren en producten. Ze werkt bijna continu onder gebruik van een stofmasker.”.
Ook dr. L. V.H. vermeldde in het formulier 503-N-2 “continu mondmasker dragen, halftijds werken” in de rubriek “gevolgen van de aandoening”.
Mevrouw G. bevestigt in haar conclusies dat zij sinds 14 november 2013 lijdt aan chronische rhinosinusitis ten gevolge van blootstelling aan detergenten. Zij zet uitgebreid uiteen met welke chemische producten werknemers in de schoonmaaksector allemaal in aanraking kunnen komen.
14.
In het licht van de voormelde eigen verklaringen van mevrouw G. tegenover de artsen-specialisten blijkt dat zij zelf slechts één inhalatie-incident weerhield, dat zij situeerde amper enkele maanden na haar indiensttreding bij de werkgever. Bovendien verklaarde zij dat zij sindsdien een mondmasker droeg en zich dus beschermde voor eventuele schadelijke dampen.
Het is bovendien algemeen bekend dat bij huishoudelijke schoonmaak slechts met kleine hoeveelheden schoonmaakmiddelen wordt gewerkt en vaak aangelengd met water.
In dat verband kan ook verwezen worden naar het KB van 6 februari 2007 tot vaststelling van de lijst van de bedrijfstakken, beroepen of categorieën van ondernemingen waarin de door een beroepsziekte getroffene vermoed wordt aan het risico van deze ziekte blootgesteld geweest te zijn. Daarin worden bijvoorbeeld voor de ziekten veroorzaakt door ammoniak of chloor de volgende bedrijfstakken, beroepen of categorieën van ondernemingen vermeld:
- 1.108.03 Ammoniak
- Fabrieken of productieafdelingen van ammoniakhoudende
minerale meststoffen
- Gebruik van ammoniak als koelmiddel.
- 1.115.01 Chloor en
- 1.115.02 zijn anorganische verbindingen
- Fabricatie en vloeibaar maken van chloor en zoutzuur.
- Werkplaatsen voor het afbijten van metalen door middel van zoutzuur.
- Bleken door chloor.
- Badmeesters en onderhoudspersoneel van overdekte zwembaden waar chloor als desinfectantiamiddel wordt gebruikt. Het is duidelijk dat het gaat om veel intensere blootstellingen dan het werk als schoonmaakster zoals in het geval van mevrouw G. Zij onderhield de woningen van gezinnen waarbij zij normaal gezien enkel gebruik maakt van schoonmaakmiddelen voor huishoudelijk gebruik en waarbij zij normaal gezien nog veel andere taken heeft (stofzuigen, stof afnemen, opruimen, strijken enz.).
15.
Mevrouw G. verwijst nog naar een onderzoek door een doctoraatsstudente sociologie waaruit zou blijken dat schoonmakers vaker dan bedienden en kaderleden overlijden aan longziekten (chronische longaandoeningen zoals bronchitis en longemfyseem) en dat dit wellicht heeft te maken met de inademing van chemische poetsmiddelen, stof en schimmels. Waar niet blijkt dat mevrouw G. lijdt aan een longaandoening, is dit onderzoek als dusdanig niet dienstig voor deze zaak zoals Fedris opmerkt.
16.
Er zijn bijgevolg onvoldoende overtuigende elementen om enigszins te vermoeden dat er in het concrete geval van mevrouw G. werkelijk sprake was van een beroepsrisico in de zin van artikel 32 van de Beroepsziektenwet en die een onderzoek door een deskundige zouden kunnen verantwoorden1 (…)
1 Arbrb. Leuven (4 e k.) 9 juni 2020, A.R. nr. 19/654/A.
Cour Trav. Liège (6e ch.), 19 novembre 2021
Siège : A. Fry, cons. ; B. Vos et J. Mordan, cons. soc. Plaid. : MMes J.-M. Tihon, et D. Castiaux
Fedris c/ P. (R.G. n° 2021/AL/2)
I. MALADIE PROFESSIONNELLE – SYSTÈME OUVERT – AFFECTIONS OSTÉO-ARTICULAIRES DES MEMBRES SUPÉRIEURS PROVOQUÉES PAR DES VIBRATIONS MÉCANIQUES (CODE 1.605.01) – EXPOSITION
AU RISQUE – PRÉSOMPTION – LÉSION AU NIVEAU DES ÉPAULES –POTENTIELLE ORIGINE MULTIFACTORIELLE – COLLÈGE D’EXPERTS
II. DROIT JUDICIAIRE – MALADIE PROFESSIONNELLE – QUESTION DE PRINCIPE DE NATURE MÉDICALE – RECOURS À UN COLLÈGE D’EXPERTS
La victime qui invoque être atteinte d’une maladie de la liste reprise dans l’arrêté royal du 28 mars 1969 doit démontrer notamment, le cas échéant par présomption, qu’elle a été exposée au risque professionnel de la maladie dont elle réclame l’indemnisation. L’exposition au risque comprend deux composantes : une composante matérielle (exposition à une influence nocive inhérente à l’exercice de la profession et nettement plus grande que celle subie par la population en général) et une composante causale (l’exposition au risque doit constituer dans les groupes de personnes exposées la cause prépondérante de la maladie).
L’indemnisation des maladies professionnelles relevant de l’ordre public, FEDRIS a la possibilité de revoir sa position si cela est justifié ; elle peut estimer, comme en l’espèce, qu’une affection touchant les épaules ne peut plus – sauf exception – être invoquée dans le cadre du code 1.605.01, pour autant que les droits acquis de la victime soient respectés.
I. BEROEPSZIEKTE – OPEN SYSTEEM – OSTEOARTICULAIRE AANDOENINGEN VAN DE BOVENSTE LEDEMATEN VEROORZAAKT DOOR MECHANISCHE TRILLINGEN (CODE 1.605.01) – BLOOTSTELLING AAN HET RISICO – VERMOEDEN – LETSEL AAN DE SCHOUDERS – MOGELIJKE MULTIFACTORIËLE OORSPRONG – COLLEGE VAN DESKUNDIGEN
II. GERECHTELIJK RECHT – BEROEPSZIEKTE – BEGINSEL VAN MEDISCHE AARD – COLLEGE VAN DESKUNDIGEN
Een slachtoffer dat beweert te lijden aan een ziekte uit de lijst van het koninklijk besluit van 28 maart 1969 moet met name aantonen, zo nodig bij vermoeden, dat hij of zij is blootgesteld aan het beroepsrisico van de ziekte waarvoor hij of zij schadevergoeding vraagt. De blootstelling aan het risico heeft twee componenten: een materiële component (blootstelling aan een schadelijke invloed die inherent is aan de uitoefening van het beroep en die aanzienlijk groter is dan die van de bevolking in het algemeen) en een causale component (de blootstelling aan het risico moet de voornaamste oorzaak zijn van de ziekte in de groepen blootgestelde personen).
Aangezien de vergoeding van beroepsziekten een kwestie van openbare orde is, heeft FEDRIS de mogelijkheid om haar standpunt te herzien indien dit gerechtvaardigd is; zij kan, zoals in het onderhavige geval, oordelen dat op een aandoening die de schouders aantast – behoudens enkele uitzonderingen – geen beroep meer kan worden gedaan in het kader van code 1.605.01, mits de verworven rechten van het slachtoffer worden geëerbiedigd.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 599
À supposer que la nouvelle position de FEDRIS soit justifiée, il reste permis d’examiner la problématique ‘hors liste’ (le cas échéant sous un angle multifactoriel, par exemple : combinaison de vibrations mécaniques, de travail en force et de gestes répétitifs).
S’agissant d’une question de principe au sujet de laquelle plusieurs experts judiciaires ont abouti à des avis techniques divergents, il y a lieu de recourir à la désignation d’un collège d’experts.
Ervan uitgaande dat het nieuwe standpunt van FEDRIS gerechtvaardigd is, kan het probleem “buiten de lijst om” nog worden onderzocht (eventueel vanuit een multifactoriële invalshoek, bijvoorbeeld combinatie van mechanische trillingen, zwaar werk en repetitieve bewegingen).
Aangezien dit een principiële kwestie is waarover verscheidene juridische deskundigen tot uiteenlopende technische adviezen zijn gekomen, moet een panel van deskundigen worden samengesteld.
14
LES FAITS
1 Monsieur P. est né le (…) 1956 (65 ans).
2
Le 2 septembre 2016, Monsieur P. a introduit une demande de réparation pour une maladie professionnelle (code 1.651.01).
Par la décision du 7 août 2017, Fedris a reconnu la maladie professionnelle et une incapacité permanente de travail globale de 3% (2 % + 1% ) à partir du 5 mai 2016. (…)
LE JUGEMENT DONT APPEL
(…) 6
Par jugement dont du 18 juin 2020, le tribunal du travail de Liège (division Liège) (…) :
« Entérine le rapport de l’expert.
Dit l’action partiellement fondée.
Condamne Fedris au paiement des indemnités légales sur la base d’un taux global d’incapacité permanente de 6 % à partir du 10/03/2016 (…) ».
FONDEMENT DE L’APPEL
7.1
7.1.1
Principes
Textes applicables
12
Les lois coordonnées du 3 juin 1970 régissent la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles, pour les personnes assujetties à cette législation (champ d’application, article 2 des lois).
L’article 30 des lois énonce que :
« Le Roi dresse la liste des maladies professionnelles dont les dommages donnent lieu à réparation.
Les maladies professionnelles faisant l’objet d’une convention internationale obligatoire pour la Belgique, donnent lieu à réparation à partir du jour de l’entrée en vigueur en Belgique de ladite convention. »
C’est l’arrêté royal du 28 mars 1969 qui dresse la liste des maladies professionnelles donnant lieu à réparation. Le code 1.605.01 est libellé comme suit : « Affections ostéo articulaires des membres supérieurs provoquées par les vibrations mécaniques ».
13
L’article 30bis des lois coordonnées prévoit quant à lui la réparation des maladies professionnelles hors liste :
« Donne également lieu à réparation dans les conditions fixées par le Roi, la maladie qui, tout en ne figurant pas sur la liste visée à l’article 30 des présentes lois, trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession. La preuve du lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie est à charge de la victime ou de ses ayants droit.»
Qu’il s’agisse d’une maladie de la liste ou hors liste, le travailleur ne pourra prétendre à une indemnisation que si, conformément à l’article 32 des lois, il démontre (parfois à l’aide de présomptions, voir l’article 32, alinéa 4 des lois et l’arrêté royal du 6 février 2007) avoir été exposé au risque professionnel de contracter la maladie.
7.1.2 Exposition au risque
a) Texte
15
Il n’est jamais inutile de rappeler le prescrit de l’article 32 des lois coordonnées :
« La réparation des dommages résultant d’une maladie professionnelle ou d’une maladie au sens de l’article 30bis est due lorsque la personne, victime de cette maladie, a été exposée au risque professionnel de ladite maladie pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle elle appartenait à une des catégories de personnes visées à l’article 2 ou pendant la période au cours de laquelle elle a été assurée en vertu de l’article 3.
Il y a risque professionnel au sens de l’alinéa 1, lorsque l’exposition à l’influence nocive est inhérente à l’exercice de la profession et est nettement plus grande que celle subie par la population en général et dans la mesure où cette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie.
Le Roi peut, pour certaines maladies professionnelles et pour des maladies au sens de l’article 30bis, fixer des critères d’exposition sur proposition du comité de gestion des maladies professionnelles et après avis du Conseil scientifique.
Est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir exposé la victime au risque, tout travail effectué pendant les périodes visées à l’alinéa 1 dans les industries, professions ou catégories d’entreprises énumérées par le Roi, par maladie professionnelle, sur avis du Conseil scientifique.
Pour une maladie au sens de l’article 30bis, il incombe à la victime ou à ses ayants droit de fournir la preuve de l’exposition au risque professionnel pendant les périodes visées à l’alinéa 1. »
b) Notion
16
Notre cour a déjà analysé cette disposition de manière approfondie et retient que l’exposition au risque comprend deux composantes : un élément matériel et un élément d’imputabilité1 :
- L’élément matériel correspond à une exposition à une influence nocive inhérente à l’exercice de la profession et nettement plus grande que celle subie par la population en général.
- La définition comporte également une composante causale, d’imputabilité : l’exposition au risque doit « constitue[r] dans les groupes de personnes exposées (…) la cause prépondérante de la maladie ». Les travaux parlementaires enseignent
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 600
(…)
1
Voy. notamment C. trav. Liège, 31 mai 2021, R.G.
n° 2020/AL/362.
expressément que « le caractère professionnel de la maladie s’établit au niveau du groupe, non au niveau de l’individu »2. (…)
La condition d’imputabilité ne s’apprécie donc pas uniquement sur un plan individuel (au stade de l’examen de l’existence d’un lien causal entre l’exposition au risque et la maladie (voir ci-après point 7.1.3) mais également au niveau collectif.
17
Le risque est un danger éventuel et non certain3. La doctrine4 souligne à raison que :
« Le risque étant une potentialité, ce critère n’implique, en lui-même, aucune certitude quant à la cause exacte de la maladie, celle-ci pouvant trouver son origine ailleurs, notamment dans un travail effectué en dehors des emplois donnant lieu à couverture ou encore dans l’organisme interne de la victime. »
c) Charge de la preuve
18
L’intérêt du concept de charge ou de fardeau de la preuve est de savoir qui doit succomber si, au bout du compte et après avoir pris en compte l’ensemble des éléments qui lui ont été communiqués, le juge ne parvient pas à déterminer exactement ce qui s’est passé ; s’il ne parvient pas à départager les thèses factuelles des parties. Il s’agit en quelque sorte « d’une vérité par défaut »5
La doctrine précise très justement que « c’est en quelque sorte, la contrepartie de l’interdiction du déni de justice, qui oblige le juge à décider même lorsque les éléments de preuve du dossier sont insuffisants pour se forger une conviction »6
19
Le principe est celui selon lequel la victime doit prouver avoir été exposée au risque de la maladie professionnelle.
20
Par exception à ce principe, le législateur a mis en place un mécanisme de présomption (article 32, al. 4 des lois coordonnées).
L’arrêté royal du 6 février 2007 fixant la liste des industries, professions ou catégories d’entreprises dans lesquelles la victime d’une maladie professionnelle est présumée avoir été exposée au risque de cette maladie exécute l’article 32, al.4 des lois coordonnées.
L’article 1er de cet arrêté royal du 6 février 2007 énonce ce qui suit au sujet du code qui nous intéresse :
« La présomption prévue à l’article 32, alinéa 4, des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970 peut être invoquée, pour chacune des maladies ci-après, à l’égard des industries, professions ou catégories d’entreprises mentionnées sous la maladie :
(…)
1.605.01 Affections ostéo-articulaires des membres supérieurs provoquées par les vibrations mécaniques ou
1.605.02 Affections angioneurotiques des membres supérieurs provoquées par les vibrations mécaniques
- Tassement des produits par vibrations.
- Travaux au moyen de machines vibrantes telles que marteaux pneumatiques, ciseaux, burins ou pilons.
- Travaux au moyen de scies, fraiseuses, polisseuses ou foreuses portatives
- Travaux de martelage du cuir.
- L’utilisation des boulonneuses. »
2 Doc. parl., Ch., sess. 2003-2004, doc. n° 51/1334/1, p. 17.
3 C. trav. Bruxelles, 10 juin 2002, R.G. n° 41.834, terralaboris.be
4 S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013/2, 463.
5 G. DE LEVAL, « Les techniques d’approche de la vérité judiciaire en matière civile », in La preuve et la difficile quête de la vérité judiciaire, CUP, volume 126, Limal, Anthemis, 2011, citant R. PERROT
6 G. DE LEVAL (dir.), Manuel de procédure civile, Bruxelles, Larcier, 2015, 475.
La présomption n’est susceptible de s’appliquer que pour les maladies professionnelles de la liste7
Soulignons encore qu’il s’agit d’une présomption réfragable, Fedris étant autorisée à rapporter la preuve contraire (article 32, al. 4 des lois coordonnées).
7.1.3 Lien causal 21
La question du lien causal entre l’exposition au risque et la maladie dont la victime est atteinte doit être examinée de manière différente qu’il s’agisse d’une maladie de la liste ou d’une maladie hors liste.
a) Maladie de la liste
22
La victime d’une maladie professionnelle de la liste bénéficie d’une présomption irréfragable du lien causal existant entre l’exposition au risque professionnel de la maladie et celle-ci.
Par conséquent, lorsque l’exposition au risque professionnel a été établie (dans sa composante matérielle et causale) et que le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle de la liste, il est présumé de manière irréfragable que la maladie a pour cause le milieu professionnel.
La doctrine8 relève à l’égard de cette présomption irréfragable que :
« Du fait de son caractère irréfragable, la présomption a encore un autre effet, étant d’interdire toute discussion, sur le plan de la défense, quant au caractère éventuellement extraprofessionnel de la maladie. »
23
Cette présomption irréfragable que la maladie a pour cause le milieu professionnel n’est cependant pas la seule question d’imputabilité qui doit être examinée lorsqu’un travailleur postule la reconnaissance d’une maladie professionnelle de la liste.
En effet, il arrive très souvent que la maladie de la liste soit définie par son agent causal. C’est le cas du code applicable en l’espèce car la maladie doit être « provoquée par les vibrations mécaniques » (la cour souligne).
Avant de pouvoir bénéficier de la présomption irréfragable du lien causal entre l’exposition au risque professionnel de la maladie et celle-ci, la victime doit démontrer qu’elle est bien atteinte d’une maladie de la liste, dans toutes ses composantes, médicale (l’affection) et causale (imputabilité de l’affection à l’agent causal requis).
La doctrine9 enseigne à cet égard à juste titre ce qui suit :
« Il faut se garder d’imposer à la victime la preuve d’un élément pour lequel une présomption joue en sa faveur, sous peine de vider de toute substance le mécanisme d’allègement du fardeau de la preuve mis en place par le législateur, déjà fort imparfait dans ce secteur. Aussi, peut-on poser le principe suivant : la condition a trait au rapport existant entre l’agent causal cité et la maladie invoquée par le travailleur et ne peut porter atteinte aux présomptions existantes, notamment la présomption irréfragable de causalité.
J. Viaene et D. Lahaye précisent qu’il y a lieu de se référer aux connaissances générales de la science médicale en ce qui concerne les agents nocifs cités. Ainsi, lorsque la maladie est désignée par référence à un agent causal, la victime doit uniquement prouver que la littérature médicale admet, en termes tout à fait généraux, que de telles affections peuvent être provoquées par celui-ci. Aussi, la preuve ne concerne-t-elle pas le cas individuel du travailleur, soit
7 S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013/2, 467.
8 S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013/2, 465.
9 S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013/2, 485.
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le rapport de causalité entre la maladie qu’il présente et l’agent cité. La preuve vise un lien général, de nature médicale ou scientifique. Pour ces auteurs, il suffit que la médecine ait avancé la possibilité de contracter l’affection en cas d’exposition à l’agent. »
b) Maladie hors liste
24
Comme relevé plus haut, la maladie hors liste ne sera indemnisée que si elle trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.
Cette notion n’est pas définie par la loi mais la jurisprudence y consacre de longs développements.
25
Dans un arrêt du 2 février 1998, la Cour de cassation10 a en effet dit pour droit que :
« Le lien de causalité, prévu par l’article 30bis des lois coordonnées du 3 juin 1970, entre l’exercice de la profession et la maladie professionnelle n’exige pas que l’exercice de la profession soit la cause unique de ladite maladie. Cette disposition n’exclut pas l’existence d’une prédisposition ni n’impose à la victime l’obligation d’établir le degré d’influence de cette prédisposition. »
La Cour suprême a fondé son raisonnement sur les travaux parlementaires qui précisent : « Il convient, dans l’intérêt même des victimes, d’étendre le champ d’application des lois coordonnées aux maladies d’origine professionnelle qui ne figurent pas sur la liste, lorsque les victimes ou leurs ayants droits prouvent l’existence d’un rapport causal entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de cette maladie.»
La Cour de cassation a donc considéré qu’il ne ressortait pas des travaux parlementaires que, par les termes «déterminante et directe», l’article 30bis ait disposé que le risque professionnel doit être la cause exclusive de la maladie, ou ait exclu une prédisposition, ou encore ait imposé que l’ayant droit doive établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition.
26
Notre cour autrement composée11 a déduit de cet arrêt de la Cour de cassation « une règle analogue à celle qui prévaut en matière d’accidents du travail, à savoir qu’il suffit que l’exercice de la profession soit l’une des causes de la maladie sans être nécessairement la cause principale, et qu’il suffit aussi que cet exercice ait aggravé l’état antérieur ou les prédispositions pathologiques de la victime. »
Elle a encore confirmé sa jurisprudence dans un arrêt du 27 janvier 201212, en retenant le lien causal déterminant et direct établi « lorsque la victime prouve que l’exercice de la profession a, parmi d’autres facteurs, causé la maladie ou l’a aggravée ».
Dans un arrêt du 10 mai 2010, la cour du travail de Bruxelles13 retient quant à elle que :
« L’exercice de la profession ne doit pas être la cause principale de la maladie. Il peut être un facteur secondaire et non prépondérant pour autant qu’il reste déterminant, ce qui suppose qu’il soit établi avec certitude que sans le facteur professionnel, la maladie ne se serait pas présentée telle qu’elle s’est présentée. »
27
Cette jurisprudence a été validée par la Cour de cassation dans un récent arrêt du 22 juin 202014 :
« L’arrêt considère que « le lien causal doit être considéré comme existant dès lors que, sans le risque [professionnel], la maladie ne serait pas survenue telle quelle » et que, « si l’exposition du défendeur] au risque [professionnel] a avec certitude aggravé
10 Cass., 2 février 1998, J.T.T., 1998, 409.
11 C. trav. Liège, 28 juin 2000, précité.
12 C. trav. Liège, 27 janvier 2012, R.G. 2011/AL/273, www.terralaboris.be
13 C. trav. Bruxelles, 10 mai 2010, J.T.T., 2010, 297, qui cite C. trav. Mons, 22 mai 1996, R.G. 13.370 et C. trav. Mons, 16 janv. 2002, J.T.T., 2002, 233.
