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Les Jeux féminins de Monaco
Les olympiades féminines...
A Monaco, sur la promenade qui surplombe la terrasse composée par Vasarely une plaque commémorative appelle l’attention du public : “Sur ces lieux se déroulèrent en 1921, 1922, 1923 les Olympiades féminines,première étape de l’accès des femmes aux Jeux Olympiques.”
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Inaugurée en 2008 par le Prince Albert II et le président de la Fédération Internationale d’Athlétisme (IAAF), respectivement président d’honneur et président de la Fondation internationale pour l’athlétisme, cette plaque renvoie effectivement à la première manifestation sportive ayant mis en présence des sportives venues de plusieurs pays.
L’ouverture du sport féminin à l’international...
En 1921, en France, le sport féminin a acquis un degré de maturité qui lui permet d’envisager une ouverture à l’international. Depuis 1917 existe une Fédération des sociétés françaises de sport féminin (FSFSF) qui, d’année en année voit grossir le nombre des sociétés affiliées. Elles constituent une masse suffisamment critique pour permettre l’organisation de championnats de France dans les activités sportives pratiquées par les femmes. Ainsi, en 1920, le championnat d’athlétisme a compté 243 engagées représentant 12 clubs. La même année a également vu un premier échange international avec l’Angleterre : 4 matchs de football sur le sol anglais suivis de la réception d’une équipe anglaise à l’automne. Une initiative qui, loin d’être isolée, s’inscrit dans une stratégie visant à terme la participation des femmes aux grandes compétitions internationales. Dès 1919, Alice Milliat qui a accédé à la présidence de la FSFSF, a plaidé en ce sens, mais elle s’est heurtée à la farouche hostilité, tant de l’IAAF que du Comité
olympiades

...de Monte-Carlo
International Olympique (CIO). Tout en continuant de développer les rencontres bilatérales, elle va donc rechercher les occasions de légitimer cette revendication. Autrement dit, tout ce qui va pouvoir servir de propagande à de futurs jeux olympiques féminins. C’est sur les rivages de la Méditerranée que se concrétise une première opportunité avec l’organisation, à Monaco du « Premier meeting international
Monte-Carlo
d’éducation physique féminine et de sports féminins ». La cause du sport féminin a en effet trouvé un soutien de taille en la personne de Camille Blanc, président de la Société des Bains de Mer et de l’International Sporting Club de Monaco. L’homme est puissant. Il incarne la mobilisation de la Principauté pour l’accueil des riches hivernants à la fin du XIXème siècle, avec la construction de palaces de prestige et le financement de spectacles. Depuis le début du XXème siècle, ceux-ci se sont élargis aux sports avec des compétitions annuelles à forte participation étrangère (tir aux pigeons, tournois de lawn tennis et d’escrime, concours hippiques, courses des canots et hydravions), mais aussi de grands évènements sportifs, tel le fameux match de boxe Carpentier-Sullivan en 1912.
A l’évidence, une compétition internationale réservée aux femmes entre pleinement dans l’optique de divertissement saisonnier basé sur des spectacles toujours plus originaux et modernes en même temps qu’elle entretient l’image d’une Principauté́ à la pointe des évolutions sociétales en faveur de la paix ou de la condition féminine. C’est donc l’International Sporting Club de Monaco qui assume l’organisation de ce meeting et qui en a fixé la date : du 23 au 31 mars 1921, soit une période qui garantit la présence de l’aristocratie hivernante et locale. Camille Blanc

Pour l’accompagner dans cette entreprise, Camille Blanc peut s’appuyer sur les relations qu’il a établies avec la presse sportive. Une partie d’entre elle suit d’ailleurs avec un œil favorable l’évolution du sport féminin et n’hésite pas à ouvrir ses colonnes à Alice Milliat. On ne s’étonnera donc pas de trouver à des postes clés de l’organisation de l’événement, deux journalistes de l’Echo des Sports, Robert Coquelle et Marcel Delarbre, respectivement en tant que commissaire général et directeur technique. Ce même Delarbre qui, déclarant dans la presse locale que « le Mont Olympe est transféré sur la Côte d’Azur », est à l’origine de la conversion de l’appellation d’origine en « Olympiade féminine » ou encore « Olympiade de la Grâce ». Cependant, la FSFSF n’apparaît pas comme telle parmi les organisateurs et sa présidente n’est pas mentionnée parmi les personnalités présentes. En revanche, elle participe au comité de parrainage et ses principaux cadres sont présents pour accompagner les 45 jeunes femmes sélectionnées par la fédération française. Enfin, ce qui est loin d’être indifférent dans une optique de propagande, la manifestation est placée sous le patronage du tout nouveau sous-secrétaire d’état à l’enseignement technique, Gaston Vidal, ancien président de la défunte Union des Sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) et qui compte l’éducation physique dans ses attributions ministérielles. Il assiste d’ailleurs en personne à la dernière journée du meeting et préside le banquet final où il prononce le discours de clôture.
