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Les Maccabiades
par Alain Arvin-Bérod
Naissance L’idée des Maccabiades, nom donné aux jeux sportifs juifs, est née en 1913 au lendemain des Jeux olympiques de Stockholm. Un jeune instituteur, Joseph Yekoutieli, qui enseignait l’éducation physique dans une école musulmane de la Palestine de l’époque, se dit : Pourquoi ne pas organiser des Jeux olympiques juifs ?
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Observant que les Juifs étaient souvent discriminés quand il s’agissait de prendre part à des compétitions sportives internationales il imagina ces nouveaux jeux. Historiquement sa communauté était réfractaire aux sports des idéaux d’Athènes et de Rome, très différents de ceux de Jerusalem. Mais Yekoutieli se fixa pour objectif de réconcilier les Juifs avec le sport et de faire revivre les jeux du stade. Et de les faire reconnaître par le CIO.
C’est dans ce même contexte à la fois d’émancipation et d’exclusion des Juifs par le sport de la fin du XIX° siècle, que Max Nordau avait lancé en 1898 son appel musculaire à la tribune du deuxième congrès sioniste tenu à Bâle: Nous devons aspirer à créer un «judaïsme du muscle», nous devons devenir de nouveau des hommes aux torses saillants, avec des corps d’athlète et au regard hardi et nous devons élever une jeunesse agile, souple et musclée qui doit se développer à l’image de nos ancêtres, les Hasmonéens, lesMaccabéeset Bar Kokhba. Elle doit parfaitement être à la hauteur des combats héroïques de toutes les nations. Ce judaïsme du muscle renvoie au muscular christian que les headmasters protestants avaient conçu au milieu du XIX° siècle pour moraliser la jeunesse des écoles publiques britanniques . Ce courant accompagnera aussi le développement du sport. La figure de Georges de Saint-Clair éduqué en Angleterre, pionnier du mouvement sportif en France et ami de Coubertin, en témoigne.
Pour les juifs il s’agit de s’’inscrire à nouveau dans une tradition de la force qui s’est exprimée au fil du temps dans des disciplines aussi variées que les arts du cirque et l’haltérophilie, la lutte et la boxe, l’escrime et le jiu-jitsu. Le judaïsme musculaire (Muskeljudentum en allemand) représente pour son auteur une réponse au Judennot (détresse juive). Les dirigeants juifs du sport en Europe ont tenu compte de la philosophie de Nordau : ainsi entre 1896 et 1936 avec les
1ère Maccabiah 2ème Maccabiah

JO de Berlin des athlètes juifs remportent beaucoup plus de médailles pour l’Autriche aux JO que leur proportion dans la population autrichienne totale Si à la fin du XIX° le mouvement olympique et le mouvement sioniste n’avaient que très peu de points communs ils partageaient une même pétition de principes pacifistes et une forme d’organisation transnationale. Après le refus du Comité international olympique de reconnaître l’Union mondiale du Maccabi, Yosef Yekoutieli proposa en 1929 au président du Fonds national juif de créer des Jeux Olympiques juifs.
Le haut-commissaire britannique en Palestine, sir Arthur Wauchope, donna son accord à la condition que les athlètes arabes et les sportifs du mandat britannique puissent également y participer. Les 1ères Maccabiadesse tinrent du 28 mars au 6 avril 1932 à Tel-Aviv. Le défilé des 390 athlètes représentant 18 pays et des 1500 gymnastes est ouvert par le maire socialiste de Tel Aviv Meïr Dizengoff qui parade sur un cheval blanc. Dans le même temps ces années 30 furent le théâtre de la montée de l’antisémitisme en Europe comme l’affaire Dreyfus en France. Ces facteurs vont contribuer à accélérer le mouvement Maccabi. Le projet des Maccabiades aura mûri durant dix-neuf ans et sera reconnu par le Comité olympique international.
Avec le rassemblement de 1350 sportifs provenant de 28 pays, les 2èmes Maccabiades connurent en 1935 un plus grand succès qui s’explique largement par l’essor du mouvement Maccabi en Europe et par sa diffusion ailleurs dans le monde (Egypte, Syrie, Argentine). Sans aller jusqu’à parler d’alyah sportive, il faut signaler que des athlètes profitent des Maccabiades pour s’établir en Palestine mandataire alors même que les autorités britanniques limitent l’immigration juive. Prévues en 1938, les 3èmes Maccabiades sont annulées à cause des persécutions dont sont victimes les Juifs en Europe et des troubles qui secouent la Palestine sous mandat britannique. Elles renaîtront en 1950 en présence du président Chaim Weitzmann et de David Ben Gourion qui déclare à cette occasion : Vivre sur notre terre ancestrale nécessite au moins autant une vigueur et une puissance physique qu’une excellence intellectuelle. Mais entre 1938 et 1950 la tragédie mondiale page
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provoquée par le nazisme allait frapper les juifs dans le monde dont Hitler voulait la disparition totale.
Résistance et résilience Au tout début des années 3, les championnes et champions juifs avaient trouvé place au sein des clubs de la bourgeoisie allemande jusqu’à leur exclusion en 1933. Ils y bénéficiaient d’ailleurs de bien meilleures conditions d’entraînement que dans les clubs juifs. Un grand nombre d’athlètes ne prennent véritablement conscience de leur judéité qu’au moment où ils sont les victimes d’actes et de mesures antisémites. En Autriche précisément l’idée de Nordau du judaïsme musculaire va inspirer les fondateurs d’un club de renom au plan international, l’Hakoah Vienna. Il est particulièrement connu pour son équipe de football. Le journaliste américain Franklin Foer écrivait que l’Hakoah (force en hébreu) était l’une des meilleures équipes de la planète à son apogée au milieu des années 1920. Les joueurs de l’Hakoah décoraient leurs uniformes avec des symboles juifs, tels que l’étoile de David, et avaient adopté des surnoms de chefs militaires juifs historiques, tels que Bar Kochba.
C’est dans ce contexte qu’une nouvelle rencontre aura lieu, mais non programmée celle-là, avec le mouvement olympique avec des conséquences terribles pour les sportifs juifs dans les JO et au-delà du sport. Comment ? En 1931 le CIO se réunit à Barcelone pour élire la ville qui accueillera l’édition de 1936. La capitale catalane désormais républicaine est candidate pour cet accueil et elle fait figure de grande favorite. En Allemagne le régime de Weimar est encore en place et Berlin à la surprise générale l’emporte quelques mois avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Elle avait gagné celle de 1916 annulée pour cause de guerre dont la défaite l’exclura du CIO avant qu’elle ne soit réintroduite après les JO d’Amsterdam de 1928.
Mais c’est une Allemagne désormais dirigée par le Führer qui va orchestrer la propagande nazie sous le vernis pacifique des Jeux renouant même avec le parcours de la flamme olympique Le réalisateur Yaron Zilberman dans son film Watermarks va retrouver des sportives de l’Hakoah qui rappellent qu’en 1909 déjà le décret aryen avait interdit l’accès des juifs aux clubs sportifs autrichiens. Pourtant à Vienne, plus d’un demi-million de spectateurs se réunissaient sur les rives du Danube pour voir le vainqueur des 7 km de natation. Deux nageuses de l’Hakoah dominèrent cette compétition : Hedi Bienenfeld, en brasse, et Fritzi Löwy, bohémienne, lesbienne, sportive au mental d’acier, en nage libre. Les nageuses viennoises deviennent des stars mais en 1936 plusieurs d’entre elles dont Judith Deutsch durent renoncer à se rendre aux JO. Elle sera interdite de compétition, ses records seront même effacés des archives et les excuses viendront ... en 1995.
En 1936 la propagande produira ses effets quand la foule massée pour voir passer le flambeau olympique acclamera les concurrents du club nazi Ewask et observera les membres de l’Hakoah dans un silence absolu. Dans ce contexte pratiquer un sport est loin d’être synonyme d’épanouissement individuel et de divertissement. Pour l’idéologie nazie seuls la discipline, le dressage, et l’encadrement des corps selon le célèbre slogan “ton corps ne t’appartient pas, il appartient au Führer” sont synonymes de sport. Cependant des athlètes et même des champions, souvent isolés, ont su résister à l’emprise totalitaire du régime. Ni politiquement antinazis, ni intellectuellement engagés, Albert Richter (cyclisme) et Max Schmeling (boxe) aiment la gloire et le succès mais refusent d’incarner le modèle aryen et de se laisser utiliser par la propagande du régime. Ils n’adhèrent pas au parti nazi, en dépit d’une forte pression et de menaces de plus en plus explicites. Lorsque le Cérémonies de la 1ère Maccabiah

régime renforce les mesures antisémites, ils refusent de renvoyer leur entraîneur juif et multiplient les gestes de courage et de dissidence.