14 Cass., 22 juin 2020, S.18.0009.F.
la maladie, le lien causal [entre l’exercice de la profession et la maladie] est établi », même si l’« impact [sur l’apparition ou le développement de la maladie est] modeste », que, même s’« il est possible mais pas indispensable qu’un médecin-expert estime devoir éliminer certains facteurs [de la maladie] pour assoir sa conviction que l’exposition [au risque professionnel] est en lien causal déterminant et direct avec la maladie », « une fois que l’expert et après lui le juge judiciaire estiment que le lien causal déterminant et direct entre l’exposition au risque [professionnel] et la maladie est prouvé, il n’est pas nécessaire d’examiner de manière détaillée tous les autres facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur l’apparition et le développement de la maladie professionnelle » et il conclut que « le lien de causalité qui existerait entre l’accident du travail dont [le défendeur] a été victime le 11 mars 2002 » n’est pas pertinent pour déterminer « si la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession exercée ». Par ces considérations, l’arrêt fait une exacte application de l’article 30bis des lois coordonnées. »
28
Cette exposition, qui ne doit donc pas être exclusive, ne doit pas davantage avoir joué un rôle prépondérant15, mais seulement déterminant et direct.
Il faut entendre par « direct » que le lien causal doit être sans détour ni facteur intermédiaire et par « déterminant » le fait que la cause doit être réelle et manifeste16, sans devoir être cependant exclusive, ni même principale17
La doctrine le confirme en ces termes : « La cause directe est celle qui se trouve directement à l’origine de la maladie, sans maillon intermédiaire. Bref, le lien causal entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de celle-ci doit être « décisif et sûr », une probabilité ne pouvant suffire et un doute raisonnable ne pouvant exister. »18
29
Ceci revient à s’interroger, au vu de l’exigence légale d’un lien causal déterminant et direct, sur la question de savoir si, dans l’hypothèse où cette profession n’aurait pas été exercée par le malade, dans les conditions concrètes dans lesquelles le travailleur a exécuté ses prestations de travail, celui-ci aurait quand même présenté la maladie incriminée de la manière dont il l’a présentée.
7.2 Application en l’espèce
7.2.1 Maladie du code 1.605.01
30
Il s’agit de la demande initiale de Monsieur P., telle qu’il l’a introduite auprès de Fedris et devant le tribunal.
C’est donc naturellement dans ce seul cadre que l’expert a été mandaté et a rendu les conclusions suivantes :
« L’examen clinique réalisé dans le décours des présents travaux d’expertise ainsi que les résultats des examens complémentaires sollicités confirment la réalité d’une arthrose vibratoire au niveau acromio-claviculaire gauche et droit, à hauteur du pôle supérieur des trochiters, au niveau de l’articulation radio-cubitale inférieure schaphoïdienne bilatérale, au niveau de l’articulation métacarpophalangienne interphalangienne des pouces ainsi que des index et des majeurs.
(…) Monsieur P. est atteint de la maladie professionnelle listée [1.605.01] depuis le 12 mai 2015. L’incapacité permanente purement physique à retenir depuis cette date est de 8 %. »
16
17
18
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15 C. trav. Liège, 28 juin 2000, 9e ch., R.G. 99/28084, consultable sur juridat.be
C. trav. Liège, 17 octobre 2011, 9e ch., R.G. 2011/AL/80.
C. trav. Liège, 9e ch., R.G. n°28.084/99, publié en sommaire sur juridat.be
D. DE BRUCQ, « Maladie professionnelle hors liste. Condition de causalité », R.B.S.S., 1998, 538 sqq.
Concernant ce code, vérifier la condition d’exposition au risque revient à déterminer si les vibrations mécaniques constituent la cause prépondérante des affections ostéo-articulaires des membres supérieurs indemnisés19
Durant des décennies, Fedris a admis que les vibrations mécaniques transmises par des machines tenues en main constituaient la cause prépondérante des maladies ostéo-articulaires des membres supérieurs (que les lésions soient situées au niveau des mains, des poignets, des coudes ou des épaules). Cette thèse l’a conduite à reconnaître l’exposition au risque dans le cadre de l’expertise tenue par l’expert Wanet dans le présent dossier.
Depuis quelques mois, Fedris soutient que ce n’est qu’en cas d’utilisation d’engins vibrants positionnés directement au niveau de l’articulation de l’épaule que l’exposition aux vibrations peut être reconnue comme la cause prépondérante d’une affection localisée au niveau des épaules.
Fedris fonde sa nouvelle position sur une note établie par l’un de ses médecins, ré-analysant différentes études relativement anciennes. Elle s’appuie également sur le rapport de l’expert Bustin, appelé à rendre un avis technique dans une autre affaire où la question se posait et qui est parvenu à la conclusion suivante : « de cette large étude de la bibliographie, il résulte donc qu’il n’existe, dans l’état actuel des connaissances médicales, aucune preuve de relation entre l’arthrose de l’articulation acromio-claviculaire et les vibrations mécaniques »
32
Contrairement à ce que soutient Monsieur P., le seul fait que Fedris ait jusqu’ici admis l’exposition au risque dans ce dossier ne l’empêche pas d’adopter une nouvelle position et de considérer que cette condition légale d’indemnisation n’est pas remplie. En effet, les articles 17 et 18 de la Charte de l’assuré social permettent la révision des décisions en matière de sécurité sociale, pour autant que les droits acquis de l’assuré social soient respectés. La cour précise encore que la matière est d’ordre public.
33
La cour ne peut pas non plus se rallier à la thèse selon laquelle la position de Fedris ne concernerait pas la question de l’exposition au risque mais uniquement l’agent causal requis pour l’application du code 1.605.01.
C’est bien au niveau collectif et non individuel que la contestation de Fedris se place. Sa thèse est que les vibrations mécaniques transmises par des machines tenues en main ne constituent pas, au niveau collectif, la cause prépondérante des maladies ostéo-articulaires des membres supérieurs.
34
La nouvelle position de Fedris n’a pas été exposée à l’expert, qui n’a donc pas pu rendre son avis technique sur cette question. Elle apparaît suffisamment sérieuse pour justifier une nouvelle mesure d’expertise.
35
Dans le cadre de cette nouvelle mesure d’expertise, il conviendra de vérifier si Monsieur P. peut ou non bénéficier de la présomption contenue à l’article 1er de l’arrêté royal du 6 février 2007. Ce point, qui revêt une certaine importance au cas où un doute subsisterait in fine, n’a pas été abordé par les parties en termes de conclusions, de sorte que l’échange contradictoire se déroulera au cours des travaux d’expertise et, si nécessaire, dans les débats qui se dérouleront après le dépôt du rapport d’expertise.
Dans l’affirmative, l’exposition au risque sera présumée et les travaux d’expertise devront déterminer si Fedris parvient, avec le plus haut degré de certitude scientifique, à renverser cette présomption.
Dans la négative, les travaux d’expertise devront déterminer si Monsieur P. établit l’exposition au risque.
7.2.2 Maladie hors liste
À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour estimerait un complément d’expertise nécessaire, Monsieur P. a introduit une demande d’indemnisation hors liste.
Cette demande est recevable20
En effet, à supposer que la thèse de Fedris (selon laquelle les seules vibrations mécaniques provenant d’engins tenus à la main ne peuvent pas être reconnues comme la cause prépondérante de l’arthrose acromio-claviculaire dont souffre Monsieur P. et, par conséquent, que la maladie du code 1.605.01 ne pourrait être retenue en l’espèce) vienne à être validée, la maladie du code 1.605.01 ne pourra être retenue.
Par contre, l’affection pourrait peut-être être qualifiée de maladie professionnelle hors liste. Pour ce faire, il conviendrait cependant notamment de démontrer21 une exposition professionnelle au risque d’arthrose au niveau des épaules, qui ne soit pas limitée aux vibrations mécaniques. La cour songe par exemple à une combinaison de vibrations mécaniques, de travail en force et de gestes répétitifs mais il ne s’agit que d’une hypothèse qui devrait être vérifiée ou affinée.
38
Fedris s’oppose à cette demande vu l’absence de rapport médical évoquant une maladie hors liste.
La cour considère que le rapport de l’expert suffit à constituer un commencement de preuve de l’existence d’une arthrose acromio-claviculaire d’origine professionnelle et permet donc de justifier une mesure d’expertise complémentaire visant également une maladie professionnelle hors liste.
7.2.3 Conclusion – nouvelle expertise
39
La cour ordonne une nouvelle mesure d’expertise, en vue d’obtenir un avis technique sur les points suivants :
- la question de l’exposition au risque professionnel d’arthrose vibratoire au niveau des épaules dans le chef de Monsieur P., dans le cadre de la maladie du code 1.605.01 ;
- l’existence d’une maladie professionnelle hors liste si Monsieur P. ne remplissait pas les conditions d’indemnisation du code 1.605.01 au niveau des épaules.
Il est par contre acquis au débat que :
- Monsieur P. souffre d’arthrose au niveau acromio-claviculaire bilatérale ;
- l’élément matériel de l’exposition au risque lié à l’utilisation d’engins vibrants tenus en main est établi.
40
S’agissant d’une question de principe au sujet de laquelle plusieurs experts judiciaires (appelés à se prononcer dans d’autres causes) ont abouti à des avis techniques divergents, la cour juge opportun de désigner un collège d’experts, comme l’y autorise l’article 982 du Code judiciaire22
41
Fedris demande à la cour de choisir, pour composer ce collège, des experts judiciaires qui ne sont pas habituellement désignés par les
20 Cass., 12 décembre 2016, S.15.0068.F.
21 Si le dossier est examiné dans le cadre d’une maladie hors liste, aucune présomption d’exposition au risque n’existe et la charge de la preuve repose sur la victime.
22 L’article 982 du Code judiciaire est rédigé comme suit :
« Le juge ne désigne qu’un seul expert à moins qu’il ne juge nécessaire d’en désigner plusieurs.
Les experts dressent un seul rapport ; ils forment un seul avis à la pluralité des voix, ils indiquent néanmoins, en cas d’avis différents, les motifs des divers avis. Le rapport est signé par tous les experts judiciaires.
L’état des frais et honoraires détaillé est collectif s’il y a plusieurs experts judiciaires pour la même cause. Il indique clairement la quote-part de chacun. »
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 603 31
19 C. trav. Liège, 31 mai 2021, R.G. n° 2020/AL/362.
36
37
juridictions du ressort de la cour du travail de Liège d’une part car la quasi-totalité d’entre eux ont déjà eu à se prononcer sur le sujet et pourraient par conséquent devoir se dédire et, d’autre part, car cette problématique a déjà suscité de vives réactions alors qu’il est indispensable que les débats techniques puissent se dérouler de manière sereine et rigoureuse.
La proposition de Fedris est tentante mais elle se heure à un obstacle majeur.
La cour est en effet forcée de constater que le contentieux des maladies professionnelles est essentiellement liégeois. Le rapport annuel de Fedris pour l’année 202023 renseigne ainsi (page 139) que sur les 110 « nouvelles procédures judiciaires » en appel de l’année 2020, 91 ont été traitées par la cour du travail de Liège. Plus de 80 % du contentieux national est donc traité dans les différentes divisions de notre cour24. Ceci implique que les experts désignés dans le ressort de la cour du travail de Liège ont développé une connaissance approfondie de la matière. La cour juge regrettable de se priver de cette expertise particulière.
Par ailleurs, même si les experts désignés ont fait valoir un point de vue dans le cadre d’un dossier particulier ou dans un cadre plus académique, ils n’ont encore jamais participé à un collège d’experts désigné pour analyser la question en profondeur et confronter le point de vue de chaque expert avec celui des autres.
L’objectif prioritaire de la cour est de désigner un collège composé de trois experts :
- de qualité ;
- disposant d’une connaissance approfondie de leur spécialité mais également de la matière des maladies professionnelles ;
- dont elle est certaine de la capacité à pouvoir se remettre en question et motiver leur point de vue de manière rigoureuse et scientifique ;
- et susceptibles d’accepter la mission.
42
Fedris demande que le collège soit composé d’un radiologue, d’un orthopédiste et d’un kinésithérapeute.
Monsieur P. suggère la désignation des médecins suivants en qualité d’experts : les docteurs Ribbens, Dony, Wanet, et Laaouej.
Pour sa part, compte tenu de la nature de l’affection à étudier (arthrose au niveau de l’épaule) la cour juge indispensable de désigner un spécialiste en médecine physique (spécialiste des pathologies de l’appareil locomoteur), un rhumatologue et un radiologue (certaines des études invoquées par Fedris sont des études radiologiques).
43
Il a enfin été acté au procès-verbal de l’audience du 22 octobre 2021 que Fedris s’opposait à la désignation du Docteur Crielaard au motif qu’il intervenait parfois, dans certains dossiers, comme médecin-conseil d’assurés sociaux.
La cour juge ce motif peu convaincant. Le Docteur Crielaard est régulièrement désigné comme expert judiciaire par les cours et tribunaux et son expérience professionnelle variée (carrière universitaire, secteur thérapeutique, médecin-conseil, expert judiciaire) constitue un atout. La cour note d’ailleurs que Fedris ne voit pas d’inconvénient à proposer la désignation de médecins qu’elle a mandatés dans d’autres dossiers (le Docteur Madani est en effet un radiologue parfois mandaté par Fedris), ce qui la conforte dans son analyse.
44
Pour l’ensemble de ces motifs, le collège d’experts sera composé des médecins suivants : les docteurs Crielaard (spécialiste en médecine physique), Ribbens (rhumatologue) et Pelousse (radiologue).
La cour note que le Docteur Crielaard n’est pas inscrit au registre national des experts. Conformément à l’article 555/15 du Code judi-
23 Ce rapport est disponible sur le site internet de Fedris.
24 À titre informatif, soulignons que la cour du travail de Mons a connu de 8 dossiers, la cour travail de Bruxelles de 5 dossiers, la cour du travail d’Anvers de 5 dossiers et la cour du travail de Gand d’un seul dossier.
ciaire, sa désignation se justifie cependant aux yeux de la cour en raison de ses connaissances particulières de la pathologie dont est atteint Monsieur P. et de la matière des maladies professionnelles.
Il en va de même du Docteur Pelousse, qui est très régulièrement désigné comme sapiteur dans les expertises judiciaires ordonnées dans des dossiers de maladie professionnelle.
45
Il sera réservé à statuer pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, (…) avant dire droit au fond, ordonne une mesure d’expertise confiée aux experts suivants, dénommés ensemble le « collège d’experts » :
- le Docteur Jean-Michel Crielaard (…) ;
- le Docteur Clio Ribbens (…) ;
- le Docteur Franz Pelousse (…) ;
Le collège d’experts aura pour mission : de prendre connaissance de la motivation du présent arrêt ; de donner son avis technique sur les questions suivantes :
1. Maladie du code 1.605.01
Afin de permettre à la cour d’exploiter le rapport du collège d’experts même si elle ne le suit pas sur certains points, les questions 1.1, 1.2 et 1.3 doivent toutes être examinées par le collège, quelle que soit sa réponse à la question 1.1.
Monsieur P. peut-il bénéficier de la présomption d’exposition au risque pouvant être invoquée pour les professions impliquant les travaux suivants :
- tassement des produits par vibrations ;
- travaux au moyen de machines vibrantes telles que marteaux pneumatiques, ciseaux, burins ou pilons ;
- travaux au moyen de scies, fraiseuses, polisseuses ou foreuses portatives ;
- travaux de martelage du cuir ;
- l’utilisation des boulonneuses.
En cas de réponse affirmative à la question 1.1 (bénéfice de la présomption d’exposition au risque), peut-il être exclu, avec le plus haut degré de certitude scientifique, que Monsieur P. ait été exposé au risque professionnel de cette maladie, du point de vue de l’imputabilité de l’exposition au risque (sa matérialité étant quant à elle établie) ? En d’autres termes, le collège d’experts estime-t-il qu’il peut être exclu, avec le plus haut degré de certitude scientifique, que les vibrations mécaniques résultant d’outils tenus à la main constituent la cause prépondérante des affections ostéo articulaires dont souffre Monsieur P. au niveau des épaules ?
En cas de réponse négative à la question 1.1 (exclusion de la présomption d’exposition au risque), Monsieur P. a-t-il été exposé au risque professionnel de cette maladie, du point de vue de l’imputabilité de l’exposition au risque (sa matérialité étant quant à elle établie) ? En d’autres termes, le collège d’experts estime-t-il établi que les vibrations mécaniques résultant d’outils tenus à la main constituent la cause prépondérante des affections ostéo articulaires dont souffre Monsieur P. au niveau des épaules ?
En cas de réponse négative à la question 1.2 (présomption d’exposition au risque non renversée) ou de réponse affirmative à la question 1.3 (exposition au risque établie),
Monsieur P. a-t-il connu une incapacité temporaire totale ou partielle du chef de la maladie professionnelle du code 1.605.01 et, dans l’affirmative, durant quelle(s) période(s) ?
Monsieur P. est-il atteint d’une incapacité de travail permanente partielle qui serait la conséquence de cette maladie professionnelle du code 1.605.01 et, dans l’affirmative, depuis quand ?
Quel est le taux d’incapacité permanente pouvant être reconnu depuis l’apparition des lésions, le cas échéant en ventilant plusieurs périodes et plusieurs taux, sans préjudice des facteurs socio-économiques ?
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 604
Ces questions ne doivent être examinées qu’en cas de de réponse affirmative à la question 1.2 (présomption d’exposition au risque renversée) ou de réponse négative à la question 1.3 (exposition au risque non établie).
2.1. Monsieur P. a-t-il été exposé au risque professionnel d’arthrose acromio-claviculaire bilatérale, tant du point de vue matériel que du point de vue de l’imputabilité ?
2.2. En cas de réponse affirmative à cette question (2.1), existet-il un lien causal direct et déterminant entre l’exposition au risque et la maladie ?
2.3. En cas de réponse affirmative à ces deux questions (2.1 et 2.2), Monsieur P. a-t-il connu une incapacité temporaire totale ou partielle de ce chef et, dans l’affirmative, durant quelle(s) période(s) ?
Monsieur P. est-il atteint d’une incapacité de travail permanente partielle qui serait la conséquence de cette maladie et, dans l’affirmative, depuis quand ?
Quel est le taux d’incapacité permanente pouvant être reconnu depuis l’apparition des lésions, le cas échéant en ventilant plusieurs périodes et plusieurs taux, sans préjudice des facteurs socio-économiques ? (…)
Cour Trav. Liège (3e ch. A), 10 janvier 2022
Siège : K. Stangherlin, cons. ; G. Massart et M. Dethier, cons. soc. Plaid. : Me S. Polet loco V. Delfosse, et V. Van Stechelman, dél. synd.
Fedris c/ M. (R.G. n° 2021/AL/229)
MALADIE PROFESSIONNELLE – EXPOSITION AU RISQUE –ÉLÉMENT MATÉRIEL ET CAUSAL – MÉTHODE MDD – CRITÈRES EPILIFT 2012 – RISQUE RELATIF MOYEN
Pour apprécier l’exposition au risque dans son élément matériel, lorsque la méthode MDD est appliquée, il y a lieu de recourir aux critères qui représentent le dernier état de la science (soit Epilift 2012) même si les critères Epilift 2012 sont atteints par 30,6 % de la population. Concernant l’élément causal, un risque relatif moyen de 2,7, compris dans un intervalle de confiance de 95 % entre 1,6 et 4,5 suffit pour démontrer que l’activité professionnelle est la cause prépondérante de la pathologie.
Admettre un risque relatif moyen de 2,7 au lieu de 3,3 – seuil préconisé par Fedris – peut impliquer, dans certains cas assez rares, d’indemniser une faible minorité de personnes dont il n’est pas certain que leur pathologie est d’origine professionnelle. Mais cet écueil est préférable à l’alternative (retenir un seuil de risque relatif moyen de 3,3), qui engendre pour sa part le risque de ne pas indemniser des personnes dont la maladie est pourtant bien professionnelle.
BEROEPSZIEKTE – BLOOTSTELLING AAN HET RISICO – MATERIEEL EN CAUSAAL ELEMENT – MDD-METHODE – EPILIFT 2012-CRITERIA – GEMIDDELD RELATIEF RISICO
Om het materiële element van blootstelling aan risico’s te beoordelen, moeten bij toepassing van de MDD-methode de criteria worden gebruikt die de meest recente stand van de wetenschap weergeven (d.w.z. Epilift 2012), ook al voldoet 30,6 % van de bevolking aan de criteria van Epilift 2012. Wat het causale element betreft, is een gemiddeld relatief risico van 2,7, binnen een 95 %-betrouwbaarheidsinterval van 1,6 tot 4,5, voldoende om aan te tonen dat beroepsactiviteit de voornaamste oorzaak van de ziekte is.
Het toelaten van een gemiddeld relatief risico van 2,7 in plaats van 3,3 – de door Fedris aanbevolen drempel – kan inhouden dat in bepaalde zeldzame gevallen een kleine minderheid van mensen voor wie niet zeker is dat hun pathologie verband houdt met het werk, wordt gecompenseerd. Maar deze valkuil is te verkiezen boven het alternatief (gebruik van een gemiddelde relatieve risicodrempel van 3,3), dat het risico inhoudt dat mensen wier ziekte inderdaad beroepsgebonden is, niet worden vergoed.
I. FAITS ET ANTÉCEDENTS DE LA PROCÉDURE
M. est né le 11 septembre 1967. Après avoir accompli ses primaires en 7 années, il a suivi l’enseignement secondaire technique en section mécanique usinage. Il a commencé à travailler en 1988, comme terrassier puis comme cariste. À partir de 2005, il a travaillé comme usineur au toilettage de pièces en série dans une société de mécanique de précision.
Le 27 mars 2014, il a formé une demande de réparation de maladie professionnelle hors liste pour une lombodiscarthrose. Cette demande a été rejetée le 4 mai 2014 par Fedris.
M. a formé un recours contre cette décision devant le Tribunal du travail de Liège, division Liège, le 16 juillet 2014. Il demandait de condamner Fedris à l’indemniser sur la base d’un taux d’incapacité de 15 % à partir du 12 juillet 2006, taux à majorer des facteurs socio-économiques, et de condamner l’agence aux intérêts légaux et judiciaires ainsi qu’aux dépens. À titre subsidiaire, il demandait de désigner un expert.
Le Tribunal a procédé à la désignation d’un expert par un jugement du 20 janvier 2015.
Dans le cadre de cette expertise, l’ingénieur BRUX a été consulté afin de rendre un avis sur l’exposition au risque de port de charges lourdes et de vibrations.
