L’Effet Domino

Aucommencement,unehistoired’amitiéet d’engagement
Fellag est un ami de très longue date. Notre amitié et notre collaboration remontent à l’année 1984 quand, ensemble, nous nous sommes rencontrés au sein de la même troupe théâtrale, à Paris. Ensuite, chacun empreinta le chemin qui lui convenait ; moi, comme metteur en scène engagé au parcours international et compagnon de route d’Armand Gatti pour une bonne partie de ma vie, ainsi que directeur de différentes compagnies théâtrales et de structures culturelles ; lui, comme le grand artiste populaire de génie qu’on connait. En France, on a découvert cet humoriste kabyle dans les années 1990 avec des spectacles qui éclairaient cette Algérie si lointaine d’une autre lumière que celle des massacres télévisés du 20 h, il nous la rendait plus vivante, plus quotidienne et plus désespérée. Dans son pays, voilà bien longtemps qu’il est un héros national, un prophète cynique. Si bien que ses sketches au vitriol sont dans toutes les bouches, ses tournures impudiques sur toutes les lèvres, et qu’il a su élever l’espoir au rang de proverbe : « partout quand on touche le fond, on finit par remonter ».
“Il s’agit d’un spectacle choral sur le thème de l’exil et de l’espoir. L’histoire d’un spectacle en train de se faire, porté par trois amis bruxellois, un réalisateur, un comédien et un poète-slameur, tous acteurs-témoins de la même tragédie contemporaine.”
Avec : Rachid Benbouchta, Rachid Hirchi, Manza
60 ans d’immigration marocaine en Belgique
Cespectacleestunesuccessiondetextesoriginaux,qui s’imbriquentenécholesunsauxautres.
Trois récits, tirés de trois nouvelles de Fellag, composent une galerie de portraits grimaçants de jeunes hommes et femmes brisés par les fanatismes de tous bords et condamnés à l’exil afin d’échapper au totalitarisme et parfois à la guerre. Il y a Adam torturé par la police politique d’un régime totalitaire pour avoir ri avec ses voisins de café aux dépens du président de son pays ; Caïn et Abel qui jouaient ensemble enfants et qui s’entretuent désormais parce que l’un des deux porte un uniforme militaire ; et il y a Êve, cloîtrée par ses frèresgeôliers, qui passe ses nuits sur le balcon à se confier à l’amant, réfugié à Bruxelles, qu’elle ne reverra jamais…
L’écriture est aiguisée comme un scalpel, la description ne s’embarrasse pas de paysages, elle implose de sentiments, de sensations. Fellag nous peint un pays magnifique, imaginaire et réel à la fois, où chacun avance la peur au ventre, un Éden où tout invite au bonheur des sens jusqu’à ce qu’une balle venue de nulle part fauche un ami, un frère.
Au sommet de sa gloire en Algérie, Fellag a lui-même été pris au piège de ce cercle vicieux qui se trompe de victime. Au beau milieu d’un spectacle où il suppliait à genoux les Algériennes de pardonner l’attitude de leurs hommes, une bombe explose dans les toilettes des femmes, et le contraint à l’exil. C’est depuis la France qu’il continue son combat, sur les planches et sur le papier, pour tous les peuples réprimés, et pour cette voix plaintive qui, dans la partie de notre spectacle intitulée « Kidnapping ou La Théorie des dominos », résone du fin fond des cellules d’une police politique : « Y’a quelqu’un ? Oh mes frères, pitié ! Faites de moi ce que vous voulez, mais ne m’abandonnez pas. Parlez-moi. Je veux entendre des mots. Je vous les achète. Combien pour un mot ? Dehors, j’ai de l’argent. S’il vous plaît ! Y’a quelqu’un ? ».
Avec ce projet nous effectuons une plongée hallucinante dans les profondeurs d’une tragédie humaine, qui a lieu dans un pays à la fois imaginaire et réel. Un voyage dans le temps démonté d’une histoire à rebours. Une exploration minutieuse de l’âme de quelques héros qui tentent avec un humour amer de faire entendre la petite voix de la raison dans ce tourbillon de folie.
C’est Adam, qui, pour un rire mal placé, bascule dans les griffes kafkaïennes d’une police politique.
C’est Caïn, et son ami d’enfance Abel, qui se tirent dessus sans savoir pourquoi.
C’est Êve, prisonnière des nouvelles traditions, qui téléphone en douce à son amoureux depuis son coin de balcon.
Ce spectacle est une succession de textes originaux, qui s’imbriquent
Avec « Kidnapping », c’est d’abord l’incroyable logique du totalitarisme, l’arbitraire d’une sécurité militaire enlevant et torturant sans avoir à le justifier, pour une photo prise par hasard, pour une rencontre involontaire : Adam a été montré à la une d’un journal riant de bon cœur avec ses voisins de café. Le propos qui l’a fait rire : une critique humoristique du président Boumediene. Il n’en faut pas plus pour démasquer un séditieux. Et emporté dans la spirale absurde de la répression, Adam en-
tre les mains de ses tortionnaires en vient à regretter «d’avoir de la chair autour de son âme » .
