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Les Jeux féminins de Paris

Les premiers Jeux olympiques FEmININS

Paris 1922

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En avril 1921, la Société des bains de mer de Monte Carlo et la Fédération française d’athlétisme organisent ensemble des Olympiades féminines, première rencontre internationale de sportives. Si les Françaises les plus douées du moment se déplacent avec enthousiasme, Alice Milliat y voit avec inquiétude une offensive de la Fédération française d’athlétisme pour contrôler le développement des sports féminins.

Selon la dirigeante française et ses alliés de la Fédération des Sociétés Françaises de Sports Féminins, engagés avec elle dans la lutte pour l’égalité des sexes, les femmes devraient s’adonner à tous les sports, comme les hommes, sans rester cantonnées aux seules gymnastiques « esthétiques », « harmoniques » ou « dansées » qu’on leur réserve habituellement. Par ailleurs, depuis qu’elle se trouve à la tête du club parisien Femina sport (1915) et de la Fédération des Sociétés Fr. de Sports Féminins (1919), elle ne cesse de défendre la direction des sportives par des femmes. On comprend qu’elle ne puisse souscrire aux rencontres monégasques et s’empresse de contreattaquer en créant une Fédération internationale chargée d’organiser des compétitions aux allures plus émancipatrices pour les femmes que les Olympiades de la Grâce organisées à Monaco.

En novembre 1921 la Française explique ses démarches dans la presse sportive nationale: Il y eut d’abord un rapprochement entre la France et les États-Unis et un échange de correspondances entre la Fédération féminine que préside Mme Milliat et un comité américain groupant des clubs universitaires et civils des États-Unis. Ce ne fut que lorsque l’accord entre l’Amérique et la fédération française fut scellé, que Mme Milliat s’adressa à l’Angleterre, à la TchécoSlovaquie et à l’Espagne afin de former un groupement plus important et plus compact. […] De telle sorte que la Fédération internationale fut créée avec l’adhésion de l’Amérique et avec les pouvoirs de l’Espagne par

1er Semestre 2020 les représentantes ou représentants de la Fédération française, que préside Mme Milliat, de l’Angleterre et de la Tchécoslovaquie» (L’Auto, 3 novembre 1921).

Mais l’élection de Milliat à la présidence de la nouvelle Fédération sportive féminine internationale (F.S.F.I.) n’est pas si aisée, car en 1921, si des organisations pour les femmes existent déjà dans plusieurs pays comme en France, celles-ci sont toutes présidées par des hommes. Et leurs intentions ne sont pas toutes aussi progressistes que celles d’Alice Milliat. Elle l’emporte toutefois, mais en reportant habilement la décision du vote à l’année suivante.

La première réunion de la F.S.F.I. officialise la création de Jeux olympiques féminins et la volonté de contrôler toutes rencontres internationales. Mais la finalité de ces Jeux fait débat. Pour Milliat, les Jeux ne sont qu’un moyen pour faire la preuve que les sportives méritent d’intégrer les J.O. masculins, avec un programme égal. Pour les autres dirigeant(e)s, notamment les Britanniques, les Jeux féminins sont une fin en soi, considérant, dans une logique essentialiste, que les sportives doivent inventer leurs propres compétitions, à part des hommes. Ces différences de vues se retrouvent aussi dans le choix des épreuves du programme des Jeux de 1922.

Pour les féministes françaises qui soutiennent Milliat, la conquête du football par les femmes est un enjeu majeur pour la cause égalitariste, mais ce cas est bien isolé dans le monde. Ailleurs, les sports collectifs éventuellement réservés aux sportives sont en premier le basketball (sur petit terrain et sans contact physique), puis, selon les traditions nationales, le hockey en Angleterre, le pushball aux États-Unis, le hazena en Tchéco-Slovaquie ou la barrette en France.

Celui qui fait consensus reste finalement l’athlétisme, déjà roi aux Jeux olympiques masculins. Encore y a-t-il de nombreuses discussions sur les épreuves à choisir pour les femmes : pas d’efforts trop acrobatiques ni trop longs pour les groupements sportifs les plus conservateurs. Ainsi, le 800 m en 1921 à Monte Carlo était déjà perçu comme une hérésie pour les femmes, il disparaitra du concours en 1922. Programmé aux J.O. masculins de 1928 à Amsterdam (sur l’insistance de Milliat), l’épreuve sera aussi annulée par la suite.

À Paris, le programme est finalement restreint pour la première édition des Jeux avec les sprints (60m, 100 yards, 300m, 100 yards haies, 4x110 yards), l’épreuve du 1000m (imposée par Milliat et remportée par deux Françaises), les sauts (hauteur, longueur et longueur sans élan) et les lancers (poids à deux mains et javelot).