Dans son rapport du 2 octobre 2015, il est arrivé à la conclusion que M. n’avait pas été soumis au risque des vibrations. Pour ce qui concerne le port de charges lourdes, il a indiqué que M. atteindrait les critères d’exposition à un risque de lombodiscarthrose si on se basait sur les critères Epilift 2009, ne les atteindrait pas selon les critères MDD originaux appliqués par Fedris et n’avait pas été exposé à un risque de hernie discale objectivée en 2013.
L’expert a conclu que M. ne présentait pas de pathologie indemnisable et n’avait pas été exposé au risque.
Ce rapport d’expertise a été écarté par le Tribunal dans un jugement du 16 février 2018, qui a désigné le Dr Ribbens afin de réaliser une nouvelle expertise, dans le cadre de laquelle elle a demandé un rapport complémentaire à l’ingénieur BRUX. Ce dernier a indiqué que, en rapport avec la spondylarthrose apparue en 2015, M. M. n’atteignait pas les critères MDD originaux, mais bien les critères Epilift 2009 et Epilift 2012.
Le Dr Ribbens a déposé son rapport le 3 janvier 2019. Elle est arrivée à la conclusion que M. M. avait été exposé au risque de lombodiscarthrose lié au port de charges lourdes dans le cadre de son activité professionnelle, qu’il présentait une lombodiscarthrose L5/S1 et une arthrose interapophysaire postérieure L5/S1 en lien causal direct et déterminant avec ses activités professionnelles qui induisent une incapacité physique permanente à un taux de 7 % à partir du 12 juillet 2006, date du premier examen radiographique probant, le tout sans préjudice de l’application des facteurs économiques et sociaux.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 605
2. Maladie hors liste
(…)
Le conseil médical de Fedris n’avait pas réagi aux préliminaires mais le dernier jeu de conclusions de l’agence a répercuté une contestation médicale charpentée pour appuyer sa demande principale d’écartement du rapport d’expertise.
Le jugement du 19 février 2021 a écarté la note de contestation du médecin de Fedris et examiné les griefs reposant sur l’interprétation de la notion d’exposition au risque. Il a estimé que le recours à la méthode Epilift 2012 démontrait une exposition au risque nettement plus grande que celle de la population en général constituant la cause prépondérante de la maladie.
Le Tribunal a entériné le rapport d’expertise et fixé les facteurs socio-économiques à 3 %. Il a condamné Fedris à indemniser M. M. sur la base d’un taux d’incapacité global de 10 % (7 % physiques et 3 % pour les facteurs socio-économiques) à partir du 16 juillet 2009 (…)
II. OBJET DE L’APPEL ET POSITION DES PARTIES
II.1. Demande et argumentation de Fedris
Fedris postule à titre principal l’écartement du rapport d’expertise et le débouté de M. M. de sa demande d’indemnisation.
Elle souligne qu’elle était fondée à contester les rapports d’expertise même si elle n’avait pas réagi en cours de procédure.
Elle estime que c’est à tort que l’exposition au risque a été déclarée établie, car le recours aux critères Epilift 2012 implique que l’exposition reconnue se retrouve dans 30 % de la population, ce qui ne représente pas une influence nocive nettement plus grande que celle subie par la population en général. Elle considère ensuite que l’experte ne démontre pas que le niveau d’exposition à l’influence nocive serait la cause prépondérante de la pathologie dans les groupes de personnes exposées, le seuil relatif de 2 n’étant pas atteint.
L’agence considère également que le lien causal déterminant et direct n’est pas établi, car sa démonstration suppose de déterminer quel eut été l’état de l’assuré social s’il n’avait pas exercé la profession qui a été la sienne, toute autre chose égale par ailleurs, puis de comparer cet état hypothétique et l’état observé concrètement. Or, dans le cas d’espèce, elle estime l’état de M. compatible avec son âge, son poids, l’existence de pathologies antérieures ou d’antécédents traumatiques, la pratique antérieure d’un sport…
Da façon générale, elle rappelle que le risque de la preuve repose sur l’assuré social.
À titre subsidiaire, Fedris sollicite que le taux de facteurs socio-économiques soit ramené à 1 %.
II.2. Demande et argumentation de M.
M. forme un appel incident visant à voir le taux de facteur socio-économiques porté à 6 %. Pour le surplus, il postule la confirmation du jugement entrepris.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
(…)
À titre liminaire, c’est à bon droit que Fedris soulève que son absence de réactivité au cours de l’expertise ne la prive pas du droit de soumettre ses griefs concernant le rapport d’expertise au juge saisi1
Cadre général
Dans le régime des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970, deux types de maladies professionnelles peuvent donner lieu à réparation.
Les premières sont reprises dans une liste établie en vertu de l’article 30 des lois cordonnées par un arrêté royal du 28 mars 1969 dressant la liste des maladies professionnelles donnant lieu à répa1 Cass., 10 mai 2002 et Cass., 5 octobre 2000.
ration et fixant les critères auxquels doit répondre l’exposition au risque professionnel pour certaines d’entre elles. Il s’agit des maladies dites « dans la liste ». Pour ce type de maladies, la victime ne doit prouver « que » la réalité de l’affection (causée ou provoquée par l’agent causal requis par la liste) reprise dans la liste et l’exposition au risque. En effet, le lien causal existant entre les deux est présumé, et ce de façon irréfragable2
Le deuxième type de maladie professionnelle n’est pas déterminé. Il peut s’agir de n’importe quelle pathologie ne figurant pas dans la liste, raison pour laquelle on les appelle maladies « hors liste », à la triple condition que la victime démontre la réalité de l’affection et l’exposition au risque, mais aussi que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession. La preuve du lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque professionnel, précise l’article 30bis des lois coordonnées, est à charge de la victime ou de ses ayants droits.
Dans le présent dossier, seule une maladie dite « hors liste » est invoquée.
Réalité de la pathologie
La réalité de l’affection de M. (lombodiscarthrose) n’est pas contestée par Fedris, contrairement à l’exposition au risque et au lien causal.
Exposition au risque
L’article 32, alinéas 1 et 2, des lois coordonnées du 3 juin 1970 s’énonce comme suit :
(...)
L’exposition au risque s’apprécie de la même manière que ce soit pour les pathologies du système dit « de la liste » ou du système dit « hors liste ».
Elle comprend deux composantes.
Il s’agit d’abord d’un élément matériel : l’exposition à l’influence nocive doit être inhérente à l’exercice de la profession et nettement plus grande que celle subie par la population en général. Le législateur de 2006, qui a redéfini l’exposition au risque en modifiant l’article 32, alinéa 2, a insisté sur le caractère collectif de celle-ci en affirmant sans ambiguïté que : « Pour pouvoir parler d’une maladie professionnelle, il faut au moins que dans des groupes de personnes exposées à une influence nocive déterminée, la maladie soit plus fréquente que dans la population générale. Le caractère professionnel de la maladie s’établit au niveau du groupe, non au niveau de l’individu »3
Il s’agit ensuite d’un élément causal, l’imputabilité : elle suppose que cette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie4
En outre, « le critère de l’exposition au risque professionnel de la maladie suppose qu’un risque de contracter la maladie existe, risque généré par le milieu professionnel. Le risque étant une potentialité, ce critère n’implique, en lui-même, aucune certitude quant à la cause exacte de la maladie, celle-ci pouvant trouver son origine ailleurs, notamment dans un travail effectué en dehors des emplois donnant lieu à couverture ou encore dans l’organisme interne de la victime»5
L’examen de l’exposition au risque est réalisé au sein de Fedris par des ingénieurs et non par des médecins. Traditionnellement, lorsqu’une mission invite un expert médecin à vérifier l’exposition, il recourt aux services d’un sapiteur ingénieur. Le type d’enquête d’exposition varie selon la pathologie invoquée.
2 S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013, 464.
3 Projet de loi portant des dispositions diverses en matière de maladies professionnelles et d’accidents du travail, Exposé des motifs, Doc. parl., Ch. s.o., 2003-2004, n° 51-1334/1, 16.
4 Ceci est explicitement relayé par les travaux préparatoires : Projet de loi portant des dispositions diverses en matière de maladies professionnelles et d’accidents du travail, Exposé des motifs, Doc. parl., Ch. s.o., 2003-2004, n° 511334/1, p. 17.
5 S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013, 463.
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Vu l’absence de tout critère légal pour définir l’exposition au risque, le conseil scientifique de Fedris a établi des lignes de conduite internes qui ne lient évidemment pas les cours et tribunaux6
Dans le cas de l’examen de l’exposition de l’examen de travailleurs au risque de port de charges lourdes, comme c’est le cas de M., il est de coutume de recourir à une méthode allemande (le modèle Mainz-Dortmund-Dose, dite MDD), qui a évolué dans le temps.
L’élément matériel de l’exposition au risque est contesté par Fedris, qui considère que l’exposition subie par M. n’est pas nettement plus grande que celle subie par la population en général.
Vu la controverse existant dans ce dossier, l’experte a demandé un rapport complémentaire à un sapiteur, qui a lui-même recouru à la méthode MDD, à la méthode Epilift 2009 et à la méthode Epilift 2012, sachant que les deux dernières ne reposent pas sur une rupture avec la méthode MDD mais constituent une amélioration et une actualisation des méthodes et des seuils exigés. Il a estimé que si M. ne rencontrait pas les critères MDD originaux, l’exposition au risque du port de charges lourdes était en 2015 établie pour la spondylarthrose tant selon Epilift 2009 que selon Epilift 2012 : « Pour rappel, en 2015, année de la demande de M. M., la dose cumulée sur l’ensemble de la carrière était estimée à 17.000.000 Nh dans l’Epilift 2009. Le nouveau calcul basé sur les critères Epilift 2012 donne une dose de 11.000.000 Nh ». La valeur seuil pour Epilift 2009 est de 12.500.000Nh et pour Epilift 2012 de 7.000.000Nh.
Concernant le seuil à appliquer en recourant à la méthode MDD, la Cour a déjà décidé à plusieurs reprises par le passé qu’appliquer les critères qui représentaient le dernier état de la science (soit Epilift 2012) relevait du bon sens et ne pouvait qu’être approuvé. La Cour relève au demeurant que tel était l’avis de Fedris relayé par son conseil dans un courrier du 26 mars 2018 adressé à l’experte Ribbens. Fedris y indiquait que si celle-ci estimait devoir s’écarter de la méthode MDD, il y aurait lieu de préférer la dernière version en vigueur, soit Epilift 2012
Certes, les critères Epilift 2012 sont atteints par 30,6 % de la population. Mais des valeurs d’exposition au risque qui sont atteintes par 30,6 % de la population supposent que 69,4 % de la population n’y est pas soumise. Une telle proportion implique de considérer que l’exposition établie par Epilift 2012 est nettement plus grande que celle subie par la population en général.
La preuve d’une influence nocive nettement plus grande que celle subie par la population en général est rapportée. M. doit être considéré comme exposé au risque de port de charges lourdes du fait de sa profession. L’élément matériel est établi.
Fedris conteste également l’imputabilité de la maladie à l’exposition et place le débat sur le plan statistique.
Avant d’avancer plus avant dans le débat, la Cour rappelle qu’il faut se garder de confondre la question de la charge et du risque de la preuve et celle de l’appréciation d’un élément probatoire. M., par le biais de l’expertise et plus précisément du rapport du sapiteur, rapporte sans aucun doute possible la preuve qu’il a, selon la méthode Epilift 2012, été soumis au titre d’exposition au port de charges lourdes à une dose cumulée risque de 11.000.000 Nh. La question qui se pose à la Cour est de savoir si ce résultat est de nature à démontrer l’imputabilité de sa pathologie au risque auquel il a été exposé.
Selon le sapiteur, la dose subie par M. correspond à un risque relatif par rapport à la population en général de 2,7 en moyenne, compris dans un intervalle de confiance de 95 % entre 1,6 et 4,5.
L’agence considère que pour pouvoir démontrer sans doute possible que l’activité professionnelle est la cause prépondérante de la pathologie, il faut exiger un seuil d’exposition à partir duquel il est statistiquement établi que la profession est responsable de la majorité absolue des cas de maladie étudiés, soit un seuil de plus de 50 %, qui correspond à un risque relatif de 2.
6 P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2015, 81.
Cette affirmation ne repose pas sur le prescrit légal, qui ne définit pas la notion de cause prépondérante. Que faut-il entendre par cause prépondérante ?
Le législateur s’est exprimé comme suit dans l’exposé des motifs du projet qui deviendra la loi du 13 juillet 2006 modifiant l’article 32, alinéa 2 précité7 :
« La différence essentielle entre maladie professionnelle et maladie en relation avec le travail, ne vise ni la nature des activités professionnelles comportant un risque ni la nature de la maladie mais la force du rapport de causalité entre les deux. Si ce rapport causal, dans des groupes de personnes exposées, est suffisamment fort, l’inscription dans la liste des maladies professionnelles est possible. Si ce rapport causal, toujours au niveau des populations exposées, est plutôt faible, il n’est pas question de maladie professionnelle mais d’une maladie en relation avec le travail. Cette distinction doit être clairement faite dans la loi, sinon on s’expose à beaucoup de confusion.
(…)
Pour pouvoir parler d’une maladie professionnelle, il faut au moins que dans des groupes de personnes exposées à une influence nocive déterminée, la maladie soit plus fréquente que dans la population générale. Le caractère professionnel de la maladie s’établit au niveau du groupe, non au niveau de l’individu. C’est particulièrement le cas des maladies qui apparaissent spontanément déjà dans la population générale.
(…)
Dans l’esprit de la proposition qui est formulée, une faible augmentation du risque ne suffit pas pour considérer la maladie comme maladie professionnelle au sens de l’article 30. Une faible augmentation du risque peut être suffisante pour décrire la maladie comme « maladie en relation avec le travail ». Adopter un autre point de vue aurait pour conséquence que de nombreuses maladies, fréquentes dans la population générale, seraient reconnues comme maladies professionnelles, même si l’influence des facteurs professionnels n’est que marginale, voire hypothétique.
C’est pourquoi on exige que l’exposition à l’influence nocive, au niveau des populations exposées, constitue la cause prépondérante de la maladie.
Il convient de souligner que la définition proposée du risque professionnel n’impose en rien à la victime individuelle d’apporter la preuve que l’exposition a constitué dans son cas concret la cause prépondérante de la maladie. Au niveau du cas individuel, c’est la présomption légale du rapport de causalité entre une exposition prouvée au risque professionnel et l’existence prouvée d’une maladie correspondant à l’exposition qui est d’application. »
Dans le langage courant, il faut entendre par prépondérant « qui a plus de poids, qui l’emporte en autorité, en influence » (Petit Robert). Comment appliquer cette notion (qui n’exige nullement l’exclusivité du facteur prépondérant) à l’exposition au risque ?
Les travaux préparatoires sont assez vagues dans leur expression puisque le législateur parle d’abord de « rapport causal », ensuite de « fréquence plus élevée » que dans la population générale et enfin d’« augmentation du risque ». Ces trois expressions ne sont à l’évidence pas synonymes.
Malgré leur relative imprécision, il ressort des travaux préparatoires que la cause prépondérante peut se manifester à travers une prévalence plus forte de la maladie professionnelle dans la population exposée au risque comparée à la population générale. Néanmoins, l’association statistique doit en outre être « plausible » pour pouvoir être considérée comme indicative d’une causalité.
La fréquence doit dès lors s’apprécier en comparant le taux d’apparition de la maladie [en question] au sein de la population exposée et au sein de la population générale. Il convient en outre d’examiner la plausibilité, soit la possibilité d’un lien causal, et ce de
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7
Exposé des motifs, Doc. Parl., Ch. s.o. 2003-2004, 51-1334/1, pp. 16-17.
manière globale et théorique, sans qu’il soit requis que ce lien soit certain. Cet examen doit se faire selon les connaissances médicales généralement admises.
Autrement dit, une simple corrélation positive entre l’exposition au risque et un nombre de cas plus élevé au sein la population exposée qu’au sein de la population générale, à condition qu’elle soit suffisamment importante et plausible, suffit à établir que l’exposition constitue la cause prépondérante de la maladie.
Une faible corrélation positive plausible pourrait de même établir une maladie en relation avec le travail, telle qu’elle est visée à l’article 62bis des lois coordonnées du 3 juin 1970 (laquelle ouvre aussi certaines possibilités d’indemnisation, fussent-elles moindres).
Cette interprétation, qui repose sur les travaux préparatoires, est conforme au sens commun du terme ‘prépondérant’ en reconnaissant à l’exposition à l’agent incriminé, parmi d’autres facteurs possibles, plus de poids, d’autorité ou d’influence.
Le législateur n’a toutefois pas indiqué l’élévation de la fréquence requise ni l’intensité de la plausibilité pour que la pathologie puisse être reconnue comme maladie en relation avec le travail ou à plus forte raison comme maladie professionnelle, de telle sorte que l’application concrète de la notion de « cause prépondérante » est abandonnée aux lumières du juge. La Cour n’aperçoit pas de raison de fixer comme seuil absolu un risque relatif de 2, comme proposé par Fedris.
Les explications données par le sapiteur ingénieur dans les annexes à son rapport permettent d’éclaircir le débat, raison pour laquelle la Cour les reproduit :
« L’analyse statistique réalisée dans l’étude Epilift 2012 est basée sur différents indicateurs calculés en fonction de la dose cumulée de la personne :
- Odd ratio ou risque relatif : l’O.R. donne une indication du risque de développer la pathologie par rapport à une population non exposée. Par exemple, un OR de 2 signifie qu’une personne a deux fois plus de chances de développer la pathologie qu’une personne non exposée.
- Odd ratio dans un intervalle de confiance : l’étude donne une indication de la variabilité de l’O.R. dans un intervalle de confiance de 95 %. Par exemple, un O.R. (IC 95 %) de 2 (1,1 -3) indique que le risque relatif est en moyenne de 2 mais que dans un intervalle de confiance de 95 %, il peut être compris entre 1,1 (donc quasiment pas d’augmentation du risque par rapport à la population en général) et 3 (3 x plus de chance de développer la pathologie qu’une personne non exposée)
- % de la population exposée : ceci correspond simplement au pourcentage de personnes dans la population générale qui atteignent la dose cumulée.
- P.A.R. ou risque attribuable dans la population : cette notion correspond au pourcentage de pathologies lombaires statistiquement causées par l’exposition. Par exemple, un P.A.R. de 40 % signifie que 40 % des pathologies lombaires objectivées dans la population en général sont causées par une exposition supérieure à un certain seuil. Ce paramètre peut être utile pour estimer l’impact en matière de réparation d’un seuil de reconnaissance donné.
Les tableaux suivants permettent d’estimer le risque relatif de développer la pathologie en fonction de l’exposition du travailleur :
le cas de M., dont la dose cumulée (11.000.000 Nh) est dans la fourchette entre 10.000.000 à 18.000.000 Nh, le risque relatif est de 2,7 (1,6 – 4,5). La moyenne est donc de 2,7 (soit plus que le seuil proposé par Fedris) mais le risque peut être compris entre 1,6 (1,6 fois plus de chance de développer la pathologie qu’une personne non exposée) et 4,5 (4,5 fois plus de chance de développer la pathologie qu’une personne non exposée).
Fedris estime que le risque relatif de 2 est atteint lorsque l’exposition au risque atteint 18 millions de Nh. Confronter cette position aux données du tableau permet de constater qu’en réalité, Fedris vise un risque relatif moyen de 3,3 avec un bas de fourchette dans l’intervalle de confiance de 2, et un haut de fourchette de 5,6.
À supposer même qu’il y ait lieu de fixer un seuil de risque relatif de 2, il ne s’indiquerait pas de l’imposer au bas de la fourchette de l’intervalle de confiance. Exiger un intervalle de confiance minimal de 2 suppose d’avoir un risque relatif moyen de 3,3, soit de n’indemniser que des personnes qui ont au minimum minimorum été deux fois plus exposées que la population générale, mais en moyenne 3,3 fois plus exposées et dans certains cas 5,6 fois plus exposées.
La Cour considère que le risque relatif moyen de 2,7 qui s’applique à M. suffit. Certes, parmi les personnes qui présentent un tel risque relatif moyen, certaines n’ont été exposées que 1,6 fois de plus que la population générale, mais la moyenne l’a été 2,7 fois et certaines personnes jusqu’à 4,5 fois.
En outre, il ressort des conclusions de M., non contredites sur ce point, qu’en réalité,
« lorsqu’on dit que le risque relatif d’une population dont un a étudié un échantillon se situe dans un intervalle de confiance de 3 à 5 avec une certitude de 95 %, cela signifie :
- Premièrement, qu’il y a 5 % de chances que le risque relatif réel de cette population est en réalité hors de l’intervalle, c’est-à-dire inférieur à 3 ou supérieur à 5.
- Deuxièmement, qu’il y a 95 % de chances que le risque relatif réel de cette population soit compris entre 3 et 5
- Troisièmement que la valeur 4 est le plus probablement la valeur du risque relatif réel de cette population
- Quatrièmement, que plus une valeur s’éloigne de 4, moins elle est probablement la valeur du risque relatif réel de cette population ».
En conséquence, face à un risque relatif moyen de 2,7, la valeur de 2,7 est le plus probablement la valeur du risque relatif réel de cette population et la valeur plancher de 1,6 est peu probablement la valeur du risque relatif réel de cette population. Une très large majorité des personnes de la catégorie concernée doit être considérée comme présentant un risque relatif de 2 ou plus, étant entendu que, s’agissant de statistiques, il est impossible de déterminer ce qu’il en est dans le cas d’une personne déterminée.
Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de chercher à déterminer ce qu’il en est : comme le rappellent les travails préparatoires précités, la définition proposée du risque professionnel n’impose en rien à la victime individuelle d’apporter la preuve que l’exposition a constitué dans son cas concret la cause prépondérante de la maladie.
