8 minute read

Jeux panhelléniques

Si les jeux olympiques sont les jeux sportifs les plus anciens et les mieux connus de la Grèce antique ils sont loin d’être uniques et selon les époques une multitude d’autres « agons » - qualifiés par certains auteurs de jeux isolympiques - les concurrencent dans l’actualité des cités. Certains se succèdent selon un véritable circuit tant sportif qu’artistique : les jeux asclépiens d’Epidaure se tiennent à 15 jours d’intervalle des jeux isthmiques voisins d’une cinquantaine de kilomètres. Avant d’évoquer (trop) brièvement les plus constants il convient de préciser que leurs contenus, comme celui des jeux olympiques eux-mêmes, ne présente pas de stabilité au fil de la douzaine de siècles sur laquelle ils s’étirent et évoluent considérablement tout au long de cette période. En préciser les programmes sans mention de date serait un non-sens historique.

Les Jeux héréens Honneur aux dames … Fondés à Olympie avant d’être déplacés à Argos, les jeux héréens célébrés en l’honneur d’Héra sont surtout connus par les écrits de Pausanias. Selon la légende leur création par Hippodamie, fille d’Œnomaos roi de Pisa, serait simultanée à celle des Jeux olympiques. Selon une version quelque peu plus historique, ils seraient plus tardifs et dus aux seize femmes élues pour pacifier les conflits entre les cités de Pisa et d’Élis nés au VIe siècle av. J.-C. de l’organisation même des jeux olympiques. La mort du tyran de Pisa, Damophon, ayant rétabli la paix au sein de l’Elide elles furent chargées d’organiser le concours des Héraia et de tisser le vêtement pour

Advertisement

Héra. Ces Héraïades ont lieu tous les quatre ans au mois de septembre à deux semaines d’écart des Jeux olympiques masculins.

Présidés par seize femmes mariées issues chacune d’une des seize cités d’Elide, elles sont réservées aux jeunes filles réparties en trois catégories d’âge. A Olympie, ces jeux résidaient en épreuves de course en ligne sur la même piste que les hommes raccourcie d’un sixième, soit environ 160 mètres. La tenue vestimentaire des concurrentes était réglementée : cheveux flottants, tunique légèrement au-dessus du genou et l’épaule droite dénudée jusqu’à hauteur de poitrine. Les lauréates reçoivaient en récompenses une couronne d’olivier sauvage, une part de l’animal sacrifié à Héra et il leur était permis d’ériger leur statue. À partir d’Argos ces jeux, renommés Héraïa, évoluent et font école en se multipliant alors dans d’autres cités.

Les trois soeurs de Tralles En effet, en dehors des périmètres d’Olympie puis d’Argos, les femmes eurent accès à bien d’autres célébrations panhelléniques. On a relevé ainsi dans les

années 1950 sur un piédestal de Delphes les noms de Trifose, Hédée et Dionisie, trois sœurs originaires de Tralles (aujourd’hui Aydın en Turquie), qui participèrent au début de l’ère chrétienne à tous les concours ouverts aux filles pendant seize ans remportant une cinquantaine d’épreuves à elles trois. C’est leur père, Hermesianacte, qui fit élever dans le sanctuaire d’Apollon la stèle recensant leurs exploits. Ceuxci concernent les jeux pythiques de Delphes et de Sicyone, les jeux isthmiques et néméens, les Asclépia d’Epidaure, les Sébasteia d’Athènes … On ne peut préciser si ces victoires relevaient de jeux devenus mixtes ou d’évènements spécialement réservés au sexe féminin organisés sur les mêmes sites. Mais cette découverte montre que l’ostracisme sportif dont la femme grecque aurait été victime dans l’Antiquité est très relatif et qu’il est à tempérer selon les lieux et les époques. L’histoire particulière des crétoises, des spartiates et la célèbre coureuse olympique, bronze hellénique daté du IVe siècle avant J.-C. exposé au musée du Vatican, confirment ce constat.

Les Jeux néméens Les Jeux néméens composaient avec les jeux olympiques, pythiques et isthmiques, l’essentiel du calendrier des grandes rencontres sportives masculines de la Grèce antique organisé en séquences de quatre ans appelées olympiades. Dédiés à la victoire d’Héraclès sur le lion de Némée, ils ont lieu tous les deux ans dans la vallée de l’Argolide entre Cleonae et Phlionte lors de la deuxième et de la quatrième année de chaque olympiade. Ouverts à l’ensemble des Grecs en 573 avant J.-C. ils deviennent alors l’un des grands évènements panhelléniques donnant lieu, comme ceux d’Olympie, de Delphes et les jeux isthmiques à une trêve sacrée.

Organisés à l’origine dans le bois de Némée ils prennent toute leur importance après les victoires de Sparte et d’Athènes sur les Perses aux Thermopyles et à Salamine en - 480. Pour honorer les guerriers morts pour le salut de la patrie celui qui les préside porte des habits de deuil et les vainqueurs reçoivent des couronnes d’une plante mortuaire : l’ache, une variété du céleri. Déplacés à Argos à la fin du V° siècle avant J.-C. ils sont rapatriés à Némée vers - 330 avant de revenir à Argos cinquante ans plus tard sous la domination romaine. Largement équestres, ils devaient être de caractère surtout sportifs car aucun théâtre n’a pu être identifié à proximité du site. Leur histoire reste entachée d’incidents graves : en - 235 la trêve sacrée y est violée par Aratos de Sicyone qui capture les athlètes des cités concurrentes en route vers les jeux néméens pour les revendre comme esclaves. Le site d’Argos reste actif jusqu’à Théodose II. Sur son stade, bien conservé, on releve encore des graffitis d’époque sur les murs du tunnel d’accès.

