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Micheline Ostermeyer

Micheline Ostermeyer-Ghazarian (1922 - 2001) Sport et piano

© Photo: Micheline Ostermeyer aux JO de Londres 1948

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Un équilibre entre musique et sport

Bien avant d’être la première - double - championne olympique française, Micheline Ostermeyer, petite nièce de Victor Hugo, est d’abord une pianiste de talent passionnée qui déclarera peu après ses exploits : “Je consacre cinq heures par jour au piano et cinq heures par semaine au sport !” Peu après sa naissance le 23 décembre 1922 à Rang-duFliers dans le Pas-de-Calais, sa famille émigre à Tunis où elle passe son enfance sans être scolarisée. Son père, ingénieur des ponts et chaussées est son précepteur, et sa mère - fille du fondateur du Conservatoire de musique de Vannes et plus tard premier professeur de Brigitte Engerer - son professeur de piano. Après un premier récital à 12 ans, elle est reçue l’année suivante dans la classe de Lazare Lévy au Conservatoire national de musique et d’art dramatique de Paris. Dès le début de elle doit cependant interrompre ses études et rejoindre sa famille en Tunisie où elle reprend ses concerts en 1941 : un triomphe suivi de récitals hebdomadaires à Radio-Tunis et dans toute l’Afrique du Nord.

CHAMPIONNE OLYMPIQUE

Son père, sportif aguerri, l’entraîne aussi dans son sillage pour meubler un relatif manque d’activité. Elle pratique alors le basket-ball l’hiver, l’athlétisme au printemps et l’été, s’entraînant deux fois par semaine. Ses qualités innées et sa taille (1 mètre 79) révèlent vite son potentiel tant en athlétisme qu’en basket où elle sera championne du Liban et d’Afrique du Nord. Mais c’est dans la première discipline qu’elle va briller au firmament du sport à partir de 1943 quand Antoine Oliveri la découvre et l’initie aux secrets du lancer du poids et de la technique du “western roll” au saut en hauteur. En 1945, elle bat le record de France du poids et, de retour en France, prend l’année suivante sa licence au Stade Français non sans provoquer quelques sourires: une pianiste qui lance le poids .... “Ils n’étaient pas au courant de mes performances à Tunis. Je leur ai rappelé que j’avais battu le record de France du poids et que j’avais presque égalé celui du saut en hauteur. Quand je leur ai annoncé, en plus, que j’étais pianiste ils étaient tellement estomaqués que je n’ai pas osé leur dire que je courais aussi très vite...”

Elle les rassure cependant en remportant dans l’année les médailles d’argent de cette spécialité et du 100 mètres aux championnats d’Europe puis la médaille d’or de la hauteur et du poids aux Championnats du monde universitaires de 1947 organisés à Charlety par Pierre Rostini, ancien président du Comité français Pierre de Coubertin… entre autres. Sélectionnée pour les Jeux olympiques de Londres l’année suivante elle y bénéficie de trois chambres, une pour loger avec son piano et deux autres vides de chaque côté car personne ne peut y dormir : elle s’entraîne cinq à huit heures par jour sur son instrument. Investissement payant car elle y décroche trois médailles, l’or au poids, au disque et le bronze à la hauteur. Au disque qu’elle n’a découvert que depuis quelques semaines, elle progresse d’un mètre à chaque essai, pour terminer à 41,92 m. Cinq jours plus tard, le 5 août, elle gagne sa seconde médaille d’or au poids en “tuant le concours” avec 13,75 m au premier essai et donne le soir même un concert consacré à Beethoven au Royal Albert Hall. Elle passe ensuite 1,61 m pour la 3° place en hauteur et devient ainsi la première athlète française championne olympique. Seule Fanny Blankers-Koen, mère de famille de 30 ans qui remporte le 100, 200, 80 m haies et relais 4×100 l’empêche d’être la reine de ces Jeux.

Elle remporte treize titres de championne de France dans sept disciplines différentes : 60 m, 80 m, haies, 4×100 m, hauteur, poids, disque et pentathlon et bat dix-neuf fois un record de France : une fois au 80 m haies, une fois en hauteur, dix fois au poids, quatre fois au disque et trois fois au pentathlon. Après ses médailles d’argent sur 100 m et au poids aux championnats d’Europe en 1946, elle remporte encore celles de bronze à Bruxelles en 1950 au 80 mètres haies et au poids. Un lumbago consécutif à un accident sur les haies la prive des J.O d’Helsinki en 1952 où elle était la favorite du pentathlon et sur les haies. Après neuf sélections en équipe de France A de 1946 à 1951 elle met alors un terme à sa carrière sportive pour se consacrer totalement à celle de concertiste qu’elle exerce jusqu’à la fin de ses jours.

CONCERTISTE VIRTUOSE ET ENSEIGNANTE ÉMÉRITE

Au mois de juillet 1946, elle a remporté le premier prix du Conservatoire de Paris sans pour autant abandonner ses activités sportives : deux jours après elle est à Bordeaux pour le titre de championne de France au poids et quelques semaines plus tard à Oslo aux Championnats d’Europe pour deux médailles d’argent. Elle trouve son équilibre entre musique et sport : “le travail pianistique que j’ai effectué plusieurs heures par jour toute ma vie a remplacé ce que la musculation donne aux athlètes. Moi, je ne soulevais pas des poids ou haltères, je jouais au piano cinq ou six heures par jour, donnant un maximum d’intensité musculaire à mes doigts, mes bras, mes épaules. J’ai ainsi développé ma capacité musculaire.”

En 1947, elle remporte le concours de Genève qui la consacre sur le plan international sans répercussion notable sur le milieu musical parisien. Elle organise donc en 1949 son propre concert salle Gaveau avec un programme comportant le “Concerto en ré mineur” de Brahms, les “Variations symphoniques” de Franck et le “Concerto en mi bémol” de Liszt. Résultat mitigé : avec 24 concerts en 3 mois l’exploit lui vaut certes un succès grand public mais les critiques la cataloguent plus comme « pianiste athlétique » que comme interprète.

En 1952, elle rencontre René Ghazarian et le couple qui aura deux enfants, Alain et Joëlle, vit un temps à Beyrouth avant de rentrer à Paris pour faciliter sa carrière. En 1956, René est emporté par un cancer fulgurant et Micheline doit renoncer à ses concerts pour élever seule ses enfants : elle enseigne ainsi jusqu’à sa retraite au Conservatoire national de musique de Lorient où un espace paysager porte toujours son nom entre le quartier République et le quai de Rohan puis à l’Ecole nationale de musique Claude Debussy de Saint Germain en Laye. Elle y marque plusieurs générations dont Cécile Carpentier inspectrice de l’Education nationale, Jean-Christophe Marchand compositeur et directeur de conservatoire, Elisabeth Méric pianiste et chef des chœurs de Toulouse et Hélène Berger pianiste concertiste.

Alors qu’elle s’est installée depuis 1983 dans une aile du château de Grémonville en Seine-Maritime son fils Alain est assassiné en avril 1990 à Saint-Ouen par des racketteurs. Micheline est anéantie et ses amis la tirent de sa douleur en l’incitant à reprendre ses concerts. Elle revient en récital avec Hélène Berger salle Cortot après 30 ans d’absence de la scène parisienne en 1990 puis enchaîne en des lieux prestigieux avec FrançoisRené Duchâble, Xavier Denonchelle et bien d’autres. Jusqu’à son décès, grâce à un travail quotidien de quatre heures par jour elle présente un nouveau programme chaque année. Elle s’éteint à 79 ans d’un cancer au C.H.U. de Rouen le 17 octobre 2002 où Pierre Dechelotte, chirurgien du service et chef d’orchestre émérite lui a installé un piano numérique dans sa chambre. Elle repose au cimetière de Grémonville, le pays de son père.

POUR CONCLURE

Jacques Gestalder l’a immortalisée au lancer du disque avec une statue en bronze érigée à l’INSEP et Pierre Simonet, chef du service documentation de l’établissement, lui a consacré le premier documentaire de sa série consacrée aux grands sportifs français. De nombreuses installations sportives ainsi que des lieux ou établissements publics portent son nom. Le prix Guy Wildenstein de l’Académie des sports lui est décerné en 1948 mais le titre de chevalière de la Légion d’honneur ne lui est accordé tardivement qu’en 1992 sur intervention expresse de Nelson Paillou, président du Comité national olympique et sportif français. Elle est promue Gloire du sport en 1994 et le trophée Micheline Ostermeyer est créé en 2004 trois ans après sa disparition. De celle qui affirmait “le sport m’a permis de me relaxer avant un concert et le piano m’a donné de beaux biceps” nous retiendrons surtout cette citation d’André Halphen en 2003 : “douce, paisible, effacée, à l’opposé de toutes celles qui jouent les stars après avoir gagné un titre ou deux”.

Claude Piard

1950 M. Ostermeyer © Wikipedia Commons Dutch National Archives

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