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HOMMES Dose cumulée % de la population exposée % cumulé de la population au-dessus du seuil Risque relatif OR (CI 95 %) Risque attribuable dans la population PAR Risque attribuable dans la population cumulé PAR cumulé 0 Nh (pas d’exposition) 32,5 % 100 % 1 0 à 7 000 000 Nh 29,4 % 67,5 % 1 6 % 7 000 000 à 10 000 000 Nh 7,5 % 38,1 % 1,7 (1-2,5) 4 % 41 % 10 000 000 à 18 000 00 Nh 8,8 % 30,6 % 2,7 (1,6 – 4,5) 8 % 41 % 18 000 000 à 30 000 000 Nh 7,5 % 21,8 % 3,3 (2 – 5,6) 11 % 29 % 30 000 000 à 56 000 000 Nh 7,1 % 14,3 % 4,2 (2,5 - 7) 11 % 18 % Plus de 56 000 000 Nh 7,3 % 7,2 % 2,3 (1,3 – 4,1) 7 % 7 %
Dans
Admettre un risque relatif moyen de 2,7 au lieu de 3,3 (seuil préconisé par Fedris) peut impliquer, dans certains cas assez rares, d’indemniser une faible minorité de personnes qui se situent dans le bas de l’intervalle de confiance, ce dont on pourrait déduire que leur pathologie n’est pas d’origine professionnelle (parce que l’imputabilité de la maladie n’est pas établie). Mais cet écueil est préférable à la conséquence de l’alternative (retenir un seuil de risque relatif moyen de 3,3), qui engendre pour sa part le risque de ne pas indemniser des personnes dont la maladie est pourtant bien professionnelle. La Cour choisit résolument de considérer qu’un risque relatif moyen de 2,7 démontre l’imputabilité.
En outre, dans le cas particulier de M., dès lors que c’est une maladie hors liste qui est invoquée, un « faux positif » pourrait être corrigé au stade le l’examen du lien causal.
L’exposition au risque est établie également dans son élément causal. La lombodiscarthrose de M. est bien imputable au port de charges lourdes.
Lien causal
L’article 30bis précité de la loi du 3 juin 1970 subordonne la réparation d’une maladie ne figurant pas dans la liste à la condition que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession. Que faut-il entendre par « cause déterminante et directe » ?
La Cour de cassation a à juste titre fait observer dès 1998 :
« Qu’il ne ressort pas des travaux parlementaires que, par les termes «déterminante et directe», l’article 30bis ait disposé que le risque professionnel doit être la cause exclusive ou principale de la maladie;
Que le lien de causalité prévu par l’article 30bis entre l’exercice de la profession et la maladie, ne requiert pas que l’exercice de la profession soit la cause exclusive de la maladie; que cet article n’exclut pas une prédisposition, ni n’impose que l’ayant droit doive établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition »8
Elle a réitéré ce point de vue dans un arrêt du 22 juin 20209, allant jusqu’à préciser que le lien de causalité prévu par l’article 30bis n’impose pas que la victime ou l’ayant droit établisse l’importance de l’influence exercée par la prédisposition, notamment que cette influence est moindre que celle de l’exercice de la profession
Si la cause doit être réelle et manifeste, elle ne doit pas être exclusive ni même principale10. Dès lors que la victime ne doit même pas établir que l’influence des éventuelles prédispositions est moindre que celle de l’exercice de la profession, le lien causal doit être considéré comme existant dès lors que, sans le risque, la maladie ne serait pas survenue telle quelle11. La causalité doit s’apprécier selon la théorie de l’équivalence des conditions.
La question est donc de savoir si lombodiscartrhose et l’arthrose interapophysaire se présentent telles qu’elles sont, entre autres à cause de l’exposition de M. au risque. Dans l’affirmative, le lien causal entre le risque et la maladie est établi. Si l’exposition a avec certitude aggravé la maladie, le lien causal est établi.
Sur le plan méthodologique, il est utile, mais pas indispensable, qu’un médecin expert estime devoir éliminer certains facteurs étiologiques pour asseoir sa conviction que l’exposition est en lien causal déterminant et direct avec la maladie. Toutefois, une fois que l’expert et après lui le juge estiment que le lien causal déterminant et direct entre l’exposition au risque et la maladie est prouvé, il n’est pas nécessaire d’examiner de manière détaillée tous les autres facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur l’apparition et le développement de la maladie professionnelle. Les autres facteurs étiologiques ne pourront en effet jamais gommer l’impact de l’exposition au risque, fût-il modeste, sur l’apparition ou le développement de la maladie.
8 Cass., 2 février 1998.
9 Cass., 22 juin 2020.
10 C. trav. Liège, 28 juin 2000.
2013, 496.
Fedris estime que la lombodiscartrhose et l’arthrose interapophysaire sont très discrètes et conformes à l’âge de M., de telle sorte qu’il n’est pas démontré que son état est différent de celui auquel on peut s’attendre au même âge, d’autant plus que M. M. présente un indice de masse corporel de 28,5kg.
Il convient de rappeler que l’experte a relevé que « en ce qui concerne l’existence de la maladie invoquée, M. présente une lombodiscarthrose L5/S1 et une arthrose apophysaire postérieure L5/ S1 établies tant sur les radiographies standard du 12 juillet 2006 que sur les radiographies du 15 décembre 2015 ». Pour rappel, M. est né le 11 septembre 1967, de telle sorte qu’il avait 39 ans lors des premiers clichés.
L’experte n’a pas la même lecture de ces images que le premier expert et que le médecin de Fedris, mais elle a précisément été choisie en raison de ses qualités professionnelles particulièrement aiguisées. La Cour choisit de lui faire confiance concernant son analyse divergente des clichés. De même, la Cour se rallie à son opinion selon laquelle on ne peut prétendre que l’examen clinique est quasi normal.
Après avoir rappelé le caractère multifactoriel de l’arthrose, elle a exclu dans le cas de M. le tabagisme et l’obésité et rappelé son activité professionnelle l’ayant exposé au risque. Elle affirme ainsi que : « Tenant compte de l’étude de l’ensemble des éléments présents chez M. in concreto, il est possible de conclure que s’il n’avait pas été exposé au port de charges lourdes dans le cadre de ses activités professionnelles, il n’aurait pas présenté la même lombodiscarthrose L5/S1 et la même arthrose interapophysaire postérieur L5/ S1, de même intensité ou au même âge (pour rappel, la discopathie L5/S1 a été mise en évidence à l’âge de 39 ans) ».
Le rapport d’expertise convainc la Cour de l’existence d’un lien causal déterminant et direct.
La maladie est établie et c’est à raison que le Tribunal a entériné le rapport d’expertise12
Facteurs socio-économiques
Les parties s’opposent enfin sur le taux des facteurs socio-économiques. Fedris estime qu’il convient de retenir 1 % à ce titre, M. de son côté postule 6 % de facteurs socio-économiques. L’incapacité physiologique fixée à 7 % par l’expert n’est pas remise en question.
Suivant l’article 35 des lois coordonnées du 3 juin 1970 relatives à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles, lorsque l’incapacité de travail devient permanente, la victime a droit à une allocation annuelle déterminée d’après le degré de cette incapacité.
La Cour de cassation a précisé ce qu’il convenait d’indemniser13 :
« L’incapacité permanente de travail résultant d’une maladie professionnelle consiste dans la perte ou la diminution du potentiel économique de la victime sur le marché général du travail. L’étendue du dommage s’apprécie non seulement en fonction de l’incapacité physiologique mais encore en fonction de l’âge, de la qualification professionnelle, de la faculté d’adaptation, de la possibilité de rééducation professionnelle et de la capacité de concurrence de la victime sur le marché général de l’emploi.
Si la reconnaissance d’une incapacité permanente de travail suppose, certes, l’existence d’une incapacité physiologique, le taux de cette dernière ne constitue toutefois pas nécessairement l’élément déterminant pour évaluer le degré de l’incapacité permanente. »
La doctrine la plus autorisée s’aligne sur ce point de vue14, tout comme la Cour.
Comme notre Cour autrement composée l’a déjà jugé à plusieurs reprises, il n’y a pas lieu de tenir compte d’une situation de prépension, de chômage ou d’invalidité pour diminuer le taux des facteurs
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 609
11 S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S.,
12 Trib. Trav. Liège, div. Liège, 19 février 2021, R.G. n° 14/425.055/A.
13 Cass., 11 septembre 1996.
14 P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2015, p. 130.
socio-économiques au motif que la victime dans une telle situation est ou s’est effectivement exclue du marché de l’emploi. Le marché général du travail est celui qui reste potentiellement accessible à la victime jusqu’à l’âge de 65 ans, qu’elle soit en situation de travail, de chômage, de ‘prépension’, de crédit–temps, de prise en charge par l’assurance maladie-invalidité (en soulignant la priorité légale actuelle à la réintégration, outre le caractère potentiellement dis-
criminatoire de la prise en compte d’un tel critère) ... qui sont des situations temporaires.
En l’espèce, la Cour considère que le Tribunal a analysé de façon complète et convaincante la situation globale de M. et fait sienne la motivation qui a conduit le jugement à accorder 3 % de facteurs socio-économiques. (…)
Cour Trav. Liège (3e ch. B), 22 mars 2022
Siège : M.-N. Borlée, cons. ; J.-L. Dehossay et E. Di Panfilo, cons. soc.
Plaid. : MMes J. Dermine loco J.-P. Bruyère, et S. Polet loco V. Delfosse
V. c/ Fedris (R.G. n° 2020/AL/239)
MALADIE PROFESSIONNELLE – ÉCARTEMENT DÉFINITIF – FACTEURS SOCIO-ÉCONOMIQUES – MAJORATION
Indépendamment de l’indemnisation visée aux articles 37 et 38 des lois coordonnées du 3 juin 1970, lesdites lois prévoient notamment la réparation de l’incapacité permanente de travail. L’incapacité permanente consiste dans la perte ou la diminution du potentiel économique de la victime sur le marché général du travail. Celle-ci s’évalue en fonction de l’incapacité physiologique mais également en fonction de l’âge, de la qualification professionnelle, de la faculté d’adaptation, de la possibilité de rééducation professionnelle et de la capacité concurrentielle de la victime sur le marché général de l’emploi. Le fait qu’un travailleur se trouve dans un état de santé justifiant la cessation des activités précédemment exercées, restreint par nature son potentiel économique sur le marché du travail. Cette circonstance doit être prise en compte dans le cadre de l’évaluation des facteurs socio-économiques.
BEROEPSZIEKTE – DEFINITIEVE VERWIJDERING – SOCIAAL-ECONOMISCHE FACTOREN – VERMEERDERING
Naast de vergoedingen bedoeld in de artikelen 37 en 38 van de gecoördineerde wetten van 3 juni 1970 voorzien deze wetten onder meer in een vergoeding wegens blijvende arbeidsongeschiktheid. Blijvende arbeidsongeschiktheid is het verlies of de vermindering van het economisch potentieel van het slachtoffer op de algemene arbeidsmarkt. Het wordt beoordeeld op basis van fysiologische ongeschiktheid, maar ook op basis van leeftijd, beroepskwalificatie, aanpassingsvermogen, mogelijkheid tot beroepsrevalidatie en het concurrentievermogen van het slachtoffer op de algemene arbeidsmarkt. Het feit dat een werknemer in een gezondheidstoestand verkeert die de beëindiging van eerdere activiteiten rechtvaardigt, beperkt inherent zijn economische mogelijkheden op de arbeidsmarkt. Met deze omstandigheid moet rekening worden gehouden bij de beoordeling van de sociaal-economische factoren.
II.- FAITS ET ANTÉCÉDENTS PERTINENTS
- Monsieur V., né le 6 mai 1983, a réussi 6 années d’études primaires, suivies d’études secondaires techniques, option bâtiments, qu’il a arrêtées après deux ans ;
- il a commencé à travailler à 17 ans, comme apprenti préparateur de béton ; il a exercé cette activité jusqu’en 2017 en qualité de manœuvre, puis d’ouvrier deuxième échelon ;
- à partir de l’année 2017, il a changé de métier et a été engagé comme ouvrier polyvalent (homme à tout faire) dans une maison de repos ;
- le 16 mars 2015, Monsieur V. a introduit une demande d’indemnisation pour une maladie professionnelle figurant dans la liste des maladies professionnelles, sous le code 1.605.03 ;
- par décision notifiée par courrier daté du 21 juin 2017, FEDRIS a déclaré la demande fondée, dans la mesure suivante :
« FEDRIS (…) a examiné votre demande introduite le 16 mars 2015, visant à obtenir une indemnisation pour une maladie figurant sur la liste belge des maladies professionnelles reconnues. (…) L’examen de la demande permet de conclure que celle-ci est fondée. Fedris décide par conséquent d’accorder une indemnité dans les limites définies ci-après : (…)
Les différents composants du taux d’incapacité de travail sont repris dans le tableau ci-dessous :
La date du début de l’incapacité de travail est fixée au 23 décembre 2014.
Le salaire de base pris en considération pour le calcul de l’indemnité a été fixé sur base des salaires correspondant à la période du 23 décembre 2013 au 22 décembre 2014.
Ce salaire de base, pour l’incapacité temporaire, atteint 33.438,33 EUR.
Le salaire de base, pour l’incapacité permanente, éventuellement limité au plafond légal, atteint 35.675,63 EUR. (…)
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 610
(…)
Nature de l’indemnisation Pourcentage total de l’incapacité de travail Période d’indemnisation Montant de l’indemnité journalière/annuelle Début Fin 1 Incapacité temporaire 90 20.05.2015 19.06.2015 82,4490 EUR 2 Incapacité temporaire 90 23.08.2016 07.10.2016 84,0980 EUR 3 Incapacité permanente 8 08.10.2016 2.140,54 EUR
Pourcentage d’incapacité physique Pourcentage socioéconomique Pourcentage de la rente d’écartement Pourcentage particulier à 65 ans Pourcentage total de l’incapacité de travail 1 90 0 0 0 90 2 90 0 0 0 90 3 7 1 0 0 8
L’indemnité mensuelle à laquelle vous avez droit est fixée comme
- une éventuelle « rente d’écartement » puisque les chances de trouver un travail peuvent diminuer. Fedris examinera si le travailleur y a droit après l’écartement ou la réadaptation professionnelle. Cette rente s’ajoute à l’indemnité pour l’incapacité permanente de travail. »
Par son arrêt prononcé le 26 janvier 2021, la Cour du travail de Liège, division Liège, chambre 3-G (différemment composée) a (…) ordonné la réouverture des débats aux fins précisées (…) comme suit :
« La Cour s’estime insuffisamment informée pour pouvoir statuer.
En effet, Monsieur V. formule une demande de rente d’écartement récurrente (dont il fixe le taux à 15%), sans préciser sur quelle disposition légale il fonde sa demande, ni au regard de quels critères il évalue ce taux.
FEDRIS, tel que précisé ci-avant, se borne à préciser que s’agissant d’un litige dont les dispositions sont d’ordre public, il n’est pas permis d’accorder un avantage non prévu par les lois coordonnées. Elle souligne qu’aucune des dispositions légales applicables ne prévoit la possibilité de cumuler une rente d’écartement avec les indemnités dues pour incapacité permanente.
La Cour souligne le peu de précisions apportées par les parties dans le cadre de la problématique restant litigieuse en degré d’appel.
S’agissant de FEDRIS, la Cour relève que les deux décisions initialement litigieuses du 21 juin 2017 et du 21 septembre 2018 mentionnent expressément l’existence de rentes d’écartement. En effet, le second tableau de chaque décision litigieuse comporte une colonne intitulée « Pourcentage de la rente d’écartement » qui ne paraît pas correspondre à l’allocation forfaitaire de 90 jours, visée à l’article 37 des lois coordonnées (les décisions mentionnent, en l’espèce, un taux de « 0 » % à ce titre).
La Cour relève par ailleurs que :
a) une recherche sur le site internet de FEDRIS permet d’obtenir les informations suivantes à propos de la cessation définitive de travail (www.fedris.be/fr/employeur/maladies-professionnellessecteur-prive /prevention/cessation-du-travail-nocif – la Cour met en évidence):
« Cessation définitive de travail
Si le travailleur accepte la proposition de cesser définitivement son travail, il ne pourra plus jamais accepter un emploi dans lequel il serait exposé au même risque. Le travailleur reçoit une déclaration d’un médecin de Fedris dans laquelle sont mentionnés les risques auxquels il ne pourra plus jamais être exposé. Il doit présenter cette déclaration au conseiller en prévention-médecin du travail au moment des examens médicaux qui précèdent une embauche ou un changement d’occupation. Le travailleur a alors droit à :
- une indemnité forfaitaire égale à l’indemnité pour incapacité de travail totale pendant les 90 jours qui suivent la date de cessation effective du travail nocif ;
- une réadaptation professionnelle dans certains cas. Durant la formation, le travailleur a droit aux indemnités pour incapacité permanente totale de travail. Les frais de réadaptation et de transport sont également remboursés.
Le travailleur peut suivre une réadaptation professionnelle dans le cadre d’un changement de profession (auprès d’un établissement d’enseignement reconnu ou d’un service de l’emploi et/ou de la formation) ou dans le cadre d’un changement de fonction (le plus souvent au sein de l’entreprise). Dans tous les cas, le travailleur doit signer un document dans lequel il déclare suivre fidèlement et précisément la réadaptation professionnelle.
b) dans le même ordre d’idée, la brochure éditée par FEDRIS, intitulée « Fedris vous a envoyé une décision (secteur privé) –Voici ce que vous devez savoir », édition mars 2020, mentionne sous le titre « III. Vos droits », « B. Incapacité de travail », « 3. Le taux total d’incapacité de travail » (la Cour met en évidence):
« Le taux total d’incapacité de travail est la somme du pourcentage d’incapacité physique de travail, du pourcentage socio-économique, et éventuellement du pourcentage de la rente d’écartement du travail et de la majoration basée sur l’âge.
La rente d’écartement du travail n’est accordée que si vous avez accepté la proposition du directeur médical d’être définitivement écarté du risque auquel vous exposait votre poste de travail. » certaines décisions ont déjà fait, par le passé, référence à l’octroi de rentes liées à l’écartement du travail ; ainsi, notamment, dans un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 25 juin 2007 (R.G. 48.980, disponible via stradalex), l’on peut lire que (la Cour met en évidence):
« Dans une lettre du 31 mars 2003, le Fonds des maladies professionnelles a transmis à Monsieur B. F. une proposition d’ écartement définitif de toute activité professionnelle qui l’exposerait au risque de dermatose due aux acrylates.
Il a demandé l’accord de Monsieur B. F. sur cette proposition et expliqué que celle-ci entraînait : l’octroi d’une prime d’écartement équivalente aux indemnités d’incapacité temporaire totale pendant nonante jours, et la majoration forfaitaire du taux d’indemnisation de 5 % pour l’incapacité permanente de travail. »
La Cour estime, dès lors, devoir rouvrir les débats pour inviter FEDRIS à s’expliquer quant à ce qui précède (notamment : en termes de base légale applicable, d’hypothèses visées par le paiement desdites rentes d’écartement, de critères pris en compte pour évaluer la hauteur desdites rentes, etc.).
Monsieur V. est également invité à faire valoir ses observations.
3.
La Cour relève enfin que certaines décisions ayant (ou non) fait droit à une demande de rente d’écartement paraissent considérer cette demande sous l’angle des facteurs économiques et sociaux pris en compte dans le cadre de l’évaluation de l’incapacité permanente de travail ; notamment :
- C.T. Liège (div. Liège, chambre 3-C), 14 octobre 2020, inédit, R.G. 2019/AL/562 (la Cour de céans met en évidence):
« La rente d’écartement et son cumul avec l’indemnité pour incapacité permanente partielle.
Monsieur S. n’est pas visé par l’article 38, § 1er, des lois. En effet, au moment où il cesse définitivement toute activité nocive, le 1er mars 2016, il n’est pas atteint d’une incapacité temporaire totale mais bien d’une incapacité permanente partielle qui s’est aggravée et qui a imposé la cessation de l’activité nocive.
Cette aggravation a donné lieu à une action en révision1 qui a été reconnue à dater du 1er septembre 2015 en portant le taux d’invalidité purement physique de 3 % à 7 %2
La cessation définitive de l’activité nocive, c’est-à-dire de tout métier qui expose Monsieur S. au port de charges lourdes et aux vibrations mécaniques transmises par le siège, est un élément à apprécier dans le taux des facteurs socio-économiques à retenir dans le cadre de la révision pour aggravation.
En l’espèce, cette cessation est postérieure à la prise de cours de l’aggravation et le tribunal en fixant un taux de facteurs socio-économiques à 4 % au 1er septembre 2015, ce qui n’est pas
1 C. trav. Liège, 25 février 2011, R.G. 2010/AL/347.
2 Guide social permanent – Sécurité sociale: commentaires Suppl. 981 (87) (28 février 2020), Partie I – Livre V Titre IV, Chapitre III – 4200.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 611
- montant brut 178,38 EUR - cotisation sécurité sociale 23,31 EUR - précompte professionnel 0,00 EUR - montant net 155,07 EUR (…) »
suit :
3.
entrepris par l’appel, n’a pas considéré l’interdiction fondée sur cette cessation qui survient le 1er mars 2016.
Il l’a considérée à la date du 6 octobre 2017 en retenant un taux supplémentaire de facteurs socio-économiques de 7 %. La date est liée à l’expiration de la période couverte par l’allocation forfaitaire que le tribunal ne cumule pas avec l’indemnité due pour l’incapacité permanente partielle couvrant la maladie reconnue par ailleurs.
La cour a déjà estimé que ce cumul était possible.
Elle considère que le taux de l’incapacité permanente partielle à fixer dans le cadre de la révision pour aggravation doit être porté à 6 % à la date du 1er mars 2016.
À cette date et au départ de l’aggravation de son état physique, le marché général de l’emploi potentiellement accessible à Monsieur S. s’est fortement restreint3 mais il n’est âgé que de 43 ans et il dispose d’une faculté d’adaptation comme en atteste ses données socio-professionnelles. Nonobstant une formation scolaire faible (primaire et 4 années de secondaires), il dispose d’un bagage technique (études techniques comme tourneur –ajusteur) et, au départ d’une expérience professionnelle de 11 ans dans la production et la manutention (ce qui est exclu à dater de 2016 si cela implique le port de charges lourdes et la transmission de vibrations mécaniques par le siège), il est entré dans un secteur spécialisé (découpe du verre). (…) »
- C.T. Liège (sect. Liège, 8e chambre), 25 février 2011, inédit, R.G. 2010/AL/347 (la Cour de céans met en évidence) :
« (…) La Cour estime donc qu’une mesure d’écartement peut s’appliquer à un travailleur qui, à la suite de circonstances particulières, n’est plus occupé au travail et n’est plus, de ce fait, exposé au risque de la maladie dont il est atteint ou menacé.