Les Jeux isthmiques Dès 690 av J.-C. les Jeux isthmiques sont organisés en l’honneur de Poséidon dans un sanctuaire de l’isthme de Corinthe. Les études archéologiques montrent que les évènements sportifs, limités à trois jours, se sont ajoutés ultérieurement à des célébrations religieuses. Organisés tous les quatre ans à l’origine, leur périodicité devient biannuelle, la première et la troisième année de chaque

olympiade, à partir de - 580. C’est lors de ces jeux que l’indépendance de la Grèce libérée de Philippe V de Macédoine est proclamée par Flamininus en - 196. Le succès et l’afflux populaire y étaient si grands qu’on ne pouvait y placer que les principaux personnages de la Grèce et ils survécurent à la destruction de Corinthe par les Romains en - 146. On y disputait successivement des épreuves de lutte, de course à pied, du saut, du lancer du disque et du javelot : le pentathlon de Corinthe. Plutarque signale aussi des concours de musique et de poésie se déroulant simultanément dans le théâtre. On décernait comme prix des guirlandes de pin. Très prisés des Athéniens alors que les Lacédémoniens s’en tiennent à l’écart ils semblent disparaître prématurément vers l’an 130 de notre ère.

Les Jeux pythiques Les Jeux pythiques sont célébrés à Delphes en mémoire de la victoire d’Apollon sur le serpent Python. Ce ne sont à l’origine que des concours musicaux d’hymnes en l’honneur du dieu : les « péans », cantates réglementées et accompagnées à la cithare. Leur périodicité est de neuf ans à l’origine, durée de l’exil d’Apollon pour expier le meurtre de Python, et le concours est doté de prix en argent. Tombés en désuétude à une date inconnue ils sont rétablis vers – 590 après la « guerre sacrée » contre les citées de Cirrha et de Crissa qui rançonnaient les pèlerins du temple d’Apollon. Ils prennent leur forme définitive partir de - 582 pour être célébrés tous les quatre ans pendant une semaine en plein été, la troisième année de chaque olympiade ; les vainqueurs recevaient une couronne de laurier coupée dans la vallée de Tempé. Ce n’est qu’à la fin IV° siècle av J.-C., lorsque le conseil des Amphictyons de Delphes prend le contrôle du sanctuaire, que les évènements sportifs s’y ajoutent. Des épreuves athlétiques et des courses de chevaux se déroulent alors dans la vallée de Crissa au pied du mont Parnasse où la statue en bronze de l’Aurige de Delphes a été trouvée sur le site même du sanctuaire qui est resté prospère jusqu’au règne de Théodose II.

Les jeux pythiques du XXIème siècle Suite à la disparition des épreuves artistiques introduites aux Jeux olympiques modernes par Coubertin un mouvement de rénovation de l’héritage delphique se développe dans la seconde partie du XX° siècle. 100 ans après la rénovation des Jeux olympiques il débouche sur un Conseil international delphique (International Delphic Council ou IDC) créé à l’image du CIO par des délégués de l’Allemagne, l’Argentine, l’Autriche, la Chine, Chypre, l’Équateur , les États-Unis, la France, la Grèce, le Kazakhstan, la Libye, le Liechtenstein, la Lituanie, le Mexique, le Nigeria, les Philippines, la Pologne, la Russie, la Slovaquie et la Suisse en avril 1994 à Berlin. Dès 1997 des jeux juniors sont organisés en Géorgie (Tbilisi) sous la forme d’un festival artistique puis en Allemagne (Dusseldorf), Philippines (Baquio), Afrique du Sud (Johanesbourg) et Etats-Unis (Syracuse, 2015). Dès la création de l’IDC les sections de l’Allemagne, du Bélarus, de la Chine, des États-Unis, de la Géorgie, de la Grèce, du Japon, du Nigeria, des Philippines et de la Russie font preuve de beaucoup de dynamisme. Celle de Russie (NDC Russie), créée en décembre 1998 en présence du secrétaire général de l’IDC Christian Kirsch, organise en 2000 les premiers jeux senior. Elle se retire ensuite de l’IDC pour revendiquer la seule paternité du renouveau delphique, fragilisant l’organisation. Néanmoins les Jeux senior sont encore organisés en septembre 2005 par la Malaisie (Kuching) puis par la Corée du sud (Jeju) en septembre 2009 … avec la participation d’une délégation russe.

Conclusion Véritable terre des jeux, c’est bien en Grèce que ceux-ci reverront le jour de façon éphémère en 1859 puis 1870 sous l’impulsion du mécène Evangelo Zappas, avant même que la publication des fouilles de l’archéologue allemand Ernst Curtius n’attire l’attention du monde cultivé sur le site d’Olympie et que Pierre de Coubertin ne proclame leur rénovation. Le désir de la Grèce d’être considérée à l’origine des Jeux modernes entraînera encore en 1902 l’organisation de jeux intermédiaires, non reconnus par le C.I.O, avant qu’un consensus ne s’établisse autour de la formule actuelle.

Claude Piard

This article is from: