19 minute read

Cela commence par moi avec Marie-Claire Dagher

Cela commence par moi, avec Marie-Claire Dagher

Guérir mes relations avant de guérir le monde

J’ai le HighDream, le rêve grandiose, de contribuer à la paix dans le monde.

J’ai le High Dream d’une société égalitaire et sans classes, d’une société complètement inclusive. C’est la raison pour laquelle je me suis enthousiasmée pour le processwork, avant même de savoir de quoi il s’agissait effectivement. Je pratique le processwork de façon militante comme un moyen de guérir le monde, convaincue que ce que je peux améliorer localement va permettre d’améliorer les choses dans le monde. C’est mon interprétation de la notion quantique de non-localité.

Pour employer un vocabulaire de communication non violente, je crois que le processwork répond à mon besoin de poursuivre ces High Dreamsalors que le chaos et le désespoir règnent autour de moi, que ce soit dans ma vie professionnelle ou dans le monde.

Or, je constate que le processwork est lent à guérir le monde, et que les processworkers eux-mêmes expérimentent toutes sortes de conflits dont ils ont du mal à s’extraire. Alors je fais mienne cette réflexion entendue voilà quelques années – c’était à propos du conflit israélo-palestinien : « Tout le monde cherche à résoudre les conflits lointains, cela évite d’avoir à balayer devant sa porte. » J’ai appris à utiliser l’Innerwork (travail intérieur) enseigné par Arnold et Amy Mindell lors de leur séminaire à Berlin, comme un moyen de travail sur moi. Et puisque Arnold Mindell, qui est aussi physicien, a introduit la notion de non-localité, c’est-à-dire que ce qui se passe ici pour moi est un reflet de ce qui se passe dans le groupe, et que ce qui se passe dans le groupe est un reflet de ce qui se passe dans le monde, je reprends l’espoir de guérir le monde en travaillant sur moi et en étant attentive à ce que cela représente à une échelle plus large.

Qui est raciste ? Moi

« Qui est raciste ? » est un chapitre du livre Sitting in the Fire4 , d’Arnold Mindell. En remarquant les polarités, le processwork va me permettre d’identifier deux sous-personnalités qui s’affrontent en moi, créant un conflit interne. D’une part, je refuse le racisme et l’exclusion de toutes mes forces, comme étant contraires à mes valeurs. Mais je sais de source sûre qu’une sous-personnalité raciste est présente en moi. Jusqu’ici, la sous-personnalité non raciste semble avoir triomphé (en apparence comme nous allons le voir) et j’ai lutté contre la sous-personnalité raciste de façon très militante, en développant des relations préférentiellement avec des personnes issues d’autres communautés. J’ai eu par exemple des ami(e)s noir(e)s, arabes et juifs (juives), on voit que je développe ici tout le florilège du racisme de base. Où cela va-t-il nous mener ?

4 S’asseoir dans le feu

Au cours des journées de formation de l’Ecole de processwork, avec Maurice Brasher, on pratique la Clinique des conflits où chaque membre présent évoque un conflit personnel d’actualité au niveau interne (conflit interne), interpersonnel (conflit interpersonnel) et conflit du monde. Ces différents conflits servent de base au choix d’un thème pour un processus de groupe.

Conflit interne : une partie de moi veut ceci, une partie de moi veut le contraire. Deux souspersonnalités s’affrontent en polarité. Lorsque je vois un étranger, quelqu’un provenant d’une minorité marginalisée, une partie de moi veut s’approcher pour réparer l’injustice tandis que l’autre partie – raciste – veut s’éloigner et faire disparaître le problème.