D’autre part, lorsque la cessation définitive de l’activité professionnelle est proposée à une victime déjà indemnisée pour une incapacité de travail permanente résultant de la maladie professionnelle, cette situation nouvelle sera soumise aux règles régissant la révision. L’aggravation de l’état de santé de la victime, qui impose la cessation définitive de l’activité professionnelle, constitue l’élément nouveau qui donne ouverture à l’action en révision. La victime a droit à la réparation de son incapacité permanente, réévaluée, selon les critères définis ci-dessus, depuis sa demande en révision – (...) - ou depuis l’aggravation de son état justifiant la cessation définitive (…). Il y a cumul de l’allocation forfaitaire et de l’indemnisation, l’article 38, § 1, étant étranger à ce cas. Ce cumul se justifie puisque les avantages alloués réparent des dommages distincts et que l’allocation prévue par l’article 37, § 3 destinée à permettre au travailleur écarté définitivement de faire les démarches nécessaires en vue de son reclassement, a un caractère forfaitaire4. (…) »
Les débats sont donc également rouverts pour permettre aux parties de s’expliquer sur ces points et sur les conséquences qui en découlent, le cas échéant.
Dans l’hypothèse où la Cour serait amenée à faire droit à la demande de rente d’écartement (qu’il s’agisse d’une rente « sui generis » ou d’une majoration de la rente d’incapacité permanente elle-même liée, ou non, à la majoration des facteurs économiques et sociaux), la Cour invite encore les parties, dans ce contexte, à s’expliquer (si possible pièces à l’appui) :
- sur la date à laquelle la rente sollicitée pourrait prendre cours (23 décembre 2014 ? date de l’écartement effectif ? S’il s’agit de cette dernière date, quelle est-elle ? autre date ?...) ;
- sur le pourcentage applicable à celle-ci, ainsi que la rémunération de base à prendre en compte. »
4.
Par ses conclusions après réouverture des débats, FEDRIS sollicite :
a) à titre principal :
- que l’appel soit dit non fondé et que le jugement entrepris soit confirmé ;
- qu’il soit statué ce que de droit quant aux dépens, liquidés à l’indemnité de procédure de 189,51 euros ;
b) à titre subsidiaire :
- que la date de prise de cours de la rente d’écartement soit fixée au 5 octobre 2017 ;
- qu’il soit statué ce que de droit quant aux dépens, liquidés à l’indemnité de procédure de 189,51 euros.
FEDRIS fait notamment valoir que :
- par sa décision du 21 septembre 2018, FEDRIS a reconnu à Monsieur V. une rente d’écartement sur la base d’une incapacité totale de 90 jours conformément aux articles 37 et 38 des lois coordonnées ; FEDRIS a par ailleurs confirmé le taux d’incapacité permanente précédemment reconnu ;
- les lois coordonnées – et notamment les articles 37 et 38 –ne prévoient pas l’octroi d’une indemnisation permanente en raison de l’écartement ; la réglementation étant d’ordre public, une indemnisation supplémentaire ne peut par conséquent être accordée ;
- si FEDRIS a, par le passé, accordé des rentes permanentes en cas d’écartement définitif, elle s’est entretemps aperçue de son erreur (vu l’absence de base légale) et a dès lors adapté sa position à ce propos ;
- une telle indemnisation ne peut être octroyée dans le cadre de l’évaluation de l’incapacité permanente ;
- Cela reviendrait à méconnaître la notion d’incapacité de travail permanente, en y incluant l’indemnisation d’un dommage distinct ;
- La reconnaissance d’une incapacité permanente de travail suppose l’existence d’une incapacité physiologique (étant entendu que le taux de celle-ci ne constitue pas nécessairement l’élément déterminant pour déterminer le taux de l’incapacité permanente) ; l’écartement du milieu nocif n’implique quant à lui pas l’existence d’une incapacité de travail, ni même l’existence d’une maladie professionnelle ;
- Agir de la sorte reviendrait à violer les dispositions légales organisant la réparation du dommage résultant de l’écartement du milieu nocif (art. 37 et 38 des lois coordonnées) ;
- Cela reviendrait également à indemniser une incapacité artificielle ou fictive ;
- Cela engendrerait, enfin, une discrimination entre la personne présentant une maladie professionnelle et une incapacité physiologique, d’une part, et la personne étant seulement menacée d’une maladie professionnelle ou ne présentant pas encore d’incapacité physiologique résultant de la maladie professionnelle, d’autre part ;
- à titre subsidiaire, le paiement de la rente ne pourrait prendre cours, au plus tôt, que le 5 octobre 2017 (premier jour faisant suite à la rente de 90 jours effectivement octroyée par FEDRIS).
5.
Par ses conclusions après réouverture des débats, Monsieur V. sollicite :
- que son appel soit déclaré fondé ;
- qu’il soit dit pour droit qu’en raison de l’écartement du milieu nocif du travail, il y a lieu de fixer le taux des facteurs socio-économiques à 15% ;
- que FEDRIS soit condamné à payer les indemnités légales dues à Monsieur V. en fonction d’un taux d’incapacité permanente global de 22% (7+15) à dater du 1er avril 2018 et en considération d’un salaire de base de 35.675,63 euros ;
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 612
3 P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2015, 177.
4 P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, De Boeck Université, 2008, 111-112.
- que FEDRIS soit condamnée aux dépens d’appel, liquidés pour Monsieur V. à la somme de 378,95 euros à titre d’indemnité de procédure.
Monsieur V. fait notamment valoir que :
l’indemnisation octroyée à Monsieur V. en application des articles 37 et 38 des lois coordonnées, n’exclut pas la majoration du taux d’incapacité permanente sollicité par Monsieur V. ;
à la suite de la maladie professionnelle dont il souffre, Monsieur V. a vu son marché de l’emploi restreint ;
- selon son médecin-conseil, un pourcentage de 15% est justifié pour écartement définitif et ce à dater du 1er avril 2018, premier jour à partir duquel Monsieur V. n’a plus été confronté à des conditions de travail nocives ;
- il s’agit d’un élément à apprécier dans le cadre des facteurs socio-économiques.
VI. - DISCUSSION
Quant à la majoration des facteurs socio-économiques
1.
Il n’est pas contesté que FEDRIS a d’ores et déjà octroyé, en faveur de Monsieur V., l’indemnisation (correspondant à 90 jours) visée à l’article 37 des lois coordonnées (...)
Il n’est pas davantage contesté que la demande maintenue par Monsieur V. dans le cadre du présent appel ne se fonde pas sur les articles 37 et 38 desdites lois coordonnées.
2.
Les lois coordonnées (…) prévoient, notamment, la réparation de l’incapacité permanente de travail partielle ou totale (cf. notamment les articles 31 et 35 des lois coordonnées le 03 juin 1970).
La Cour de cassation5 a eu l’occasion de dégager les enseignements suivants, auxquels la Cour se rallie expressément, à propos de l’évaluation du dommage dont la loi prévoit la réparation (la Cour de céans met en évidence):
« (…) Suivant l’article 35 des lois coordonnées du 3 juin 1970 relatives à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles, lorsque l’incapacité de travail devient permanente, la victime a droit à une allocation annuelle déterminée d’après le degré de cette incapacité.
L’incapacité permanente de travail résultant d’une maladie professionnelle consiste dans la perte ou la diminution du potentiel économique de la victime sur le marché général du travail. L’étendue du dommage s’apprécie non seulement en fonction de l’incapacité physiologique mais encore en fonction de l’âge, de la qualification professionnelle, de la faculté d’adaptation, de la possibilité de rééducation professionnelle et de la capacité de concurrence de la victime sur le marché général de l’emploi. (…) »
À l’estime de la Cour, le fait pour un travailleur de se trouver dans un état de santé justifiant qu’il soit mis un terme aux activités précédemment exercées, restreint par nature son potentiel économique sur le marché du travail ; la jurisprudence a déjà eu l’occasion de le confirmer à plusieurs reprises ; c’est le cas dans les arrêts déjà visés par l’arrêt de réouverture des débats (cf. Cour Trav. Liège, 14 octobre 2020 et 25 février 2011) ; c’est encore le cas dans l’arrêt complémentaire suivant6 (la Cour de céans met en évidence):
« (…) À ce propos, la Cour ne saurait suivre les premiers juges quand ils considèrent que l’appelant n’a encouru aucun préjudice indemnisable consécutif à l’écartement concerné, du fait que celui-ci aurait découlé de sa seule décision de prendre sa préretraite. Il faut en effet admettre que l’appelant à dû se résoudre à cette situation pour mettre fin à l’activité professionnelle qui lui était nuisible. Il souligne au passage avoir subi à cette occasion une
5 Cass., 11 septembre 2006, Chr. D.S., 2007, p. 197 – la Cour met en évidence.
6 C.T. Liège, 14 mars 2008, Chr. D.S., 2009, p. 466.
perte importante de revenus en raison du montant élevé de sa dernière rémunération.
En réalité, il ressort du rapport d’expertise judiciaire, qui a été entériné, que l’appelant devait, médicalement, être éloigné, à partir du 1er février 1999, de l’activité qui le mettait en contact avec la fibre de verre, exigence qui s’est concrétisée dans l’écartement intervenu à cette date sous la modalité de la préretraite. Il en est résulté pour l’intimé une diminution de sa capacité concurrentielle sur le marché de l’emploi, puisque celle-ci est déterminée par les possibilités dont le malade dispose encore, comparativement à d’autres travailleurs, d’exercer une activité salariée. Il suit que pareil dommage doit être pris en compte dans l’évaluation de l’incapacité permanente de travail, laquelle consiste en effet dans la perte ou la diminution de la valeur économique du malade sur le marché général de l’emploi (cf. Cass., 11 septembre 2006, J.T.T., 2007, p. 23). En somme, l’écartement s’ajoute aux autres facteurs socio-économiques, dont il fait partie. (…) »
La nécessité, sur le plan médical, d’être écarté de l’activité professionnelle nocive est donc l’un des éléments à prendre en considération en vue de l’évaluation des facteurs socio-économiques, intervenant à côté de l’incapacité physiologique dans la détermination du taux d’incapacité permanente.
La Cour relève, par rapport aux arguments soulevés dans ce contexte par FEDRIS :
- que l’indemnisation de l’incapacité permanente, laquelle inclut les facteurs socio-économiques, repose sur une base légale (cf. notamment les article 31 et 35 des lois coordonnées), distincte des articles 37 et 38 des mêmes lois ; La Cour du travail de Liège (div. Liège, chambre 3-C [différemment composée], 14 octobre 2020, inédit, R.G. 2019/ AL/562) a, à juste titre, souligné que les indemnisations distinctes, précitées, peuvent se cumuler :
« (…) L’allocation forfaitaire indemnise un dommage distinct de celui qui est couvert par une rente d’incapacité permanente partielle de travail et qui est lié à la reconnaissance d’une maladie professionnelle.
Ces dommages distincts sont indemnisables en application de l’article 31 des lois de 1970.
L’allocation forfaitaire est due que la personne soit atteinte ou non d’une maladie professionnelle, il suffit qu’elle en soit menacée.
La thèse de non-cumul soutenue par Fedris revient à suspendre pendant 90 jours l’indemnisation de la maladie professionnelle de la personne qui est, par ailleurs, écartée. Cela revient à indemniser de la même manière deux personnes qui se trouvent dans des situations différentes.
Le paiement de l’allocation annuelle due pour incapacité permanente partielle repose sur une décision de reconnaissance d’une maladie professionnelle et indemnise l’atteinte à la capacité de travail.
Le mode de calcul de l’allocation prévue à l’article 37 qui est forfaitaire, ne modifie pas le dommage qu’elle couvre et qui est totalement distinct s’agissant de couvrir la démarche de recherche d’un autre emploi ou de couvrir certaines dépenses qui doivent faciliter cette mutation.
(…) Monsieur S. a donc bien droit au paiement des indemnités légales qui couvrent l’indemnisation des conséquences de la maladie dont il est reconnu être atteint en ce y compris durant la période de 90 jours qui prend cours le 1er mars 2016.(…) »
- la prise en compte d’une situation de nécessité d’écartement, dans le cadre de l’évaluation de l’incapacité permanente, ne méconnaît pas la notion d’incapacité de travail permanente, au vu de la jurisprudence, citée ci-avant, de la Cour de cassation ;
- le fait que l’écartement du milieu nocif n’implique pas l’existence d’une incapacité de travail, ni même l’existence d’une
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maladie professionnelle, n’empêche pas, dans l’hypothèse où une incapacité physiologique résultant d’une maladie professionnelle est constatée, que la situation d’écartement soit prise en compte dans le cadre des facteurs socio-économiques à retenir en application de la jurisprudence de la Cour de cassation ;
La Cour n’estime, enfin, pas devoir retenir l’argument de discrimination invoqué par FEDRIS, dès lors que la personne présentant une maladie professionnelle et une incapacité physiologique, d’une part, et la personne étant seulement menacée d’une maladie professionnelle ou ne présentant pas encore d’incapacité physiologique résultant de la maladie professionnelle, d’autre part, ne se trouvent manifestement pas dans des situations comparables, de sorte qu’elles ne doivent pas être traitées de la même manière.
3.
Au vu des éléments propres à Monsieur V., la Cour estime en l’espèce devoir majorer le taux d’incapacité permanente reconnu à Monsieur V. eu égard à la nécessité d’écartement constatée.
La question se pose de savoir à partir de quelle date cette majoration peut effectivement être appliquée et, par voie de conséquence, majorer les indemnités d’incapacité permanentes dues en faveur de Monsieur V.
La Cour relève qu’une révision, telle que visée à l’article 35 des lois coordonnées, ne peut en règle intervenir qu’à l’occasion de la modification de la situation de l’intéressé sur le plan médical ; en attestent notamment :
- le libellé de l’article 35 des lois coordonnées (la Cour met en évidence):
« (…) Lorsque l’incapacité de travail permanente s’est aggravée, l’allocation accordée en vertu de cette aggravation ne peut prendre cours au plus tôt que soixante jours avant la date de la demande en révision ou soixante jours avant la date de l’examen médical lors duquel l’aggravation a été constatée à la suite d’une révision d’office opérée par Fedris. (…) »
- le libellé de l’article 49 des lois coordonnées (la Cour met en évidence):
« Lorsqu’une nouvelle période d’incapacité de travail temporaire ou une incapacité de travail permanente est reconnue dans le cadre d’une révision d’office, la rémunération de base est la rémunération à laquelle le travailleur avait droit pour la période des quatre trimestres complets précédant la date de l’examen médical pratiqué dans le cadre de cette révision d’office. »
- la jurisprudence :
« (…) Pour être recevable, la demande en révision doit être fondée sur un changement de l’état de la victime. Elle est essentiellement basée sur un fait nouveau. Une modification des facteurs socio-économiques ne constitue pas ce fait nouveau (Cour Trav. Liège, 20 mai 1976, R.D.S., 1977, p. 237). Celui-ci doit être une modification dans l’état de santé de la victime, soit une aggravation ou une atténuation des infirmités. En ce cas, la révision tend à la fixation des nouvelles bases d’indemnisation en fonction précisément de cette modification (…). »7
« (…) Tout le monde paraît d’accord pour considérer qu’il faut apprécier in concreto, cas par cas, la situation de la victime d’une maladie professionnelle ; la Cour partage évidemment cette position au demeurant déjà exprimée à plusieurs reprises et récemment encore (Cour Trav. Liège, 3e ch., 17 juin 1982, Bosseloirs c. F.M.P. et F.M.P. c. Bunikic) en ces termes :
‘(…) Attendu par ailleurs qu’en ajoutant au taux d’incapacité physique un taux couvrant les facteurs socio-économiques, les juridictions compétentes doivent chaque fois tenir compte des facteurs usuels bien connus : essentiellement l’âge de la victime, sa formation et son marché général de l’emploi ;
Que ces facteurs socio-économiques sont évidemment tributaires et accessoires de l’incapacité physique ;
7 T.T. Verviers (1re ch.), 7 novembre 1979, J.T.T., 1980, 296.
Que chaque fois où l’incapacité physique vient à changer, les facteurs socio-économiques doivent de même être réexaminés, ayant pu changer, parfois considérablement (…);’ »8
« (…) Que le premier juge, en d’excellents motifs tenus pour ici reproduits, eut raison de préciser en substance que l’action en révision ne peut permettre d’établir qu’une modification de l’état physique de la victime, aggravant ou diminuant son incapacité de travail ;
Attendu que vouloir y inclure la modification des seuls facteurs socio-économiques aboutirait à l’absurde que toutes les décisions définitives devraient alors être entreprises en révision puisque les facteurs socio-économiques se modifiant évidemment en trois ans (…) »9
En l’espèce, s’agissant de l’incapacité permanente reconnue en faveur de Monsieur V., il découle des pièces produites au dossier que le taux d’incapacité physiologique à la base de l’incapacité permanente reconnue par l’expert n’a pas varié, l’expert le fixant à 7% à partir du 23 décembre 2014 (cette période d’incapacité permanente partielle étant entrecoupée par deux périodes d’incapacité temporaire totale).
La nécessité d’écarter Monsieur V. de sa précédente activité professionnelle, reconnue par la décision de FEDRIS du 21 septembre 2018, n’est pas constatée dans le cadre d’une aggravation du taux d’incapacité physiologique de Monsieur V. justifiant la révision de son dossier.
C’est dans le cadre de la demande formulée par Monsieur V. le 16 mars 2015 (ayant concrètement abouti à la reconnaissance d’une incapacité permanente avec effet au 23 décembre 2014), que FEDRIS, au vu du résultat des examens médicaux pratiqués, a estimé devoir officiellement inviter Monsieur V., par un courrier du 3 juillet 2017, à compléter un formulaire dès lors que « notre conseiller médical a estimé souhaitable un écartement du milieu nocif du travail (…) ».
Il en résulte, sur le plan des principes, que dès le 23 décembre 2014 (date à partir de laquelle une incapacité permanente est reconnue en faveur de Monsieur V.), Monsieur V. était atteint d’une incapacité physiologique (permanente) de 7%, à majorer de facteurs socio-économiques incluant la nécessité pour Monsieur V. d’être écarté de son milieu de travail nocif, écartement qui se matérialisera effectivement avec effet au 1er avril 2018 (date à laquelle Monsieur V. a changé de travail) et dont FEDRIS confirmera la nécessité par sa décision du 21 septembre 2018.
À l’estime de la Cour et au vu des autres facteurs retenus par les premiers juges (non contestés par les parties) dans le cadre de la détermination du taux d’incapacité permanente reconnu en faveur de Monsieur V. (soit un taux de 7% + 3%), un taux complémentaire de 5% peut être ajouté eu égard à la nécessité d’écartement de Monsieur V. du milieu professionnel nocif.
La Cour ne pouvant statuer ultra petita, ce taux complémentaire de 5% sortira en l’espèce ses effets à partir du 1er avril 2018 (tel que sollicité par Monsieur V. par ses dernières conclusions).
Le salaire de base, retenu par les premiers juges, reste inchangé.
Tel que précisé ci-dessus, la Cour estime que l’indemnité couvrant l’incapacité permanente est cumulable avec l’indemnité pour écartement définitif octroyée par décision du 21 septembre 2018.
Il y a par conséquent lieu de condamner FEDRIS à payer les indemnités légales dues pour incapacité permanente à Monsieur V. en fonction d’un taux d’incapacité permanente global de 15% (7+8) à dater du 1er avril 2018 et en considération d’un salaire de base de 35.675,63 euros (...).
Le jugement dont appel est réformé, et l’appel est déclaré (partiellement) fondé, dans la mesure précitée. (…)
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 614
8 C.T.
9
Liège (6 e ch.), 26 novembre 1982, J.T.T., 1983, 396.
C.T. Liège (3e ch.), 20 mai 1976, R.D.S., 1977, p. 237.
Arbrb. Gent (afd. Gent, 3e k.) 8 juni 2020
Zet.: K. Nevens, recht.; Staessens en Govaert, recht. soc. zak. Pleit.: Mrs. Van de Gehuchte en Tavernier
FEDRIS t/ G. D.L. (A.R. nr. 16/754/A)
MALADIE PROFESSIONNELLE – EXPOSITION AU RISQUE PROFESSIONNEL – AGENTS CHIMIQUES – CANCER DE LA VESSIE – CHARGE DE LA PREUVE
Le fait que la victime entre en contact avec des agents chimiques plus fréquemment qu’une personne ordinaire ne suffit pas à prouver une exposition réelle et suffisante. La preuve n’est pas fournie lorsque l’exposition aux agents chimiques était à une faible concentration, que des mesures ont été prises par l’employeur au moins pour éliminer l’exposition et que les agents chimiques ne sont pas connus comme cancérigènes selon l’avis médical actuel généralement accepté.
(…)
Vaststelling van een beroepsziekte
Artikel 30 van de gecoördineerde Beroepsziektenwet bepaalt dat de Koning de lijst opmaakt van de beroepsziekten die tot schadeloosstelling aanleiding geven. Deze lijst werd vastgesteld bij koninklijk besluit van 28 maart 1969. Onder de code 1.1 zijn vervat: de ziektes veroorzaakt door welbepaalde chemische agentia.
Code 1.124.01 vermeldt aromatische aminen of aromatische hydrazinen;
Code 1.124.02 vermeldt de galogeen-, fenol-, nitro-, nitroso- of sulfonderderivaten van voornoemde chemische agentia;
Code 1.125.01 vermeldt nitroderivaten van aromatische koolwaterstoffen;
Code 1.125.02 vermeldt nitroderivaten van fenolen of hun homologen.
Artikel 30bis van de gecoördineerde Beroepsziektenwet bepaalt voorts dat ook ziektes die niet voorkomen op de lijst, onder de voorwaarden bepaald door de Koning, eveneens aanleiding geven tot schadeloosstelling, indien bewezen wordt dat zij op een determinerende en rechtstreekse wijze het gevolg is van de beroepsuitoefening.
Artikel 32 van de gecoördineerde Beroepsziektenwet bepaalt dat schadeloosstelling slechts verschuldigd is wanneer de door deze ziekte getroffen persoon aan het beroepsrisico van deze ziekte blootgesteld geweest is gedurende de ganse periode of een deel van de periode in de loop waarvan hij behoorde tot een der categorieën van personen bedoeld in artikel 2 of gedurende welke hij krachtens artikel 3 verzekerd was.
