BÉATRIX BECK
De l’œuvre poétique de Béatrix Beck (1914-2008) nous ne connaissions jusqu’alors que les onze poèmes publiés dans la plaquette Mots Couverts en 1975. Dans un entretien datant de 1997, elle affirmait pourtant : “J’ai par ailleurs un recueil dactylographié, qui n’est pas imprimé… Il le sera peut-être après qu’il me soit arrivé quoi que ce soit…” Ce recueil inédit, intitulé Entre le marteau et l’écume, ouvre ce volume des poésies complètes qui réunit par ailleurs Mots couverts et de nombreux poèmes publiés en revue. Béatrix Beck s’est en effet livrée de la fin des années soixante au début des années quatre-vingt à une activité poétique intense. La poésie est alors pour elle un laboratoire d’écriture qui témoigne du bouillonnement créatif et de l’exploration passionnée de nouveaux modes de narration amorcés en 1967 avec la publication de Cou coupé court toujours.
La poésie est à la fois matrice et réservoir de l’œuvre à venir. Béatrix Beck y développe les thèmes qui nourriront ses écrits dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Elle invente également une forme dialoguée qui la mène directement des poèmes aux récits brefs qu’elle privilégiera à la fin de sa vie. La noirceur qui sourd de ses poèmes marque la violence de cette transition (“Fais la peau à la poésie cette hérésie / Langue maquerelle dans le bordel de ma bouche / Les mots racolent sur le trottoir des lignes / Les mots les molosses me molestent”) et la tabula rasa qu’elle implique (“Les mots les molochs m’immolent / On m’arrache la langue maternelle”). Ent r e le ma r t e au e t l’écume et autres poèmes éclaire d’un jour nouveau l’œuvre incomparable de l’auteur de Léon Morin, prêtre, de La décharge ou de L’enfant-chat.
BÉATRIX BECK
Cette édition de Entre le marteau et l'écume et autres poèmes a été tirée à huit cents exemplaires et imprimée sur Sirio Celeste 115 g. Le texte est composé en Melior, la maquette est conçue par renaud buénerd. L’édition originale de cet ouvrage est constituée de cent exemplaires numérotés de 1 à 100, réservés aux membres de l’association Les éditions du Chemin de fer.
© Les éditions du Chemin de fer, 2013 www.chemindefer.org ISBN : 978-2-916130-53-8
BÉATRIX BECK
“[Mots couverts] c'est le seul et unique recueil de poèmes que je vous connaisse ? – Oui, j'ai par ailleurs un recueil dactylographié, qui n'est pas imprimé… Il le sera peut-être après qu'il me soit arrivé quoi que ce soit…” (Entretien avec Frédérique Chevillot, 1997, repris dans le n° 68 de la revue Brèves)
Ce volume des poésies complètes de Béatrix Beck réunit : Entre le marteau et l'écume, le recueil inédit évoqué ci-dessus, retrouvé dans les archives de l'auteur. Mots couverts, publié en 1975 dans la revue belge Temps Mêlés. Les poèmes publiés en revue et les poèmes inédits retrouvés dans les archives de Béatrix Beck qui ne sont pas repris dans l'un des deux recueils précédents. Pour plus d'informations sur l'établissement des textes, le lecteur pourra se reporter aux notes et notices en fin d'ouvrage.
Entre le marteau et l'Êcume poèmes
La mort
Nuit Jour
Noire de colère la nuit monte sur ses grands chevaux Vend au recéleur ses ténébreux oripeaux Ses funèbres drapeaux La nuit crie le jour fait le sourd Il trempe sa soupe la nuit en poupe Elle cuit ses poulpes le jour en croupe Plie sous son poids de suie Broie ses poisons croque ses tisons Le jour retourne à ses moutons cueille ses chardons La nuit fouette ses chats le jour secoue ses draps Cherche la petite bête coupe les têtes La nuit allaite ses chauves-souris vend ses houris Les couteaux du matin en son ventre obscur déchirent la vie Elle cache ses étoiles jaunes Meurt en accouchant d’un bel enfant Jour au cœur greffé de nuit suscite en soi son ennemi Dimanche éteint de mon assouvissement Saisons de mon asservissement Sabbat de mon ensevelissement Jour nuit de mon accomplissement
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Les mères les mégères les ménagères les ménades
Marchandent une tête un pied une langue Quémandent un os innominé Plongent leurs draps de noces dans la source pétrifiante Se badigeonnent les seins d’aloès Battent leurs filles et les blancs d’œufs en neige Mènent la plus laide au couvent et la vache au taureau Appellent petit ! petit ! quand passent les revenants Écument le pot aux roses piègent l’anguille sous roche Réduisent les dolmens en gravillons Gardent le sang du lièvre l’eau de pluie et les queues des cerises Trouvent une aiguille dans une meule de foin par le chas passe un chameau De Dieu font leurs choux gras Déterrent des truffes au pied du calvaire Sèment le vent récoltent des nèfles et l’oignon des larmes À force d’agonir finissent par agoniser Vinaigre des quatre voleurs sur leurs sueurs Croix de simili sur leur cœur La vie la victime la victoire s’échappe
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Couple
Il a phallus que je me donne Faute qu’on s’endure et que ça dure J’ai mal Balaye la salle Je suis malade Assez de salades Je mourrai un dimanche à midi C’est toi qui le dis Je mourrai dimanche à midi Tu l’as déjà dit Je mourrai à midi Tu n’as pas fini ? Je vais mourir Tu veux rire Récite la prière des agonisants Pas le temps pas le temps Fais-moi un bel enterrement Adios on m’attend
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Personne
Père sonne Sa moitié ne bouge pas Son double à la fenêtre lui tire la langue Jusqu’au sang Ses deux demi-frères montrent le poing – Mon passé me poursuit Laissez-moi entrer – Il est armé ? – Il veut me tuer avec son pistolet à air comprimé Délivrez-moi de cet aliéné Les demi-frères ferment la porte à double tour Le double injurie l’original Uxor dort Le père de famille rêve qu’il se baigne dans l’Allier Et meurt dans l’escalier
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Variantes
Je vais casser ma pipe, dit la jeune fille Manger les pissenlits par la racine, piaille le nourrisson Faire le grand saut, chevrote le paralytique Retrouver mon époux, pleurniche la veuve M’en irai les pieds devant, annonce le cul-de-jatte Je touche à mon heure dernière, déclare l’analphabète Avaler mon extrait de naissance, grogne le chien Aller ad patres, murmure l’enfant trouvé Passer l’arme à gauche, bafouille le manchot Rendre le dernier soupir, chuchote le ventriloque Clamser, gueule le roi Mettons fin à nos jours, décident les rats Les soldats de Dieu vont me fusiller, dit Raymond Radiguet Aller au trou, bégaye l’évêque Je rends l’âme, brait l’âne Nous allons nous retrouver en la grande joie du paradis, promet Gilles de Rais à son valet Comparaître devant mon souverain juge, hulule la chouette J’ai peur de m’éteindre, gémit le pyromane Jouir de la vision béatifique, implore le bousier
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Excursion
On est allés à la mer Faire une prière Sur la tombe de mon père Il a belle vue bon air Mais n’en profite guère À la guerre comme à la guerre Encore heureux d’être en terre Dit ma mère Plutôt que fichu en l’air On erre au cimetière Avec mes frères Entre les couronnes mortuaires Avant le chemin de fer
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Les veuves
Les veuves naviguent sur les laves Rêvent de sous de sources de soucis en fleurs Traversent les averses Cueillent les orties cherchent des amies Volent un œuf un bœuf Pansent les chevaux les blessures Disent des épithalames traient l’ânesse de Balaam Malmènent les serpillières les serpents les enfants Abreuvent de café noir l’araignée du soir Se lévitent gravitent autour d’un astre éteint Se croient gravides trouvent le vide