L’écriture est sans exagération, sans pathos, c’est un scalpel qui détaille l’inacceptable et nous conduit, tranquillement, vers la révolte. Une révolte impossible. Insupportable.
Et puis l’on revient aux chars, aux balles, dans un pays en guerre, le face à face entre deux camps opposés appartenant au même peuple. Ce récit est tragique et simple comme du Corneille. Cela s’appelle le fanatisme et cela s’appelle la mort. Abel, Caïn, deux frères depuis l’enfance, l’adolescence, ils ont tout fait ensemble… et puis la destinée…
Ils se trouvent face à face, prêt à se tirer dessus. Là, dans la terre qui les a vu grandir. Et soudain au moment où il tire, Caïn reconnaît -trop tard- l’ami qu’il vise. La balle est partie. Un sniper intégriste, non loin de là, appartenant au camp d’Abel venge celui-ci dans la minute : Caïn tombe. Dans ce raccourci, cette minute, Fellag glisse toutes leurs vies mêlées. Danse macabre d’une amitié fauchée en pleine jeunesse, pour le profit de manipulateurs, d’un côté des idéologues fanatiques… De l’autre des chefs-militaires pragmatiques et glacés, vaguement indifférents au coût humain de leurs tactiques…
Le troisième récit, « Allô Adam ! », est à nouveau une fuite imaginaire. Un homme, réfugié politique à Bruxelles, dont on découvre peu à peu les qualités, les études, la formation, la personnalité, appelle toutes le nuits sa fiancée restée cloîtrée chez elle par des frères fanatiques et bornés. Injustice et absurdité du sort, elle qui aurait dû être leur guide devient leur prisonnière, recluse. Et elle s’enfuit, en pensée, vers un amant (notre réfugié de Bruxelles) dont seules les dernières lignes nous révèlent la véritable identité.
De ses monologues nocturnes adressée à sa fiancée qui se réfugie sur le balcon pour attendre ses appels, Fellag tire une peinture déchirante de la nuit qui tombe sur un pays imaginaire – mais Ô combien réel, aux prises avec les vautours noirs de la répression totalitaire.
Il n’y a pas de leçon, il n’y a pas de thèse. Fellag noue là dans un destin individuel l’absurdité de notre aventure collective. Sans pesanteur, sans afficher de thèse, simplement en racontant une histoire. Ce n’est pas vraiment drôle, mais c’est lu-
cide, utile. A voir, évidemment, pour comprendre les temps que nous vivons.
Dès que la maisonnée est endormie, réfugiée sur le balcon de l’appartement, jusqu’au premier appel à la prière du lever du jour, une jeune femme, Êve, téléphone en cachette à Adam, l’homme qu’elle aime.
La chronique de sept monologues adressés à un correspondant compréhensif, patient et taciturne, révèle, au fil des nuits, la personnalité de Êve et la cause de ses appels clandestins. Malgré des études supérieures, une formation juridique et une expérience professionnelle, cette jeune femme cultivée est recluse par ses frères et beaux-frères acquis au fanatisme.
Faisant fi d’un couvre-feu, une nuit de terreur, des ombres discrètes glissent le long des murs, des familles terrorisées tentent d’échapper à la horde fasciste et l’écho de la chasse infernale parvient jusqu’au coin de balcon où se tapit Êve.
Ce spectacle est un triptyque composé de trois nouvelles écrites par Fellag, adaptées pour le théâtre dans une forme de dramaturgie qui emprunte sa structure à l’univers du cinéma moderne. J’y mets en scène des personnages de réfugiés émouvants et attachants qui sont aux prises avec les maux tragiques liés au totalitarisme liberticide dont souffre leur pays d’origine, sans se départir de l’humour qui est propre à Fellag. Chacun des « scénarios » contribue à la tension d’un ensemble théâtral.
Dans « Allô Adam! », Adam téléphone sept nuits durant à celle qu’il aime. Telle une Shéhérazade du temps de l’horreur, sa fiancée, restée malgré elle au pays, esquive la mort, tente de déjouer la « sale guerre » en écoutant la voix de celui qui écoute sans pouvoir répondre.
À l’aube de chaque jour qui commence, elle ne sait si elle aura la vie sauve et hésite entre l’adieu et l’au revoir. Comme Adam, Êve est interrompue par le soleil qui se lève. Le conte fait ainsi une brève apparition à travers cet amour qui se serait noué en plein maquis et ce jeune fasciste qui aurait fini par abattre son chef pour sauver Narriman. Mais Êve tue bientôt elle-même ses propres personnages : « Rien n’est arrivé. J’ai tout inventé.
Ce serait trop beau. Imagine un peu. La barbarie réhabilitée par la passion amoureuse… »
er au nom de toutes les femmes réprimées pour dénoncer leur castration et les souffrances qui leur sont infligées. Il lui faut répéter son amour dans un monde fait de désamour. Il lui faut survivre par la parole : « Au-delà de la simple révolte, ces instants me permettent d’exprimer vraiment tout ce que je ressens et de trouver des appuis pour continuer à vivre. »
Je veux exprimer la souffrance de ces hommes et ces femmes, mais aussi leur révolte et leur espoir. Je veux décrire un parcours qui dénonce le patriarcat dans toute sa violente bêtise, jusqu’aux détails les plus absurdes entraînant des conséquences inextricables.