Une « olympiade » entre mondanités et sports Nous sommes à Monte-Carlo, ce qui implique la nécessité de suivre les codes mondains en vigueur dans de tels évènements dans la Principauté. Après la réception solennelle suivie d’un concert le premier jour, deux soirées de prestige, offertes par l’International Sporting Club sont inscrites au programme. La première, avec le défilé général et la présentation des délégations. La seconde, dans le cadre fastueux de l’Hôtel de Paris, pour le banquet final et la distribution des prix aux concurrentes victorieuses. De même, la presse ne manque pas de dresser la liste, très fournie, des plus hautes personnalités remarquées, chaque journée, dans la tribune d’honneur. Enfin, les épreuves se déroulent dans l’un des lieux les plus emblématiques de la Principauté, le Tir aux Pigeons. Créé en 1872 derrière le casino, bénéficiant ainsi d’une vue sur la mer incomparable, il attire les meilleurs fusils d’Europe et surtout, est devenu le lieu de rencontre de la noblesse européenne, des industriels et autres richissimes étrangers. Il occupe une vaste plateforme gazonnée formant un hémicycle « miraculeusement transformé en stade miniature ».Selon les estimations, ce premier meeting réunit entre 100 et 300 jeunes femmes provenant de cinq pays. Outre la France, sont représentées l’Angleterre, l’Italie, la Norvège et la Suisse. Le programme, étalé sur six jours, est suffisamment éclectique pour prendre en compte les positions de ceux qui, au sein même de la FSFSF, s’opposent à la « virilisation des femmes » qu’une pratique excessive du sport pourrait engendrer. Le volet sportif du programme est donc complété par des démonstrations collectives de danse et de gymnastique rythmique pour satisfaire, selon les mots de Marcel Delarbre, « nos tendances harmoniques, le souci d’élégance naturelle qui marque ce qui est féminin, c’est-à-dire tout ce qui est à la fois charme, grâce et beauté ». Si figurent au programme sportif
un tournoi de basketball et des démonstrations de hockey et de pushball (ballon de 1,80 m de diamètre et de plus de 22 kg à porter et à pousser jusqu’au but de l’adversaire), c’est l’athlétisme qui en est la principale composante avec huit épreuves individuelles : courses de 60 m, 250 m, 800 m, 74 m haies, saut en hauteur et en longueur, lancer du poids et du javelot, et deux relais : 4x75 m et 4x200 m. Bien que l’espace aménagé soit loin de celui, standardisé, des stades, une attention particulière est attachée à la régularité des épreuves. Marcel Delarbre qui est aussi vice-président de la Fédération française d’athlétisme (FFA) en est le garant et s’est fait assister de Michel Renard, secrétaire général de la FFA et de Jacques Roussel qui occupe les mêmes fonctions au Racing Club de France. De fait, conformément à l’esprit qui a présidé à cette rencontre, on se préoccupe moins de la valeur intrinsèque des performances que du palmarès. D’autant que les Françaises ont fait jeu égal avec les Anglaises en s’attribuant les victoires dans le 800 m, le 74 m haies, le saut en hauteur et les deux lancers avec la déjà « scandaleuse » Violette GouraudMorriss. Et ce, malgré l’absence pour blessure de Suzanne Liébrard qui aurait pu concurrencer Miss Lines qui a régné sans partage sur les courses de vitesse. Voilà qui ne peut que flatter le sentiment national et en même temps, rassurer sur la vitalité du sport féminin puisque les femmes sportives françaises ont réussi, plus tôt que les hommes, à rivaliser avec les championnes étrangères et à les vaincre. Plus largement, les avis sont unanimes pour saluer le succès du meeting suivi par « une foule énorme, réservée d’abord, puis unanimement enthousiaste ». Un succès qui n’est sans doute pas sans lien avec la création, le 31 octobre de la même année, de la Fédération sportive féminine internationale (FSFI), dont la France, l’Angleterre, l’Italie et la « TchécoSlovaquie » comptent parmi les premiers adhérents. Un succès qui, aussi, appelle la reconduction de l’événement.

De l’euphorie au réalisme La seconde édition se déroule du 14 au 24 avril 1922. Selon la presse, Camille Blanc «a tenu à ce que cette année, de véritables jeux olympiques féminins renversent les dernières barrières, balayent les dernières oppositions que le passé aux étroites conceptions sexuelles dressait contre ce mouvement de renaissance féminine.» Elle conserve les fastes de la première édition, d’autant qu’elle voit une progression significative, tant du nombre de participantes, estimé entre 300 et 700, que des pays représentés. Se sont ajoutées la Belgique et la « Tchéco-Slovaquie » et la Suède s’est substituée à la
Norvège. Le programme sportif s’est lui aussi étoffé et la durée a presque doublé. Les épreuves d’athlétisme se sont enrichies d’un pentathlon et, surtout, la natation a fait son apparition. Introduction importante car la présence des femmes aux épreuves olympiques de natation est effective depuis 1912 et, contrairement aux autres sports, une seule fédération a la responsabilité du développement de la discipline. La Fédération française de natation et de sauvetage (FFNS) prend d’ailleurs en charge l’organisation de ces épreuves : 100 m et 400 m nage libre, 100 m dos, 200 m brasse, relais 4x50 m 4 nages et 4x50 m nage libre, complétées par un concours de plongeon et un match de water polo. Le tout, dans un bassin de 50 mètres, aménagé dans le port de Monaco, avec la participation de 60 nageuses et plongeuses représentant toutes les grandes nations européennes de natation féminine : Suède, Belgique, Pays-Bas, Italie, Danemark, « Tchéco-Slovaquie », Angleterre et France. Reste que si une partie de la presse, notamment locale, s’enthousiasme sur l’audience et le retentissement de ces journées, des avis dissonants, voire des critiques s’expriment également. Certains ont même précédé l’événement, prenant appui sur les doutes formulés par une partie du corps médical faisant état de la faiblesse physiologique de la femme et du danger d’exercices qualifiés de violents. Des doutes que vont conforter les défaillances spectaculaires constatées à l’arrivée de certaines courses, particulièrement du 800 m. Compte tenu des risques qu’il fait peser sur la légitimité de compétitions féminines internationales, ce constat entraine une modification significative de la 3ème édition. En premier lieu, si l’organisation est toujours confiée à l’International Sporting Club, c’est désormais avec le concours de la FFSF. L’implication d’Alice Milliat qui vient aussi d’être élue à la présidence de la FSFI se traduit par deux décisions qui renforcent le caractère sportif et militant de l’événement. Ainsi est-il d’abord demandé aux nations affiliées à la FSFI de sélectionner des représentantes bien entrainées. En conséquence, seules 94 « athlétesses » sont admises à concourir et plusieurs centaines d’engagements ont été refusés. Un renforcement des critères de participation qui va tempérer l’orgueil national puisque contrairement aux précédentes éditions, les Françaises n’obtiennent qu’une victoire avec Mlle Neveu au 800 m. La seconde décision, plus « politique », concerne les épreuves de natation : contrairement aux attentes qu’elles avaient générées et malgré la volonté exprimée par l’International Sporting Club, elles ne figurent plus au programme de la 3ème édition. Bénéficiant de son « statut olympique », la natation n’a pas besoin d’une propagande supplémentaire, contrairement à l’athlétisme féminin qui, de nouveau, s’est heurté au veto du CIO.
Occupant toujours le terrain du Tir aux Pigeons, mais raccourci à quatre jours, du 4 au 7 avril 1923, le dernier meeting de MonteCarlo se distingue des précédents par une dimension compétitive beaucoup plus affirmée. Par là, il s’inscrit dans la continuité des premiers Jeux mondiaux féminins que la FSFI a organisés à Paris le 20 août 1922 au stade Pershing, avec au programme uniquement des épreuves d’athlétisme.
Bernard Maccario