Les Jeux prévus le 20 août au Stade Pershing sont organisés sous le patronage du grand quotidien Le Journal, dirigé par Henri Letellier, maire de la prestigieuses Deauville (faut-il voir ici une guerre des stations touristiques via les sports féminins ?). Les journalistes font une couverture assidue de l’évènement tout au long de l’été. Le 4 août, on apprend, photo à l’appui, que l’équipe d’Amérique centrale est arrivée : quatre jeunes « miss » souriantes chaperonnées par un entraîneur en cravate. Mais, on ne reverra jamais cette « team » sur le stade!

Grande favorite, l’équipe américaine qui débarque à Cherbourg le 8 août est composée d’athlètes chevronnées, accompagnées par un médecin, deux entraîneurs, une soigneuse et cinq chaperons! Elles sont toutes étudiantes sur la côte est, du Massachusetts à la Floride. Seule leur capitaine Florida Batson parle français. Elles page

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Alice Milliat

sont aimablement reçues par le Racing club de France qui met ses installations à disposition pour leurs entraînements. L’équipe anglaise fait aussi trembler les journalistes français avec deux records du monde battus pendant leurs éliminatoires. L’équipe tchécoslovaque, composée de dix jeunes filles, avait aussi fait forte impression à Monte Carlo en 1921. On pensait voir la Belgique et l’Italie, mais c’est la Suisse qui alignera sept athlètes sur les lignes de départ. Enfin, l’équipe française présente 32 sportives, issues principalement des grands clubs parisiens : Femina sport, Academia, En-avant, La Clodo, L’Olympique. En tout, les Jeux opposeront une soixantaine de sportives venues de cinq pays, dont, pour la première fois, les États-Unis.

«Je proclame ouverts les premiers Jeux olympiques féminins du monde» … «Une haute émotion passa sur la foule et fit battre les cœurs » (Sportives, 2 septembre 1922).

Le dimanche 20 août 1922, une foule de 20 000 curieux se presse dans les tribunes du stade Pershing, dans le bois de Vincennes, pour assister à ces premières compétitions officielles calquées sur le modèle olympique. Le C.I.O. exigera d’ailleurs que la F.S.F.I. abandonne le mot « olympique ».

Toute la presse sportive et généraliste suit l’évènement de près, à la fois admirative de ces « gracieuses athlètesses » symboles d’une « Humanité nouvelle » mais inquiète aussi de voir le « sexe faible » se surpasser physiquement.

Parmi les cinq équipes présentes, les Anglaises l’emportent haut la main, grâce aux victoires dans les épreuves de courses des étudiantes londoniennes de la Regent Street Polytechnic: Mary Lines, Nora Callebout ou Hilda Hatt. L’équipe américaine ne se hisse qu’à la seconde place avec les médailles en sauts et lancer de poids de Camelia Sabie, Nancy Voorhees et Lucile Godbold « Miss Ludy ».

Les Françaises ne sont pas loin derrière elles en n’obtenant qu’une médaille d’or dans la course du 1000m grâce à Lucie Bréard ovationnée par un public un peu chauvin ! Grâce à l’or aux 60m et à l’argent aux 100 yards de la sprinteuse Marie Mejzlíková, la Tchéco-Slovaquie finit quatrième du concours, devant la Suisse qui n’avait envoyé que des spécialistes des lancers. Au total, ce sont 10 nouveaux records du monde qui sont enregistrés par la F.S.F.I. Le succès de Paris offre un bel élan à la F.S.F.I. pour continuer à organiser des Jeux quadriennaux. Si Alice Milliat semble réussir son pari en assurant trois autres éditions à Göteborg, à Prague et à Londres, les difficultés et les résistances se font de plus en plus fortes à partir des années 1930.

Le Comité international olympique, en la personne du Suédois Siegfried Edström également président de la fédération internationale d’athlétisme, décide de proposer cinq épreuves d’athlétisme féminin à partir de 1928, pour faire concurrence aux Jeux mondiaux de la F.S.F.I.

Les gouvernements, touchés par la crise économique du début des années 1930, diminuent ou mettent fin aux subventions pour les sports féminins.

Et de manière générale, en Europe comme en France, une vague de conservatisme reprend la main sur le mouvement d’émancipation des femmes à l’œuvre depuis les années 1920.

Alors que les Jeux connaissent un réel succès et que la F.S.F.I. compte de plus en plus de pays affiliés, l’aventure internationale doit s’arrêter après 1934, faute de moyens et de soutiens.

Mary Lines © Photo: domaine public

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