Er is een beroepsrisico indien de blootstelling aan de schadelijke invloed inherent is aan de beroepsuitoefening en beduidend groter is dan de blootstelling van de bevolking in het algemeen, en indien deze blootstelling volgens algemeen aanvaarde medische inzichten, in groepen van blootgestelde personen de overwegende oorzaak van de ziekte vormt.
De Koning kan voor sommige beroepsziekten en voor ziekten zoals bedoeld in artikel 30bis, op voorstel van het beheerscomité voor de beroepsziekten en na advies van de Wetenschappelijke Raad (van FEDRIS), blootstellingscriteria vastleggen.
Ieder werk dat gedurende de in het eerste lid bedoelde perioden is verricht in de bedrijfstakken, beroepen of categorieën van ondernemingen die de Koning op advies van de Wetenschappelijke Raad opsomt per beroepsziekte, wordt vermoed de getroffene aan dat risico te hebben blootgesteld, tenzij het tegendeel bewezen wordt.
Zo geldt er wat aromatische aminen of aromatische hydrazinen of hun halogeen-, fenol-, nitro- nitroso- of sulfonderderivaten een
BEROEPSZIEKTE – BLOOTSTELLING AAN BEROEPSRISICO – CHEMISCHE AGENTIA – BLAASKANKER – BEWIJSLAST
Het feit dat het slachtoffer frequenter dan een doorsnee persoon in contact komt met chemische agentia volstaat niet als bewijs van een reële en voldoende blootstelling. Het bewijs wordt niet geleverd wanneer de blootstelling aan de chemische agentia een lage concentratie was, er maatregelen door de werkgever werden genomen om de blootstelling uit te schakelen, minstens te beperken en de chemische agentia volgens de huidige algemeen aanvaarde medische inzichten niet gekend staan als kankerverwekkend.
vermoeden van blootstelling in fabrieken of productieafdelingen van deze chemische agentia, bij de productie van synthetische kleurstoffen, voor ondernemingen voor het verven van textielweefsels of leder en voor kapsalons. Voor nitroderivaten van aromatische koolwaterstoffen en van fenolen of van hun homologen wordt een blootstelling vermoed in fabrieken of productieafdelingen van die producten, bij de productie van synthetische kleurstoffen, springstoffen en vuurwerk en in ondernemingen die gebruik maken van pesticiden op basis van nitroderivaten van homologeen van fenolen. Uit de voornoemde wetsbepalingen vloeit voort dat een werknemer die schadeloosstelling wenst te bekomen voor een beroepsziekte:
- ofwel moet aantonen dat hij getroffen werd door een ziekte die op de lijst staat en ook werd blootgesteld aan het beroepsrisico hiervan, desgevallend met ondersteuning van een weerlegbaar vermoeden van blootstelling dat in zijn of haar geval geldt (zie o.a. Arbh. Brussel 17 januari 2018, JTT 2018, 173; Arbh. Luik 29 juni 1995, JTT 1996, 309; D. SIMOENS, “Beroepsziekten” in J. PUT en V. VERDEYEN, Ontwikkelingen van de sociale zekerheid 2006-2011, Brugge, die Keure, 2011, 338). Het bewijs van een oorzakelijk verband tussen zijn of haar ziekte en de blootstelling moet hij evenwel niet bewijzen. Dit oorzakelijk verband wordt onweerlegbaar vermoed (wijzen nadrukkelijk daarop: Arbh. Luik 17 juli 2001, JTT 2002, 27; Arbh. Luik 22 oktober 1990, JTT 1991, 247; W. VAN EECKHOUTTE, Handboek Belgisch socialezekerheidsrecht , Mechelen, Kluwer, 2009, 180-181; M. VANDEWEERDT, “Beroepsziekten: begripsvorming en rechtspraak” in D. SIMOENS en J. PUT (eds), Ontwikkelingen van de sociale zekerheid 1990-1996, Brugge, die Keure, 1996, 581). - ofwel moet aantonen dat hij getroffen werd door een ziekte die niet op de lijst staat, dat hij werd blootgesteld aan het beroepsrisico hiervan, en dat er een determinerend en rechtstreeks oorzakelijk verband is tussen de ziekte en de beroepsuitoefening, zonder dat evenwel is vereist dat de uitoefening van het beroep de uitsluitende oorzaak is van de ziekte (zie o.a. Cass. 2 februari 1998, Arr.Cass. 1998, 147; Arbh. Luik 29 juni 1995, JTT 1996, 309; Arbrb. Tongeren 12 januari 2001, Soc.Kron. 2002, 400). De bewijslast weegt in dit geval dus zwaarder.
De rechtbank stelt vast, en het staat ook buiten elke betwisting, dat de heer D.L. vanaf 2012 getroffen werd door (recidiverende) blaaskanker.
Blaaskanker is een ziekte die veroorzaakt kan worden door blootstelling aan chemische agentia. Dit blijkt zeer duidelijk uit de adviezen van de gerechtsdeskundigen.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 615
Dr. V. merkt op: “Volgens de Wereld Gezondheidsorganisatie wordt in de geïndustrialiseerde landen blaaskanker veroorzaakt door tabak en industriële carcinogenen (…) Blaaskanker is historisch de tumor die ook meest gelinkt wordt aan blootstelling van chemische stoffen door werkomgeving”.
Prof. dr. T. schrijft: “Reeds in 1895 rapporteerde REHN dat arylamines blaaskanker kunnen veroorzaken bij werknemers. Vervolgens in 1942 suggereerde HUEPER dat aromatische amines verantwoordelijk waren voor blaastumoren bij mensen. Voornamelijk arbeiders in de volgende disciplines/takken met specifieke blootstelling aan bepaalde stoffen, bleken een hogere kans te hebben tot ontwikkeling van blaastumoren: chemische industrie, kleurstoffen, rodenticiden, drukwerken, textiel, rubber, kabels, gas en teer (…). Blaastumoren behoren tot de eerste gedocumenteerde, beroepsgebonden vormen van kanker.”
De omschrijving in de lijst van beroepsziekten luidende “beroepsziektes veroorzaakt door chemische agentia” mag niet zo begrepen en geïnterpreteerd worden als zou de heer D.L. – als onderdeel van het bewijs van een ziekte op de lijst – moeten aantonen dat de blaaskanker die hij heeft in concreto werd veroorzaakt door een welbepaald chemisch agentium. Dit zou immers neerkomen op een bewijs van oorzakelijkheid, waarvan hij net is vrijgesteld. Het is net omwille van de moeilijkheden op gebied van het aantonen van een oorzakelijkheid dat ter zake een onweerlegbaar vermoeden werd ingesteld.
De eerste deskundige (dr. V.) besloot dan ook ten onrechte dat de ziekte van dhr. D.L. (blaaskanker) géén ziekte is die op de lijst voorkomt. Blaaskanker is wel degelijk een soort kanker die volgens de huidige wetenschappelijke inzichten door blootstelling aan chemische agentia wordt veroorzaakt. Het feit dat dit soort kanker evenzeer veroorzaakt kan worden door (overmatig) roken, doet geen afbreuk aan de vaststelling dat blaaskanker een beroepsziekte is die vermeld wordt op de lijst.
Om op grond van de gecoördineerde Beroepsziektenwet schadeloosstelling te kunnen bekomen voor de gevolgen van de aangetoonde ziekte, moet de heer D.L. evenwel ook het bewijs leveren van een blootstelling aan het beroepsrisico. Hierbij moet men indachtig zijn dat er slechts sprake is van een blootstelling in de zin van de wet, indien de blootstelling van die aard is de ziekte in kwestie te kunnen veroorzaken (cf. Parl.St. Senaat 1963-64, nr. 237, 9; Parl.St. Kamer 1963-64, nr. 687/2, 7).
De rechtbank stelt vooreerst vast dat de heer D.L. zich niet kan beroepen op een weerlegbaar vermoeden van blootstelling. Hij werd immers niet tewerkgesteld in fabrieken of productieafdelingen van de chemische agentia waarvan hierboven reeds sprake, bij de productie van synthetische kleurstoffen, springstoffen en vuurwerk, in ondernemingen voor het verven van textielweefsels of leder, in of in ondernemingen die gebruik maken van pesticiden op basis van nitroderivaten van homologen van fenolen.
De heer D.L. draagt dus de volledige bewijslast van een blootstelling aan het beroepsrisico. Hij moet dus enerzijds aantonen dat zijn beroepsuitoefening hem inherent heeft blootgesteld aan de schadelijke invloed (van chemische agentia) op een wijze die beduidend groter is dan de blootstelling van de bevolking in het algemeen. Hij moet anderzijds ook aantonen dat deze blootstelling volgens algemeen aanvaarde medische inzichten, in groepen van blootgestelde personen de overwegende oorzaak van de ziekte vormt.
Het staat vast dat de heer D.L. gedurende zijn lange tewerkstelling bij B. gebruik maakte van verschillende producten die chemische agentia bevatten. Dit was eigen aan het beroep van schilder, dat hij gedurende verschillende jaren uitoefende, onder andere van
2000 tot 2002 en van 2005 tot en met de eerste vaststelling van blaaskanker in 2012, en nog even erna, tot 15 juni 2014 (zie attest van de werkgever). Ook van 1989 tot 1994 was hij werkzaam op de verfafdeling van èB.
Prof. dr. T, die toxicoloog is en ter zake dus een bijzondere expertise heeft, stelde vast dat de heer D.L. gedurende zijn tewerkstelling van 2000 tot 2012 werd blootgesteld aan bepaalde chemische agentia, die amines, fenolen en hydrazines bevatten. Deze gerechtsdeskundige stelde ook de blootstelling aan mogelijke kankerverwekkende isocyanaten vast, die in de lijst van beroepsziekten vermeld worden onder de code 1.103.06, zonder evenwel te verduidelijken of dit soort chemisch agentium volgens de huidige stand van de wetenschap überhaupt blaaskanker kan veroorzaken.
De rechtbank acht het aannemelijk dat de tewerkstelling van de heer D.L. bij B. hem frequenter dan een doorsnee persoon in contact bracht met welbepaalde chemische agentia, vermeld onder de codes 1.124.01, 1.124.02, 1.125.01 en 1.125.02 van het KB van en opgesomd in het eindverslag van de gerechtsdeskundige prof. dr. T. Deze vaststelling op zich volstaat evenwel niet als bewijs van een reële en voldoende blootstelling.
De heer D.L. faalt het bewijs te leveren van een blootstelling die van die aard is of was dat zij een schadelijke invloed kan en kon teweegbrengen die beduidend groter is of was dan de blootstelling van de bevolking in het algemeen, hierbij ook rekening houdende met het feit dat rokers, zoals de heer D.L., evenzeer een hoge kans op blaaskanker hebben, zoals beide gerechtsdeskundigen in de verf zetten. Hij toont evenmin aan dat de blootstelling aan de chemische agentia waaraan hij tot op zekere hoogte werd blootgesteld volgens algemeen aanvaarde medische inzichten in zijn beroepsgroep de overwegende oorzaak van zijn ziekte is. De rechtbank verwijst ter zake naar de volgende elementen:
- de blootstelling aan de desbetreffende chemische agentia was – niettegenstaande de duur van de blootstelling – aan een lage concentratie, aldus prof. dr. T. Een jaarlijks bloedonderzoek door de werkgever, waarvan de resultaten door de heer D.L. niet worden betwist, bracht nooit afwijkende waarden aan het licht die zouden kunnen wijzen op een vorm van intoxicatie of schadelijke blootstelling;
- bij “Bombardier” werd er volgens de gegevens verstrekt aan de gerechtsdeskundige, prof. dr. T., door de schilders-spuiters gebruik gemaakt van een masker met perslucht. Deze maatregel was erop gericht risico’s van blootstelling aan chemische agentia uit te schakelen, minstens te beperken. De heer D.L. brengt geen enkel concreet element naar voor waaruit zou kunnen worden afgeleid dat deze maatregel niet werd toegepast, of zijn effect zou hebben gemist, met als gevolg dat er een blootstelling van schadelijke omvang bestond of ontstond tijdens zijn tewerkstelling. Over het algemeen moet worden vastgesteld dat de heer D.L. aan de rechtbank weinig tot geen concrete gegevens verschaft in verband met zijn concrete arbeidsvoorwaarden en -omstandigheden, waaruit dan een eventuele reële blootstelling zou kunnen worden afgeleid;
- beide gerechtsdeskundigen geven aan dat de chemische agentia waaraan de heer D.L. werd blootgesteld, volgens de huidige algemeen aanvaarde medische inzichten, niet gekend staan als kankerverwekkend, in het bijzonder wat betreft kankers van de urineblaas. Deze chemische agentia gelden in medisch-wetenschappelijke kringen dus ook niet als een overwegende oorzaak van blaaskanker. De heer D.L. toont alvast het tegendeel niet aan. (…)
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 616
Arbrb. Gent (afd. Gent, 3e k.) 6 juli 2021
Zetel: E. de Kezel, rechter; J. Desmet en K. Ryckenboer, recht. soc. zak.
Pleit.: F. Vandaele, synd. afg.; V. Debrauwere, volmachtdr.; mr. M. Raats
M.V.H. t/ OCMW Nazareth (A.R. nr. 19/258/A)
MALADIE PROFESSIONNELLE – SECTEUR PUBLIC – TENDINITE – EXPOSITION AU RISQUE PROFESSIONNEL – MÉTHODE D’ÉVALUATION – DOULEUR À L’ÉPAULE ET MAL DE DOS DÉGÉNÉRATIF – GRILLE OCRA OU MÉTHODE KIM-LHC
La méthode KIM-LHC doit être utilisée comme méthode d’évaluation pour déterminer l’exposition au risque professionnel de tendinite chez le personnel infirmier. Le rapport d’expertise montre que la grille OCRA n’est pertinente en l’espèce qu’en ce qui concerne une sous-tâche spécifique du travail du requérant (préparer les médicaments pour les résidents de l’établissement de soins), et ne peut être utilisée comme outil d’évaluation pour l’ensemble plus complexe de toutes les tâches professionnelles.
(…)
1.-
De rechtsvraag die in onderhavige zaak voorligt is de vraag of eisende partij kan bewijzen dat zij tijdens de periode van tewerkstelling bij verwerende partij blootgesteld is geweest aan het beroepsrisico op de ziekte gekend onder code 1.606.22 (“aandoeningen van de pezen, peesscheden en spier- en peesaanhechtingen (tendinitis) van de bovenste ledematen veroorzaakt door overbelasting van deze structuren ingevolge krachtige, repeterende bewegingen of ingevolge ongunstige houdingen”).
2.-
In zijn definitief verslag besluit de deskundige:
“In deze casus is er sprake van schouderpijn en degeneratieve rugpijn die conservatief wordt behandeld. De vraag stelt zich of de problematiek t.h.v. de schouder (degeneratieve last die werd aangetoond op de CT-scan van de rechterschouder dd. 6 oktober 2017: grote onregelmatige en partiële scheur in de supraspinatus zonder uitbreiding naar de bursa) veroorzaakt werd door een beroepsziekte.
Hiervoor dient een belastingsonderzoek (OCRA-score) uitgevoerd te worden waarvoor Dhr. Antonissen, ergonoom te Stabroek werd aangeschreven. Wegens het bereiken van de pensioengerechtigde leeftijd diende een ander ergonoom aangesteld te worden: Dhr. Brosens E.
In zijn verslag dd. 3/2/2020 noteren we dat voor de deeltaken van de repetitieve belasting van de bovenste ledematen met de OCRA-schaal de definitie van een beroepsziekte niet van toepassing is echter wanneer ze volgens de KIM-LHC-methode wordt geëvalueerd (waarbij ook de persoonsverzorgende taken gescreend worden) is er wel degelijk wel sprake van een beroepsziekte.
lk laat het aan de Rechtbank over om te beslissen welke criteria van toepassing zijn: volgens FEDRIS dient de OCRA-schaal te worden toegepast.
De consolidatiedatum kan bepaald worden op 6 februari 2020 (= datum laatste radiologisch onderzoek).
Er kan, rekening houdend met het verlies aan arbeidsvermogen op de algemene arbeidsmarkt, een blijvende economische invaliditeit van 25 % toegekend worden vermits haar functie zowel links als rechts beperkt is.”
De gerechtsdeskundige heeft beroep gedaan op een domeindeskundige, de heer Eric Brosens, arbeidsdeskundige, wiens bevindingen de volgende waren (voorverslag van de deskundige):
“U vroeg mij om een OCRA-beoordeling uit te werken in het licht van de betwisting voor de erkenning van een tendinopathie
BEROEPSZIEKTE – OVERHEIDSSECTOR – TENDINITIS – BLOOTSTELLING AAN BEROEPSRISICO – EVALUATIEMETHODE –SCHOUDERPIJN EN DEGENERATIEVE RUGPIJN – TOEPASSING OCRA-SCHAAL OF KIM-LHC-METHODE
De KIM-LHC-methode dient te worden gehanteerd als evaluatiemethode voor de bepaling van een blootstelling aan het beroepsrisico op de tendinitis bij verpleegkundigen. Uit het deskundigenverslag blijkt dat de OCRA-schaal in onderhavige zaak enkel relevant is voor wat één specifieke deeltaak van de werkzaamheden van eisende partij betreft (het portioneren en klaarzetten van medicatie voor bewoners van de zorginstelling) en niet gehanteerd kan worden als evaluatiemethode voor het complexere geheel van alle arbeidstaken.
van de rechterschouder als gevolg van een beroepsziekte onder de code 1.606.22.
Mevr. V.H. is sinds 2001 werkzaam als nachtverpleegster in het RVT Wielkine.
FEDRIS evalueert het risico van blootstelling aan repetitieve belasting van de bovenste ledematen met de OCRA-methode.
Als [evaluatiemethode] van het risico van blootstelling aan repetitieve belasting van de bovenste ledematen door het hanteren van geringe gewichten (< 3 kg) kan de OCRA-methode maar gebruikt worden voor de deeltaak van het portioneren en klaarzetten van de medicatie van de residenten.
Uitgewerkt voor deze deeltaak, blijft de OCRA-score onder de aanvaardingscriteria die FEDRIS aanvaardt voor aanvaarding een schoudertendinopathie.
Het klaarzetten van de medicijnen maakt evenwel maar één onderdeel van de nachtdienst van betrokkene uit.
Wanneer ik de van fysieke belasting door van de andere, persoonsverzorgende taken screen met de KIM-LHC methode, die gebruikt wordt voor de evaluatie van de belasting door handmatig optillen, vasthouden en dragen van lasten, kom ik tot de conclusie te komen dat deze taken een hoog risico inhouden voor overbelastingsletsels.
De KIM-LHC methode is ook beschreven in relatie met het risico op het ontstaan van pathologieën ter hoogte van de schouder 4.
De vraag, of de rotator cuff problematiek veroorzaakt werd door een beroepsziekte, kan m.i. niet enkel beantwoord worden vanuit een OCRA-benadering, doch dient ook bekeken te worden vanuit het schouderbelastende karakter van het volledige takenpakket.” (…) 4.-
De deskundige laat in zijn eindverslag de vraag welke evaluatiemethode dient te worden gehanteerd voor de bepaling van de blootstelling aan het beroepsrisico op de ziekte gekend onder code 1.606.22, met name de zgn. ‘OCRA-schaal’ of de zgn. ‘KIM-LHCmethode’, over aan de beoordeling van de Rechtbank.
5.-
Eisende partij houdt in haar repliek op het voorverslag van de deskundige voor dat de KIM-LHC-methode dient te worden gehanteerd als evaluatiemethode voor de bepaling van een blootstelling aan het beroepsrisico op de ziekte gekend onder code 1.606.22 bij verpleegkundigen. In haar conclusie na deskundigenverslag houdt zij bovendien voor dat er in de kern geen echte keuze dient gemaakt te worden: het deskundigenverslag kan ook zo gelezen worden dat beide methoden overlappend zijn en samen toegepast kunnen worden, aangezien de OCRA-schaal in onderhavige zaak enkel relevant
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 617
is voor wat één specifieke deeltaak van de werkzaamheden van eisende partij betreft (het portioneren en klaarzetten van medicatie van bewoners van de zorginstelling), en zeker niet gehanteerd kan worden als evaluatie-instrument voor het complexere geheel van alle arbeidstaken van eisende partij.
Eisende partij herhaalt in die zin ook haar opmerking die zij reeds geformuleerd heeft op het voorverslag van de deskundige. De KIMLHC-methode is haar inziens de meest aangewezen evaluatiemethode voor de bepaling van een blootstelling aan het beroepsrisico op de ziekte gekend onder code 1.606.22, rekening houdend met de globaliteit van haar takenpakket. Ondergeschikt gedraagt eisende partij zich naar de wijsheid van de Rechtbank voor wat de vraag van de vrijwillig tussenkomende partij en de verwerende partij tot heraanstelling van de deskundige betreft.
6.-
De vrijwillig tussenkomende partij meent dat de gerechtsdeskundige opnieuw dient te worden aangesteld met een bijkomende opdracht om duidelijkheid te verschaffen over de vraag welk van de twee evaluatiemethodes (de zgn. ‘OCRA-schaal’ of de zgn. ‘KIMLHC-methode’) dient te worden gehanteerd voor de bepaling van een blootstelling aan het beroepsrisico in onderhavige zaak. De gerechtsdeskundige heeft zich hier zelf niet over uitgesproken, maar heeft deze beoordeling aan de Rechtbank overgelaten, zodat onduidelijkheid blijft bestaan over de vraag welke evaluatiemethode vanuit medisch-wetenschappelijk perspectief in deze zaak het meest aangewezen is. De verwerende partij sluit zich aan bij dit standpunt van de vrijwillig tussenkomende partij.
(…)
9.-
(…)
Bij de beoordeling van de bewijswaarde van het deskundigenverslag kan de rechtbank dus nagaan welke epistemische vereisten moeten worden gesteld aan een deskundigenrapportage, en of aan deze vereisten is voldaan, mede in het licht van de (evidence based) medische wetenschap (zie hierover: D.L. Sacket e.a., “Evidence based medicine : what it is and what it isn’t”, British Medical Journal 1996, p. 71-72), tenminste voor zover hierover gemotiveerd discussie is gevoerd tussen (de raadsgeneesheren van) partijen.