“Pourquoi vouloir nous imposer de ne tenir compte que de “votre génie, votre sens de l’honneur, votre courage” et d’être éternellement en admiration devant “votre sagesse et votre probité”, alors que vous n’êtes obsédés que par le galbe de nos mollets, la couleur de nos yeux, la rondeur de nos fesses et les fruits auxquels s’apparentent nos seins ?”, demande Fellag par la voix d’un de ses personnages révoltés. L’humour émaille l’énoncé de ces vérités tragiques, toujours bonnes à dire.
Il lui faut revenir à la réalité qui amène chaque jour son lot de morts atroces. Il lui faut parl-
“il lui faut répéter son amour dans un monde fait de désamour”
Il étudie aux Conservatoires Royaux de Mons et de Bruxelles, puis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de PARIS (3 ans).
Depuis 1989 il a joué une soixantaine de pièces, avec des metteurs en scènes tels Jorge Lavelli (Merlin, T. Dorst) ; Philippe Adrien (La noce chez les petits bourgeois, B. Brecht) ; Frédéric Dussenne (Cassandre graffitis, V. Mabardi ; Lucrèce Borgia, V. Hugo)
; Henri Ronse (Saleté, R. Schneider ; Œdipe à Colonne, Sophocle) ; René Chéneaux ( Dom Juan, A. Pouchkine ; « Autour d’Electre » Eshyle, Sophocle ; En attendant Godot, S. Beckett ; Les sirènes de Bagdad, Y. Khadra) ; Jean-Michel d’Hoop (Opéra panique, A. Jodorovski) ; Jean François Politzer (Le pique-nique de Claretta, R. Kalisky ; Mélite, P. Corneille ; Le paradis sur terre, T. Williams, Sur le Babel de R. Benbouchta; La naissance des dieux, Hésiode), Rachid Benzine (Lettres à Nour),…
Il a tourné dans une trentaine de films ou téléfilms, et mis en scène plusieurs spectacles :
« J’appelle mes frères » de Jonas Hassen Khemiri
« Mordamed » de Yasser Jaafari
« Retourne dans ton pays », « Le meilleur papa du monde » et « Non essentiel », 3 stand-up de et avec Abdel Nasser
« Ainsi chantait l’Olivier » dont il est aussi l’auteur
Il anime aussi de nombreux ateliers de théâtre.
60 ans d’immigration marocaine en Belgique
Auteur/réalisateur - metteur en scène au parcours international et directeur de différentes structures culturelles en Europe et en Orient, dont l’Espace Magh à Bruxelles de 2010 à 2018.
Docteur en théâtre et diplômé en ingénierie culturelle, Il a dirigé une trentaine de mises en scène théâtrales multilingues et participé à différents festivals internationaux dont le Festival-IN d’Avignon aux côtés de son compagnon de route Armand Gatti.
En 2014, il est Commissaire de la commémoration des 50 ans d’immigration marocaine en Belgique Pédagogue, écrivain et cinéaste, son film belge, “Route 66”, à obtenu une quinzaine de prix dans des festivals en Europe et aux Etats-Unis dont le Grand prix du Festival de Los Angeles en2018.
Il est l’un des fondateurs de la compagnie Les Voyageurs Sans Bagage (ils sont élus Bruxellois de l’Année en 2012). Avec elle, il joue les spectacles à succès «La vie c’est comme un arbre» et « L’ê tre ou ne pas l’ê tre ». Il est aussi mis en scène par Marianne Epin et Fellag dans «Tous les Marocains sont des mécaniciens».
Membre du groupe Hip-hop CNN199, éducateur, chargé de projets à l’Espace Magh et artiste bruxellois de la scène slam et rap, poète du collectif bruxellois de Passa-Porta.
Manza Abdeslam est un artiste belge issu du mouvement hip-hop. Activiste dès l’implantation des arts urbains dans la cité, tel que le graffiti et le rap.
Rappeur reconnu pour son écriture recherchée, auteur au sein du collectif des Poètes de la ville (Passa Porta) où il a participé à réécrire la constitution européenne en vers. Il est l’auteur de recueuils de poésies comme « Lis tes ratures » et “Tel vers, telle fille”, et continue son parcours musical avec le projet Manza CNN 199 : EP “MONUMENT”.
Cœur et rimes ! Rappeur, slameur… poète aussi ! Depuis vingt ans, l’artiste belge Manza décline son riche parcours musical et artistique sur tous les tons et toutes les rimes. Pionnier des arts urbains dès leur apparition dans la ville de Bruxelles, il a depuis foulé de nombreuses scènes rap et slam à travers le pays mais aime également multiplier les ponts vers d’autres univers artistiques comme la poésie
Cette richesse humaine tout en nuances explorée dans son parcours et son écriture, l’artiste entend également la questionner avec les jeunes au travers de son métier d’éducateur et des nombreux ateliers slam qu’il anime.