Mot du metteur en scène Photo : David Greisman
Robert Chesley est mort du SIDA en 1990. La même année, l’artiste visuel Keith Harring (1990) s’est aussi éteint prématurément. Cette année-là, aux États-Unis, une personne mourait du SIDA à chaque douze minutes. Chaque appel téléphonique permise par la pièce de théâtre que vous allez vivre ce soir dure à peu près la même durée. En d’autres mots, à la fin de chaque appel, une personne de plus perdait la vie. Qui? Il y a des noms que je connais bien, car ce sont de grandes influences à moi (et à plusieurs autres) : Michel Foucault (1984), Liberace (1987), Perry Ellis (1986), Robert Mapplethorp (1989), Rudolf Nureyev (1993), et Freddie Mercury (1991). Combien de noms ne sont pas connus? Quels sont les noms de chez nous, à Saint-Boniface, au Manitoba? René Highway (1990). Combien sont morts dû à la stigmatisation? Slaytana (2022). Des chiffres que nous ne comptons pas. Ce qui est compté : 35 millions de gens morts du SIDA depuis son identification en 1984 incluant un nouveau cas par jour au Manitoba (2023), le pire taux d’infection au Canada. Moi, je suis né en 1981. J’étais en maternelle au moment où Robert Chesley écrivait Jerker. Chez mes parents, nous commencions nos journées autour d’un petit-déjeuner en écoutant CKSB, avec mon père qui lisait le Winnipeg Free Press. « Un cancer lié aux choix de vie d’hommes gais », « Gay Plague », « Ryan White banned from school because he has AIDS », « A moral cleansing from God », « Enough tombstones to handle the crisis ». Toutes mes premières impressions du mot « gay » cimentées avec la mort prématurée, torturée, et acceptée par la société. Quand Jerker a été lu sur les ondes radio en Californie, la Federal Communications Commission a censuré et sanctionné ceux qu’elle jugeait coupables d’obscénités. Aujourd’hui, il y a présentement 67 pays où l’homosexualité est illégale. Aux États-Unis et au Canada, nous voyons l’effacement des droits et libertés. Jerker 1985. Palucheur 2023. Près de quarante ans plus tard, est-ce que mes œuvres peuvent se retrouver aux bibliothèques de Saint-Boniface ou du Collège Louis-Riel? À Brandon? En Saskatchewan? Mais Jerker n’est pas seulement au sujet du SIDA. C’est aussi au sujet de la peur. De l’amour. D’actes d’humanité. Pour ceux qui osent se déplacer où l’on est libres d’être qui l’on est. Où tout ce qui naît d’impulsion d’aimer ne reçoit aucun jugement. Ce que nous vous offrons ce soir, c’est un morceau d’art avec une pleine charge historique. Nous tentons de donner une voix à des générations qui se sont fait effacer. Pour elles, mais aussi pour les survivants qui savent que leur histoire, c’est notre histoire. C’est un moment qui, j’avoue, a beaucoup de résonance avec ce que nous avons vécu lors des dernières années. Nous espérons que les moments de lumières laissent une impression autant que les moments de noirceur. Tristement, la lumière est encore plus précieuse quand la noirceur domine. Eric Plamondon (il) Adapteur et metteur en scène pour Palucheur [...]
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Théâtre Cercle Molière