Conflit inter-personnel : dans l’équipe où je travaille, il y a un stagiaire marocain que j’ai tout de suite pris en grippe (en secret). Mon conflit interne étant activé, j’ai été très accueillante avec lui, pour lutter contre ma répulsion première. Il était musulman très pratiquant, et j’avais l’impression qu’il était terrorisé que l’on cherche à lui faire manger du porc ou boire de l’alcool aux repas partagés. Extrêmement critique vis-à-vis de lui, j’ai remarqué toutes ses petites erreurs au quotidien et je les ai montées en épingle. Ne sachant que faire, j’ai dénoncé ses manquements à son responsable de stage. Ce dernier, qui déteste faire des remarques, s’est senti obligé de lui faire des reproches certainement excessifs, mais en lui précisant bien qu’ils venaient de moi. A la suite de cette intervention, j’ai affronté le regard assassin de ce jeune homme. Mon conflit inter-personnel avec lui était déclaré. J’étais très mal à l’aise. Conflit du monde : le racisme et l’islamophobie sont des thèmes exploités en politique en France, cela me désole et je me sens impuissante.

Mon processwork

Comme je l’ai dit, le regard assassin du jeune homme m’a mis tellement mal à l’aise que le soir en rentrant à pied, je ne cessais d’y penser. J’avais vraiment peur qu’il vienne mettre une bombe chez moi ou qu’il se fasse sauter dans l’institut. Je me suis rendu compte que moi qui voulais lutter contre le terrorisme, j’en étais la cause. Dans cette histoire, j’étais l’oppresseur ; j’avais été à l’origine de reproches injustes et excessifs dont était victime ce jeune stagiaire.

J’étais tellement mal que je me suis arrêtée dans la forêt pour faire un exercice d’Innerworkcomme je venais de l’apprendre dans le séminaire Mindell à Berlin. Cet exercice venait de m’être enseigné avec une immense pédagogie par les Mindell (Amy et Arnie), et nous l’avions pratiqué à plusieurs reprises pendant le séminaire. Cet exercice s’apparente au chamanisme. Il s’appelle Forum 721. 721, c’est 360+360+1. Il s’agit de faire deux tours d’horizon à 360° successifs. Je reviendrai un peu plus tard sur le 1. Les Anglo-Saxons parlent souvent de feedback à 360°. Dans les situations que nous avons pratiquées, il s’agissait d’épouser successivement deux points de vue opposés et d’ancrer cette exploration dans le corps. Le premier tour se passe dans la réalité consensuelle (réalité observée). Nous imaginons un mouvement pour représenter l’énergie qui nous dérange, l’énergie X. Puis nous nous plaçons en face pour représenter notre propre énergie. Après quelques allers-retours entre les deux positions en polarité, nous nous plongeons dans un état de rêve, et nous amplifions et approfondissons les mouvements qui surviennent. J’ai vu mon adversaire tout recroquevillé sur lui-même, prêt à m’exploser à la figure pour m’anéantir. Et en amplifiant ma propre situation de rejet, j’ai fait le geste de l’éjecter de ma vue, de le faire

disparaître, de l’ «exploser» moi aussi. Ainsi, nous étions semblables dans notre désir de faire disparaître l’autre (le but de l’exercice étant de trouver un élément d’identification avec l’autre partie).

Pour le 1 de l’exercice, il s’agit de se calmer, de s’ancrer, de faire le vide dans son esprit « pour rejoindre un espace sacré et secret de paix en soi » (c’était le titre du séminaire auquel j’ai participé avec une session animée par les Mindell) et de laisser le corps nous proposer des prises de conscience en remarquant de petits mouvements imperceptibles. Ce sont mes mains qui ont commencé à bouger et l’expression qui m’est venue est «avoir le cœursur la main».Il m’a semblé qu’une solution possible serait d’être dans l’offrande. Lui faire un cadeau. J’ai ensuite fait mon processus de groupe toute seule dans la forêt, en me mettant dans la peau des protagonistes de cette histoire, et en changeant de position pour incarner les différents rôles.

MC (en polarité, face au stagiaire) : Tu as l’air très en colère, je ne sais pas ce que ton superviseur t’a dit au juste. Le superviseur (à mi-chemin entre MC et le stagiaire) : MC m’a vraiment forcé à faire un sale boulot que je déteste. Je n’aime pas faire des reproches, mais là, elle a fait le terroriste et m’a incité à faire des reproches. Du coup, je me suis caché derrière elle, et je lui ai tout mis sur le dos. J’ai dit au stagiaire que MC m’avait dit… MB (le stagiaire) : C’est la troisième fois que je me fais engueuler parce que soi-disant je ne m’investis pas dans le travail. Je fais beaucoup d’efforts. C’est très injuste, et je sens bien qu’il y a du racisme là-dessous.

Les timespirits du racisme et del’injustice apparaissent. Le timespirit est un concept abstrait qui hante le système.

MC : J’ai parlé à ton superviseur parce que tu m’as manqué de respect en n’ayant pas l’air de prendre au sérieux mes paroles lorsque je t’ai rappelé la réunion. Si tu ne m’écoutes pas, je suis obligée de passer par lui.

MB : Tu es responsable de reproches injustes que mon superviseur m’a adressés.

MC : Je ne sais pas ce que t’a dit ton superviseur, pour moi il s’agit d’une question de respect. Ce n’est pas la seule fois où tu m’as manqué de respect. En fait, à plusieurs reprises, je t’ai offert de la nourriture, et tu l’as jetée ou crachée ouvertement.

On voit apparaître le timespiritdu respect, qui n’était pas représenté dans l’exercice d’Innerwork.

MB : J’ai cru qu’il y avait de l’alcool et que tu cherchais à me faire boire de l’alcool en douce. MC : Ce n’est pas étonnant que tu me manques de respect puisque les musulmans ne respectent pas les femmes.

MB : Tu m’as forcé à faire le ménage dans une pièce de culture, c’est une tâche dévalorisante, c’est humiliant pour moi.

Sont présents: le timespirit de l’humiliation, le timespirit de l’oppression des femmes, le timespirit de l’Islam

MC : Je sais que c’est humiliant dans ta culture, mais je n’ai pas exagéré, j’aurais pu tout te faire refaire tellement tu as saboté cette tâche.

MB : Tu cherches à m’humilier. MC : Il y a certaines corvées qu’il faut bien faire, et je participe moi aussi. Malgré mes diplômes, je fais plus que ma part. Ce n’est tout simplement pas possible que tu te contentes de regarder pendant que je fais les tâches dévalorisantes.

La question du rang est présente, mais pas explicitée. MC et le superviseur ont un rang élevé par rapport au stagiaire. Dans la problématique des corvées, MC a un rang faible, alors que ses diplômes devraient lui donner un rang élevé. Le timespirit de l’injustice pointe son nez.

Les conflits personnels de MC qui parasitent la relation actuelle constituent un processus parallèle.

Les questions de rang et de privilèges sont au cœur des problématiques dans ce lieu de travail, et au cœur des problématiques collectives dans les confits du monde.

Ce processwork m’a soulagée, cela a provoqué un coolspot, une détente. Le lendemain, j’étais décidée à proposer à MB de discuter de nos différents en utilisant la méthodologie du processwork, mais quand nous nous sommes rencontrés, il était trop tard matériellement pour entreprendre cette démarche. Autant le jour précédent, MB était beau et terrifiant avec ses yeux noirs diaboliques qui lançaient des éclairs, autant le lendemain, il était calme et détendu, il a dit bonjour. Dans l’aprèsmidi, me rappelant l’histoire du don apparue dans le 1 de l’exercice d’Innerwork, je suis allée le chercher à l’heure du goûter et lui ai offert des cookies emballés (de la nourriture non suspecte de contenir de l’alcool). Nous n’avons pas arrêté de nous croiser et je sens vraiment que je ne le déteste plus.

A la fin de son stage, nous nous sommes fait la bise et il m’a remerciée ; et je l’ai croisé une fois depuis, il semblait content de me voir. Moi aussi, j’étais contente de le voir. Le blocage a été complètement éliminé par le processus dans la forêt. Ai-je traversé un edge5 ? Suis-je allé au-delà de mes limites ? Oui, je suis allée jusqu’au bout de mon propre racisme avant de pouvoir le dépasser. J’ai dû commencer par l’accepter : après avoir fait l’exercice d’Innerwork, mon racisme et mon terrorisme étaient évidents, je ne pouvais plus les ignorer.

Quels autres conflits se jouaient dans la situation ? Quels processus parallèles ?

Ils sont nombreux :

- le conflit homme-femme (incarné de façon de plus en plus prégnante dans le lieu de travail si l’on considère l’écart statutaire hommes-femmes qui s’accentue avec les années) était très présent et entremêlé avec mes griefs contre l’Islam, que je stigmatise dans le rôle d’oppresseur des femmes. Prise de conscience : l’Islam est loin d’être le seul oppresseur des femmes !

- Il faut ajouter également des questions de rang et de privilège au sein de l’équipe de travail, rang lié aux diplômes, rang lié à l’âge, rang lié au statut, rang spirituel (MC fait du processwork pour travailler ces problématiques, les autres membres de l’équipe n’ont pas cette ressource), rang de la conscience, conscience de ce qu’on a fait subir aux populations dans le colonialisme, le pays d’où est issu le stagiaire en a souffert.

5 Edge : limite ou frontière

Qu’est-ce qui se jouait localement au même moment ?

Dans l’institut, un conflit passé venait de ressortir des oubliettes. Il y avait réminiscence d’une prise de pouvoir d’un homme d’origine musulmane au détriment d’une femme. Découvrir cette situation m’avait beaucoup affectée.

Qu’est-ce qui se jouait en France au même moment ?

L’islamophobie chronique venait d’être réactivée (c’était l’époque des attentats contre le Bataclan), la peur des attentats, la peur du terrorisme.

Qu’est-ce qui se jouait dans le monde ?

L’Occident participait à la lutte contre « l’Etat Islamique » en Iraq, la peur de « l’Etat Islamique » maintenait en place un régime criminel dans la guerre de Syrie.

Quels apprentissages en ai-je tirés ?

Le processwork, ça marche même tout seul !

On peut vraiment guérir les relations (et donc le monde ?).

J’ai expérimenté la non-localité (les conflits du monde qui me préoccupent et que je souhaite aider à résoudre se sont incarnés près de moi).

Un autre processwork « toute seule »

J’ai pris l’habitude de traiter de la même façon les conflits interpersonnels que je rencontre. Ainsi je me suis arrêtée au cours d’une randonnée pour « jouer » un conflit avec une amie - noire américaine. Tiens, tiens, qui est raciste? Cela m’a permis de laisser aller la souffrance que j’éprouvais à notre rupture, et de la laisser aller - elle aussi - vivre sa vie, libre des attaches françaises, et débarrassée du poids de l’aide paternaliste impérialiste que je lui avais apportée, quand je l’avais prise sous mon aile en tant qu’étudiante et noire.

Cette amie était venue en France et comptait bien y rester, mais la France l’a rejetée. Elle n’a pas trouvé de travail et a dû se résoudre à retourner aux USA. Je l’ai littéralement mise dans l’avion pour repartir, sans moi elle l’aurait manqué. Je me suis occupée de ses comptes bancaires, de ses papiers. Je lui ai prêté de l’argent et finalement je lui ai remis sa dette. Je l’ai accueillie lors d’un séjour en France, lorsqu’elle est entrée en conflit systématiquement avec toutes les personnes qu’elle revoyait. Je pensais avoir été la seule épargnée par cette épuration, mais la rupture est venue dans un e-mail violent et accusateur qui m’a beaucoup blessée (après tout ce que j’avais fait pour elle !).

Exercice 721 des Mindell à propos de cette amie qui m’a écrit une lettre très méchante

1er tour à 360 degrés (au niveau de la réalité consensuelle) Se représenter, mimer l’énergie de cette amie : elle est un peu forte, elle a une carapace autour d’elle un peu repoussante, c’est pour se défendre Se placer en face et se représenter sa propre énergie : je suis un oiseau qui regarde les choses de haut, en pointant son bec vers ce qui ne va pas.

2e tour à 360 degrés (au niveau du rêve) L’amie : elle se démène comme un boxeur sur un punching-ball Moi : L’oiseau se défend en donnant des coups de bec 3e tour au niveau de l’essence Le boxeur s’est transformé en un poussin qui donne des petits coups de bec pour sortir de l’œuf. L’oiseau a pris un peu de hauteur, c’est un pélican, puis un flamand rose qui va déployer ses ailes et voler en groupe dans une action constructive commune. Le flamand rose caresse le petit poussin qui vient d’éclore, l’encourage dans sa nouvelle vie. Le poussin est maintenant libre de déployer ses ailes et de prendre son envol. Les deux oiseaux se rejoignent et entament une danse commune.

Je m’aperçois que j’ai dérivé dans la pratique de l’exercice et que j’ai instauré un troisième tour avec les polarités entre les deux énergies au lieu d’aller chercher en moi une solution originale inspirée par mon corps. Mon amie ne m’a pas rappelée, ne s’est pas excusée. Je suis sûre que cela se produira un jour.

Imaginons maintenant, avec toutes les informations dont je dispose, un processus de groupe autour de cette situation.

MC : Je pensais être la seule épargnée après ta tournée pour rompre avec tes amies françaises. Je m’étais bien gardée de te dire que je ne partageais pas ton point de vue dans les histoires que tu m’as racontées. Je connais ta susceptibilité.

R : Tu n’es qu’une hypocrite, j’ai fini par m’en rendre compte lorsque tu as fait des remarques sur mon dernier mail. J’ai eu une illumination à ton sujet.

MC : Te rends-tu compte que tu as rompu avec toutes tes connaissances en France ? Tu es venue pour couper tous les liens, et c’est chose faite. En plus, comme tu m’as dit que tu ne lis même pas les mails, je sais que tu ne laisses aucun espace pour dialoguer autour de ces sujets.

R : Je suis trop sensible et je ne peux supporter les conflits dans les mails. Je ne peux d’ailleurs rien supporter du tout, ni les reproches, ni les remarques.

MC : Oui, j’ai bien noté que tu ne souhaitais pas que je corrige ton français. La langue française est un rôle fantôme danscette situation.

R : Tes corrections m’ont remémoré ce que tu m’as fait pour mon mémoire de Master. Tu n’as pas corrigé seulement mon français mais mon mémoire lui-même, c’est intolérable, ton ingérence. Je l’ai expérimentée bien souvent, tu m’as souvent envahie. Il existe probablement des questions de rang autour d’avoir fait des études supérieures. R.a été jugée trop intelligente par sa famille, mais MC est plus diplômée qu’elle.

MC : Et toi, tu me tapais sur les nerfs avec tes revendications, tu croyais que tout le monde était raciste, tu étais d’une susceptibilité ! Le timespirit du racisme et celui de la susceptibilité marchent main dans la main.

Faisons intervenir une autre ex-amie de R.

Amie 1 : Tu t’es invitée chez moi sans prendre conscience que les choses avaient changé, il y avait mon copain chez moi, il fallait que je gère, mais tu n’as pas voulu comprendre.

Amie 2 : Tu ne supportes personne et tu m’as causé bien des complications, surtout avec ta susceptibilité. Pour finir en me jetant à la figure les clés de la voiture que je t’ai prêtée … Après tout ce que j’ai fait pour toi. MC : Après tout ce que j’ai fait pour toi, c’est bien le mot. Et tu m’envoies une lettre aussi méchante et injuste. Décidément, tu es bien malade. Tu te caches derrière le racisme et les abus, mais tu ne te rends pas compte de ce que tu fais subir aux autres. Ici , on aurait pu faire intervenir le rôle de la famille américaine de R, leur demander ce qu’ils en pensent.

R : J’ai fait un procès à ma famille, cela m’a coûté tout mon argent, mais je suis libre. Seule et libre. Je suis libre par rapport à vous, j’ai coupé les ponts, je prends mon envol.

Les timespirits de la liberté, de l’esclavage, et du racisme sont présents

MC : Je te laisse partir, je te laisse renaître, j’ai brûlé ta lettre, et fait un processwork.

Quels sont les enseignements de ce processus ?

1- Il y a un rôle fantôme, la famille de R, une famille abusive qui, telle un coucou, s’était installée dans son appartement (à mettre en parallèle avec l’Innerworkdes oiseaux ?). 2- Il existe un processus parallèle, le fait que R venait de rompre avec sa famille et qu’elle est ensuite venue rompre avec sa « famille » française. 3- Nous avons assisté au dépassement d’un « edge», aller au-delà de ses limites : MC n’avait pas encore admis son propre racisme, R est une noire américaine, qu’elle a pris sous son aile paternaliste (encore une métaphore aviaire !). 4- Nous apercevons le timespirit de l’esclavage : R a fait son mémoire de Master sur le sujet de l’esclavage aux Antilles. Selon que les îles étaient occupées par les Français ou les Anglais, l’esclavage a été aboli, puis rétabli, de façon différentielle, avec des conséquences horribles. Il y avait sans doute un compte à régler avec la France, ancien pays esclavagiste, dans une non-localité temporo-spatiale ! 5- Le timespiritde la culpabilité de MC (et sans doute des autres amies de R), par rapport à leur situation privilégiée : elles travaillent, ont de l’argent ; elles se dédouanent par des dons et de l’aide. 6- D’autres reproches non reproduits ici concernent sans doute l’histoire familiale de R.

Et compte-tenu de tout cela, que sais-tu maintenant ?

Ce n’est pas moi qui suis en cause, c’est le rôle, l’esclavagiste, la privilégiée. Ce que je sais maintenant, c’est qu’il n’est jamais trop tard pour faire du processwork, même tout seul, et que cela soulage toujours.

Vers un processwork plus inclusif

Mon attrait pour le processwork a été immédiat, et il ne s’est pas démenti. Je crois toujours et même de plus en plus en la capacité du processwork à guérir le monde en guérissant les relations. Le processwork me donne de l’espoir qui me permet de continuer à militer. En parallèle aux processus de groupe qui selon moi ne seront jamais assez nombreux ni assez longs pour explorer les multiples ramifications d’une problématique collective, je crois à la force de l’innerworkpour

travailler sur les problèmes relationnels. Avant de guérir le monde, il est nécessaire de guérir les relations. Le processwork est un vrai travail d’Ombre et je l’inclus dans ma Pratique de Vie Intégrale (la pratique Intégrale est mon autre centre d’intérêt actuel, et je tiens à souligner également la nécessité de combiner le processwork avec d’autres méthodes). J’ai pris conscience de l’importance des conflits de style que je rencontre dans ma vie quotidienne, par exemple lorsque certains s’épanchent longuement alors que je souhaite une communication minimale et efficace. J’ai découvert les conflits de niveaux entre le conformisme Ambre, la quête de pouvoir Orange et l’égalitarisme Vert qui s’incarnent selon l’évolution des divers protagonistes dans les processus de groupe (et dans la vie en général). C’est une notion tirée du modèle de la Spirale Dynamique (Don Beck, Clare Graves), importante à prendre en compte et elle pourrait être incluse dans la boîte à outils du facilitateur en processwork.

L’Innerworket le processus « tout seul » pour aborder l’indicible

Dans le monde du travail comme dans celui de l’information, les questions de racisme, de privilèges, de rang, d’exclusion, de terrorisme et d’injustice sont tabous. On ne peut tout simplement pas en parler, à moins de créer les conditions et le cadre sûr pour un processus de groupe, et encore… Aborder ces questions n’est pas politiquement correct, et dans la plupart des cas, on préfère se mentir et enjoliver les choses, et ne pas traiter la souffrance sous-jacente. Cependant, je reprends espoir parce que toutes ces questions peuvent être abordées dans le cadre parfaitement sécurisé d’un processwork fait « tout seul » ou entre personnes conscientes et concernées, avec un effet non-local possible.

This article is from: