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Alain Mimoun, une identité singulière
par Jean-Pierre Lefebvre
Né le 1er janvier 1921 à Maider dans l’arrondissement du Telagh près de Sidi-bel-Abbès dans la région d’Oran, Alain Mimoun reçoit une éducation simple au sein d’une mission catholique. Comme les enfants de son âge, il court en jouant sur les flancs du djebel Boulekat. En plus de la course à pied, il fait du cyclisme, du football et de l’escrime.
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Bon élève, il rêve d’être instituteur mais n’obtient pas la bourse nécessaire. Juste avant la guerre, il gagne sa première course : un 3.000 mètres à Alger. La guerre déclarée, il s’engage au service de la France, affecté au 3ème régiment de tirailleurs algériens. Après la capitulation en juin 1940, son régiment stationne à Bourg en Bresse, là il court un 1.500 m en 4’22’’ et un 5.000 m en 16’30’’ laissant entrevoir des potentialités. Il fait la campagne de Tunisie, de Sicile et d’Italie. Il est grièvement blessé à Cassino ; l’enfer de Cassino disent les Américains. Il échappe à l’amputation et termine la guerre avec quatre citations et la Croix de guerre. Il rêve parfois d’exploits athlétiques en écoutant les récits de victoire concernant son illustre prédécesseur El Ouafi, vainqueur du marathon olympique des jeux d’Amsterdam en 1928.
Il sait aussi que le succès peut conduire à la déchéance, celle justement d’El Ouafi qui finit sa vie clochard dans un bidonville de la région parisienne. Mais Alain est sérieux, appliqué, respectueux, courageux et c’est dans cet état d’esprit qu’il s’installe à Paris en 1945 et signe au RacingClub de France. En 1947, il est champion de France du 5.000 m et du 10.000.m. Sa carrière
commence. Il est sélectionné en équipe de France pour la première fois pour France Tchécoslovaquie à Prague en Juin 1947. Résultat : Au 5.000 m, premier Zatopek, deuxième Mimoun. Ce sera le début d’une longue histoire d’amitié et de rivalité sportive entre ces deux athlètes, fils du peuple et malgré eux promoteurs de deux systèmes politiques opposés.
L’ACCÈS AU SOMMET PAR LE MÉRITE
Dur au mal, orgueilleux, il bataille au sein même de son club pour s’imposer d’abord en cross-country, discipline objet d’un culte spécial surtout dans le cadre des rencontres franco- britanniques. Jean Bouin avait gagné trois fois de suite le cross-country international de Baldoyle en Irlande et le coéquipier de Mimoun, Raphael Pujazon voulait égaler le record de Jean Bouin. Cependant en 1949 à Baldoyl, Mimoun bat au sprint Pujazon entraînant une réaction violente de ce dernier qui rageur et vengeur, leva la main sur son coéquipier.
Les deux hommes ne se sont jamais réconciliés et Pujazon disparait de la scène sportive qu’il a occupée pendant dix ans. Alain a l’habitude des secondes places et accepte ce fait lorsqu’il s’agit de finir deuxième du 10.000 m derrière Emile Zatopek aux JO de Londres en 1948. Il s’habitue aux places de deuxième à nouveau en 1952 aux Jeux d’Helsinki sur le 5.000 m et le 10.000 m, mais au pays de Paaro Nurmi, l’écart se resserre. Au plan national il est le meilleur, au plan international il butte sur Zatopek, son idole. Or le champion de France n’a qu’une envie, il le dit à sa manière, c’est donner à la France la première place. Il voue un culte particulier au général de Gaulle qui reviendra au pouvoir en 1958. Il commence à vivre honorablement de son sport comme moniteur. Je dois tout à la France dit- il. Il est de 1947 à 1956 vingt deux fois champion de France et quarante neuf fois dans l’équipe de France d’athlétisme dont il est le capitaine. Converti au catholicisme suite à un voyage à Lisieux en 1955, il se sent français au point de vouloir honorer sa patrie avec ses armes à lui, la course à pied.
SES MÉTHODES D’ENTRAÎNEMENT
Mimoun se lève tôt, dès 5 heures du matin il trottine, s’entraîne jusqu’à 7 heures, puis douche, repas et repos jusqu’à 11heures. Il s’entraîne à nouveau de 11 heures à midi puis de 18 à 19. Ses conceptions sont celles de l’Institut national des sports issues des théories du docteur Bellin du Coteau au plan scientifique et vouées aux controverses du moment en matière d’entraînement.
Il subit aussi l’influence de son maître Zatopek qui, dit-on, avant les Jeux de 1948 courait 60 fois 400 m en 75 secondes en récupérant à allure réduite, soit un total de 36 kilomètres. Les soviétiques sont à la pointe en matière d’entraînement fractionné sans que l’on sache très bien comment faire du volume cardiaque avant de muscler “la pompe” qui doit répondre à l’effort. Le fractionné de Gerschler, proche du professeur de médecine Reindell fondé sur la répétition par séries et sur le respect d’intervalles de repos bien précis, développe la connaissance du train et trouve à l’INS à Vincennes un écho favorable. Cependant Mimoun, homme d’instinct, prend des libertés et face aux consignes de son ami l’entraîneur officiel André Cherrier, il court 35 kilomètres sur la route du marathon de Melbourne trois jours avant l’épreuve pour le résultat que l’on sait. Cette méthode fut ensuite une prescription officielle pour quelques années. Mimoun est en fait un coureur naturel comme Percy Cerruty l’entend dans ses préparations en Australie. Il est attiré par le “fartlek” en forêt mis au goût du jour par Gösta Années 50 - Pierrot Champion Alain Mimoun © Droits réservés

Olander grand entraîneur suédois. Il a séjourné à Volodalen au nord de la Suède et les méthodes empiriques du maître des lieux fondées sur la course en milieu naturel visant au développement cardiaque, respiratoire et à la souplesse musculaire lui conviennent. Le tout agrémenté d’une nourriture à base de laitages de fruits et légumes et d’un cadre de vie rustique et rural font de Mimoun, musulman devenu catholique, un ascète qui accepte facilement ces prescriptions.
LA CONSÉCRATION
Aux Jeux olympiques de1956, Mimoun à 35 ans. La veille du marathon il reçoit un télégramme lui annonçant la naissance de sa fille qu’il prénommera Pascale Olympe. L’homme est superstitieux. Il sait son adversaire et ami Zatopek moins performant bien que toujours le meilleur au plan mondial. C’est lui qui décide deux jours avant les JO, de courir le marathon. Il arrive au stade une demi-heure avant le départ comme pour une autre course. Il adresse une prière habituelle à SainteThérèse de Lisieux et à sa mère. Après un début de course sous la chaleur, il parvient à rester dans le groupe de page
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tête en compagnie du yougoslave Mihalic, du finlandais Karvonen, du soviétique Ivanov et de l’Américain Kelley. Il se trouve en tête au vingtième kilomètre en 1h 8’ 3’’ et c’est là que le “gamin” Kelley démarre non sans avoir donné une tape dans le dos à Alain pour l’inciter à le suivre. Il fallait le suivre, c’est un bon. Plus loin le jeune Johnny relâche son effort et Alain se retrouve seul en tête. Au trentième kilomètre atteint en 1h 41’37’’ il ressent une grande détresse, la chaleur l’incommode, il boit peu et s’arrose surtout. Comment tenir ? Penser à sa petite fille, à son enfance ? Surtout ne pas lâcher ! Après tout, les autres aussi sont dans la difficulté. Et Emile, il est derrière ? Sa foulée qui s’était rétrécie redevient plus souple. Il puise dans ses ressources les plus profondes pour entrer en tête dans le Criket Ground stadium, ovationné par 120 000 spectateurs. Son ami Emile ne finit que sixième. Il fait retentir la Marseillaise dans le stade archi comble de Melbourne, ce qui pour cet homme fier et valeureux est une immense récompense.
SA VIE : UN ROMAN
La carrière d’Alain Mimoun est longue avec une période de détresse entre 1952 et 1954 due à des blessures. Un retour en 1955 quand il bat le record de l’heure de Jean Bouin : 19,078km puis le record de France du 10 000 mètres en 29’ 13’’ 04. Après son sacre à Melbourne à 38 ans il est toujours champion de France sur cette distance et aussi en cross-country. Il fut vingt six fois champion de France. La France c’est la grande affaire d’Alain Mimoun. Sa notoriété est au plus haut, égale à celle de Louison Bobet et de Raymond Kopa sans qu’il s’offusque de gagner beaucoup moins d’argent. La vie de son ami Emile Zatopek a été vue comme un roman par Jean Echenoz qui montre comment, après une ascension irrésistible, le champion s’est vu accablé par un régime communiste totalitaire qui a organisé sa déchéance, sa chute brutale. Ce conte moderne peut être repris pour Alain Mimoun tant il révèle des thématiques universelles : la réalisation de soi, le dépassement, la persévérance. Il révèle aussi les risques d’un sport qui peut asservir soumettre, instrumentaliser, lorsqu’il utilise le sportif au profit d’une Börje Dorch (17 octobre 1929 à Malmö - 9 janvier 2004) était un dessinateur, idéologie conquérante comme ce fut journaliste et écrivain suédois très actif dans le sport. Ancien boxeur amateur, le cas pour Zatopek. Mimoun lui il a développé de nombreuses activités dans ce sport dont le journal Boxing. Recherche d’ayants droits © Droits réservés n’est récupéré par personne, il mène

1953 Enveloppe 1er Jour Sports © Droits réservés

son chemin avec détermination et modestie se sentant naturellement redevable à son pays de lui avoir permis de s’illustrer au travers de ce qu’il sait le mieux faire : courir.
Il finit sa vie honorablement comme citoyen ordinaire, retraité de la fonction publique à Champignysur-Marne en banlieue parisienne. Longtemps, beaucoup d’entre les étudiants sportifs de l’INSEP ont eu la chance de trottiner avec lui sur les pelouses de Vincennes et d’écouter ses conseils et surtout de l’entendre parler du Général de Gaulle.
Jean-Pierre Lefebvre 6 juin 1952 - Mimoun lors de l’inauguration officielle du Centre National d’EPS © Photo Insep

Le président Charles de Gaulle à la rencontre d’Alain Mimoun dans le stade couvert de l’INS. Alain Mimoun trottine au milieu d’un petit groupe d’athlètes.
Le Général l’interpelle : “Monsieur Mimoun, il y avait longtemps que j’avais envie de vous saluer, car il y a longtemps que je vous connais. Vous vous entraînez encore? C’est extraordinaire!”.
Au pas de charge, le Général a tout parcouru, tout admiré : l’entraînement des champions, la charpente immatérielle des gymnases Bessonneau, les arcs audacieux du stade couvert. En exprimant à Maurice Herzog sa satisfaction de voir un aussi bel outil à la disposition du sport français le Général ajoute : “Je n’imaginais pas que l’I.N.S. était aussi grand et aussi bien organisé.”