Toegepast in de concrete zaak stelt de Rechtbank vast dat enkel eisende partij gereageerd heeft op de bevindingen van de domeindeskundige in het voorverslag van de gerechtsdeskundige. Zij merkte op: « Volgens https://www.ergonomiesite.be/risicoanalyser is de KIM methode de meest aangewezen methode voor de bepaling van het risico bij verpleegkundigen in RVT-diensten. » (…)
11.-
De Rechtbank overweegt dat aan de blootstellingscriteria die gehanteerd worden door Fedris weliswaar een zekere wetenschappelijke bewijswaarde toekomt, maar dat deze ook niet al te rigide mogen worden toegepast, gelet op het feit dat zij niet het karakter hebben van wettelijk bindende normen.
Dit zou overigens ook niet stroken met de wettelijke opdracht van de beroepsziekteverzekeraar om een tegemoetkoming te verstrekken aan alle slachtoffers van een beroepsgebonden aandoening (zie in deze zin reeds eerder: M. VANDEWEERDT, “De noodzaak van blootstellingscriteria bij de uitvoering van de wet op de beroepsziekten”, BTSZ 1989, p. 275-285).
De Rechtbank acht zich dus niet gebonden door de blootstellingscriteria die Fedris hanteert.
12.-
Waar moet de rechtbank dan wel op varen om tot een gewogen oordeel te komen?
Vooropstaat dat de kern van de beroepsziekteregeling er nu juist in bestaat dat de getroffene van een beroepsziekte niet meer het individuele causaal verband tussen zijn/haar gezondheidsschade en het specifieke beroepsrisico op de ziekte moet bewijzen, maar kan volstaan met een meer algemeen (statistisch) bewijs dat hij of zij gedurende de periode van de tewerkstelling of een gedeelte ervan daadwerkelijk blootgesteld is geweest aan het beroepsrisico op een beroepsziekte, in die mate dat de blootstelling deze ziekte waar hij/ zij aan lijdt kan verklaren.
Toegepast in de concrete zaak overweegt de Rechtbank dat daarbij alle werkzaamheden die de betrokkene verricht (heeft) in de uitoefening van haar beroepswerkzaamheden als parameter mee in overweging moeten worden genomen bij de beoordeling, en dat dus niet de fausse route mag worden gevolgd van een reductionistische benadering (in onderhavige zaak in die zin begrepen dat enkel het uitvoeren van een specifieke deeltaak van de betrokkene gehanteerd zou worden als beoordelingsparameter).
De Rechtbank stelt vast dat het verslag van de domeindeskundige waarin deze de toepassing van de ‘KIM-LHC-methode’ verdedigt, voldoende epistemisch onderbouwd is, en inhoudelijk niet door de (raadsgeneesheren van) de partijen, noch door de gerechtsdeskundige zelf, werd tegengesproken, zodat dit verslag haar voldoende overtuigt. Op die grond oordeelt de Rechtbank dat het niet opportuun voorkomt om de gerechtsdeskundige opnieuw aan te stellen.
13.-
De Rechtbank herneemt de motivering en conclusie van het verslag van de domeindeskundige en maakt deze tot de hare.
Gelet op het voorgaande moet vastgesteld worden dat de vordering van eisende partij gegrond is. (…)
Arbrb. Gent (afd. Brugge, 3e k. B) 25 oktober 2021
Zet.: K. Nevens, recht.; M.-P. Bibaer en D. Defever, recht. soc. zak. Pleit.: Mrs. J. D’Hulster en T. De Gendt
J.M. t/ OCMW Brugge en J.M. t/ AZ Sint-Jan Brugge-Oostende (A.R. nrs. 18/327/A en 18/575/A)
MALADIE PROFESSIONNELLE – SECTEUR PUBLIC – EXPOSITION
AU RISQUE PROFESSIONNEL – SYNDROME DU CANAL CARPIEN ET SYNDROME DU TUNNEL CUBITAL – TRAVAIL DE DACTYLOGRAPHIE
Le travail de dactylographie effectué par un fonctionnaire n’expose pas au risque de syndrome du canal carpien, ni au risque de syndrome du tunnel cubital. Ce risque n’est présent que dans les travaux manuels lourds avec des machines vibrantes et dans les travaux impliquant un appui prolongé sur les coudes.
BEROEPSZIEKTE – OVERHEIDSSECTOR – BLOOTSTELLING AAN BEROEPSRISICO – CARPAALTUNNELSYNDROOM EN SULCUS ULNARIS SYNDROOM – DACTYLOGRAFISCH WERK
Een ambtenaar die dactylografisch werk verricht wordt niet blootgesteld aan het risico van het carpaaltunnelsyndroom, noch aan het risico van ulnarissyndroom. Dit risico is slechts aanwezig bij zware handenarbeid met trillende machines en bij werkzaamheden die een langdurig steunen op de ellebogen inhouden.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 618
(…)
Vaststelling van de beroepsziekte
Eisende partij was van 1969 tot en met 31 december 2008 medische secretaresse in het Henri Serruys Ziekenhuis. Zij had een statutair dienstverband, eerst bij het OCMW Oostende, later bij de autonome verzorgingsinstelling. Deze instelling werd vanaf 1 januari 2009 overgenomen en opgenomen door de autonome verzorgingsinstelling AZ Sint-Jan Brugge-Oostende. (…)
Artikel 4 van het voornoemde KB1 bepaalt dat de beroepsziekten als zodanig erkend ter uitvoering van de artikelen 30 en 30bis van de wetten betreffende de preventie van beroepsziekten en de vergoeding van de schade die uit die ziekten voortvloeit, gecoördineerd op 3 juni 1970, aanleiding geven tot vergoeding.
Inzake het begrip beroepsziekte, en enkel wat dit betreft, verwijst de toepasselijke wetgeving dus naar de gecoördineerde Beroepsziektenwet, die geldt voor de private sector (M. BOLLAND, “La réparation des maladies professionnelles dans les administrations provinciales et locales : l’arrêté du 21 janvier 1993”, JTT 1995, 218).
Een Koninklijk besluit van 28 maart 1969 bepaalt, in uitvoering van artikel 30 van voornoemde wet, de lijst van beroepsziekten.
“Aantasting van de zenuwfunctie door druk” is een erkende beroepsziekte (code 1.606.51), zij het dat de omschrijving tot 17 november 2002 luidde als “zenuwverlamming door druk” (cf. KB van 2 augustus 2002, BS 7 november 2002). Deze beroepsziekte werd voor het eerst erkend bij KB van 12 juli 1991 (BS 21 augustus 1991).
Artikel 30bis van de gecoördineerde Beroepsziektenwet bepaalt voorts dat ook ziektes die niet voorkomen op de lijst, onder de voorwaarden bepaald door de Koning, eveneens aanleiding geven tot schadeloosstelling, indien bewezen wordt dat zij op een determinerende en rechtstreekse wijze het gevolg is van de beroepsuitoefening.
Artikel 5 van het reeds aangehaalde KB van 21 januari 1993 bepaalt dat de schadevergoeding voor een beroepsziekte verschuldigd is wanneer de door de ziekte getroffen persoon aan het beroepsrisico van die ziekte blootgesteld geweest is gedurende de gehele periode of een gedeelte van de periode dat hij tot het personeel, bedoeld in artikel 2 van dat KB (inzake het personele toepassingsgebied), behoorde.
Onder beroepsrisico moet worden begrepen: het risico om een beroepsziekte op te lopen door de loutere aanwezigheid op het werk, zelfs wanneer de arbeid van de betrokkene in de onderneming of de dienst niet van aard is om de betreffende ziekte te veroorzaken (Verslag aan de Koning bij het KB van 5 januari 1971 betreffende de schadeloosstelling van beroepsziekten in de publieke sector, BS 19 januari 1971, 636).
Nog belangrijker is dat dit artikel in zijn tweede lid ook bepaalt dat – behoudens tegenbewijs – wordt vermoed dat ieder werk, verricht tijdens de in het vorig lid bedoelde periode bij de in artikel 2 vermelde besturen en instellingen, de getroffene blootgesteld heeft aan het beroepsrisico van de beroepsziekte.
Het betreft een weerlegbaar vermoeden van blootstelling aan het beroepsrisico door het loutere feit van de tewerkstelling (P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, Brussel, Larcier, 2015, 306; F. JASPART en F. DEMET, “Les maladies professionnelles. Secteur public” in M. DUMONT (ed.), Actualité de la sécurité sociale, Luik, CUP, 2004, 841).
Het is hierbij ook van belang te benadrukken dat de beoordeling van de blootstelling niet dient te gebeuren aan de hand van de omschrijving en criteria die is en zijn vervat in artikel 32 van de gecoordineerde Beroepsziektenwet, die geldt voor de private sector. De wetgeving die van toepassing is in deze zaak, bevat immers géén (kruis) verwijzing naar dit artikel. Het Hof van Cassatie heeft in het verleden al duidelijk gemaakt dat artikel 32 van voornoemde wet niet van toe-
1 Koninklijk besluit van 21 januari 1993 betreffende de schadeloosstelling voor beroepsziekten, ten gunste van sommige personeelsleden uit de provinciale en plaatselijke overheidsdiensten, die onder andere ook van toepassing is op personeelsleden van OCMW’s en verenigingen van OCMW’s.
passing is met betrekking tot ambtenaren of werknemers waarop het KB van 21 januari 1993 van toepassing is (Cass. 4 april 2016, S.14.0039.F, op eensluidende conclusie van advocaat-generaal GENICOT).
Uit de voornoemde wetsbepalingen vloeit voort dat een ambtenaar of werknemer (van een OCMW-vereniging) die schadeloosstelling wenst te bekomen voor een beroepsziekte:
a) ofwel moet aantonen dat hij getroffen werd door een ziekte die op de lijst staat.
De blootstelling aan het beroepsrisico wordt vermoed, zodat het aan de tewerkstellende overheid toekomt een gebrek aan blootstelling aan te tonen. De tewerkstellende overheid draagt dus de bewijslast van een negatief feit (M. BOLLAND, “La réparation des maladies professionnelles dans les administrations provinciales et locales: l’arrêté du 21 janvier 1993”, JTT 1995, 220; R. JANVIER, “De beroepsziekten in de publieke sector”, Soc.Kron. 1991, 356-357).
Het bewijs van een oorzakelijk verband tussen zijn of haar ziekte en de blootstelling moet de ambtenaar of werknemer niet bewijzen. Dit oorzakelijk verband wordt onweerlegbaar vermoed (M. BOLLAND, “La réparation des maladies professionnelles dans les administrations provinciales et locales: l’arrêté du 21 janvier 1993”, JTT 1995, 220; R. JANVIER, “De beroepsziekten in de publieke sector”, Soc.Kron. 1991, 356; W. VAN EECKHOUTTE, Handboek Belgisch socialezekerheidsrecht, Mechelen, Kluwer, 2009, 180-181).
b) ofwel moet aantonen dat hij getroffen werd door een ziekte die niet op de lijst staat, en dat er een determinerend en rechtstreeks oorzakelijk verband is tussen de ziekte en de beroepsuitoefening, zonder dat evenwel is vereist dat de uitoefening van het beroep de uitsluitende oorzaak is van de ziekte (zie o.a. Cass. 2 februari 1998, Arr.Cass. 1998, 147; Arbh. Luik 29 juni 1995, JTT 1996, 309; Arbrb. Tongeren 12 januari 2001, Soc.Kron. 2002, 400).
Wat betreft het bewijs van de blootstelling kan de ambtenaar of werknemer ook in dit geval een beroep doen op het weerlegbaar vermoeden uit artikel 5, 2de lid van het reeds aangehaalde KB van 21 januari 1993 (Cass. 10 december 2018, Soc.Kron. 2019, 270, concl. adv.-gen. GENICOT). Met andere woorden, op dit punt draagt de tewerkstellende de overheid de bewijslast.
In het tussenvonnis van 8 juni 2020 wees de rechtbank erop dat eisende partij getroffen is door carpaal tunnel syndroom en sulcus ulnaris syndroom. Het gaat om ziekten die vallen onder de omschrijving “aantasting van de zenuwfunctie door druk”. Dit is een beroepsziekte. De rechtbank onderstreepte – in weerwil van het advies van de eerste gerechtsdeskundige en het verweer van het AZ Sint-Jan Brugge Oostende en zijn raadsgeneesheer – dat eisende partij bijgevolg niet moet bewijzen dat de ziekten hun oorzaak vinden in haar beroepsuitoefening. Daarenboven, zo benadrukte de rechtbank, wordt ook de blootstelling aan het beroepsrisico wettelijk vermoed (toepassing van art. 5, 2de lid KB 21 januari 1993). Ook dit moest eisende partij dus niet bewijzen. Het is aan verwerende partij om het tegendeel aan te tonen. Verwerende partij moet met andere woorden met concrete en pertinente feiten en elementen aantonen dat er geen of onvoldoende blootstelling is geweest aan het beroepsrisico.
De rechtbank stelde vast dat verwerende partij, op wie ingevolge het wettelijk vermoeden van blootstelling wel degelijk de bewijslast rust om aan te tonen dat er géén blootstelling is geweest aan het beroepsrisico, onvoldoende standpunt innam over dit geschilpunt. Verwerende partij bracht geen pertinente of overtuigende bewijsmiddelen naar voor, en voerde vooral verweer op gebied van oorzakelijkheid (die nochtans onweerlegbaar wordt vermoed bij een beroepsziekte) en schadebeperkingsplicht.
De rechtbank was bijgevolg van oordeel dat zowel de waarheidsvinding als de oordeelsvorming erbij gebaat was een nieuw en grondiger debat te hebben over de blootstelling aan het beroeps-
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 619
risico, mede in het licht van het geldende vermoeden uit KB van 21 januari 1993, die de bewijslast bij de tewerkstellende overheid legt.
De rechtbank was evenzeer van oordeel dat een aanvullend verslag van een gerechtsdeskundige-neuroloog vereist was in verband met de wetenschappelijk gekende oorzaken van carpaal tunnel syndroom en sulcus ulnaris syndroom, en het risico op blootstelling hieraan door personen die dactylografish werk verrichten. De rechtbank benadrukte dat eventuele conclusies ter zake op een objectieve en neutrale wijze medisch-wetenschappelijk onderbouwd en gestaafd moesten worden, met duidelijke bronvermelding wat betreft de vakliteratuur pro én contra. De rechtbank belastte dr. Deceuninck met deze opdracht. Uit het advies van dr. D. blijkt het volgende:
- Er wordt in de medische wetenschap en literatuur een verband gelegd tussen carpaal tunnelsyndroom enerzijds en verminderde schildklierfunctie, zwaarlijvigheid en reuma anderzijds. Meestal wordt geen specifieke oorzaak gevonden.
- Druk op de medianus zenuw ter hoogte van het polskanaal is een mogelijke oorzaak en komt voor bij personen die zware handenarbeid verrichten waarbij ze druk uitoefenen aan de binnenzijde van de pols en bij het gebruik van trillende machines. Wat betreft het ulnarissyndroom is het zo dat deze inklemming ter hoogte van de elleboog veroorzaakt kan worden door lokale druk, bijvoorbeeld bij het veelvuldig steunen op de ellebogen.
- Er werd in de medische wetenschap reeds onderzoek gedaan naar het verband tussen typwerk en carpaal tunnelsyndroom. Geen enkel onderzoek wijst erop dat er een negatief verband is tussen typwerk en dit syndroom.
Wat betreft het ulnarissyndroom blijkt er geen wetenschappelijk onderzoek beschikbaar dat duiding kan geven over het verband tussen typwerk en dit syndroom. De gerechtsdeskundige merkt echter op een verband onmogelijk voor te stellen is, omdat bij typwerk geen druk op de ulnariszenuw (elleboog) wordt uitgeoefend.
Verwerende partij sluit zich aan bij de bevindingen van de tweede gerechtsdeskundige. Eisende partij gedraagt zich ter zake naar de wijsheid van de rechtbank.
De rechtbank sluit zich aan bij het advies van de gerechtsdeskundige. De gerechtsdeskundige heeft conform de opdracht van de rechtbank, met onderzoek en analyse van de vakliteratuur, op overtuigende wijze elementen naar voor gebracht, die aantonen dat dactylografisch werk een ambtenaar niet blootstelt aan het risico van het carpaal tunnelsyndroom, noch aan het risico van het ulnarissyndroom.
Dit beroepsrisico is slechts aanwezig bij zware handenarbeid met trillende machines en bij werkzaamheden die een langdurig steunen op de ellebogen inhouden. Het staat in deze zaak evenwel niet ter discussie dat eisende partij tijdens haar carrière bij het AZ nooit arbeid van die aard heeft verricht.
Mede in het licht van het advies van de tweede gerechtsdeskundige, besluit de rechtbank bijgevolg dat verwerende partij met de vereiste graad van zekerheid aantoont dat eisende partij niet werd blootgesteld aan het beroepsrisico van de beroepsziekte “aantasting van de zenuwfunctie door druk”. Het wettelijk vermoeden van blootstelling aan het beroepsrisico is zodoende weerlegd.
De vordering van eisende partij is ongegrond. (…)
Sommaires de jurisprudence
Rechtspraak in kort bestek
Grondwettelijk Hof 28 mei 2020
Zet.: A. Alen en F. Daoût, voorz.; T. Merckx-Van Goey en P. Nihoul (verslagg.); T. Giet, J. Moerman en M. Pâques, recht. Pleit.: Mrs. G. Peeters, E. Laevens en V. Pertry
M. V.D.S. t/ Fedris (nr. 78/2020)
MALADIE PROFESSIONNELLE – VICTIMES DE L’AMIANTE – FONDS D’INDEMNISATION – DIFFÉRENTES FORMES SUCCESSIVES DE COHABITATION – DISCRIMINATION
L’article 120, § 2, alinéa 1er, 1°, a) et b), de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il prive du bénéfice de l’intervention du Fonds amiante le conjoint survivant qui, avant ou après que la victime fût ou eût été admise au bénéfice de l’intervention, était marié moins de 365 jours avec la victime décédée, avec laquelle il avait fait une déclaration de cohabitation légale, dès lors que la durée cumulée et ininterrompue du mariage et de la cohabitation légale qui a précédé celui-ci atteint au moins 365 jours.
NOOT
De koers uitzetten zonder blind te varen op de eigen route
1.
Wat is gebeurd? Eisende partij is de echtgenote van de getroffene van een asbestziekte die op 21 augustus 2017 is overleden. Sinds 7 december 2010 woonden partijen wettelijk samen. In december 2016, dit is acht maanden voor
BEROEPSZIEKTE – ASBESTSLACHTOFERS – SCHADELOOSSTELLINGFONDS – VERSCHILLENDE OPEENVOLGENDE SAMENWONINGSVORMEN – DISCRIMINATIE
Artikel 120, § 2, eerste lid, sub a en b van de Programmawet (I) van 27 december 2006 schendt de artikelen 10 en 11 van de Grondwet, in zoverre het de langstlevende echtgenoot het voordeel van de tegemoetkoming van het Asbestfonds ontzegt, wanneer deze minder dan 365 dagen met het overleden slachtoffer was gehuwd, met wie hij, voordat of nadat het slachtoffer aanspraak is beginnen te maken op de tegemoetkoming, een verklaring van wettelijk samenwonen had afgelegd, waarbij de gezamenlijke en onafgebroken duur van het huwelijk en het daaraan voorafgaande wettelijk samenwonen minstens 365 dagen bedraagt.
het overlijden van de asbestgetroffene, zijn partijen in het huwelijk getreden. Na het overlijden van haar echtgenoot, op 13 september 2017, diende eisende partij een aanvraag in bij het Asbestfonds tot het verkrijgen van een vergoeding als rechthebbende.
Bijzonder aan deze zaak was dat de partijen voor hun huwelijk, tijdens hun periode van wettelijke samenwoonst, niet de overeenkomstig artikel 1478 van het oud BW bedoelde overeenkomst hadden gesloten die beide partijen tot wederzijdse bijstand verplicht en die, zelfs na een eventuele breuk, finan-
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ciële gevolgen kan hebben, maar wel een overeenkomst waarin een beding van aanwas van vruchtgebruik werd bedongen, die ook financiële bescherming bood aan de wettelijk samenwonende partner.
2. Artikel 120, § 2, eerste lid van de Programmawet (I) van 27 december 2006 bepaalt dat volgende personen als rechthebbende van een asbestslachtoffer voor een vergoeding van het Asbestfonds na het overlijden van de asbestgetroffene in aanmerking komen:
“1° de echtgenoot die op het tijdstip van het overlijden noch uit de echt, noch van tafel en bed gescheiden is, dan wel de partner die op het tijdstip van het overlijden van het slachtoffer wettelijk met hem samenwoonde en, overeenkomstig artikel 1478 van het Burgerlijk Wetboek, met hem een overeenkomst had gesloten die beide partijen tot wederzijdse bijstand verplicht en die, zelfs na een eventuele breuk, financiële gevolgen kan hebben, alsook op voorwaarde dat:
het huwelijk werd gesloten of de wettelijke samenwoning is aangevangen op een tijdstip dat het slachtoffer nog geen aanspraak maakte op de bij deze wet georganiseerde schadeloosstelling; of
het huwelijk werd gesloten of de wettelijke samenwoning aanving na het tijdstip waarop het slachtoffer aanspraak is beginnen te maken op de bij deze wet georganiseerde schadeloosstelling, voor zover dat huwelijk is gesloten of die wettelijke samenwoning is aangevangen ten minste 365 dagen voor het overlijden van het slachtoffer; of
uit het huwelijk of de wettelijke samenwoning een kind geboren is; of
- de echtgenoten of de wettelijk samenwonenden op het tijdstip van het overlijden een kind ten laste hadden, voor wie een van beiden kinderbijslag ontving.”
“2° de langstlevende echtgenoot die uit de echt of van tafel en bed is gescheiden en die wettelijk of conventioneel onderhoudsgeld genoot ten laste van het slachtoffer, alsook, in het kader van een ontbonden wettelijke samenwoning, de langstlevende partner die conventioneel onderhoudsgeld genoot ten laste van het slachtoffer;”
“3° de kinderen, zolang ze recht hebben op kinderbijslag en in elk geval tot de leeftijd van 18 jaar.”
3.
De aanvraag van eisende partij werd door Fedris, in naam van het Asbestfonds, verworpen bij beslissing van 16 oktober 2017, op grond van volgende motivering:
“Het huwelijk werd gesloten/De wettelijke samenleving nam een aanvang op een ogenblik dat het slachtoffer reeds erkend werd door het Asbestfonds. Om recht te hebben op het kapitaal, had het huwelijk/de wettelijke samenleving minstens één jaar voor de overlijdensdatum gesloten moeten worden [overeenkomstig artikel] 120, § 2 van hoofdstuk VI van titel IV van de programmawet van 27 december 2006 tot oprichting van een Schadelosstellingfonds voor asbestslachtoffers).”
In eerste lijn bevestigde de arbeidsrechtbank Antwerpen bij vonnis van 20 december 2018 deze beslissing van Fedris.
4.
Na hoger beroep stelde het arbeidshof Antwerpen (afdeling Antwerpen) bij tussenarrest van 20 augustus 2019 (A.R. nr. 2019/AA/35) vast dat op het tijdstip van het overlijden van de asbestgetroffene, de eisende partij gehuwd was met de getroffene en dat de wettelijke samenwoonst reeds was aangevangen op het tijdstip dat de getroffene nog geen aanspraak maakte op de schadeloosstelling van het Asbestfonds, én de gezamenlijke duur van de wettelijke samenwoonst en het huwelijk minstens 365 dagen bedroeg. Bij tussenarrest van 20 januari 2020 stelde het arbeidshof vervolgens de volgende twee prejudiciële vragen aan het Grondwettelijk Hof:
“Schendt artikel 120, § 2, eerste lid, 1° b) Programmawet (I) van 27 december 2006 de artikelen 10 en 11 van de Grondwet, in zoverre het het voordeel van de schadeloosstelling toekent aan de langstlevende echtgenoot die gehuwd was na het tijdstip waarop het slachtoffer aanspraak is beginnen te maken op de bij deze wet georganiseerde schadeloosstelling en die ten minste 365 dagen gehuwd was voor het overlijden van het slachtoffer en de langstlevende echtgenoot in deze hypothese (gehuwd na het tijdstip waarop het slachtoffer aanspraak is beginnen te maken op de bij deze wet georganiseerde schadeloosstelling) die minder dan 365 dagen was gehuwd voor het overlijden van het slachtoffer van het voordeel ervan uitsluit, hoewel de
echtgenoten onmiddellijk voordien wettelijk samenwoonden na een verklaring van samenwoning overeenkomstig artikel 1476 van het Burgerlijk Wetboek en waarbij de gezamenlijke duur van het huwelijk en de wettelijke samenwoning minstens 365 dagen bedraagt?”
“Schendt artikel 120, § 2, eerste lid, 1°, a) Programmawet (I) van 27 december 2006 de artikelen 10 en 11 van de Grondwet, in zoverre het het voordeel van de schadeloosstelling toekent aan de langstlevende echtgenoot die gehuwd was voor het tijdstip waarop het slachtoffer aanspraak is beginnen te maken op de bij deze wet georganiseerde schadeloosstelling en het de langstlevende echtgenoot die op het tijdstip waarop het slachtoffer aanspraak is beginnen te maken op deze schadeloosstelling wettelijk samenwoonde (na een verklaring van samenwoning overeenkomstig artikel 1476 van het Burgerlijk Wetboek) zonder een samenlevingsovereenkomst zoals bepaald door artikel 120, § 2 van de Programmawet, van het voordeel ervan uitsluit?”
Bij arrest van 28 mei 2020 (nr. 78/2020) heeft het Grondwettelijk Hof deze vragen positief beantwoord.
Het Grondwettelijk Hof steunde zijn beslissing op grond van volgende motieven:
“B.5. De bekommernis om misbruiken tegen te gaan, vermocht de wetgever redelijkerwijs ertoe te brengen voorwaarden op te leggen om als gerechtigde van een tegemoetkoming van het Asbestfonds in aanmerking te kunnen komen, onder meer wat betreft de samenlevingsvorm, de nadere regels ervan, het ogenblik van het aangaan en de duur ervan, en het tijdstip waarop het slachtoffer aanspraak is beginnen te maken op die tegemoetkoming. Die voorwaarden zijn, wat de langstlevende echtgenoot betreft, louter gebaseerd op de hypothese van een huwelijk dat aan het overlijden voorafgaat.
De opgelegde voorwaarden gaan uit van de idee dat zij het risico op misbruiken beperken, daar wordt opgelegd dat op bepaalde ogenblikken, of tijdens een bepaalde duur voorafgaand aan het overlijden een duurzame, nauwe en intieme band tussen de gerechtigde en het slachtoffer bestond. Tegelijkertijd stelt het Hof vast dat die voorwaarden geen rekening houden met situaties waarbij onderscheiden samenlevingsvormen elkaar onmiddellijk opvolgen.”
“B.6. Door voor het toekennen van een tegemoetkoming van het Asbestfonds aan de langstlevende echtgenoot of langstlevende partner de voorwaarde op te leggen van een minimumduur van 365 dagen huwelijk of wettelijk samenwonen met een authentiek samenlevingscontract waarin wederzijdse bijstandsplichten zijn opgenomen, heeft de wetgever bepaalde misbruiken willen ontmoedigen, zoals het huwelijk of het wettelijk samenwonen in extremis, waarvan de enige bedoeling is het de langstlevende echtgenoot of partner mogelijk te maken de tegemoetkoming te genieten. De wetgever heeft evenwel aanspraakmogelijkheden aanvaard die uitgaan van de idee dat in bepaalde situaties de omstandigheden aantonen dat, hoewel het overlijden minder dan één jaar na het huwelijk heeft plaatsgehad, dat huwelijk niet enkel is voltrokken om het voordeel te verkrijgen.”
“B.7. Het Hof heeft bij zijn arrest nr. 60/2009 van 25 maart 2009 in dat verband geoordeeld dat, hoewel de wetgever bij het tegengaan van risico’s op misbruiken inzake uitkeringen over een ruime beoordelingsbevoegdheid beschikt om de voorwaarden voor het verkrijgen van een tegemoetkoming of uitkering te bepalen, de voorwaarden rekening dienen te houden met bepaalde gevallen van opeenvolgende samenlevingsvormen waarvoor ook dient te worden aangenomen dat het risico op misbruik beperkt is.
Dit geldt a fortiori voor de gevallen waarbij de opvolgende samenlevingsvormen zwaardere verplichtingen voor de betrokkenen met zich meebrengen.” (…)
“B.8. Het is derhalve niet redelijk verantwoord om de langstlevende echtgenoot, die minder dan 365 dagen met het overleden slachtoffer was gehuwd, met wie hij, voordat het slachtoffer aanspraak is beginnen te maken op de tegemoetkoming, een verklaring van wettelijk samenwonen had afgelegd, of de langstlevende echtgenoot die, voordat het asbestslachtoffer aanspraak is beginnen te maken op de tegemoetkoming, met hem een verklaring van wettelijk samenwonen had afgelegd, waarna zij minder dan 365 dagen gehuwd waren, en waarbij de gezamenlijke en onafgebroken duur van het huwelijk en het daaraan voorafgaande wettelijk samenwonen minstens 365 dagen bedraagt, het voordeel van de tegemoetkoming van het Asbestfonds te ontzeggen.”
Bij eindarrest van 19 april 2021 besliste het arbeidshof Antwerpen (afdeling Antwerpen) op grond van deze uitspraak dat eisende partij wel degelijk aan
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de voorwaarden beantwoordt om als rechthebbende te worden beschouwd, waarna het arbeidshof de vordering van eisende partij ook gegrond verklaarde.
5.
Wat leren deze uitspraken ons nu?
Uiteraard behoort het tot de verantwoordelijkheid van de wetgever om de koers uit te zetten inzake de verdeling van de gelden van de sociale zekerheid op grond van beleidsmatige keuzes en om de mogelijkheid van misbruiken te voorzien. Daarbij geldt ook dat die keuzes moeten worden vertaald in wet- en regelgeving, zodat ze voor elk individueel geval uitvoerbaar zijn. Om problemen in de uitvoeringsfase van regelgeving te voorkomen, moet ten tijde van het maken van wet- en regelgeving daarom ook worden nagegaan of de inrichting van de regelgeving wel rekening houdt met potentiële verschillen in de toepassingssituaties.
De casus die aanleiding gaf tot de besproken arresten van het arbeidshof en van het Grondwettelijk Hof toont aan dat het totale beeld voor de wetgever van alle mogelijke toepassingsgevallen (en uitsluitingsgevallen) van een vergoedingsregeling voor de partner van een asbestgetroffene niet eenvoudig in
wetgeving te gieten valt. Dat ligt lastig precies omdat er vandaag geen uniform gezinsmodel meer bestaat, maar bv. ook ‘situaties waarbij onderscheiden samenlevingsvormen elkaar onmiddellijk opvolgen en waarbij de gezamenlijke en onafgebroken duur van het huwelijk en het daaraan voorafgaande wettelijk samenwonen minstens 365 dagen bedraagt’ zoals in deze casus het geval was. De wetgever zou m.i. hier dan ook beter inzetten op het comply-or-explain-model: ofwel voldoe je aan de voorwaarden, ofwel leg je uit waarom je meent aan de voorwaarden te voldoen om als rechthebbende te worden beschouwd. Mijn advies aan de wetgever zou hier dus zijn: wel de koers uitzetten, maar zonder blind te varen op de eigen route1
Evelien DE KEZEL
1 Zie over een gelijkaardige problematiek: V. ORBAN, « Régimes juridiques de communauté de vie et indemnisation des accidents mortels du travail : quand les ménages ne sont pas tous logés à la même enseigne », Soc.Kron. 2022, 181199 (n.v.d.r.).
Cour Trav. Liège (div. Namur, ch. 6-B), 3 septembre 2020
Siège : H. Mormont, prés. ch. ; Boone et Van Steen, cons. soc. Plaid. : MMes S. Polet loco V. Delfosse, S. Palate et F. Coulon Fedris c/ A.V. et C.P.A.S. de Court-Saint-Étienne (R.G. n° 2019/AN/133)
MALADIE PROFESSIONNELLE – SECTEUR PUBLIC – ADMINISTRATION LOCALE – CHARGE FINANCIÈRE DE LA RENTE – FEDRIS –TIERCE OPPOSITION – RECEVABLE
Aux termes de l’article 24, § 1er, de l’arrêté royal du 21 janvier 1993, les indemnités et rentes dues à la victime d’une maladie professionnelle, qui est occupée par une administration locale, sont payées par celle-ci et récupérées auprès de Fedris. Ce remboursement est limité au montant qui résulte des conclusions établies par Fedris, ou à celui qu’a fixé la juridiction saisie d’une contestation élevée par la victime contre l’administration qui l’emploie. Étant l’institution qui supporte la charge financière finale des indemnités et rentes, Fedris a intérêt à en disputer la débition ou le montant, par la voie d’une intervention volontaire ou d’une tierce opposition.
NOTE
L’analyse de la cour résulte logiquement de la construction laborieuse qu’établit l’arrêté royal du 21 janvier 1993. Toutefois, des litiges tels que celui-ci « n’ » ont pour objet « que » d’apprécier l’incidence des facteurs socio-économiques sur le taux d’incapacité permanente (la cour se réfère à Cass., 11 septembre 2006, Chr. D.S., 2007, 197). Ils n’ont aucun rapport avec ceux que provoque Fedris en prétendant appliquer la loi du 3 juillet 1967 comme
BEROEPSZIEKTE – OVERHEIDSSECTOR – LOKAAL BESTUUR – FINANCIËLE LAST VAN DE RENTE – FEDRIS – DERDENVERZET – ONTVANKELIJK
Krachtens artikel 24, § 1 van het koninklijk besluit van 21 januari 1993 worden de uitkeringen en renten voor het slachtoffer van een beroepsziekte, in dienst van een plaatselijk bestuur, door deze overheid betaald en op Fedris verhaald. Deze terugbetaling is beperkt tot het bedrag vermeld in de conclusies van Fedris of tot het bedrag dat de rechter in het geschil tegen het lokaal bestuur vaststelt. Als instelling die de uiteindelijke financiële last van de vergoedingen en renten draagt, heeft Fedris er belang bij door middel van een vrijwillige tussenkomst of van een derdenverzet het principe van de schuld of het bedrag ervan te betwisten.
s’il s’agissait des lois coordonnées le 3 juin 1970 : voy. Cass., 10 décembre 2018, Chr. D.S., 2019, 270, notes ; Cass., 4 avril 2016, ibid., 314 et ma note. Au reste, Fedris n’a pas besoin pour ce faire d’apparaître dans la procédure : il lui suffit d’avertir l’administration employeuse de ce qu’elle est disposée à lui rembourser – exactement comme le fait l’assureur privé avec lequel la même institution locale a la faculté de contracter en matière d’accidents du travail.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 622
J.J.
A.M.I. – INDEMNITÉS – OUVRIER – LOI SUR LE STATUT UNIQUE – INDEMNITÉ VERSÉE PAR L’ONEM EN COMPENSATION DU LICENCIEMENT APRÈS LE 1ER JANVIER 2014 – INDEMNITÉ DE CONGÉ – PÉRIODES SUCCESSIVES
L’article 103, § 1er, 3°, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, tel qu’il a été modifié par l’article 109 de la loi du 26 décembre 2013 « concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d’accompagnement », dans l’interprétation selon laquelle la période couverte par l’indemnité, versée par l’ONEM en compensation du licenciement d’un ouvrier après le 1er janvier 2014, et la période couverte par l’indemnité de congé, doivent se suivre sans pouvoir coïncider, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
C.C., 18 novembre 2021, n° 162/2021, question préjudicielle posée par Trib. Trav. fr. Bruxelles.
ACCIDENT DU TRAVAIL – IMMUNITÉ – FORMATION PROFESSIONNELLE INDIVIDUELLE EN RÉGION FLAMANDE
Les articles 1er, 2 et 46 de la loi du 10 avril 1971 ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les mandataires et les préposés de l’employeur ne peuvent invoquer le régime d’immunité civile prévu à l’article 46 lorsque la victime d’un accident du travail est une personne qui suit une formation professionnelle individuelle au sens des articles 90 et suivants de l’arrêté du Gouvernement flamand du 5 juin 2009 portant organisation de l’emploi et de la formation professionnelle.
C.C., 8 novembre 2018, n° 154/2018, question préjudicielle posée par Civ. Flandre orientale, div. Termonde.
ACCIDENT DU TRAVAIL – SECTEUR PUBLIC – CAPITAL REPRÉSENTATIF DES RENTES FUTURES
L’article 14, § 3, de la loi du 3 juillet 1967, interprété comme permettant à un assureur subrogé dans les droits d’un employeur public de réclamer au tiers responsable le remboursement d’un capital représentatif des rentes futures, calculé librement par cet assureur sans base légale et sans que ce calcul tienne compte de ce qu’en cas de décumul justifié par l’arrivée à la pension de l’agent, l’assureur ne devra plus verser la totalité de la rente mais bien une rente réduite, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
C.C., 28 mai 2020, n° 75/2020, questions préjudicielles posées par Trib. Trav. Liège, div. Verviers.
Jurisprudence des cours supérieures
Rechtspraak van de hogere gerechtshoven
ZIV – UITKERINGEN – ARBEIDER – WET EENHEIDSSTATUUT – COMPENSATIEVERGOEDING DOOR DE RVA BETAALD BIJ ONTSLAG NA
1 JANUARI 2014 – OPZEGVERGOEDING – OPEENVOLGENDE PERIODES
Artikel 103, § 1, 3° ZIV-Wet, zoals gewijzigd bij artikel 109 van de wet van 26 december 2013 « betreffende de invoering van een eenheidsstatuut tussen arbeiders en bedienden inzake de opzeggingstermijnen en de carenzdag en begeleidende maatregelen », in de interpretatie volgens welke de periode die door de na 1 januari 2014 door de RVA aan een ontslagen arbeider betaalde compensatievergoeding wordt gedekt en de periode die door de opzeggingsvergoeding wordt gedekt op elkaar moeten volgen zonder te kunnen samenvallen, schendt de artikelen 10 en 11 van de Grondwet niet.
GwH 18 november 2021, nr. 162/2021, prejudiciële vraag gesteld door Arbrb. Brussel (fr.).
ARBEIDSONGEVAL – IMMUNITEIT – INDIVIDUELE BEROEPSOPLEIDING IN HET VLAAMSE GEWEST
De artikelen 1, 2 en 46 van de Arbeidsongevallenwet schenden de artikelen 10 en 11 van de Grondwet niet, in zoverre de lasthebbers en de aangestelden van de werkgever zich niet kunnen beroepen op de uit artikel 46 voortvloeiende burgerrechtelijke immuniteit wanneer het slachtoffer van een arbeidsongeval een persoon is die een individuele beroepsopleiding volgt, zoals bedoeld in de artikelen 90 en volgende van het besluit van de Vlaamse regering van 5 juni 2009 houdende de organisatie van de arbeidsbemiddeling en de beroepsopleiding.
GwH 8 november 2018, nr. 162/2018, prejudiciële vraag gesteld door Rb. Oost-Vlaanderen (afd. Dendermonde).
ARBEIDSONGEVAL – OVERHEIDSSECTOR – KAPITAAL VOOR TOEKOMSTIGE LIJFRENTEN
Artikel 14, § 3 van de Arbeidsongevallenwet Overheidspersoneel, aldus uitgelegd dat een verzekeraar die in de rechten van een overheidswerkgever treedt, van de aansprakelijke derde de terugbetaling kan vorderen van een kapitaal dat toekomstige lijfrenten vertegenwoordigt, dat door deze verzekeraar vrijelijk is berekend zonder enige rechtsgrondslag en zonder dat bij deze berekening rekening is gehouden met het feit dat de verzekeraar in geval van decumulatie, gerechtvaardigd door de oppensioenstelling van het personeelslid, niet langer de volledige lijfrente maar een verminderde lijfrente zal moeten betalen, schendt de artikelen 10 en 11 van de Grondwet niet.
GwH 28 mei 2020, nr. 75/2020, prejudiciële vragen gesteld door Arbrb. Luik (afd. Verviers).
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 623
ACCIDENT DU TRAVAIL – SECTEUR PUBLIC – RENTE – RÈGLE ANTICUMUL – RENTE VIAGÈRE EN SECTEUR PRIVÉ
L’article 6, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 « sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public » viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il ne réduit pas le montant d’une rente pour incapacité permanente de travail lorsqu’il est inférieur à la limite de 25 % que cette disposition prévoit et lorsque la somme de cette rente et d’une rente viagère perçue par la même personne en application de l’article 24, dernier alinéa, de la loi du 10 avril 1971 excède cette limite, alors qu’il réduit le montant d’une telle rente, au motif que la somme de cette rente et d’une autre rente du même type excède la limite de 25 %.
C.C., 14 janvier 2021, n° 1/2021, question préjudicielle posée par Cour Trav. Liège, div. Namur.
ACCIDENT DU TRAVAIL – INTERDICTION DE CUMUL – ÉTENDUE –CALCUL PAR POSTE DE DOMMAGE
L’indemnité que la victime peut réclamer au tiers responsable, après indemnisation par l’assureur accidents du travail, doit être calculée séparément pour chaque poste de dommage.
Cass. (3e ch.), 25 mai 2021, P.21.0270.N, Baloise Belgium c/ J.D., cassation de Corr. Bruxelles (nl.), 2 décembre 2020.
ACCIDENT DU TRAVAIL – ACCORD ENTRE L’ASSUREUR ET LA VICTIME – NON-ENTÉRINEMENT PAR FEDRIS – PROJET D’ACCORD
Jusqu’à l’entérinement de l’accord entre l’assureur accidents du travail et la victime, il n’y a qu’un projet d’accord. Les engagements unilatéraux ou accords qui précèdent l’entérinement, peuvent toujours être contestés.
Si Fedris refuse son entérinement, ce projet ne produit aucun effet et la partie la plus diligente doit soumettre le litige au tribunal du travail, qui n’est pas tenu par l’accord des parties.
Cass. (3e ch.), 20 décembre 2021, S.21.0041.N, cassation Cour Trav. Gand, div. Gand, 3 septembre 2020 ; voy. aussi Cass., 4 février 1943, Pas., 1941-1944, 51, qui considère que l’accord en accidents du travail est un contrat solennel.
ARBEIDSONGEVAL – OVERHEIDSSECTOR – RENTE – ANTI-CUMULATIEREGEL – LIJFRENTE IN PRIVÉSECTOR
Artikel 6, § 1 Arbeidsongevallenwet Overheidspersoneel schendt de artikelen 10 en 11 van de Grondwet, in zoverre het het bedrag van een rente wegens blijvende arbeidsongeschiktheid niet vermindert wanneer het bedrag onder de grens van 25 % ligt waarin die bepaling voorziet en de som van die rente en van een lijfrente die door dezelfde persoon met toepassing van artikel 24, laatste lid Arbeidsongevallenwet privésector is ontvangen, die grens overschrijdt, terwijl het het bedrag van een dergelijke rente vermindert om reden dat de som van die rente en van een andere soortelijke rente de grens van 25 % overschrijdt.
GwH 14 januari 2021, nr. 1/2021, prejudiciële vragen gesteld door Arbh. Luik (afd. Namen).
ARBEIDSONGEVAL – CUMULATIEVERBOD – OMVANG – BEREKENING PER SCHADEPOST
De schadevergoeding die het slachtoffer na vergoeding door de arbeidsongevallenverzekeraar kan eisen van de aansprakelijke derde moet voor elke schadepost afzonderlijk worden berekend.
Cass. (3e k.) 25 mei 2021, P.21.0270.N, Baloise Belgium t/ J.D., vernietiging Corr. Brussel (Nl.) 2 december 2020.
ARBEIDSONGEVAL – OVEREENKOMST TUSSEN DE VERZEKERAAR EN HET SLACHTOFFER – GEEN BEKRACHTIGING DOOR FEDRIS –ONTWERP VAN OVEREENKOMST
Tot de bekrachtiging van de overeenkomst tussen de arbeidsongevallenverzekeraar en het slachtoffer is er slechts een ontwerp van overeenkomst. Alle eenzijdige engagementen of akkoorden die aan de bekrachtiging voorafgaan, kunnen steeds worden betwist.
Indien Fedris de bekrachtiging weigert, heeft de overeenkomst geen uitwerking en zal de meest gerede partij het geschil moeten voorleggen aan de arbeidsrechtbank, welke niet gebonden is aan het akkoord.
Cass. (3e k.) 20 december 2021, S.21.0041.N, vernietiging Arbh. Gent (afd. Gent) 3 september 2020; zie ook Cass. 4 februari 1943, AC 1941-44, 34.
Anthemis – die Keure/Chr. D.S. – Soc.Kron., 2022, 9-10 624