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La gare la garce des départs
La garce des départs me fait pleurer Les lignes de sa main présagent le non-retour L’indicateur m’a trahie Il pleut sur la marquise la grue s’immobilise Le crocodile vagit entre les rails Les cheminots aux parkas fluorescentes rose sang Piochent la voie étroite Un chemineau abandonné par sa moitié Dort sur le remblai Elle boit dans le creux de sa main l’eau non potable Joue avec la serrure se penche à la portière Je ne suis plus une enfant dit-elle je ne suis plus ton enfant Tire la sonnette d’alarme si on t’embrasse Ne descends jamais du train Méfie-toi des capitales fatales des patries sales Les douaniers te fouilleront Veille sur l’éclair de ta fermeture Refuse les cigarettes empoisonnées des voyageurs Ne demande jamais l’heure Exprime-toi par signes chez les étrangers les sourds Appelle au secours regarde le paysage compte les moutons Dors les yeux ouverts Les wagons sont mes wigwams dit-elle j’ai changé d’âme
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Ma fille mon unique ma koh-i-noor fuit vers le nord Elle agite le suaire de sa poupée Roule sur le cœur le contre-cœur Bois un grand noir aie bon espoir Hermine reviendra ne t’oubliera pas Adoucira ton trépas La gare la rage siffle
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Ogresse
Elle entame le bâtard coupe le jésus Grignote les quatre mendiants Se gave de fruits de la passion jusqu’à l’indigestion Avale sa langue Gai glas pour son trépas Incinérons-la, qu’elle ne ressuscite pas J’aspire à me faire cendres, grommelle la grosse ogresse Pour voler dans le vent m’éparpiller sur les gens Fertiliser les champs trouver le néant
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Succession
Mamie est une goule de nuit Elle prend le sang de ses amants Part d’un fou rire quand on lui parle de mourir As-tu de l’argent pour ton enterrement ? J’ai donné mon corps à la faculté, dit-elle avec volupté Mes yeux de macchabée verront la lumière Qui suscitera chez le donataire des pensées étrangères La meute des mutants crie nous sommes tes enfants Fais-nous un présent Vous êtes couchés sur mon testament Ma ta mort nos vos leurs morts ne me font pas peur Mamie est en bouillie tuée par son favori Son corps qu’elle avait légué Devrons-nous le rembourser ? N’avons que les yeux pour pleurer Et les pieds pour danser
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Animaux
Les ânes promeneurs d’enfants mangent des feuilles mortes Fais don d’un chardon au plus petit Les ânes les années pelées portent leurs cavaliers Sur les rives de la Seine et du Styx Les chats les chagrins emmènent les enfants au bord des toits Dans le no child’s land Les orfraies effrayent les enfants imprudents Les vers les vertus parasitent les enfants grandissants Les choucasuistes mènent à leur perte les adolescents
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Langue l’angoisse
Je suis l’alpha Roméo et l’oméga l’homme égaré de Charybde en syllabe Siffle le chien de l’écriture qui retourne à son vomissement Fais la peau à la poésie cette hérésie Langue maquerelle dans le bordel de ma bouche Les mots racolent sur le trottoir des lignes Les mots les molosses me molestent Motus les mots L’oiseau lire me ronge la foi En un mot comme en sang j’ai trop de caractères Perle nonpareille elzévir éclairé égyptienne allongée Points de suspicion point vélique où se conjuguent nos amours Jésus ordinaire couronne et cavalier Mains et rames pour naviguer Scribe accroupi de ton âme pharaon, tu espères et perds Le langage t’a pris au mot, ver de vase de ta voracité Étouffe les cris vains Mots en trop mots anthropophages Les mots les molochs m’immolent On m’arrache la langue maternelle Langue bien pendue Hang ! Que les livres perdent leurs feuilles Que la page redevienne aubier Que les racines cheminent jusqu’à la rivière Que je rentre dans le sein de ma mère Deleatur 27
Corps étranger
L’esprit suit les bruits des bris des débris Essuie la suie des nuits Luit noir au fond du tiroir Fait la foire Angoisse poisse Mois cois Moi clown con clou flou flot frit Héros zéro Suis un cas un cafard un capharnaüm Dieu m’étale sur son pain me verse dans son vin Me gâche comme du mortier Me mâche tout entier Me cache dans sa panse sa pensée Il m’a écorcé écorché pour se faire un trophée A brisé mes essieux mes essors M’a satellisé sodomisé atomisé s’est amusé Dieu jeu Dieu je Dure mère Le pont de Varole et le pont de Tarin sautent Le canal de l’épendyme est à sec Ilion brûle Encéphale ne répond plus La poplitée la scapulaire et la basilique pleurent
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No aile no elle Fêtes de fins damnés
Le jour sort du fou comme un pain lourd Aurores horreurs heures On m’a épouillé dépouillé chanté pouilles J’ai mal aux temples mes oncles me griffent Les morts s’étranglent dans ma gorge Le docteur palpe mon poulpe Ma blatte éclate ma rate fait des petits J’ai l’airain malade
On nous mène à la what a mess Sots périlleux couvrent la raison d’une oraison Mon chat pelé ne me sert à rien On est tous ego Allons ronger les os les autres Cochons les noms Frères hululent pilules pullulent En selle en cellule dans nos draps nos drames
Les fous fuient, les faux fuyants allument des feux de forêts Se cachent dans les fourrés chevauchent les halliers Les fous morts se croient vivants se prennent pour des enfants Dieu napalm ni couronnes pour ses innocents Misère et corde la pendue sonne onze mauvais coups Tu entends le Christ, le cri qui tue ? Froid en Dieu Mon nom est Renié ma mère m’appelait son miné Le récif de ma vie ferait peur Suis à l’arctique La mort la morue la morale ne passe pas Maman suprême vois la faux la fausse la fosse
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Tournez la farce vers Dieu Voici les sacs les sacrements Eurêkaristie ! La mort sûre de Dieu m’ouvre le troisième œil Joie sans borgnes le monde le monstre n’est plus Rentre en toi m’aime J’ai cru crever j’ai crû
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Infime
Une mouche bouche l’horizon de ma prison Ils m’ont condamné pour une peccadille Pourtant mon avocaillon me déclara minus Je lui donnai mes picaillons Payer de sa vie une vétille ! On prend ma pochette on échancre ma chemisette Ils me donnent une miette une gouttelette La hachette cherra Dans un instant l’homuncule sera décapité Ma petite tête va rouler dans le corbillon Tant de cinéma pour un seul assassinat ! Le bousier propose Je peux t’inhumer Près du scarabée sacré
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Le bourreau pensant
Je bande quand je pense à la bande à Bonnot, dit le bourreau Approche le berceau, dit la bourrelle Quand je pense à la bande à Bader, dit le bourreau, je cesse d’être débonnaire Pèle les pommes de terre, dit la bourrelle N’empêche, n’empêche, je n’ai plus la pêche On a beau être Monsieur de, quand je pense aux erreurs judiciaires Mon cœur se prend d’une terreur glaciaire Tu es l’exécuteur des hautes œuvres C’est pas des bonnes œuvres Les clients ne reviennent jamais car décapités Mais hantent mon cauchemar Songe mensonge J’ai fait une bourde en embrassant une profession sans promotion Passe-moi un oignon Je crois, bonne mère, je crois que j’ai raté ma vie Ce n’est pas mon avis Je suis un homme fini Tu fais couiner le petit Les employés de bureau me font envie Je ne veux plus être bourreau Tu perdrais les primes de panier Et quel curriculum vitæ inventer ?
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Les enfants
Les enfants en enfer
Les enfants en enfer jouent à vous mettre en joue Marie, tu jetas par la fenêtre ton petit frère Il ne cessait de braire Aurore, tu empoisonnas ta mère à l’amanite printanière Ce n’est pas vrai, je suis née par génération spontanée, je suis fée Luc et Luce, faux jumeaux, l’inceste tue l’amour fraternel Mais il a goût de bonheur éternel Vous ne vous connaîtrez plus Nous sommes unique Blondie, pourquoi noyer la Blondie qui sortait de toi ? Elle n’avait qu’à nager Mes sombres agneaux, vous voici parqués à perpétuité dans cette géhenne Je l’aime ! Je l’aime ! Je l’aime ! Nous nous amusons à la folie et te plaignons d’être en vie
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Le pieux enfant
Il cherchait Dieu de la cave au grenier Je brûle, je l’ai L’appelait le très-haut, le très-bas, l’en-dedans, l’en-dehors, l’en-dessous, l’en-dessus Quand on criait au voleur, jubilait : c’est lui, c’est Dieu ! On trouva le corps dans le buen-retiro Voilà ce que c’est que d’avoir de mauvaises fréquentations, dit son père, dit sa mère Devenu théomane, confirma le médecin légiste, ce jeune garçon est mort d’une overdose
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Le boa baobab
Le serpent à sonnette m’éveille L’Indien Soleil lance ses flèches La folle du logis met le cadavre de ma sœur dans mon cartable Par les rues les rudes les ruses je vais à l’école l’écholalie Le serpent à lunettes m’apprend le boa baobab Prends ton crayon à bile Forme l’électre Lis la plage Soigne le styx Cherche l’inconnue Tes parents sont morts dans un accident d’auto d’autorité J’avais prié le serpent minute
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Cirque
Foire
Les lèvres salies par le sucre impalpable des baraques foraines du temps, lançons en marche arrière les voitures tamponneuses de nos amours Mes autos da fé Vois ma fée dans le rétroviseur foncer l’enfance révolue qui nous percutera Essaye le grand huit d’éternité, circuit à double sens Loge-moi une balle dans le cœur du rouge Frites, les vies ! Les hommes chevauchent porcs et sirènes, phénomènes et noumènes Les enfants se cachent dans le ventre des grues les labyrinthes de la mort la face obscure de la lune Le nain soulève son alter ego de cent kilos La bonne Aventure lave le linge sale des familles Le tricheur gagne une poupée ventriloque et somnambule qui dit Tempus irreparabile fugit Craignez la dernière la petite dernière la toute petite dernière Éclairés au néant Trains plombés du plaisir gaz hilarants de la parade Miroirs déformants des sévices Bal cannibale et rallye du chemin de croix Chemin de quoi ? Fiat luxe et luxure
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Strass et stress Ma maîtresse nymphomane vêtue d’un tutu de tulle et tarlatane Couleur chair couleur sang Saute son orang-outang sur le trapèze volant Chauds les mignons ! Commande une sex chop Mister Mystère cessez de vous taire Le couteau sur la gorge l’épée dans les reins sur quel pied danser ? demande le cul-de-jatte On tire sur le fœtus du jet d’eau La caissière rend le dernier soupir faute de monnaie Le borgne parie son œil de verre que l’enfer vaut l’endroit Évangéline viens sur mes genoux Sur la chaise électrique à musique Je veux faire de vous un enfant dit-elle à son amant Manque de peau répond le squelette en se tenant les côtes Le temps approche dard-dard Clowns augustes et césars Il est tard Tartare Ma dulcinée le temps prend le mors aux dents Torpille nos passades nos passions nos possessions Pythons pythonisses hercules et adonis Le temps foire le temps pète et tempête My pet ! Le temps le tampon sur la bouche Le temps le tank Le temps le temple s’écroule
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Chapiteaux
Le nain Népomucène tient des propos obscènes Devant la fille-torpille qui l’électrise La dompteuse Adora met sa tête dans la gueule de son amant Le lion Soliman L’auguste Déodat rêve qu’il tue le clown blanc Aldébaran Le cirque fait faillite Finis rythme rite rut rire Le nain se fait passer pour un gamin Troque le chapiteau du cirque Contre un chapiteau gothique N’a pas peur devient enfant de cœur Marmonne des propos obscènes Pendant la sainte Cène La fille-torpille tire l’aiguille Fait des jours dans des aubes Pleure le canon qui la catapultait L’auguste et le clown blanc Déodat Aldébaran Montent un nouveau cirque ambulant Avec un âne savant du nom de Soliman
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Nabote et nain
La nabote sanglote Bernique dans la hotte Trotte par mottes et crottes Jusqu’à la grotte de la Hulotte Maman j’ai faim On n’a besoin de rien quand on est lilliputien Suce un brin mâche un grain Maman je voudrais mourir Tu mens comme tu respires Dis non au nain Dis non à ta mère de misère qui promit ta main au nain Sauve-toi loin du nain Mais j’aurais pu grandir Ma croissance fut arrêtée par les mauvais traitements Les mauvais parents Je gagne bien au cirque Rintintin à cheval sur un chien Vous serez clownesse avec une ânesse Notre grand enfant dresse les éléphants L’ânesse est à l’équarrissage, le chien avait la rage Mon époux entra dans l’éternité par une voltige manquée Les serpents se tordent, leurs charmeurs pleurent Les animaux savants discutent les fins dernières Les écuyères montrent leurs derrières Le convoi saute à travers des cerceaux funéraires Les acrobates disent des prières sur leur fil de fer 46
Je prédis l’avenir grâce à mes souvenirs Tout finit par s’arranger bien ou mal J’ai une boule de cristal Peau de balle ! Mon bon rejeton qui gagne des millions A fait construire un tombeau de marbre blanc Avec un gisant géant que je fleuris tous les ans Quand on passe devant
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MĂŠtiers
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La main passe
Elle était gantière passage de la Main d’or Son aînée dactylographe sa puînée prestidigitatrice Sa cadette petite main lardée de coups d’épingles par la première Son mari manœuvre fit main basse sur le trésor d’une maison en démolition Poings d’interrogation Tes grosses pattes dans nos menottes C’était écrit dit la gantière un peu chiromancienne Dans sa ligne de vie brisée sa ligne de chance trop courte Sa ligne de cœur trop creuse Les poulets n’y vont pas de main morte Lui voulait obtenir mainlevée de l’hypothèque de sa sœur Victime de la mainmise des promoteurs Il tomba en donnant la main s’empoisonna à la digitaline Le doigt de Dieu s’est mis dans la manigance Sa droite ignore ce que fait sa gauche Deux doigts, deux doigts de guignolet pour supporter la vie Jusqu’à demain
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La couturière Salomé
Mécréante ! Dieu me hante Mais les commandements ? On m’a commandé un déguisement Es-tu bête ou fais-tu semblant ? Voyez cet organdi blanc Tu nous coûtes les yeux de la tête de Iokanahan Il y a longtemps Quel beau plat d’argent C’est un cadeau de Maman Comment as-tu effacé le sang ? En frottant La tête séparée du corps criait encore Je veux avec du fil d’or coudre ce mort Viens danser, Salomé, c’est ton vrai métier Le plat d’argent, je l’ai trouvé Où, Salomé ? Dans un magasin d’antiquités Combien l’as-tu payé ? Le marchand me l’a donné À cause de Iokanahan ? Ce nom-là c’est la première fois que je l’entends Je n’étais qu’une enfant Tu as fait ce qu’on t’a demandé, Salomé Le bouquet d’anniversaire n’était-il pas amer ? Quand je lui tendis mon fardeau, ma mère dit c’est beau Le Messie viendra la semaine des quatre jeudis Je l’aurai, la robe rouge que tu m’as promise pour vendredi ? 52
La mauvaise bonne
La mauvaise bonne Yvonne déraisonne quand on la sonne On m’assomme suis pas une bête de somme Je lisais la somme de saint Thomas Servez les tomates Les tomes à la hâte ai feuilletés Donnez la tomme et le feuilleté Quand j’aurai fini mon sonnet Votre soufflé ? L’esprit me souffle églogues et pantoums Chauffez nos pantoufles apportez le café Vos injonctions sont des méfaits Emmenez les enfants il est grand temps Il n’est plus temps ils sont à Satan Yvonne Desfourneaux je vous l’ordonne Chantez pour endormir Mademoiselle Truitonne et Monsieur Gontran Mais la bonne abominable abandonne les bébés qu’elle abhorre Pour invoquer le dieu qu’elle adore
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Amours
Belle borgne
Belle borgne à la douce trogne Ton aveugle amant tu lui mens Le trompes avec un voyant Cécité fait nécessité Un œil pour deux c’est hasardeux
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Nuées
Les trains célestes lancent leurs fumées Des mains sans corps secouent les literies de l’inceste Danses et déroutes Mille feux de croisement égarent les embryons évadés Un corbillard d’enfant se change en tirelire Quelques êtres s’évanouissent d’autres jouissent Une acéphale habitée par le vent cueille des crinières S’étire pour atteindre le zénith répand le sang de la défloration Une caravane, une procession s’avance sur le chemin de l’immatérielle soie Les espaces les espèces les temps visibles se succèdent Par les trouées du ciel apparaissent d’autres cieux
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Gargouilles
La chaisière enfourche un prie-Dieu Traverse le bleu des vitraux Dénonce en haut lieu les loups dans la bergerie des brebis galeuses Du cul les gargouilles s’arrachent à la basilique Laissent des cicatrices graveleuses Lâche-nous, bougresse, crient-elles à Notre-Dame-de-toute-Grâce Courent s’enivrer à l’abreuvoir ondoyer leurs corps tors au lavoir Discutent crus Hé Pudentienne tu te souviens de l’averse de la saint Aubin Gouleyante et claire elle sentait la feuille printanière Rien, Herménégilde, si tu penses à l’orage de la saint Faustin Mes entrailles tressaillaient d’allégresse j’oubliais mes détresses Et les flocons de neige, coassa Aldétrude, ces baisers sur nos trognes tarées Je préfère, croassa Perpétue, les grêlons On se sent encore sous le ciseau du sculpteur Allons au pays de l’éternelle pluie, clament les gargouilles en chœur Vive grain crachin bruines et embruns Cherchons les eaux infinies Arrivent à la mer Se taisent Marie Vénus Pénélope et Sibylle Reçois ces égarées en ton sein salin
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Abigaïl, chatte
Écureuil, loup, jeune fille, pousse des cris de rossignol Mange cœur et foie sanglants Au plus profond du lit, griffe le talon de la femme, hume la main de l’homme Boit le lait du nourrisson Tue la souris Adélaïde la lance au septième ciel Offre le cadeau le cadavre aux époux bien-aimés S’endort justifiée, sa queue, sa traîne entre ses gants de fourrure Tes amants, tes enfants morts ou vifs, tu ne t’en souviens plus Muse quadrupède, égérie sur un arbre, ton regard mystique interroge Dieu et le boucher
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Mo
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