Il existe deux organisations sportives en Allemagne qui participent tout particulièrement du processus d’assimilation après la Grande Guerre parce qu’elles se refusent à tout engagement sioniste ou politique. L’union Vintus rassemble les clubs indéfectiblement neutres tandis que le Schild(bouclier) est l’émanation sportive de l’Association des vétérans juifs allemands de la Grande Guerre (Reichsbund Jüdischer Frontsoldaten). Le Schild accorde un intérêt particulier à la boxe, au judo et organise des milices de self-défense afin de protéger la communauté juive des agressions antisémites. Durant la guerre néanmoins une forme de résistance collective s’est développée à travers des activités sportives et les déplacements sportifs, souvent parmi les seuls autorisés. Ils ont pu servir de couverture à des formes d’organisation résistante comme les foules des stades ont pu devenir des refuges pour les combattants.
Sport Libre, fondé en 1941 par Robert Mension et Auguste Delaune est le seul exemple de mouvement sportif clandestin français qui a compté dans ses rangs Tola Vologe dont un stade de l’OL porte le nom. Il est une illustration de la participation d’athlètes de clubs civils membres du sport ouvrier aux combats de la Résistance et, plus précisément, un prolongement dans le stade de l’action résistante communiste. Face à Berlin une certaine idée de l’olympisme va se faire jour alors qui contestera dans plusieurs pays le choix du CIO. Il s’agit de composantes du mouvement sportif, du mouvement syndical ouvrier et de partis politiques ; en particulier aux USA où se développe une opposition animée par les syndicats et la communauté juive au premier rang. Cette dernière se mobilise pour renforcer le principe des Maccabiades et d’une terre pour elle. Cette mobilisation va déboucher sur la décision de créer en juillet 1936 une Olympiade de la paix à Barcelone qui sera annulée le jour même de son ouverture par la guerre civile déclenchée par Franco, futur allié d’Hitler.
Les Maccabiades en 2021 Revenues en 1950 les Maccabiades connaissent une 4ème édition en 1953 avant que le principe ne soit adopté de les organiser chaque année qui suit les Jeux olympiques. Yekoutieli devenait le Pierre de Coubertin des Juifs. Les Maccabiades ou les Maccabi Games reconnues par le CIO réunissent des sportifs juifs du monde entier tous les quatre ans. Elles se dérouleront même à Berlin, exactement 70 ans après la fin de la seconde Guerre mondiale. Le mouvement Maccabi, créé au début du XX° siècle, avait vu le jour dans la capitale allemande et avait pour but de contester les interdictions faites aux Juifs de pratiquer des activités sportives. 79 ans après le déroulement des jeux olympiques de 1936, le symbole de ces rencontres sportives sera extrêmement fort puisque les 14emes Maccabiades se dérouleront dans le stade olympique de Berlin qu’Hitler avait fait construire à l’occasion. En tout, 2300 athlètes venus du monde entier participeront à la compétition qui se déroulera jusqu’au 5 août dans la capitale allemande. La 21eme édition des Maccabiades, qui devait avoir lieu au sein de l’Etat juif au mois de juin 2021, a été reportée d’un an en raison de la pandémie de coronavirus actuellement en cours. Les Jeux auront lieu du 12 au 26 juillet 2022, a fait savoir le groupe Games Maccabi World Union Congress. La raison principale du report de la compétition a été le changement de date distinct des Jeux olympiques de Tokyo de 2020 à 2021 en raison de l’épidémie de COVID-19.
Les Maccabiades ne sont pas le seul événement sportif international réservé à un groupe religieux, ethnique, linguistique. Il existe ainsi des Jeux panarabes pour les pays arabes depuis 1953, les Islamic Solidarity Games pour musulmans, les Jeux de la francophonie depuis 1989 pour les pays francophones, les Jeux des petits états d’Europe qui regroupent des nations comme Malte, Monaco, Andorre ou Chypre, les Gay Games pour les personnes homosexuelles, bisexuelles et transsexuelles ; les Island Games pour les pays insulaires… et d’autres à venir !
Alain Arvin-Bérod